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Cloches et Lilas - Courtes histoires catholiques du livre La Bonne Souffrance par François Coppé

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Cloches et Lilas - Courtes histoires catholiques du livre La Bonne Souffrance par François Coppé   Empty Cloches et Lilas - Courtes histoires catholiques du livre La Bonne Souffrance par François Coppé

Message par MichelT Mar 24 Sep 2019 - 2:19

Cloches et Lilas

Une courte histoire tirée du Livre : La Bonne Souffrance – par François Coppé  - DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE - 19 eme siècle


Cloches et Lilas - Courtes histoires catholiques du livre La Bonne Souffrance par François Coppé   PC120057


Cloches de Pâques! Cloches de Pâques! Que vous sonnez mélancoliquement dans le ciel d’avril! Lilas étiolés des faubourgs, pourquoi répandre, sur le passant
solitaire, tant de regret et de nostalgie? Il compte alors les années, les nombreuses années, où il vous entendit, cloches de Pâques, par un jour pareil à celui-ci,
aigre et clair, par ce même azur éblouissant, sur lequel ne glisse pas encore une seule hirondelle. Il compte les années, les nombreuses années, où il vous respira,
maigres lilas de Paris, en passant devant les grilles des jardins ou en longeant les murs, dont vos grappes fleuries dépassent le faite.


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Et cette lourde pensée lui tombe sur le coeur : « Encore un printemps de vécu! » Il se souvient de sa jeunesse, quand vous lui versiez la joie, cloches et lilas, et quand, à vous entendre et à vous respirer, il était inondé soudain d’une vague, mais délicieuse espérance. Sa jeunesse! Que c’est loin et que ce fut court! Elle a duré, pour lui, tant qu’il s’est réveillé, chaque matin, en se disant : « Que va-t-il m’arriver d’heureux, aujourd’hui? » Car c’est bien cela, la jeunesse : l’attente du bonheur, — et du bonheur absolu, complet, absurde. « Demain, je rencontrerai la femme dont le sourire m’ouvrira un éternel paradis... Demain, éclatera la guerre où je deviendrai le héros équestre et victorieux à qui des suppliants apporteront les clefs de la ville... Demain, j’imaginerai le plan et j’écrirai les premiers vers du drame ou du poème qui me doit rendre immortel. »

Amour, gloire, génie! Celui qui ne vous a pas rêvés, que dis—je? ardemment et follement espérés, peut—il prétendre qu’il a été jeune? Le passant déjà vieux, que berce la voix des cloches et que caresse la fugitive odeur des lilas, se rappelle sa brève jeunesse. Elle a fini, voilà bien longtemps, le jour où il a reconnu la médiocrité de la vie, où il s’est aperçu que, seul, le désir est bon, que toute jouissance est suivie d’amertume et de dégoût, que le but recule sans cesse devant l’effort. Elle a fini, quand il s’est éveillé, un triste marin, sans plus rien attendre de sublime et d’extraordinaire, quand, relisant la page, écrite par lui la veille, il l’a trouvée froide et par trop inférieure à son rêve, quand il a vu se tordre, dans le coin de tant de sourires, le petit lézard dont parle Henri Heine, l’inquiétant reptile de l’ironie et de la trahison. Cependant, la vie lui semblait encore savoureuse, mais comme un fruit échauffé par le soleil de septembre. Elle était perdue, et pour toujours, cette fraîcheur d’âme qui rend les sensations pareilles à des cerises cueillies sur la branche et mangées sous l’arbre, dès le matin, quand elles sont encore embuées de l’haleine des nuits.


Cloches et Lilas - Courtes histoires catholiques du livre La Bonne Souffrance par François Coppé   BlogDSCF4292


Parfois il se révoltait, il s’indignait que la puissance de l’espoir et de l’illusion s’affaiblit si vite; et, comme pour le consoler un moment, à chaque printemps nouveau, un peu de jeunesse lui revenait par accès inattendus, par soudaines bouffées. C’était par des matins comme celui—ci, aux environs de Pâques, alors qu’au jardin, en même temps que les giroflées et les tulipes, s’épanouissaient suavement les lilas, et que, semblables à des monstres captifs dans les campaniles à jour, les lourdes cloches se balançaient et jetaient leurs appels graves au large du ciel. Il reprenait alors courage à la vie; il se remettait à croire un peu à la gloire et au bonheur. « Aime! » lui conseillaient les tendres fleurs; et, l’héroïque airain lui disait : « Travaille!»

Il les évoque, parmi les meilleurs de son passé, ces vifs et frais matins de fêtes. N’étant pas frileux alors, il ne lui déplaisait point que le vent du nord—est, le vent du temps clair, lui fouettât le visage et tourmentât ses habits. C’était surtout sur le large boulevard, devant l’église, que ce vent de joie faisait cent malices, paraissant d’abord s’exercer de préférence sur les gens qui allaient à la messe ou qui en revenaient.

Quand arrivait la bande des petites orphelines conduites par des religieuses, il faisait flotter les mantelets noirs et les rubans bleus des bonnets et s’amusait à transformer les cornettes des sœurs en grands papillons blancs. Sur la tête des élégantes paroissiennes, il secouait rudement les plumes et les fleurs. Puis il entortillait les maigres jambes d’un vieux prêtre dans les plis de sa soutane et forçait le pauvre homme à maintenir de la main son vieux chapeau.

Mais voilà tout à coup que ce farceur de vent s’apercevait que, dans la maison en face, une persienne était mal attachée. Vite, il y courait, et la faisait claquer contre la muraille. Ensuite, c’étaient les casques d’une paire de dragons en promenade qui l’attiraient, et il se mettait à éparpiller les crinières noires et à les jeter dans les yeux des deux soldats. Enfin, remarquant, dans la foule, sur la tête d’un bourgeois à bedaine, le premier chapeau de paille de la saison, v’lan! Il découvrait brusquement la calvitie du gros papa et l’obligeait à courir, soufflant comme un phoque et aveuglé par la poussière, après sa coiffure qui roulait devant lui comme un cerceau.

