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Devoir des hommes - Silvio Pellico - Discours a un jeune ( Éducation) - Italie 19 eme siecle

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Devoir des hommes - Silvio Pellico - Discours a un jeune ( Éducation) - Italie 19 eme siecle Empty Devoir des hommes - Silvio Pellico - Discours a un jeune ( Éducation) - Italie 19 eme siecle

Message par MichelT Sam 13 Nov 2021 - 3:35

DEVOIRS DES HOMMES
PAR SILVIO PELLICO. ( traduit de l`Italien – 19 eme siècle - Italie)


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Avant-Propos.  
Chapitre premier. Nécessité et prix du devoir.  
Chap. II Amour de la vérité.
Chap. III. Religion.
Chap. IV. Quelques citations.
Chap. V. Résolution sur la religion.  
Chap. VI. Philanthropie ou Charité.
Chap. VII Estime de l'homme.
Chap. VIII. Amour de la patrie.
Chap. IX. Le vrai patriote.  
Chap. X. Amour filial.  
Chap. XI. Respect aux vieillards et aux ancêtres.  
Chap. XII. Amour fraternel.
Chap. XIII. Amitié.
Chap. XIV. Les études.
Chap. XV. Choix d'un état.
Chap. XVI. Frein aux inquiétudes.
Chap. XVII. Repentir et retour au bien.
Chap. XVIII. Célibat.  
Chap. XIX. Honneur à la femme.
Chap. XX. Dignité de l'amour.
Chap. XXI. Amours blâmables.

Chap. XXII. Respect dû aux jeunes filles et aux femmes des autres.  
Chap. XXIII. Mariage.  
Chap. XXIV. Amour paternel. — Amour de l'enfance et de la jeunesse.
Chap. XXV. Des richesses.  
Chap. XXVI. Respect au malheur. — Bienfaisance.
Chap. XXVII. Estime du savoir.
Chap. XXVIII. Amabilité.
Chap. XXIX. Reconnaissance.
Chap. XXX. Humilité, mansuétude, pardon.  
Chap. XXXI. Courage.
Chap. XXXII. Haute idée de la vie, et force d`âme pour mourir.

DES DEVOIRS DES HOMMES.
DISCOURS A UN JEUNE HOMME.


CHAPITRE PREMIER.

NÉCESSITÉ ET PRIX DU DEVOIR.


L’homme ne peut se soustraire à l`idée du devoir ; il lui est impossible de ne pas sentir l'importance de cette idée. Le devoir est inévitablement attaché à notre être ; notre conscience nous en avertit dès que nous commençons à faire usage de la raison ; elle nous en avertit avec plus de force à mesure que la raison s'accroît, et toujours plus fortement selon qu'elle se développe davantage. Tout ce qui est hors de nous nous en avertit également, parce que tout est régi par une loi harmonique et éternelle ; tout a une destination , celle de montrer la sagesse et de suivre la volonté de cet Être, principe et lien de toute chose.

L'homme aussi a une destination, une nature. Il faut qu'il soit ce qu'il doit être , ou sinon il perd l'estime des autres, il ne s'estime pas lui-même , et il n'est pas heureux. Sa nature est d'aspirer à la félicité , de comprendre et de prouver que pour y parvenir il faut être bon, c'est- à-dire être ce que demande son véritable bien , d'accord avec le système de l`univers, avec les vues de Dieu.

Si dans le moment de la passion nous sommes tentés d'appeler notre bien ce qui s'oppose à l'ordre et au bien d’autrui, nous ne pouvons cependant pas nous le persuader : la conscience nous crie le contraire,- et, dès que la passion a cessé , tout ce qui s'oppose à l'ordre et au bien d'autrui nous fait toujours horreur.
L'accomplissement du devoir est tellement nécessaire à notre bien , que même les douleurs et la mort , qui semblent être nos maux les plus immédiats , se changent en volupté pour l`âme de l'homme généreux qui souffre et meurt avec l'intention d'être utile à son prochain , ou de se conformer aux décrets adorables du Tout-Puissant.
L'homme étant ce qu'il doit être est donc en même temps la désunion du devoir et de la félicité. La religion exprime cette vérité d'une manière sublime, en disant qu'il est fait à l` image de Dieu. Son devoir et sa félicité sont d'être cette image , de ne vouloir pas être autre chose , de vouloir être bon parce que Dieu est bon , et qu'il lui a donné pour destination de s'élever à toutes les vertus et de devenir un avec lui.

CHAPITRE II.

AMOUR DE LA VÉRITÉ.

Le premier de nos devoirs est l'amour de la vérité et notre foi en elle. La vérité, c'est Dieu. Aimer Dieu, c'est aimer la vérité. Fortifie-toi, mon ami, dans l`amour de la vérité ; ne te laisse pas éblouir par la fausse éloquence de ces sophistes mélancoliques et furibonds qui s'étudient à jeter des doutes décourageants sur toutes choses.
La raison ne sert a rien, et devient même nuisible, quand on l`emploie à combattre la vérité, à la discréditer, à soutenir de viles suppositions; lorsque, tirant des conséquences désespérantes des maux dont la vie est semée, elle nie que la vie soit un bien ; lorsque, énumérant quelques désordres apparents dans l'univers , elle ne veut pas y reconnaître un ordre ; lorsque , frappée de l`évidence et de la mort des corps , elle a horreur de croire à l'existence d'un moi tout spirituel et immortel ; lorsqu'elle appelle songes les distinctions entre le vice et la vertu ; lorsqu'elle veut voir dans l'homme une brute, et rien de divin.

Si l`homme et la nature étaient des choses si abominables et si viles, pourquoi perdre le temps à philosopher? Il faudrait se tuer ; la raison ne pourrait conseiller autre chose. Puisque la conscience dit à tous de vivre (l'exception de quelques malades d'esprit ne prouve rien), puisque nous vivons pour aspirer au bien, puisque nous sentons que le bien de l`homme n'est pas de s'avilir et de se confondre avec les vers, mais de s`ennoblir et de s'élever à Dieu , il est évident qu'il n'y a pas de meilleur usage à faire de la raison que celui qui fournit à l'homme une haute idée de la dignité à laquelle il peut atteindre, et qui l'excite à y parvenir.

Ceci étant reconnu, repoussons hardiment le scepticisme, le cynisme, et toutes les philosophies dégradantes ; imposons-nous la loi de croire le vrai, le beau et le bon. Pour croire, il faut vouloir croire; il faut aussi aimer fortement la vérité. Cet amour seul peut donner de l'énergie à l'âme ; celui qui se plait à languir dans le doute, l'énerve.
A la foi en tous les principes droits, joins la ferme volonté d'être toi-même toujours l'expression de la vérité dans toutes tes paroles et dans toutes tes actions. La conscience de l'homme n'a de repos que dans la vérité. Celui qui ment, alors même qu'il n'est pas découvert, trouve en lui sa punition ; il sent qu'il trahit un devoir et qu'il se dégrade.
Pour ne pas contracter la vile habitude du mensonge, il n'y a pas d'autre moyen que de prendre l'invariable résolution de ne mentir jamais. Si l'on fait une seule exception à celle résolution, il n'y aura pas de raison pour n'en pas faire deux, pour n'en pas faire cinquante, pour n'en pas faire sans fin. C'est ainsi que tant d'hommes deviennent par degrés horriblement enclins à feindre, à exagérer, et même à calomnier.

Les temps les plus corrompus sont ceux ou on ment davantage : alors la défiance est générale, la défiance entre le père et le fils ; alors cette prodigieuse multiplicité de protestations, de serments et de perfidies ; alors, dans la diversité d'opinions politiques, religieuses et même purement littéraires , cette propension continuelle à supposer des faits et des intentions dénigrantes au parti opposé ; alors la persuasion qu'il est permis de déprimer, de quelque manière que ce soit ses adversaires ; alors la fureur de trouver des témoignages contre autrui ; et quand on en a trouvé dont la légèreté et la fausseté sont manifestes , de s'engager à les soutenir, à les amplifier, et à feindre de les croire valables. Ceux qui n'ont pas de sincérité dans le cœur voient toujours de la fausseté dans le cœur des autres. Si une personne qui ne leur plait pas dit quelque chose , ils prétendent qu'elle y met une mauvaise intention, si elle prie ,si elle fait l'aumône , ils remercient Dieu de n'être pas hypocrites comme elle.
Quoique tu sois né dans un siècle où le mensonge et une excessive défiance sont choses si communes, préserve-toi également de ces vices. Sois disposé à croire généreusement à la véracité des autres ; et s'ils ne croient pas à la tienne , ne t'en fâche pas ; qu'il te suffise qu'elle est « Aux yeux de Celui qui voit tout. »


CHAPITRE III.

LA RELIGION.

Tenant pour certain que l'homme est supérieur à la brute , et qu'il a en lui quelque chose de divin , nous devons avoir la plus haute estime pour tous les sentiments qui servent à l`élever ; et comme il est évident qu`aucun sentiment ne l'élève autant que celui qui le fait aspirer, malgré ses misères , à la perfection , à la félicité, à Dieu, il est obligé de reconnaitre l`excellence de la religion et de la cultiver.

Ne t'effraie pas de cette foule d'hypocrites et de railleurs qui auront l`audace de t`appeler hypocrite parce que tu seras religieux. Sans la force d'âme, on ne possède aucune vertu, on n'accomplit aucun noble devoir : même pour être pieux il ne faut pas être pusillanime. Effraie toi moins encore d'être associé, comme chrétien, à tant d'esprits incapables de comprendre toute la sublimité de la religion. Parce que les esprits vulgaires même peuvent et doivent être religieux, il ne s'ensuit pas que la religion soit une chose vulgaire. Parce que l`honnêteté est un devoir pour l’ignorant, l`homme instruit rougira-t-il d'être honnête?

Tes études et ta raison t'ont appris que le christianisme est la religion la plus pure, la plus exempte d'erreurs , la plus resplendissante de sainteté , et qui montre le plus le caractère divin. 11 n'y en a pas qui ait autant contribué à avancer et à généraliser la civilisation, à abolir ou à adoucir l'esclavage, à faire sentir à tous les hommes leur fraternité devant Dieu, leur fraternité avec Dieu lui-même. Réfléchis à tout cela , et surtout à la solidité des preuves historiques de la religion : elles sont telles , qu'elles peuvent soutenir tout examen impartial.

Et pour que les sophismes lancés contre la validité de ces preuves ne te fassent pas illusion , joins à cet examen le souvenir de cette foule de grands hommes qui les ont reconnues irrécusables , en remontant de quelques solides penseurs de notre temps, jusqu'a Dante, jusqu'à saint Thomas, jusqu'à saint Augustin, jusqu'aux premiers Pères de l`Église. Toutes les nations t'offrent des noms illustres qu'aucun incrédule n'ose mépriser.

Grotius, malgré ses erreurs sur quelques points, était chrétien, et a écrit un traité de la Vérité de la Religion. Leibniz fut l'un des plus ardents soutiens du christianisme. Newton ne crut pas au-dessous de lui de composer un traité sur la Concorde des Évangiles. Locke écrivit sur le Christianisme raisonnable. Notre Volta, qui était un très grand physicien et un homme d'une vaste instruction, fut toute sa vie un très vertueux catholique. Tous ces grands esprits et tant d’autres sont assurément de quelque poids pour attester que le christianisme est en parfaite harmonie avec la raison, c'est-à-dire avec cette raison qui n'est pas rétrécie et bornée à une seule direction, mais qui multiplie ses connaissances et ses recherches, et qui  n'est pas pervertie par la rancœur du sarcasme et de l'irréligion.

CHAPITRE IV,

QUELQUES CITATIONS.

Parmi les hommes renommés dans le monde , on en compte quelques-uns d'irréligieux , et un assez grand nombre pleins d'erreurs ou d'inconséquences par rapport à la foi; mais qu'est-ce que cela fait? Ils ont beaucoup affirmé, et n'ont rien prouvé ni contre le christianisme en général ni contre le catholicisme. Les principaux d'entre eux n'ont même pu éviter» dans quelques-uns de leurs écrits, de reconnaître la sagesse de cette religion, qu'ils haïssaient ou qu'ils suivaient si mal. Les citations suivantes, quoiqu'elles n'aient plus le mérite de la nouveauté, ne perdent rien de leur importance, et il est bon de les reproduire ici.

J.-J. Rousseau, dans son Émile, écrit ces mémorables  paroles : « J'avoue que la majesté des Écritures m'étonne ; la  sainteté de l`Évangile parle à mon cœur... Voyez les  livres des philosophes, avec toute leur pompe : qu'ils sont petits auprès de celui-là ! Se peut-il qu'un livre, à  la fois si sublime et si simple, soit l'ouvrage des hommes? Se peut-il que celui dont il fait l`histoire ne soit qu`un homme lui-même?
Montesquieu , quoiqu'il ne soit pas irréprochable en fait de religion , s'indigne néanmoins contre ceux qui attribuent au christianisme des imperfections qu'il n'a pas.

CHAPITRE V.

RÉSOLUTION SUR LA RELIGION.

« Que les considérations précédentes, et les preuves infinies qui existent en faveur du christianisme et de notre seule Église, te fassent répéter ces paroles, te fassent dire résolument:  « Je veux rester insensible à tous ces arguments toujours spécieux , mais nullement concluants , avec lesquels ma religion est attaquée. Je vois qu`il n'est pas vrai qu'elle s'oppose aux lumières ; je vois encore qu'il n'est pas vrai qu'ayant été bonne pour des siècles barbares, elle ne puisse l`être aujourd'hui, puisque après avoir convenu à la civilisation asiatique, à la civilisation grecque, à la civilisation romaine , aux gouvernements très divers du moyen âge , elle convint aussi à tous les peuples qui , après le moyen âge, se civilisèrent de nouveau , et qu'elle convient encore aujourd'hui à des intelligences qui ne le cèdent en élévation à personne. Je vois que, depuis les premiers hérésiarques jusqu'à l'école de Voltaire et de ses partisans, et jusqu'aux saint-simoniens de nos jours, tous se sont vantés d'enseigner quelque chose de meilleur, sans qu'aucun n`ait jamais pu. Donc? Donc, puisque je me glorifie d'être ennemi de la barbarie, je me glorifie d'être catholique, je plains ceux qui me tournent en dérision, et qui affectent de me confondre avec les superstitieux et les pharisiens. »

Après ces réflexions et telle protestation, sois conséquent et ferme. Honore la religion de tout ton pouvoir, de toutes tes facultés intellectuelles et morales ; professe-la également parmi les incrédules comme parmi les croyants; et professe-la non pas seulement en remplissant froide- ment et matériellement les pratiques du culte, mais en animant par de nobles pensées l` observance de ces pratiques , en t'élevant par l`admiration jusqu'à la sublimité des mystères , sans chercher orgueilleusement à les expliquer , en le pénétrant des vertus qui en découlent , et n'oubliant jamais que la seule adoration dans la prière ne sert à rien , si nous ne nous proposons pas d'adorer Dieu dans toutes nos actions.
Il est quelques hommes aux yeux desquels resplendissent la beauté et la vérité de la religion catholique; ils sentent qu'il n'est aucune philosophie qui soit plus qu'elle philosophique, plus qu'elle contraire à toute injustice, plus qu'elle encore amie de tout ce qui est avantageux a l`homme ; et néanmoins ils se laissent tristement aller au courant , ils vivent comme si le christianisme n'était que l`affaire du vulgaire, et que l`homme bien élevé ne dût point y participer. Ceux-là sont plus coupables que les véritables incrédules, et il y en a beaucoup.

Moi, qui fus de ce nombre, je sais que l`on ne peut sortir sans effort de cet état. Si jamais tu y tombais, fais-le cet effort; que les railleries du monde n'aient aucun pouvoir sur toi lorsqu'il s'agit de confesser un noble sentiment : le plus noble des sentiments est celui de 1`amour de Dieu. Mais dans le cas où tu aurais à passer des fausses doctrines ou de l’indifférence à la sincère profession de la foi, garde toi de donner aux incrédules le scandaleux spectacle d'une ridicule bigoterie et de scrupules pusillanimes; sois humble devant Dieu et devant tes semblables, mais sans oublier jamais ta dignité d`homme et sans être apostat de la saine raison. Celle d'où naît l'orgueil et la haine est la seule contraire à l`Évangile.

CHAPITRE VI.

