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Sermon de Bossuet devant la Cour de France au 17 eme siècle - La Charité Fraternelle

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Sermon de Bossuet devant la Cour de France au 17 eme siècle - La Charité Fraternelle Empty Sermon de Bossuet devant la Cour de France au 17 eme siècle - La Charité Fraternelle

Message par MichelT Mer 26 Mai 2021 - 1:20

Sermon de Bossuet devant la Cour de France au 17 eme siècle - La Charité Fraternelle

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La Visitation (Luc 1,39)

Trois préceptes de Jésus-Christ pour établir la concorde parmi les hommes. Ordre que Dieu a établi dans l'union des hommes. Quel est le fondement de l'amour du prochain. Pourquoi si peu d'amitié solide dans le monde. Combien un ami fidèle nous est utile. Dangers des flatteurs. Devoirs de la charité envers le prochain.

Source : Oeuvres complètes de Bossuet – tome 1 - 1836

Ou il y a deux ou trois personnes assemblées en mon nom, je serai là au milieu d'elles (Matthieu 18, 20).

Ce que dit saint Augustin est très véritable, qu'il n'y a rien de si paisible ni de si farouche que l'homme ; rien de plus sociable par sa nature, ni rien de plus discordant et de plus contredisant par son vice. L'homme était fait pour la paix, et il ne respire que la guerre. Il s'est mêlé dans le genre humain un esprit de dissension et d'hostilité qui bannit pour toujours le repos du monde. Ni les lois, ni la raison, ni l'autorité ne sont pas capables d'empêcher que l'on ne voie toujours parmi nous la confiance tremblante et les amitiés incertaines, pendant que les soupçons sont extrêmes, les jalousies furieuses, les médisances cruelles, les flatteries malignes, les inimitiés implacables. Jésus-Christ s'oppose dans notre évangile au cours et au débordement de tant de maux, et il y établit la concorde et la société entre les hommes par trois préceptes admirables, qui comprennent les devoirs les plus essentiels de notre mutuelle correspondance.

Premièrement il ordonne que l'on s'unisse en son nom, et se déclare le protecteur d'une telle société : « Où seront deux ou trois personnes assemblées en mon nom, là je serai au milieu d'elles. » (Matthieu 18, 20 ). En second lieu il nous enseigne de nous corriger mutuellement par des avis charitables :  « Reprenez, dit-il, votre frère entre vous et lui. » (Matthieu 18, 15)  Enfin il commande expressément de pardonner les injures, et il ne donne aucunes bornes à cette indulgence. « Pardonnez, dit-il, les offenses, je ne dis pas jusqu'à sept fois, mais jusqu'à septante fois sept fois, » c'est-à-dire, jusqu'à l'infini et sans aucunes limites (Matthieu 18, 22). Je trouve dans ces trois préceptes tout ce qu'il y a de plus important dans la charité fraternelle :car trois choses étant nécessaires, d'en établir le principe, d'en ordonner l'exercice, d'en surmonter les obstacles, Jésus-Christ établit le principe de l'amitié chrétienne dans l'autorité de son nom. Il en prescrit le plus noble et le plus utile exercice dans les avertissements mutuels. Enfin il en surmonte le plus grand obstacle par le pardon des injures. C'est le sujet de ce discours. Entrons d'abord en matière, et montrons avant toutes choses dans le premier point, que Dieu seul est le fondement de toute amitié véritable.

PREMIER POINT.

Quoique l'esprit de division se soit mêlé bien avant dans le genre humain, il ne laisse pas de se conserver au fond de nos coeurs un principe de correspondance et de société mutuelle qui nous rend ordinairement assez tendres, je ne dis pas seulement à la première sensibilité de la compassion, mais encore aux premières impressions de l'amitié. De là naît ce plaisir si doux de la conversation, qui nous fait entrer comme pas à pas dans l'âme les uns des autres. Le coeur s'échauffe, se dilate ; on dit souvent plus qu'on ne veut, si l'on ne se retient avec soin, et c'est peut-être pour cette raison que le Sage dit quelque part, si je ne me trompe, que la conversation enivre, parce qu'elle pousse au dehors le secret de l'âme par une certaine chaleur et presque sans qu'on y pense.

