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CARÊME : le temps de l'exode

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Message par Lumen Mar 13 Fév 2024 - 20:40

CARÊME : le temps de l'exode

Comme le peuple hébreu sorti de l’esclavage en Égypte sous la conduite de Moïse, nous sommes invités, pendant le Carême, à une marche au désert, pour purifier nos cœurs de tout ce qui les entrave et les empêche de rencontrer Dieu. Reportage en Jordanie, pays de l’Exode.

CARÊME : le temps de l'exode Careme_desert

Clotilde Hamon
Vie intérieure , 13/02/2024
Photos du reportage : Jordan Tourism Board



Nous sommes au sommet du mont Nébo, dans l’actuelle Jordanie. D’ici, on aperçoit la Terre promise : Israël, en guerre aujourd’hui, dans cette tragédie inextricable qui marque ses portes d’une croix de sang, interdisant le passage aux pèlerins français que nous suivons. Comme Moïse qui ne l’atteignit pas, après avoir sorti les Hébreux de leur esclavage en Égypte et les avoir menés quarante ans au désert jusqu’à la Terre promise, on ne la foulera pas du pied. Un mot qualifie cette montagne, dit le prêtre qui célèbre la messe du jour : « L’espérance : voir, mais ne pas posséder. »

La paix qui règne ici est irréelle, et les pèlerins comme les touristes en sont tous conscients. Cette émotion unissant croyants et non-croyants est belle à voir, car tous communient dans cette gravité. Devant la situation inextricable où Palestiniens et Israéliens se disputent la même terre, ceux qui ont fait le voyage se disent, presque malgré eux, que la Terre promise est d’abord une patrie spirituelle. Au bord du champ de mines, les versets bibliques sur « le bon grain et l’ivraie » remontent à la surface. L’exode, ce vieux thème biblique, chacun en mesure concrètement la réalité, même si beaucoup n’étaient pas venus pour ça. Des Américains, des Asiatiques, bardés d’appareils photo, qui mitraillent aux quatre vents en s’extasiant sur la vue.



CARÊME : le temps de l'exode Jordanie_1
Au sommet du mont Nébo se trouve une représentation métallique du serpent d’airain,
que Moïse dressa en haut d’un mât pour sauver les Hébreux mordus par ce reptile. (Nb 21, 4-9)


Un lieu tellement déroutant

Manon et Benoît, un jeune couple venu ici en excursion, avouent avoir gardé de la Bible une sorte de mémoire des origines, « le côté initiatique que l’on trouve dans tout voyage », et se découvrent très touchés par ce lieu tellement déroutant. Et puis il y a Anne-Marie, une Grenobloise venue avec son mari, dont une fille s’appelle Clotilde, comme l’auteur de ces lignes, et ce hasard délie la conversation. Visiblement heureuse de dire qu’elle n’est pas là seulement comme une simple touriste, elle associe spontanément le mot « croyant » au thème de l’exode sur lequel nous l’interrogeons : « Avancer, dit-elle, même si c’est dans le brouillard. » Elle est entrée dans la basilique, au sommet du mont, où quelqu’un lui a dit un peu brutalement : « Vous savez que c’est une messe. » Sans se vexer, réaffirmant sa foi de chrétienne un peu enfouie, elle a pu communier, ce qui l’a bouleversée, remise en route.

« Quand je parle de la Bible, eh bien, ça bouge les cœurs », confie Khaled Samawi, un guide jordanien, arabe et chrétien, dans ce pays qui en compte autour de 3 %. De fait, les chrétiens qui continuent à venir en pèlerinage dans la région sont un baume pour ceux de Palestine qui, pris entre deux feux, paient les pots cassés à chaque conflit : la guerre des Six-Jours en 1967 (avec la conquête israélienne de la bande de Gaza, Jérusalem-Est, le plateau du Golan et la Cisjordanie) ; la lutte contre l’occupation israélienne avec la première Intifada en 1987, et la seconde en 2000. « Bien sûr, poursuit Khaled, on sait très bien que 95 % des touristes qui viennent ici le font juste pour Pétra, et la Jordanie en général. Mais quand je donne les détails bibliques, même quand ils ne sont pas très intéressés, ils finissent par poser encore plus de questions, qu’ils soient athées, païens, ou plus vraiment chrétiens. Oui, ce pays représente une partie importante de la Terre sainte, avec tous ses lieux saints reconnus par le Vatican depuis les années 2000, après la visite de saint Jean-Paul II. » C’est d’ailleurs depuis leur traversée de la mer Rouge que les Israélites – le nom du peuple descendant d’Israël, donc de Jacob, le fils d’Isaac, fils d’Abraham, quand il était en Égypte – ont été appelés « Hébreux », qui veut dire « traverser », fait-il remarquer.