PHILANTHR0PIE OU CHARITÉ

Ce n'est que par la religion que l`homme sent le devoir d'une pure philanthropie, d’une pure charité. Ce mot charité est admirable ; mais celui de philanthropie, quoique beaucoup de sophistes en aient abusé, est aussi un saint mot. L'apôtre s'en est servi pour exprimer l'amour de l`humanité, et même il l'a appliqué à cet amour de l'humanité qui est en Dieu. On lit dans l`Épitre a Tite3,4  (Quand parut la bonté et la philanthropie du Sauveur notre Dieu.... ) Le Tout-Puissant aime les hommes, et il veut que chacun de nous les aime. Nous l'avons déjà dit , il ne nous est donné d'être bons , d'être contents de nous , de nous estimer, qu'à la condition de l'imiter dans ce généreux amour, en souhaitant vertu et félicité à notre prochain , et en lui faisant tout le bien que nous pouvons.

Cet amour renferme presque tout le mérite de l’homme, et il fait même partie essentielle de l'amour que nous devons à Dieu, comme le montrent plusieurs passages sublimes des livres sacrés, et notamment celui-ci : « Le Roi dira à ceux qui seront à sa droite : « Venez, ô  bénis de mon Père, posséder le royaume qui vous est préparé depuis la création du monde. J'ai eu faim, et vous m’avez donné à manger; j'ai eu soif, et vous m'avez donné à boire; j'étais étranger, et vous m'avez accueilli; j'étais nu, et vous m'avez couvert; j'étais malade, et vous m'avez visité ; j'étais prisonnier, et vous  êtes venus à moi. » Alors les justes lui répondront : Seigneur, quand est-ce donc que nous vous avons vu ayant faim, et que nous vous avons nourri; ayant soif, et que nous vous avons donné à boire ; étranger, et que nous vous avons accueilli ; nu , et que nous vous avons couvert; malade ou captif, et que nous sommes allés à vous? » Et le Roi, répondant, leur dira : « Oui, vous dis-je, chaque fois que vous avez fait ces choses pour un de mes frères, quelque petit qu'il fût, c'est à moi  que vous l'avez fait. »

Formons-nous dans l`esprit un type élevé de Thorame , et travaillons à lui ressembler. Mais que dis-je? Ce type, notre religion nous le donne; et quelle n'en est pas l`excellence! Celui qu'elle offre à notre imitation est l'homme fort et patient au plus haut degré , l`ennemi irréconciliable de l'oppression et de l`hypocrisie , le philanthrope qui pardonne tout, excepté la perversité impénitente ; celui qui peut se venger, et qui ne le veut pas; celui qui fraternise avec les pauvres , et qui ne maudit pas les heureux de la terre, pourvu qu'ils se souviennent que les pauvres sont leurs frères ; celui qui n'apprécie pas les hommes selon le degré de leur science ou de leur prospérité , mais selon les sentiments de leur cœur et selon leurs actions : c'est l'unique philosophe en qui ne se trouve pas la plus petite tache; c'est l'entière manifestation de Dieu dans un être de notre espèce , c'est l`Homme- Dieu.

Avec un si digne modèle présent à l'esprit, quelle vénération n'éprouvera-t-on pas pour l'humanité? L'amour est toujours proportionné à l'estime ; pour beaucoup aimer l'humanité, il faut l'estimer beaucoup. Celui, au contraire, qui ne fait de l`homme qu'un type mesquin , ignoble , vague ; celui qui se complaît à considérer le genre humain comme un troupeau de bêtes stupides et rusées, nées uniquement pour manger, se reproduire , s'agiter, et retourner en poussière ; celui qui ne veut voir rien de grand dans la civilisation, dans les sciences, dans les arts , dans la recherche de la justice, dans notre perpétuelle tendance vers le beau , vers le bon, vers ce qui est divin : oh ! quelle raison aura-t-il , celui- là , de respecter sincèrement son semblable , de l'aimer, de le pousser avec lui à la conquête de la vertu , de s'immoler pour lui être utile?

Pour aimer l'humanité, il faut savoir regarder ses faiblesses et ses vices sans se scandaliser. Partout où nous la voyons ignorante, pensons quelle haute faculté c'est, dans l'homme, de pouvoir échapper  à tant d'ignorance en faisant usage de son intelligence; pensons quelle haute faculté c'est, dans l`homme, de pouvoir, même au milieu de beaucoup d'ignorance, pratiquer de sublimes vertus sociales, le courage, la compassion, la reconnaissance, la justice.
Ceux qui ne cherchent jamais à s'éclairer, qui ne pratiquent jamais la vertu, ne sont que des individus, et non l'humanité. Sont-ils excusables? A quel point le sont-ils? Dieu le sait. Qu`il nous suffise de savoir qu'il ne sera demandé compte à chacun que de la somme qu'il aura reçue.

CHAPITRE VII.

ESTIME DE L`HOMME.

Regardons dans l'humanité ceux qui, attestant par leurs actes sa grandeur morale, nous montrent ce que nous devons ambitionner de devenir. Nous ne pourrons peut- être pas les égaler en renommée ; mais ce n'est pas là l'important. Nous pourrons toujours les égaler en mérite intérieur, c'est-à-dire en cultivant de nobles sentiments, du moment que nous ne sommes pas des êtres incomplets ou imbéciles, et que notre vie, douée d'intelligence, peut s'étendre au-delà de l'enfance. Quand nous sommes tentés de mépriser l'humanité, en voyant de nos yeux ou eu lisant dans l'histoire ses nombreuses turpitudes, considérons les vénérables mortels que l'on y voit aussi briller. L’irascible, mais généreux Byron, me disait que c'était là l'unique moyen qu'il eût trouvé de se défendre de la misanthropie. « Le premier grand homme, me disait-il , qui me revienne alors à l'esprit, c'est toujours Moïse : Moïse relevant un peuple de l`avilissement où il est plongé, Moïse sauvant ce peuple de l'opprobre , de l`idolâtrie et de l`esclavage; lui dictant une loi pleine de sagesse ,  admirable lien entre la religion des patriarches et la religion des temps civilisés , qui est celle de l`Évangile. Les vertus et les institutions de Moïse sont le moyen  dont s'est servie la Providence pour tirer de ce peuple de grands hommes d'état, d'intrépides guerriers, de généreux citoyens, de saints zélateurs de la justice, appelés à prophétiser la chute des superbes et des hypocrites, et la civilisation future de toutes les nations.  Lorsque j'attache ainsi ma pensée au souvenir de  quelques grands hommes, et surtout à celui de mon Moïse, continuait Byron, je répète toujours avec enthousiasme ce vers sublime de Dante : Oh! Comme en les voyants je m'élève moi-même !  Et je reprends alors bonne opinion de cette chair d’Adam et des âmes quelle renferme. »

Ces paroles du grand poète anglais laissèrent dans mon âme une empreinte ineffaçable, et j'avoue que, plus d'une fois, je me suis bien trouvé d'avoir fait comme lui lorsque l'horrible tentation de la misanthropie venait m'assaillir. Les hommes magnanimes morts et vivants suffisent pour donner un démenti à quiconque se fait une idée basse de la nature de l`homme. Combien n'en vit-on pas dans l'antiquité romaine ! Combien dans la barbarie du moyen âge et dans les siècles de la civilisation moderne ! Là , les martyrs de la vérité; ici , les bienfaiteurs des affligés; ailleurs, les Pères de l`Église , admirables par la hauteur de leur philosophie et leur ardente charité; partout, de vaillants guerriers, des défenseurs de la justice, de savants poètes, des savants dans les sciences , de savants artistes ! Il ne faut pas que l`éloignement des temps, ou les magnifiques destinées de ces personnages, nous fassent imaginer qu'ils étaient presque d'une espèce différente de la nôtre. Non. A l’origine, ils n'étaient pas plus des demi- dieux que nous ; c'étaient des fils de la femme ; ils ont souffert, ils ont pleuré comme nous; ils durent, comme nous, lutter contre les mauvaises inclinations, rougir quelquefois d'eux-mêmes, et se travailler pour se vaincre. Les annales des nations , et les autres monuments qui  nous sont restés , ne nous rappellent qu'une faible partie des mortels sublimes qui parurent sur la terre, et il en est toujours des milliers et des milliers qui , sans avoir aucune célébrité, honorent, par les productions de leur esprit et par leurs bonnes actions , le nom d'homme et la fraternité qu'ils ont avec tous les nobles cœurs , la fraternité , répétons-le , qu'ils ont avec Dieu !

Rappeler l'excellence et le grand nombre des bons, ce n'est pas se faire illusion, ce n'est pas regarder l'humanité seulement de son beau côté, et nier qu'elle renferme aussi un grand nombre d'insensés et de pervers. Les insensés et les pervers abondent, il est vrai ; mais ce qu'il faut relever, le voici : Que l`homme peut être admirable par sa raison; qu'il peut ne pas se pervertir ; qu'il peut même en tout temps, quel que soit le degré de son instruction, quelle que soit sa fortune, s'élever par de hautes vertus ; que, par de telles considérations, il a droit à l'estime de toute créature intelligente. »

En lui accordant l'estime qui lui est due , en le voyant aspirer à celle perfection infinie , en le voyant appartenir au monde immortel des idées plus qu'à ces quatre jours durant lesquels , semblable aux plantes et aux bêtes, il apparaît assujetti aux lois du monde matériel ; en le voyant encore capable au moins de se détacher de ce troupeau de brutes , et de leur dire : « Je suis au-dessus de vous toutes , au-dessus de toutes les choses terrestres qui m'environnent ! » nous sentirons croître notre sympathie pour lui. Ses misères, ses erreurs même, nous inspireront une pitié plus grande dès que nous nous rappellerons quelle est la grandeur de son être. Nous nous affligerons de voir que le roi des créatures s'avilit; nous nous efforcerons, tantôt de jeter religieusement un voile sur ses fautes, tantôt nous lui tendrons la main pour qu'il se relève de la fange , et pour qu'il remonte à la hauteur d'où il est tombé ; nous nous réjouirons chaque fois que nous le verrons se ressouvenir de sa dignité , se montrer invincible au milieu des douleurs et des opprobres , triompher des épreuves les plus difficiles , et par la glorieuse puissance de sa volonté se rapprocher de son divin modèle.

CHAPITRE VIII.

AMOUR DE LA PATRIE.

Elles sont nobles toutes les affections qui unissent les hommes entre eux et qui les portent à la vertu. Le cynique, qui a tant de sophismes contre tout sentiment généreux, a coutume de faire ostentation de sa philanthropie pour déprécier l'amour de la patrie.
Il dit : « Ma patrie, c'est le monde ; le petit coin où je suis né n'a aucun droit à ma prédilection, puisqu`il n'a rien qui l'élève au-dessus de tant d'autres pays , où les hommes sont ou également bons ou même meilleurs; l'amour de la patrie n'est autre chose qu'une sorte d'égoïsme commun parmi un certain nombre d'hommes pour les autoriser à haïr le reste de l'humanité. »

Mon ami, ne sois pas le jouet d'une philosophie aussi  vile. Son caractère est de rabaisser l’homme, de nier ses vertus, d'appeler illusion, sottise ou perversité, tout ce qui tend à l'élever. Accumuler de magnifiques paroles pour blâmer toute noble tendance, toute excitation au lien de la société, c'est un art facile, mais méprisable. Le cynisme tient l`homme dans la fange ; la vraie philosophie est celle qui aspire à l'en tirer ; elle est religieuse, et honore l`amour de la patrie. Sans doute, nous pouvons dire aussi du monde entier qu'il est notre patrie. Tous les peuples sont des fractions d'une vaste famille, qui, par sa grande étendue, ne peut être régie par un même gouvernement, quoiqu'elle ait Dieu pour souverain maître. Considérer toutes les créa- tures de notre espèce comme une famille, nous rend bienveillants pour l'humanité en général. Mais cette vue n'en détruit pas d'autres également justes.

C'est encore un fait que l'humanité se divise par nations : chaque nation est cette agrégation d'hommes que la même religion, les mêmes lois , les mêmes mœurs , la même langue , la même origine , la même gloire , les mêmes plaintes et les mêmes espérances , tous ces éléments enfin, ou seulement la plupart de ces éléments, unissent par une sympathie particulière. Appeler un commun égoïsme cette sympathie et cet accord d'intérêts entre les membres d'une nation , ce serait comme si la manie de la satire prétendait avilir l'amour paternel et l'amour filial, en les peignant comme une conjuration entre chaque père et ses enfants.
Souvenons-nous toujours que la vérité a plusieurs faces ; qu'il n'est pas un sentiment vertueux qui n'ait besoin d'être cultivé. L'un d'eux, en devenant exclusif, peut-il devenir nuisible? Qu'il ne devienne pas exclusif, et il ne sera pas nuisible. L'amour de l'humanité est excellent, mais il ne doit pas exclure l'amour du sol natal. L`amour du sol natal est excellent aussi, mais il ne doit pas exclure l'amour de l'humanité.

Honte à l'âme vile qui n'applaudit pas à la multiplicité d'aspects et de motifs que peut avoir, parmi les hommes, cet instinct sacré qui les porte à fraterniser dans un échange d'honneurs , de secours et de politesse ! Deux voyageurs européens se rencontrent dans une autre partie du globe; l'un sera né à Turin, l'autre à Londres. Ils sont Européens; cette communauté de nom établit entre eux un certain lien d`amour, je dirais presque un certain patriotisme, d'où naît un louable empressement à se rendre de bons offices. Voici d'autre part quelques personnes qui ont peine à se comprendre ; elles ne parlent pas habituellement la même langue : vous ne croyez pas qu'il puisse y avoir du patriotisme entre elles, vous vous trompez. Ce sont des Suisses, celui-ci d'un canton italien, celui-là d'un canton français, cet autre d'un canton allemand. L'identité du lien politique qui les protège supplée au manque d'une langue commune, leur inspire une mutuelle affection, et les fait contribuer, par de généreux sacrifices , au bien d'une patrie qui n'est pas une nation.

Vois en Italie ou en Allemagne un autre spectacle : ce sont des hommes vivant sous des lois différentes, et par cette raison devenue des peuples différents, quelquefois contraints à guerroyer les uns contre les autres. Mais ils parlent ou du moins ils écrivent tous la même langue ; ils honorent les mêmes aïeux ; ils se glorifient de la même littérature ; ils ont des goûts semblables, un besoin réciproque d'amitié, d'indulgence, de consolation. Ces motifs les rendent, entre eux, plus charitables, plus portés a rivaliser d'obligeance.

L`amour de la patrie , qu'il s'applique à un vaste pays ou à un petit, est toujours un sentiment noble. Il n'est aucune partie d'une nation qui n'ait ses propres gloires, des princes qui lui donnèrent une puissance relative, plus ou moins considérable ; des faits historiques mémorables ; de bonnes institutions; des villes importantes; quelque trait dominant qui honore son caractère ; des hommes illustres par leur courage, par leur habileté en politique, ou par leur capacité dans les arts et dans les sciences. Chacun trouve là de bonnes raisons pour aimer avec quelque prédilection la province, la ville, le village où il est né.

Mais il faut prendre garde, soit que l`amour de la patrie s`étende au plus grand cercle , ou qu'il soit restreint au plus petit , de ne pas le faire consister dans le vain orgueil d'être né en tel ou tel lieu, et par là couver de la haine contre les autres villes , les autres provinces et les autres nations. Un patriotisme illibéral, envieux, inhumain , au lieu d'être une vertu , est un vice.

MichelT

Date d'inscription : 06/02/2010

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Message par MichelT Sam 13 Nov 2021 - 3:36

CHAPITRE IX.

LE VRAI PATRIOTE.

Pour aimer la patrie avec un sentiment véritablement élevé , nous devons commencer par lui donner en nous des citoyens dont elle n'ait pas à rougir, et dont elle puisse même s'honorer. Se moquer de la religion et des bonnes mœurs, et aimer dignement sa patrie, c'est chose incompatible, aussi incompatible que d'avoir une juste estime pour une femme que l`on aime , et de ne pas se croire obligé de lui être fidèle.

Si un homme méprise les autels, la foi conjugale, la décence, la probité, et qu'il s'écrie : « Patrie ! patrie! » ne le crois pas : c'est un hypocrite de patriotisme, c'est un très mauvais citoyen. Il n'y a de bon patriote que l'homme vertueux, 1` homme (qui comprend, qui aime tous ses devoirs, et qui se fait une étude de les remplir.) Il ne se confond jamais ni avec l`adulateur des puissants , ni avec le frondeur haineux de toute autorité : la servilité et l`irrévérence sont pareillement des excès.

S'il a des emplois civils ou militaires dans le gouvernement, son but n'est pas sa propre richesse, mais bien l'honneur et la prospérité du prince et du peuple. S'il est simple citoyen , l'honneur et la prospérité du prince et du peuple sont également son plus ardent désir, et, loin de rien faire qui leur soit contraire , il y contribue de tout son pouvoir.