Et, dans ces matins de Pâques de jadis, il n’y avait pas que le vent qui fût de si bonne humeur. Tout respirait l’allégresse. Le ciel était pur et les femmes avaient comme du bonheur dans le regard; c’était le même bleu au firmament et dans les yeux des blondes. Et la verdure! Oh! La fraîche, la tendre, la légère, la délicieuse verdure! Sur le squelette des arbres tardifs, elle commençait à paraître à peine, indécise, flottante, ainsi qu’une vague fumée. Sur d’autres, elle pointait déjà hors des bourgeons, en petites feuilles claires, — si jeunes! — avec quelque chose d’étonné et de ravi comme la physionomie des enfants.


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Mais, surtout, il y avait les lilas! Le lilas, l’arbuste qui, dans ce moment de l’année, n’a, pour ainsi dire, pas de feuillage, mais qui éclate en gerbe, en feu d’artifice de fleurs. Des lilas, il y en avait partout. Dans des vases, au bord des fenêtres; en bottes, à l’étalage de la fruitière ou dans la petite charrette de la marchande, le long du trottoir. Les femmes qui passaient en tenaient un gros bouquet avec leurs deux mains; et quelques chevaux de fiacre en avaient aussi une petite branche, piquée près de l’oreille. Quand on s’enfonçait un peu dans la banlieue, les grappes de fleurs débordaient et pendaient sur toutes les clôtures. Oh! ce lilas, qui fleurit le premier et dure quinze jours à peine, voilà bien la fleur et l’emblème du Parisien, de l’habitant fiévreux de la grande ville, si impatient et si avide, poussé par la hâte de posséder et de jouir. Le promeneur solitaire évoque ses printemps passés. Combien tout cela l’enivrait, ce vent taquin, ce jeune azur, ces fleurs précoces, cette verdure nouvelle, et, là-haut, l’harmonieux tumulte des cloches de Pâques sur la foule joyeuse et ensoleillée! Naguère encore, comme tout cela lui donnait un revif de jeunesse!

Hélas! Serait—ce décidément fini? Aujourd’hui, faible et maladif, frissonnant au moindre souffle un peu âpre du nord-est, les lilas ne le grise plus, le concert aérien l’importune. Est-ce bien lui, l’amoureux et le poète — au fond, c’est tout un — lui de qui, jadis, toute fleur avait le baiser, lui chez qui tout rythme éveillait aussitôt mille chansons, est-ce bien lui qui peut rester indifférent à un parfum, à une harmonie? Oh! la cruelle pensée! Est—ce vraiment la fin, et ne connaîtra—t—il plus jamais les enchantements de la nature et de la vie?

En ce moment, à quelques pas devant lui, dans la longue avenue où s’attarde sa flânerie, il aperçoit un jeune homme et une jeune femme, assis sur un banc, dans la tiédeur du soleil que tamise le grêle feuillage. C’est un ménage d’ouvriers, parmi les plus pauvres; car, bien que ce soit jour de grande fête, la femme est en cheveux et en taille — et quelle robe! — et l’homme a gardé son tricot et sa cotte de travail. Sur la petite voiture d’osier, où repose un nouveau-né, tout près d’elle, la femme a placé une gerbe de lilas, et le tout petit, qui vient de s’éveiller, ouvre des yeux devant cette merveille et porte instinctivement, vers les fleurs, ses mains potelées. L’homme, lui, maintient debout, sur une de ses cuisses, son aîné — deux ans tout au plus — et l’enfant, qui écoute sonner les cloches de l’église voisine, est charmé par la belle musique et incline la tête, en mesure, à chaque vibration de l’airain. Alors, les époux regardent tour à tour leurs deux enfants, du regard des pères et des mères, puis tournent la tête l’un vers l’autre, et, sans rien dire, ils se sourient longuement -— oh! du pâle sourire des malheureux — mais d’un sourire où il y a quand même, en ce moment, pour ces deux humbles, un peu de joie et d’amour.


Cloches et Lilas - Courtes histoires catholiques du livre La Bonne Souffrance par François Coppé   Th?id=OIP


Oh! comme il a honte, à présent, le promeneur pensif, de son chagrin égoïste et mauvais de tout à l’heure! Qu’importe qu’il vieillisse et que le renouveau lui verse de moins en moins la force! Épanouissez—vous, lilas d’avril! Sonnez à toutes volées, cloches des alléluia! Fleuris, printemps, richesse des pauvres! Et sois béni par tous les misérables et par cet homme sur le déclin, dont tu viens de réchauffer le cœur en l’attendrissant devant le bonheur d’autrui!

22 avril 1897


Dernière édition par MichelT le Mer 12 Fév 2020 - 19:34, édité 9 fois

MichelT

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Cloches et Lilas - Courtes histoires catholiques du livre La Bonne Souffrance par François Coppé   Empty Re: Cloches et Lilas - Courtes histoires catholiques du livre La Bonne Souffrance par François Coppé

Message par MichelT Mar 24 Sep 2019 - 2:48

Les Cendres - ( Le Mercredi des Cendres - début du Carême)

Une courte histoire tirée du Livre : La Bonne Souffrance – par François Coppé  - DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE - 19 eme siècle

Dans le cimetière d’Elseneur, Hamlet, après avoir rejeté avec un « pouah! » de dégoût le crâne du pauvre Yorick, poursuit le cours de ses funèbres rêveries, et, par l’imagination, il accompagne la poussière d’Alexandre le Grand jusqu’à ce qu’il la trouve bouchant la bonde d’une barrique.


