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Influence Chrétienne : VERGERS ET JARDINS DANS L’UNIVERS MÉDIÉVAL

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Message par MichelT Mer 26 Jan 2022 - 18:51

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Influence Chrétienne : VERGERS ET JARDINS DANS L’UNIVERS MÉDIÉVAL

Source :  Presses universitaires de Provence - 1990

Table des matières

1 - Du paradis terrestre
2 - Le jardin médiéval, lieu d’intimité
3 - Le Jardin mystique

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Un jardin a Paris au Moyen-Âge

Il est indéniable que le jardin joue un rôle de premier plan dans la littérature médiévale. Lieu de la rencontre, de l’amour ou de l’aventure, il est aussi un lieu protégé ou les protagonistes aiment à vivre et à se reposer. Lieu fermé, il est le réceptacle de la parole, du signe, du message. Il est dès lors logique que l’aménagement d’un tel espace soit de première importance. Mais cet espace est, en rapport avec la mentalité médiévale. À la fois espace végétal, directement lié au monde sublunaire, il est aussi lieu symbolique, en osmose avec les représentations mythiques et les influences cosmiques. En d’autres termes, il est investi, en continu, d’une entité symbolique. La littérature médiévale, et en particulier la littérature courtoise rend compte de cet aspect multiforme et multi-signifiant du verger.


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Le Paradis Terrestre (Genèse 2,5)

1 - Du paradis terrestre  (extraits)

James Dauphine

Puis l’Éternel Dieu planta un jardin en Éden, du côté de l’orient, et il y mit l’homme qu’il avait formé. L’Éternel Dieu fit pousser du sol des arbres de toute espèce, agréables à voir et bons à manger, et l’arbre de la vie au milieu du jardin, et l’arbre de la connaissance du bien et du mal. Un fleuve sortait d’Éden pour arroser le jardin, et de là il se divisait en quatre bras. Le nom du premier est Pischon ; c’est celui qui entoure tout le pays de Havila, où se trouve l’or. L’or de ce pays est pur ; on y trouve aussi le bdellium et la pierre d’onyx. Le nom du second fleuve est Guihon ; c’est celui qui entoure tout le pays de Cush. Le nom du troisième est Tigre ; c’est celui qui coule à l’orient de l’Assyrie. Le quatrième fleuve, c’est l’Euphrate. L’Éternel Dieu prit l’homme, et le plaça dans le jardin d’Éden pour le cultiver et le garder. (Genèse 2, 8 - 16)

et après la Chute d’Adam et Ève

Et l’Éternel Dieu chassa l’homme du jardin d’Éden, pour qu’il cultivât la terre, d’où il avait été pris. C’est ainsi qu’il chassa Adam ; et il mit à l’orient du jardin d’Éden les chérubins (anges) qui agitent une épée flamboyante, pour garder le chemin de l’arbre de la vie. (Genèse, III, 23 – 24)

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Adam et Ève expulsés du Paradis Terrestre après leur désobéissance ( Genèse 3,23)

Ces versets, au cœur de toute problématique portant sur le paradis terrestre ont été maintes fois cités, commentés et discutés. Aussi est-on en droit d’examiner ce qui caractérise ce lieu hors du commun qui, au Moyen Age, a été si régulièrement évoqué ou décrit, parce qu’il était à la fois synonyme de phénomène exceptionnel, d’esjouissance et de senefiance. Par nature, le jardin du paradis, la Genèse le précise, présente la particularité capitale d’avoir été voulu par la volonté divine. C’est l’Éternel, en effet, qui l’a conçu, en a dressé le plan et, jusqu’à un certain point, indiqué le rôle et la fonction. On observe, tout d’abord, que le Verbe, dans sa bonté, a choisi de toute éternité de créer ce jardin et d’y placer Adam et Ève, le premier couple.

Deuxième considération, la localisation de l’Éden, qui a été une préoccupation majeure des premiers commentateurs de la Genèse. Situé par le texte biblique en orient, il est normal que cette détermination soit reprise par saint Ambroise (de paradiso, I), saint Augustin (de Genesi ad litteram, VIII, I, 1 et VIII, VII, 13) ou Raban Maur (de universo, XII, III “de paradiso”), pour ne citer qu’eux. Il arrive que de légères variantes soient introduites afin de préciser davantage l’exactitude, la géographie ou le dessin du divin jardin. C’est ainsi que Richard de Saint Victor, dans son Liber Exceptionum (I, III, I), affirme que « Paradisus est locus in Orientis partibus », c’est-à-dire qu’il se trouve appartenir à l’Asie (« de Asia et partibus ejus »).

Ce jardin frappé du sceau divin est, depuis la Chute, inconnu à l’homme ; mais il existe toujours puisqu’il demeure gardé par les chérubins (Anges) (Genèse, III, 24). Et ce n’est pas un hasard si Christophe Colomb consulte la carte d’Andrea Bianco (carte datée de 1463) mentionnant le paradis terrestre en Asie et si, découvrant l’embouchure de l’Orénoque (Amérique du Sud), il est convaincu de rencontrer en Asie la source des quatre fleuves nés du paradis.

