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SERMON DE BOSSUET SUR L'ÉMINENTE DIGNITÉ DES PAUVRES DANS L 'ÉGLISE. - 17 eme siècle

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SERMON DE BOSSUET SUR L'ÉMINENTE DIGNITÉ DES PAUVRES DANS L 'ÉGLISE. - 17 eme siècle  Empty SERMON DE BOSSUET SUR L'ÉMINENTE DIGNITÉ DES PAUVRES DANS L 'ÉGLISE. - 17 eme siècle

Message par MichelT Ven 2 Juil 2021 - 20:31

SERMON DE BOSSUET SUR L'ÉMINENTE DIGNITÉ DES PAUVRES DANS L 'ÉGLISE . France - 17 eme siècle

Source: Sermons choisis de Bossuet - Paris - édition du 19 eme siècle

Jacques-Bénigne Bossuet, (1627 -1704) est un homme d'Église, évêque, prédicateur et écrivain français. Prédicateur renommé.

Éminente dignité des pauvres dans l'Église : leurs droits, leurs prérogatives. Comment et pourquoi les riches doivent honorer leur condition, secourir leur misère, prendre part à leur privilège.

Les derniers seront les premiers, et les premiers seront les derniers. ( Matthieu 20,16)

Il pardonnera au pauvre et a l`indigent, et il sauvera les âmes des pauvres. (Psaume 71,23)

Encore que ce qu`a dit le Sauveur Jésus que les premiers seront les derniers et que les derniers seront les premiers n`ait son entier accomplissement que dans la résurrection générale, ou les justes que le monde avait méprisés, rempliront les premières places, pendant que les riches et les impies qui ont eu leur règne sur la terre , seront honteusement relégués aux ténèbres extérieures ; toutefois ce renversement admirable des conditions humaines est déjà commencé dès cette vie , et nous en voyons les premiers traits dans l'institution de l'église. Cette cité merveilleuse , dont Dieu même a jeté les fondements , a ses lois et sa police, par laquelle elle est gouvernée. Mais comme Jésus-Christ son instituteur est venu au monde , pour renverser l'ordre que l'orgueil y a établi ; de là vient que sa politique est directement opposée à celle du siècle : et je remarque cette opposition principalement en trois choses.

Premièrement, dans le monde les riches ont tout l'avantage et tiennent les premiers rangs : dans le royaume de Jésus-Christ , la prééminence appartient aux pauvres, qui sont les premiers nés de l'église , et ses véritables enfants. Secondement, dans le monde , les pauvres sont soumis aux riches , et ne semblent nés que pour les servir : au contraire , dans la sainte église, les riches n'y sont admis qu 'à condition de servir les pauvres. Troisièmement , dans le monde , les grâces et les privilèges sont pour les puissants et les riches ; les pauvres n 'y ont de part que par leur appui : au lieu que , dans l'église de Jésus- Christ , les grâces et les bénédictions sont pour les pauvres , et les riches n`ont de privilège que par leurs moyen.

Ainsi cette parole de l`Évangile que j`ai choisie pour mon texte, s`accomplit déjà dans la vie présente : « Les derniers sont les premiers, et les premiers sont les derniers» puisque les pauvres qui sont les derniers dans le monde, sont les premiers dans l`Église; puisque les riches qui s`imaginent que tout leur est dû, et qui foule au pieds les pauvres, ne sont dans l`Église que pour les servir; puisque les grâces du Nouveau Testament appartiennent de droit aux pauvres, et que les riches ne les reçoivent que par leurs mains. Vérités certainement importantes et qui doivent vous apprendre, riches de ce monde, ce que vous devez faire a l`égard des pauvres; c`est-à-dire honorer leur condition, soulager leur nécessités, prendre part a leurs privilèges. C`est ce que je me propose de vous faire entendre avec l`aide de la grâce- Amen.

