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Prédication du CARDINAL CANTALAMESSA pour le CARÊME 2024 (1/5)

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Message par Lumen Mar 20 Fév 2024 - 20:30

Prédication du CARDINAL CANTALAMESSA pour le CARÊME 2024 (1/5)




Le cardinal Raniero Cantalamessa, prédicateur de la Maison pontificale, propose les vendredis de Carême une prédication pour se préparer à Pâques. Sa prédication est à suivre depuis la salle Paul VI à Rome les vendredis 23 février et 1er, 8, 15, et 22 mars à 9h00, en direct sur KTO.


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Message par Lumen Lun 26 Fév 2024 - 22:02

« Je suis le pain de vie »


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Première prédication de Carême 2024

Chaque année, le prédicateur de la Maison pontificale propose des méditations à la Curie romaine pour accompagner le temps du Carême. Nous publierons les textes des prédications du cardinal Raniero Cantalamessa, frère capucin, dans les prochaines newsletters Zenit. Traduction par Cathy Brenti

Au début de ces prédications de Carême, nous repartons du célèbre dialogue entre Jésus et les apôtres à Césarée de Philippe : Jésus, arrivé dans la région de Césarée-de-Philippe, demandait à ses disciples : « Au dire des gens, qui est le Fils de l’homme ? » Ils répondirent : « Pour les uns, Jean le Baptiste ; pour d’autres, Élie ; pour d’autres encore, Jérémie ou l’un des prophètes. » Jésus leur demanda : « Et vous, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ? » Alors Simon-Pierre prit la parole et dit : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ! » (Mt 16, 13-16).

De tout le dialogue, ce qui nous intéresse, ici, c’est seulement et exclusivement la deuxième question de Jésus : « Pour vous, qui suis-je ? » Cependant, nous ne la prenons pas dans le sens où on la prend habituellement, c’est-à-dire comme si Jésus voulait savoir ce que l’Église pense de lui, ou ce que nos études de théologie nous disent de lui. Non ! Nous prenons cette question comme on doit prendre toute parole qui sort de la bouche de Jésus, c’est-à-dire comme si elle s’adressait hic et nunc à celui qui l’écoute, individuellement et personnellement.

Pour réaliser cet examen, nous nous ferons aider par Jean l’évangéliste. Dans son Évangile, nous trouvons toute une série de déclarations de Jésus, le célèbre Ego eimi, « Je Suis », avec lesquelles il révèle ce qu’il pense, lui, de lui-même, ce qu’il dit, lui qu’il est : « Je suis le pain de vie », « Je suis la lumière du monde », et ainsi de suite. Nous passerons en revue cinq de ces autorévélations et nous nous demanderons à chaque fois s’il est vraiment pour nous ce qu’il affirme être, et comment faire pour qu’il le soit de plus en plus.

Nous vivrons ce moment d’une manière particulière. C’est-à-dire, non pas avec le regard tourné vers l’extérieur, vers les problèmes du monde et de l’Église même, comme on se sent poussé à le faire dans d’autres contextes, mais avec un regard d’introspection. Sera-ce donc un moment intimiste et détaché, et, somme toute, égoïste ? Loin de là! C’est s’évangéliser soi-même pour évangéliser, se remplir de Jésus pour ensuite l’annoncer « par redondance d’amour », comme les Constitutions primitives de mon Ordre Capucin recommandaient aux prédicateurs, c’est-à-dire par conviction intime, et pas seulement pour répondre à une mission.