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Hamlet et Horatio au cimetière

« Voici, dit—il à Horatio, à quoi nous arrivons: Alexandre mourut, Alexandre fut enterré, Alexandre retourna en poussière; la poussière est de la terre, de la terre nous tirons l’argile, et pourquoi cette argile en laquelle il fut converti, ne serait—elle pas employée à fermer un baril de bière? L’impérial César, mort et retourné en terre glaise, bouche peut—être un trou pour nous préserver du vent. Oh! dire que cette poignée de terre qui tenait le monde sous son obéissance, rapièce peut—être un mur pour fermer passage à la bise d’hiver! »

Ces pensées que Shakespeare prête au mélancolique prince de Danemark sont de celles dont il est permis de se souvenir, en ce premier jour du Carême, où le prêtre trace, avec de la cendre, une croix sur le front de tous les fidèles, en adressant à chacun d’eux ces paroles : « Souviens-toi, homme, que tu es poussière et que tu retourneras en poussière. »


Cloches et Lilas - Courtes histoires catholiques du livre La Bonne Souffrance par François Coppé   Mercredi-des-cendres-la-reunion


Cérémonie d’un symbolisme admirable, comme toutes celles de l’Église, d’ailleurs! Elle n’a pas seulement pour but de nous rappeler que la vie est brève, la mort prochaine, et que le peu qui restera de nous, eussions—nous été des conquérants fameux et de puissants empereurs, servira peut-être un jour à boucher la lézarde d’une muraille ou la bonde d’un tonneau, — encore que cette vérité banale soit toujours utile à redire et salutaire à méditer

Les cendres répandues sur la tête du chrétien ont une autre signification. Elles lui recommandent d’être humble, quand il songe au mérite qu’il peut avoir, à la place, si considérable qu’elle soit, qu’il occupe dans le monde, aux bonnes actions même qu’il a pu faire. Elles lui ordonnent aussi de réparer le mal qu’il a commis ou, tout au moins, si la faute est irrémédiable, de la regretter amèrement, et de toutes les forces de son âme.

Même en dehors du sentiment religieux, même pour celui qui n’attend du tombeau qu’un anéantissement définitif, ce sont deux beaux états de l’âme que l’humilité et le repentir. Car, à moins de vivre comme une brute, pour la seule satisfaction de ses appétits, l’homme exige de lui-même un progrès moral, désire devenir plus sage et meilleur. Toujours il s’imagine y réussir, et c’est la prétention des vieillards d’avoir été instruits et perfectionnés par l’expérience.

Ils se consolent ainsi — peu et mal — de leur décadence physique et se félicitent de l’empire qu’ils ont pris sur leurs passions, alors que, souvent, — il faut bien le dire, — ils ne sont que vaincus par la fatigue de leur sensibilité.En somme, chez les meilleurs d’entre nous, l’amour—propre et la vanité décroissent avec les années, et le regret augmente des actions mauvaises dont nous nous sommes rendus coupables. Méfiez-vous de l’homme mûr qui répète sans cesse : « Je puis marcher la tête haute... Je n’ai rien à me reprocher. » Il est possible qu’il ait toujours satisfait aux lois de la probité et même à celles de l’honneur, telles que la société les a fixées. Mais devant sa conscience intime, il ment, ou du moins, il révèle, avec une pitoyable ignorance de lui—même, une âme dépourvue de scrupules, un cœur sans délicatesse et sans vraie bonté.

Car aucun de nous n’a le droit de lever le front avec tant d’assurance et de se proclamer irréprochable. Aucun de nous ne peut considérer son passé sans y découvrir bien des torts envers autrui, bien des défaillances en présence du devoir. Tous nous avons commis de graves fautes, sinon par perversité, au moins par égoïsme, par admiration et amour de notre chère personne. Oui, tous, même les plus purs. Et ce sont les plus purs, que ces importuns souvenirs font souffrir davantage.

Donc, aux yeux du croyant que soutient une sublime espérance, aussi bien qu’à ceux de l’incrédule — j’entends celui pour qui la vie morale existe — un sens profond se dégage de cette cérémonie des Cendres, qui rappelle à l’homme que la mort le menace sans cesse et qu’il doit souvent s’examiner et se juger, humblement, sévèrement, avec un esprit de pénitence et de réparation.

L’humilité est une grande, une très grande vertu. Seule, elle est capable de rapprocher les distances que la nature et les lois mettent entre les hommes : car elle inspire aux supérieurs la douceur et la charité, et aux inférieurs le respect et l’obéissance. Seule, elle peut atténuer et rendre plus légères les inévitables injustices de la vie et de la société, détruire, chez les forts, l’instinct de tyrannie et, chez les faibles, l’instinct de révolte.

Mais combien ils deviennent rares, les humbles de coeur! Et qu’il est triste d’assister, comme aujourd’hui, au stérile et misérable triomphe de l’orgueil et de l’envie qui réclament l’absurde égalité de tous devant les jouissances.

Hélas! L’égalité absolue n’existe que dans la mort. Et quand je lis ce mot si décevant « égalité » au front de tous nos monuments, j’en arrive à regretter la sombre sagesse du Moyen-Âge, qui peignait sur les murailles un squelette jouant du violon, avec un fémur pour archet, et menant au même abîme le roi couronné, le pape avec sa tiare, le capitaine armé de toutes pièces, la belle dame souriant à son miroir, le docteur chargé de gros livres, le paysan avec sa bêche et sa pioche, l’ouvrier son marteau sur l’épaule, et le loqueteux clopinant sur ses béquilles.


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Danse macabre au Moyen-Age

Oui, une « Danse des morts moderne», farandole macabre au goût du jour, cela ne serait pas inutile et nous ferait un peu réfléchir sur quelques—unes de nos chimères et de nos vanités. Elle n’aurait pas, je le crains fort, la valeur artistique de la fresque peinte, à Bâle, par Hans Holbein, dans le cloître des Dominicains; mais en revanche, nous pourrions multiplier la philosophique image au moyen de l’affichage et des impressions polychromes.  Ne peut—on se figurer, placardée sur tous les murs de Paris, une composition aux vives couleurs, au dessin sommaire, dans laquelle on verrait la Mort, élégante et maigre, avec son crâne chauve, ses yeux caves, son nez pincé et ses côtes en brandebourgs, soufflant dans un tibia en guise de flûte et conduisant à la tombe et à l’éternel oubli les représentants de la société contemporaine? Ne reconnaîtriez—vous pas aisément, dans cette sinistre procession, Rothschild et son milliard, Eiffel et sa tour, un prolétaire lisant le journal qui lui promet, pour demain, la fin de ses misères, un député brandissant son chèque, un anarchiste avec sa bombe sous sa blouse — et même un académicien en habit brodé de palmes vertes, et portant sous son bras ses œuvres complètes en plusieurs tomes?

