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Les Confréries charitables et fraternelles catholiques en France au Moyen-Âge

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Les Confréries charitables et fraternelles catholiques en France au Moyen-Âge  Empty Les Confréries charitables et fraternelles catholiques en France au Moyen-Âge

Message par MichelT Lun 18 Jan 2021 - 17:54

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Les Confréries charitables et fraternelles catholiques en France au Moyen-Âge

Source : Jacques Chiffoleau, Les confréries, la mort et la religion en Comtat Venaissin à la fin du Moyen Age.

(Extraits)

Comme en Italie pourtant, les Confréries se multiplient au XIVe et au XVe siècle : on les compte alors par centaines en Normandie, en Forez ou en Comtat Venaissin. Plusieurs points mériteraient d'être éclaircis. En premier lieu, les fraternités de clercs et de laïcs sont attestées dès le haut Moyen Age, mais c'est bien vers 1320-1420 - en dates larges - que se multiplient un peu partout les créations.

En Comtat Venaissin comme dans tout le Midi, ce sont des institutions multiséculaires, qui, dès le 13e siècle, ont des buts à la fois religieux, charitables et politiques. Leur rôle, déjà très important à la fin du Moyen Age, semble grandir encore après le Concile de Trente; et on les retrouve encore solidement installées au 18e siècle, même si de nouveaux types d'associations viennent alors se substituer plus ou moins aux formes ancienne. Cette continuité formelle pendant près de six siècles suggère la permanence, au moins depuis le milieu du Moyen Age, d'une «sociabilité méridionale», liée à l'importance de la vie communautaire et associative dans les castra, les bourgs et les cités du Midi. A Marseille, au début du 13e siècle, il s'agit d'une association de secours mutuel, prévoyant d'aider les confrères pauvres, de faire dire des messes pour les vivants et les morts. Elle est liée très étroitement à l'Hôpital du Saint Esprit. Le fait que la première helemosina connue soit celle des prêtres n'est sans doute pas un hasard.

Toutes ces institutions, dont la création s'inscrit nettement dans le grand mouvement de charité du 12e-13e siècle, ont été souvent inspirées et surveillées par les clercs. Leur rôle semble se limiter aux oeuvres d'assistance, à une distribution de nourriture aux indigents par exemple. La confrérie de St Symphorien elle-même est devenue à la fin du 13e siècle une banale « charité » de quartier.

Note : Saint-Symphorien était un jeune homme chrétien de la ville d`Autun en Gaule romaine. Il a été un martyr de la foi lors des persécutions des empereurs romains païens contre les chrétiens.

Les Confréries charitables et fraternelles catholiques en France au Moyen-Âge  P1120431
La Confrérie charitable de Saint-Symphorien existe depuis l`an 1177

Après un silence quasi-séculaire, les confréries du 14e siècle et du 15e siècle se développent semble-t-il sur d'autres bases. Il faut distinguer nettement deux périodes : de 1280 à 1370 environ, le nombre des confréries paraît encore peu important (moins d'une cinquantaine en tout). En revanche, pendant les trois dernières décennies du 14e siècle et l'ensemble du 15e siècle, le réseau des institutions confraternelles villageoises ou urbaines devient de plus en plus dense (plus de deux cent dix nouvelles confréries font alors leur apparition). Il est très difficile de suivre la vie, la mort, parfois la renaissance, de la plupart de ces associations. Dans la très grande majorité des cas, en effet, nous ne possédons plus leur « acte de naissance », mais seulement quelques mentions éparses tirées d'une minute notariale, le plus souvent un testament. En dépit du contrôle étroit exercé désormais par les autorités urbaines ou seigneuriales, ces associations demeurent peut-être des lieux d'une vie politique plus ou moins souterraine, les centres actifs de la palabre, de la discussion sur les problèmes de l'heure.

Après un silence quasi-séculaire, les confréries du 14e siècle et du 15e siècle se développent semble-t-il sur d'autres bases. Il faut distinguer nettement deux périodes : de 1280 à 1370 environ, le nombre des confréries paraît encore peu important (moins d'une cinquantaine en tout). En revanche, pendant les trois dernières décennies du 14e siècle et l'ensemble du 15e siècle, le réseau des institutions confraternelles villageoises ou urbaines devient de plus en plus dense (plus de deux cent dix nouvelles confréries font alors leur apparition).  Dans la capitale provisoire de la Chrétienté, (Avignon) il existe aussi au début du 14e siècle une vingtaine de confréries. Quelques-unes sont liées à un groupe socio-économique (confrérie de saint Georges de Tailleurs, Notre- Dame de la Major - des italiens -, etc . . . ), d'autres sont plus nettement dévotionnelles (Ste Anne- sur-le- Rocher, Notre Dame des Doms, Confrérie des âmes du Purgatoire, etc . . . ).

Jusque vers 1340, les dons aux confréries sont peu nombreux et pendant l'ensemble du 14e siècle, seulement 10% des testateurs songent à laisser une obole à ces groupements. En revanche, et nous rejoignons ici les constatations faites pour le reste du Comtat, les legs aux luminaires (chandelles pour les Églises) sont très fréquents. Vers 1310-1320, on fait par exemple des legs aux luminaires de Notre-Dame «de Castello», de sainte Catherine, de saint Étienne, de saint Nicolas, de Saint Jean dans l'église paroissiale de St. Étienne, à la chandelle de Notre Dame des Doms, au cierge pascal. En 1330, la veuve d'un épicier donne de l'argent aux luminaires des sept églises paroissiales d'Avignon etc.