Du haut du mont Nébo, on peut voir, à gauche, la mer Morte, 434 mètres sous le niveau de la mer, le point le plus bas du globe. À droite, l’eau du Jourdain, où Jean Baptiste baptisa. Le fleuve que Jésus traversa comme Josué, dont Il partage le nom (« le Seigneur sauve »). Béthanie, au-delà du Jourdain, côté jordanien donc, lieu charnière entre l’Ancien et le Nouveau Testament, le désert et la Terre promise, ce royaume de Dieu qui commence ici-bas. Au loin, côté israélien, dans la transparence cristalline du ciel, on peut apercevoir Jérusalem, pourtant située à 45 kilomètres, et Jéricho, sans tambours ni trompettes, seule oasis de la région, avec ses palmes et ses dattiers, que l’on distingue au milieu de la rocaille ocre du désert, assombrie ici ou là par l’auréole dense et noire d’un nuage. Infini. C’est la sensation qui domine, du haut relatif de ces 817 mètres d’altitude ; si peu, au regard de nos sommets européens. Cette zone du Proche-Orient où Dieu s’est incarné concentre toutes les topographies. De l’Égypte, pays d’esclavage d’où le peuple élu est sorti, jusqu’au pays où coulent le lait et le miel que Dieu lui avait promis dans la région du Jourdain, l’itinéraire est irrationnel : quarante ans pour traverser la mer Rouge, le désert du Sinaï en Égypte, jusqu’à celui de l’actuelle Jordanie, cela fait bien des tours et des détours, pour un trajet finalement pas si long.



CARÊME : le temps de l'exode Jordanie_2
Sur le site biblique de Béthanie-au-delà-du-Jourdain, lieu du baptême de Jésus par Jean Baptiste, moment de recueillement avec les membres de l’Association nationale des directeurs diocésains de pèlerinage.


La vie spirituelle, un sentier où rien n'est jamais gagné

Voilà déjà un jalon, sur le sens de la vie spirituelle, telle que le christianisme en a tracé le chemin : un sentier où rien n’est jamais gagné, où les distances bravent la topographie, où l’on peut traverser la mer à pied sec, où l’on doit souvent retourner sur ses pas pour avancer, où il faut descendre pour monter, où les premiers sont les derniers… « En quarante ans d’exode, la vieille génération qui a com mencé la marche est morte au désert sans voir la Terre sainte, indique le Père Jean-Louis Ska, auteur d’un livre d’exégèse biblique sur celui de l’Exode. Dans la Bible, le chiffre 40 symbolise le temps d’une transformation, d’une génération, qui a permis au peuple d’Israël de se régénérer, de se renouveler, d’être rajeuni. Cela signifie que le vieil homme en chacun doit laisser place à l’homme nouveau. Et nous savons qu’il ne faut pas réutiliser les vieilles outres pour le vin nouveau. » Un processus qui réclame un temps infini, que le Carême remet chaque année symboliquement sur le métier, tant le gouffre est profond entre les pensées des hommes et celles de Dieu (Is 55, 8-11).

Dans tout l’Ancien Testament, les récits de l’Alliance que Dieu tisse avec son peuple montrent à quel point la chose est laborieuse. Quand Moïse sort le peuple hébreu de son esclavage en Égypte, pour le conduire vers Dieu et sa promesse de bonheur, les esprits grincheux ne tardent pas à râler, regrettant la cantine de la prison, où les menus étaient assurés. L’être humain préfère son esclavage et ses idoles, parce qu’il a peur de l’inconnu et de la liberté, alors, qu’à cela ne tienne, le décor va l’aider…

