SERMON DE L'ASCENSION - C`est votre intérêt que je parte. (Jean 16,7) - Sermon du Moyen-Âge d`un moine franciscain

Frère Olivier Maillard , moine franciscain , présente une des physionomies les plus remarquables de notre XV° siècle, si riche en figures caractéristiques. Né en Bretagne, vers 1430, il réunit, au plus haut degré, les deux traits saillants attribués à ses compatriotes, la franchise et l'inflexibilité. Sa foi n'est pas douteuse ; elle respire trop bien dans sa conduite comme dans ses discours. Disons qu'elle fut absolue pour le fond et, dans la forme, intraitable et naïve. Il vivait au temps du roi de France Louis XI.


SERMON DU JOUR DE L'ASCENSION DE NOSTRE SEIGNEUR.

«C`est votre intérêt que je parte.». (Jean 16,7)

Les paroles proposées par Notre Seigneur et rédempteur Jésus le jour de sa glorieuse Ascension en départant de ses amis et disciples, et valent autant à dire en français : «Expédient il vous est que je vous quittent». Il dit ces paroles Notre Seigneur comme en répondant à une prière dévote et piteuse complainte que les apôtres et disciples lui pouvaient faire en disant : - O souverain maître , notre refuge et protecteur singulier, comment et pourquoi nous laissez vous maintenant , nous qui sommes vos pauvres brebis , entre les grands périls de ce monde, lesquels notre fragilité ne peut  vaincre sans vous ?

Hélas , Sire , très périlleuse guerre , et non pas tant seulement temporelle mais spirituelle, contre nous s'attaquera , car l'ennemi de la nature humaine fait de très cruels assauts contre le chastel (la forteresse)de notre âme et dedans voudra entrer pour chasser dehors et mettre à fin toute la chevalerie des vertus qui par vous nous est donnée, commise et administrée . Las , Sire , quelle est notre force pour résister contre si cruels assauts, si vous n’êtes avec vos serviteurs ? Si vous prions , très doux maître , que vous ne partez pas de nous, car pour votre départ la tristesse remplit notre coeur. Répondit Notre Seigneur par les paroles proposées , en disant : «C`est votre intérêt que je parte».

O mes bons amis, dit Notre Seigneur, ne vous découragez point, car il vous est expédient que je vous quittent. Pourquoi, Sire ? — Car  autrement le Saint Esprit ne descendra point sur vous. Lors voyants les amis de Dieu ces paroles , ne reçurent aucune consolation . Pour venir donc à notre matière et pleinement connaître les paroles proposées, nous devons savoir qu'il était expédient qu`il montât au cieux , tant à cause de sa personne que pour notre salut et consolation.

Premièrement, à cause de sa personne , pour deux raisons . — La première est , car le lieu doit être proportionné au corps et semblablement le corps au lieu. Comme il soit ainsi donc que le corps de Notre Seigneur après sa résurrection fut très glorieux , raison était la raison qu'il fut convoqué en un lieu très glorieux , comme est le ciel et le paradis : car ce monde est un lieu de misère et de corruption . - La seconde est , car comme il avait démontré en sa résurrection la gloire de résurrection qu'il a promise à ses amis, tout ainsi il devait démontrer l'ascension qu'il a promise à ses membres et amis. Et combien qu'il fut très digne de monter aux cieux incontinent après sa résurrection , comme celui qui avait eu victoire de son ennemi et gagné, pour soi et pour ses membres , le royaume de paradis, néanmoins, de sa bénigne grâce , il a voulu être quarante jours après sa résurrection avec ses disciples , pour trois causes principalement. — La première fut, pour instruire ses disciples des commandements de Dieu . Car comme l'ange de Dieu fut avec  Moïse en la montagne de Sinaï pour lui enseigner les commandements de Dieu , ainsi Notre Seigneur a voulu être quarante jours avec ses disciples. La seconde fut, pour montrer évidemment, par arguments et véritables apparitions , qu'il était ressuscité . La tierce fut, pour consoler ses amis qui étaient très troublés de sa Passion , et pour montrer que la consolation divine excède la tristesse temporelle. Et comme le jour excède l'heure, il a voulu être autant de jours vivant avec ses disciples comme il fut d`heures mort en sa tombe (40 heures).