A côté de ces associations à dominante dévotionnelle, on trouve aussi quelques exemples de regroupements à dominante plus nettement charitable. Tous les statuts de confréries avignonnaises que nous avons conservés consacrent au moins quelques articles à l'entraide, mais cette activité ne constitue qu'une partie de l'action confraternelle. En revanche, la distribution des vivres le jour de Pentecôte semble bien être le rôle essentiel des confréries du St. Esprit d'Orange (1342) ou de Vaison (1349), à qui on lègue le plus souvent du blé ou de la nourriture. Il est possible que la tradition des aumônes du 13e siècle ait donné naissance à ces associations d'entraide et de charité, qui reprennent aussi certaines coutumes d'assistance mutuelle et de partage communautaire répandues dans les villages comtadins. Ces groupements se multiplient à partir des années 1330-1370. Comme d'ailleurs toutes les autres confréries : 34 nouvelles associations apparaissent entre 1360 et 1400 dans le Comtat, 53 entre 1400 et 1450, 55 entre 1450 et 1500! La croissance est donc forte et continue pendant presque un siècle et demi. L'abondance des sources explique en partie, mais en partie seulement, ce phénomène qui est bien attesté dans d'autres régions de France ou en Italie.

A Cavaillon, on suit la confrérie du Corpus Christi de 1330 à 1423 au moins, celle de Malaucène de 1349 à 1472, celle de l'Isle-sur-la-Sorgue de 1388 à 1485. La confrérie du Saint Esprit de Pertuis est attestée de 1376 à 1527, celle du Thor de 1388 à 1489, la confrérie Saint Jean de Carpentras de 1376 à 1479, etc. Encore faut-il souligner que ces dates sont approximatives et ne reflètent qu'imparfaitement les limites chronologiques de la «vie» de chaque groupement. En Avignon, on suit aussi les deux tiers des confréries pendant tout le 15e siècle. Certaines paraissent même avoir eu une vie bi ou triséculaire.

C'est le cas de la confrérie de Ste-Anne-sur-le Rocher par exemple, qui est attestée dès le début du 13e siècle et qui est encore bien vivante, quoiqu'en déclin, vers 1490. S'il arrive parfois que l'on «ressuscite» une confrérie ancienne, abandonnée depuis quelques années, il semble que dans une majorité de cas les nouvelles créations ne viennent pas se substituer, mais au contraire s'ajouter aux anciennes, rendant ainsi plus dense le réseau des institutions villageoises ou urbaines. Les dévotions se multiplient aussi : si les confréries dédiées à la Vierge, au Corpus Christi, et au Saint Esprit sont très nombreuses, plus nombreuses encore sont celles qui se mettent sous la protection de la multitude des saints.

En résumé, le mouvement confraternel est très ancien, mais il existe sans doute une solution de continuité, au moins sur le plan des fonctions, entre les confréries politiques du 13e siècle et les multiples associations dévotionnelles et charitables qui apparaissent à partir du milieu du siècle suivant. Cette seconde vague de créations semble assez étroitement contrôlée par l'Église séculière : elle se rattache souvent à la création de luminaires dans les sanctuaires ou à celle des institutions charitables. La confratria reste cependant une affaire de laïcs; ce sont les laïcs qui prennent l'initiative d'une fondation et qui gèrent avec soin les revenus de chaque oeuvre. Enfin, la multiplication de ces associations après 1360 1380 est contemporaine du développement de ce qu'on peut appeler les pompes funèbres «flamboyantes» et de la mutation des images mentales concernant la mort, sans que l'on puisse établir, pour l'instant, de lien étroit avec la crise démographique, économique et sociale.

Il faut distinguer assez nettement les confréries des bourgs comtadins ou des campagnes et celles des cités épiscopales ou des villes marchandes. Les premières rassemblent en général une grande partie de la population villageoise, sans distinction sociale apparente, même si c'est évidemment la sanior pars qui se réserve les rôles dirigeants. Les secondes en revanche ne sont composées chacune que d'une petite partie de la population urbaine, assez hérérogène sur le plan economico- social, et ouverte aux influences extérieures.

A Bonnieux par exemple, la confrérie Saint- Sauveur, dont on a conservé les comptes pour les années 1385-1389, regroupe plus d'une centaine d'habitants; chaque famille y est sans doute représentée. Certains, il est vrai, ne paient plus leur cotisation depuis plusieurs années, mais les revenus de l'oeuvre sont encore importants (plus de 100 florins) et permettent aux bayles de faire dire une messe hebdomadaire, avec procession et absoute, ou d'acheter de grandes quantités de cire. A la campagne, l'activité de la confrérie vient souvent aussi recouvrir des pratiques communautaires très anciennes. Elle a pour fonction par exemple d'organiser soit des repas cérémoniels pour toute la communauté, soit des distributions de nourriture aux plus démunis, à l'occasion des fêtes cycliques ou périodiques et des rites de passage. C'est le cas des confréries de Pentecôte qui sont plus d'une vingtaine en Comtat et ressemblent beaucoup à celles du Valais, du Dauphiné ou d'Auvergne. Ces institutions ont un rôle économique évident puisqu'à l'occasion de ce repas annuel (qui se place d'ailleurs au moment de la soudure), une petite partie du stock de nourriture possédé par chaque famille est remis en circulation.