Il sait que dans toutes les sociétés il y a des abus, et il désire qu'on les corrige; mais il abhorre la fureur de ceux qui voudraient les corriger par la rapine et par de sanglantes vengeances, parce que, de tous les abus, ceux- ci sont les plus terribles et les plus funestes. Il n'invoque et ne suscite aucune dissension civile ; il modère au contraire les exagérés, autant qu'il peut, par son exemple et par ses discours. Toujours disposé à l`indulgence et à la paix, il ne cesse d'être agneau que lorsque la patrie en péril a besoin d'être défendue. Alors c'est un lion qui combat, triomphe, ou meurt.

CHAPITRE X.

AMOUR FILIAL.

La carrière et tes actions commencent dans ta famille. C'est dans la maison paternelle qu'est la première lice de la vertu. Que dire de ceux qui prétendent aimer la patrie, qui font ostentation d’héroïsme, et qui manquent au plus grand des devoirs, à la piété filiale? Il n'y a pas d’amour de la patrie, pas le plus petit germe d'héroïsme, là où est une noire ingratitude.

A peine l`intelligence de l`enfant s'ouvre-t-elle à l'idée des devoirs, que la nature lui crie : « Aime tes parents!»  L'instinct de l'amour filial est si fort, qu'il semblerait  qu'il n'est besoin d’aucun soin pour le nourrir toute la vie. Cependant, comme nous l'avons déjà dit, tous nos bons instincts doivent être sanctionnés par notre volonté, sans quoi ils se détruisent. Il faut que la piété envers nos parents soit exercée par nous avec une ferme résolution.

Comment celui qui se pique d'aimer Dieu, d'aimer l'humanité, d'aimer la patrie, n’aurait-il pas la plus grande vénération pour ceux à qui il doit d'être créature de Dieu, homme , citoyen ? Un père, une mère, sont naturellement nos premiers amis ; de tous les hommes, ce sont ceux à qui nous devons le plus ; les nœuds les plus sacrés nous obligent envers eux à la reconnaissance, au respect, à l'amour , à l'indulgence, aux plus aimables démonstrations de ces sentiments.

La grande intimité dans laquelle nous vivons avec les personnes qui nous tiennent de plus près ne nous accoutume que trop facilement, hélas ! à les traiter avec une extrême négligence, et à faire trop peu de frais pour être aimables et pour embellir leur existence. Gardons-nous d'un pareil tort. Celui qui veut se rendre aimable doit apporter, dans toutes ses affections, une certaine volonté d`exactitude et de bonne grâce qui leur donne toute la perfection qu'elles peuvent avoir.

Attendre, pour se montrer observateur empressé des égards de la politesse, que l'on soit hors de chez soi, et en attendant manquer de respect et d'aménité envers ses parents, c'est de la déraison, c'est une faute. Les belles manières demandent une étude assidue, et cette étude doit commencer au sein même de la famille. « Quel mal y a-t-il , disent certaines gens , de vivre en toute liberté avec ses parents ? Ils savent bien que leurs enfants les aiment, même sans que ceux-ci affectent une amabilité extérieure, sans qu'ils s'imposent de dissimuler leurs ennuis et leurs impatiences. » Toi qui désire t`élever au-dessus du vulgaire, ne raisonne pas ainsi. Si vivre en toute liberté veut dire être grossier ( c'est en effet de la grossièreté) , il n'est pas de parenté, si intime qu'elle soit, qui la justifie.

Celui qui n'a pas le courage de s'efforcer dans sa maison, comme il le fait ailleurs , d'être agréable aux autres, d'acquérir quelque vertu , pour honorer l'homme en lui-même , et Dieu dans l'homme , est une âme pusillanime. Pour se reposer de la noble fatigue d'être bon, aimable, délicat, il est d'autre temps que le sommeil.
L'amour filial n'est pas seulement un devoir de gratitude, c`est encore un devoir d`indispensable convenance. Dans le cas rare où quelqu'un aurait des parents peu bienveillants, peu en droit d'exiger l'estime, la seule qualité d'auteurs de ses jours leur donne un caractère si respectable, qu'il ne pourrait sans infamie, je ne dirai pas les rabaisser, mais même les traiter avec négligence. En pareil cas, les égards qu'il aura pour eux auront plus de mérite, mais n'en seront pas moins une dette payée à la nature, à l'édification de ses semblables, à sa propre dignité. Malheur à celui qui se fait le censeur sévère de quelque défaut de ses parents! Et par qui commencerons-nous donc à exercer la charité, si nous la refusons à notre père, à notre mère ?

Exiger, pour les respecter, qu'ils soient sans défauts  qu'ils soient la perfection humaine, c'est orgueil et injustice, car nous qui désirons pourtant tous être respectés et aimés, sommes-nous toujours irréprochables? Quand même un père ou une mère seraient bien loin de cet idéal de sagesse et de vertu que nous voudrions, soyons ingénieux à les excuser, à cacher leurs torts aux yeux d'autrui, à apprécier leurs bonnes qualités. C'est en agissant ainsi que nous nous améliorerons nous-mêmes, que nous nous donnerons un caractère aimant, généreux, capable de reconnaître les mérites des autres.

Mon ami, ouvre souvent ton âme à cette pensée triste, mais féconde en sentiments de compassion et d`indulgence ; « Ces têtes blanches qui sont là, devant moi , qui sait si bientôt elles ne dormiront pas dans la tombe? » Ah ! Tant que tu as le bonheur de les voir, honore-les, et donne-leur les consolations nécessaires aux maux de la vieillesse, qui sont si nombreux!

Leur âge ne les porte que trop déjà à la tristesse ; ne contribue jamais à les attrister ; que tes manières et ta conduite envers eux soient toujours si aimables que ta vue seule les ranime et les réjouisse. Chaque sourire que tu rappelleras sur leurs lèvres antiques, chaque contentement que tu réveilleras dans leur cœur, sera pour eux le plus salutaire des plaisirs, et tournera à ton avantage. Les bénédictions qu'un père et une mère donnent à un fils reconnaissant sont toujours sanctionnées de Dieu.

CHAPITRE XI.

RESPECT AUX VIEILLARDS ET AUX ANCETRES.

Honore dans toutes les personnes âgées l`image de tes parents et de tes aïeux. La vieillesse inspire de la vénération à tous les cœurs bien nés. Dans l'antique Sparte, il y avait une loi qui ordonnait aux jeunes gens de se lever à l'arrivée d'un vieillard, de se taire quand il parlait, de lui céder le pas quand ils le rencontraient. Ce que, chez nous, la loi n'ordonne pas, que la décence nous le fasse faire, ce sera mieux encore. Il y a dans ce respect une telle beauté morale, que ceux-là même qui oublient de le pratiquer sont contraint de l'applaudir dans les autres.

Un vieillard athénien cherchait une place aux jeux olympiques, et tous les gradins de l'amphithéâtre étaient occupés. Quelques jeunes Athéniens lui firent signe de s'approcher, et lorsque, cédant à leur invitation, il parvint à grande peine jusqu'à eux, au lieu d'un accueil respectueux, il ne trouva que d'indignes risées. Repoussé d'un côté à l’autre, le pauvre vieillard arriva vers celui où étaient assis les Spartiates. Ceux-ci , fidèles à la coutume sacrée de leur pays , se lèvent modestement , et le font asseoir au milieu d'eux. Alors ces mêmes Athéniens (qui l'avaient si effrontément bafoué furent pénétrés d'estime pour leurs généreux rivaux, et les plus vifs applaudissements s'élevèrent de toutes parts. Les larmes coulaient des yeux du vieillard, et il s'écriait : « Les Athéniens savent ce qui est honnête, les Spartiates le font ! »

Alexandre de Macédoine et ici je lui donnerais volontiers le titre de Grand, dans le temps même que les plus éclatants succès semblaient conspirer à l’enorgueillir, savait néanmoins s'humilier devant la vieillesse. Arrêté une fois dans sa course triomphale par une quantité extraordinaire de neige, il fît brûler quelques morceaux de bois, et, assis sur son banc royal, il se chauffait, lors- qu'il vit parmi ses guerriers un homme accablé par l`âge, et tout tremblant de froid. Il s`élança vers lui, et, de ses mains invincibles qui avaient renversé l'empire de Darius , il prit le vieillard transi, et le porta sur son propre siège.

« Il n'y a de méchant que l`homme sans respect pour la vieillesse, pour les femmes et pour le malheur, » disait Parini ; et Parini usait de toute l'autorité qu'il avait sur ses disciples pour les rendre respectueux envers la vieillesse. Un jour qu'il était irrité contre un jeune homme dont on lui avait rapporté quelque tort grave, il lui arriva de le rencontrer dans une rue au moment où ce jeune homme soutenait un vieux capucin, et reprenait avec dignité quelques misérables qui l`avaient heurté. Parini se mit à gronder avec lui, et jetant ses bras autour du cou du jeune homme, il lui dit : « Il y a un moment, je te croyais un pervers; maintenant que je suis témoin de ta piété pour les vieillards, je le crois de nouveau capable de beaucoup de vertu. »

La vieillesse est surtout respectable dans ceux qui ont supporté les ennuis de notre enfance et de notre jeunesse, dans ceux qui contribuèrent de tout leur pouvoir à nous former l'esprit et le cœur. Ayons de l`indulgence pour leurs défauts, et apprécions généreusement les peines
que nous leur avons coulées, l'affection qu'ils eurent pour nous, et la douce récompense qu'ils attendent de la continuation de notre amour. Non, celui qui se consacre de tout cœur à l`éducation de la jeunesse n'est pas assez payé par le pain que si justement on lui donne; ce sont des soins de père et de mère, et non ceux d'un mercenaire. Ils ennoblissent celui qui en fait son habitude; ils accoutument à aimer, et donnent le droit d'être aimé.

Portons un respect filial à tous nos supérieurs, parce qu`ils sont nos supérieurs. Portons un respect filial à la mémoire de tous les hommes qui ont bien mérité de la patrie ou de l'humanité. Que leurs écrits, leurs images et leurs tombes nous soient sacrés. Quand nous considérons les siècles passés et les traces de barbarie qu'ils nous ont laissées, quand nous gémissons sur beaucoup de maux présents, et qu'ils se montrent à nous comme les conséquences des passions et des erreurs des temps passés , ne cédons pas à la tentation de blâmer nos aïeux.

Faisons-nous conscience d'être pieux dans nos jugements sur eux. Ils entreprenaient des guerres que maintenant nous déplorons ; mais n'étaient- ils pas justifiés par la nécessité, ou par d'innocentes illusions que nous ne pouvons apprécier à une aussi grande distance? Ils eurent recours à des interventions étrangères qui leur devinrent funestes; mais la nécessité ou d'innocentes illusions ne les justifiaient-ils pas encore? Ils fondèrent des institutions qui ne nous plaisent pas ; mais est-il bien sûr qu'elles ne convinssent pas à leur temps , qu'elles ne fussent pas la meilleure combinaison de la science humaine avec les éléments sociaux que leur offrait l'époque?

La critique doit être éclairée, mais non cruelle, envers nos pères ; non calomniatrice, non dénuée de révérence, envers ceux qui ne peuvent sortir du tombeau et nous dire : « Enfants, la raison de notre conduite, la voici! » On sait le mot célèbre du vieux Caton : « C'est chose difficile que de faire comprendre aux hommes qui viendront dans un autre siècle ce qui justifie notre vie. »

CHAPITRE XII.

AMOUR FRATERNEL.
Tu as des frères et des sœurs ; fais en sorte que l'amour que tu dois à tes semblables commence à se réaliser en toi, dans toute sa perfection , d'abord envers les auteurs de tes jours, puis envers ceux qui te sont unis par la plus étroite des fraternités , celle d'être nés des mêmes parents que toi. Pour bien pratiquer la divine science de la charité envers tous les hommes, il faut en faire l`apprentissage en famille.

Quelle douceur n'y a-t-il pas dans cette pensée : « Nous sommes enfants de la même mère ! » Quelle douceur encore d'avoir trouvé, à peine venus au monde, les mêmes objets à vénérer avec prédilection ! L'identité du sang et la ressemblance de beaucoup d’habitudes, entre frères et sœurs, font naître tout naturellement une forte sympathie , qui ne pourrait être détruite que par un horrible égoïsme.

Si tu veux être bon frère, garde toi de ce vice ; propose-toi chaque jour d`être généreux dans tes relations fraternelles ; que chacun de tes frères, que chacune de tes sœurs voie que ses intérêts te sont aussi chers que les tiens. Si l'un d'eux fait une faute, sois indulgent pour lui, non seulement comme tu le serais pour un autre, mais plus encore. Réjouis-loi de leurs vertus ; imite-les, et excite-les par ton exemple ; fais qu'ils bénissent le sort de t`avoir pour frère.

Ils sont infinis les motifs de douce reconnaissance, de souhaits affectueux, de tendres craintes, qui contribuent sans cesse à alimenter l'amour fraternel; mais il faut néanmoins y réfléchir ; autrement, ils passent souvent inaperçus. Commandons- nous de les sentir.

Les sentiments exquis ne s'acquièrent qu'avec une ferme volonté. De même que nul ne devient savant en poésie ou en peinture sans l`étude, nul aussi ne comprend l'excellence de l'amour fraternel, ou de quelque autre affection noble, sans une constante volonté de la comprendre. Que l'intimité domestique ne te fasse oublié d`être poli avec tes frères. Sois plus aimable encore avec tes sœurs.

Leur sexe est doué d'une grâce puissante. Elles se servent ordinairement de ce don céleste pour égayer la maison et en bannir la mauvaise humeur, pour adoucir les reproches paternels ou maternels qu'elles entendent quelquefois. Honore en elles la suavité des vertus de la femme ; réjouis-toi de l'influence qu'elles exercent sur ton âme pour l'adoucir.

Puisque la nature les a faites plus faibles et plus sensibles que toi, sois d'autant plus attentif à les consoler si elles ont de l`affliction, à ne pas les affliger toi-même, à leur témoigner constamment respect et amour. Ceux qui contractent, entre frères et sœurs, des habitudes malveillantes et grossières, restent malveillants et grossiers avec tout le monde. Que le commerce de famille soit tout-à-fait beau, tendre, saint ; et quand l`homme sortira de sa maison, il portera dans ses relations avec le reste de la société ce besoin d’estime, d'affections nobles, cette foi dans la vertu , qui est le fruit d'un exercice journalier de sentiments élevés.

CHAPITRE XIII.

AMITIÉ.

Outre ton père , ta mère , et les autres parents qui sont les amis les plus immédiats que la nature t'ait donnés ; outre ces maîtres qui ont si bien mérité ton estime , et que tu te plais à nommer tes amis , il t'arrivera d'éprouver une sympathie particulière pour d'autres dont les vertus te seront moins connues , et principalement pour les jeunes gens à peu près de ton âge. Quand dois-tu céder à cette sympathie, ou quand dois- tu la réprimer? La réponse n'est pas douteuse.

Nous devons de la bienveillance à tous les hommes ; mais nous ne devons porter cette bienveillance jusqu'à l'amitié que pour ceux qui méritent notre estime. L'amitié est une fraternité, et, dans son sens le plus élevé, elle est le bel idéal de la fraternité. C'est un accord suprême de deux ou trois âmes, jamais d'un grand nombre, qui sont devenues nécessaires l'une à l’autre, qui ont trouvé l'une dans l'autre la plus grande disposition à se comprendre, à s'entraider, à s'interpréter noblement, à s'exciter au bien.

De toutes les sociétés, dit Cicéron , aucune n`est plus noble, aucune n'est plus stable, que celle qui est formée par des hommes de bien , unis par la conformité des mœurs et par l`amitié : {De Officis., lib. i, cap. ^8.) Ne déshonore pas le nom sacré d'ami, en le donnant à l'homme qui n'a que peu ou pas de vertu.

Celui qui hait la religion , celui qui ne prend pas le plus grand soin de sa dignité d'homme , celui qui ne sent pas qu'il doit honorer sa patrie par son esprit et par sa moralité, celui qui est fils irrespectueux et frère malveillant, fut-il l`être le plus merveilleux par le charme de son extérieur et de ses manières, par l'éloquence de sa parole, par la multiplicité de ses connaissances et même par quelque brillant élan aux actions généreuses , celui-là ne doit pas l'engager à te faire son ami. Te témoignât-il la plus vive affection , ne lui accorde pas ton intimité : l` homme vertueux a seul les qualités nécessaires à un ami.