Mais j’ai tort de plaisanter, en ce jour qui nous invite aux pensées sévères; et, d’ailleurs, mieux que l’épouvantail un peu puéril de la Danse macabre, n’avons—nous pas, pour nous rappeler combien la vie et l’oeuvre de l’homme sont peu de chose, cette fête, si imposante dans sa funèbre simplicité, que l’Église célèbre le mercredi de la Quinquagésisme?


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C’est dans un quartier populaire, dans une église de faubourg, à l’une de ces messes très matinales où ne se rencontrent que de très pauvres gens, que je voudrais conduire, pour y voir donner les cendres, un homme d’aujourd’hui, un incrédule, — hélas! presque tous le sont — en qui je sentirais un amour sincère du peuple. Sous la voûte faiblement éclairée par les cierges de l’autel, il ne trouverait là que peu de monde et du tout petit monde, — car on les compte, dans les classes laborieuses, ceux à qui l’on n’a pas encore ravi les consolations de la prière. Des ouvrières, des servantes agenouillées auprès de leur panier, quelques vieilles gens, et quatre ou cinq artisans à la figure campagnarde, récemment arrivés de leur village, écoutant l’office avec leur sac d’outils à leurs pieds, telle serait la modeste assemblée.

L’ami des travailleurs reconnaîtrait en ceux-ci les doux, les simples, les « pauvres en esprit », les préférés de Jésus enfin, ceux à qui il a promis et il réserve une place choisie dans son royaume. Le spectateur serait ému. En voyant répandre sur leur front cette poussière qui, selon le mot d’Hamlet, contient peut—être un atome d’Alexandre et de César, et présente, en quelque sorte, l’image de tant de civilisations détruites, de tant de peuples disparus, il se souviendrait que l’histoire n’est qu’un long cri de douleur, que partout et toujours le sort des faibles et des petits fut à peine supportable, et qu’ils n’ont jamais trouvé de meilleur soulagement à leurs souffrances qu’en levant les yeux vers le ciel.

Dans cette atmosphère religieuse, devant ces pauvres gens en prière, l’incrédule se dirait alors, je suppose, que ce fut une folie et un crime de combattre, chez les humbles, la foi qui les faisait s’aimer les uns les autres et espérer en un Père Céleste. Il penserait à l’Évangile, à ce livre unique au monde, qui a changé l’âme de l’univers et qui a, depuis dix-neuf siècles, inspiré les vertus les plus pures et donné la paix du cœur à d’innombrables chrétiens. Et alors — qui sait? — considérant l’oeuvre prodigieuse de Celui qui parla sur la montagne et qui mourut sur la croix, et s’affirmant que la bouche d’où tombèrent tant de vérités éternelles n’a pas pu mentir, il croirait en Jésus—Christ, fils de Dieu tout—puissant, du Dieu aux yeux de qui les planètes et les étoiles sont moindres que les grains de cette poudre distribuée par le prêtre, du Maître éternel qui, au fond du mystère infini, règne sur une poussière de mondes et sur une cendre de soleils!

24 février 1898.

MichelT

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Message par MichelT Mar 24 Sep 2019 - 23:50

Le bon Dieu à Bord  - CONTE POUR LA FÊTE-DIEU

Une courte histoire tirée du Livre : La Bonne Souffrance – par François Coppé  - DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE - 19 eme siècle


Le goût des bains de mer ou, plus exactement, du séjour d'été sur les plages s'est tellement développé en France, et les chemins de fer donnent à tous tant de facilités pour le satisfaire, qu'il est permis de prévoir le temps — pas très éloigné — où notre littoral de l'Ouest présentera une succession ininterrompue de villas, d'hôtels et de casinos et où une seule façade de constructions s'étendra de Dunkerque ( sur la Manche) à Saint-  Jean-de-Luz (ville balnéaire à la frontière de l`Espagne). Ce boulevard maritime, pour ainsi parler, n'existe encore qu'à l'état fragmentaire, ayant pour solutions de continuité quelques falaises et quelques amoncellements de rochers ; mais on peut supposer que les explosifs viendront à bout, tôt ou tard, de ces obstacles naturels, et nos petits-neveux admireront certainement cette voie interminable, avec kiosques lumineux et tramways électriques, sur laquelle  ils viendront, par centaines de mille, pendant les trois mois de belle saison, se rafraîchir au souffle du large !

Nous n'en sommes pas là, fort heureusement,  selon moi, du moins, qui vois disparaître avec  tant de regret le peu qui reste de la vieille France. Cependant, certaines stations de la  côte normande, les plus voisines de Paris,  sont déjà envahies et offrent au regard de l'observateur le singulier spectacle de gens traditionnels et de très anciennes choses mêlés à des personnages de l'aspect le plus moderne et à des objets d'une invention tout à fait récente.

Nulle part peut-être ce contraste n'est plus remarquable qu'au Tréport, antique et célèbre port de pêche, fréquenté depuis longtemps déjà par les baigneurs aisés et où, de plus, chaque dimanche, un train de plaisir très rapide jette toute une cohue de petit monde parisien.

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Le Tréport en Normandie

A côté de cette population de marins, dont les visages, boucanés par le vent et par l'embrun, ont cette expression de gravité que leur imprime la pensée constante du péril, à côté de ces gens de mer qui, par la physionomie et par le costume, sont à peu près semblables à ceux dont Jean Ango, le célèbre armateur de Dieppe et le fondateur de notre marine au 16 e siècle, composa ses premiers équipages, il  est très intéressant de voir cette foule de petits bourgeois, d'ouvriers endimanchés, de grisettes économiquement déguisées en dames.