Mais la fonction sociale et spirituelle du « souper de Pentecôte » n'est pas moins importante que sa fonction économique. Dans le calendrier populaire la Pentecôte est le temps de l'initiation des jeunes (adoubements des chevaliers, ect). Dans ce contexte rituel, le repas cérémoniel s'explique mieux.  Mises à part les confréries, la dévotion au saint Esprit ne semble pas en effet très développée dans le Comtat du XIVe siècle. La théologie de l'Esprit, «sous la forme populaire ou sous la forme savante», a pu toutefois lentement se répandre dans le Midi de la France, dès la fin du 11e siècle. Très tôt, des oeuvres d'assistance ont été mises sous ce patronage. L'Esprit Saint d'autre part inspire le retour des clercs à la vita communis, à la vita apostolica.  Le repas de Pentecôte célèbre peut-être l'entrée des jeunes dans le monde des adultes; mais il rappelle aussi à chacun ses devoirs envers le prochain, amorce l'assistance mutuelle et préfigure de manière éphémère le temps où régnera l'Esprit, où « tous ne feront qu'un». La confrérie rurale, qu'elle soit dévotionnelle ou « charitable », rassemble donc la majorité des habitants de chaque village parce que, le plus souvent, elle n'est que la forme institutionnalisée et christianisée de la communauté traditionnelle.

La situation est fort différente dans les gros bourgs et dans les cités importantes où les confréries sont multiples et où il est plus difficile d'évaluer le nombre des confrères. Les comptes sont rares, et concernent des institutions peu représentatives. La confrérie Notre-Dame de la Major, par exemple, fondée avant 1330, par des marchands italiens, compte vers 1360- 1370 de 1200 à 1600 membres. Presque tous les transalpins d'Avignon, qu'ils soient curialistes ou taverniers, marchands ou artisans, adhèrent à cette association qui décline au XVe siècle en même temps que diminue le nombre des italiens. La fréquence des dons dans les testaments, l'exemple des autres villes du Midi (cf. celui de la confrérie de St. Pierre de Luxembourg à Arles étudié par L. Stouff), suggère plutôt que chaque groupement rassemble quelques dizaines, ou au maximum, deux ou trois centaines de membres.

Une très large fraction de la population citadine participe cependant à la vie confraternelle puisque les associations sont très nombreuses et que les parents de chaque confrère profitent en général des services et des avantages offerts à celui qui paie régulièrement sa cotisation. Comment et pourquoi entre-t-on dans une confrérie urbaine? Sur quelle base sociale s'effectue le recrutement? Pour un certain nombre de confrères, c'est l'appartenance à un corps de métier qui est fondamentale. Dès le début du XIVe siècle, on trouve des associations de bouchers, de savetiers, de drapiers à Orange, de tailleurs, de savetiers, d'orfèvres en Avignon. Dans cette dernière ville, après 1380, apparaissent quelques autres groupements : des chirurgiens, des boulangers, des changeurs, des peintres, etc . On retrouve aussi la trace d'une confrérie des charretiers à Cavaillon, des laboureurs, des notaires, des tailleurs, des tisserands à Carpentras, des tisserands, des savetiers, des laboureurs à Apt, des brassiers et des fustiers à Valréas.

En réalité, les institutions regroupant les membres d'un même métier sont loin d'être les plus nombreuses. La forme la plus fréquente est la confrérie de dévotion qui regroupe des citadins, hommes ou femmes, d'origines géographiques et sociales très différentes. Les femmes sont proportionnellement plus nombreuses dans les groupements dédiés aux saintes vierges (sainte Catherine, sainte Agathe, onze mille vierges, etc.)· Mais il arrive aussi que les hommes en fassent partie. La mixité est respectée dans tous les cas (sur près de 800 legs aux confréries dévotionnelles, 300 viennent de femmes, soit 37,5% du total, ce qui correspond grosso modo au pourcentage des testatrices dans les actes étudiés).

Certaines confréries sont fort riches (la moyenne des legs qui leur sont destinés varie entre 4 gros et 4 florins); d'autres semblent végéter, mais toutes sont ouvertes à l'ensemble de la population. Prenons quelques exemples avignonnais; entre 1419 et 1490 plus d'une centaine de testateurs font des dons à la confrérie de Sainte-Anne-sur-le- Rocher. Les marchands et les hommes de loi sont sur-représentés, mais les artisans sont aussi très nombreux. La moyenne des legs est assez élevée (environ 2 florins), ce qui explique peut-être qu'on ne trouve aucun agriculteur parmi ces confrères. Aux mêmes dates, la confrérie de l'Annonciation, dont le siège se trouve chez les Franciscains, accueille aussi un grand nombre de marchands et de notaires (ou plutôt leurs femmes, car cette association est à majorité féminine - 60% de l'ensemble -), mais cette fois les laboureurs aisés côtoient nobles et négociants italiens.