* * *

Commençons par le premier de ces « Je Suis » de Jésus que nous rencontrons dans le Quatrième Évangile, au sixième chapitre : « Je suis le pain de vie ». Commençons par écouter la partie du discours qui nous intéresse plus directement :

Ils lui dirent alors : « Quel signe vas-tu accomplir pour que nous puissions le voir, et te croire ? Quelle œuvre vas-tu faire ? Au désert, nos pères ont mangé la manne ; comme dit l’Écriture : Il leur a donné à manger le pain venu du ciel. » Jésus leur répondit : « Amen, amen, je vous le dis : ce n’est pas Moïse qui vous a donné le pain venu du ciel ; c’est mon Père qui vous donne le vrai pain venu du ciel. Car le pain de Dieu, c’est celui qui descend du ciel et qui donne la vie au monde. » Ils lui dirent alors : « Seigneur, donne-nous toujours de ce pain-là. » Jésus leur répondit : « Moi, je suis le pain de la vie. Celui qui vient à moi n’aura jamais faim ; celui qui croit en moi n’aura jamais soif.

Un mot sur le contexte. Jésus avait auparavant multiplié les cinq pains d’orge et les deux poissons pour nourrir cinq mille hommes. Puis il avait disparu pour échapper à l’enthousiasme de ceux qui voulaient le faire roi. La foule le cherche et le retrouve sur l’autre rive du lac.

C’est ici que commence le long discours par lequel Jésus tente d’expliquer « le signe du pain ». Il veut faire comprendre que c’est un autre pain qu’il faut rechercher, dont le matériel n’est, justement, qu’un « signe ». C’est la même procédure employée avec la Samaritaine au chapitre IV de l’Évangile. Là, Jésus veut amener la femme à découvrir une autre eau, autre que physique, qui n’apaise la soif que pour un temps limité ; ici, il veut amener la foule à chercher un autre pain, différent du pain matériel, qui ne rassasie que pour la journée. À la Samaritaine qui demande cette eau mystérieuse et attend la venue du Messie pour l’obtenir, Jésus répond : « Je le suis, moi qui te parle » (Jn 4, 26). A la foule qui pose désormais la même question pour le pain, il répond : « Je suis le pain de la vie ! »

Posons-nous la question : comment et où mangeons-nous ce pain de vie ? La réponse des Pères de l’Église était, en deux « lieux » ou de deux manières, dans le sacrement et dans la Parole, c’est-à-dire dans l’Eucharistie et dans l’Écriture. A vrai dire, l’accent était mis de diverses manières. Certains, comme Origène – et parmi les Latins – Ambroise, insistent davantage sur la Parole de Dieu : « Ce pain que Jésus rompt – écrit saint Ambroise en commentant la multiplication des pains – signifie mystiquement la parole de Dieu qui, distribuée, augmente. Il nous a donné ses paroles comme des pains qui se multiplient dans nos bouches à mesure que nous les goûtons. » D’autres, comme Cyrille d’Alexandrie, accentuent l’interprétation eucharistique. Aucun d’entre eux cependant, ne s’exprimait sur un « lieu » en excluant l’autre. On parle de la Parole et de l’Eucharistie comme des « deux tables » dressées par le Christ. Dans l‘Imitation du Christ, nous lisons :

Je sens que deux choses me sont ici-bas souverainement nécessaires, et que sans elles je ne pourrais porter le poids de cette misérable vie. Enfermé dans la prison de mon corps, j’ai besoin d’aliments et de lumière. C’est pourquoi vous avez donné à ce pauvre infirme votre chair sacrée pour être la nourriture de son âme et de son corps, et votre parole pour luire comme une lampe devant ses pas. Je ne pourrais vivre sans ces deux choses, car la parole de Dieu est la lumière de l’âme et votre Sacrement le pain de la vie. On peut encore les regarder comme deux tables placées dans les trésors de l’Eglise.

L’affirmation unilatérale de l’une de ces deux manières de manger le pain de la vie à l’exclusion de l’autre est le résultat de la division néfaste survenue dans le christianisme occidental. Du côté catholique, l’interprétation eucharistique avait fini par devenir si prépondérante qu’elle faisait du sixième chapitre de Jean presque l’équivalent du récit de l’institution de l’Eucharistie. Luther, en réaction, affirma le contraire, à savoir que le pain de la vie est la parole de Dieu ; il est distribué au moyen de la prédication et mangé au moyen de la foi.