Ils arrivent de la gare, éreintés par une nuit sans sommeil, alourdis par leurs paniers de provisions, ouvrant tout grands leurs yeux de badauds devant la mer et le pittoresque décor du bassin d'échouage et des bateaux, mais pourtant, par un amour-propre spécial aux Parisiens, ils ne veulent pas avoir l'air étonné et ne renoncent ni à leurs bruyants éclats de rire, ni à leurs appels gouailleurs, ni à aucune de leurs blagues faubouriennes.

C'est aussi un spectacle fort surprenant que celui de ces groupes de cyclistes pédalant sur leurs deux roues, de ces automobiles emportées dans un infect nuage de poussière et jetant leurs réguliers hoquets, en un mot, de ces véhicules, dernier triomphe ,du machinisme, qui sont en train de supprimer presque les distances et de changer les conditions de la vie, alors qu'on les voit glisser et s'enfuir sur le quai du vieux port, où se balancent doucement, avec des craquements sourds, ces solides et lourdes barques dont la forme antique et en quelque sorte vénérable n'a guère changé depuis l'époque où, manœuvrées par Jacques Cartier et ses intrépides compagnons, elles traversaient pour la première fois l'Atlantique et remontaient le Saint-Laurent.

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Le Tréport en Normandie

Un dimanche de septembre, où le train de plaisir avait répandu dans le vieux Tréport sa foule périodique, je flânais sur la jetée, m'amusant à écouter au passage les observations  plus ou moins saugrenues de tous ces citadins,  quand le temps, qui menaçait depuis le matin,  se gâta tout à fait. Le vent, déjà très vif, contre lequel les femmes défendaient leurs jupes et  les hommes leurs chapeaux de paille, souffla décidément en tempête. Toute la mer blanchît sous une houle sinistre. Les lames se gonflèrent, devinrent énormes, et, en se brisant contre le musoir, jetèrent leurs panaches d'écume sur les promeneurs. Ils restaient là cependant, avec des rires et des cris, chaque fois que les inondait l'averse salée, retenus par la grandiose beauté du spectacle.

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Il ne tarda pas à devenir effrayant. La variation du temps avait été très brusque

— comme il arrive trop souvent sur nos côtes

— et aucun signal du sémaphore ne l'avait annoncée en temps utile. Aussi, plusieurs barques étaient -elles sorties, non pas pour traîner le filet ou le chalut, — les pêcheurs observent généralement le repos du dimanche, — mais pour promener, pendant une heure ou deux, les Parisiens du train de plaisir, qui avaient voulu se donner, en cette journée de vacances, toutes les sensations maritimes en bravant celle du mal de mer.

Par cette brise carabinée et dans le tumulte des vagues soudain furieuses, la rentrée au port de ces barques fut très dure et même  dangereuse. Rudement secouées et ballottées,  tantôt dressant leur beaupré vers le ciel sombre,  tantôt plongeant de la proue, comme si elles  allaient s'engloutir, elles revenaient. L`une après  l'autre, ayant amené la grande voile et le hunier  et n'offrant plus qu'un bout de foc à la violence du vent d'Ouest. Comme elles étaient  pleines de passagers tous mouillés jusqu'aux os et la plupart malades, la manœuvre était  difficile, et les curieux massés sur le môle admiraient, au passage de chacune de ces barques, l'adresse du barreur pour gouverner droit sur cette mer bouleversée et ne pas manquer l'entrée du chenal. Toutes les barques accomplirent heureusement ce tour de force, sauf une, la dernière  de la petite flottille. Elle devait avoir été plus éprouvée que les autres par le coup de mer, car son foc déchiré se tordait au vent comme une loque, et les quatre hommes de l'équipage, debout et pesant de toutes leurs forces sur les avirons, ramenaient péniblement leur cargaison de Parisiens en détresse.

Cependant le bateau retardataire restait en bonne voie, grâce aux efforts de ses rameurs, et il allait à son tour franchir la passe, quand une lame monstrueuse le prit par le travers, l'enleva avec une force irrésistible et courut se briser, avec lui sans doute et en l'enveloppant d'une explosion d'écume, contre la muraille de la jetée. Tous les spectateurs poussèrent un cri d'épouvante, puis, aussitôt après, quand l'écume  retomba, un long soupir de soulagement. Un heureux coup de barre du timonier, la présence d'esprit des hommes de tribord, dont les avirons brisés venaient de parer le choc, avaient empêché la catastrophe.

Cloches et Lilas - Courtes histoires catholiques du livre La Bonne Souffrance par François Coppé   Force-7

Le bateau — il s'appelait la Jeanne-Marie — était sauvé!

Comme l'accident n'avait pas eu, en somme, un dénouement tragique, l'émotion de la foule, après quelques bavardages, s'apaisa vite.  Le spectacle avait pris fin, d'ailleurs. Le bateau était rentré dans le port, et le môle, constamment balayé par les paquets de mer, n'était plus tenable pour les flâneurs. Tous revinrent donc vers la ville, en suivant l'étroite jetée, et, dans les fragments de conversation,  saisis au passage, il n'était déjà plus question  du danger couru par l'équipage et les passagers  de la Jeanne-Marie.

Cependant, deux Tréportaises, deux femmes  de marins, qui marchaient près de moi en faisant claquer leurs fins sabots de bois noir, parlaient encore de l'événement, et j'entendis la plus vieille dire à la plus jeune :  « Vois-tu, ma fille, j'avons pas eu peur. C` t`année, il ne pouvait pas arriver malheur à  Cauvin et à la Jeanne-Marie... Tu t'rappelles ben... Ce bateau-là a eu le bon Dieu à bord.»