Quelques confréries, comme celle des âmes du Purgatoire, attirent surtout les testateurs modestes et les groupements dont le siège est une église paroissiale (saint-Geniès à Saint Genies, saint- Jacques à Saint Didier, la Magdelaine à Saint Pierre, etc. . . . ) sont en général plus « démocratiques » que ceux qui se trouvent chez les Mendiants; mais les riches bourgeois ne les dédaignent pas systématiquement. Les confréries urbaines sont donc largement ouvertes, « trans-sociales » ; elles regroupent des hommes et des femmes dont le status est très différent. Par là, elles contribuent sans aucun doute à désamorcer les tensions éventuelles entre les différentes catégories sociales. Leur prodigieux développement à partir du milieu du XIVe siècle s'explique essentiellement par cette très large capacité d'ouverture. Le recrutement de chaque confrérie ne se fait que très rarement sur une base géographique.  Certes, les italiens et, au début du XIVe siècle, les allemands, savent, en arrivant en Avignon, qu'ils y trouveront une association de compatriotes. Mais le plus souvent, les innombrables migrants qui viennent du Nord de la France, de Franche- Comté, de Rhénanie, de Flandre, se retrouvent côte à côte, sans distinction d'origine. Pour eux, la confrérie, qu'elle soit dédiée à Saint- Bernardin ou à Saint Claude, à Sainte Catherine ou à Saint Vincent, est la première structure d'accueil, le premier lieu de sociabilité qu'ils rencontrent depuis leur déguerpissement.

A l'intérieur de la ville, le recrutement ne se fait pas non plus en fonction de l'espace; la confrérie ne rassemble jamais systématiquement les voisins, les habitants d'un même quartier, les membres d'une même paroisse. Au contraire, elle mêle les hommes et les femmes, les riches et les pauvres, les avignonnais de souche et les immigrants récents, les paroissiens de Saint Agricol et ceux de Notre-Dame la Principale. Si les ordres Mendiants ne semblent pas avoir joué un rôle déterminant dans le développement des associations urbaines, au XVe siècle la majorité des chapelles confraternelles se trouvent dans leurs couvents. Sur 95 confréries avignonnaises, 54 sont installées chez les Dominicains et les Franciscains, les Carmes et les Augustins, 22 seulement ont leur chapelles dans le églises paroissiales, 19 dans diverses églises régulières. Comme en Italie, les Ordres Mendiants s'efforcent de promouvoir des cultes originaux et la création des confréries.

Mises à part quelques élites dévotes, très sensibles à la spiritualité proposée par un Ordre religieux ou attentives à faire de saint François ou de sainte Catherine de véritables modèles, il n'est d'ailleurs pas certain que ce soit vraiment la spécificité de telle ou telle confrérie qui ait attiré les chrétiens «de la base». Plus qu'une dévotion particulière - qu'on ne saurait évidemment écarter - c'est, nous semble-t-il, le désir de s'associer, de se retrouver en groupe, pour prier et pour aider les autres à mourir, qui compte avant tout. Un signe le montre bien : 55% des testateurs qui font les legs aux confréries sont affiliés à deux, trois ou plusieurs groupements. Les affiliations à 6, 8 ou 10 confréries, sans être fréquentes, ne sont pas rares : telle veuve fait partie des confréries dédiées à saint Antoine, Marie Magdelaine, Notre Dame des Doms, sainte-Anne, saint Biaise, saint Michel, saint Agricol, Notre-Dame d'Humilité, Notre-Dame de Vie, l'Annonciation, et au saint Sepulchre, tel pelletier est inscrit à Notre-Dame (à Saint Agricol), saint Michel, saint Barthélémy, sainte Croix, sainte Barbe, saint Marc, saints Cosme et Damien, saint Sébastien, saint Vincent. On pourrait multiplier les exemples. Il y a là sans doute un phénomène d'amplification mathématique des moyens d'intercession, comparable à celui que l'on a déjà repéré en étudiant le cortège funéraire ou les demandes de messes pour les défunts.

Mais un autre élément peut expliquer ces affiliations multiples : tout se passe comme si elles permettaient au testateur de reconstituer le tissu des liens sociaux, des solidarités familiales ou territoriales que l'urbanisation, la crise démographique et économique ont profondément déchirés. Les confréries se multiplient, et les testateurs multiplient leurs affiliations, parce qu'ainsi des liens rassurants, des solidarités artificielles se créent entre les hommes et les femmes, au moment même où les liens et les solidarités anciennes sont remis en cause par les mortalités et les malheurs des temps.

Les Confréries charitables et fraternelles catholiques en France au Moyen-Âge  Manuel-de-la-confrerie-pour-la-delivrance-des-ames-delaissees-du-purgatoire
Confrérie pour les âmes délaissées du purgatoire


L`organisation de la Confrérie

L'unité du groupe confraternel repose avant tout sur la bonne gestion des maîtres et sur la moralité de chaque membre : les blasphémateurs, les hommes de mauvaise vie, les concubinaires, les criminels sont immanquablement exclus. Tous les confrères doivent être de bona fama (bonne réputation). Les conflits, les disputes doivent être évités à tous prix : l'association est aussi une institution de paix.

Tout un système d'amendes, qui alimentent la caisse des luminaires et des chandelles, vise à assurer cet ordre moral, si présent dans la plupart des articles. Refuser une charge parmi les dignitaires oublier de payer ses dettes, ne pas faire la paix avec un confrère, ne pas assister aux offices des défunts, ne pas accompagner le Corpus Christi, etc . . . c'est s'exposer à payer comme amende deux, trois, dix ou douze livres de cire. Les statuts interdisent, répriment, bien plus qu'ils ne proposent une activité dévotionnelle précise, hormis peut-être cette liturgie de la lumière qui marque toutes les cérémonies : les achats de cire, les torches, les brandons, les chandelles accaparent l'attention des bayles et des conseillers. L'étymologie le dit explicitement : la con-fratria (confrérie) fonctionne comme une communauté morale de type familial. L'apaisement systématique des conflits, l'obéissance aux maîtres, la prise en charge des confrères pauvres ou absents, l'appui donné aux confrères prisonniers ou en procès, l'aide apportée à ceux qui veulent partir de la Cour de Rome pour pauvreté le montrent aussi très bien.