PREMIER POINT

Le docte et éloquent Saint Jean Chrysostôme nous propose une belle idée pour connaitre les avantages de la pauvreté sur les richesses. Il nous représente deux villes dont l`une ne soit composée que de riches, l`autre n`ait que des pauvres dans son enceinte; et il examine ensuite laquelle des deux est la plus puissante. Si nous consultions la plupart des hommes sur cette proposition , je ne doute pas, chrétiens , que les riches ne l'emportassent: mais le grand saint Chrysostome conclut pour les pauvres ; et il se fonde sur cette raison , que cette ville de riches aurait beaucoup d 'éclat et de pompe, mais qu'elle serait sans force et sans fondement assuré. L 'abondance , ennemie du travail, incapable de se contraindre , et par conséquent toujours emportée dans la recherche des plaisirs ,corromprait tous les esprits , et amollirait tous les courages par le luxe , par l'orgueil , par l'oisiveté. Ainsi les arts seraient négligés, la terre peu cultivée , les ouvrages laborieux, par lesquels le genre humain se conserve , entièrement délaissés ; et cette ville pompeuse , sans avoir besoin d 'autres ennemis , tomberait enfin par elle-même ruinée par son opulence. Au contraire , dans l'autre ville où il n'y aurait que des pauvres , la nécessité industrieuse , féconde en inventions , et mère des arts profitables , appliquerait les esprits par le besoin , les aiguiserait par l' étude , leur inspirerait une vigueur mâle par l'exercice de la patience ; et n 'épargnant pas les sueurs, elle achèverait les grands ouvrages , qui exigent nécessairement un grand travail. C 'est à - peu - près ce que nous dit saint Jean Chrysostôme au sujet de ces deux villes différentes.

Il se sert de cette pensée pour adjuger la préférence a la pauvreté. Mais à parler des choses véritablement, nous savons que la distinction de ces deux n`est qu`une fiction agréable. Les villes qui sont des corps politiques demandent, aussi bien que les naturels, le tempérament et le mélange; tellement que, selon la police humaine, cette ville de pauvres de St-Chrysostôme ne peut subsister qu`en idée. Il n`appartenait qu`au Sauveur et à la politique du Ciel de nous bâtir une ville qui fût véritablement la ville des pauvres. Cette ville, c`est la sainte église et si vous me demandez, chrétiens, pourquoi je l`appelle la ville des pauvres, je vous en dirai la raison par cette proposition que j`avance, que l`Église dans son premier plan, n`a été bâtie que pour les pauvres, et qu`ils sont les véritables citoyens de cette bienheureuse cité que l`Écriture a nommé la Cité de Dieu.

Encore que cette doctrine vous paraisse peut-être extraordinaire, elle ne laisse pas d`être véritable; et afin de vous en convaincre, remarquez s`il vous plait, messieurs, qu`il y a cette différence entre la synagogue et l`église; que Dieu a promis a la synagogue des bénédictions temporelles, au lieu que, comme dit le divin psalmiste « Toute la gloire de la sainte église est cachée et intérieure.» (Omnis gloria ejus filiae regis ab intus) « Dieu te donne disait Isaac a son fils la rosée du ciel et la graisse de la terre.» C`est la bénédiction de la synagogue. Et qui ne sait que dans les Écritures anciennes Dieu ne promet à ses serviteurs que de prolonger leurs jours, que d'enrichir leurs familles , que de multiplier leurs troupeaux, que de bénir leurs terres et leurs héritages ?

Selon ces promesses, messieurs, il est bien aisé de comprendre que les richesses et l'abondance étant le partage de la synagogue , dans sa propre institution elle devait avoir des hommes puissants et des maisons opulentes. Mais il n'en est pas ainsi de l'église . Dans les promesses de l’Évangile, il ne se parle plus que des biens temporels, par lesquels l'on attirait ces grossiers, où l'on amusait ces enfants. Jésus- Christ a substitué en leur place les afflictions et les croix ; et par ce merveilleux changement les derniers sont devenus les premiers, et les premiers sont devenus les derniers ; parce que les riches qui étaient les premiers dans la synagogue , n 'ont plus aucun rang dans l'église , et que les pauvres et les indigents sont ses véritables citoyens. Quoique ces différentes conduites de Dieu dans l'ancienne et dans la nouvelle alliance soient fondées sur de grandes raisons , nous en pouvons dire ce mot en passant : que dans le vieux Testament Dieu se plaisant à se faire voir avec un appareil majestueux, il était convenable que la synagogue son épouse eût des marques de grandeur extérieure ; et au contraire que dans le nouveau , dans lequel Dieu a caché toute sa puissance sous une forme servile , l'église , son corps mystique , devait être une image de sa bassesse , et porter sur elle la marque de son anéantissement volontaire. Et n 'est -ce pas pour cela, mes frères, que ce même Dieu humilié , « Voulant, dit - il , remplir sa maison », ordonne à ses serviteurs de lui aller chercher tous les misérables ? Voyez comme il en fait lui-même le dénombrement: « Allez -vous-en , dit-il dans les coins des rues , et amenez -moi promptement, qui ? les pauvres et les infirmes , qui encore ? les aveugles et les impotents.»