Le bon Dieu à bord ! Il y avait dans cette phrase, on en conviendra, de quoi exciter l'imagination, et, soulevant ma casquette blanche de plagiste, je demandai à la dame ce qu'elle voulait dire. Mais ma question lui déplut sans doute, car, après m'avoir un instant regardé d'un air réfléchi, elle me répondit assez brutalement : « Bah ! si je vous le disions, vous vous gausseriez de moi.. Vous ne croyez à rien, vous, les Messieurs de Paris. »  Puis elle pressa le pas, entraînant sa compagne. Cependant, ma curiosité devait être promptement satisfaite.

Cloches et Lilas - Courtes histoires catholiques du livre La Bonne Souffrance par François Coppé   116315262

En continuant ma promenade et en montant la rampe qui conduit à l'église, délicieuse fleur de l'art gothique poussée à mi-côte de la falaise, je fis rencontre du second vicaire, qui revenait des Vêpres, et je demandai à ce jeune prêtre, de qui j'avais goûté plusieurs fois déjà la conversation pleine de charme, l'explication des paroles de la vieille femme.

« Le bon Dieu à bord, me répondit-il, c'est une ancienne et pieuse coutume de ce pays. A la Fête-Dieu, le sort désigne celui des bateaux sur lequel on dressera le reposoir, et on y installe, au pied du mât, un autel radieux de lumières et de fleurs. C'est un beau spectacle, je vous assure, monsieur, quand la procession s'arrête le long du quai et quand M. le curé, entré dans la barque, bénit avec l'ostensoir tous ces braves gens de mer réunis sur les dalles du port, les hommes tête nue, les femmes à genoux et disant leur chapelet. On entonne le Tantum ergo.


Tantum Ergo Sacramentum - écrit pas Saint-Thomas d`Aquin - Italie - 13 eme siècle

Chant de Saint-Thomas d`Aquin en Français sur la Sainte-Eucharistie et le Saint-Sacrement
Chante, ma langue, le mystère de ce Corps glorieux,
ainsi que de ce précieux Sang que, comme prix (de la Rédemption) du monde,
fruit d'un sein généreux, le Roi des nations a versé.
A nous donné, il est né pour nous d'une Vierge sans tache.
Et il a vécu dans le monde, en répandant la semence de sa Parole.
Il a achevé son séjour ici-bas par une admirable institution.
Dans la nuit de la dernière cène, étant à table avec ses frères,
après avoir pleinement observé la loi et consommé les aliments prescrits,
de ses propres mains Il se donne en nourriture à l'ensemble des douze.
Le Verbe incarné, par sa Parole, de vrai pain fait sa chair ; et de vin pur fait le sang du Christ.
Et si la raison défaille, pour affermir le cœur sincère la foi seule suffit.
Donc, ce si grand Sacrement, adorons le prosternés.
Et que le rite antique cède la place au nouveau.
Que la foi apporte ce qui manque à l'insuffisance de nos sens. Au Père et au Fils
Louange et jubilation Salut, honneur et puissance Et bénédiction !
A Celui qui procède de l'Un et de l'Autre la même louange.
Amen. fin

Nos chantres, grâce à mon confrère, le premier vicaire, qui est musicien, ne  sont pas mauvais, et il y a de fort jolies voix parmi nos jeunes filles, les Enfants de Marie.  Oh! tous ces fronts inclinés sous la bénédiction du prêtre, cet hymne qui monte suavement  vers le ciel, cette atmosphère de foi naïve... Il  y a là vraiment une exquise minute d'émotion  chrétienne... Bien entendu, tous nos marins  considèrent comme un très grand honneur de  recevoir la visite du Saint Sacrement... De là,  sans doute, vient l'idée de cette femme,  que le bateau qui a eu le bon Dieu à son bord est, pour l'année au moins, exempt du péril de la mer.

— Cet usage, répondis-je, est, en effet,  d'une poésie charmante. Que Chateaubriand ne l'ait pas connu, c'est dommage. Il eût écrit une belle page de plus dans son Génie du Christianisme... Si, tout à l'heure, la Jeanne-Marie ne s'est pas brisée contre la jetée, cela tient presque du miracle, j'en conviens. Pourtant, ajoutai-je en souriant, faudrait-il se fier à la croyance tréportaise, les jours où le sémaphore hisse son plus inquiétant signal?...

— Oh! je vous en prie, interrompit le jeune prêtre, n'en dites pas davantage. Je sais bien  que vous n'êtes pas, comme a dit cette brave  femme, de ces messieurs de Paris qui ne croient  à rien. Si la superstition de ces pauvres gens vous étonne un peu, avouez, au moins, qu'elle est  tout à fait innocente et qu'elle ne peut offenser le Dieu dont les mystérieux desseins déchaînent et calment les tempêtes... Ne seraient-ils pas plus heureux, fit-il avec un accent mélancolique et en me montrant la foule des Parisiens, que, de ce lieu élevé, nous pouvions voir circuler sur le quai du Tréport — ne seraient- ils pas plus heureux, tous ces citadins incrédules, s'ils avaient, comme mes simples paroissiens, conservé la divine espérance? Je prie de tout mon cœur pour que, du moins, ceux-ci ne la perdent jamais, leur piété dût-elle demeurer un peu enfantine. Car Jésus-Christ, dont je suis l'humble ministre, est vraiment le Dieu des gens de mer, lui qui marchait sur le lac de Tibériade, apaisait d'un geste les flots en courroux, suscitait les pêches miraculeuses, et qui a choisi d'abord de pauvres mariniers pour répandre à travers le monde sa loi de consolation et d'amour!... »

Il s'enflammait, il allait poursuivre sa harangue improvisée, mais, attendri par l'enthousiasme religieux du jeune vicaire, je me reprochais déjà ma méchante boutade.

Je lui touchai doucement le bras. « Pardonnez-moi, lui dis-je, monsieur l'abbé.  Il est difficile d'oublier tout à fait une longue vie de scepticisme... Vous avez raison, il n'y que la foi qui sauve. Je la demande ardemment et sans cesse à Dieu dans mes prières. Oui, je crois, je veux croire, et je ne serai satisfait que le jour où je croirai avec la confiance et la simplicité de cœur de vos marins... Et j'y parviendrai, soyez tranquille... Car, vous savez, ajoutai-je en me frappant le cœur avec la main, le bon Dieu est à bord »

Décembre 1900.