Mais plus encore, ce sont les rites d'entrée dans la communauté et la place que tiennent les funérailles dans l'activité de l'association qui révèlent la nature profonde de la fonction confraternelle. Les membres sont en général élus, après que leur bonne renommée a été vérifiée.  Le serment et le baiser de paix font entrer le nouveau confrère dans la communauté : . . . doit jurer sur sains évangiles en la main du notaire par devant les maistres et par devant les conseilliers tenir et maintenir les status et les ordonances qui sont faiz et ordennez par les preudomes et confrères de la confrairie Saint Georges et qu'il obéira a tous les commandements licites et honestes que li maistres ferunt a profit et a la honeur de la confrarie et de tous les confrères.  C'est donc à la fois un lien juridique, religieux et spirituel qui unit tous les membres. On ne possède aucun renseignement sur les rites d'exclusion, mais l'expression qui est employée dans les statuts : « être geté de la confrérie », «ser gitat de la confrayria», «expulsere de confraternitate », indique que le départ se fait sur le mode de la malédiction : le mauvais fils (ou frère) est rejeté dans les ténèbres extérieures.

Ce rejet pour non-observance des statuts est la seule est la seule forme d'exclusion, car la mort elle-même ne peut rompre les liens qui unissent les confrères. Et c'est sans doute surtout en cela que la confrérie est une « famille de substitution » , la confrérie non seulement n'abandonne pas les membres défunts, mais au contraire considère qu'ils font toujours partie de l'association. A l'égard des mourants ou des morts elles ont d'ailleurs les mêmes attentions que n'importe quel parent «par le sang». Bayles et confrères doivent visiter les malades, les exhorter à la confession, les préparer à la mort, assister peut-être à la rédaction du testament. Ils sont tenus aussi d'accompagner en procession le Corpus Christi que l'on porte au mourant. Sitôt la mort arrivée, le messager va par les rues prévenir les membres de l'association afin qu'ils viennent à la veillée et à l'enterrement. Mais, c'est dans le cortège funéraire que s'exprime le mieux la solidarité confraternelle. Celle-ci s'ajoute parfois aux solidarités consanguines et territoriales autour desquelles s'organise normalement l'ambulation funèbre, mais souvent aussi les remplace purement et simplement. C'est dans la procession que mène de la maison mortuaire au cimetière que la confrérie, groupée autour du disparu, affirme le plus clairement sa fonction de substitut de la famille.

Moyennant une rétribution supplémentaire les parents du confrère peuvent en général profiter du drap funéraire et des torches de l'association. Il arrive que certains groupements ont leur propre tombe, réservée aux seuls confrères. La confrérie saint Jacques d'Apt par exemple possède un tumulus à Notre-Dame épiscopale que choisissent un nombre assez important de testateurs, venant d'horizons sociaux très différents. Cet usage de la tombe confraternelle, s'il n'est pas très répandu (on le trouve attesté cependant en Languedoc), montre à quel point, dans certains cas, l'assimilation de la confrérie à la famille est complète. La confrérie se charge aussi de tous les suffrages pour les défunts : les distributions, les prières et les messes. La récitation de dix Pater et de dix Ave Maria pour l'âme des disparus est souvent inscrite dans les statuts. Enfin, ce rôle funéraire prépondérant ne se limite pas à la gestion des anniversaires de tel ou tel membre, ou même à la participation, pourtant essentielle, au cortège de funérailles. Mise à part la fête patronale, la seule liturgie importante à laquelle participent normalement tous les confrères est précisément une liturgie des trépassés, parfois hebdomadaire, souvent mensuelle ou annuelle. Les tailleurs d'Avignon assistent ainsi à la messe du quatrième dimanche du mois et le lundi, jour des morts, à un cantar pour le repos de l'âme des confrères défunts. Quant aux italiens de la Major, ils sont beaucoup plus riches et font dire chaque jour deux messes.

L'activité proprement dévotionnelle des confréries, pour limitée qu'elle soit, tend certainement à favoriser la participation d'un nombre de plus en plus important de chrétiens à des exercices de piété qui dépassent le cadre habituel des obligations (messe dominicale, réception des sacrements, etc . . . ); elle prépare, sans qu'il y ait d'ailleurs de solution de continuité, le développement des activités spirituelles des petits cercles dévots de l'époque tridentine et baroque. Mais, au 14e siècle et au 15e siècle, la multiplication de ces groupes semble répondre avant tout à un besoin existentiel : dans ce monde déstabilisé il faut reconstituer des parentés, créer des liens. Dès lors, que l'on ne s'étonne pas de voir les confréries fonctionner comme des familles, comme des structures d'ordre qui éliminent ou atténuent les conflits entre les personnes et les groupes sociaux, qui mettent la morale au centre de leurs pratiques. Et si l'encadrement de la mort devient leur activité essentielle c'est précisément parce que le tempus mortis est le moment où l'absence de la famille et la disparition des solidarités traditionnelles se font le plus cruellement sentir.