C 'est de quoi il prétend remplir sa maison : il n ' y veut rien voir qui ne soit faible, parce qu'il n y veut rien voir qui n 'y porte son caractère , c'est - à -dire la croix et l'infirmité. Donc l'Église de Jésus -Christ est véritablement la ville des pauvres . Les riches , je ne crains point de le dire , en cette qualité de riches , car il faut parler correctement, étant de la suite du monde, étant, pour ainsi dire , marqués à son coin , n'y sont soufferts que par tolérance ; et c'est aux pauvres de Dieu , qu'il appartient proprement d 'y être reçus. C' est pourquoi le divin Psalmiste les appelle « Les pauvres de Dieu : » Pourquoi les pauvres de Dieu ? il les nomme ainsi en esprit , parce que dans la nouvelle alliance il lui a plu de les adopter avec une prérogative particulière.

En effet, n`est-ce  pas à eux qu`a été envoyé le Sauveur? « Dieu m`a envoyé, nous dit-il, pour annoncer l`Évangile aux pauvres.» Ensuite n`est-ce pas aux pauvres qu`il adresse la parole lorsque faisant son premier sermon sur cette montagne mystérieuse, ou, ne daignant parler aux riches sinon pour foudroyer leur orgueil, il porte la parole aux pauvres comme a ceux qu`il devait évangéliser? « O pauvres, que vous êtes heureux, parce que a vous appartient le royaume de Dieu!» Si donc c`est a eux qu`appartient le Ciel, qui est le Royaume de Dieu dans l`éternité, c`est a eux qu`appartient aussi l`église qui est le Royaume de Dieu dans le temps. Aussi comme c`est a eux qu`elle appartenait, ce sont eux qui y sont entrés les premiers.« Voyez, disait le divin apôtre, qu`il n`y a pas dans l`église plusieurs sages selon le monde, il n`y a pas plusieurs puissants, il n`y a pas plusieurs nobles mais Dieu a voulu  choisir ce qu`il y avait  de plus méprisable», d 'où il est aisé de conclure que l'église de Jésus - Christ était une assemblée de pauvres . Et dans sa première fondation , si les riches y étaient reçus, dès l'entrée ils se dépouillaient de leurs biens et les jetaient aux pieds des apôtres , afin de venir à l' église qui était la ville des pauvres avec le caractère de la pauvreté : tant le Saint- Esprit avait résolu d ' établir dans l'origine du christianisme la prérogative éminente des pauvres membres de Jésus-Christ.