Le climat œcuménique qui s’est instauré parmi les croyants au Christ nous permet de recomposer la synthèse traditionnelle présente chez les Pères. Il ne fait aucun doute que le pain de la vie nous arrive à travers la parole de Dieu et en particulier les paroles de Jésus dans l’Évangile. Sa réponse au tentateur nous le rappelle aussi : « L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu ». (Mt 4, 4) Mais comment ne pas voir dans le discours de Jésus dans la synagogue de Capharnaüm également une référence à l’Eucharistie ? L’ensemble du contexte évoque un banquet : on parle de nourriture et de boisson, de manger et de boire, du corps et du sang. Les paroles : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang … » rappellent trop clairement les paroles de l’institution (« Prenez, mangez, ceci est mon corps » et « Prenez, buvez : ceci est mon sang ») pour pouvoir nier toute relation entre elles.

Si en exégèse et en théologie on assiste à une polarisation et parfois – disais-je – à un contraste entre le pain de la parole et le pain eucharistique, dans la liturgie leur synthèse s’est toujours vécue sereinement. Depuis les temps les plus anciens, par exemple en saint Justin martyr, la messe comporte deux temps : la liturgie de la Parole, avec des lectures tirées de l’Ancien Testament et des « mémoires des apôtres », et la liturgie eucharistique avec la consécration et la communion.

Aujourd’hui, nous pouvons revenir, disais-je, à la synthèse originelle entre Parole et Sacrement. Nous devons en effet même faire un pas en avant dans cette direction. Cela consiste à ne pas se limiter à manger la chair et à boire le sang du Christ – c’est-à-dire à la seule Parole et au sacrement de l’Eucharistie – mais à la voir mise en œuvre à chaque instant et dans chaque aspect de notre vie de grâce.

Lorsque saint Paul écrit : « Pour moi, vivre, c’est le Christ » (Ph 1, 21), il ne pense pas à un moment précis. Pour lui, le Christ est véritablement, quelle que soit la forme que prend sa présence, le pain de vie ; on le « mange » avec foi, espérance et charité, dans la prière et en tout. L’être humain est créé pour la joie et ne peut vivre sans joie, ou sans l’espérance de l’atteindre. La joie est le pain du cœur. Et l’Apôtre cherche aussi la vraie joie – et exhorte ses disciples à la chercher – en Jésus-Christ le Seigneur : « Gaudete in Domino semper, iterum dico, gaudete » : « Soyez toujours dans la joie du Seigneur ; je le redis : soyez dans la joie. » (Ph 4, 4 )

Jésus est pain de vie éternelle, non seulement pour ce qu’il donne, mais aussi – et avant tout – pour ce qu’il est. La Parole et le Sacrement sont les moyens ; le but est de vivre par lui et en lui : « De même que le Père, qui est vivant, m’a envoyé, et que moi je vis par le Père, de même celui qui me mange, lui aussi vivra par moi » (Jn 6, 57). Dans l’hymne Adoro te devote qui a alimenté la piété et l’adoration eucharistiques des catholiques pendant des siècles, il y a une strophe qui est une paraphrase de ces paroles de Jésus. Dans l’original, dont beaucoup d’entre nous se souviennent certainement, elle dit :

O memoriále mortis Dómini,
Panis vivus vitam praestans hómini,
praesta meae menti de te vívere,
et te illi semper dulce sápere.

Et en français,
Ô mémorial de la mort du Seigneur,
Pain vivant qui donnez la vie aux hommes,
Faites que mon âme trouve la vie en vous
Et goûte toujours combien vous êtes doux.

