Saint Pol de Léon, vainqueur du dragon et du paganisme

par Lumen Mar 2 Aoû 2022 - 19:15

Saint Pol de Léon, vainqueur du dragon et du paganisme

Tout au fond de la Bretagne, le souvenir du saint venu d’outre-Manche pour évangéliser la région est encore vif, et saint Paul Aurélien est encore au centre de la vie spirituelle locale.

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« Toute la ville était une immense église », notait Mérimée en arrivant à Saint-Pol-de-Léon en 1835, alors qu’il était inspecteur des monuments historiques en Bretagne. Près de deux siècles plus tard, on retrouve cette sensation en descendant du car qui nous a mené de la gare de Morlaix au centre-ville de cette petite station balnéaire du Finistère nord. Si la mer est invisible depuis la place centrale il faut marcher quelques minutes pour rejoindre le littoral , il n’empêche qu’elle habite l’atmosphère, en plus de la culture locale.

Contrairement à Saint-Tropez ou Saint-Malo, l’endroit ne porte pas exactement le même nom que le saint auquel il le doit. Saint Paul Aurélien fait partie des fiertés locales de ce pays de Léon, avec la société Brittany Ferries, fondée dans la ville voisine de Roscoff, et la culture des artichauts que le climat de la région favorise. Saint Paul Aurélien était l’un des sept saints dits « fondateurs de la Bretagne », venus du pays de Galles ou de Cornouailles pour évangéliser l’Armorique entre la fin de l’Antiquité et le début du Moyen Âge. Son image imprègne encore chaque recoin de la ville, et il n’est pas rare de tomber sur une statuette à son effigie, encastrée dans le mur d’une rue, ou de marcher sur des petits symboles collés au sol et désignant un lieu emblématique du saint. Parmi eux, la Lenn ar Gloar ou « fontaine de la gloire » en bon français, aurait été bénie il y a mille cinq cents ans par le saint. On prête depuis à son eau des vertus miraculeuses, d’autant plus qu’elle n’a jamais tari, pas même en période de grande sécheresse...

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La statue du saint patron du pays de Léon à la cathédrale Saint-Paul-Aurélien. A ses pieds,
le dragon mis en fuite à l'aide d'une étole. Photo : J-M.HEIDINGER POUR FC.

« Qu’est-ce qui vous dit que c’est une légende ? »

Le mardi, tout le centre-ville devient piéton et le marché s’ouvre, qui s’étend de la chapelle du Kreisker à la cathédrale : musique, vente de produits du terroir et des traditionnels bols bretons à prénoms. Une rapide enquête permet de s’en assurer : tous les commerçants connaissent Paul Aurélien. « Il a combattu le dragon qui terrorisait les habitants de l’île de Batz, en face de la ville », explique l’un d’eux. Par rigueur journalistique, on complète son propos : « Ça, c’est ce que dit la légende... » La réponse fuse : « Qu’est-ce qui vous dit que c’est une légende ? » Ici, on ne plaisante pas avec Paul Aurélien. Une petite fille qui passe ses vacances dans la station balnéaire semble tout autant au courant de l’histoire du saint, et nous explique qu’il n’a pas précisément combattu le dragon, mais qu’il l’a fait fuir en lui mettant son étole autour du cou. Étole qui est d’ailleurs conservée dans la cathédrale, comme nous l’apprend un habitant qui organise bénévolement des visites guidées de l’édifice.