Secondement , je dis qu'il était expédient pour notre salut et profit spirituel qu'il montât aux cieux , pour plusieurs causes et principalement pour cinq. - La première est , car autrement le Saint Esprit ne fut point descendu visiblement et manifestement sur les disciples ; ainsi le dit Notre Seigneur : «Si je ne part pas, l`Esprit-Saint ne viendra pas vers vous.» (Jean 16,17).

La seconde cause pour laquelle il est monté aux cieux est la confirmation de notre foi. Car plusieurs simples gens eussent cru à grand peine qu'il fut semblable à son Père s'il ne fut monté à sa droite. Et aussi , par cette Ascension, ils sont plus faciles à croire leur ascension le jour du jugement , s'ils sont vrais membres de Notre Seigneur. – La tierce est l`élévation de notre espérance. Car quant nous pécheurs considérons que Notre Seigneur a fait un si grand honneur à nature humaine en la colloquant sur tous les anges de paradis , nous sommes plus élevés en ayant confiance de sa miséricorde . La quarte est augmentation et perfection de la charité . Car si Notre Seigneur était toujours avec nous corporellement et visiblement , nous fixerions trop notre amour en son humanité, comme faisaient les disciples, laquelle amour empêche la grâce du Saint Esprit . Afin donc que nous élevions nos coeurs à la divinité , il nous a ôté son humanité. Sur ce point saint Bernard ( 12 ème siècle) fait une exclamation , en disant : « Si l'amour de laquelle les disciples aimaient Notre Seigneur, qui n'était pas mauvaise, néanmoins elle empêchait la grâce du Saint Esprit, comment est-il possible que ceux qui aiment désordonnément les choses temporelles puissent recevoir la grâce du Saint Esprit ? » En vérité, elle est très délicate et n'est point donnée à ceux qui recherche la mondaine et temporelle consolation.  

La cinquième est , car il monté aux cieux pour continuellement montrer ses plaies à la glorieuse Trinité , pour impétrer la rémission aux pécheurs. O quelle confiance ! quelle espérance ! quelle consolation ! notre juge est notre avocat et continuel intercesseur. Quant donc l'heure fut venue que Notre Seigneur devait monter aux cieux , saint Michel archange alla quérir toute la chevalerie (tous les Anges de Dieu) de la court de paradis , laquelle incontinent, en grande révérence , vint au devant de son roi, et le mena en grande joie et jubilation en son royaume. Qui est celui qui pourrait expliquer les chants et mélodies que faisaient lors ces glorieux anges ? Qui saurait narrer leur joie ? Qui saurait aussi estimer la consolation des saints pères , quand ils furent associés avec ces glorieux anges et qu'ils furent mis en leur possession et héritage, lequel ils avaient perdu par la malice de l'ennemi ? Et en vérité , il n'est coeur qui la peut comprendre, tant était grande ! O doux maître et seigneur Jésus , comment avez vous souffert que votre mère fut privée de cette compagnie , de cette joie ? Pourquoi l'avez vous laissée en cette misère ? Votre jugement est très parfait. Je crois qu'elle était encore nécessaire en ce monde pour le salut de vos amis.

Pour finale conclusion de notre petite collation, nous devons considérer la voie par laquelle Notre Seigneur est monté aux cieux , afin de nous préparer à cheminer par icelle . Cette voie est tribulation, (souffrance) comme il dit : « Ne fallait-il pas que le Christ endurât ces souffrances pour entrer dans sa gloire.» (Luc 24,26). Par cette voie ont cheminé tous les amis de Dieu depuis le commencement du monde . Nous sommes donc bien abusés , si nous pensons monter aux cieux par autre voie . Pourtant , je vous admoneste de patiemment porter toutes tribulations (malheurs de la vie ou souffrances de cette vie) et de rendre grâces à Dieu , il vous met en la voie de paradis . Auquel Dieu , par sa bonté , nous veuille faire monter : Lui qui vit et règne sans fin en gloire éternelle . Amen.