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La servitude du progrès

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La servitude du progrès Empty La servitude du progrès

Message par jaimedieu Mer 17 Juin 2015 - 13:06

L'idée du progrès nous contraint à tout accepter

Dans un livre* riche en références historiques et philosophiques, Robert Redeker s'attaque à une vache sacrée de notre temps : le progrès. Longtemps considéré comme un concept noble, synonyme de vie meilleure, il est devenu, sous certaines formes, une idéologie totalitaire. Entretien.

Le Point : Le progrès est, nous dit-on depuis des décennies, « en marche ». C'est un « mouvement », comme vous l'écrivez, semblable à celui d'une colonne militaire en furie, qui se déploie dans bien des domaines. Cependant, vouloir le contenir, sinon lui opposer une résistance, apparaît souvent comme un acte rétrograde, presque une folie, une atteinte au bonheur de l'humanité... Peut-on critiquer le progrès ?

Robert Redeker : J'ai voulu dans ce livre, comme dans mes ouvrages précédents, travailler, ainsi que le conseillait Nietzsche, en médecin de la civilisation. Et même en addictologue, dans la mesure où le progrès est, comme la plupart des illusions collectives, un opium. Pour commencer à penser, il faut dire non, il faut prononcer un non radical. Ainsi Platon commence-t-il par dire non au monde sensible, Épicure non aux dieux, Rousseau non à la servitude, Marx non au capitalisme, etc. Notre époque doit dire non au progrès. Ce qui ne signifie pas dire non aux améliorations de l'existence humaine, mais non à l'idéologie du progrès, à la religion du progrès, à la croyance selon laquelle le progrès est le sens de l'histoire. Cette religion empêche à la fois de penser et de maîtriser. Le progrès est l'idéologie qui enveloppe toutes les activités des Modernes. La critique du progrès est parente de la critique de toutes les illusions, en particulier des religions.

La gauche gouvernementale a introduit la notion de progrès dans le domaine des valeurs, comme lors des débats sur le mariage homosexuel ou sur la théorie du genre. Les valeurs sont-elles, elles aussi, soumises à cette loi du progrès ?

L'appel au progrès pour légitimer des réformes sociétales est un tour de passe-passe destiné à les rendre indiscutables, à les placer hors débat. Comme le progrès est la religion des Modernes, leur religion laïque, articuler ces réformes à la foi dans le progrès permet de les sanctifier. L'approche du sociétal par la gauche s'opère selon ce que Lévy-Bruhl appelait « la pensée magique ». L'attitude dogmatique, l'intolérance et le fanatisme dont fit preuve la gauche aussi bien dans l'affaire du mariage pour tous que dans celle de la réforme du collège ne s'expliquent pas autrement.

Quel type d'homme est-il fabriqué par le progrès à outrance ?

Même si elle ne l'avoue pas toujours, l'idéologie progressiste cherche à fabriquer un homme nouveau. N'est-ce pas ce que veulent la réforme du collège et le mariage pour tous ? Il est intéressant de se pencher sur une autre réforme envisagée : celle de la notion de consentement pour le don d'organes en cas de décès. Il sera tenu pour acquis à défaut de déclaration contraire. Autrement dit, nous allons vers l'État dépeceur, une sorte de thanatocratie, version inattendue du biopouvoir tel que Foucault en proposa l'analyse. C'est, à la faveur de progrès techniques et juridiques, une nouvelle idée de l'homme qui s'impose : celle de l'homme dépeçable, recyclable. Ce qui sous-entend que le défunt est un déchet qu'il faut recycler. Mieux : c'est un objet technique ayant atteint la date de son obsolescence programmée dont on va réutiliser certains morceaux. Le discours sur les valeurs progressistes sert à inscrire cette modification dans une apparente et rassurante continuité, alors qu'elle est une rupture dont l'aspect quasi frankensteinien ne doit pas échapper. Plus généralement, l'idéologie du progrès fabrique le type d'homme que j'ai appelé dans un autre livre Egobody : celui qui ne distingue pas son moi de son corps, lequel n'est plus le corps spontané donné par la nature mais un corps de plus en plus technique, constitué de prothèses, vu comme un assemblage de pièces détachées échangeables.

Ce concept, et c'est la conclusion de votre livre, serait un mensonge doublé d'une drogue...

Le progrès a permis de rêver l'histoire, et par là de justifier les terribles horreurs du dernier siècle. Hegel a introduit, sur le modèle de l'idée de théodicée (justification du mal par Dieu, comme chez Leibniz, tel que Voltaire le raille), la notion de cliodicée : justification du mal par l'histoire. Le progrès est une cliodicée : il excuse tout, aussi bien les grands massacres du XXe siècle (de Staline à Mao et à Pol Pot, mais aussi Hiroshima) que « la montée de l'insignifiance » (1), l'ère du vide, la domestication généralisée de l'humain, « la vie administrée » (2).

L'islam prôné par Daesh n'est-il pas, paradoxalement, une forme moderne de progressisme religieux, une promesse de vie meilleure, de liberté et d'émancipation, soit une des définitions du progrès ?

L'islamisme est une idéologisation de l'islam. L'idéologie est un phénomène récent, apparu au XIXe siècle. Notre époque est le temps des idéologies. Longtemps a existé un islam anthropologique, celui de la vie quotidienne, très différent selon les régions. Ce sont les islams de la foi. Unificateur idéologique, l'islamisme détruit ces islams anthropologiques. L'islamisme est un islam idéologique planétaire, unidimensionnel, aux messages aussi simplistes que ceux de la propagande et de la publicité ; fonctionnant comme elles, détruisant l'expérience musulmane du monde telle qu'elle fut vécue depuis plus de mille ans. L'islamisme est l'extension de la mort de Dieu, qui se produisit d'abord au sein du monde occidental, à l'islam, au monde musulman. Il est la mort de Dieu au cœur de l'islam. Il est l'ère du vide ayant pris possession de l'islam. De ce fait, loin d'être un mouvement réactionnaire, l'islamisme est un mouvement à la fois moderne (il est à la pointe des technologies de la communication) et postmoderne. Il n'est pas étonnant qu'il recrute dans des populations nourries à la publicité et à ses slogans, qui parfois versent dans le fanatisme des marques, qui ont formé dans les esprits un terrain favorable à cette fanatisation. L'univers de la consommation et de la publicité rend vulnérable à la propagande par slogans et aux fausses promesses de bonheur immédiat.

Le progrès a-t-il une fin ?

Le progrès est un projet, enraciné dans les Lumières, qui a échoué. Il est en échec politique, anthropologique et écologique. Il se heurte à des bornes dont la borne écologique n'est pas la moindre. L'idée de progrès nous contraint à tout accepter : le nouveau est forcément bien. Devant les développements de la technique, à la notion de progrès, il faut substituer celle, d'origine stoïcienne, de « préférables ». En posant des questions comme celles-ci : est-il, pour la vie humaine, pour l'idée que nous formons de l'homme, en fonction de notre devoir devant l'avenir, préférable de développer telle ou telle industrie, telle ou telle énergie, de procéder à telle ou telle réforme sociétale ? C'est eu égard aux préférables, et non à l'idée de progrès, qu'il faut juger des évolutions techniques. L'idée de progrès ne nous laisse pas libres de choisir, celle de préférables nous rend notre liberté. L'idée de progrès était anti-politique, celle de préférables suppose la renaissance de la politique.

(Source: Le Point)
jaimedieu
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