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Carte d`Andea Bianco - Italie - 1436

On le constate enfin, le paradis est de surcroît exceptionnel par les questions qu’il a conduit à se poser. Saint Augustin, à la suite de saint Ambroise a été l’un des premiers, à souligner les enjeux de ce lieu. Reprenant les deux interprétations majeures concernant le paradis, celle d’Épiphane et de saint Jérôme (Un jardin corporel?), celle d’Origène (Un Jardin spirituel?), il déclare : «Je n’ignore pas que maintes gens ont dit maintes choses sur le paradis. Néanmoins il y a, sur ce point, comme trois grandes opinions. La première est celle de ceux qui ne veulent voir dans le paradis qu’une réalité corporelle ; la seconde, celle de ceux qui n’y voient qu’une réalité spirituelle ; la troisième, celle de ceux pour lesquels le paradis est à la fois réalité corporelle et réalité spirituelle. Pour le dire en bref, j’avoue que cette troisième opinion a ma faveur.» (de Genesi ad litteram, VIII, I, 1

Saint Augustin procède à une synthèse décisive pour le haut Moyen Age et dont saint Thomas d`Aquin, plus tard, s’inspirera dans un passage de la Somme Théologique (la, quaestiones 102, 1). Par ailleurs, saint Augustin a abordé une question importante pour la mentalité médiévale : qui travaillait la terre au paradis ? (de Genesi ad litteram, VIII, VIII, 15 - 16). Aux interrogations sur le “jardinier” et la “garde” du paradis il a apporté trois interprétations qui, avec des nuances, seront, au fil des commentaires, utilisées, retenues et parfois discutées. A la fin du xvie siècle, Du Bartas s’est encore souvenu des perspectives augustiniennes en composant “Éden” (Seconde Sepmaine, Premier Jour) puisque ce labeur d’Adam, « un labeur agréable, / Un plaisant exercice, une peine semblable / A celle du danseur... » (vers 277-279), avec la Chute, signe manifeste des « épines de la désobéissance » (de Genesi ad litteram, VIII, X, 20), devient un rude travail.

Ces questions sont d’autant plus intéressantes que les textes médiévaux semblent les ignorer parce que le paradis terrestre est avant tout synonyme de plaisir. Saint Jérôme, dans son Liber hebraicorum nominum, proposait la définition : « Eden voluptas sive deliciae vel ornatus ». Et Richard de Saint Victor de son côté de noter : « Paradisus, grece, ebraice dicitur Eden, quod utrunque junctum in nostra lingua dicitur ortus deliciarum » (Liber Exceptionum, III, II). Ortus deliciarum dont la traduction, à travers le grec et l’hébreu, renvoie au nom persan faradaica signifiant jardin. De l’étymon à sa traduction, il s’est opéré, semble-t-il, un enrichissement puisque du sens premier — faradaica / ortus — on passe, au Moyen Age, à celui plus significatif d’ortus deliciarum (Le Jardin des délices).

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Le Paradis Terrestre (Genèse 2,5)

Un tel enrichissement paraît confirmé par les qualités — voluptas, suavitas — systématiquement associées au paradis. Au sein du “paradis de delit” (La Bible française du xiiie siècle), il est apparemment naturel que tout soit délectable et joie. Et Dante de souscrire à l’idée que le paradis terrestre est “la patrie des délices” (de l’éloquence en langue vulgaire, I, VII, 2 : delitiarum... a patria). En somme, et sur un tout autre registre que celui du poète, « Là, tout n’est qu’ordre et beauté / Luxe, calme.»

Dans la Genèse (II, 8-9) il est dit que « Dieu avoit planté des le comancement paradis de delit ou il mist l’ome » (La Bible française du xiiie siècle). Et de fait, dans l’imaginaire et la psyché, le paradis est l’équivalent d’une oasis où règnent l’eau et la nature luxuriante. La profusion des arbres, rapidement évoquée par Honorius de Ratisbonne (de imagine mundi, I, IX : “De paradiso”), Richard de Saint Victor (Liber Exceptionum, I, III, II : « omni genere ligni et pomiferarum arborum... ») ou Brunetto Latini (Li Tresors, I, 122, 26), résulte de conditions climatiques favorables caractérisées par ces mots « sed perpetua aeris temperis », employés par Raban Maur (de universo, XII, III : « non frigus, non aestus, sed perpetua veris temperies »), Richard de Saint Victor (Liber Exceptionum, I, III, II) voire Brunetto Latini. Indéniablement, “perpetuel atemprance” conforte l’équilibre naturel du paradis et rend compte de l’ordre harmonieux dont il témoigne.

Aujourd’hui, à la veille de l’an 2000, le paradis terrestre, les mouvements écologistes le prouvent, est d’actualité. Or, curieusement ce paradis, à retrouver ou à régénérer, repose comme au Moyen Age sur l’idée d’un ordre, d’une harmonie. Pour que le paradis terrestre existe, pour que la terre survive, pour que nos descendants puissent vivre, on peut souhaiter que l’homme se décide à “travailler”, à “cultiver” ce que l’Éternel lui a attribué. Il convient donc de relire saint Augustin. (de Genesi ad litteram, VIII, VIII, 15 à VIII, XII, 26)


Dernière édition par MichelT le Jeu 9 Juin 2022 - 13:35, édité 3 fois

MichelT

Date d'inscription : 06/02/2010

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Message par MichelT Ven 4 Fév 2022 - 14:04

2 - Le jardin médiéval, lieu d’intimité  (Extraits)

Christiane Deluz

Tous nous portons sans doute en nous, à l’intime de nous-mêmes, l’image d’un jardin, jardin public pour ceux d’entre nous qui ont été victimes d’une enfance citadine, jardin d’autrui entrevu avec envie à travers une grille, ou, pour les plus nombreux je l’espère, jardin de la maison d’enfance, jardin de vacances chez les grands parents, lieu propice à l’invention des jeux, abri sûr pour les rêves, voire théâtre de premières tentatives de jardinage dont la réussite nous comblait de la fierté du producteur, du créateur.