MichelT

Date d'inscription : 06/02/2010

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Cloches et Lilas - Courtes histoires catholiques du livre La Bonne Souffrance par François Coppé   Empty Re: Cloches et Lilas - Courtes histoires catholiques du livre La Bonne Souffrance par François Coppé

Message par MichelT Jeu 26 Sep 2019 - 15:13

L’Enfance et la Prière

Une courte histoire tirée du Livre : La Bonne Souffrance – par François Coppé  - DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE - 19 eme siècle

J`ai reçu récemment la visite du fils d’un de mes meilleurs et plus anciens amis, qui est sorti récemment du séminaire de Saint—Sulpice et qui vient d’être placé, en qualité de vicaire, dans une très pauvre paroisse d’un de nos faubourgs parisiens. Brûlant de zèle, ce jeune prêtre se félicite d’être ainsi jeté en plein peuple, en pleine misère, sûr d’y rencontrer plus souvent qu’ailleurs l’occasion d’exercer son ministère de consolation et de charité et fermement résolu à tout faire pour ramener à Dieu le plus d’âmes qu’il pourra; mais, au lendemain même de son début, il ne lui est déjà plus permis de se dissimuler l’extrême difficulté de sa tâche. Il m’a fait, entre autres, ce déplorable aveu.

Un tiers seulement des enfants nés dans la paroisse dont il est question ont été baptisés, et c’est une minorité encore plus faible qui fréquente le catéchisme et reçoit quelque instruction religieuse. Il n’y a donc pas à se faire d’illusions. Bientôt, sur ce point de la France très chrétienne —comme sur tant d’autres, hélas! — il n’y aura plus de chrétiens.

Cloches et Lilas - Courtes histoires catholiques du livre La Bonne Souffrance par François Coppé   Enfantchapelet-2

Ceux qui s’intitulent libres—penseurs — par antiphrase, à coup sûr, car leur intolérance est célèbre — peuvent être fiers de ce résultat, obtenu en vingt ans. Car il n’y a guère plus de vingt ans, si j’ai bonne mémoire, que le crucifix fut définitivement supprimé du « matériel scolaire », selon la gracieuse expression de je ne sais plus quel gros bonnet municipal, et qu’on lui substitua — du moins, je le suppose, — le tableau des poids et mesures, objet assez superflu, entre nous soit dit, la plupart des petits faubouriens étant destinés à ne connaître que trop tôt et trop bien ce que c’est qu’un titre. Quant au catéchisme, vous n’ignorez pas qu’on a également proscrit de l’école un tel monument du fanatisme et de la superstition (vieux style), et qu’on a répandu, à la place de ce livre réactionnaire, dans lequel il n’est guère question que de vertus à pratiquer et de devoirs à remplir, de petits manuels où l’on parle surtout de leurs droits aux jeunes citoyens.

J’ai feuilleté, par curiosité, quelques-uns de ces opuscules; ils se recommandent, en général, par leur insigne niaiserie. Dans l’un d’eux, au-dessous d’une image où l’on voit un beau monsieur passer, dans son tilbury, près d’un vieux bonhomme en train d’empierrer la route, j’ai lu cette légende : « Devant le suffrage universel, M. ***, malgré sa grande fortune, est l’égal du cantonnier. »

Cette leçon de choses m’a laissé rêveur, car je sais fort bien que, quand ils auront voté l’un et l’autre à leur guise, le monsieur au tilbury continuera de jouir de sa grande fortune et que le cantonnier cassera des cailloux comme auparavant; et je me demande si le catéchisme n’est pas plutôt dans le vrai, le pauvre vieux catéchisme, qui considère bien, lui aussi, M. *** et le cantonnier comme égaux devant la mort, mais qui conseille au premier d’être charitable, au second de se résigner, combat chez l’un l’égoïsme et l’orgueil, chez l’autre la révolte et l’envie, et instaure, de cette façon, en ce bas monde un peu de bonheur et de justice, en attendant mieux dans l’autre.

Ces réflexions paraîtront, j’en ai peur, tout à fait choquantes et scandaleuses aux délégués cantonaux, qui font la chasse au catéchisme dans le pupitre des écoliers, comme s’il s’agissait d’un livre obscène, et qui, presque tous francs-maçons, connaissant « l’acacia », et ayant vu la «lumière du troisième appartement », sont, à ce qu’il paraît, mieux renseignés que d’humbles chrétiens sur le mystère de la vie et sur la destinée de l’âme humaine. Mais la colère de ces inquisiteurs à rebours ne m’intimidant point, je ne vois pas ce qui pourrait m’empêcher de dénoncer les ravages qu’a déjà causés, dans les classes populaires, l’enseignement laïque, soi—disant neutre, mais en réalité hostile à toute idée chrétienne.

Cloches et Lilas - Courtes histoires catholiques du livre La Bonne Souffrance par François Coppé   Francs-macons-2_361243

Ces ravages sont abominables, et le renseignement que m’a donné mon ami le jeune vicaire fait frémir. Oui, il est affreux de penser que, dans un des quartiers les plus misérables de Paris, dans ce milieu où les bienfaits de la religion seraient le plus nécessaires, les deux tiers des enfants ignorent jusqu’au nom de Dieu et n’ont jamais prié. Parmi tous les spectacles que peut offrir le genre humain, en est-il un plus aimable, plus doux, plus touchant que l’enfant en prières? Sa mère l’a mis à genoux dans son giron, le tient embrassé et joint ses petites mains sous les siennes.