Ce Saint-Politain de souche s’appelle Philippe Abjean. C’est un puits de science en ce qui concerne la Bretagne, ses traditions, et particulièrement celles de Saint-Pol-de-Léon. Il nous explique le déroulement du Grand Pardon, qui est la plus grande cérémonie religieuse organisée tous les ans en septembre dans la ville pour accompagner le démarrage de la nouvelle année pastorale. Présidé par l’évêque de Quimper, il réunit les fidèles à la chapelle du Kreisker, à partir de laquelle ils marchent en procession jusqu’à la cathédrale, en tenant des croix et des bannières des paroisses du secteur paroisses dont beaucoup sont vieilles de plusieurs siècles. On y porte aussi la clochette symbolique des basiliques mineures, le « tintinnabule » ainsi que le crâne de saint Paul Aurélien, l’étole avec laquelle il aurait fait fuir le dragon et la fameuse cloche miraculeuse qui lui appartenait. Dans une ambiance toute bretonne et recueillie, accordéons et cornemuses accompagnent la procession jusqu’à la cathédrale, où une messe est célébrée et suivie par les fidèles de la région et par les curieux.

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Pour Philippe Abjean, initiateur du pèlerinage du Tro Breizh, « Pol est une version bretonne du prénom Paul. Quant à Léon, qui est le nom de la partie nord du Finistère, cela viendrait du dieu Lug, dieu gaulois dont les trois têtes ont beaucoup aidé les Celtes à admettre la Trinité...». Photo : J-M.HEIDINGER POUR FC.

Restes celtiques

Pour Philippe Abjean, « le succès de ces pardons annuels témoigne d’un véritable retour du christianisme populaire ». Et en matière de retour du christianisme populaire, Philippe Abjean s’y connaît : il est l’initiateur du Tro Breizh, ce pèlerinage faisant le tour de la Bretagne en autant d’étapes qu’elle a de saints fondateurs. Le chemin, qui remonte au Moyen Âge, est tombé en désuétude au XVIIe siècle, avant d’être ressuscité en 1994. Il est aussi à l’origine de La Vallée des saints, projet associatif réunissant des sculpteurs et des mécènes pour mettre en valeur l’histoire et la mémoire religieuse des Bretons. « Et Dieu sait qu’il y en a beaucoup, des saints ! ».

Les toponymes de Bretagne forment une véritable litanie. Soit de manière transparente (comme Saint-Pol-de-Léon ou Saint-Malo...) soit avec des préfixes, comme «Lan» qui signifie «le monastère» ou «l’ermitage». Landivisiau signifie donc «le monastère de saint Thivisiau». De même pour «Plou», qui signifie «le pays de». Plounéventer est donc «le pays de saint Néventer», Plounérin est celui de saint Nérin. » Quant au nom de la ville où il nous accueille, cela ne nous explique pas comment saint Paul Aurélien est devenu saint Pol de Léon. « Pol est une version bretonne du prénom Paul. Quant à Léon, qui est le nom de la partie nord du Finistère, cela viendrait du dieu Lug, dieu gaulois dont les trois têtes ont beaucoup aidé les Celtes à admettre la Trinité... et auquel les trois clochers de Saint-Pol font écho. » Ces restes de culture celtique se manifestent à la messe, où certains cantiques sont chantés en breton.

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Le marché bat son plein sur le parvis de la cathédrale gothique Saint-Paul-en-Aurélien. Photo : J-M.HEIDINGER POUR FC.

Réévangliser le pays par les saints fondateurs

Si saint Paul Aurélien est encore prié localement, il l’est davantage à travers le pèlerinage du Tro Breizh. Philippe Abjean suggère de s’inspirer du modèle des saints fondateurs de la Bretagne pour réévangéliser le pays : « Saint Paul Aurélien est arrivé à une époque où la région était très peu christianisée, malgré l’influence de saint Martin de Tours. Or, on se trouve aujourd’hui dans la même situation que ces saints il y a quinze siècles : la France s’est déchristianisée, la majorité des Français ne pratiquent plus et manquent de culture religieuse. Retour à la case départ. Alors à nous de demander à saint Paul de nous aider à prendre le relais en lui demandant : « Comment as-tu fait ? Comment peut-on s’inspirer de ton exemple pour rechristianiser la Bretagne et la France ? » Optimiste convaincu, il ajoute en souriant : « Je pense que la France se rechristianisera par la Bretagne. » Et la Bretagne par Saint-Pol-de-Léon ?

Cyriac Zeller

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