Par-là nous pouvons comprendre que cette puissance divine, qui a comme partagé la nature humaine entre tant de particuliers, ne nous a pas tellement détaché les uns des autres, qu'il ne reste toujours dans nos cœurs un lien secret et un certain esprit de retour pour nous rejoindre. C'est pourquoi nous avons presque tout cela de commun, que non-seulement la douleur qui étant faible et impuissante demande naturellement du soutien ; mais la joie qui, abondante en ses propres biens, semble se contenter d'elle-même, cherche le sein d'un ami pour s'y répandre, sans quoi elle est imparfaite et assez souvent insipide : tant il est vrai, dit saint Augustin, que rien n'est plaisant à l'homme s'il ne le goûte avec quelque autre personnes dont la société lui plaise. Mais comme ce désir naturel de société n'a pas assez d'étendue, puisqu'il se restreint ordinairement à ceux qui nous plaisent par quelque conformité de leur humeur avec la nôtre ; ni assez de cordialité, puisqu'il est le plus souvent cimenté par quelque intérêt, faible et ruineux fondement de l'amitié mutuelle ; ni enfin assez de force, puisque nos humeurs et nos intérêts sont des choses trop changeantes pour être l'appui principal d'une concorde solide : Dieu a voulu, chrétiens, que notre société et notre mutuelle confédération dépendit d'une origine plus haute ; et voici l'ordre qu'il a établi. Il ordonne que l'amour et la charité s'attachent premièrement à lui comme au principe de toutes choses, que de là elle se répande par un épanchement général sur tous les hommes qui sont nos semblables, et que lorsque nous entrerons dans des liaisons et des amitiés particulières, nous les fassions dériver de ce principe commun, c'est-à-dire de lui-même ; sans quoi je ne crains point de vous assurer que jamais vous ne trouverez d'amitié solide, constante , sincère.

Cet ordre de la charité est établi, chrétiens, dans ces deux commandements qui sont, dit le Fils de Dieu, le mystérieux, abrégé de la loi et des prophètes : «Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, et tu aimeras ton prochain comme toi-même» ( Luc 10, 27). Et afin que vous entendiez avec combien de sagesse Jésus-Christ a renfermé dans ces deux préceptes toute la justice chrétienne, vous remarquerez, s'il vous plaît, que pour garder la justice nous n'avons que deux choses à considérer ; premièrement sous qui nous avons à vivre, et ensuite avec qui nous avons à vivre. Nous vivons sous l'empire souverain de Dieu et nous sommes faits pour lui seul ; c'est pourquoi le devoir essentiel de la nature raisonnable, c'est de s'unir saintement à Dieu par une fidèle dépendance : mais comme en vivant ensemble sous son empire suprême, nous avons aussi à vivre avec nos semblables en paix et en équité, il s'ensuit que l'accessoire et le second bien, que nous ne devons chérir que pour Dieu, mais aussi qui nous doit être après Dieu le plus estimable, c'est notre société mutuelle. Par où vous voyez manifestement qu'en effet toute la justice consiste dans l'observance de ces deux préceptes, conformément à cette parole de notre Sauveur : « Toute la loi et les prophètes dépendent de ces deux commandements.»  (Matthieu 22, 40).

Cette doctrine étant supposée, il est aisé de comprendre que le premier de ces préceptes, c'est-à-dire celui de l'amour de Dieu, est le fondement nécessaire de l'autre qui regarde l'amour du prochain. Car qui ne voit clairement que pour aimer le prochain comme nous-mêmes, il faut être capable de lui désirer et même de lui procurer le même bien que nous désirons ? et pour pouvoir s'élever à une si haute et si pure disposition, ne faut-il pas avoir détaché son coeur des biens particuliers, où nous pouvons être divisés par la partialité et la concurrence, pour retourner par un amour chaste au bien commun et général de la créature raisonnable, c'est-à-dire Dieu, qui seul suffit à tous par son abondance, et que nous possédons d'autant plus que nous travaillons davantage à en faire part aux autres?  Celui donc qui aime Dieu d'un coeur véritable, comme parle l'Écriture sainte : «Maintenant craignez l`Éternel, et servez-le avec intégrité et fidélité.» (Josué 24, 14), est capable d'aimer cordialement, non-seulement quelques hommes, mais tous les hommes, et de vouloir du bien à tous avec une charité parfaite. Mais celui au contraire qui n'aime pas Dieu, quoi qu'il dise et quoi qu'il promette, il n'aimera que lui-même; et ainsi tout ce qu'il aura d'amour pour les autres ne peut jamais être ni pur sincère, ni enfin assez cordial pour mériter qu'on s'y fie.

