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Deuxième prédication de l’Avent 2021, par le cardinal Raniero Cantalamessa

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Message par Lumen Dim 12 Déc 2021 - 11:23

Card. Raniero Cantalamessa ofmcap

« DIEU A ENVOYÉ L’ESPRIT DE SON FILS DANS NOS CŒURS »

Deuxième prédication de l’Avent 2021



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En 1882, l’archéologue William M. Ramsay découvre une antique inscription grecque à Hiéropolis, en Phrygie. La découverte est offerte par le sultan Abdul Hamid au pape Léon XIII en 1892, à l’occasion de son jubilé. Elle passera ensuite du musée du Latran au musée Pio Cristiano.


L’épitaphe – décrite par les historiens comme « la reine des inscriptions chrétiennes » – contient le testament spirituel d’un évêque nommé Abercius, qui a vécu à la fin du IIème siècle. L’auteur y résume toute son expérience de foi chrétienne. Il le fait dans le langage imposé à l’époque par la « discipline des arcanes », c’est-à-dire en utilisant des métaphores et des expressions dont seuls les chrétiens pouvaient comprendre le sens, sans s’exposer ni exposer les autres à la raillerie et à la persécution. Écoutons la partie qui nous intéresse de plus près :

« Moi, nommé Abercius, [je suis] un disciple du chaste berger aux grands yeux qui fait paître les troupeaux de moutons dans les montagnes et les plaines… Il m’a enseigné les écritures dignes de foi ; il m’a envoyé à Rome pour contempler le palais et voir une reine aux vêtements et aux chaussures d’or ; j’y ai vu un peuple portant un sceau brillant. J’ai aussi visité la plaine de Syrie et toutes ses villes, et au-delà de l’Euphrate, Nisibis. Partout j’ai trouvé des frères…, j’avais Paul avec moi, et la Foi me guidait partout et me donnait pour nourriture un très gros poisson, pur, que la chaste Vierge a conçu et dont elle [la Foi] se sert pour nourrir chaque jour ses amis fidèles, ayant un excellent vin qu’elle donne avec le pain[1] ».

Le berger « aux grands yeux », c’est Jésus, les écritures, c’est la Bible, la reine aux vêtements d’or (une allusion au psaume 45, 10) c’est l’Église, le sceau est le baptême ; Paul est bien sûr l’apôtre, le poisson, comme dans tant de mosaïques anciennes, indique le Christ ; la Vierge chaste, c’est Marie ; le pain et le vin, c’est l’Eucharistie. Aux yeux d’Abercius, Rome n’est pas tant la capitale de l’empire (qui est alors à l’apogée de sa puissance), mais « le palais » d’un autre royaume, le centre spirituel de l’Église.

Ce qui frappe dans ce testament, c’est la fraîcheur, l’enthousiasme et l’émerveillement avec lesquels Abercius regarde le monde nouveau que la foi a ouvert devant lui. Pour lui, tout cela n’est pas quelque chose d’acquis! C’est la véritable nouveauté du monde et de l’Histoire. C’est précisément pour cette raison que je l’ai rappelé, parce que c’est le sentiment que nous, chrétiens d’aujourd’hui, avons le plus besoin de redécouvrir. Il s’agit, une fois encore, de regarder les vitraux de la cathédrale depuis l’intérieur de celle-ci, plutôt que depuis la rue publique.

Après plus de quarante ans de prédication à travers le monde, je pourrais faire mien le testament d’Abercius, sans même avoir besoin d’utiliser son langage voilé. Moi aussi, à ma façon, j’ai rencontré partout ce peuple nouveau que Lumen Gentium de Vatican II définit comme « le peuple messianique qui a pour chef le Christ, pour statut la dignité et la liberté des fils de Dieu, pour loi le commandement nouveau d’aimer, et pour destinée enfin, le Royaume de Dieu[2] ».

Le Concile lui-même rappelle que l’Église est composée de saints et de pécheurs ; en fait, qu’elle-même – en tant que réalité concrète et historique – est sainte et pécheresse, « casta meretrix », comme l’appellent certains Pères[3], et que les deux choses – le péché et la sainteté – sont présentes dans chacun de ses membres, et pas seulement entre une catégorie et une autre. Il est donc juste que nous nous lamentions et pleurions sur les péchés de l’Église, mais il est également juste et approprié que nous nous réjouissions de sa sainteté et de sa beauté. Pour une fois, nous choisissons de faire cette deuxième démarche, qui est peut-être la plus difficile et la plus négligée aujourd’hui.