LA CONFRÉRIE COMME STRUCTURE D`INTÉGRATION – L`EXEMPLE DE LA NORMANDIE EN FRANCE MÉDIÉVALE

Source : École française de Rome

Résumé : Union de prière et société de secours mutuel, les confréries médiévales normandes proposent à leurs membres deux modes de participation : une simple adhésion ou une prise de responsabilité; chacune engendre un type de sociabilité et d'intégration interne différent. En raison de cette souplesse, elles connaissent une large diffusion, surtout dans les villes, où elles viennent renforcer les structures traditionnelles et reproduisent, entre elles, certaines formes de hiérarchie sociale. Elles fonctionnent comme facteur d'intégration non seulement dans le monde laïc mais aussi parmi les institutions ecclésiastiques.

Assez tardivement, au cours du 15e siècle, et plus particulièrement après 1450, le mouvement confraternel atteint son apogée dans les diocèses normands et se caractérise également par une très grande homogénéité. Qu'elles soient liées à un métier, réservées aux gens d'église ou sans définition précise de recrutement, les confréries normandes reposent toutes sur le même type d'organisation. Elles ne diffèrent pas davantage qu'elles soient implantées dans les paroisses ou dans les établissements religieux, monastères et couvents des Ordres Mendiants.  Certes, il arrive que le choix de saints patrons issus de l'Ordre permette d'identifier une confrérie d'influence franciscaine ou dominicaine, mais l'originalité se borne là et ne gagne pas les activités qui demeurent rigoureusement identiques à celles des autres associations. Rien n'interdit, par conséquent, de considérer le phénomène dans son ensemble, en s'attachant tout spécialement aux confréries de paroisses, de loin les plus nombreuses dans tous les diocèses. Comme l'indique le terme de «charité» qui lui est resté attaché jusqu'à nos jours, la confrérie médiévale normande se veut un lieu privilégié de la mise en pratique de la vertu de charité, en application des paroles de l'apôtre Paul : «Ayez un même amour, un même cœur. Recherchez l'unité» (Philippiens 2,2), ou du verset du psaume 133,1 : « Voyez ! ... Qu'il est bon, qu'il est doux d'habiter en frères, tous ensemble».  

Ce dessein se traduit par la cœxistence de deux aspects indissociables : l'union de prière et l'entraide mutuelle. La confrérie est d'abord une union de prière qui rassemble les fidèles autour d'un ou plusieurs saints patrons, choisis comme intercesseurs privilégiés. Elle s'apparente en cela à une forme de «chapellenie collective» assurant la célébration régulière d'offices pour ses membres vivants et morts; ils sont toujours associés dans la prière comme ils le sont sur le registre, véritable matérialisation de la communauté ainsi créée. Aux secours spirituels que constitue ce «trésor» de prières ainsi accumulé, s'ajoutent des secours matériels rigoureusement codifiés. Le plus important d'entre eux, présent dans tous les statuts, intervient au moment du décès du confrère : ce dernier peut alors compter sur une cérémonie décente organisée par l'association, avec veillée funèbre, messe, convoi du corps et luminaire. Le drap mortuaire est fourni aux frères les plus pauvres.

Les secours matériels prennent aussi la forme d'un don d'argent en cas de départ en pèlerinage, pauvreté ou maladie, accompagné parfois d'une visite ou de prières, à moins que ce ne soit du convoi solennel à la maladrerie pour le frère devenu lépreux. Qu'on ne s'y trompe pas. Les secours, tant spirituels que matériels, ne s'adressent qu'aux seuls membres de la confrérie. La charité est ici bien ordonnée, ce qui interdit toute assimilation entre les confréries normandes et les confréries caritatives observées dans d'autres parties de la Chrétienté. Les activités confraternelles ne sont jamais tournées vers l'extérieur, mais exclusivement réservées à la communauté. Le groupe ainsi constitué donne, de prime abord, l'image d'une forte cohésion interne. Il faut cependant bien vite la nuancer en fonction des deux degrés possibles d'intégration proposés aux confrères, simple membre ou frère «servant»: ils sont de valeur très différente et entraînent des charges très inégales.

En retour de tous les bénéfices liés à la solidarité confraternelle, on attend du simple membre uniquement le versement régulier de sa cotisation annuelle ainsi que l'assistance aux cérémonies religieuses et profanes qui marquent le jour de la fête du saint patron de la confrérie, une fois par an, tout au plus deux. Quelques prières régulières pour les défunts, un ou deux Pater ou Ave au moment d'un décès, telles sont les rares dévotions que viennent parfois ajouter les statuts les plus exigeants. Les devoirs des confrères paraissent au total assez légers de même que la nature de la solidarité créée entre eux et dont il ne faudrait pas exagérer la portée. L'aide spirituelle, sans doute la plus attendue, l'emporte de loin sur l'aide matérielle qui, si elle existe, revêt souvent un aspect symbolique, soit un ou deux deniers par jour.

Quant aux fêtes, elles sont bien épisodiques pour engendrer une sociabilité suivie; et encore faudrait-il être certain de la participation régulière de chacun. En revanche, le statut de frère servant représente une charge autrement plus astreignante. C'est, en effet, sur le petit groupe des deux responsables, prévôt et échevin, et des 12 à 14 frères servants que reposent l'ensemble du fonctionnement et la vitalité de la confrérie. Émanation de toute la société confraternelle, ils en assurent en quelque sorte la représentation permanente. Sans être tenus d'assister à tous les offices célébrés au nom de la confrérie, ils doivent néanmoins être présents à toutes les messes des fêtes des saints patrons - qui peuvent être nombreux! -, ainsi qu'à une éventuelle messe mensuelle. Il leur revient également d'organiser la veillée funèbre des défunts et les funérailles, convoyant le corps en procession solennelle. Enfin, l'administration de l'association leur incombe. L'exercice de ces différentes obligations suppose que maîtres et servants se retrouvent régulièrement, un dimanche par mois ou chaque semaine pour les plus importantes confréries rouennaises. En reconnaissance de leurs services, ils sont assurés d'une plus grande participation aux bienfaits spirituels de la confrérie, prières plus abondantes et obsèques plus solennelles.