Avant de reconnaître un homme pour vertueux, la seule possibilité qu'il ne le soit pas doit te tenir, à son égard, dans les bornes d'une politesse générale. Le don du cœur est une trop grande chose ; se presser de le jeter est une imprudence coupable, c'est une indignité. Quiconque se lie avec des compagnons pervers se pervertit lui-même, ou du moins fait rejaillir honteusement sur lui leur infamie.

Mais heureux celui qui trouve un digne ami ! Abandonné à ses propres forces, souvent sa vertu languissait ; l'exemple et l`approbation de son ami la redoublent. Peut- être s’effrayait-il d'abord, se sentant enclin à beaucoup de défauts et n'ayant pas la conscience de son mérite ; l'estime d'un homme qu'il aime le relève à ses propres yeux. Il éprouve encore une secrète honte de ne pas posséder toutes les vertus que lui suppose l'indulgence d'un autre; mais son courage s'accroit pour travailler à se corriger. Il se réjouit que ses bonnes qualités sont utiles à son ami ; il lui en est reconnaissant; il ambitionne d'en acquérir d'autres ; et , grâce à l`amitié , on voit quelquefois s'avancer vigoureusement vers la perfection un homme qui en était loin et qui en serait resté loin. Ne veuille pas à toute force avoir des amis. Il vaut mieux en manquer, que de devoir se repentir de les avoir choisis avec précipitation : mais quand tu en as trouvé un , honore-le d`une haute amitié. Ce noble sentiment a été sanctionné par tous les philosophes; il l`est par la religion.

Nous en trouvons de beaux exemples dans l'Écriture :
« L'âme de Jonathas s'unit à l'âme de David... Jonathas l`aima comme son âme.... » Mais, ce qui est mieux encore, l`amitié fut consacrée par le Rédempteur lui-même!

II tint sur son sein la tête de Jean, qui dormait , et , du haut de la croix , avant que d'expirer, il prononça ces divines paroles , toutes d'amour filial et d'amitié : « Mère ,voici votre fils ! Disciple, voilà ta mère ! »
Je crois que l'amitié (j'entends l'amitié élevée, la véritable amitié, celle qui est fondée sur une grande estime) est presque nécessaire à l`homme, pour le retirer de ses vils penchants. Elle donne à l`âme quelque chose de poétique, de sublime, de fort, sans lequel il lui serait difficile de s'élever au-dessus du terrain fangeux de l`égoïsme.

Mais une fois cette amitié conçue et promise, il faut en graver les devoirs dans ton cœur. Ils sont en grand nombre ! Il ne s'agit de rien moins que de te rendre pendant toute ta vie digne de ton ami ! Quelques-uns conseillent de ne se lier d'amitié avec personne , parce que cela occupe trop le cœur, distrait l`esprit , et produit les jalousies ; mais moi , je suis de l'avis d'un excellent philosophe , saint François de Sales , qui appelle cela « un mauvais conseil. »

Il accorde qu'il peut bien être prudent d'empêcher les affections particulières dans les cloîtres : « Mais dans le monde, dit-il , il est nécessaire qu'ils s'unissent ceux qui veulent combattre sous la bannière de la vertu , sous la bannière de la croix.... Les hommes qui vivent dans le siècle , où il y a tant de pas difficiles à franchir pour aller à Dieu , sont semblables à ces voyageurs qui, dans des chemins rudes ou glissants , se tiennent les uns aux autres pour se soutenir, pour marcher avec plus de sûreté. »
Au fait, les méchants se donnent la main pour faire le mal : les bons ne devraient-ils pas se la donner pour faire le bien?

CHAPITRE XIV

LES ÉTUDES.

Dès que tu le peux, c'est un devoir sacré pour toi de cultiver ton esprit ; cela te rendra plus apte à honorer Dieu , ta patrie , tes parents , tes amis. Cette folle opinion de Rousseau , que le sauvage est le plus heureux des mortels , que l'ignorance est préférable au savoir, est démentie par l'expérience. Tous les voyageurs ont trouvé le sauvage très malheureux ; nous voyons tous que l'ignorant peut être bon , mais que celui qui est instruit peut l'être également, et qu'il doit l'être même avec plus de perfection.

Le savoir n'est nuisible que lorsqu'il se joint à l`orgueil. Quand il s`allie à la modestie, il porte l'âme à aimer Dieu et le genre humain plus profondément. Tout ce que tu apprends, applique-toi à l'apprendre avec le plus de profondeur possible. Les études superficielles ne produisent que trop souvent des hommes médiocres et présomptueux , qui , ayant secrètement la conscience de leur nullité, n'en sont que plus passionnés pour se liguer avec des êtres ennuyeux qui leur ressemblent , pour crier par le monde qu'ils sont grands et que les véritables grands sont petits. De là naissent les querelles continuelles des pédants contre les esprits supérieurs, et des vains déclamateurs contre les bons philosophes ; de là cette erreur qui porte quelquefois la multitude à révérer ceux qui crient le plus et qui en savent le moins.

Notre siècle ne manque pas d'hommes de grand savoir, mais le nombre des savants superficiels remporte honteusement ( 19 eme siècle). Dédaigne d'être compté parmi eux ; dédaigne-le, non par vanité, mais par le sentiment du devoir, par amour pour ta patrie, par une haute estime de l`intelligence humaine que tu as reçue du Créateur. Si tu ne peux devenir profond dans plusieurs sciences, parcours-en légèrement quelques-unes , afin d'en acquérir seulement ces notions qu'il n'est pas permis d'ignorer ; mais fais un choix parmi ces diverses sciences ,concentre-y toute la force de tes facultés, et surtout ta volonté, pour ne rester en arrière de personne.
Voici en outre un très bon conseil de Sénèque : « Si tu veux que la lecture laisse en toi des impressions durables, borne-toi à quelques auteurs pleins d'un esprit sage, et nourris-toi de leur substance. Être partout, c'est n'être jamais en un lieu particulier. Une vie passée en voyages fait connaître beaucoup d'hôtes et peu d'amis. Il en est de même de ces lecteurs précipités qui , sans prédilection pour aucun livre , en dévorent un nombre infini. »

Quelle que soit l'étude à laquelle tu t'affectionneras principalement, préserve-toi d'un défaut assez commun, celui de devenir tellement l'admirateur exclusif de ta science, qu'elle te fasse mépriser celles auxquelles tu n'auras pu t'appliquer. Les vulgaires dédains de certains poètes contre la prose, de certains prosateurs contre la poésie, des naturalistes contre les métaphysiciens et vice versa, ne sont que des puérilités. Toutes les sciences, tous les arts, tous les moyens de faire sentir le vrai et le beau , ont droit à l'hommage de la société , et principalement à celui de l'homme cultivé.

Il n'est pas vrai que les sciences exactes et la poésie s'excluent. Buffon fut un grand naturaliste , et son style brillant est animé d'une merveilleuse chaleur poétique. Mascheroni était bon poète et bon mathématicien. En cultivant la poésie et les autres sciences du beau , prends garde d'ôter à ton esprit la faculté de se poser froidement sur des calculs , ou sur des méditations logiques. Si l'aigle disait : « Ma nature est de voler , je ne puis considérer les objets qu'en volant , » ce serait ridicule ; car il peut considérer bien des choses sans déployer ses ailes.

D'un autre côté, si les études d'observation te demandent du sang-froid , ne t'habitue pas à croire pour cela que l'homme est parfait quand il a éteint tout le fou de son imagination, et tué en lui tout sentiment poétique. Ce sentiment bien réglé, au lieu d'affaiblir la raison, ne fait que la renforcer en certains cas.

Dans les études comme dans la politique, méfie-toi des partis et de leurs systèmes. Examine ces systèmes pour les connaître, pour les comparer à d'autres et pour les juger, mais non pour être leur esclave. A quoi aboutirent ces disputes entre les enthousiastes et les détracteurs également furieux d’Aristote, de Platon et d'autres philosophes ; ou bien celles entre les enthousiastes et les détracteurs de l'Arioste et du Tasse? Ces grands maîtres ,tour à tour idolâtrés et vilipendés , restèrent ce qu'ils étaient , ni dieux ni esprits médiocres ; ceux qui s'agitaient pour les peser dans de fausses balances furent tournés en dérision, et le monde, qu'ils ont assourdi de leurs débats, n'a rien appris.

Efforce-toi, dans toutes les études que tu fais, d'unir un discernement calme à la pénétration , la patience de l'analyse à la force de la synthèse; mais surtout aie la volonté de ne pas te laisser abattre par les obstacles , et de ne pas te laisser enorgueillir par les triomphes ; c'est- à -dire aie la volonté de t'éclairer de la manière que Dieu le permet, avec hardiesse, mais sans arrogance.

CHAPITRE XV.

CHOIX D`UN ÉTAT.

Le choix d'un état est de la plus haute importance. Nos pères disaient que, pour le bien faire , il fallait invoquer l`inspiration de Dieu. Je ne sache pas que, même aujourd’hui, on puisse dire autrement. Réfléchis avec une religieuse et sérieuse attention à ton avenir présumé parmi les hommes, et prie. Lorsque tu auras entendu dans ton cœur la voix divine qui te dira, non un jour seulement, mais des semaines, des mois entiers, et toujours avec une plus grande puissance de persuasion : « Voici l'état que tu dois choisir ! » obéis-lui avec une volonté ferme et courageuse.

Entre dans cette carrière que tu auras choisie, et va en avant ; mais en y portant les vertus qu'elle exige. Moyennant ces vertus, tout état est excellent pour celui qui y est appelé. Le sacerdoce, qui épouvante celui qui l'a embrassé légèrement et avec un cœur avide de plaisirs, fait les délices et l`honneur de l'homme pieux et recueilli ; la vie monastique elle-même, que tant de gens dans le monde regardent comme insupportable et d'autres comme méprisable, fait les délices et l'honneur du philosophe religieux qui ne se croit pas inutile à la société, parce qu’il n'exerce sa charité qu'au profit de quelques autres moines et de quelques pauvres cultivateurs. La toge, que beaucoup portent comme un poids énorme, à cause des soins patients qu'elle exige, est légère à l`homme chez qui domine le zèle de défendre, par son savoir, les droits de son semblable. Le noble métier des armes à un charme infini pour celui qui est animé de courage, et qui sent qu'il n'y a pas d'action plus glorieuse que celle d'exposer ses jours pour sa patrie.

Chose admirable ! tous les états, depuis le plus élevé jusqu'à celui de l`humble artisan, tous ont leur douceur et une véritable dignité. Il suffit de vouloir nourrir en soi les vertus qui appartiennent à chacun d'eux. C'est parce que peu de personnes seulement nourrissent ces vertus, que l'on entend si souvent maudire la profession que l`on a embrassée.

Toi, lorsque tu auras choisi avec prudence une carrière, n'imite pas ces gens qui se lamentent éternellement. Ne te laisse agiter ni par un vain repentir, ni par une velléité de changer. Toute voie dans cette vie à ses épines. Dès que tu auras posé le pied dans l`une de ces voies, poursuis-la; rétrograder, c'est faiblesse. Excepté dans le mal, il est toujours bien de persévérer. Celui-là seul qui persévère dans son entreprise peut espérer d'arriver à quelque distinction.

CHAPITRE XVI.

FREIN AUX INQUIÉTUDES.

Beaucoup persévèrent dans la carrière qu'ils ont choisie, et s'y affectionnent; mais ils s'irritent de voir que telle autre profession rapporte de plus grands honneurs , une plus grande fortune ; ils s'irritent , parce qu’ils leur semble qu'ils ne sont pas assez estimés, assez récompensés; ils s'irritent, parce qu’ils ont trop de rivaux, et parce- que tous ne consentent pas à rester au-dessous d'eux.

Chasse loin de toi de telles inquiétudes : celui qui se laisse dominer par elles a perdu sa part de félicité sur la terre; il devient orgueilleux et quelquefois ridicule en s'appréciant lui-même plus qu'il ne vaut, et il devient injuste en estimant toujours moins qu'ils ne valent ceux à qui il porte envie.

Il est certain que, dans la société humaine, les mérites ne sont pas toujours récompensés dans de justes proportions. Celui qui excelle en quelque chose a souvent trop de modestie pour se faire connaître, et souvent aussi il est tenu dans l'obscurité ou dénigré par des gens audacieux et médiocres, qui ambitionnent de le surpasser en fortune. Le monde est ainsi, et il n'y a pas d'espérance qu'il change en cela.

Il ne te reste donc qu'à sourire à cette nécessité et à t'y résigner. Grave bien dans ton esprit cette forte vérité : L'important, c'est d'avoir du mérite, et non d'avoir un mérite récompensé par les hommes. S'ils le récompensent, c'est très bien ; sinon le mérite s'accroît en le conservant, quoiqu'il ne soit pas récompensé. La société serait moins vicieuse, si chacun cherchait à mettre un frein à ses inquiétudes et à ses ambitions : non en devenant insouciant d'augmenter sa prospérité, non en devenant paresseux ou apathique , ce seraient d'autres excès ; mais en ne portant en soi que de nobles ambitions et non des ambitions frénétiques ni envieuses, mais en se limitant au point que l`on ne peut franchir , mais en se disant : « Si je ne suis pas arrivé à ce degré d'élévation dont je me croyais digne, dans ma position inférieure je suis toujours le même homme, et j'ai toujours la même valeur intrinsèque. »

Un homme n'est pardonnable de s'inquiéter pour obtenir la rétribution de ses œuvres, que lorsqu'il s'agit de son nécessaire et de celui de sa famille. Au-delà du nécessaire, tous les accroissements de prospérité qu'il est permis de rechercher, il faut les désirer avec calme. S'ils nous viennent, que Dieu soit béni, ce nous sera un moyen de rendre notre vie plus douce et d'être utiles aux autres. S'ils ne viennent pas , que Dieu soit également béni : on peut vivre dignement, même sans beaucoup de douceurs ; et si l`on ne peut être utile aux autres, la conscience n'en fera aucun reproche.

Fais tout ce qui est en ton pouvoir pour être citoyen utile et pour engager les autres à l'être aussi, puis laisse aller les choses comme elles vont. Gémis des injustices et des malheurs dont tu es témoin, mais ne deviens pas ours pour cela ; ne te laisse pas aller à la misanthropie, ou, ce qui serait pis encore , à cette fausse philanthropie qui , sous prétexte du bien des hommes, est dévorée de la soif du sang , et qui contemple la destruction comme un admirable édifice, comme Satan contemple la mort.

Celui qui est ennemi de toute réforme possible des abus de la société est un pervers ou un insensé ; mais celui qui devient cruel par amour pour la réforme est également un pervers ou un insensé, et même à un plus haut degré. Sans le calme de l`esprit, la plupart des jugements humains sont faux ou méchants. Le calme de l`esprit seul te rendra fort dans la souffrance, fort et persévérant dans tes actions, juste, indulgent, aimable avec tous.

CHAPITRE XVI.

REPENTIR ET RETOUR AU BIEN.

En te recommandant de bannir l'inquiétude, je t'ai dit de ne pas te laisser aller à la paresse, surtout dans le dessein de devenir chaque jour meilleur. Il s’abuse, l`homme qui dit : « Mon éducation morale est faite, et mes œuvres tout affermie. » Nous devons sans cesse apprendre à nous faire une règle pour le jour présent et pour les jours à venir ; entretenir sans cesse la ferveur de notre vertu par de nouveaux actes ; avoir sans cesse mémoire de nos fautes et nous en repentir.

Oui, nous en repentir ! Rien de plus vrai que ce que dit l'Église : que notre vie doit être toute de repentir et d'aspiration à nous amender. Le christianisme n'est pas autre chose. Et Voltaire lui-même, dans un de ces moments où il n'était pas dévoré de la fureur de s'en moquer, écrivit : « La confession est une chose excellente ; c'est « un frein pour le péché, inventé dans l'antiquité la plus reculée ; la confession était en usage dans la célébration  de tous les mystères antiques. Nous n'avons fait qu'imiter et sanctifier cette sage coutume ; elle est très efficace pour ramener les âmes ulcérées de la haine au pardon. »

Il serait honteux que ce dont Voltaire ne craint pas de convenir ici ne fut pas senti par celui qui s'honore d'être chrétien. Prêtons l'oreille à la voix de notre conscience , rougissons des actions qu'elle nous reproche , confessons-les pour nous en purifier, et ne cessons jamais , jusqu'à la fin de notre vie , d'avoir recours à cette sainte piscine. Si cela ne se pratique pas avec une volonté endormie ; si l'on ne se contente pas de condamner du bout des lèvres les fautes dont on se souvient; si au repentir se joint un véritable désir de s'amender, en rira qui voudra ; mais rien ne peut être plus salutaire , plus sublime , plus digne de l'homme.