* * *

Tout le discours de Jésus sur le pain de vie tend, donc, à clarifier quelle vie il donne, non pas la vie de la chair, mais la vie de l’Esprit, la vie éternelle. Ce n’est cependant pas dans cette direction que je voudrais poursuivre ma réflexion dans les quelques minutes qui me restent. Par rapport à l’Évangile, il y a toujours deux opérations à faire, en respectant strictement leur ordre : d’abord l’appropriation, puis l’imitation. Jusqu’à présent, nous nous sommes approprié le pain de la vie par la foi et nous le faisons chaque fois que nous recevons la communion. Il s’agit maintenant de voir comment le traduire en pratique dans nos vies.

Pour ce faire, nous nous posons une simple question : Comment lui, Jésus, est-il devenu pour nous pain de vie ? Il nous a lui-même donné la réponse, précisément dans l’Évangile de Jean : « Amen, amen, je vous le dis : si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit. » (Jn 12, 24) Nous savons bien à quoi font allusion les images de chute à terre et de pourriture. Toute l’histoire de la Passion y est contenue. Nous devons essayer de voir ce que ces images signifient pour nous. En effet, en prenant l’image du grain de blé, Jésus n’indique pas seulement sa destinée personnelle, mais celle de chacun de ses vrais disciples.

On ne peut écouter les paroles adressées par saint Ignace d’Antioche à l’Église de Rome sans s’émouvoir et sans s’étonner, en voyant ce que la grâce du Christ est capable de faire d’une créature humaine :

Laissez-moi être la pâture des bêtes, par lesquelles il me sera possible de trouver Dieu. Je suis le froment de Dieu, et je suis moulu par la dent des bêtes, pour être trouvé un pur pain du Christ […] Implorez le Christ pour moi, pour que, par l’instrument des bêtes, je sois une victime offerte à Dieu. Je ne vous donne pas des ordres comme Pierre et Paul : eux, ils étaient libres, et moi jusqu’à présent un esclave.

Avant les dents des bêtes sauvages, Ignace a fait l’expérience d’autres dents qui l’avaient broyé, non pas celles des bêtes sauvages, mais celles des hommes : « Depuis la Syrie jusqu’à Rome – écrit-il – je combats contre les bêtes, sur terre et sur mer, nuit et jour, enchaîné à dix léopards, c’est-à-dire à un détachement de soldats ; quand on leur fait du bien, ils en deviennent pires. » Cela a quelque chose à nous dire aussi. Chacun de nous a, dans son environnement, de ces dents qui le broient. Saint Augustin disait que nous, êtres humains, sommes des « corps de boue qui se froissent les uns les autres » : lutea vasa quae faciunt invicem angustias. Nous devons apprendre à faire de cette situation un moyen de sanctification et non d’endurcissement du cœur, de haine et de plainte !

Une maxime souvent répétée dans nos communautés religieuses dit Vita communis mortificatio maxima : « Vivre en communauté est la plus grande de toutes les mortifications ». Non seulement la plus grande, mais aussi la plus utile, plus méritoire que bien d’autres mortifications volontaires. Cette maxime ne s’applique pas seulement à ceux qui vivent dans des communautés religieuses, mais à toute coexistence humaine. A mon avis, le lieu où elle se réalise de la manière la plus exigeante, c’est dans le mariage, et il faut être plein d’admiration devant un mariage vécu fidèlement jusqu’à la mort. Passer toute sa vie, jour et nuit, en acceptant la volonté, le caractère, la sensibilité et les particularités d’une autre personne, surtout dans une société comme la nôtre, est quelque chose de grand et, si c’est fait dans un esprit de foi et d’amour, cela devrait déjà être qualifié de « vertu héroïque ».

Nous nous trouvons cependant ici dans le contexte de la Curie qui n’est pas une communauté religieuse ou matrimoniale, mais de service et de travail ecclésial. Les occasions à ne pas rater – si nous voulons nous aussi être moulus pour devenir farine de Dieu – sont nombreuses, et chacun devrait identifier et sanctifier celles qui lui sont offertes dans son lieu de service. Je n’en citerai qu’une ou deux qui me semblent valables pour tous.