En effet, cette attache intime que nous avons à nous-mêmes, c'est la ligne de séparation, c'est la paroi mitoyenne entre tous coeurs, c'est ce qui fait que chacun de nous se renferme tout entier dans ses intérêts et se cantonne en lui-même, toujours prêt à dire avec Caïn : « Qu'ai-je à faire de mon frère ? » (Genèse 4, 9 ). C'est pourquoi l'apôtre saint Paul parlant de « ceux qui s'aiment eux-mêmes, dit que ce sont des hommes sans affection et ennemis de la paix »  ( 2 Timothée 3, 2). Car il est vrai que notre amour-propre nous empêche d'aimer le prochain, comme la loi le prescrit. La loi veut que nous l'aimions comme nous-mêmes, parce que selon la nature et selon la grâce il est notre prochain et notre semblable, et non pas notre inférieur; mais l'amour-propre bien mieux obéi fait que nous l'aimons pour nous-mêmes, et non pas comme nous-mêmes; non pas dans un esprit de société pour vivre avec lui en concorde, mais dans un esprit de domination pour le faire servir à nos desseins.

C'est ainsi que le monde aime, vous le savez; et c'est pourquoi il est véritable que le monde n'aime rien, et qu'on n'y trouve point d'amitié solide. Non, jamais l'homme ne sera capable d'aimer son prochain comme soi-même et dans un esprit de société, jusqu'à ce qu'il ait triomphé de son amour-propre en aimant Dieu plus que soi-même. Car pour faire ce grand effort de nous détacher de nous-mêmes, il faut avoir quelque objet qui soit dans une si haute élévation, que nous croyions ne rien perdre en renonçant à nous-mêmes pour nous abandonner à lui sans réserve. Or est-il que Dieu est le seul à qui cette haute supériorité et cet avantage appartient : et les créatures qui nous environnent, bien loin d'être naturellement au-dessus de nous, sont au contraire rangées avec nous dans le même degré de bassesse sous l'empire souverain de ce premier Être.

Par conséquent, chrétiens, jusqu'à ce que nous aimions celui qui peut seul par sa dignité nous arracher à nous-mêmes, nous n'aimerons que nous-mêmes. La source de notre amitié pourra bien en quelque sorte couler sur les autres; mais elle aura toujours son reflux sur nous, et toute notre générosité ne sera qu'un art un peu plus honnête de se faire des créatures, ou de contenter une gloire intérieure. Ainsi le véritable amour du prochain a son principe nécessaire dans l'amour de Dieu, il marche avec lui d'un pas égal; et quoiqu'on trouve quelquefois des naturels nobles qui semblent s'élever beaucoup au-dessus de toutes les faiblesses communes, je soutiens qu'il n'y a que l'amour de Dieu qui puisse changer dans nos coeurs cette pente de la nature de ne s'attacher qu'à soi-même.

Comme donc Dieu est peu aimé, il ne faut pas s'étonner si le Prophète s'écrie qu'il ne sait plus à qui se fier. Nous habitons, dit-il, au milieu des fraudes et des tromperies, chacun se défie et chacun trompe : «il n'y a plus de droiture, il n'y a plus de sûreté, il n'y a plus de foi parmi les hommes» (Jérémie 9, 4). « On ne trouve plus de saint sur la terre ; il n'y a personne qui ait le coeur droit ; tous tendent des pièges pour verser le sang ; le frère cherche la mort de son frère... Ne vous fiez point à votre ami... Car l'homme a pour ennemis ceux de sa propre maison. »  (Michée 7. 2, 5, 6.). Je pourrais bien, chrétiens, faire aujourd'hui les mêmes plaintes ; et encore qu'on ne vît jamais plus de caresses, plus d'embrassements, plus de paroles choisies, pour témoigner une parfaite cordialité, ah ! si nous pouvions percer dans le fond des coeurs, si une lumière divine venait découvrir tout à coup ce que la bienséance, ce que l'intérêt, ce que la crainte tient si bien caché ; ô quel étrange spectacle ! et que nous serions étonnés de nous voir les uns les autres avec nos soupçons, et nos jalousies, et nos répugnances secrètes les uns pour les autres ! Non, l'amitié n'est qu'un nom en l'air, dont les hommes s'amusent mutuellement et auquel aussi ils ne se fient guère. Que si ce nom est de quelque usage, il signifie seulement un commerce de politique et de bienséance.