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Ces jardins que nous portons en nous nous aideraient-ils à aller à la découverte du jardin du Moyen Age ? Sans doute, mais encore nous faut-il passer par la médiation des sources pour éviter les tours, toujours à redouter, de l’imagination. Ces sources, qu’elles soient documents d’archives, textes littéraires ou matériel iconographique, nous disent toutes l’omniprésence du jardin dans le paysage médiéval, qu’il soit rural ou urbain. C’est ce premier inventaire, rapide bien sûr, qu’il convient de faire avant de nous interroger sur la fonction de ce jardin omniprésent dans la société du Moyen Age, fonction aux multiples aspects que ce colloque a pour objet de recenser. Il faut donc faire un choix et je proposerai ici comme fil conducteur le jardin lieu d’intimité, intimité de l’homme avec la terre, intimité de l’homme avec l’homme, intimité de l’homme avec Dieu.

On peut donc affirmer que, dans le paysage médiéval, le jardin accompagne toujours les habitations des hommes quelle que soit la forme de leur regroupement. Il est en quelque sorte signe de la présence humaine. Georges Duby a parlé de l’auréole de jardinage qui entoure les villages. Les recherches de Noël Coulet sur Aix montrent la même auréole ceignant les remparts de la ville, elle disparaît ensuite, laissant la place à la vraie campagne des labours et des près, vignes jardins et vergers ne réapparaissant, aux limites du territoire communal, que lorsqu’on aborde la zone des bastides.

Rectangulaires le plus souvent si l’on en croit les sources archivistiques, carrés sans doute de temps en temps, comme les peignent les sources littéraires ou comme les souhaite Pierre de Crescens dans son Traité d’agronomie, parfois aussi de forme polygonale ou étagés selon les caprices du terrain, les jardins ne semblent avoir pris une forme circulaire ou elliptique que dans l’imagination des miniaturistes ou des tapissiers, tels les fameux jardins de la Dame à la Licorne, ou encore dans la symbolique des poètes. Jean de Meung oppose la “quarrure” du jardin de Déduit à la “rondesce” du jardin de Genius, l’oeuvre humaine à l’oeuvre divine.

Cette symbolique des formes nous rappelle que le jardin a une fonction et une signification. Une des premières est sans doute celle du lieu d’intimité ; un élément essentiel, inséparable du jardin, n’est-il pas la clôture ? Clôture légère, de branches entrelacées, haie vive, palissade ou croisillons de bois, clôture plus solide en pierre ou en brique, les documents tant écrits que figurés présentent bien le jardin comme un espace séparé. Il faut qu’il soit protégé des excès climatiques, des ravages des animaux et réservé au face à face de l’homme avec la terre.

Le jardin échappe au prélèvement seigneurial comme aux contraintes collectives villageoises. L’homme s’y trouve entièrement libre de jardiner, de multiplier les soins aux plantes par sarclage, binage, pinçage, arrosage attentif, de faire en sorte que les plus fragiles puissent quand même croître, protégées par la paille, affermies par des tuteurs, de choisir les emplacements ensoleillés, souvent le long des murs, pour celles qui ont besoin de chaleur et de lumière, notamment la vigne. Les deux contrats de location de jardins provençaux publiés par Noël Coulet dans l’article cité plus haut, l’un de 1426, l’autre de 1438, font apparaître un minutieux découpage de l’espace cultivé en taulas (planches), vases (plates-bandes carrées) et cansers (carrés moins importantes situés en bordure). Ils montrent aussi le souci d’obtenir une production étalée sur toute l’année : choux plantés “per Sant Miguel”, pêcher “martinenc”, qui produira à la Saint Martin, oignons “aostencas”, oignons “miquelets”, choux récemment plantés et choux en pleine production, tandis que, dans une maisonnette construite dans le jardin, les semences sont soigneusement préparées. Les liens étroits crées par tout ce minutieux travail quotidien sont encore renforcés par la fumure, c’est-à-dire, pour la période qui nous intéresse, tous les déchets alimentaires et organiques de la maison, qui vont venir enrichir la terre, lui demander de produire “chaque année et à toutes heures” comme le dit Olivier de Serres.

