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Tunisie terre d'islam

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Message par georges_09 Lun 18 Nov 2019 - 4:48

"On ne peut transformer la Tunisie en Arabie saoudite. Ennahdha l'a compris"

Une femme tient le drapeau national le 14 janvier 2016 dans l'avenue Habib Bourguiba à Tunis pour marquer le cinquième anniversaire de la révolution tunisienne. (FETHI BELAID / AFP)
Une femme tient le drapeau national le 14 janvier 2016 dans l'avenue Habib Bourguiba à Tunis pour marquer le cinquième anniversaire de la révolution tunisienne. (FETHI BELAID / AFP)
Le parti islamiste doit annoncer des changements importants lors du 10e congrès organisé ce week-end. Explications avec le politologue Riadh Sidaoui, qui tempère l'importance de la mue en cours.

Par Céline Lussato
Publié le 20 mai 2016 à 15h15

C'est un congrès historique que les leaders du parti islamiste tunisien Ennahdha promettent entre le 20 et le 22 mai. L'occasion de mettre en place la révision doctrinale qui accompagne la mue du parti - celui-ci restant toutefois dirigé par le même homme depuis sa création : Rached Ghannouchi. Le politologue tunisien Riadh Sidaoui, directeur du Centre arabe de recherches et d'analyses politiques et sociales (Caraps, Genève), décrypte la situation.

Le leader historique du parti islamiste tunisien Ennahdha, Rached Ghannouchi, annonce de profondes mutations à la veille du Congrès de ce week-end. Le parti va-t-il connaître une réelle révolution interne ?

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Ennahdha est un front, c'est le rassemblement de plusieurs courants. Certains sont aujourd'hui marginalisés, d'autres au contraire ont pris l'ascendant sur le parti. Il faut connaître cette structure pour comprendre ce qui va se dérouler au Congrès de ce week-end. Aujourd'hui, la plus forte de ces tendances est celle des Frères musulmans. Inversement, il y a eu dans les années 1970 et 1980 un courant pro-iranien assez fort, aujourd'hui disparu.

Structurellement, les deux courants les plus importants à distinguer sont ceux que l'on nomme "de l'extérieur" et "de l'intérieur". Le premier est emmené par ceux qui ont quitté la Tunisie sous Ben Ali pour vivre à Londres. Son leader est Rached Ghannouchi. Le second est formé par ceux qui ont été opprimés par Ben Ali. Ils ont pour la plupart passé de longues années en prison.

Après la révolution, le groupe "de l'extérieur", plus modéré, plus ouvert sur l'Occident, a gardé la tête du mouvement. Mais le leadership de l'intérieur a fait pression toutes ces années au sein du parti pour radicaliser le discours d'Ennahdha. Mais le parti n'est pas ouvert. S'il est animé de conflits intenses, il est rare de savoir ce qui se trame réellement à l'intérieur. La discipline interne est très forte et les conflits - très nombreux - ne sortent pas.

Remarquons que la tendance modérée avait déjà marqué des points lors du dernier scrutin législatif. Le clan Ghannouchi avait en effet écarté alors deux faucons du parti, les empêchant de se représenter : Sadok Chourou et Habib Ellouze.

Autre point capital pour comprendre ce qui va se passer : depuis la fondation de Ennahdah, il n'y a qu'un seul véritable maître à bord : Rached Ghannouchi. On ne peut parler d'un parti démocratique. C'est un parti fondé et incarné par un chef historique qui n'a pas laissé sa place à une nouvelle génération. Il continue à dominer le parti.

Rached Ghannouchi le 20 mars 2015 à Tunis. (AFP PHOTO / FETHI BELAID)

Quelles peuvent donc être les évolutions du parti ?

L'aile libérale domine le parti et nous pouvons nous attendre à quelques changements. Mais sans grand tournant en matière de gouvernance il me semble. Le parti est dans une situation compliquée : il n'a pas gagné les dernières élections, et les Frères musulmans subissent une vague d'oppression très forte dans le monde arabe. On connaît la situation en Egypte mais n'oublions pas aussi que les Pays du Golfe ont inscrit le mouvement sur la liste des organisations terroristes… Prendre ses distances avec l'organisation n'est peut-être qu'un choix pragmatique.

Par ailleurs, compte tenu de la situation intérieure tunisienne, c'est-à-dire l'échec relatif de leur dernier épisode de gouvernement avec la troïka, mais aussi la situation économique du pays et la défiance d'une partie de la société tunisienne, le clan de Londres semble tout simplement plus à même de gérer le parti que les faucons. Je pense d'ailleurs que ces derniers vont accepter le maintien de la mainmise de Rached Ghannouchi sur le parti.