Je pourrais encore, mes frères, établir la prééminence des pauvres sur d`autres raisons convaincantes par lesquelles vous reconnaîtriez qu`ils sont les vrais enfants de l`Église et que c`est pour eux principalement que cette cité spirituelle a été bâtie. Mais il vaut mieux tirer quelque instruction et recueillir quelque fruit de cette doctrine salutaire. Elle nous doit apprendre, messieurs, à respecter les pauvres et les indigents comme ceux qui sont nos aînés dans la famille de Jésus-Christ, et que son Père céleste a choisis pour être les citoyens de son église, qui, portant ses marques les plus assurées, sont aussi ses membres les plus précieux. C`est de l`apôtre saint Jacques que j`ai appris cette excellente morale : « Écoutons-nous mes très chers frères.» Sans doute qu`il a dessein de nous proposer quelque chose de bien remarquable. Quelle âme assez endurcie refusera son attention , à laquelle il est excité par les paroles d'un si grand apôtre , qui est honoré dans les saintes lettres de la qualité glorieuse de frère de notre Seigneur ? Mais entendons ce qu'il veut dire ; voici ses propres paroles : « N ' est- il pas vrai que Dieu a choisi les pauvres, afin qu`ils fussent riches dans la Foi, et les héritiers du Royaume qu`il a promis à ceux qui l`aiment? Et après cela, poursuit-il, vous osez mépriser les pauvres.» Cet apôtre, comme vous voyez veut nous faire considérer en ce lieu l`éminente dignité des pauvre et cette prérogative de leur vocation que j`ai tâché de vous expliquer. Dieu, dit-il, les a choisis spécialement pour être riches selon la Foi et les héritier de son Royaume, n`est-ce pas mes frères, ce que j`ai prêché, qu`ils sont appelés a l`Église avec l`honneur et la préférence d`un choix particulier? Et de là que conclurons-nous sinon ce qu`a conclu le même Saint-Jacques, que c`est un aveuglement déplorable que de ne pas honorer les pauvres, auxquels Dieu même a fait tant d`honneur par cette grâce de prééminence qu`il leur donne dans son Église? Chrétiens, rendez leur respect et honorez-les.

Saint Paul nous en donne l`exemple. Écrivant aux Romains d 'une aumône qu'il allait porter aux fidèles de Jérusalem , il leur parle en ces termes : « Je vous conjure , mes frères, par notre Seigneur Jésus-Christ et par la charité du Saint- Esprit , que vous m 'aidiez  par vos prières auprès de Dieu , afin que les saints qui sont en Jérusalem agréent le présent que j'ai à leur faire. » Qui n'admirerait , chrétiens , comme il traite les pauvres honorablement! Il ne dit pas l'aumône que j'ai à leur faire , ni l'assistance que j'ai à leur donner ; mais le service que j'ai à leur rendre . Il fait quelque chose de plus , et je vous prie de méditer ce qu 'il ajoute : « Priez Dieu , dit- il, mes chers frères , que mon service leur soit agréable » . Que veut dire le saint apôtre, et faut-il tant de précautions pour faire agréer une aumône ? Ce qui le fait parler de la sorte , c'est la haute dignité des pauvres. On peut donner pour deux motifs ; ou pour gagner l'affection , ou pour soulager la nécessité ; ou par un effet d'estime, ou par un sentiment de pitié : l'un est un présent, et l'autre une aumône. Dans l`aumône, on croit ordinairement que c`est assez de donner : on apporte plus de soin dans le présent, et il y a un certain art innocent de relever le prix de ce que l'on donne par la manière et les circonstances de l'offrir . C 'est en cette dernière façon que saint Paul assiste les pauvres. Il ne les regarde pas seulement comme des malheureux qu'il faut assister ; mais il regarde que dans leur misère ils sont les principaux membres de Jésus - Christ et les premiers nés de l'église . En cette qualité glorieuse il les considère comme des personnes auxquelles il fait la cour, si je puis parler de la sorte. C 'est pourquoi il n 'estime pas que ce soit assez que son présent les soulage , mais il souhaite que son service leur agrée ; et, pour obtenir cette grâce, il met toute l'église en prières. Tant les pauvres sont considérables dans l'église de Jésus Christ , que saint Paul semble établir sa félicité dans l'honneur de les servir et dans le bonheur de leur plaire.

Messieurs, Mesdames, revêtez-vous de ces sentiments apostoliques et dans les soins que vous prenez de cette maison, regardez avec respect les pauvres qui la composent. Méditez sérieusement en la charité de Notre-Seigneur, que si les honneurs de ce monde vous mettent au-dessus d`eux, le caractère de Jésus-Christ, qu`ils ont l`honneur de porter, les élèvent au-dessus de vous. Honorez, en les servant, la mystérieuse conduite de la Providence divine , qui leur donne les premiers rangs dans l'église avec une telle prérogative , que les riches n 'y sont reçus que pour les servir.

