Des fidèles nantais s'opposent à un concert qu’ils jugent « satanique » dans une église

par Lumen Jeu 9 Déc 2021 - 21:40

Des fidèles nantais s'opposent à un concert qu’ils jugent « satanique » dans une église

Une centaine de catholiques ont manifesté devant l’entrée de l’église Notre-Dame-du-Bon-Port à Nantes où devait se tenir le concert de Anna von Hausswolff mardi 7 décembre. La musique de l’artiste suédoise est jugée « satanique ».

Des fidèles nantais s'opposent à un concert qu’ils jugent « satanique » dans une église Anna_concert

Des fidèles nantais s'opposent à un concert qu’ils jugent « satanique » dans une église Anna_concert

Anna von Hausswolff dans un clip où elle joue de l'orgue. - capture d'écran vidéo NPR

Publié le 8/12/2021 à 17:29 - Mis à jour le 9/12/2021 à 19:24

A coups de Je vous Salue Marie, ils auront obtenu gain de cause. Une cinquantaine de fidèles étaient amassés mardi 7 décembre au soir devant les portes de l’église Notre-Dame-du-Bon-Port à Nantes. Ils espéraient ainsi empêcher la tenue du concert de l’artiste suédoise Anna von Hausswolff à 21 heures, qu’ils jugeaient « satanique ». Après plusieurs heures de mobilisation en rangs resserrés, la chanteuse a finalement décidé d’annuler l’événement qui devait remplir l’église avec 370 spectateurs.

« Nous étions une majorité de jeunes entre 20 et 30 ans issus de plusieurs paroisses de Nantes à participer à cette mobilisation assez spontanée », précise Alexis, 29 ans. Il est arrivé dans les premiers et a même pu entrer dans l'église vers 20 heures pour y dire un chapelet avec quatre amis avant la manifestation. Contrairement aux premières informations que Famille Chrétienne avaient difffusées, « il n'y avait pas une majorité d'intégristes de la Fraternité Saint Pie X et de Sede Vacantis [une association qui récuse la légitimité du pape, ndlr], mais des jeunes de diverses sensibilités liturgiques, adeptes de la messe tridentine ou même de la messe Paul VI faisant pleinement partie de l'Eglise ».

Un concert autorisé par le diocèse

« La mobilisation a été pacifique, hormis quelques moments un peu tendus lorsque des spectateurs du concert ont voulu forcer le passage mais la police n’a pas eu besoin d’intervenir », raconte Etienne, catholique de 29 ans également présent ce soir-là. S'il a participé, ce n'est pas pour « s'opposer à liberté d’expression et censurer Anna von Hausswolff, mais simplement pour que cette artiste, dont certaines œuvres fleurtent avec le blasphème et les pratiques occultes, se produise ailleurs que dans une église ».

La difficulté est que ce concert « était prévu de longue date et en accord avec le diocèse », explique le père Hubert Vallet, curé de la paroisse Saint-Clément. C’est justement à l’église Saint-Clément accueillant les fidèles attachés à la messe tridentine célébrée par des abbés de la Fraternité sacerdotale Saint-Pierre, que le concert devait se tenir préalablement. Jusqu’à ce que le curé soit sollicité par des fidèles lundi 6 décembre, qui lui ont fait part de leurs réserves sur la chanteuse dont l’œuvre leur semblait très ambivalente, à la limite du satanisme.

« J’avoue que je n’avais pas suivi de près le projet, je suis arrivé comme curé en septembre et j’ai pris le train en cours de route en faisant confiance à mes prédécesseurs », confie le père Hubert Vallet. Il n’a ainsi pas songé revenir sur la décision que les autorités précédentes avaient prise d’accepter ce concert organisé par le centre culturel du Lieu Unique (LU) et prévu pour mars 2020. D’autant que ce projet « bénéficiait du soutien historique de la cathédrale qui ne pouvait pas l’accueillir étant fermée », et il avait été reporté simplement en raison du Covid. Il reconnaît qu'il « n’était pas judicieux d’organiser ce concert à l’église Saint-Clément », et que « si c'était à refaire, il aurait agi plus tôt ». Ses paroissiens comprennent volontiers la situation délicate dans laquelle il s'est retrouvé, et plusieurs lui ont envoyé un message pour le remercier d'avoir finalement annulé l'événement à Saint-Clément. « Le concert ne figurait pas dans l'agenda du diocèse, et nous avons appris que l'accord avait été donné par un prêtre âgé qui n'avait peut-être pas les moyens de vérifier le pédigré douteux de l'artiste », fait valoir Etienne, qui est paroissien de Saint-Clément.