Une opportunité est d’accepter d’être contredit, de renoncer à se justifier et à vouloir toujours avoir raison, quand l’importance de l’affaire ne l’exige pas. Une autre, c’est de supporter quelqu’un dont le caractère, la manière de parler ou d’agir nous énerve, et de le faire sans nous irriter intérieurement, en pensant plutôt que nous aussi en sommes peut-être le sujet pour quelqu’un. L’Apôtre exhortait les fidèles de Colosses par ces mots :

Revêtez-vous de tendresse et de compassion, de bonté, d’humilité, de douceur et de patience. Supportez-vous les uns les autres, et pardonnez-vous mutuellement si vous avez des reproches à vous faire. (Col 3, 12-13)

Ce qui est le plus difficile à « broyer » en nous, ce n’est pas la chair, mais l’esprit, c’est-à-dire l’amour-propre et l’orgueil, et ces petits exercices remplissent magnifiquement leur fonction.

Malheureusement, il existe aujourd’hui dans la société une sorte de dents qui broient sans pitié, plus cruellement que les dents de léopard dont parlait le martyr saint Ignace. Ce sont les dents des médias et de ce que l’on appelle les « social ». Non pas lorsqu’ils dénoncent les distorsions de la société ou de l’Église (en cela ils méritent tout le respect et l’estime !), mais lorsqu’ils attaquent quelqu’un de parti pris, simplement parce qu’il n’appartient pas à leur camp. Avec malveillance, avec une intention destructrice et non constructive. Pauvre celui qui finit dans ce hachoir à viande aujourd’hui, qu’il soit laïc ou ecclésiastique !

Dans ce cas, il est légitime et nécessaire de faire valoir ses raisons dans les forums appropriés, et si cela n’est pas possible, ou s’il s’avère que cela ne sert à rien, il ne reste plus au croyant que de s’unir au Christ flagellé, couronné d’épines et sur qui ils ont craché. Dans la Lettre aux Hébreux, nous lisons cette exhortation aux premiers chrétiens, qui peut aider en de pareilles occasions : « Méditez l’exemple de celui qui a enduré de la part des pécheurs une telle hostilité, et vous ne serez pas accablés par le découragement. » (He 12, 3)

C’est une chose assez difficile et des plus douloureuses, surtout si on y trouve sa propre famille naturelle ou religieuse, mais la grâce de Dieu peut faire – et a souvent fait – de tout cela une occasion de purification et de sanctification. Il s’agit d’avoir foi qu’à la fin, comme cela s’est produit pour Jésus, la vérité triomphera du mensonge. Et elle triomphera peut-être encore mieux avec le silence qu’avec l’autodéfense la plus acharnée.

* * *

Le but final de se laisser broyer n’est cependant pas de nature ascétique, mais mystique ; il ne sert pas tant à se mortifier, qu’à créer la communion. C’est une vérité qui a accompagné la catéchèse eucharistique dès les premiers jours de l’Église. Elle est déjà présente dans la Didache (IX, 4), écrit des temps apostoliques. Saint Augustin développe ce thème de façon merveilleuse dans un de ses discours au peuple. Il met en parallèle le processus qui conduit à la formation du pain qui est le corps eucharistique du Christ et le processus qui conduit à la formation de son corps mystique qu’est l’Église.

