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La « drôle » de campagne des législatives

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Message par Lumen Mar 25 Juin 2024 - 17:37

La « drôle » de campagne des législatives

À la veille du premier tour, l’avenir politique semble toujours aussi incertain.
Coup de sonde sur un marché, à Saint-Lô (Manche), avec le député sortant face aux
contradictions du moment.


La « drôle » de campagne des législatives Philippe_gosselin_2
Le député sortant Philippe Gosselin tractait le 21 juin sur le marché de Saint-Lô, dans la Manche. « Beaucoup de gens sont persuadés que Paris ne les entend plus, confie le candidat des Républicains. Je les comprends. » - ELODIE TUFFIER- STUDIO LE 81 pour FC


Vendredi matin à Saint-Lô, terrasse du Briovère, à 9 h 25. Plusieurs militants de l’équipe de Philippe Gosselin, le député sortant de la première circonscription de la Manche, membre des Républicains (LR), se rassemblent pour tracter. Ce dernier se veut « fidèle à sa famille politique », mais en rupture avec la ligne d’Éric Ciotti. Soleil radieux, promesse de victoire ? On attend le « patron » pour le café. L’ardoise propose déjà des moules de Gouville-sur-Mer pour le déjeuner. Le candidat surgit tout sourire, veste bleue et pantalon beige. « Monsieur Gosselin bat la campagne en ville ! », s’exclame un soutien.

Candidat pour la cinquième fois dans cette circonscription, Philippe Gosselin salue tous les clients sans distinction. Élu pour la première fois en 2007, il a gagné, depuis, toutes les batailles législatives auprès des « Manchots ». Mais ce matin, il ne fait pas le fier : « Jamais je n’ai ressenti une telle gravité dans une élection… » Pour autant, l’ambiance est bon enfant. « Vous connaissez mes valeurs », glisse le parlementaire à un électeur tenté par le vote Rassemblement national (RN). « À 18 ans, je n’étais pas du genre à fumer mon “chichon” [diminutif argotique du haschich, Ndlr]. » Sera-t-il facile de battre Franck Simon, le candidat du RN ? Celui de la majorité présidentielle, Michaël Masson, pourra-t-il se hisser au second tour ? Et une triangulaire est-elle probable ? « L’hypothèse n’est pas invraisemblable ! », confie Philippe Gosselin.



La « drôle » de campagne des législatives Philippe_gosselin
Philippe Gosselin discute avec Michaël Masson, le candidat de la majorité présidentielle.
/ ELODIE TUFFIER - STUDIO LE 81 pour FC


« Je ne suis pas abattu ! »

Un passant lui lance amicalement : « Courage ! » Il répond du tac au tac : « Je ne suis pas abattu ! Haut les cœurs ! », avant d’engager la conversation avec le responsable local de la Ligue des droits de l’homme. Peu de chance que ce dernier glisse un bulletin en sa faveur dans l’urne : « C’est un homme de gauche, évidemment, précise Philippe Gosselin, mais on travaille ensemble. En province, on se respecte. Quand je croise un autre candidat aux législatives, je ne change pas de trottoir ! » Sitôt dit, sitôt fait. Le candidat de la majorité présidentielle, Michaël Masson, vient de s’asseoir, lui aussi, à la terrasse du Briovère avec un paquet de tracts. À 56 ans, ce père de trois enfants, professeur des écoles, se présente pour la première fois sous l’étiquette MoDem. « Bonjour Philippe !, lance son concurrent. Si tu veux distribuer des tracts, je peux te donner les miens…