On se ménage par discrétion les uns les autres ; on oblige par honneur et on sert par intérêt, mais on n'aime pas véritablement. La fortune fait les amis, la fortune les change bientôt, comme chacun aime par rapport à soi, cet ami de toutes les heures est au hasard à chaque moment de se voir sacrifié à un intérêt plus cher ; et tout ce qui lui restera de cette longue familiarité et de cette intime correspondance, c'est que l'on gardera un certain dehors, afin de soutenir pour la forme quelque simulacre d'amitié et quelque dignité d'un nom si saint. C'est ainsi que savent aimer les hommes du monde. Démentez-moi, Messieurs, si je ne dis pas la vérité : et certes, si je parlais en un autre lieu, j'alléguerais peut-être la Cour pour exemple ; mais puisque c'est à elle que je parle, qu'elle se connaisse elle-même et qu'elle serve de preuve à la vérité que je prêche.

Concluons donc, chrétiens, que la charité envers Dieu est le fondement nécessaire de la société envers les hommes ; c'est de cette haute origine que la charité doit s'épancher généreusement sur tous nos semblables par une inclination générale de leur bien faire dans toute l'étendue du pouvoir que Dieu nous en donne. C'est de ce même principe que doivent naître nos amitiés particulières, qui ne seront jamais plus inviolables ni plus sacrées que lorsque Dieu en sera le médiateur. Jonathas ( le fils du roi Saul – roi d`Israël vers 1000 Av J.C.) et David (Futur roi d`Israël) étaient unis en cette sorte, et c'est pourquoi le dernier appelle leur amitié mutuelle : « L'alliance du Seigneur, »  (1. Samuel 20, 8); parce qu'elle avait été contractée sous les yeux de Dieu et qu'il devait en être le protecteur, comme il en était le témoin. Aussi le monde n'en a jamais vu ni de plus tendre, ni de plus fidèle, ni de plus désintéressée. Un trône à disputer entre ces deux parfaits amis n'a pas été capable de les diviser, et le nom de Dieu a prévalu à un si grand intérêt.

Heureux celui, chrétiens, qui pourrait trouver un pareil trésor ! Il pourrait bien mépriser à ce prix toutes les richesses du monde ; car une telle amitié contractée au nom de Dieu et jurée, pour ainsi dire, entre ses mains, ne craint pas les dissimulations ni les tromperies. Tout s'y fait aux yeux de celui qui voit dans le fond des coeurs ; et sa vérité éternelle, fidèle caution de la foi donnée, garantit cette amitié sainte des changements infinis dont le temps et les intérêts menacent toutes les autres.  Un ami de cette sorte, fidèle à Dieu et aux hommes, est un trésor inestimable ; et il nous doit être sans comparaison plus cher que nos yeux, parce que souvent nous voyons mieux par ses yeux que par les nôtres, et qu'il est capable de nous éclairer quand notre intérêt nous aveugle : c'est ce qu'il faut vous expliquer dans la seconde partie.

SECOND POINT.

La science la plus nécessaire à la vie humaine, c'est de se connaitre soi-même,
et saint Augustin a raison de dire qu'il vaut mieux savoir ses défauts, que de pénétrer tous les secrets des états et des empires, et de savoir démêler toutes les énigmes de la nature. Cette science est d'autant plus belle qu'elle n'est pas seulement la plus nécessaire, mais encore la plus rare de toutes. Nous jetons nos regards bien loin, et pendant que nous nous perdons dans des pensées infinies, nous nous échappons à nous-mêmes : tout le monde connait nos défauts, nous seuls ne les savons pas ; et deux choses nous en empêchent.

Premièrement, chrétiens, nous nous voyons de trop près; l'œil se confond avec l'objet, et nous ne sommes pas assez détachés de nous pour nous regarder d'un regard distinct et nous voir d'une pleine vue. Secondement, et c'est le plus grand désordre, nous ne voulons pas nous connaitre, si ce n'est par les beaux endroits. Nous nous plaignons du peintre qui n'a pas su couvrir nos défauts, et nous aimons mieux ne voir que notre ombre et notre figure si peu qu'elle semble belle, que notre propre personne si peu qu'il y paraisse d'imperfection. Le roi Achab ( roi d`Israël - 874 a 853 Av J.C.), violent, imbécile et faible ne pouvait endurer le prophète Michée, qui lui disait de la part de Dieu la vérité de ses fautes et de ses affaires qu'il n'avait pas la force de vouloir apprendre; et il voulait qu'il lui contât avec ses flatteurs des triomphes imaginaires.