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Choux

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Oignons

Le jardin apparaît ainsi comme le lieu de fécondité par excellence, où l’homme sollicite chaque jour la Terre de se montrer généreuse nourricière. Et guérisseuse à l’occasion, les plantes médicinales figurent toujours dans le jardin, les plus représentées étant la bourrache et la sauge selon les relevés de Madame Paul-Sehl. Dans cette sollicitation intervient surtout la sollicitude. Les outils de jardinage sont des plus simples, une houe, une bêche, voire un simple bâton. Ils n’introduisent guère de distanciation entre l’homme et la terre. Le jardinage, dit D. Faucher, est sans doute l’image de ce qu’il y a de plus ancien dans l’agriculture. En même temps, il se situe aussi à la pointe du progrès. On peut, au jardin, lancer des expériences qu’on n’ose tenter sur les grandes cultures céréalières où, en cas d’échec, le risque serait trop grand d’affamer la population. Les vergers de la coltura promiscua italienne, les joualles d’Aquitaine, les huertas de la rivière de Valence aussi bien que les jardins flamands ont été les lieux d’élection des avancées de l’agriculture médiévale, reprises ensuite sur de plus vastes espaces, voire, comme en Flandre, sur toute une région.

Influence Chrétienne : VERGERS ET JARDINS DANS L’UNIVERS MÉDIÉVAL Bourrache
La bourrache - plante médicinale des jardins du moyen-âge

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La sauge - plante médicinale des jardins du moyen-âge

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Jardin de style flammand

Dans cette intimité de l’homme avec la terre de son jardin, il ne faut pas oublier l’élément essentiel que représente l’eau. Qui dit jardin dit source, fontaine, puits. Non seulement dans l’imagination des auteurs de textes littéraires, avec les “conduits” de la première partie du Roman de la Rose, le “ruissel” du Parc de Délices de la deuxième partie, mais dans la réalité vécue que nous révèlent les documents d’archives. Même la où le climat ne nécessite pas l’irrigation, il faut de l’eau pour l’arrosage des semis, pour éviter la dessication au soir des chaudes journées d’été. Une fontaine sous un pin entourée “d’erbe menue”, une fontaine “bele et gente” entourée “d’erbe drue”, telle est l’épure que tracent du jardin un Guillaume de Lorris dans le Roman de la Rose, un Guillaume de Machaut dans le Dit du Lyon.Le jardin est donc bien cet espace séparé où s’accomplit en quelque sorte l’union féconde de l’homme, de la sueur de son front, des déchets de son organisme, et de ces éléments fondamentaux que sont la terre et l’eau.

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Mais l’intimité ne se limite pas à ce seul aspect de fécondité nourricière. Commentant la Genèse, Saint Augustin s’exclame : «Est-il spectacle plus grand, plus admirable, en est-il où la raison de l’homme puisse mieux s’entretenir en quelque sorte avec la nature des choses que celui où, après avoir jeté ses semences en terre, planté des rejetons, transplanté des arbustes, placé des greffes, il cherche à surprendre si je puis dire le sujet de chaque espèce de racines ou de graines ?» (Saint AUGUSTIN, De Genesi ad literam, VIII, ---- 5 ème siècle)

C’est assez dire que le jardin est lieu de réflexion, de contemplation, où l’homme se retrouve avec lui-même ou avec d’autres pour une relation d’intimité. Qui dit jardin dit aussi maison, on l’a vu. Les rapports entre maison et jardin ne se limitent pas à la consommation des légumes et des fruits. La Geste des évêques du Mans nous parle de Guillaume de Passavant (mort en 1187) : “Plantari fecerat viridarius, in quo erant species arborum diverse per insertionem fructus alienos, pariter visu pulcherrimae, ut homines ad fenestras dependentes, et alii in viridario existentes, mutuo aspectu delectarentur, illi de aula in pulchritudine arborum, alii de viridario in aspectu pulchri-tudinis fenestrarum” Nombreux sont les textes littéraires présentant des personnages “acostés as fenestres vers un vergier” ou les miniatures qui peignent un jardin aperçu par une fenêtre. Si le plaisir peut être de regarder pousser des légumes, il est surtout celui de contempler arbres et fleurs. Pas de jardin sans fleur, même le plus utilitaire des potagers. Un document sur les jardins du duc de Bourgogne à Rouvres mentionne “les choux rouges en un quartier de jardin...près du quartier où est le lis.” Les inventaires aixois parlent de rosiers plantés au pied des vignes. Et n’est-ce pas encore ainsi que se présentent les jardins autour des fermes de nos campagnes où est toujours réservée une petite planche pour les fleurs ?

Certes, ces fleurs sont très variées, violette, giroflée, glaïeul, pivoine, marguerite, oeillet, mais la prédilection va aux roses. Non seulement dans les jardins rêvés par les poètes, on songe ici aux “rosiers chargiés de roses” du Roman de la Rose, mais dans ceux qui sont réellement plantés, tels les 400 rosiers du jardin de L’hôpital Saint Jean en l’Estrée près d’Arras en 1324. Rosiers rouges, rosiers blancs, ce sont semble-t-il les deux couleurs les plus fréquentes, les plus goûtées, sans doute les plus suggestives si l’on pense aux célèbres gouttes de sang sur la neige du Perceval de Chrétien de Troyes. Dans cette harmonie de couleurs, il faut ajouter au rouge et au blanc des fleurs le vert de l’herbe, très présente aussi dans les jardins et, là encore, non seulement dans l’imagination de Froissart chantant dans la Cour de May une sente “toute affublée d’erbe drue et de fleurs comblée...l’erbette...parée de mainte fleurette”, mais dans les soucis d’un Jehan Lestrains à Aire sur la Lys en 1328, qui se préoccupe de faire “rewasonner de nouveaux wasons... les praiaux.”