Rached Ghannouchi voulait, en s'inspirant du modèle turc, prôner une réconciliation entre l'héritage du passé et la modernité, une synthèse entre laïcité et religion. Il se présente comme un homme de synthèse. Affirmer vouloir aller vers un parti plus civil ne va pas à l'encontre de ses précédentes prises de position.

La vraie question qui va se poser c'est l'après-Ghannouchi. Toutes les contradictions du parti apparaîtront avec son départ ou sa disparition. Lui-même a parfois tenu un discours puis son anti-discours, on ne sait pas toujours ce qu'il pense. Si lui parvient à mener le parti avec toutes ses tendances et ses contradictions, un autre parviendra-t-il à le faire après lui?

Dans ces récentes interviewes il se dit inquiet de la radicalisation de certains courants islamistes. Mais Ennahdha lui-même a flirté avec les radicaux…

Après son accès au pouvoir après 2011, Ennahdha a voulu utiliser la carte des salafistes et même des takfiristes. Il y avait cette relation ambiguë entre les chefs d'Ennahdha et ceux par exemple de Ansar al-charia, désormais considéré désormais comme une organisation terroriste – il existe notamment des photos de nahdaouis avec le leader de ce mouvement Abou Iyadh.

Rappelons que la police tunisienne a laissé filer Abou Iyadh après l'attaque de l'ambassade américaine alors qu'il était encerclé dans la mosquée el-Fath à Tunis. A cette époque, le ministre de l'intérieur n'est autre que Ali Larayedh d'Ennahdha. Le parti n'a pas voulu avoir de rupture nette avec cette branche locale d'al-Qaïda. Pour ne pas se priver de cet électorat mais aussi parce que ses militants pouvaient éventuellement servir lorsqu'il fallait en faire descendre quelques-uns dans la rue. Il faudra attendre 2013 pour avoir une rupture.

Lorsque Rached Ghannouchi affirme que Ennahdha va désormais séparer le politique du religieux, qu'est-ce que cela signifie ? Ennahdha ne sera plus un parti islamiste ?

Avant de devenir un parti politique, Ennahdha se présentait comme un groupe de prêcheurs désireux de revenir aux valeurs "pures" de l'islam. Ce n'est que plus tard qu'ils se sont présentés comme un parti politique. Mais ils ont gardé les deux facettes dans la même structure. On les a longtemps accusés d'utiliser les mosquées pour leur propagande par exemple. Mais les mosquées sont pour tous les musulmans, pas pour un seul parti politique. Ennahdha fait donc aujourd'hui marche arrière en affirmant vouloir séparer le politique de la propagande religieuse.

Après la chute des islamistes au pouvoir en Egypte et surtout l'inscription sur la liste des organisations terroristes par les Emirats, Ennahdha doit, pour sa survie, prendre ses distances et va marteler "on n'est pas des Frères musulmans" de plus en plus fort. Mais cela reste un parti islamiste. Il est difficile de le voir autrement. C'est vrai qu'il y a les partis démocrates chrétiens en Europe, mais Ennahdha ne peut pas devenir laïc même s'il peut devenir démocrate. Lors des dernières élections le parti a accepté sa défaite et n'a pas gardé le pouvoir pas la force mais cela reste un parti religieux.

C'est une conception purement tunisienne de l'islam politique qui se construit ici ?

On peut donner une chance encore à Ennahdha afin qu'elle s'éloigne de plus en plus des Frères musulmans et de l'islam radical pour devenir un modèle pour les autres partis islamistes dans le monde arabe.

Il y a une radicalisation en ce moment dans le monde arabe. Mais la société tunisienne est très différente des autres sociétés du monde arabe. Ennahdha a compris qu'on ne peut appliquer la charia à la saoudienne en Tunisie. On ne peut pas accepter la polygamie en Tunisie par exemple. Après la chute du pouvoir de Ben Ali, la Tunisie s'est trouvée dans un vide du pouvoir. Il n'y avait que les islamistes dans le paysage politique organisé. Ils ont essayé d'imposer une islamisation de la Tunisie par la force du pouvoir mais la société civile tunisienne et notamment les femmes ont résisté.

Le leadership de Ennahdha a compris que la société civile tunisienne ne renoncerait pas facilement à ses acquis. On ne peut pas revenir en arrière, ni transformer la Tunisie en Arabie saoudite. Ils s'adaptent donc à la fois au contexte international et local pour assurer leur survie.

Propos recueillis par Céline Lussato
Céline Lussato

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Date d'inscription : 10/11/2019

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