À Saint-Lô, on est à des années-lumière des chaînes d’info en continu où les anathèmes pleuvent comme la grêle. Novice mais philosophe, Michaël Masson n’a pas voulu faire figurer la photo du président de la République sur sa profession de foi. « Je préfère François Bayrou ! » Le candidat de la majorité poursuit : « Ce qui m’ennuie dans cette campagne, c’est son caractère étriqué. Les gens sont formatés. Moi, je veux porter une vision. » Reste que l’horizon politique est bouché depuis le tremblement de terre de la dissolution de l’Assemblée nationale. Qui peut s’y reconnaître après un tel chamboule-tout ? Saint-Lô en a vu d’autres, après tout. L’invasion des Vikings qui ont rasé la cité en 889. On pense également à la libération de la ville en juillet 1944, au prix d’une destruction quasi totale. Celle-ci inspira l’écrivain Samuel Beckett, qui rédigea un poème intitulé The Capital of the Ruins en hommage à Saint-Lô. Aujourd’hui encore les murs de l’église Notre-Dame portent la trace des impacts d’obus. Philippe Gosselin se lève pour déambuler sur le marché voisin. Direction la place du Champ-de-Mars. Il passe devant une grosse agence immobilière. Pas le temps de regarder les dernières annonces : « À vendre ancien presbytère, 10 minutes de la mer : 192 000 euros. » L’heure n’est pas aux états d’âme pour le candidat LR, même si son espace politique s’est rétréci – grignoté à droite et à gauche par des partis qui ont le verbe plus haut que lui. Cette terre est-elle toujours « violemment modérée », comme l’écrivait, au XIXe siècle, le philosophe Alexis de Tocqueville, qui fut aussi député de la Manche ? Rien n’est moins sûr.



« On ne va pas payer tous ces fainéants ! »

Philippe Gosselin, qui avait été de tous les combats lors des débats autour des lois sociétales, avance comme un escargot sur le trottoir tant il croise de monde. « Bonne chance, Philippe ! », lui lance Pierre, son ancien dentiste, qui s’interroge sur les déboires de LR. « Je suis moi aussi en colère contre Ciotti, glisse-t-il. Il n’a consulté personne, pas même la base, avant de s’allier avec le RN ! » Le dentiste se défoule contre le programme du Nouveau Front populaire (NFP) : « C’est dingue, ces gens qui promettent de raser gratis. Plus de 200 milliards de dépenses : on ne va pas payer tous ces fainéants ! » Sur le marché, le poissonnier fait des promos : « Araignée de mer : 4,80 euros le kilo », « Bulots vivants : 4,95 euros le kilo. » « Oh, des bulots de Granville ! C’est tellement bon avec de la mayonnaise ! », commente le député sortant avec appétit. Mais c’est moins facile de donner envie de voter LR : « C’est fini pour vous, monsieur Gosselin ! » Un couple de retraités lui explique qu’il est temps maintenant « d’essayer » le RN. « Au Rassemblement national, répond le candidat, ils disent des choses vraies. Je suis d’accord sur certains sujets, comme l’aide médicale d’État ou la voiture électrique. Vous voyez, on peut partir du même constat. » Il est en effet bien placé pour savoir que les Manchots, en dehors des villes, votent massivement RN : « Beaucoup de gens sont persuadés que Paris ne les entend plus. Je les comprends. Un exemple symbolique pour moi : la fermeture annoncée de plusieurs écoles rurales à la prochaine rentrée. Les jeunes parents ont la trouille au ventre pour l’avenir de leurs enfants. »


« L'isoloir n'est pas une cabine d'essayage ! »

Il est 11 heures. Le tractage continue. « Je vous donne mon programme ? – Non merci, on vote Nouveau Front populaire ! » Le couple a tourné les talons, refusant la discussion. « C’est dur… », lance un militant LR à Philippe Gosselin. « Oui, c’est dur, répond le député. Mais notre pays a tellement de ressources… Il faut arrêter de tout noircir ! » Sur le marché normand, les artisans ne sont pas rassurés pour autant. Alexis, 32 ans et barbe rousse, tient le stand de la ferme de la Hermanière. Il désigne avec fierté le crottin de Moyon sur son étal. La politique ? Ce jeune agriculteur originaire de Carantilly, à une quinzaine de kilomètres, se désole de toutes les « promesses non tenues » du gouvernement. « Ils ont tous des casseroles au cul ! Je ne regarde plus la télé… Mais je vais quand même exercer mon droit de vote. » Mais pour qui voter ? Un homme en sandales s’approche de Philippe Gosselin : « J’comprends pas ceux qui veulent “essayer” le RN. L’isoloir n’est pas une cabine d’essayage ! » Le candidat LR échange ensuite avec un retraité dont la femme est malvoyante : « Je suis de gauche… mais j’avoue que je vais peut-être voter pour vous au second tour pour faire barrage. » Midi sonne à l’église Sainte-Croix. « Que va-t-il se passer demain à l’Assemblée ?, s’interroge le candidat LR. Si le RN obtient 200 députés et le NFP 150, la France sera ingouvernable ! Le pire serait de lancer la France dans cette aventure ! »



Samuel Pruvot
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