C'est ainsi que sont faits les hommes ; et c'est pourquoi le divin psalmiste a raison de s'écrier : « Qui est-ce qui connait ses défauts ? »  ( Psaume 19, 13 ). Où est l'homme qui sait acquérir cette science si nécessaire ? Combien sommes-nous ardents et vainement curieux ! Dans quel abime des coeurs, dans quels mystères secrets de la politique, dans quelle obscurité de la nature n'entreprenons-nous pas de pénétrer ? Malgré cet espace immense qui nous sépare d'avec le soleil, nous avons su découvrir ses taches, c'est-à-dire remarquer des ombres dans le sein même de la lumière. Cependant nos propres taches nous sont inconnues ; nous seuls voulons être sans ombre ; et nos défauts, qui sont la fable du peuple, nous sont cachés à nous-mêmes.  Pour acquérir, chrétiens, une science si nécessaire, il ne faut point d'autre docteur qu'un ami fidèle. Venez donc, ami véritable, s'il y en a quelqu'un sur la terre, venez me montrer mes défauts que je ne vois pas. Montrez-moi les défauts de mes mœurs, ne me cachez pas même ceux de mon esprit. Ceux que je pourrai réformer, je les corrigerai par votre assistance ; et s'il y en a qui soient sans remède, ils serviront à confondre ma présomption. Venez donc encore une fois, ô ami fidèle, ne me laissez pas manquer en ce que je puis, ni entreprendre plus que je ne puis, afin qu'en toutes rencontres je mesure ma vie à la raison, et mes entreprises à mes forces.

Cette obligation, chrétiens, entre les personnes amies est de droit étroit et indispensable. Car le précepte de la correction étant donné pour toute l'Église dans l'évangile que nous traitons, il serait sans doute à désirer que nous fussions tous si bien disposés que nous pussions profiter des avis de tous nos frères. Mais comme l'expérience nous fait voir que cela ne réussit pas, et qu'il importe que nous regardions à qui nos conseils peuvent être utiles; ce précepte de nous avertir mutuellement se réduit pour l'ordinaire envers ceux dont nous professons d'être amis. Je suis bien aise, Messieurs, de vous dire aujourd'hui ces choses, parce que nous tombons souvent dans de grands péchés pour ne pas assez connaitre les sacrés devoirs de l'amitié chrétienne.  La charité, dit saint Augustin voudrait profiter à tous; mais comme elle ne peut s'étendre autant dans l'exercice, qu'elle fait dans son intention, elle nous attache principalement à ceux qui, par le sang, ou par l'amitié, ou par quelque autre disposition des choses humaines, nous sont en quelque sorte échus en partage.

Regardons nos amis en cette manière; pensons qu'un sort bienheureux nous les a donnés pour exercer envers eux ce que nous devrions à tous, si tous en étaient capables. C'est une parole digne de Caïn, que de dire, Ce n'est pas à moi à garder mon frère; croyons, Messieurs, au contraire, que nos amis sont à notre garde, qu'il n'y a rien de plus cruel que la complaisance que nous avons pour leurs vices; que nous taire en ces rencontres c'est les trahir ; et que ce n'est pas le trait d'un ami, mais l'action d'un barbare, que de les laisser tomber dans un précipice faute de lumière, pendant que nous avons en main un flambeau que nous pourrions leur mettre devant les yeux : « L'homme injuste séduit son ami, et il le conduit par une voie qui n'est pas bonne. » (Proverbes 16, 29).

Après avoir établi l'obligation de ces avis charitables, montrons-en les conditions dans les paroles précises de notre évangile. Premièrement, chrétiens, il y faut de la fermeté et de la vigueur : car remarquez, le Sauveur n'a pas dit, Avertissez votre frère, mais, « Reprenez votre frère» (Matthieu 18, 15.).  Usez de la liberté que le nom d'amitié vous donne, ne cédez pas, ne vous rendez pas, soutenez vos justes sentiments, parlez à votre ami en ami ; jetez-lui quelquefois au front des vérités toutes sèches qui le fassent rentrer en lui-même; ne craignez point de lui faire honte, afin qu'il se sente pressé de se corriger, et que, confondu par vos reproches, il se rende enfin digne de louanges.