SECOND POINT

C`est la seconde vérité que je me suis obligé de vous expliquer, et qui suit si évidement de celle que j`ai déjà établie, qu`il ne sera pas nécessaire de m`étendre beaucoup sur la preuve. Et certainement, chrétiens, comme il a déjà été dit, Jésus qui ne promet dans son Évangile que des afflictions et des croix n`a pas besoins de riches dans sa sainte Église; et leur faste n`ayant rien de commun avec la profonde humiliation de ce Dieu anéanti jusques a la croix, il est bien aisé de juger qu`il ne les recherche pas pour eux-mêmes. Car a quoi lui sont-ils bons dans son Royaume?

Quoi ? pour lui ériger des temples superbes, ou pour orner ses autels d`or et de pierreries? Ne vous persuadez pas qu`Il se plaise dans ces ornements. Il les reçoit des hommes comme des marques de leur piété, comme des hommages de leur religion. Mais bien loin d`exiger ces grandes dépenses, ne voyez-vous pas au contraire qu`il n`est rien de plus commun ni rien de plus bas prix que ce qui est nécessaire à son culte ? Il demande seulement de l'eau la plus simple pour régénérer ses enfants : il ne faut qu 'un peu de pain et de vin pour consacrer ses mystères , où réside la source de toutes ses grâces.  L' humilité et la foi faisaient tout l'ornement de ses temples.  Autrefois dans l'ancienne loi il voulait de la pompe dans son service : mais cette simplicité qu 'il affecte , si je puis parler de la sorte , dans le culte de la nouvelle alliance , c'est pour faire voir aux riches du monde qu 'il n 'a plus besoin d 'eux ni de leurs trésors, si ce n 'est pour le service de ses pauvres. Mais pour les pauvres, Messieurs, Mesdames, il confesse qu`il en a besoin et il implore leurs secours. «Voici un mystère admirable.» Jésus n`a besoin de rien selon sa puissance; mais Jésus a besoin de tout selon sa compassion. « Voici un grand mystère que j`ai a vous dire.» ; c`est le mystère du Nouveau Testament. Cette même miséricorde qui a obligé Jésus innocent a se charger de tout les crimes, oblige encore Jésus, tout heureux qu`il est, a se charger de toutes les misères.

Car comme le plus innocent est celui qui a porté le plus de péchés , aussi le plus abondant est celui qui porte le plus de besoins.  Ici il a faim , et là il a soif : là il gémit sous des chaînes, ici il est travaillé par des maladies; il souffre en même temps le froid et le chaud, et les extrémités opposées. Pauvre véritablement, et le plus pauvre de tous les pauvres, parce que tous les autres pauvres ne souffrent que pour eux-mêmes; et « qu`il n`y a que Jésus-Christ qui pâtisse dans toute l`universalité des misérables.»  Ce sont donc les besoins pressants de ses pauvres membres qui l`oblige à se relâcher en faveur des riches.

Il ne voudrait voir dans son église que ceux qui portent sa marque, que des pauvres, des indigents, que des affligés, des misérables. Mais s`il n`y a que des malheureux, qui soulagera les malheureux? Que deviendront les pauvres dans lesquels il souffre, et dont il ressent tous les besoins? Il pourrait leurs envoyer ses saint Anges; mais il est plus juste qu`ils soient assistés par des hommes qui sont leurs semblables. Venez donc, O riches! dans son Église; la porte enfin vous en est ouverte; mais elle vous est ouverte en faveur des pauvres, et a condition de les servir. C`est pour l`amour de ses enfants qu`il permet l`entré à ces étrangers. Voyez le miracle de la pauvreté ! oui, les riches étaient étrangers ; mais le service des pauvres les naturalise , et leur sert à expier la contagion qu'ils contractent parmi leurs richesses. Par conséquent, ô riches du siècle , prenez tant qu'il vous plaira des titres superbes ; vous les pouvez porter dans le monde : dans l Église de Jésus-Christ , vous êtes seulement serviteurs des pauvres. Ne vous offensez pas de ce titre : le Patriarche Abraham l'a tenu à gloire ; lui qui avait tant de serviteurs et une si nombreuse famille, prenait néanmoins pour son partage le soin et l'obligation de servir les nécessiteux. Aussitôt qu'ils approchent de sa maison , lui – même s'avance pour les recevoir ; lui-même va choisir dans son troupeau ce qu'il y a de plus délicat et de plus tendre ; lui -même se donne la peine de servir leur table. Ainsi, dit l'éloquent Pierre Chrysologue : «Abraham sentant arriver les pauvres, ne se souvient plus qu`il est maître.» et il fait toutes les fonctions d`un serviteur. Mais d`ou lui vient cet empressement à servir les pauvres? C`est que ce père des croyants voyait déjà en esprit le rang qu`il devait tenir dans l`Église; il considère déjà Jésus-Christ en eux; il oubli sa dignité dans la vue de celles des pauvres ; et il montre aux riches , par son exemple , l'obligation qu'ils ont de les servir.