Les noms laissés par les registres attestent la cohérence et la stabilité de ce groupe dont on peut faire partie 6, 8, voire 25 ans ou plus. Il est évident que les liens tissés entre responsables et anciens responsables sont d'une tout autre nature que ceux existant entre les simples membres. Il se produit ainsi une nette différenciation entre ces deux types de participation, bien que chacun des adhérents masculins puisse, un jour ou l'autre, être appelé à servir la confrérie. La mise en place d'un tel système explique, peut-être, pourquoi la confrérie normande ne va pas chercher à l'extérieur d'elle-même le lieu d'exercice de ses activités charitables : elle le trouve parmi ses propres membres.

Encore faut-il souligner que l'entraide ne donne lieu qu'à une redistribution partielle des richesses puisque les secours proviennent exclusivement des cotisations des membres ou, le cas échéant, de leurs dons convertis en rentes. Or, il est manifeste en Normandie, comme pour d'autres régions de la Chrétienté, que la création de confréries s'accomplit, à la fin du Moyen Âge, en totale harmonie avec la société environnante. Pour mieux saisir la portée sociale du phénomène, il importe de préciser rapidement la diffusion enregistrée par ces associations aux derniers siècles du Moyen Âge, dans les diocèses normands. Certes, elle ne va pas sans fortes inégalités régionales pour l'ensemble de la province ecclésiastique. Mais, à s'en tenir au seul diocèse de Rouen, pour lequel les sources sont de loin les plus abondantes et les plus régulières, on constate l'existence d'une ou plusieurs confréries dans une paroisse sur deux, pour plus des 2/3 des doyennés.

En Normandie, comme ailleurs, une très grande disparité s'observe entre le monde des villes et celui des campagnes. Les centres urbains comptent une pléthore de confréries, et certaines échappent encore sans aucun doute à notre connaissance. Paroisses ou établissements religieux en abritent fréquemment plusieurs. Toutefois, il serait abusif de considérer le phénomène comme purement urbain. La proximité de villes, foyers religieux actifs, semble favoriser l'éclosion de confréries dans les villages voisins. Leur présence en nombre dans les paroisses des exemptions de Fécamp et de Montivilliers vient confirmer cette remarque. Et une telle influence peut rayonner largement ainsi qu'on l'observe pour celle de Rouen sur l'ensemble du Pays de Caux.  L'ampleur de son extension géographique donne la mesure du succès enregistré par le mouvement confraternel en Normandie, à la fin du Moyen Âge. C'est dire qu'il répond à des aspirations partagées par tous les fidèles, bien que sans doute plus manifestes dans les villes que dans les campagnes.  Société largement ouverte, la confrérie voit venir à elle, tout spécialement dans les villes, bon nombre de dignitaires civils ou ecclésiastiques dont les titres figurent en bonne place sur les registres.

Il peut sembler paradoxal de souligner ainsi le conformisme des confréries alors que l'accent a toujours été mis sur le brassage social qui s'opère en leur sein. La Normandie n'échappe pas à cette dernière règle. Malgré la rareté des mentions d'identité sociale, se révèle un recrutement extrêmement diversifié. Dans les confréries urbaines, escuyers, baillis ou conseillers en cour côtoient merciers, bouchers ou teinturiers, sans parler du monde rural où nobles et laboureurs se suivent sur les registres. Un des exemples les plus éclairants est celui de la confrérie de l'Assomption de Gisors dont le matrologe s'ouvre sur la famille royale, suivie de nombreux nobles et dignitaires, et porte quelques feuillets plus loin les noms de paroissiens des villages voisins s'acquittant de leur droit d'entrée en nature. Ces observations ne permettent pourtant pas de faire jouer pleinement aux confréries un rôle de creuset social. Si la hiérarchie est abolie face aux prières et secours, identiques pour tous, rien n'indique qu'il en va de même au cours des rencontres annuelles, en admettant que tous les membres inscrits y participent réellement.

En Normandie, comme en Touraine, il existe quelques confréries que leur recrutement place largement au-dessus de leurs homologues; elles sont pour cette raison baptisées par Bernard Chevalier «grandes confréries». Leurs activités semblent beaucoup plus mondaines que spirituelles; leurs droits d'entrée élevés ainsi que la générosité de leurs membres les conduisent à gérer des biens importants. Cette catégorie est représentée à Gisors par la confrérie de l'Assomption dont l'opulence se manifeste par un beau registre enluminé, sur lequel figurent, plus qu'il n'est d'usage, nobles et dignitaires. Elle possède également une chapelle richement décorée où un bas-relief immortalise la famille confraternelle, allant du roi au laboureur, en prière devant sa sainte patronne. À Rouen, la confrérie Notre-Dame-des-Marchands appartient sans conteste à ce groupe. Ses revenus importants et son recrutement parmi les riches négociants de la ville en constituent de meilleures preuves que le montant de ses droits d'entrée restés modestes. L'accès aux «grandes confréries» n'est pas totalement fermé aux catégories les plus humbles.