Lorsque tu te reconnais coupable d'une faute, n'hésite pas à la réparer. Ce n'est qu'en la réparant que tu auras la conscience satisfaite. Le retard apporté à la réparation enchaîne l`âme au mal par un lien chaque jour plus fort , et l'habitue à se mésestimer. Et malheur à l'homme lorsqu`il se mésestime intérieurement ! Malheur à lui lorsqu'il feint de s'estimer, en sentant dans sa conscience une corruption qui n'y devrait pas être! Malheur à lui lorsqu`il croit qu'il n'y a pour cette corruption d'autre remède que de la dissimuler ! Il est déchu du rang des êtres nobles; c'est un astre tombé, un malheur de la création.

Si quelque jeune impudent t'accuse de faiblesse parce que , comme lui , tu ne t'obstines pas à persévérer dans tes fautes , réponds-lui qu'il y a plus de force à résister au vice qu'à s'y laisser entraîner ; réponds-lui que l'arrogance du pécheur n'est qu'une force factice , puisqu'il est certain qu'il la perd au lit de la mort , s'il n'est pas dans le délire ; réponds-lui que la force que tu désires est précisément celle de dédaigner les moqueries, lorsque tu abandonnes la mauvaise voie pour suivre celle de la vertu.

Quand tu as commis une faute, ne ment jamais pour la nier ou pour l'atténuer : le mensonge est une hideuse faiblesse. Avoue que tu as failli ; c'est là qu'est la magnanimité, et la honte que te coûtera cet aveu te vaudra les éloges des gens de bien. S'il t’arrive d'offenser quelqu’un, aie la noble humilité de lui en faire tes excuses. Comme toute ta conduite montrera que tu n'es pas un lâche, personne pour cela ne t'accusera de lâcheté. S'obstiner dans l'insulte et en venir au duel ou à une éternelle inimitié, plutôt que de se rétracter honorablement, ce sont des forfanteries d'hommes orgueilleux et féroces, ce sont des infamies que vainement on s'efforce de parer du nom brillant d'honneur.

Il n'y a d'honneur que dans la vertu, et il n'y a de vertu qu'à la condition de se repentir continuellement du mal et de s'en proposer la réparation.



CHAPITRE XVII.

CÉLIBAT.

Lorsque tu auras pris parmi les carrières sociales celle qui te convient , et qu'il te semblera avoir donné à ton caractère assez de fermeté dans les bonnes habitudes pour pouvoir être dignement homme, alors et pas plus tôt , si ton intention est de te marier, applique-loi à choisir une femme qui mérite ton amour. Mais avant de renoncer au célibat, réfléchis bien si tu ne devrais pas le préférer.

Dans le cas où tu n'aurais pas su dompter assez ton penchant à la colère, à la jalousie, au soupçon, à l`impatience, à une domination dure, pour espérer être aimable avec une compagne, aie la force de renoncer aux douceurs du mariage. Tu ne prendrais une femme que pour la vouer au malheur, et l'y vouer toi-même. Dans le cas où tu ne rencontrerais pas une personne qui réunît toutes les qualités qui te sembleraient nécessaires pour te rendre heureux, et pour qu'elle mît en toi tout son amour, ne te laisse pas entraîner à prendre une femme : ton devoir est de rester célibataire, plutôt que de jurer un amour que tu n'aurais pas.
Mais, soit que tu prolonges seulement le célibat, soit que tu y restes pour toujours, honore-le par les vertus qu'il prescrit, et sache en apprécier les avantages. Oui, cet état a ses avantages ; et, dans quelque condition que l'homme se trouve, il doit les reconnaître et les apprécier ; autrement il s'y croira malheureux ou dégradé, et diminuera en lui le courage d'agir avec dignité.

La manie de se montrer furieux des désordres sociaux, et l`opinion qu'il faut peut-être les exagérer pour en amener la réforme, porte souvent des hommes d'une éloquence véhémente à tourner l'attention des autres sur les scandales que donnent beaucoup de célibataires, et à crier que le célibat est contre nature, que c'est une énorme calamité, et la cause la plus puissante de la dépravation des peuples.
Ne te laisse pas exalter par ces hyperboles. Il n'est que trop vrai que le célibat a ses scandales ; mais parce que les hommes ont des bras et des jambes , et qu'il en résulte quelquefois aussi le scandale qu'ils se donnent des coups de poing et des coups de pied, cela ne veut pas dire que les bras et les jambes soient une très mauvaise chose. Ceux qui entassent les considérations sur l'immoralité prétendue inséparable du célibat, devraient aussi énumérer les maux qui résultent de la décision au mariage sans y avoir de l'inclination.

Aux courtes folies des noces succèdent l`ennui, l'horreur de ne plus être libre. On s'aperçoit que le choix fut trop précipité, que les caractères sont incompatibles. Du regret réciproque, ou de celui de l'un des époux, naissent les grossièretés, les offenses, les cruelles et journalières amertumes. La femme, l'être le plus doux et le plus généreux des deux, est ordinairement la victime de ce funeste désaccord, ou en en souffrant jusqu'à la fin de ses jours, ou , ce qui est pis encore , en se dénaturant , en perdant sa bonté , en ouvrant son cœur à des affections dans les- quelles elle croit trouver une compensation au manque d'amour conjugal , et qui ne lui apportent que l'ignominie et le remords. De ces malheureux mariages naissent des enfants qui pour première leçon ont l'indigne conduite de leur père ou de leur mère, ou de tous les deux à la fois ; des enfants que, pour cela, l'on aime peu ou que l'on aime mal ; auxquels on donne peu ou point d'éducation ; qui n'ont aucun respect pour leurs parents , aucune tendresse pour leurs frères , aucune notion des vertus domestiques , qui sont la base des vertus civiles. Toutes ces choses sont si fréquentes, qu'il suffit d'ouvrir les yeux pour les voir. Personne ne me taxera d'exagération.

Je ne nie pas les maux qui naissent du célibat mais quiconque réfléchira aux autres maux dont je parle ne les jugera certainement pas moindres, et dira avec moi, d'une infinité d'époux : « Oh! Que n'ont-ils jamais prononcé ce fatal serment ! »

Une grande partie des mortels est appelée au mariage; mais le célibat est aussi dans la nature. S'affliger que tous ne travaillent pas à la reproduction est ridicule. Le célibat, quand il est choisi par de bonnes raisons, et qu'il est gardé avec honneur, n'a rien de méprisable ; il est même très digne de respect , comme toute espèce de sacrifice raisonnable fait dans de bonnes vues. En affranchissant des soins d'une famille , le célibat laisse à ceux-ci plus de temps et plus de vigueur pour se livrer à de hautes études ou aux sublimes ministères de la religion ; à ceux-là , plus de moyens d'être utiles à des parents qui ont besoin de leur aide ; à d'autres enfin , une plus grande liberté d'affections, qu'ils peuvent répandre sur beaucoup de pauvres. Et tout cela ne serait pas un bien ?
Ces réflexions ne sont point inutiles. Pour abandonner le célibat, ou pour l'embrasser, il faut savoir ce que l`on abandonne ou ce que l'on embrasse. Les déclamations partiales bouleversent le jugement.

MichelT

Date d'inscription : 06/02/2010

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Devoir des hommes - Silvio Pellico - Discours a un jeune ( Éducation) - Italie 19 eme siecle Empty Re: Devoir des hommes - Silvio Pellico - Discours a un jeune ( Éducation) - Italie 19 eme siecle

Message par MichelT Sam 13 Nov 2021 - 3:38

CHAPITRE XIX.

HONNEUR A LA FEMME.


Le vil et railleur cynisme est le génie du vulgaire ; comme Satan, il forge sans cesse des calomnies contre le genre humain, pour le porter à rire de la vertu et à la fouler aux pieds. Il recueille tous les faits qui déshonorent l'autel ,et dissimulant ceux qui l'honorent , il s'écrie : « Qu'est-ce que Dieu ? qu'est-ce que l'influence bienfaisante du sacerdoce et de l'instruction religieuse? chimères de fanatiques! » Il recueille tous les faits qui déshonorent la politique, et s'écrie : « Qu'est-ce que les lois? qu'est-ce que l`ordre civil? qu'est-ce que l'honneur? qu'est-ce que le patriotisme? Tout cela est guerre de ruse et de force du côté de ceux qui gouvernent ou qui aspirent à gouverner, imbécillité du côté de ceux qui obéissent ! »

II recueille tous les faits qui déshonorent le célibat, le mariage, la paternité, la maternité, la position de fils, de parent, d'ami; il crie avec une joie infâme : « J'ai dé- couvert que tout cela n'est qu’égoïsme, imposture, fureur des sens, aversion et mépris réciproque ! » Les fruits de cette sagesse infernale et menteuse sont précisément l'égoïsme, l`imposture, la fureur des sens, l'aversion et le mépris réciproque. Comment le génie honteux du vulgaire, qui est le profanateur de toute chose excellente, ne serait-il pas souverainement l`ennemi de la vertu de la femme, et ardent à l'avilir?

Dans tous les siècles, il s'est efforcé de la peindre méprisable, de ne voir en elle qu'envie, artifice, inconstance, vanité; de lui dénier le feu sacré de l'amitié, l`incorruptibilité de l’amour, et il considéra toute femme de mérite comme une exception. Mais les tendances généreuses de l`humanité protégèrent la femme. Le christianisme la releva, en défendant la polygamie, les amours déshonnêtes, et en présentant, après l`homme-Dieu, une femme pour première créature humaine supérieure à tous les saints et aux anges mêmes.
La société moderne ressentit l`influence de ce noble esprit. Au milieu des temps barbares, la chevalerie s'embellit du culte élégant de l`amour ; et nous, chrétiens civilisés, enfants de la chevalerie, nous ne tenons pour bien élevé que l'homme qui honore le sexe de la douceur, des vertus domestiques et des grâces.

Néanmoins l`antique adversaire des nobles affections et de la femme est resté dans le monde, et plût à Dieu qu'il n`eût pour prosélytes que des âmes grossières et des esprits communs ! Mais il déprave quelquefois de brillants génies, et cette dépravation arrive toujours là où cesse la religion , qui seule sanctifie l'homme.
On a vu des philosophes (c'est du moins le nom qu'ils se donnaient) qui , dans certains moments, se montraient remplis d'un zèle ardent pour l'humanité , et qui , entre autres, possédés par l`irréligion, dictaient des écrits obscènes , s'acharnant à exciter l`ivresse des sens par des poèmes et des romans scandaleux, par des raisonnements, des anecdotes et des fictions de tout genre.

On a vu le plus enchanteur des écrivains, Voltaire (cette âme qui fît preuve de quelques bonnes qualités, mais corrompue par de basses passions, et par l'effréné, l`ignoble désir de faire rire), composer gaiement un long poème où il tourne en dérision l'honneur des femmes et l'héroïne la plus sublime qu'ait eue sa patrie, la magnanime et infortunée Jeanne d'Arc. Madame de Staël, avec raison, appelait ce livre un crime de lèse-nation. D'hommes obscurs ou célèbres, d'auteurs morts ou  vivants, de l'impudence de quelques femmes même qui se sont rendues indignes de la modestie de leur sexe, de mille côtés enfin s'élèvera souvent autour de toi ce génie du vulgaire, qui dit : « Méprise la femme! »
Rejette cette infâme tentation, ou toi-même, fils de la femme, tu seras méprisable. Détourne tes pas de ceux qui, dans la femme, n'honorent pas leur mère. Foule aux pieds les livres qui la dégradent en prêchant la licence. Reste digne, par ta noble estime pour la dignité de la femme, de protéger celle qui te donna le jour , de protéger tes sœurs , de protéger un jour peut-être celle qui acquerra le titre sacré de mère de tes enfants !

CHAPITRE XX.

DIGNTÉ DE l'AMOUR.


Honore la femme, mais crains les séductions de sa beauté , et plus encore les séductions de ton cœur. Heureux si tu ne t'affectionnes ardemment qu'à celle que tu voudras et que tu pourras choisir pour la compagne de toute ta vie!  Garde ton cœur libre de toute chaîne d'amour, plutôt que de le livrer à une femme de peu de mérite. Un homme qui n'aurait pas de sentiments élevés pourrait être heureux avec elle ; et toi, tu ne le pourrais pas. Il te faut ou une perpétuelle liberté , ou une compagne qui réponde à la généreuse idée que tu te fais de l humanité , et particulièrement du sexe.  Ce doit être une de ces âmes rares qui comprennent excellemment le beau de la religion et de l`amour; mais prends garde de ne pas te la créer telle dans ton imagination, tandis qu'en réalité elle serait tout autre.

Si tu trouves une telle femme , si tu la vois animée d'un véritable amour pour Dieu , si tu la crois capable d'un noble enthousiasme pour toute vertu , si tu la vois attentive à faire tout le bien qu'elle peut, si tu la vois ennemie irréconciliable de toute action moralement basse, si elle joint à tous ces mérites un esprit cultivé, sans aucune ambition de le faire paraître; si même, avec cet esprit , elle est la plus humble des femmes ; si toutes ses paroles et toutes ses actions respirent la bonté , une élégance naturelle , des sentiments élevés , une volonté ferme d'être attachée à ses devoirs , l`attention de n'affliger personne et de consoler ceux qui sont affligés , de ne se servir de ses charmes que pour ennoblir les pensées des autres , oh ! Alors aime-la d'un grand amour, d'un amour digne d'elle !

Qu'elle soit pour toi comme un ange tutélaire, qu'elle soit pour toi la vivante expression de la loi divine, pour t`éloigner de toute bassesse, pour le pousser à toute action louable. Dans tout ce que tu entreprends, songe à mériter son approbation, songe à faire en sorte que sa belle âme se réjouisse de t'avoir pour ami ; songe à l`honorer non pas seulement devant les hommes, cela n'importe guère, mais devant Dieu, qui voit tout. Si cette femme possède une âme aussi élevée, aussi fidèle à la religion, ton grand amour pour elle ne sera ni un excès ni une idolâtrie. Tu vaincras précisément parce que ses volontés seront en parfaite harmonie avec celles de Dieu. En admirant les unes tu admireras les autres, ou plutôt ce seront toujours celles de Dieu que tu admireras, au point que , s'il était possible que ses volontés devinssent contraires à celles de Dieu , ton délicieux enchantement s'évanouirait, et tu n'aimerais plus cette femme.  Ce noble amour est regardé comme chimérique par beaucoup d'esprits vulgaires, ceux qui n'ont aucune idée d'une femme d'un cœur élevé. Plains leur vile sagesse. Ces attachements si purs, et qui nous excitent si puissamment à la vertu, ne sont pas impossibles ; ils existent , bien qu'ils soient rares ; et les hommes devraient dire : « Ou ceux-là, ou aucun. »

CHAPITRE XXI.

AMOURS BLAMABLES.

Mais prends garde, je te le répète, que ton admiration pour une femme ne lui attribue une vertu qu'elle n'a pas. Ce serait alors ce qu'on appelle un amour romanesque, un amour ridicule et nuisible ; ce serait une indigne prodigalité de ton cœur devant une vaine idole. Oui, la femme estimable, et même estimable au suprême degré, existe sur la terre ; mais elles sont aussi en grand nombre celles que l`éducation, le mauvais exemple et leur propre légèreté ont gâtées ; celles qui ne sauraient s'élever à apprécier seulement les vœux de l'homme vertueux ; celles qui trouvent plus de charme à être courtisées pour leur beauté et le brillant de leur esprit, qu'à mériter d'être aimées par la noblesse de leurs sentiments.
Des femmes si imparfaites sont ordinairement très dangereuses, et plus dangereuses que celles qui sont complètement avilies. Elles séduisent non seulement par leurs grâces et leurs artifices, mais souvent aussi par quelques vertus, par l`espérance quelles font naître que, chez elles, le bon remportera sur le mauvais. N'accueille pas cette espérance, quand tu verras dans ces femmes  beaucoup de vanité ou d'autres défauts graves ; juge-les sévèrement, non pour en dire du mal ou pour exagérer leurs torts, mais pour les fuir à temps, si tu crains de t'engager  dans des liens peu dignes de toi.