Mais quel service devons-nous leur rendre? En quoi sommes-nous tenus de les assister? Vous le voyez déjà, chrétiens, dans l`exemple du Patriarche Abraham. Mais l`admirable Saint Augustin va vous donner encore sur ce sujet là une instruction plus particulière. « Le service que vous devez aux nécessiteux, c`est de porter avec eux une partie du fardeau qui les accable.» L`apôtre Saint Paul ordonne aux Fidèles de « porter les fardeaux les uns des autres.» Les pauvres ont leur fardeau et les riches aussi ont le leur. Les pauvres ont leur fardeau; qui ne le sait pas? Quand nous les voyons suer et gémir, pouvons-nous ne pas reconnaître que tant de misères pressantes sont un fardeau très pesant, dont leurs épaules sont accablées?

Mais encore que les riches marchent à leur aise, et semblent n`avoir rien qui leur pèse, sachez qu`ils ont aussi leur fardeau. Et quel est ce fardeau des riches?  Chrétiens le pourrez-vous croire? Ce sont leurs propres richesses. Quel est le fardeau des pauvres? C`est le besoin, quel est le fardeau des riches? C`est l`abondance. «Le fardeau des pauvres, dit Saint Augustin, c`est de n`avoir pas ce qu`il faut ; et le fardeau  des riches , c'est d'avoir plus qu'il ne faut». Quoi donc ? est- ce un fardeau incommode que d 'avoir trop de biens ? Ah ! que j'entends de mondains qui désirent un tel fardeau dans le secret de leurs coeurs ! Mais qu'ils arrêtent ces désirs inconsidérés. Si les injustes préjugés du siècle les empêchent de concevoir en ce monde combien l'abondance pèse , quand ils viendront en ce pays, où il nuira d 'être trop riches, quand ils comparaîtront à ce tribunal, où il faudra rendre compte non -seulement des talents dispensés, mais encore des talents enfouis , et répondre à ce Juge inexorable non - seulement de la dépense, mais encore de l' épargne et du ménage ; alors, messieurs , ils reconnaîtront que les richesses sont un grand poids, et ils se repentiront vainement de ne s'en être pas déchargés. Mais n`attendons pas cette heure fatale, et pendant que le temps le permet, pratiquons ce conseil de Saint Paul : « Portez vos fardeaux les uns les autres.» Riche portez le fardeau du pauvre, soulagez sa nécessité, aidez-le a soutenir les afflictions sous le poids desquelles il gémit; mais sachez qu`en le déchargeant, vous travaillez a votre décharge; lorsque vous lui donnez, vous diminuez son fardeau  et il diminue le vôtre, vous portez le besoin qui le presse ; il porte l'abondance qui vous surcharge. Communiquez entre vous mutuellement vos fardeaux, « afin que les charges deviennent égales » dit saint Paul. Car quelle injustice , mes frères , que les pauvres portent tout le fardeau , et que tout le poids des misères aille fondre sur leurs épaules ! S' ils s 'en plaignent, et s'ils en murmurent contre la Providence divine, Seigneur, permettez-moi de le dire , c'est avec quelque couleur de justice ; car étant tous pétris d 'une même masse , et ne pouvant pas y avoir grande différence entre de la boue et de la boue , pourquoi verrons- nous d'un côté la joie , la faveur , l'affluence ; et de l'autre, la tristesse, et le désespoir , et l'extrême nécessité; et encore le mépris et la servitude ? pourquoi cet homme si fortuné vivrait--il dans une telle abondance , et pourrait - il contenter jusqu'aux désirs les plus inutiles d'une curiosité étudiée; pendant que ce misérable, homme toutefois aussi bien que lui, ne pourra soutenir sa pauvre famille , ni soulager la faim qui le presse ? Dans cette étrange inégalité , pourrait on justifier la Providence de mal ménager les trésors que Dieu met entre des égaux , si par un autre moyen elle n 'avait pourvu au besoin des pauvres, et remis quelque égalité entre les hommes?