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Violette

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Giroflée

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Glaïeul

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Pivoine

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Marguerite

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Oeillet

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Roses rouges

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Roses blanches

Cette contemplation des beautés du jardin peut être solitaire, au travers de barreaux de fer, comme celle de Lancelot, dont le coeur est réjoui de voir, au début mai, les arbres couverts de feuilles et de fleurs, la rose fraîche et vermeille et qui ne se lasse pas, assis à la fenêtre, au premier chant des oiseaux, d’admirer la verdure jusqu’à ce que le soleil répande sa lumière à travers tout le jardin. Mais le plus souvent la belle saison permet enfin de sortir de salles et chambres mal aérées, éclairées par de trop rares et minces ouvertures, pour descendre en son jardin : “Mignonne, allons voir si la rose...” Le juge-mage aixois Jourdain Brice se fait réserver libre accés par son jardinier “pro se spaciendo.

On se promène dans le jardin, on y vit. Miniatures, textes littéraires et documents d’archives révèlent tout un mobilier de jardin, petites balustrades isolant un espace encore plus intime à l’intérieur du clos du jardin, tonnelle ou treille abritant une petite sente, sièges de brique ou de pierre recouverts de gazon, ornés de plantes, coussins, tables, et même, pour les plus riches, tapis d’Orient, tel celui du jardin du Roi mentionné par Joinville et qui donne vraisemblance au tapis “d’oeuvre sauvage” dont parle le Dit du Lyon de Guillaume de Machaut. Les tapis sont d’ailleurs eux-mêmes figure et symbole du jardin avec leurs fleurs, leurs feuillages, leurs animaux, leur organisation de l’espace.

Le jardin est donc le lieu privilégié où l’homme se retrouvera dans une solitude protégée pour réfléchir, rêver, le célèbre Songe du Vergier n’utilise-t-il pas comme mise en scène le rêveur endormi dans son jardin ? Mais ils est plus souvent encore lieu de la rencontre courtoise chantée à l’envi par poètes et romanciers à travers toute la période médiévale. Des voix plus autorisées que la mienne évoqueront tous ces textes. Dans la littérature de voyage qui m’est plus familière, j’ai eu l’occasion déjà de signaler l’intérêt porté par les voyageurs aux jardins. Il y a certes pour eux le plaisir de trouver un lieu frais et ombragé après les fatigues du cheminement dans un paysage plus ou moins aride.

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Le Songe du Vergier - année 1376

C’est ainsi qu’Ogier d’Anglure admire le jardin du couvent de Saint Antoine au désert d’Egypte : “C’est grant noblesse de veoir le beau lieu et noble qui y peult estre et le beau jardin et la belle et bonne fonteine qui est dedans...quant au jardin c’est belle chose à veoir icelui . Et avec tout ce, tout y est tres bien ordoné et labouré et verdoiant d’arbres et d’erbes qui moult rejouissent quant on les veoit en si desert lieu.Mais il y a plus je pense. Le jardin est en quelque sorte le lieu de retrouvailles avec un univers familier où les Occidentaux et Orientaux se retrouvent dans une même relation avec la terre, l’eau, les arbres et les fleurs. Une très belle exposition récente du Musée du Louvre, Arabesques et jardins de Paradis, montrait bien ce jardin oriental comme cadre de vie où se déroulent certes de somptueuses réceptions, comme celle des ambassadeurs byzantins à Bagdad en 917 dans des pavillons disséminés dans les jardins du palais, mais où ont lieu surtout les rencontres amoureuses, où les amants viennent rêver sous les arbres, dire leurs chagrins, leurs espoirs.

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Monastère de Saint Antoine en Égypte - Fondé par les disciples de saint Antoine le Grand au 4e siècle - peut-être en l`an 356 juste après la mort du saint.

Le célèbre roman de Layla et Majnoun exprime cette complicité du jardin et des amoureux. “Peut-être Zéphyr, dans Un souffle à travers le jardin planté de roses, apportera-t-il un message de l’aimé ? Dans chaque branche, les tourterelles à collier roucoulent leur chant d’amour, sur la plus haute branche, le rossignol perché soupire comme Majnoun, tandis que la rose soulève la tête hors de son calice vers l’oiseau comme Layla.  En entendant chanter le rossignol et l’alouette dans les jardins de Damas, alors qu’on est déjà à la Saint Martin, le pélerin Thietmar se retrouve en quelque sorte chez lui, bercé ici comme là-bas à l’ombre des arbres par le murmure de l’eau courante et le chant des oiseaux éveille en lui les mêmes images que pour ses compagnons d’un jour venus goûter la même fraîcheur.