Mais avec cette fermeté et cette vigueur, gardez-vous bien de sortir des bornes de la discrétion : je n`aime pas ceux qui se glorifient des avis qu'ils donnent, qui veulent s'en faire honneur plutôt que d'en tirer de l'utilité, et triompher de leur ami plutôt que de le servir. Pourquoi le reprenez-vous, ou pourquoi vous en vantez-vous devant tout le monde ? C'était une charitable correction, et non une insulte outrageuse que vous aviez à lui faire. Le maître avait commandé ; écoutez le Sauveur des âmes : « Reprenez» dit-il (Matthieu 18, 15.), entre vous et lui; » parlez en secret, parlez à l'oreille. N'épargnez pas le vice; mais épargnez la pudeur, et que votre discrétion fasse sentir au coupable que c'est un ami qui parle.

Mais surtout venez animé d'une charité véritable; pesez cette parole du Sauveur des âmes : « S'il vous écoute, dit-il, vous aurez gagné votre frère. » Quoiqu'il se fâche, quoi qu'il s'irrite, ne vous emportez jamais. Faites comme les médecins pendant qu'un malade troublé leur dit des injures, ils lui appliquent des remèdes. Suivez l'exemple de saint Cyprien, dont le même saint Augustin a dit ce beau mot, qu'il reprenait les pécheurs avec une force invincible, et aussi qu'il les supportait avec une patience infatigable. Mais pendant que le Fils de Dieu nous prépare avec tant de soin des avertissements autant charitables que fermes et vigoureux, songeons à les bien recevoir. Apprenons de lui à connaitre nos véritables amis, et à les distinguer d'avec les flatteurs. Que dirai-je ici, chrétiens, et quel remède pourrai-je trouver contre un poison si subtil ? Il ne suffit pas d'avertir les hommes de se tenir sur leurs gardes ; car qui ne se tient pas pour tout averti ? Où sont ceux qui ne craignent pas les embûches de la flatterie ? mais en les craignant on y tombe ; et le flatteur nous tourne en tant de façons qu'il est malaisé de lui échapper. De dire, avec cet ancien, qu'on le connaîtra par une certaine affectation de plaire en toute rencontre, ce n'est pas aller à la source; c'est parler de l'artifice le plus vulgaire et du fard le plus grossier de la flatterie. Celle de la Cour est bien plus subtile, elle sait non-seulement avoir de la complaisance, mais encore résister et contredire, pour céder plus agréablement en d'autres rencontres.

Elle imite non-seulement la douceur de l'ami, mais encore jusqu'à sa franchise et sa liberté ; et nous voyons tous les jours que pendant que nous triomphons d'être sortis des mains d'un flatteur, un autre nous engage insensiblement, que nous ne croyons plus flatteur, parce qu'il flatte d'une autre manière : tant l'appât est délicat et imperceptible, tant la séduction est puissante. Donc, pour arracher la racine, cessons de nous prendre aux autres d'un mal qui vient de nous-mêmes. Ne parlons plus des flatteurs qui nous
environnent par le dehors ; parlons d'un flatteur qui est au dedans, par lequel tous les autres sont autorisés. Toutes nos passions sont des flatteuses, nos plaisirs sont des flatteurs ; surtout notre amour-propre est un grand flatteur qui ne cesse de nous applaudir au dedans, et tant que nous écouterons ce flatteur, jamais nous ne manquerons d'écouter les autres.

Car les flatteurs du dehors, âmes vénales et prostituées, savent bien connaitre la force de cette flatterie intérieure. C'est pourquoi ils s'accordent avec elle, ils agissent de concert et d'intelligence. Ils s'insinuent si adroitement dans ce commerce de nos passions, dans cette secrète intrigue de notre cœur, dans cette complaisance de notre amour propre, qu'ils nous font demeurer d'accord de tout ce qu'ils disent. Ils rassurent dans ses propres vices notre conscience tremblante, et mettent, dit saint Paulin, le comble à nos péchés par le poids d'une louange injuste et artificieuse. Que si nous voulons les déconcerter, et rompre cette intelligence, voici l'unique remède : un amour généreux de la vérité, un désir de nous connaitre nous-mêmes, Oui, je veux résolument savoir mes défauts : je voudrais bien ne les avoir pas ; mais, puisque je les ai, je les veux connaitre, quand même je ne voudrais pas encore les corriger ; car, quand mon mal me plairait encore, je ne prétends pas pour cela le rendre incurable, et si je ne presse pas ma guérison, du moins ne veux-je pas rendre ma mort assurée.