La preuve que nous sommes fils de Dieu
Revenons au texte des Galates que nous commentons :


« Mais lorsqu’est venue la plénitude des temps, Dieu a envoyé son Fils, né d’une femme et soumis à la loi de Moïse, afin de racheter ceux qui étaient soumis à la Loi et pour que nous soyons adoptés comme fils. Et voici la preuve que vous êtes des fils : Dieu a envoyé l’Esprit de son Fils dans nos cœurs, et cet Esprit crie « Abba ! », c’est-à-dire : Père ! Ainsi tu n’es plus esclave, mais fils, et puisque tu es fils, tu es aussi héritier : c’est l’œuvre de Dieu. » (Ga 4, 4-7)

La dernière fois, nous avons médité sur la première partie, sur le fait que nous sommes fils de Dieu ; méditons maintenant sur la deuxième partie, sur le rôle que l’Esprit Saint joue dans tout cela. Nous devons garder à l’esprit le passage presque jumeau de Romains 8, 15-16 :

« Vous n’avez pas reçu un esprit qui fait de vous des esclaves et vous ramène à la peur ; mais vous avez reçu un Esprit qui fait de vous des fils ; et c’est en lui que nous crions « Abba ! », c’est-à-dire : Père ! C’est donc l’Esprit Saint lui-même qui atteste à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu. »

J’ai parlé la dernière fois de l’importance de la Parole de Dieu pour goûter la douceur de se savoir fils de Dieu et faire l’expérience de Dieu comme un père très bon. Saint Paul nous dit maintenant qu’il existe un autre moyen sans lequel même la Parole de Dieu est insuffisante : l’Esprit Saint !

Saint Bonaventure termine son traité « Itinéraire de l’esprit vers Dieu[4] » par une phrase allusive et mystérieuse ; il dit : « Cette sagesse mystique très secrète, personne ne la connaît, sauf celui qui la reçoit ; personne ne la reçoit, sauf celui qui la désire ; personne ne la désire, sauf celui qui est enflammé intérieurement par l’Esprit Saint envoyé par le Christ sur terre ». En d’autres termes, nous pouvons désirer avoir la connaissance vivante d’être fils de Dieu et d’en faire l’expérience, mais pour y parvenir, c’est l’œuvre du Saint-Esprit seul.

L’Esprit « atteste » que nous sommes fils de Dieu. Que signifient ces mots ? Il ne peut s’agir d’une sorte d’attestation externe, juridique, comme dans les adoptions naturelles, ou comme le certificat de baptême. Si l’Esprit est la « preuve » que nous sommes fils de Dieu, s’il « l’atteste » à notre esprit, il ne peut s’agir de quelque chose qui se passe quelque part, mais dont nous n’avons aucune perception et aucune confirmation.

Malheureusement, c’est ainsi que nous sommes amenés à penser. Oui, dans le baptême, nous sommes devenus fils de Dieu, membres du Christ, l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs…, mais tout cela par la foi, sans que rien ne bouge en nous. On y croit avec l’intelligence, mais on ne le vit pas avec le cœur. Comment changer cette situation ? L’Apôtre nous a donné la réponse : par l’Esprit Saint ! Non seulement le Saint-Esprit que nous avons reçu au baptême, mais celui que nous devons demander et recevoir encore et encore. L’Esprit « atteste » que nous sommes fils de Dieu ; maintenant il l’atteste, et non pas « il l’a attesté », une fois pour toutes dans le baptême.

Cherchons donc à comprendre comment l’Esprit Saint opère ce miracle d’ouvrir nos yeux à la réalité que nous portons en nous. J’ai trouvé la meilleure description de la manière dont le Saint-Esprit effectue cette opération chez le croyant, dans un sermon de Luther sur la Pentecôte. (Nous suivons, avec lui, le critère paulinien consistant à « tout examiner et retenir ce qui est bon ») (1 Thess 5, 21).

Tant que l’homme vit dans le régime du péché, sous la loi, Dieu lui apparaît comme un maître sévère, qui s’oppose à la satisfaction de ses désirs terrestres par ces mots péremptoires : « Tu dois… tu ne dois pas ». Tu ne dois pas désirer le la chose de l’autre, la femme d’un autre… Dans cet état, l’homme accumule au fond de son cœur un ressentiment sourd contre Dieu, il le voit comme adversaire de son bonheur, au point que, s’il dépendait de lui, il serait très heureux qu’il n’existe pas[5].

Si tout cela nous semble être une vision exagérée, œuvre de grands pécheurs qui ne nous concerne pas de près, regardons à l’intérieur de nous-mêmes et voyons ce qui monte des profondeurs obscures de nos cœurs face à une volonté de Dieu, ou une obéissance qui bouleverse nos plans. Dans les Exercices Spirituels que je prêche, je propose habituellement aux participants de se soumettre à un test psychologique pour découvrir quelle idée de Dieu prévaut en eux. Je les invite à se demander : quels sentiments, quelles associations d’idées surgissent spontanément en moi, avant toute réflexion, lorsque, en récitant le Notre Père, j’arrive aux mots : « Que ta volonté soit faite » ?

Il n’est pas difficile de se rendre compte que nous associons inconsciemment la volonté de Dieu à tout ce qui est désagréable, douloureux, à tout ce qui constitue une épreuve, une exigence de renoncement, un sacrifice, à tout ce qui, en somme, peut être considéré comme mutilant notre liberté et notre développement individuel. Nous pensons que Dieu est essentiellement l’ennemi de toute célébration, joie et plaisir. Si, à ce moment-là, nous pouvions regarder notre âme comme dans un miroir, nous nous verrions comme des personnes qui baissent la tête, résignées, murmurant entre les dents : « Si on ne peut rien y faire… eh bien, que ta volonté soit faite ».