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Jardin du Monastère de Saint-Antoine en Égypte

Ce qui caractérise aussi ces jardins d’Orient, c’est l’extrême science avec laquelle ils sont agencés autour de la fontaine ou du puits qui distribue l’eau vivifiante. On touche ici à une autre dimension du jardin, organisant un espace à l’image des forces cosmiques agissant dans l’univers comme le suggère R. Guénou. Cette même organisation se retrouve en Occident dans les jardins claustraux. Si chaque monastère à son potager, son enclos médicinal, il a, au coeur du cloître, cet espace carré, lui aussi centré sur la fontaine, lieu pour ceux qui le longent dans une lente méditation de la rencontre avec Dieu, tout comme pour les mystiques d’Orient que les miniatures nous montrent réunis dans un jardin. Fréquemment est repris en Orient le thème du rossignol amoureux de la rose comme symbole de l’âme du mystique qui brûle de s’unir à Dieu.

En occident aussi, le jardin apparaît comme lieu d’intimité avec Dieu. Il ne manque pas de jardin dans la Bible sur lesquels appuyer cette vision. Le premier jardin est planté par Dieu lui-même qui y a fait pousser “toute espèce d’arbres séduisants à voir et bons à manger. Dans ce jardin, Dieu et l’homme vivent en familiarité quotidienne, c’est en se promenant à la brise du soir que Dieu appelle Adam : “Où es-tu ? Il y a encore le jardin du Cantique des Cantiques, à la fois image de la bien-aimée, “jardin bien clos, source scellée” et lieu de la rencontre : “Mon bien-aimé est descendu à son jardin aux parterres embaumés. Il y a enfin ce jardin où Marie-Madeleine rencontre au matin de Pâques le jardinier qu’elle reconnaît en s’entendant appeler “Marie.

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Il y a enfin ce jardin où Marie-Madeleine rencontre au matin de Pâques Notre Seigneur Jésus-Christ qu’elle reconnaît en s’entendant appeler “Marie. (Marc 20,15)


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Les  pommes et le verger au Moyen-Âge

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Le verger et les pommes

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Les raisins et les vendanges au Moyen-Âge

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Vignes


Il n’a donc pas manqué de mystiques pour voir dans le jardin l’image du Paradis perdu vers lequel on ne cesse de tendre, ou encore celle du plaisir que Dieu prend en l’homme et l’homme en Dieu. Puisque nous commémorons cette année le 9e centenaire de la naissance de Bernard de Clairvaux, ouvrons les pages où il chante toutes ces harmoniques du jardin. Le Sermon De conversione ad clericos ouvre à tous l’entrée dans la volupté intérieure : «Ne pensez pas que le Paradis de la volupté intérieure soit un lieu corporel. L’âme ne pénètre pas dans ce jardin avec les pieds du corps, mais avec ses affections. Ce n’est pas une multitude d’arbres terrestres qui lui est présentée, mais une plantation agréable de vertus spirituelles. Le jardin est clos, à l’intérieur se trouve une source profonde qui se divise en quatre ruisseaux, de même que du seul tronc de la sagesse sortent quatre vertus. Là aussi, des lis splendides sont en fleurs et lorsque les fleurs apparaissent la voix de la tourterelle se fait entendre. Ici le nard de l’épouse exhale son odeur très parfumée et d’autres aromates aussi se répandent. Le vent du sud souffle, l’aquilon ne se fait plus sentir. Au milieu de ce jardin, se trouve l’arbre de vie, ce pommier du Cantique, plus précieux que tous les arbres de la forêt, dont l’ombre rafraîchit l’épouse et dont les fruits sont agréables à son palais.»

Mais c’est bien sûr entre tous la Vierge Marie qui est le jardin de délices de la rencontre divine : «Elle est ce jardin de délices que le souffle divin n’a pas seulement effleuré ; il a fondu sur lui et l’a parcouru, afin que jaillissent de toutes parts ses parfums, c’est-à-dire tous les dons de la grâce.  Elle est aussi toutes les fleurs de ce jardin, tous ses parfums : “O Vierge, noble rameau, tige de Jessé, par laquelle a été guéri sur les branches ce qui avait péri par la racine. La racine de l’amertume, c’est Eve, la racine de la douceur éternelle, c’est Marie...Béni soit le fruit de tes entrailles, le fruit de la vie, bien plus, la vie de la vie, toutes les délices du Paradis, l’essence répandant son parfum d’une infime douceur. Le parfum de ce fruit attire l’homme de la terre à la patrie...Tu es belle et douce et pleine de délices sainte Mère de Dieu, car en toi se trouve tout parfum des odeurs du jardin, le trésor des délices spirituelles dans la chambre et des senteurs dans le jardin...Que dire de toi, ô Mère célèbre entre toutes les femmes ? Si nous te disons soleil, tu es plus éclatante, si nous te disons rose, tu es plus florissante, si nous te disons baume et cinnamone odorants, tu les surpases en parfums, car les grâce dont tu as été comblée font l’admiration non seulement des hommes mais des anges.»

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Et c’est finalement toute l’histoire du salut, de l’intimité perdue et retrouvé, que Saint Bernard voit contenue dans le symbole du jardin : «Et d’abord pour l’histoire, je pense qu’elle est assez bien désignée par le jardin, parce qu’on rencontre des hommes vertueux qui sont comme des arbres fruitiers dans le jardin de l’époux et dans le paradis de Dieu... L’histoire est donc comme un jardin qui comprend trois parties. Car elle comporte la création, la réconciliation et la réparation. La création est comme les semailles et la plantation du jardin. La réconciliation est comme la germination des terres ensemencées et plantées, car en temps opportun les cieux ont fait tomber la rosée, les nuages ont arrosé le juste, la terre s’est ouverte et a fait germer le Sauveur... Quant à la réparation, elle arrivera à la fin des siècles. Car il y aura un ciel nouveau et une terre nouvelle et les bons seront recueillis au milieu des méchants comme les fruits d’un jardin pour être placés dans les greniers de Dieu.»