Plus tu seras aimant par caractère, et disposé à révérer la femme, plus tu dois te faire une loi de ne pas te contenter d'une vertu médiocre dans une femme, pour lui donner le titre d'amie. Les jeunes gens sans mœurs et les femmes qui leur ressemblent se moqueront de toi, t'appelleront orgueilleux, sauvage, bigot. N'importe ; méprise leurs jugements. Ne sois jamais orgueilleux, ni sauvage, ni bigot; mais ne prostitue jamais tes affections ; sois ferme à conserver ton cœur libre, ou à n'en faire hommage qu'à la femme qui aura plein droit à ton estime.  Celui qui aime une femme de haute vertu ne perd pas son temps à la courtiser servilement, à la repaître d'adulations et de vains soupirs. Elle ne le souffrirait pas ; elle rougirait d'avoir pour amant un homme oisif, un Céladon; elle ne saurait apprécier que l`affection d'un homme simple et digne, moins empressé de lui parler d'amour que de lui plaire par de louables principes, par de louables actions. La femme qui souffre à ses pieds un homme puérilement esclave, prêt à se ployer bassement à ses mille caprices, uniquement occupé d'une élégance affectée et d'amoureuses fadeurs, laisse bien voir qu'elle a une idée peu élevée de lui et d'elle-même. Et celui qui se plait à une telle vie, celui qui aime sans un noble but, sans le but de devenir meilleur en rendant hommage à une grande vertu, celui-là prodigue misérablement son esprit et son cœur; il lui sera difficile de conserver assez d'énergie pour faire jamais quelque chose de bon dans ce monde. Je ne parle pas des femmes de mauvaises mœurs : l'homme honnête en a horreur, et c'est une grande ignominie que de ne pas les fuir.

Quand une femme t'aura paru digue de ton amour, ne t'abandonne pas aux soupçons, à la jalousie, à l'indiscrète prétention d'être follement idolâtré. Choisis bien, et puis aime sans te tourmenter par tes fureurs et sans tourmenter celle que tu auras choisie , sans te troubler parce qu'elle ne fermera pas les yeux sur l'amabilité des autres, sans exiger qu'elle ait des spasmes de tendresse pour toi.

Sois -lui dévoué pour être juste , pour payer un tribut d'admiration et de noble servage à un grand mérite, pour t'élever jusqu'à une créature qui te semble si sublime, et non pour qu'elle porte son amour pour toi au-delà de ce qu'il lui est possible de t'en témoigner. Les jaloux, ceux qui frémissent de rage de n'être pas assez aimés, sont de véritables tyrans. Plutôt que de de- venir méchant pour un plaisir quelconque, tu dois renoncer à ce plaisir ; plutôt que de devenir un tyran, ou de tomber par amour dans quelque autre excès, renonce à l'amour.

CHAPITRE XXII.

RESPECT DÛ AUX JEUNES FILLES ET AUX FEMMES DES
AUTRES.


Soit que tu restes célibataire ou que tu te maries, respecte la pureté virginale et le mariage. Rien n'est plus délicat que l`innocence et la réputation d'une jeune fille. Ne te permets envers aucune la moindre liberté de manières ou de paroles qui pourrait altérer la pureté de ses pensées ou troubler son cœur. Ne te permets, ni en parlant à une jeune fille ni loin d’elle, aucun mot qui puisse la faire soupçonner par autrui de légèreté d'esprit ou de facilité à s'enflammer. Les plus petites apparences suffisent pour ternir l'honneur d'une jeune fille, pour éveiller contre elle la calomnie, pour lui faire manquer peut-être un mariage qui l'eût rendue heureuse.

Si tu te sens épris d'une jeune personne, et que tu ne puisses aspirera sa main, ne lui découvre pas ton amour; cache-le-lui, au contraire, avec grand soin. Se sachant aimée, elle pourrait s'enflammer pour toi, et devenir ainsi victime d'une passion malheureuse. Si tu t'aperçois que lu as inspiré de l'amour à une jeune personne que tu ne veuilles pas ou que tu ne puisses pas épouser, respecte également son repos et les convenances de sa position ; cesse entièrement de la voir. S'applaudir d'avoir éveillé chez une innocente et infortunée créature un délire qui ne peut lui amener que l'affliction et la honte, c'est la plus perverse des vanités.

Ne sois pas moins sur tes gardes avec les femmes mariées. Le fol amour que tu concevrais pour l'une d'elles, ou celui que concevrait l`une d'elles pour toi , pourrait vous entraînez à un grand malheur , à une grande ignominie. Tu y perdrais moins qu'elle ; mais c'est précisément parce qu’une femme a bien plus à perdre lorsqu'elle s'expose à mériter le mépris de son mari et le sien propre, que , si tu es généreux , tu dois redouter pour elle un tel danger. Ne l'y laisse pas exposée un seul instant; renonce à un amour que Dieu et les lois condamnent. Ton cœur et celui de la femme que tu aimerais saigneraient en se séparant; mais qu'importe? La vertu coûte des sacrifices ; celui qui ne sait pas les accomplir est un lâche.

Entre une femme mariée et un homme autre que son mari, il ne peut y avoir innocemment d'autre intime relation que l'échange d'une juste estime , fondée sur la connaissance de vertus réelles, sur la conviction que, des deux côtés, il y a, avant tout autre amour, l`amour inébranlable de ses propres devoirs.  Aie horreur, comme d'une insigne immoralité, de ravir à un mari l`affection de sa femme. S'il est digne d'être aimé d’elle, c`est est un crime atroce ; si ce n'est pas un mari estimable, ses fautes ne t'autorisent pas à dégrader l'infortunée qui est sa compagne. Pour la femme d'un mauvais mari, il n`y a pas de choix : elle doit se résigner à le supporter et à lui rester fidèle. Celui qui, sous prétexte de la consoler, l'entraîne à un amour coupable, est un égoïste cruel. Quand même il ne céderait qu'à l`inspiration de la pitié, c'est une pitié illusoire, funeste, condamnable. En inspirant de l'amour à cette femme, tu augmenterais son malheur; tu joindrais au tourment qu'elle éprouve d'avoir un mari peu aimable, celui de le haïr toujours plus, en t'aimant et en s'exagérant tes qualités; tu y ajouterais peut être tous les tourments de la jalousie de son mari, et le remords déchirant de sa faute.

La femme malheureuse dans le mariage ne saurait avoir de paix qu'en se conservant irréprochable. Celui qui lui en promet une autrement, et s`entraine dans la douleur. A l'égard des femmes qui te seront chères à cause de leurs vertus, prends garde, autant qu'à l`égard des jeunes personnes, que ton amitié pour elles ne fassent naître d'injurieux soupçons. Sois circonspect dans la manière dont tu en parleras aux hommes accoutumés à juger bassement. Ils accordent toujours leurs suppositions avec la perversité de leur cœur. Infidèles interprètes de ce qu'on leur dit, ils donnent un mauvais sens aux choses les plus simples , aux actions les plus innocentes ; ils voient des mystères là où il n'y en a aucun. Nul soin n'est superflu pour conserver sans tache la réputation d'une femme.  Après sa vertu, cette réputation est son plus bel ornement. Celui qui n'est pas très jaloux de la lui conserver, celui qui a la bassesse de se complaire à voir les autres supposer dans une femme de la faiblesse pour lui , est absolument un misérable, qui mériterait d'être chassé de toute bonne compagnie.

CHAPITRE XXII.

MARIAGE.

Si l`inclination de ton cœur et les convenances te déterminent pour le mariage, marche à l`autel avec de saintes pensées, avec la ferme résolution de rendre heureuse celle qui te confie le soin de ses jours , celle qui abandonne le nom de ses pères pour prendre le tien , celle qui te préfère à tout ce qu'elle eut de cher jusqu'alors , et qui , par toi , espère donner la vie à d'autres créatures intelligentes appelées à posséder Dieu. Triste preuve de l'inconstance humaine ! La plupart des mariages se font par amour, de solennelles pensées les accompagnent, ils sont sanctionnés par une pleine volonté de les bénir jusqu'à la mort, et, au bout de deux ans , quelquefois même au bout de peu de mois , le couple uni cesse de s'aimer, se supporte avec peine , s'offense par des reproches réciproques , et néglige mutuellement de se rendre aimable.

D'où vient cela? C'est d'abord parce que ceux qui se marient se sont trop peu connus avant leur union. Sois circonspect dans ton choix, assure-toi des bonnes qualités de celle que tu aimes , ou tu es perdu. Cette désaffection provient, secondement, de la lâcheté que l'on met à céder aux tentations de l'inconstance ; de ce qu'on n'a pas l`attention de se dire chaque jour à soi-même : « La résolution que j'ai prise était celle que je devais prendre ; je veux être inébranlable à la maintenir. » Ici , comme dans toutes les autres circonstances de la vie , prends garde combien est grande dans l`homme la facilité de passer du bien au mal ; prends garde que ce qui le rend méprisable n'est jamais causé que par le manque d'une volonté forte , et que la faiblesse de caractère est la cause la plus puissante des turpitudes et des malheurs dont la société est remplie.

Un mariage ne peut être heureux qu'à la condition que chacun des deux époux se prescrira pour premier devoir cette invariable résolution : « Je veux aimer et honorer toujours le cœur auquel j'ai donné pouvoir sur le mien.» Si le choix a été bon, si l'un des deux cœurs n'était déjà perverti, il n'est pas vrai qu'il puisse se pervertir et devenir ingrat, alors que l'autre le comble de douces attentions et d'un généreux amour. On n'a jamais vu un mari qui ne s'est rendu coupable ni d'indignes traitements, ni du moins d'indignes négligences ou d'autres torts envers sa femme, cesser d'en être aimé s'il lui a été cher.

L'âme de la femme est naturellement douce, reconnaissante, disposée à aimer au suprême degré l'homme qui est constant à l'aimer et à mériter son estime. Mais comme elle est douée d'une grande sensibilité, elle s'irrite aisément du manque d'amabilité de son mari et de tous les torts qui peuvent le dégrader, et cette irritation peut la porter à une invincible antipathie , et à tous les égarements qui en sont la suite. L'infortunée sera alors grandement coupable ; mais son mari sera certainement la cause de ses fautes. Que cette persuasion ne s'efface jamais en toi : aucune femme, qui fut bonne le jour de son mariage, ne perd sa bonté dans la société d'un époux qui continue à avoir des droits à son amour.
Pour avoir des droits inviolables à l`amour d'une épouse , il faut ne pas démériter à ses yeux ; il faut que l'intimité conjugale n`ôte rien au mari du respect et de l`amabilité qu`il lui montrait avant de la conduire à l'autel ; il faut qu'il ne devienne ni sottement son esclave , et se rende ainsi incapable de la reprendre, ni qu'il lui fasse sentir despotiquement son autorité en la reprenant avec aigreur; il faut que tout donne à la femme une haute idée du bon sens et de la droiture de son mari ; il faut qu'elle puisse se glorifier d'être sa compagne et de vivre sous sa dépendance ; il faut que cette dépendance ne lui soit pas imposée par l'orgueil de son mari , mais quelle la veuille par amour, et par le sentiment de leur véritable dignité à tous deux.

L'excellence du choix que lu pourras faire, et la certitude que tu auras des éminentes vertus d'une femme, ne doivent pas te porter à croire qu'une attention continuelle de ta part à te rendre aimable à ses yeux soit moins nécessaire; ne dis pas : « Elle est si parfaite qu'elle me pardonne tous mes torts ; je n'ai pas besoin de m'étudier à lui être plus cher, elle m'aime toujours également. »  Quoi! Parce que sa bonté est si grande, tu serais moins attentif à lui plaire? Ne te fais pas illusion; c'est précisément parce qu’elle est douée d'une âme exquise, que l'insouciance, le manque d'égards et la brusquerie lui causeront plus d'amertume et de dégoût. Plus est grande la noblesse de ses manières et de ses sentiments, plus est grand chez elle le besoin de trouver cette noblesse égale en toi. Si elle ne la trouve pas, si elle te voit passer de la séduisante courtoisie d'un amant à l'insultante négligence d'un mauvais mari, par vertu elle s'efforcera longtemps de t'aimer malgré ton indignité, mais ses efforts seront vains. Elle te pardonnera, mais elle ne t'aimera plus, et sa vie sera brisée. Malheur à toi alors si sa vertu n'est pas à toute épreuve, et si un autre homme venait à lui plaire! son cœur, mal apprécié, mal gardé par toi, pourrait bien devenir la proie d'une passion coupable, d'une passion funeste à son repos, au tien , à celui de tes enfants.

Beaucoup de maris sont dans ce cas, et les femmes qu'ils maudissent étaient vertueuses. Les infortunées s'égarèrent, parce qu’elles n'étaient pas aimées. Quand tu as donné à une femme le titre sacré d’épouse, tu dois te consacrer à son bonheur, comme elle doit se consacrer au tien ; mais cette obligation est pour toi plus grande, parce que la femme étant plus faible que toi , tu lui dois toute sorte de bons exemples et de secours.


CHAPITRE XXIII.

AMOUR PATERNEL. AMOUR DE l'ENFANCE ET DE LA
JEUNESSE.


Donner à la pairie de bons citoyens, et donner à Dieu lui-même des âmes dignes de lui , telle sera la mission si tu as des enfants. Mission sublime ! Qui s'en charge et la trahit est le plus grand ennemi de la patrie et de Dieu. Il est inutile d'énumérer les vertus d'un bon père : tu les auras toutes si tu as été bon fils et bon mari. Les mauvais pères furent tous des fils ingrats et d'ignobles maris.

Mais avant d'avoir des enfants, et lors même que tu ne devrais jamais en avoir , ennoblis ton âme par le doux sentiment de l'amour paternel : tout homme doit le nourrir dans son cœur, et l'étendre sur tous les enfants et tous les jeunes gens. Regarde avec un grand amour cette partie nouvelle de la société, regarde-la avec un grand respect. Quiconque méprise ou afflige injustement l'enfance, s'il n'est pervers, le deviendra. L'homme qui ne met pas la plus grande attention à respecter l'innocence d'un enfant, à ne pas lui enseigner le mal, à veiller à ce que d'autres ne le lui enseignent pas, à faire en sorte qu'il ne s’enflamme que du seul amour de la vertu, peut être la cause que cet enfant devienne un monstre. Mais pourquoi substituer de faibles paroles aux simples et terribles paroles prononcées par l`adorable ami des enfants, le Rédempteur? « Quiconque, dit-il, accueille un petit enfant en mon nom, m'accueille moi-même; mais quiconque « aura scandalisé une de ces petites créatures qui croient « en moi, il vaudrait mieux pour lui qu'on lui eût attaché « une meule au cou, et qu'on l'eut précipité au plus profond de la mer. »

Considère comme tes enfants tous ceux qui sont beaucoup moins âgés que toi , et sur lesquels , par cette raison, ton exemple et tes conseils peuvent avoir de l'autorité ; traite-les avec ce mélange de zèle et d'indulgence qui est propre à les éloigner du mal et à les pousser au bien. L'enfance est imitatrice par nature : si les adultes qui entourent un enfant sont pieux, dignes, aimables, l`enfant aura le désir d'être tel, et il le sera. Si ces adultes sont irréligieux, abjects, malveillants, l'enfant sera aussi méchant qu'eux.
Montre-toi  bon, même avec les enfants et les jeunes gens que tu ne vois pas fréquemment, et avec lesquels tu ne parleras peut-être qu'une seule fois en ta vie. Dis-leur, si l`occasion s'en présente, quelque parole féconde en vertu. Cette parole et l`honnêteté de ton regard pourront les arracher à une basse pensée, et leur donner le désir de mériter l'estime des gens de bien.

Si un jeune homme de belle espérance met en toi sa confiance, sois pour lui un ami généreux ; soutiens-le par de fermes et sages conseils ; ne le flatte jamais ; applaudis à ses actions louables ; mais, par un blâme énergique, détourne-le de celles qui sont indignes.
Si tu vois un jeune homme tourner au vice, lors même que tu n'aurais aucune intimité avec lui, ne dédaigne pas, quand tu en as l’occasion, de lui tendre la main pour le sauver. Le jeune homme qui prend la mauvaise route n'aurait besoin quelquefois que d'un cri, d'un signe, pour en avoir honte, et rétrograder pour prendre la bonne voie. Quelle sera l'éducation morale que tu donneras à tes enfants? Tu l'ignorerais, si tu n'en acquérais toi-même une très bonne. Acquiers-la, et tu la donneras telle.

CHAPITRE XXIV.

DES RICHESSES.

La religion et la philosophie estiment la pauvreté lorsqu'elle est accompagnée de la vertu , et la mettent fort au-dessus de l`amour inquiet des richesses. Elles accordent néanmoins qu'un homme riche peut égaler en mérite le meilleur d'entre les pauvres.  Il ne faut pour cela qu'une chose : c`est qu’il ne soit pas l'esclave de ses richesses , qu'il ne les recherche ou ne les conserve pas pour en faire un mauvais usage; il faut, au contraire, qu'il ne les désire que pour l'utilité de ses semblables.