C`est pour cela, chrétiens, qu`il a établi son Église, ou il reçoit les riches, mais a condition de servir les pauvres; ou il ordonne que l`abondance supplée au défaut et donne assignations aux nécessiteux sur le superflu des opulents. Entrez, mes frères, dans cette pensée; si vous ne portez le fardeau des pauvres, le vôtre vous accablera, le poids de vos richesses mal dispensées vous fera tomber dans l`abîme au lieu que si vous partagez avec les pauvres le poids de leur pauvreté, en prenant part a leur misère, vous mériterez tout ensemble de participer a leurs privilège.

TROISIÈME POINT

Sans cette participation des privilèges des pauvres, il n`y a aucun salut pour les riches; et il me serait aisé de vous en convaincre, en insistant toujours aux mêmes principes. Car il est vrai comme je l`ai dit, que l`Église est la ville des pauvres, s`ils y tiennent les premiers rangs, si c`est pour eux principalement que cette cité bienheureuse a été bâtie, il est bien aisé de conclure que les privilèges leur appartiennent.  Dans tous les royaumes, dans tous les empires, il y a des privilégiés, c`est-à-dire des personnes éminentes qui ont des droits extraordinaires, et la source de ces privilèges, c`est qu`ils touchent de plus près ou par leur naissance ou par leurs emplois à la personne du prince. Cela est de la majesté, de l' état et de la grandeur du souverain , que l'éclat qui rejaillit de sa couronne se répande en quelque sorte sur ceux qui l'approchent . Puisque nous apprenons par les saintes lettres que l'église est un royaume si bien ordonné , ne doutez pas, mes frères , qu 'elle n 'ait aussi ses privilégiés. Et d 'où se prendront ces privilèges , sinon de la société avec son prince, c'est- à -dire avec Jésus Christ ? Que s'il faut être uni avec le Sauveur, chrétiens , ne cherchons pas dans les riches les privilèges de la sainte église . La couronne de notre monarque est une couronne d' épines ; l'éclat qui en rejaillit, ce sont les afflictions et les souffrances . C'est dans les pauvres , c'est dans ceux qui souffrent que réside la majesté de ce royaume spirituel. Jésus étant lui – même pauvre et indigent, il était de la bienséance qu 'il liât société avec ses semblables , et qu'il répandit ses faveurs sur ses compagnons de fortune.

Qu`on ne méprise plus la pauvreté. Il est vrai qu`elle était de la lie du peuple, mais le roi de gloire l`ayant épousée, il l`a ennobli par cette alliance, et ensuite il accorde aux pauvres, tous les privilèges de son empire. Il promet le royaume aux pauvres, la consolation a ceux qui pleurent, la joie éternelle à ceux qui souffrent. Si tous les droits , si toutes les grâces , si tous les privilèges de l'Évangile sont aux pauvres de Jésus - Christ , ô riches , que vous reste - t - il , et quelle part aurez - vous dans son royaume? Il ne parle de vous dans son Évangile que pour foudroyer votre orgueil :« Malheur à vous , riches » ! Qui ne tremblerait à cette sentence ? qui ne serait saisi de frayeur ? Contre cette terrible malédiction , voici votre unique espérance. Il est vrai, ces privilèges sont donnés aux pauvres ; mais vous pouvez les obtenir d'eux , et les recevoir de leurs mains : c'est là que le Saint- Esprit vous renvoie pour obtenir les grâces du ciel. Voulez vous que vos iniquités vous soient pardonnées ? «Rachetez- les, dit- il , par aumônes ». Demandez -vous à Dieu sa miséricorde ? cherchez - la dans les mains des pauvres , en l'exerçant envers eux : « Heureux ceux qui sont miséricordieux » . Enfin voulez - vous entrer au royaume? les portes, dit Jésus-Christ, vous seront ouvertes, pourvu que les pauvres vous introduisent : « Faites-vous , dit- il , des amis qui vous reçoivent dans les tabernacles éternels». Ainsi la grâce, la miséricorde, la rémission des péchés, le royaume même est entre leurs mains ; et les riches n 'y peuvent entrer, si les pauvres ne les y reçoivent.