Apprenons donc nos défauts avec joie et reconnaissance de la bouche de nos amis; et si peut-être nous n'en avons pas qui nous soient assez fidèles pour nous rendre ce bon office, apprenons-les du moins de la bouche des prédicateurs. Car à qui ne parle-t-on pas dans cette chaire, sans vouloir parler à personne ? A qui la lumière de l'Évangile ne montre-t-elle pas ses péchés? La loi de Dieu, chrétiens, que nous vous mettons devant les yeux, n'est-ce pas un miroir fidèle, où chacun, et les rois et les sujets, peuvent se reconnaître ? mais personne ne s'applique rien. On est bien aise d'entendre parler contre les vices des hommes, et l'esprit se divertit à écouter reprendre les mauvaises mœurs. Tonnez tant qu'il vous plaira, ô prédicateur; mais l'on ne s'émeut non plus que si l'on n'avait aucune part à cette juste censure. Ce n'est pas ainsi, chrétiens, qu'il faut écouter l'Évangile, mais plutôt il faut pratiquer ce que dit si sagement l'Ecclésiastique : « L'homme sage qui entend, dit-il, quelque parole sensée, la loue et se l'applique à lui-même.» (Ecclésiastique 21, 18. ).

Voyez qu'il ne se contente pas de la trouver belle et de la louer : il ne fait pas comme plusieurs, qui regardent à droite et à gauche à qui elle est propre, et à qui elle pourrait convenir. Il ne s'amuse pas à deviner la pensée de celui qui parle, et à lui faire dire des choses à quoi il ne songe pas. Il rentre profondément en sa conscience et s'applique tout ce qui se dit. C'est là tout le fruit des discours sacrés : pendant que l'Évangile parle à tous, chacun se doit parler en particulier, confesser humblement ses fautes, reconnaître la honte de ses actions, trembler dans la vue de ses périls. Ouvrez donc les yeux sur vous-mêmes, et n'appréhendez jamais de connaitre vos péchés. Vous avez un moyen facile d'en obtenir le pardon : « Remettez, dit le Fils de Dieu (Luc 6. 37.), et il vous sera remis» pardonnez, et il vous sera pardonné.

TROISIÈME POINT.

C'est à quoi je vous exhorte, mes frères, sur la fin de ce discours. Car, après vous avoir montré la nécessité de reconnaître vos fautes, il est juste de vous donner aussi les remèdes; et le pardon des injures en est un des plus efficaces. A la vérité, chrétiens, il y a sujet de s'étonner que les hommes pèchent si hardiment à la vue du ciel et de la terre, et qu'ils craignent si peu un Dieu si juste. Mais je m'étonne beaucoup davantage que pendant que nous multiplions nos iniquités par-dessus les sablons de la mer, et que nous avons tant de besoin que Dieu nous soit bon et indulgent, nous soyons nous-mêmes si inexorables et si rigoureux à nos frères. Quelle indignité et quelle injustice !

Nous voulons que Dieu souffre tout de nous; et nous ne pouvons rien souffrir de personne. Nous exagérons sans mesure les fautes qu'on fait contre nous ; et l'homme, croit que le presser tant soit peu du pied, c'est un attentat énorme, pendant qu'il compte pour rien ce qu'il entreprend hautement contre la souveraine majesté de Dieu et contre les droits de son empire. Mortels aveugles et misérables, serons-nous toujours si sensibles et si délicats ? Jamais n'ouvrirons-nous les yeux à la vérité? Jamais ne comprendrons-nous que celui qui nous fait injure est toujours beaucoup plus à plaindre que nous qui la recevons ; que lui-même, dit saint-Augustin se perce le coeur pour nous effleurer la peau ; et qu'enfin nos ennemis sont des furieux, qui voulant nous faire boire, pour ainsi dire, tout le venin de leur haine, en font eux-mêmes un essai funeste, et avalent les premiers le poison qu'ils nous préparent?