Honneur à toutes les conditions honnêtes de l`humanité, et conséquemment honneur aux riches pourvu qu'ils fassent tourner leur prospérité au bien d'un grand nombre, pourvu que les jouissances et le faste ne les rendent ni paresseux ni superbes. Pour toi, qui resteras vraisemblablement dans la condition où tu es né, également éloigné de la grande opulence et de la pauvreté, ne donne jamais accès en ton âme à cette basse haine dont souvent sont rongés les hommes d'une fortune médiocre et les pauvres contre les riches. Celle haine prend d'ordinaire la gravité du langage philosophique. Ce sont de véhémentes déclamations contre le luxe, contre l'injuste disproportion des fortunes, contre l`arrogance des heureux puissants; c`est un désir magnanime en apparence d'égalité et de soulagement des nombreuses misères humaines. Que tout cela ne te fasse pas illusion, lors même que tu entendrais ces déclamations par des personnes de quelque renommée, ou qu'il t'arriverait de les lire dans les écrits éloquents de cent pédants qui mendient par leurs adulations les applaudissements de la foule ; car dans ces fureurs il y a plus d’envie, d'ignorance et de calomnie, que de zèle pour la justice.

L'inégalité des fortunes est inévitable, et il en dérive des biens et des maux. Tel qui maudit les riches se mettrait volontiers à leur place : autant vaut laisser dans l'opulence ceux qui s'y trouvent. Il est très peu de riches qui ne dépensent pas leur or, et en le dépensant ils coopèrent tous, de mille manières, avec plus ou moins de mérite, et même quelquefois sans mérite, au bien public. Ils donnent des Trésor au commerce, au perfectionnement du goût, à l'émulation des arts, et aux espérances innées de quiconque veut échapper à la pauvreté par le moyen de l'industrie.

Ne voir dans les riches qu’oisiveté, mollesse, inutilité, c'est une sotte exagération. Si l'or rend les uns paresseux, il pousse les autres à de nobles actions. Il n'est pas dans le monde de ville civilisée où les riches n'aient fondé et n'entretiennent quelque important établissement de bienfaisance ; il n'est aucun lieu où, par association et individuellement, ils ne soient les soutiens des malheureux.

Regarde-les donc sans colère comme sans envie, et ne répète pas les propos dénigrants du vulgaire; ne sois envers eux ni dédaigneux ni rampant, parce que tu ne voudrais pas que celui qui est moins riche que toi te montrât du dédain ou de la bassesse.  Sois sagement économe de ta fortune ; fuis également l'avarice qui endurcit le cœur et appauvrit l’intelligence, et la prodigalité qui conduit à de honteux emprunts et à de fâcheux embarras. Il est permis de chercher à augmenter ses richesses , mais ce doit être sans une basse avidité , sans inquiétudes immodérées , sans oublier jamais que le véritable honneur et la vraie félicité ne dépendent pas d'elles , mais bien de la noblesse de l'âme , devant Dieu et devant les hommes.

Si ta prospérité s'accroît, que ta bienfaisance s'accroisse en proportion. A la richesse peuvent s'unir toutes les vertus, mais la richesse égoïste est une véritable infamie. Quiconque a beaucoup doit beaucoup donner ; on ne peut échapper à un devoir si sacré. Ne refuse pas tes secours au mendiant , mais que ce ne soit pas là ta seule aumône : la haute et intelligente charité est celle qui procure aux pauvres un moyen d'existence plus honnête que la mendicité , c'est-à-dire celle qui donne aux diverses professions, distinguées ou communes , du travail et du pain.

Songe quelquefois que des événements imprévus pourraient te dépouiller de l'héritage de tes pères et te jeter dans la misère. De pareils renversements n'arrivent que trop souvent sous nos yeux ; aucun riche ne peut dire : « Je ne mourrai ni dans l'exil ni dans le malheur. » Jouis de tes richesses avec cette généreuse indépendance de l`or que les philosophes de l`Église nomment , avec l`Évangile , pauvreté d'esprit.  Voltaire, dans ses moments de raillerie, a feint de croire que la pauvreté d'esprit recommandée par l`Évangile était la sottise. Mais c'est au contraire la vertu de conserver, même dans l'opulence , un esprit humble et ami de la pauvreté , capable de la supporter si elle vient , capable de la respecter chez autrui; vertu qui exige tout autre chose que de la sottise , vertu qui ne peut avoir sa source que dans l`élévation de l'âme et dans la sagesse.
« Veux-tu cultiver ton âme? dit Sénèque ; vis pauvre , « ou comme si tu étais pauvre. »

Dans le cas où tu tomberais dans la misère, ne perds pas courage , travaille pour vivre , et sans en avoir honte. Celui qui est dans le besoin peut être aussi estimable que celui qui vient à son aide. Mais alors sache renoncer de bonne grâce aux habitudes de la richesse ; ne donne pas le ridicule et pitoyable spectacle du pauvre orgueilleux , qui ne veut pas s'assujettir à la pratique des vertus qui conviennent éminemment à la pauvreté : une humilité digne , une stricte économie , une patience invincible au travail , une aimable sérénité d'esprit en dépit de la fortune adverse.

CHAPITRE XXVI.

RESPECT AU MALHEUR. BIENFAISANCE.

Honneur à toutes les honnêtes conditions de la vie humaine, et par conséquent honneur aux pauvres! Pourvu cependant qu'ils fassent servir leur malheur à leur amélioration morale, pourvu qu'ils ne se croient pas autorisés par leurs souffrances à la malveillance et au vice. Ne sois pas toutefois trop rigoureux en les jugeant ; aie même pitié de ceux qui se laissent quelquefois emporter par l`impatience et la colère ; songe qu'il est bien dur pour l'infortuné qui souffre toutes sortes de misères, dans un chemin ou dans une cabane, de voir passer à quelques pas de lui des hommes parfaitement nourris et parfaitement vêtus. Pardonne-lui s'il a la faiblesse de te regarder avec envie, et secours-le dans ses besoins, parce qu’il est homme.

Respecte le malheur dans tous ceux qui en souffrent les atteintes, lors même qu'ils ne seraient pas réduits à une indigence absolue, lors même qu'ils ne te demanderaient aucun secours. Traite avec une affectueuse compassion quiconque vit dans la peine et le travail, et dont l'état est inférieur au tien. Ne lui fais pas sentir, par l`arrogance de tes manières, la différence de ta fortune avec la sienne. Ne l'humilie pas par des paroles dures, quand même il te déplairait par quelque grossièreté ou par d'autres défauts.
Rien n'est consolant pour l'infortuné comme de se voir traité avec de bienveillants égards par ceux qui sont au-dessus de lui ; son cœur se remplit de reconnaissance ; il comprend alors pourquoi le riche est riche, et il lui pardonne sa prospérité, parce qu'il l'en juge digne. Le maître méprisant et brutal est toujours haï, quel que soit le salaire qu'il donne à ses serviteurs. C`est une grande immoralité que de se faire haïr par ses inférieurs : parce qu'alors on est méchant soi-même;  parce qu'au lieu de soulager leurs peines, on les augmente ;  parce qu'on les accoutume à servir déloyalement, à abhorrer la dépendance, à maudire la classe entière de ceux qui sont plus riches qu'eux. Comme il est juste que chacun jouisse de tout le bonheur qu'il lui est possible d'obtenir, celui qui est dans une position élevée doit faire en sorte que ses inférieurs ne trouvent pas la leur insupportable, et que même ils s'y attachent en voyant qu’ elle n'est pas méprisée, et que le riche y mêle d'honnêtes consolations.

Sois libéral de tous genres de secours envers ceux qui en ont besoin : de ton argent et de ta protection, quand tu le peux ; de tes conseils, quand l'occasion est opportune ; de tes bons procédés et de tes bons exemples, toujours. Mais c'est surtout quand tu vois le mérite opprimé qu'il faut faire tous tes efforts pour le relever, et , si tu ne peux y parvenir, tâcher du moins de le consoler et de lui rendre honneur.

Rougir de montrer de l`estime à l`honnête homme malheureux est la plus indigne de toutes les bassesses. Tu ne la trouveras que trop communément ; n'en soi que plus attentif à éviter la contagion. Lorsqu'un homme est dans le malheur, le plus grand nombre incline à lui donner tort , à supposer que ses ennemis ont des raisons pour le vilipender et pour le tourmenter. S'ils lancent une calomnie pour se justifier et le diffamer, cette calomnie, eût-elle toute l'invraisemblance possible, est accueillie sur-le-champ, et cruellement répétée. Rarement le petit nombre de ceux qui travaillent à la détruire est écouté. Il semblerait que la majorité des hommes soit heureuse lorsqu'elle peut croire au mal.
Aie horreur de cette lâche tendance. Partout où retentit l`accusation, ne dédaigne pas d'écouter la défense ; et s'il ne s'en élève aucune, sois toi-même assez généreux pour en chercher une quelconque. N'ajoute foi à la faute que quand elle est manifeste, et prends garde que tous ceux qui haïssent proclament comme manifeste plus d'une faute qui ne l'est pas. Si tu veux être juste, ne hais point; Injustice des gens haineux n'est que rage de pharisiens.

Dès que le malheur a frappé un homme, eut-il été ton ennemi, eut-il été le dévastateur de ta pairie, ce serait une lâcheté que d'insulter à sa misère en le contemplant avec l'orgueil du triomphe. Si l'occasion l’exige, parle de ses torts, mais avec moins de véhémence que tu ne l'eusses fait dans le temps de sa prospérité ; parle-s-en même avec une pieuse attention à ne pas les exagérer, à ne pas les séparer des mérites qui brillèrent aussi dans cet homme.

La pitié envers les malheureux, et même envers les coupables, est toujours belle. La loi peut avoir le droit de les condamner; l'homme n'a jamais celui de se réjouir de leur douleur, ni de les peindre sous des couleurs plus noires que la réalité. L'habitude de la pitié te fera quelquefois obliger des ingrats : que l'indignation ne te fasse pas inférer de là que tous les hommes le sont ; ne te lasse pas d'être bon. Parmi beaucoup d'ingrats, il y a aussi l`homme reconnaissant, digne de tes bienfaits, qui ne seraient pas tombés sur lui si tu ne les eusses répandus sur plusieurs. Les bénédictions de celui-là seul te dédommageront de l`ingratitude de dix autres.

Quand, d’ailleurs, tu ne devrais jamais trouver de la reconnaissance, la bonté de ton cœur te récompensera. Il n'y a pas de douceur plus grande que celle d'être compatissant, et de chercher à soulager les maux d'autrui. Elle surpasse de beaucoup la douceur de recevoir des secours , parce qu'il n'y a pas de vertu à en recevoir , et qu'il y en a beaucoup à en donner.

Sois délicat dans tes bienfaits à l`égard de tous, mais plus encore à l'égard des personnes respectables , envers les femmes timides et honnêtes , envers ceux qui sont novices dans le cruel apprentissage de la pauvreté , et qui souvent dévorent leurs larmes en secret, plutôt que de prononcer cette parole pleine d'angoisse : J'ai besoin de pain !
Indépendamment de ce que tu donneras en ton nom , sans que l'une de les mains sache ce que l' autre donne , comme dit le l'Évangile, unis -toi aussi à d'autres âmes généreuses pour multiplier les moyens de faire du bien, pour fonder de bonnes institutions et maintenir celles qui existent déjà.
C'est encore un mot de la religion que celui-ci : Veillez à faire le bien non seulement devant Dieu, mais encore devant les hommes. Il y a d'excellentes choses qu'un individu, seul, ne peut faire , et qui ne se peuvent faire en secret. Aime les sociétés de bienfaisance, et si tu en as le moyen , favorise- les ; ranime-les lorsqu'elles s'engourdissent , corrige-les lorsqu'on fausse leur but. Ne te décourage pas par les railleries que les avares et les oisifs prodiguent toujours à ces âmes actives qui travaillent sans cesse pour l`humanité.

CHAPITRE XXVII.

ESTIME DU SAVOIR.

Lorsque ton emploi ou les soins domestiques ne te laissent plus grand temps à consacrer aux livres, défends-toi d'un penchant vulgaire auquel cèdent ordinairement ceux qui ont peu étudié ou qui n'étudient plus, c'est-à-dire d'abhorrer tout le savoir qu'ils n'ont pas acquis, de rire de ceux qui font grand cas d'un esprit cultivé, de désirer l'ignorance presque comme un bien social. Méprise le faux savoir, il est nuisible ; mais estime le vrai savoir, qui est toujours utile. Estime-le , soit que tu le possèdes ou que tu n'aies pu y atteindre.
Aspire toujours à faire par toi-même quelque progrès, ou en continuant à cultiver plus spécialement une science, ou du moins en lisant de bons livres en divers genres. Cet exercice de l'intelligence est important à un homme d'une condition distinguée, non seulement pour le plaisir honnête et l'instruction qu'il peut en retirer, mais encore parce que la réputation d'homme instruit, lui acquerra une plus grande influence pour exciter les autres à faire le bien. L'envie n'est déjà que trop portée à décréditer l'homme droit ; si elle a quelque raison ou quelque prétexte pour l'appeler ignorant ou fauteur d'ignorance , les meilleures choses même qu'il fera seront vues d'un mauvais œil par le vulgaire, qui les dénigrera et les entravera à toute force.

La cause de la religion, de la pairie, de l`honneur, exige des défenseurs forts, avant tout, d'intentions vertueuses, ensuite de science et d'urbanité. C'est un grand malheur quand les méchants peuvent dire avec fondement à des hommes de bien : « Vous n'êtes pas instruits, et vous n'êtes pas aimables. »  Mais, pour obtenir ce crédit de la science, ne feins jamais de posséder des connaissances que tu n'as pas. Toutes les impostures sont honteuses, et l'ostentation de paraître savoir ce qu'on ignore l'est aussi. En outre, il n'est pas d'imposteur dont bientôt le masque ne tombe, et alors il est perdu.

Tout le prix que nous attachons au savoir ne doit pas cependant nous en rendre idolâtres. Désirons-le pour nous et pour les autres ; mais s'il nous est difficile d'en acquérir beaucoup, consolons-nous, et montrons-nous ingénument tels que nous sommes. La multiplicité des connaissances est bonne ; mais, après tout, ce qui vaut encore mieux pour l’homme, c'est la vertu ; et heureusement celle-ci peut s'allier avec l'ignorance.  Si donc tu sais beaucoup, ne méprise pas pour cela les autres. Il en est de la science comme des richesses, on doit la désirer pour être plus utile aux autres ; mais celui qui ne la possède pas , pouvant néanmoins être bon citoyen, a droit au respect. Répands les idées éclairées sur la classe peu instruite.

Mais quelles sont ces idées? Ce ne sont pas celles qui rendraient les hommes superficiels, sentencieux et méchants; ce ne sont pas ces déclamations outrées qui plaisent tant dans le commun des drames et des romans , où toujours les hommes du dernier rang sont représentés comme des héros, et ceux des classes élevées, comme des scélérats; où l'on peint la société sous de fausses couleurs , afin de la faire abhorrer ; où le savetier vertueux parle insolemment au seigneur, où le seigneur vertueux épouse la fille du savetier , où les brigands même sont représentés comme admirables , pour faire exécrer ceux qui ne les admirent pas.

Les idées éclairées qu'il faut répandre sur les classes inférieures sont celles qui les préservent des erreurs et des exagérations ; celles qui , sans vouloir en faire de lâches adorateurs de ceux qui sont plus instruits ou plus puissants qu'eux , développent en eux une noble disposition au respect , à la bienveillance, à la gratitude ; celles qui les éloignent des idées furieuses et absurdes d'anarchie ou de gouvernement plébéien ; celles qui leur enseignent à exercer avec une religieuse dignité les obscurs mais honorables emplois auxquels la Providence les a appelés ; celles qui leur démontrent la nécessité des inégalités sociales, bien que, si nous sommes vertueux, nous redevenions tous égaux devant Dieu.


CHAPITRE XXVIII.

AMABILITÉ.

Sois aimable pour tous ceux avec qui tu auras quelque relation. Cette amabilité, en te donnant des manières bienveillantes, te disposera véritablement à aimer. Celui qui prend un air bourru, soupçonneux, méprisant, est disposé aux sentiments malveillants. Ainsi la grossièreté produit deux maux graves : elle gâte le cœur de celui qui s'y abandonne, et elle irrite ou afflige le prochain.