Artiste ambigüe dans un univers gothique

Il faut dire qu’il n’y avait pas à première vue de motifs très explicites de méfiance. « Il s’agit d’un concert d’orgue d’une heure, sans texte, ni projection ou chorégraphie, assez sobre et dans lequel rien ne s’oppose à la Foi et aux mœurs », a précisé le diocèse dans un communiqué publié le 8 décembre, après le tollé et la manifestation de la veille. « Pendant les répétitions, rien ne m’a semblé choquant », abonde le père Hubert Vallet. L’artiste ne devait pas chanter pendant cette prestation ses titres habituels ciblés par les manifestants.

Car, si elle ne se revendique pas comme adepte du satanisme ou des forces occultes, Anna von Hausswolff laisse planer une sérieuse ambiguïté par certaines couvertures de ses albums ou paroles de chansons. Pour illustrer l’album « Dead Magic », un filtre rouge recouvre une photo floue de visage quasi fantomatique, maculé de traces sombres et de noir tout autour des yeux. Se mettant souvent en scène dans ses univers sombres proches du mouvement « gothique », elle apparaît dans un clip avec une flaque rouge dégoulinant sur son visage. Dans sa chanson « Pills » évoquant l’addiction à la drogue, elle dit avoir « fait l’amour avec le diable ». Pendant la mobilisation mardi soir, Etienne et Alexis ont remarqué plusieurs participants qui portaient « des pentacles autour du cou, ou des blousons avec des pentacles, des têtes de baphomet et d'autres symboles proches du satanisme ». « Même si pour certains ca ne veut rien dire, c'est tout de même préoccupant d'autoriser de tels symboles dans une église », souligne Etienne.

« Sa prestation se veut davantage esthétique que spirituelle, même si les titres de ses chansons, entre lumières et ténèbres manifestent une quête existentielle – comme l’expriment à leur manière les psaumes dans la Bible », fait valoir le diocèse dans son communiqué. Adepte de l’orgue, elle a déjà produit son concert dans plusieurs églises et cathédrales d’Europe. Ce mois-ci, dans les églises d’Aahrus au Danemark, de Berlin, de Prague, Munich, Bologne, Lausanne ou Bruxelles… « De quoi penser que d’autres à travers les diocèses d’Europe ont fait ce travail de recherche nécessaire et n’y ont rien trouvé de blasphématoire ou de profanatoire », insiste le diocèse.

Devant la levée de boucliers, ce dernier reconnait la nécessité de « repréciser les termes du discernement ordinaire préalable à l’accueil de manifestations culturelles dans les églises du diocèse, en concertation avec les curés ».

Un autre concert annulé dans une église à Paris

Quoi qu’il en soit, c’est bien la chanteuse elle-même qui a pris la décision d’annuler le concert face à la détermination des manifestants. Les forces de l’ordre, présentes à proximité, n’ont pas eu besoin d’intervenir. Une représentation qui devait avoir lieu à l’église Saint-Eustache jeudi 9 décembre à Paris a été déplacée dans un lieu qui reste pour l'heure secret mais qui « ne sera pas une église catholique », ont informé les organisateurs après les événements à Nantes.

« Si j'ai pris la décision d'annuler le concert ce n'est pas en raison du contenu de l'œuvre, mais bien pour des raisons de sécurité, a fait savoir le curé de Saint-Eustache le père Yves Trocheris dans un communiqué publié sur twitter dans la soirée du 9 décembre. Disons-le d'emblée, la musique d'Anna von Hausswolff n'est pas sataniste. Elle obéit à une logique intérieure fondée sur les univers imaginaires de l'artiste. Saint-Eustache demeurera un lieu ouvert à la création artistique. » Quelques minutes avant le 9 décembre, la ministre de la culture Roselyne Bachelot s'était elle aussi exprimée sur Twitter : « Il est inacceptable que des militants extrémistes epêchent la tenue d'un spectacle; il en va de la liberté de création des artistes et au-delà, de notre liberté ». Elle assure que ses équipes se sont entretenues avec les organisateurs des concerts d'Anna von Hausswolff et sont « à leurs côtés ». Pas sûr malgré tout que la chanteuse se précipite de retenter sa chance dans une église catholique de France...

Camille Lecuit
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