Sur le visage de Marie !
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Sur le visage de Marie !
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Sur le visage de Marie !
« La Vierge est pâle et elle regarde l’enfant. Ce qu’il faudrait peindre sur son visage, c’est un émerveillement anxieux, qui n’apparut qu’une fois sur une figure humaine. Car le Christ est son enfant, la chair de sa chair et le fruit de ses entrailles. Elle l’a porté neuf mois, et lui donnera le sein et son lait deviendra le sang de Dieu. Et par moments, la tentation est si forte qu’elle oublie qu’il est Dieu. Elle le serre dans ses bras. Et elle dit : mon petit.
Mais à d’autres moments, elle demeure interdite et pense : Dieu est là. Toutes les mères sont ainsi arrêtées par moments, devant ce fragment rebelle de leur chair qu’est leur enfant. Et elles se sentent en exil devant cette vie neuve faite avec leur vie et qu’habitent des pensées étrangères. Mais aucun enfant n’a été plus cruellement et plus radicalement arraché à sa mère, car il est Dieu et il dépasse de tous côtés ce qu’elle peut imaginer.
Mais je pense qu’il y a d’autres moments, rapides et glissants, où elle sent à la fois que le Christ est son fils, son petit à elle, et qu’il est Dieu. Elle le regarde et elle pense : ce Dieu est mon enfant, cette chair divine est ma chair. Il est fait de moi, il a mes yeux, et cette forme de sa bouche, c’est la forme de la mienne, il me ressemble.
Et aucune femme n’a eu de la sorte son Dieu pour elle seule, un Dieu tout petit qu’on peut prendre dans ses bras et couvrir de baisers, un Dieu tout chaud qui sourit et qui respire, un Dieu qu’on peut toucher et qui rit.
Et c’est dans un de ces moments-là que je peindrais Marie si j’étais peintre et j’essaierais de rendre l’air de hardiesse tendre et de timidité avec lequel elle avance le doigt pour toucher la douce petite peau de cet Enfant-Dieu, dont elle sent sur les genoux le poids tiède, et qui sourit. »
Jean-Paul Sartre
(Écrit en décembre 1940, dans un camp de prisonniers de guerre, en Allemagne – extrait de « Bariona »)
CoopBelsud
Sur le visage de Marie !
« La Vierge est pâle et elle regarde l’enfant. Ce qu’il faudrait peindre sur son visage, c’est un émerveillement anxieux, qui n’apparut qu’une fois sur une figure humaine. Car le Christ est son enfant, la chair de sa chair et le fruit de ses entrailles. Elle l’a porté neuf mois, et lui donnera le sein et son lait deviendra le sang de Dieu. Et par moments, la tentation est si forte qu’elle oublie qu’il est Dieu. Elle le serre dans ses bras. Et elle dit : mon petit.
Mais à d’autres moments, elle demeure interdite et pense : Dieu est là. Toutes les mères sont ainsi arrêtées par moments, devant ce fragment rebelle de leur chair qu’est leur enfant. Et elles se sentent en exil devant cette vie neuve faite avec leur vie et qu’habitent des pensées étrangères. Mais aucun enfant n’a été plus cruellement et plus radicalement arraché à sa mère, car il est Dieu et il dépasse de tous côtés ce qu’elle peut imaginer.
Mais je pense qu’il y a d’autres moments, rapides et glissants, où elle sent à la fois que le Christ est son fils, son petit à elle, et qu’il est Dieu. Elle le regarde et elle pense : ce Dieu est mon enfant, cette chair divine est ma chair. Il est fait de moi, il a mes yeux, et cette forme de sa bouche, c’est la forme de la mienne, il me ressemble.
Et aucune femme n’a eu de la sorte son Dieu pour elle seule, un Dieu tout petit qu’on peut prendre dans ses bras et couvrir de baisers, un Dieu tout chaud qui sourit et qui respire, un Dieu qu’on peut toucher et qui rit.
Et c’est dans un de ces moments-là que je peindrais Marie si j’étais peintre et j’essaierais de rendre l’air de hardiesse tendre et de timidité avec lequel elle avance le doigt pour toucher la douce petite peau de cet Enfant-Dieu, dont elle sent sur les genoux le poids tiède, et qui sourit. »
Jean-Paul Sartre
(Écrit en décembre 1940, dans un camp de prisonniers de guerre, en Allemagne – extrait de « Bariona »)
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