Pourquoi il est malsain de croire que Dieu n'est que miséricorde

L'homme sage sera toujours dans la crainte dit le St-Esprit ;
c'est cette crainte qui le rend d'abord considéré et ensuite sage.
III. Nous devons chercher à exciter ce sentiment dans nos cœurs
et nous rendre saintement craintifs pour ce qui regarde notre salut.
Opérez votre salut avec crainte et tremblement dit l'Apôtre Saint Paul ;
c'est ainsi que les plus saints l'ont opéré. Vos jugements remplissent mon
âme de terreur disait David, et il avait dit auparavant selon la traduction de
St Jérôme : Vos jugements m'ont inspiré une telle frayeur que tout mon corps
en a frissonné, mes cheveux se sont dressés sur ma tête.
Job, ce modèle de perfection dit en parlant de lui-même : J'ai toujours redouté
la colère de Dieu comme les flot de la mer en fureur. St Grégoire dit en expliquant
ce texte : Lorsque les matelots sont battus par la tempête, jetés çà et là par la fureur
des vents, en danger de périr, ils perdent l'affection de toutes les choses de ce monde,
ils ne sont plus attachés aux plaisirs des sens, ils jettent hors du vaisseau les marchandises
qu'ils sont allés chercher avec tant de peine, ils méprisent tout pour sauver leur vie : de même
Job tremblant à la vue de l'abîme des jugements de Dieu, frappé de crainte pour son salut,
jette loin de lui tout ce qui pouvait le mettre en péril et l'empêcher d'arriver au port.

St Bernard en expliquant le sens du baiser des pieds de l'époux, dont il est parlé dans les
Cantiques, dit que les deux pieds représentent la miséricorde et la justice de Dieu et qu'il
faut baiser l'un et l'autre, car le baiser seul du pied qui représente la justice,
remplit de crainte et jette dans le désespoir, comme si l'on se contente de baiser le seul pied
de la miséricorde, on tombe dans une assurance trompeuse N.S., ajoute le même Père, entre
avec ces deux pieds dans les âmes qui lui sont dévouées, il s'y promène en leur faisant du bien,
en guérissant leurs blessures, en les délivrant de l'oppression du démon. Ô qu'heureuse est
l'âme dans laquelle N.S., fixe ces deux pieds. Il dit ensuite en parlant de lui-même : Par une
grâce particulière que Dieu a daigné me faire, je me suis trouvé quelquefois aux pieds de N.S.,
l'embrassais tantôt l'un, tantôt l'autre selon le mouvement de son esprit. Si par fois je tenais
trop longtemps embrassé le pied de la justice, je sentais aussitôt mon âme plongée dans des
craintes et des terreurs étranges, qui me glaçaient le cœur, abattaient mon esprit et me faisaient
crier tout tremblant avec le Prophète royal : Qui connait la puissance de votre colère, quelle
terreur mesurera vos vengeances? Si au contraire, je m'attachais trop à celui de la miséricorde,
je m'apercevais aussitôt que mon cœur tombait dans le relâchement et la négligence, j'étais plus
tiède dans l'oraison, plus lâche dans la pratique des bonnes œuvres, plus prompt à me dissiper,
plus inconsidéré dans mes paroles, en un mot, moins retenu et dans l'intérieur et à l'extérieur,
c'est pourquoi, instruit par mon expérience, je chanterai Seigneur non vos jugements seuls,
ou votre seule miséricorde, mais le jugement et la miséricorde en même temps, je n'oublierai
jamais vos ordonnances, la miséricorde et la justice seront l'une et l' autre le sujet de mes hymnes,
dans le lieu de mon exil jusqu'à ce que la miséricorde l'ayant emporté sur la justice, ma misère cesse,
que je sois dans l'état de la gloire alors je n'aurai plus à chanter que les bontés éternelles de mon Sauveur,
sans éprouver désormais aucun sentiment de crainte.
Telles sont les paroles de St Bernard, qui ont d'autant plus de poids, qu'il avait reçu un don extraordinaire
pour la dévotion et qu'il avait pénétré fort avant dans les lumières et les délices de la vie unitive.