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Le Jugement Dernier - «Car il y aura un ciel nouveau et une terre nouvelle et les bons seront recueillis au milieu des méchants comme les fruits d’un jardin pour être placés dans les greniers de Dieu.»

Quelle belle image à proposer aux historiens que cette histoire enclose dans un jardin ? Le jardin, signe de la présence des hommes dans le paysage, ne doit-il pas, à la réflexion, nous apparaître inséparable de l’homme dans son devenir historique collectif comme aussi dans chacune des existences individuelles ? Pouvons-nous vivre sans un jardin, qu’il soit potager auprès de la ferme, jardinet urbain ou banlieusard objet de soins minutieux, ou simple pot de géranium posé sur une fenêtre?

MichelT

Date d'inscription : 06/02/2010

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Message par MichelT Ven 11 Fév 2022 - 13:42

3 -Le Jardin mystique (extraits)

Jean Arrouye

L’abbaye de Sénanque est l’une de ces trois “soeurs provençales”, avec Le Thoronet et Sylvacane, que l’on cite souvent en exemple de la façon dont l’austérité cistercienne ( ordre monastique de Cîteaux fondé en 1098 en France) suscita une architecture dépouillée d’ornementation, mais aux volumes et aux proportions d’une harmonie exceptionnelle.

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Jardin de l`abbaye

Note: En 1098, Robert, abbé de Molesme, et vingt religieux se retirèrent à Cîteaux, pour y observer plus exactement la règle de Saint-Benoît. Bientôt, grâce aux libéralités du vicomte de Beaune, un monastère y fut élevé : c'est là qu'en 1113 vint Saint Bernard, qui donna une nouvelle illustration à l'ordre et lui laissa son nom. Le nombre des Cisterciens s'accrut prodigieusement en peu de temps, ce qui donna lieu à fonder les quatre abbayes de La Ferté, de Pontigny, de Clairvaux (dont Saint Bernard fut le premier abbé), et de Morimond, qui furent appelées les quatre premières filles de Cîteaux. De ces quatre premières filles sortit dans la suite un très grand nombre  de monastères répandus dans toute l'Europe. Fin de la note.

Le centre symbolique du monastère, et le centre des activités qui sont sa raison d’être, est le cloître. “C’était, écrit Christopher Brooke, un lieu de travail, mais aussi le centre de bien des cérémonies. Les jours de grande fête la communauté faisait procession autour du cloître. Chaque jour les moines allaient en procession de l’église au chapitre, le centre de leur vie. Dans le chapitre ils écoutaient chaque jour un chapitre de la règle ; ils examinaient solennellement leurs fautes et celles de leurs frères ; ils réglaient les affaires importantes ; en certaines occasions ils disputaient ou écoutaient un sermon de leur abbé ou d’un moine âgé sur la vie spirituelle. A l’heure des repas ils se réunissaient au lavabo, souvent une construction richement ornée, pour la cérémonie de lavement des mains. On lisait aussi dans le cloître, on y méditait, on s’y reposait. Mais le cloître, lieu de vie communautaire, est également lieu de vie mystique, parce que, dit Guillaume Durand, il représente la contemplation dans laquelle l’âme se replie sur elle-même, et où elle se cache après s’être séparée de la foule des pensées charnelles et où elle médite les seuls biens célestes.

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Figures du paradis perdu et regagné, le monastère et le cloître sont également préfigures du paradis céleste, car, comme l’a écrit Denys l’Aréopagite, le carré “pris d’une manière allégorique exprime clairement l’immutabilité du ciel empyrée. Honorius d’Autun affirme que «le monastère est une image du Paradis, d’un paradis plus sûr que le paradis terrestre». Lieu retiré, il est image du paradis et les moines y vivent séparés des laïcs comme au paradis les justes le sont des pécheurs. Guillaume Durand, évêque de Mende, renchérit : «le cloître est le symbole du Paradis où tous les élus vivront avec un seul coeur, animé de l’Amour de Dieu, où tous les biens seront communs à tous, où l’amour de Dieu et du prochain fera trouver en chacun ce qui lui manque dans les autres.» Cette image du Paradis est illustrée par ceux qui vivent dans le cloître, qui, comme le souligne Paul Meyvaert, pouvaient trouver dans le vert de la pelouse centrale une préfigure de l’amoenitas de la vie future. Le parallèle du cloître et du paradis est au demeurant comparaison banale au moyen-âge, que bien d’autres, comme par exemple Sicard de Crémone ou Hugues de Fouilloy, développent volontiers, de sorte que, aussi bien rétrospectivement que prospectivement, le cloître est ce «ciel dans la terre», dont parle Pierre-Jean Jouve, et qu’il ne faut plus s’étonner qu’en ce paradis harmonieux pousse une végétation harmonique.