Elle lui fait redire, une à une, les paroles de la courte oraison — s’il est tout petit, quelques mots seulement, par exemple, le cri naïf: « Mon Dieu, je vous donne mon coeur!» et, s’il est un peu plus grand, l’admirable texte du « Notre Père» ou le délicieux appel « Je vous salue, Marie! » Si c’est le matin, l’enfant lève les yeux vers l’azur du ciel, et ces deux puretés se contemplent. Est—ce le soir, près de la lampe voilée, dans la chambre tiède et calme? Alors il semble que, dans l’ombre, derrière la blancheur des rideaux, un ange se tient immobile et assiste, pour aller en témoigner dans le Paradis, à cet adorable acte de foi. Sans doute, l’enfant ne comprend pas encore les mots sacrés qu’il prononce, mais il sait que sa mère est heureuse de les lui entendre répéter; il la regarde et la voit sourire, il sent qu’elle l’enveloppe d’une étreinte plus caressante, et près de ce coeur qui bat, près de ce sein qui palpite, dans cette atmosphère, dans ce foyer d’amour et de piété, un instinct religieux s’éveille en lui.

Quant à l’heureuse mère, c’est l’instant le meilleur de sa vie que celui où elle présente au bon Dieu son enfant, joignant les mains et gentiment agenouillé dans sa petite chemise. Quelle douceur! Elle prie avec lui, pour lui et par lui! Ce sentiment de crainte respectueuse que nous inspire parfois la grandeur de la Divinité, elle ne l’éprouve pas, à présent. Elle est pleine d’abandon et de confiance. Elle est certaine que Dieu exaucera les voeux que lui adresse une bouche si pure; elle ne doute pas que Celui qui est la Force infinie et la Science absolue, ne soit touché par tant d’innocence et de faiblesse.

Et puis, il y a une Mère là-haut, la Sainte Vierge, qui est la source de toutes les grâces et qui saura bien obtenir ce que lui demande une autre mère par la voix balbutiante de son enfant! Oui, vous êtes agréables à Dieu et vous prenez un sublime essor vers sa gloire, prières de tous les chrétiens!

Cloches et Lilas - Courtes histoires catholiques du livre La Bonne Souffrance par François Coppé   Photo-article-1289558769-1289843689

Hymnes liturgiques chantés par les prêtres, cantiques en toutes langues lancés à pleine voix par l’assemblée des fidèles, harmonieux orages des grandes orgues qui faites tressaillir la nef des cathédrales, chœurs des pèlerins en marche vers quelque sanctuaire qui éveillez les échos des montagnes, pieux sanglots des affligés auprès des tombeaux, plaintes douloureuses des âmes repenties, paroles enflammées de la religieuse ou du moine dans sa cellule, oui, vous montez jusqu’au trône du Tout—Puissant!

Mais, avant tout, il est le Père; et, dans l’immense, dans l’éternelle rumeur des voix qui le louent et le confessent, il écoute aussi très tendrement, j’en suis sûr, les candides et presque inconscientes prières des petits enfants pareilles à un confus ramage d’oiseaux! L’homme qui, dans son enfance, sut prier, ne l’oubliera jamais. Les passions et les luttes de la vie, les révoltes de l’esprit et des sens, peuvent le conduire au doute, à l’incrédulité, que dis—je? Au pire excès de la négation et du blasphème.

Une trace de la foi de son premier âge reste toujours au fond de son coeur, comme les caractères de l’ancien manuscrit sur le parchemin d’un palimpseste. Vienne la grande douleur, la profonde détresse — physique ou morale. Oh! comme il se rappellera tout de suite l’heure si lointaine où, agenouillé dans son berceau, il sentait, près de sa joue, la chaleur du visage de sa mère qui lui enseignait le Pater et l’Ave. Et, presque toujours, alors, il s’écroulera sur lui—même, se voilera la face de ses mains et poussera ce cri, qui sort naturellement du fond de l’homme : « Mon Dieu, ayez pitié de moi! »

Ce cri, pour une âme naufragée, — j’en sais quelque chose, — c’est le phare qui luit dans les ténèbres, c’est le port, c’est le salut! Aussi j’éprouve une véritable colère contre les malfaiteurs qui, pris d’une démence inconcevable, prétendent — eux—mêmes ont forgé le mot — « déchristianiser » la France. Certes, Ils n’y parviendront pas. C’est la destinée de l’Église d’être toujours militante en ce monde; ses périodes de progrès et de décadence ne sont que des mouvements de flux et de reflux.

Cloches et Lilas - Courtes histoires catholiques du livre La Bonne Souffrance par François Coppé   Chapelle1

Mais est—il, en vérité, une plus mauvaise action que de ravir au peuple la foi et la prière? Car elles sont faciles à ces humbles, à ces simples de coeur -— c’est même un de leurs privilèges — et ils y trouvent, mieux que nous autres, en qui repousse toujours la mauvaise herbe de l’orgueil, un admirable viatique pour le dur voyage de la vie. Hélas! à l’heure qu’il est, un mal énorme a été fait, il s’aggrave tous les jours, et l’on nous prépare des générations de malheureux qui s’agiteront entre la révolte et le désespoir.

Comment ne pas s’alarmer devant un pareil avenir? Comment ne pas s’indigner surtout, à la pensée que ceux qui concourent à cette œuvre funeste ne sont même pas tous de bonne foi et que tel politicien bourgeois, prêt à voter tout ce qu’on voudra pour chasser Dieu de l’école, s’étonnerait que sa « dame » et sa « demoiselle » n’eussent pas de religion, comme il dit dans son plat langage? Puisse le fait que je lui signale aujourd’hui — ces innombrables enfants sans baptême, sans ombre de pensée religieuse, — faire un peu rentrer cet homme en lui-même; et si, un soir, dans l’intimité de la famille, il se surprend à s’attendrir devant le tableau -— toujours auguste et charmant -de sa femme faisant apprendre à son dernier-né quelque prière enfantine, puisse t-il rougir de son hypocrisie et songer avec horreur que ce pain de l’âme qu’il accorde aux siens, il l’arrache aux pauvres gens!

24 mai 1898.

MichelT

Date d'inscription : 06/02/2010

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