Il dit : Rappelez-vous un instant ce qu’était autrefois cette créature qu’est le blé, lorsqu’elle était encore dans les champs : la terre la faisait germer, la pluie la nourrissait ; puis il y avait le travail de l’homme qui le portait à l’aire de battage, le battait, le vannait et le mettait dans les greniers ; de là, il le prenait pour le moudre et le cuire et ainsi, finalement, il est devenu du pain. Maintenant, rappelez vos souvenirs car vous n’existiez pas et avez été créés, on vous a apportés sur l’aire sacrée, vous y avez été foulés… Lorsque vous avez donné vos noms pour le baptême, vous avez commencé à être écrasés par le jeûne et les exorcismes ; puis finalement vous vous êtes approchés de l’eau sainte, vous en avez été pénétrés et vous êtes devenu une seule chose ; quand la chaleur du Saint-Esprit est venue, vous avez été cuits et vous êtes devenus le pain du Seigneur. Voilà ce que vous avez reçu. C’est pourquoi, de même que vous voyez que le pain préparé est un, soyez vous aussi un, en vous aimant, en conservant une même foi, une même espérance, une indivisible charité. »

Entre les deux corps – eucharistique et mystique de l’Église – il n’y a pas seulement une similitude, mais aussi une dépendance. C’est grâce au mystère pascal du Christ opérant dans l’Eucharistie que nous pouvons trouver la force de nous laisser broyer, jour après jour, dans les petites (et parfois grandes !) circonstances de la vie.

* * *

Je termine par un épisode qui s’est réellement passé, raconté dans un livre intitulé « Le prix à payer », écrit en français et traduit en plusieurs langues. Cela sert, mieux que de longs discours, à réaliser la puissance contenue dans les solennels « Je Suis » du Christ dans l’Évangile et en particulier dans celui que j’ai commenté dans cette première méditation.

Il y a quelques décennies, dans un pays du Moyen-Orient, deux soldats – l’un chrétien et l’autre non – faisaient ensemble office de sentinelles dans un dépôt d’armes. Le chrétien sortait souvent, parfois même la nuit, un petit livre et le lisait, attirant la curiosité et l’ironie de son compagnon d’armes. Une nuit, cet dernier fait un rêve. Il se trouve devant un torrent qu’il ne réussit cependant pas à traverser. Il voit une silhouette enveloppée de lumière qui lui dit : « Pour le traverser, il te faut le pain de la vie ». Fortement impressionné par son rêve, au matin, sans savoir pourquoi, il demande – ou plutôt oblige – son compagnon à lui remettre son mystérieux livre (il s’agissait bien sûr des évangiles). Il l’ouvre et tombe sur l’évangile de Jean. Son ami chrétien lui conseille de commencer par celui de Matthieu qui est plus facile à comprendre. Mais lui, sans savoir pourquoi, insiste. Il lit tout d’une seule traite, jusqu’à atteindre le sixième chapitre. A ce stade, il est bon d’écouter le reste directement de sa bouche :

Arrivé au chapitre 6 je m’arrête net dans ma lecture, abasourdi, au milieu d’une phrase. J’ai le cerveau en ébullition. Une seconde, je pense que je suis victime d’une hallucination, et replonge les yeux dans ce livre, à l’endroit précis où je me suis arrêté […] Je viens à l’instant de lire exactement ces mots, « le pain de vie », ceux-là mêmes que j’ai entendus il y a quelques heures dans mon rêve. Pour en avoir le cœur net, je relis lentement ce passage, dans lequel ce Jésus s’adresse à ses disciples après avoir multiplié des pains pour la foule, en leur disant : «Je suis le pain de vie, celui qui vient à moi n’aura plus jamais faim… »

Il se passe alors en moi quelque chose d’extraordinaire, comme une déflagration violente qui emporte tout sur son passage, accompagnée d’une sensation de bien-être et de chaleur… […] J’ai l’impression d’être ivre, alors que monte dans mon cœur un sentiment d’une force inouïe, une passion presque violente et amoureuse pour ce Jésus-Christ dont parlent les Évangiles.

Ce que cette personne a dû souffrir par la suite pour sa foi confirme l’authenticité de son expérience. La parole de Dieu n’agit pas toujours de manière aussi explosive, mais l’exemple, je le répète, nous montre quelle force divine est contenue dans les solennels « Je Suis » du Christ qu’avec la grâce de Dieu, nous nous engageons à commenter durant ce Carême.]



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