Le propre du désert est de désarçonner le voyageur, en cassant tous les repères qu’offre habituellement le paysage, dans son immensité uniforme où toutes les pierres se ressemblent. Dans ce lieu sans bornes ni frontières, « Dieu éduque son peuple, poursuit le Père Ska, lui apprenant une nouvelle façon de vivre, où ce qui compte n’est pas la situation, mais le comportement. La vraie patrie du chrétien, c’est l’Évangile. La sécurité est un esclavage, c’est l’Égypte, avec Pharaon qui décide de tout. Il faut oser en sortir, même si on a peur du risque et de l’erreur. Quand Moïse conduit Israël hors d’Égypte, il ne prend pas la place de Pharaon, ne remplace pas un régime totalitaire par un autre. La loi qu’il reçoit de Dieu pour la donner au peuple n’est pas une somme d’interdits, mais un chemin de libération dans une nouvelle alliance avec Dieu. » Le prêtre rappelle que pour désigner la Loi, le mot hébreu signifie « enseignement », « instruction ». Les choses sont discutées avec le peuple qui est convoqué pour cette alliance et qui y entre de son plein gré. C’est un droit en action, une pédagogie où Dieu entre en dialogue avec son peuple au fur et à mesure. Le drame, c’est que quand on n’arrive pas à se détacher de ce qui était, on fait obstacle au nouveau que Dieu fait advenir.



CARÊME : le temps de l'exode Jordanie_3
Les moutons suivent le berger, pour traverser la route bitumée qui conduit aujourd’hui au mont Nébo.​​​​​​​ / Clotilde Hamon


« Les épreuves jalonnent la vie, qui est mouvement »

Le désert est aussi un lieu de tentation : quarante jours pour Jésus, quarante ans pour les Hébreux. « Dans l’Évangile de Matthieu, Jésus refait le chemin du peuple d’Israël, note le Père Ska. Mais au lieu d’y succomber, le Christ résiste et vainc les tentations. Il montre le chemin. » Le prêtre rappelle qu’en grec et en hébreu, le mot « tentation » revêt aussi le sens d’« épreuve ». « Dans le Deutéronome (8, 2), il est dit que Dieu met à l’épreuve pour savoir si on aime vraiment le Seigneur. Est-ce que l’on est vraiment à sa suite ou est-on installé une fois pour toutes ? Les épreuves jalonnent la vie, qui est mouvement. Il faut sans cesse s’adapter, s’ajuster, passer de l’enfance à l’adolescence, puis à l’âge adulte et à la vieillesse. Rien n’est tout à fait stable, sûr, définitif. Le monde et nous-mêmes ne cessons de changer. La fidélité n’est pas un attachement à l’immuable mais au Christ-chemin. La vraie vie, c’est d’être en marche, pas après pas. C’est parfois douloureux, mais nous ne sommes jamais seuls sur ce chemin. »

Un abandon contre-intuitif qui nous révulse

Dans les déserts qui s’étirent entre l’Égypte et la Jordanie, et singulièrement aux alentours du mont Nébo, le paysage symbolise intensément les moments difficiles et les obstacles, avec ses zones caillouteuses écrasées de soleil, barrées de falaises de pierre, mais aussi les joies, par la beauté des oasis et des sources qui verdissent par endroits l’horizon. Il y a mille et une façons de marcher, mais si l’on s’arrête, ou, pire, si l’on regarde en arrière, « nous sommes transformés en statue de sel comme la femme de Loth, rappelle le bibliste. Car le monde, lui, continue, et Dieu aussi. À Moïse qui Lui demande de voir sa gloire, Dieu accepte de se laisser voir de dos, et non de face, car voir sa face, c’est mourir. Ce qui fera dire à Grégoire de Nysse que voir Dieu, c’est Le suivre ». Marcher, donc, en mettant sa foi en Celui qui nous accompagne, « car le désert est aussi un lieu de mort où l’on ne peut survivre que grâce à Dieu. On y fait l’expérience de sa Providence, de sa force créatrice qui pourvoit, fait pleuvoir la manne et jaillir les sources ». On y apprend l’abandon, cet abandon, tellement contre-intuitif, qui nous révulse. Car comment comprendre que ce qui libère soit l’arrachement au besoin d’assurer ses arrières et à sa propre volonté ? Cet arrachement que même le Christ a connu devant la coupe en demandant si elle pouvait s’éloigner : « Non, pas la mienne, mais la tienne. » « Que ta volonté soit faite », osent dire à sa suite les chrétiens dans le Notre Père. Dans cette immense étendue de rocailles, sans une touffe d’herbe, ni un seul arbrisseau, on se demande où peuvent bien mener paître leurs moutons les bergers que l’on croise : il n’y a rien. Et ce rien met chacun face à son propre vide existentiel, celui que nous désignons en parlant de nos « traversées du désert ». Le conduisant à réfléchir à la façon dont il le remplit, avec ses vieilles habitudes, ses idoles, ou avec Dieu.


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