Donc, O pauvres, que vous êtes riches! Mais O riches, que vous êtes pauvres! Si vous vous tenez a vos propres biens; vous serez privés pour jamais des biens du Nouveau Testament; et il ne vous restera pour votre partage que ce terrible « malheur a vous, riches, car vous avez reçus votre consolation!» Pour vous détourner de ce coup de foudre, pour vous mettre a l`abris de cette malédiction inévitable, jetez-vous sous l`aile de la pauvreté; donnez et vous recevrez, donnez les biens temporels et recueillez les bénédictions spirituelles; prenez part aux misères des affligés, et Dieu vous donnera part a leurs privilèges.  C`est ce que j`avais à vous dire sur la pauvreté et la nécessité de la secourir. Après il ne me reste plus autre chose à faire sinon a m`écrier avec le Prophète : « Heureux celui qui entend sur l`indigent et sur le pauvre.» Il ne suffit pas chrétiens, d`ouvrir sur les pauvres les yeux de la chair; mais il faut les considérer par les yeux de l`intelligence. Ceux qui les regarde des yeux corporels, ils n`y voient rien que de bas et ils les méprisent. Ceux qui ouvrent sur eux l’œil intérieur , je veux dire l'intelligence guidée par la foi , ils remarquent en eux Jésus - Christ ; ils y voient les images de sa pauvreté , les citoyens de son royaume, les héritiers de ses promesses, les distributeurs de ses grâces , les enfants véritables de son Église , les premiers membres de son corps mystique. C 'est ce qui les porte à les assister avec un empressement charitable . Mais encore n'est -ce pas assez de les secourir dans leurs besoins. Tel assiste le pauvre , qui n 'est pas intelligent sur le pauvre. Celui qui leur distribue quelque aumône , ou contraint par leurs pressantes importunités , ou touché par quelque compassion naturelle , soulage la misère du pauvre ; mais néanmoins il est véritable qu'il n 'est pas intelligent sur le pauvre. Celui-là entend véritablement le mystère de la charité , qui considère les pauvres comme les premiers enfants de l'église ; qui, honorant cette qualité, se croit obligé de les servir ; qui n 'espère de participer aux bénédictions de l'Évangile , que par le moyen de la charité et de la communication fraternelle.

Donc mes frères, ouvrez les yeux sur cette maison indigente, et soyez intelligents sur ses pauvres. Si je demandais vos aumônes pour une seule personne, tant de grande et importantes raisons qui vous oblige à la charité devraient émouvoir vos coeurs. Maintenant j'élève ma voix au nom d'une maison toute entière , et encore d'une maison chargée d 'une multitude nombreuse de pauvres entièrement délaissés. Que serviront les paroles , si la chose même ne vous touche pas ? Entrez dans cette maison , prenez connaissance de ses besoins ; et si vous n 'êtes touchés de l' extrémité où elle est réduite , je ne sais plus, mes frères, ce qui sera capable de vous attendrir. Il est vrai, des dames pieuses ont ouvert les yeux sur cette maison : elles ont entendu sur les pauvres ; parce qu'elles connaissent leur dignité , elles se tiennent honorées de les servir ; parce qu'elles sont chrétiennes , elles se croient obligées de les assister ; parce qu'elles savent le poids des richesses mal employées , elles se déchargent entre leurs mains d 'une partie de leur fardeau ; et en répandant les biens temporels , elles viennent recevoir en échange les grâces spirituelles.

MichelT

Date d'inscription : 06/02/2010

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