Dans le cloître de Senanque, dans le mur du réfectoire, est une niche qui contenait une statue de la Vierge ; le décor végétal des chapitaux est donc l’équivalent de ce que seront les haies fleuries qui entourent la Vierge dans la peinture du xve siècle, et le cloître est aussi le vert paradis de l’amour marial.

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Les plantes ont pour elles d’être, comme dit Francis Ponge, “dressées merveilleusement debout, dans un élan vertical”. “A l’appel du soleil, elles jaillissent du sol comme une averse inverse en réponse anonyme, unanime à la pluie”. Par son “coté perpétuellement renaissant”, “l’herbe exprime donc la résurrection universelle sous la forme la plus élémentaire. Les vertus tropologiques des végétaux sont multiples : élan vers la lumière, désir d’élévation, volonté de salut, persévérance et espérance, promesse de fructification, attente de la résurrection ... ; de plus, par leur présence multiple et analogue, elles évoquent l’harmonie, la soumission à la vie commune, l’humilité, ... qualités nécessaires de la vie des moines. Dans ses sermons Saint Bernard ne cesse de leur recommander ces vertus mêmes que les plantes exemplifient dans ce cloître, qu’il faut donc ranger au nombre des “jardins transparents du symbole.

Chaque côté du cloître, vu du jardin intérieur, est composé de quatre grands arcs posés sur trois piles rectangulaires et appuyés sur des piles d’angle carrées. L’intérieur de chaque grand arc est subdivisé en trois petites arcades assises sur quatre colonnettes, jumelées deux à deux, reposant sur un bahut. Le cloître n’est pas carré, de sorte que sur deux côtés les grands arcs sont en plein cintre tandis que sur les deux autres, plus longs - celui du chapitre et celui des convers -, ils sont surbaissés. La même raison fait que l’écartement des colonnes varie et que les arcades n’ont pas toute la même largeur. Cependant ces écarts ne sont pas suffisants pour nuire à l’harmonie de l’ensemble et restent d’ordinaire inaperçus, sans doute parce que le module de référence - celui des petits côtés - est d’une extrême rigueur géométrique. Le cercle induit par la courbe du grand arc est tangent au stylobate. La structure de la baie est donc d’un cercle inscrit dans un carré.

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Le dessin des galeries autour du jardin mystique associe donc les nombres 4 et 3 qui sont, dit le R.P. Martin, “les clés de la construction matérielle et des relations avec Dieu. Les moines ont bâti leur église aussi sur ces deux nombres. C’est le lieu de contact de la créature – Le 4 est le nombre des éléments, dont elle est composée et du Créateur – Le 3 est le chiffre de la Trinité. Dans sa prière le moine est mandaté de toute la création en face du Créateur pour l’aimer au nom de toutes les créatures. Le Sept, somme de ces deux nombres, est le chiffre de l’harmonie, le nombre des tons musicaux, des planètes, des dons de l’esprit, etc.

Dans le cloître l’union du trois et du quatre n’est pas additive mais multiplicative. Chaque galerie, composée de quatre baies de trois arcades, est donc scandée de douze ouvertures. Raban Maur, commentant la structure d’un cloître semblablement bâti, dit que cette disposition vise à rappeler la trinité, les évangélistes et les apôtres, mais aussi les vertus théologales, les vertus cardinales et les douze tribus d’Israël, ou encore la pensée, la parole et l’action, puis les quatre saisons et les douze mois pendant lesquels les exercer, etc., tant “le symbole, ce fruit aux multiples saveurs, ce voile qui attend d’être soulevé”, comme dit Georges Duby, est ductile. Son rôle, ajoute ce dernier, est de donner un corps visible à l’idée et à l’idéal, de rendre manifeste le pressentiment des réalités surnaturelle : “Attisant les concupiscences de l’âme, il favorise ses bondissements, la projette intuitivement, d’un seul élan, plus avant vers l’inconnaissable.

Dans un de ses sermons Saint Bernard dit de la vie monastique que son parfait renoncement au monde et l’excellence singulière de sa vie spirituelle la distinguent de toute autre manière de vivre et rendent ceux qui la professent plus semblables à des anges qu’à des hommes. Pour atteindre cet état angélique les moines cisterciens s’astreignaient à de nombreux exercices, dont le plus constamment repris et cultivé était le chant, véritable labeur, comme le souligne Georges Duby, car il requérait un effort de tout le corps participant au mouvement de la musique et de proférer à pleine voix les mots prononcés à l’unisson, ceux des Psaumes de David qui s’inscrivaient en effet sur une ligne mélodique, parcourant les sept tons de la musique. Ce support musical était la pour accorder aux harmonies cosmiques, c’est-à-dire à la raison de Dieu, les paroles des hommes, les confondre avec les paroles des anges, dont le choeur remplit la cité céleste. L’architecture, associant les pierres mélodieusement et réglant comme la musique l’agencement de ses parties sur la loi des nombres par des rapports et des intervalles proportionnés peut également être un moyen d’accéder à la révélation de la perfection divine. C’est parce que le cloître est aussi harmonieusement et précisément agencé que la cité que l’ange mesurait avec un roseau d’or, que la méditation en son jardin mystique peut y être occasion de la rencontre du Grand Jardinier (Dieu).

MichelT

Date d'inscription : 06/02/2010

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