Que si ceux qui nous font du mal sont des malades emportés, pourquoi les aigrissons-nous par nos vengeances cruelles? et que ne tâchons-nous plutôt de les ramener à leur bon sens par la patience et par la douceur? Mais nous sommes bien éloignés de ces charitables dispositions. Bien loin de faire effort sur nous-mêmes pour endurer une injure, nous croirions nous dégrader et penser trop bassement de nous-mêmes, si nous ne nous piquions d'être délicats dans les choses qui nous touchent ; et nous pensons nous faire grands par cette extrême sensibilité. Aussi poussons-nous sans bornes nos ressentiments; nous exerçons sur ceux qui nous fâchent des vengeances impitoyables ; ou bien nous nous plaisons de les accabler par une vaine ostentation d'une patience et d'une pitié outrageuse qui ne se remue pas par dédain, et qui feint d'être tranquille pour insulter davantage : tant nous sommes cruels ennemis et implacables vengeurs, qui faisons des armes offensives et des instruments de la colère, de la patience même et de la pitié.

Mais encore ne sont-ce pas là nos plus grands excès; nous n'attendons pas toujours, pour nous irriter, des injures effectives : nos ombrages, nos jalousies, nos défiances secrètes suffisent pour nous armer l'un contre l'autre; et souvent nous nous haïssons, seulement parce que nous croyons nous haïr. L'inquiétude nous prend, nous frappons de peur d'être prévenus ; et, trompés par nos soupçons, nous vengeons une injure qui n'est pas encore. Jalousies, soupçons, défiances, cruels bourreaux des hommes du monde, et source de mille injustices; à quels excès les engagez-vous ? Que méditez-vous, malheureux, et que vous vois-je rouler dans votre esprit ? Quoi, vous les allez porter, vos soupçons, jusqu'aux oreilles importantes? vous méditez même de les porter jusqu'aux oreilles du prince !

Ah! songez qu'elles sont sacrées, et que c'est les profaner trop indignement que d'y vouloir porter, comme vous faites, ou les injustes préventions d'une haine aveugle, ou les malicieuses inventions d'une jalousie cachée, ou les pernicieux raffinements d'un zèle affecté. Arrêtons-nous donc, chrétiens, prenons garde comment nous parlons du prochain, surtout à la Cour où tout est si important et si délicat. Ce demi-mot que vous dites, ce trait que vous lancez en passant, cette parole malicieuse qui donne tant à penser par son obscurité affectée, tout cela, dit le Sage, ne tombera pas à terre : «Gardez-vous donc d’une récrimination inutile, et plutôt que de dire du mal, retenez votre langue, car un propos tenu en cachette ne restera pas sans effet : la bouche qui calomnie détruit l’âme.» (Sagesse 1, 11).

A la Cour on recueille tout, et ensuite chacun commente et tire ses conséquences à sa mode. Prenez donc garde encore une fois à ce que vous dites, retenez votre colère maligne et votre langue trop impétueuse. Car il y a un Dieu au ciel qui nous ayant déclaré qu'il nous demandera compte à son jugement des paroles inutiles (Matthieu 12,36.), quelle justice ne fera-t-il pas de celles qui sont outrageantes et malicieuses ? Par conséquent, chrétiens, révérons ses yeux et sa présence ; songeons qu'il nous sera fait dans son jugement, comme nous aurons fait à notre prochain : si nous pardonnons, il nous pardonnera; si nous vengeons nos injures, « il nous gardera nos péchés, » comme dit l'Ecclésiastique, sa vengeance nous poursuivra à la vie et à la mort ; et ni en ce monde ni en l'autre jamais elle ne nous laissera aucun repos.

Ainsi n'attendons pas l'heure de la mort pour pardonner à nos ennemis; mais plutôt pratiquons ce que dit l'Apôtre : « Que le soleil ne se couche pas sur votre colère» ( Éphésiens 4, 26. ). Ce coeur tendre, ce cœur paternel ne peut comprendre qu'un chrétien, enfant de paix, puisse dormir d'un sommeil tranquille ayant le coeur ulcéré et aigri contre son frère, ni qu'il puisse goûter du repos, voulant du mal à son prochain dont Dieu prend en main la querelle et les intérêts. Mes frères, le jour décline, le soleil est sur son penchant ; l'Apôtre ne vous donne guère de loisir, et vous n'avez plus guère de temps pour lui obéir. Ne différons pas davantage une oeuvre si nécessaire : hâtons nous de donner à Dieu nos ressentiments. Le jour de la mort, Messieurs, sur lequel on rejette toutes les affaires du salut, n'en aura que trop de pressées : commençons de bonne heure à nous préparer les grâces qui nous seront nécessaires en ce dernier jour; et en pardonnant sans délai assurons-nous dès aujourd'hui l'éternelle miséricorde du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Ainsi soit-il.

MichelT

Date d'inscription : 06/02/2010

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