Il faut souligner que les marchands de moindre envergure se retrouvent à Rouen chez les Cordeliers, preuve qu'il existe bien une reproduction des hiérarchies professionnelles dans le monde confraternel. Il y a tout lieu de penser qu'elle s'étend à l'ensemble des confréries liées aux métiers en fonction des distinctions de prestige créées entre eux.  Rassemblant ses membres autour de la figure protectrice du saint patron, la confrérie leur donne donc l'occasion de s'introduire dans un nouveau réseau de solidarité qui comporte du reste de multiples ramifications : il est courant d'appartenir à plusieurs confréries de sa propre volonté ou à l'initiative de parents ou amis.  La paroisse demeure le lieu prioritaire de l'encadrement religieux en commun accord du clergé et des fidèles. Aussi, serait-il abusif de considérer le succès du mouvement confraternel comme une volonté d'affirmation des laïcs face à l’institution ecclésiastique. Loin d'être ressentie comme un élément d'opposition, la confrérie est au contraire conçue comme un moyen d'intensifier la vie religieuse et l'intégration dans l'Église. Les prélats eux-mêmes en arrivent à décerner de tels éloges dans leurs approbations de statuts. Les dangers dénoncés paraissent au total moindres que les bénéfices retirés par les fidèles. Ainsi, la confrérie voit-elle son existence reconnue par les autorités ecclésiastiques à la fin du Moyen Âge. Le texte le plus éclairant à cet égard provient de l'official de Coutances, dans son vidimus de 1530 des statuts de la confrérie saint Thomas de Saint-Lô : « . . . toutes les voyes et moyens par lesquels charité amour et dilection peult estre causée ou augmentée entre les membres de Jésus-Christ l'honneur de l'église amplifié, le service divin augmenté et le nom de Dieu glorifié doivent estre favorisez, luez et approuves. . .».

Le lien confraternel contribue à concrétiser pour le fidèle la construction de l'Église «corps mystique du Christ», selon une expression théologique désormais familière. Elle met en œuvre au nom de la Communion des saints un réseau de circulation des mérites à la fois vertical, entre les confrères et leurs saints patrons, et horizontal, entre vivants et des vivants vers les morts. Une telle recherche, qui participe du même esprit que les chaînes de prière monastiques ou les fondations privées, ne peut que rencontrer la faveur des évêques. Ils se félicitent tous, à l'image de l'official de Coutances, de voir augmenter à cette occasion le nombre des offices dans les églises et stimuler le zèle religieux de leurs ouailles par la prière et l'exercice de la charité. Parce qu'elle vient renforcer les liens d'appartenance des fidèles à l'Église, la confrérie acquiert sa pleine légitimité et s'inscrit comme structure d'encadrement religieux.

Il est probable que les évêques ont pu encourager leur création dans la mesure où elle se conformait à un modèle dûment approuvé par les chancelleries épiscopales. En effet, le contrôle épiscopal est obligatoire pour toute fondation : les statuts synodaux ne cessent de le répéter et les statuts de confréries en portent tous la trace écrite. Il permet à l'évêque de surveiller que les buts avoués de l'association correspondent bien à ce qu'il en attend. Celui-ci ne peut cependant répondre de la sorte du bon déroulement des activités confraternelles. Pour y parvenir, on voit s'amorcer, dès la fin du Moyen Âge dans les diocèses normands, un mouvement d'intégration de la confrérie au sein de sa paroisse d'implantation, sous le contrôle du curé. Cette solution présente en outre l'avantage de pallier le risque de dispersion des fidèles dans des structures qui échappent au cadre paroissial. Les signes de cette évolution restent encore Les tout premiers indices apparaissent dans le soin apporté par les statuts à préserver les droits de la paroisse face aux empiétements confraternels. Les dispositions concernent aussi bien l'aménagement intérieur de la chapelle que les horaires des services ne devant en aucun cas venir entraver le bon déroulement de la vie paroissiale.

Pour tout ce qui relève de l'usage des locaux, la confrérie se trouve donc placée en position de dépendance vis-à-vis de la paroisse. Et si les fidèles venaient à hésiter, sur la priorité à donner, entre leurs obligations paroissiales et confraternelles, quelques statuts se chargent de remettre clairement les choses au point : «Car nonobstant les présents statuts, chacun doit estre en sa paroisse aux heures accoutumées». On ne saurait affirmer plus nettement que la paroisse demeure le cadre privilégié de la vie religieuse. La confrérie conserve, au Moyen Âge, une totale indépendance dans le choix de ses activités. Pourtant, quelques indices trahissent la volonté de les orienter vers le service de la paroisse. Les chapelains sont parfois invités à venir en aide au curé. Des statuts encore en petit nombre prévoient la possibilité d'assurer le service funèbre, normalement réservé aux seuls membres, pour d'autres paroissiens, «du consentement du curé» et contre une modique rétribution. Un glissement tend à s'opérer vers une certaine spécialisation bien que l'on soit encore loin des «confréries funéraires» des époques moderne et contemporaine, véritables substituts des pompes funèbres.  Les responsables de confréries et de fabriques se recrutent dans le même groupe de fidèles zélés. L'organisation à deux degrés de la confrérie normande, dans la mesure où elle contribue à souder ce noyau, favorise l'assimilation de l'association dans la paroisse. Maîtres et servants, en exercice ou sortis de charge, constituent le fer de lance de la communauté paroissiale sur lequel s'appuie le curé.

MichelT

Date d'inscription : 06/02/2010

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