Mais ne t'étudie pas à être aimable dans tes manières seulement; fais en sorte que l`amabilité se trouve dans toutes tes pensées, dans toutes tes volontés, dans toutes tes affections. L'homme qui ne prend pas soin de délivrer son esprit des idées ignobles, et qui leur donne souvent accès, se laisse souvent aussi entraîner par elles à des actions blâmables. On entend des hommes, même au-dessus d'une basse condition, se plaire à de grossières plaisanteries, et tenir des discours obscènes. Ne les imite point; que ton langage n'ait pas une élégance recherchée ; mais qu'il soit exempt de toute trivialité grossière, de toutes ces exclamations communes que les gens mal élevés sèment dans leurs discours , de toutes ces plaisanteries avec lesquelles on n'offense que trop souvent les mœurs.

C'est dès ta jeunesse que tu dois commencer à t'habituer à cette délicatesse de langage ; celui qui ne la possède pas avant vingt-cinq ans ne l'acquiert plus. Ne recherche pas l'élégance, je te le répète, mais des paroles honnêtes, élevées, propres à donner aux autres une douce gaieté, des consolations, la bienveillance, le désir de la vertu .
Applique-toi aussi à rendre ton langage agréable par un bon choix d'expressions et par la justesse des modulations de ta voix. Celui qui parle agréablement charme ceux qui l`écoutent, et, par cette raison, lorsqu'il cherche à les entraîner au bien ou à les éloigner du mal , il aura plus de pouvoir sur eux. C'est un devoir pour nous de perfectionner tous les instruments que Dieu a mis à notre disposition pour l`utilité de nos semblables, et par conséquent de perfectionner aussi le moyen d'exprimer nos pensées.

L'excessive inélégance dans la manière de parler, de rire, de se présenter, de gesticuler, provient moins, le plus souvent, de l'incapacité de mieux faire que d'une honteuse paresse. On ne veut songer ni à l`obligation où l'on est de se perfectionner, ni au respect qui est dû aux autres. Mais en te faisant à toi-même un devoir de l'amabilité, et en te souvenant que ce devoir nous est imposé parce que nous devons faire en sorte que notre présence , loin d`être une calamité pour personne , soit pour tous un plaisir et un bienfait, ne t'irrite pas cependant contre les gens grossiers; souviens-toi que les pierres précieuses sont quelquefois couvertes de fange. Il serait mieux sans doute que la fange ne les souillât pas ; mais, dans cet humble état même, elles n'en sont pas moins des pierres précieuses. L'un des grands mérites de l'amabilité est de supporter de pareilles gens avec un infatigable sourire, comme aussi la nombreuse bande des ennuyeux et des sots. Quand on n`a pas l'occasion de leur être utile, il est permis de les éviter , mais jamais de manière à leur faire comprendre qu'ils déplaisent : ce serait les affliger, ou s'attirer leur haine.

CHAPITRE XXIX.

RECONNNAISSANCE.

Si nous sommes obligés envers tous les hommes à des sentiments affectueux et à de bienveillantes manières, combien n'en devons-nous pas avoir pour ces êtres généreux qui nous out donné des preuves d'amour, de compassion, d'indulgence ? A commencer par nos parents, que personne, après nous avoir généreusement prêté secours d'actions ou de conseils, n'ait à nous reprocher notre peu de mémoire de ses bienfaits. Envers les autres personnes , nous pouvons quelquefois être sévères dans nos jugements et peu prodigues d`amabilité, sans commettre une faute grave ; mais envers celui qui nous fut utile il ne nous est plus permis de négliger la plus petite attention pour ne le pas offenser, peur ne lui causer aucune sorte de déplaisir, pour ne porter aucune atteinte à sa réputation, et pour nous montrer, au contraire, prompts à le défendre et à le consoler.

Beaucoup de gens, lorsque celui qui leur a fait du bien prend ou semble prendre une trop haute idée de ce qu'il a fait pour eux, s'en irritent comme d'une impardonnable indiscrétion, et prétendent que cela les délie de l'obligation de la reconnaissance. Beaucoup de gens, parce qu'ils ont la bassesse de rougir d'un bienfait reçu, sont ingénieux à supposer qu'il a eu lieu par intérêt, par ostentation, ou par quelque autre indigne motif, et pensent excuser ainsi leur ingratitude. Beaucoup d’autres, aussitôt qu'ils sont en position, s'apprêtent à rendre le bienfait pour se débarrasser du poids de la reconnaissance, et ils croient ensuite pouvoir sans crime se soustraire à tous les égards qu'elle impose.
Toutes les subtilités pour justifier l'ingratitude sont vaines; l`ingrat est un être vil; et, pour ne pas tomber dans une semblable bassesse, il faut que la reconnaissance ne soit pas mesquine; il faut absolument qu'elle surabonde. Si le bienfaiteur s'enorgueillit des avantages que tu lui dois , s'il n'a pas envers toi la délicatesse que tu lui voudrais , s'il ne t'est pas clairement prouvé que des motif généreux l`aient porté à t'être utile, il ne t'appartient pas de le condamner. Jette un voile sur ses torts vrais ou possibles et ne considère que le bien que tu as reçu de lui. Considère ce bien, lors même que tu l'aurais rendu, et rendu au centuple.

Il est permis quelquefois d'être reconnaissant, sans publier le bienfait reçu ; mais chaque fois que ta conscience te dit qu'il y a une raison de le publier, qu'aucune basse honte ne t arrête ; confesse-toi l'obligé de la main amie qui t'a secouru. « Il y a souvent de l'ingratitude à remercier sans témoin, » dit l`excellent moraliste Blanchard. Celui-là seul est bon qui se montre reconnaissant de tous les bienfaits, même des plus petits ; la reconnaissance est l`âme de la religion, de l'amour filial, de l'amour pour ceux qui nous aiment, de l'amour pour la société humaine , à qui nous sommes redevables de tant de protection et de douceurs. En cultivant la reconnaissance pour tout le bien que nous recevons de Dieu ou des hommes, nous acquérons plus de force et de calme pour supporter les maux de la vie, et une plus grande disposition à l'indulgence et au dévouement pour aider nos semblables.

CHAPITRE XXX.

HUMILITÉ , MANSUÉTUDE , PARDON.

L'orgueil et la colère ne s'accordant pas avec l’amabilité, il s'ensuit qu'on ne saurait être aimable si l'on n'a l`habitude de l`humilité et de la mansuétude. « S'il est un « sentiment qui détruise le mépris insultant pour les autres dit Manzoni dans son excellent livre sur la morale catholique « c'est assurément l'humilité. Le mépris  pour autrui naît de la comparaison que l'on fait de soi- même avec les autres , et de la préférence que l'on se  donne : or, comment ce mépris pourrait-il jamais  prendre racine dans un cœur accoutumé à considérer  et à déplorer ses propres misères , à reconnaître qu'il tient de Dieu tout son mérite, à reconnaître que, si Dieu ne le retient , il pourra se laisser entraîner à tous  les excès? »

Réprime sans cesse tes emportements, ou tu deviendras dur et orgueilleux. Une juste colère n'est opportune que dans des cas fort rares. Celui qui la croit juste à tous propos cache sous le masque du zèle sa propre méchanceté. Ce défaut est épouvantablement commun. Parle à vingt personnes séparément, tu en trouveras dix-neuf qui exhaleront devant toi leur indignation prétendue généreuse envers celui-ci ou celui-là. Toutes sembleront enflammées de fureur contre l`iniquité, comme si, seules au monde, elles avaient le cœur droit. Le pays ou elles sont est toujours le plus mauvais de la terre ; le temps où elles vivent est toujours le plus triste ; les institutions qu'elles n'ont pas fondées sont toujours les plus mauvaises ; celui qu'elles entendent parler de religion et de morale est toujours un imposteur; si un riche ne prodigue pas l`or, c'est un avare,  si un pauvre souffre et demande, c'est un dissipateur; si il leur arrive de rendre un service à quelqu'un, celui-là est toujours un ingrat. Médire de tous les individus qui composent la société, excepté, par égard, de quelques amis, parait en général une volupté inappréciable. Ce qui est pis encore , c'est cette colère , tantôt lancée sur les absents, tantôt déversée sur ceux qui nous entourent, et qui plait ordinairement à celui qui n'en est pas l'objet immédiat.

On prendrait volontiers l'homme emporté et mordant pour un homme généreux, qui, s'il gouvernait le monde, serait un véritable héros. On s'accoutume au contraire à regarder l'homme doux avec une pitié dédaigneuse, presque comme un imbécile ou un lâche. Ainsi ces vertus de l'humilité et de la mansuétude ne mènent pas à la gloire : mais sache t`y tenir, car elles sont au-dessus de toute gloire. Ces universelles manifestations de colère et d'orgueil prouvent seulement un défaut d'amour et de véritable générosité, et l'universelle ambition de paraître meilleur que les autres.

Prends l`invariable résolution d'être humble et doux, mais sache montrer que ce n'est en toi ni imbécillité ni lâcheté. Et de quelle manière? Est-ce en perdant quelquefois patience, et en montrant les dents aux méchants? en flétrissant par des paroles ou par des écrits ceux qui se sont servis des mêmes moyens pour te calomnier? Non : dédaigne de répondre à tes calomniateurs, et, à l'exception de quelques circonstances particulières qu'il est impossible de déterminer, ne perds pas patience avec les méchants; ne les menace pas, ne les flétris pas. La douceur, quand elle est vertu et non impuissance de sentir avec énergie, a toujours raison. Elle humilie plus l'orgueil des autres, que ne l'humilierait la plus foudroyante éloquence de la colère et du mépris.

Montre en même temps que ta mansuétude n'est ni imbécillité ni lâcheté , en conservant ta dignité devant les méchants , en n'applaudissant pas à leur iniquité , en ne recherchant pas leurs suffrages , en ne t'éloignant pas de la religion et de l`honneur par la crainte de leur blâme. Familiarise-toi avec l'idée d'avoir des ennemis, mais n'en sois pas troublé. Il n'est personne, quelque bienfaisant, quelque sincère, quelque inoffensif qu'il soit , qui n'en compte plusieurs. Il est des malheureux chez qui l'envie est tellement naturalisée, qu'ils ne peuvent vivre sans lancer des sarcasmes et de fausses accusations contre celui qui jouit de quelque réputation. Aie le courage d'être doux, et de pardonner de bon cœur à ces infortunés qui te nuisent ou qui voudraient te nuire. « Pardonne non pas sept fois, dit le Sauveur, mais « soixante dix fois sept, » c'est à-dire toujours.

Les duels et toutes les vengeances sont d'indignes délires. La rancune est un mélange d'orgueil et de bassesse. En pardonnant un outrage, on peut d'un ennemi se faire un ami, et ramener un homme pervers à de nobles sentiments. Oh! Qu’il est beau, qu'il est consolant ce triomphe ! Combien il surpasse en grandeur toutes les horribles victoires de la vengeance ! Quand un homme qui t`aurait offensé et à qui tu lui aurais pardonné refuserait de se réconcilier avec toi , quand il vivrait et mourrait en t'insultant , qu`aurais-tu perdu à être bon? N`en aurais-tu pas retiré la plus grande des satisfactions, celle d'être resté magnanime?


CHAPITRE XXXI.

COURAGE.

Toujours du courage ! Sans cette condition il n'y a pas de vertu. Courage pour vaincre ton égoïsme et devenir bienfaisant; courage pour vaincre ta paresse et poursuivre toutes les études honorables; courage pour défendre ta patrie et protéger, dans toutes les circonstances , ton semblable ; courage pour résister au mauvais exemple et à l'injuste dérision ; courage pour souffrir les maladies, les peines et les angoisses de tout genre, sans se lamenter lâchement; courage pour aspirer à une perfection à laquelle on ne peut atteindre sur la terre , mais à laquelle néanmoins il faut aspirer, selon la sublime parole de l`Évangile, si nous ne voulons perdre toute noblesse d'âme!

Quelque cher que te soit ton patrimoine, ton honneur, ta vie, sois toujours prêt à les sacrifier à ton devoir, s`il exige de tels sacrifices. Ou cette abnégation de soi-même, et ce renoncement à tous les biens de la terre plutôt que de les conserver à la condition d'être inique ; ou bien l'homme non seulement n'est pas un héros, mais il peut devenir un monstre ! « Nul, en effet , ne peut être juste, (( dit Cicéron, s'il craint la mort, la douleur, l'exil et le « besoin , ou s'il préfère à la justice le contraire de ces « épreuves. » (Cic, de Off. , I. II , c. 9.)

Vivre le cœur détaché des prospérités périssables, semble à plusieurs un précepte trop sauvage , et qu'on ne peut suivre. Il est constant néanmoins que si , dans l'occasion , on ne sait pas être indifférent à ces prospérités, on ne saura vivre ni mourir dignement. Le courage doit élever l'âme pour entreprendre d'acquérir toute vertu ; mais prends garde que ce courage ne dégénère en orgueil et en férocité.

Ceux qui croient ou qui feignent de croire que le courage ne peut s'allier aux sentiments doux; ceux qui s'habituent aux rodomontades, aux querelles, à la soif des désordres et du sang, abusent de la force physique et morale que Dieu leur a donnée pour être utiles à la société et lui servir d'exemple. Et ce sont ordinairement les moins braves dans les grands dangers ; pour se sauver, ils trahiraient leur père et leurs frères. Les premiers à déserter dans une armée sont ceux qui se raillaient de la pâleur de leurs camarades, et qui insultaient grossièrement à l'ennemi.

CHAPITRE XXXII.

HAUTE IDÉE DE LA VIE, ET FORCE d'AME POUR MOURIR.

Beaucoup de livres parlent des obligations morales d'une manière plus étendue et avec plus d'éclat : pour moi, ô jeune homme , je n'ai voulu t'offrir qu'un manuel qui te les rappelât toutes brièvement. J'ajoute maintenant : Que le poids de ces obligations ne t'épouvante pas; il n'est insupportable qu'aux paresseux. Ayons de la bonne volonté , et nous découvrirons dans chacun de nos devoirs une mystérieuse beauté qui nous invitera à les aimer; nous sentirons une merveilleuse puissance qui augmentera nos forces à mesure que nous gravirons le sentier ardu de la vertu ; nous trouverons que l'homme est bien plus grand qu'il ne le parait, pour peu qu'il veuille , et veuille fortement, atteindre le but sublime de sa destination , qui est de se purifier de toutes les inclinations viles , de cultiver au plus haut degré les meilleures , et de s'élever ainsi à l'immortelle possession  de Dieu.
Aime la vie ; mais ne l'aime pas pour des plaisirs vulgaires et pour de misérables ambitions. Aime-la pour ce qu'elle a d’important, de grand, de divin ! Aime-la, parce qu'elle est l'arène du mérite, parce qu'elle est chère au Tout-Puissant, qu'elle lui est glorieuse, qu'elle nous est à nous glorieuse et nécessaire! Aime-la en dépit de ses douleurs, et même pour ses douleurs, puisque ce sont elles qui l’ennoblissent, puisque c'est par elles que germent, croissent et se fécondent dans l'esprit de l`homme les pensées généreuses et les généreuses volontés !

Rappelle-toi que cette vie, à laquelle tu dois une si haute estime, te fut donnée pour peu de temps. Ne la dissipe pas en plaisirs frivoles. Ne donne au délassement que ce qui est nécessaire à ta santé et au soulagement des autres. Ou plutôt ne te délasse qu'en faisant de nobles actions, c'est-à-dire en servant tes semblables avec une magnanime fraternité , et en servant Dieu avec amour et avec une obéissance filiale. Et enfin, en aimant ainsi la vie, pense à la tombe qui t'attend. Se dissimuler la nécessité de mourir est une faiblesse qui diminue notre zèle pour le bien. Ne hâte pas par ta faute ce moment solennel ; mais ne cherche pas à l`éloigner par lâcheté. Expose tes jours pour le salut des autres, s'il est nécessaire, et surtout pour le salut de ta patrie. Quel que soit le genre de mort qui t'est destiné, sois prêt à recevoir cette mort avec une fermeté digne, et à la sanctifier de toute la sincérité, de toute l'énergie de la foi. En observant tout ceci, tu seras homme et citoyen, dans le sens le plus sublime de ces mots; tu seras utile à la société, et tu feras ton propre bonheur.

MichelT

Date d'inscription : 06/02/2010

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Devoir des hommes - Silvio Pellico - Discours a un jeune ( Éducation) - Italie 19 eme siecle Empty Re: Devoir des hommes - Silvio Pellico - Discours a un jeune ( Éducation) - Italie 19 eme siecle

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