Voyons ce que fait le Saint-Esprit pour nous guérir de cette terrible déception héritée d’Adam. En entrant en nous – par le baptême, puis par tous les autres moyens de sanctification – il commence par nous montrer un autre visage de Dieu, celui que nous a révélé Jésus dans l’Évangile. Il nous le fait découvrir comme étant l’allié de notre joie, celui qui, pour nous, « n’a pas épargné son propre Fils » (Rm 8, 32).

Peu à peu, le sentiment filial s’épanouit, qui se traduit spontanément par ce cri : Abba, Père ! Nous sommes prêts à proclamer avec Job : « Je ne te connaissais que par ouï-dire, mais maintenant mes yeux t’ont vu » (Jb 42, 5). Le fils a pris la place de l’esclave et l’amour celle de la peur ! L’homme cesse d’être l’antagoniste de Dieu et devient son allié. L’alliance avec Dieu n’est plus seulement une structure religieuse dans laquelle on naît, mais une découverte, un choix, une source de sécurité inébranlable : « Si Dieu est pour nous, [notre allié] qui sera contre nous ? » (Cf. Rm 8, 31)

La prière des enfants

Le lieu privilégié où le Saint-Esprit accomplit toujours le miracle de nous faire sentir que nous sommes enfants de Dieu, c’est la prière. L’Esprit ne nous donne pas une loi de prière, mais une grâce de prière. La prière ne nous vient pas d’abord par un apprentissage extérieur et analytique, elle nous vient par infusion, comme un don. Voilà la « bonne nouvelle » sur la prière chrétienne ! La source même de la prière vient à nous et elle consiste dans le fait que « Dieu a envoyé l’Esprit de son Fils dans nos cœurs, et cet Esprit crie « Abba ! », c’est-à-dire : Père ! » (Ga 4, 6)

Le cri du croyant, Abba ! montre à lui seul que celui qui prie en nous, par l’Esprit, c’est Jésus, le Fils unique de Dieu. En effet, par lui-même, l’Esprit Saint ne pourrait s’adresser à Dieu en l’appelant Abba, car il n’est pas « engendré », mais seulement « procède » du Père. Il ne peut le faire que parce qu’il est l’Esprit du Fils unique qui poursuit dans les membres la prière de la tête.

C’est donc l’Esprit Saint qui insuffle au cœur le sentiment de filiation divine, qui nous fait nous sentir (et pas seulement nous savoir !) enfants de Dieu. Parfois, cette opération fondamentale de l’Esprit se produit de manière soudaine et intense dans la vie d’une personne, et l’on peut alors en contempler toute la splendeur. A l’occasion d’une retraite, d’un sacrement reçu avec des dispositions particulières, d’une parole de Dieu écoutée avec un cœur bien disposé, ou à l’occasion de la prière pour l’effusion de l’Esprit (ce qu’on appelle le « baptême dans l’Esprit »), l’âme est inondée d’une lumière nouvelle, dans laquelle Dieu se révèle à elle comme Père. On fait l’expérience de ce que signifie réellement la paternité de Dieu ; le cœur s’attendrit et la personne a le sentiment de renaître de cette expérience. Une grande confiance la remplie et un sentiment sans précédent de la condescendance de Dieu.

En d’autres occasions, cette révélation du Père s’accompagne au contraire d’un tel sentiment de la majesté et de la transcendance de Dieu que l’âme est comme submergée et réduite au silence. (Je ne décris pas mes expériences, mais celles des saints !). On comprend pourquoi certains saints commençaient le « Notre Père » et, après des heures, en étaient toujours à ces premiers mots. De sainte Catherine de Sienne, son confesseur et biographe, le Bienheureux Raymond de Capoue, écrit « qu’il lui était difficile d’arriver au bout d’un ‘Notre Père’ sans être déjà en extase[6] ».

Cette manière vivante de connaître le Père ne dure généralement pas longtemps, même chez les saints. Bientôt, le croyant dit « Abba ! », sans rien sentir, et continue à le répéter uniquement sur la parole de Jésus. Il est temps, alors, de se rappeler que moins ce cri rend heureux celui qui le pousse, plus il rend heureux le Père qui l’entend, parce qu’il est fait de foi pure et d’abandon.

Nous sommes donc comme ce célèbre musicien (je parle de Beethoven) qui, devenu sourd, continuait à composer et à exécuter de splendides symphonies pour la joie de ses auditeurs, sans pouvoir de son côté en apprécier la moindre note. À tel point que lorsque le public, après avoir entendu l’une de ses œuvres (la célèbre Neuvième Symphonie), explosa en un torrent d’applaudissements, on dut lui tirer le bas de sa tunique pour qu’il s’en rende compte et qu’il se retourne pour remercier. Sa surdité, au lieu d’éteindre sa musique, l’avait rendue plus pure, et il en va de même pour l’aridité de notre prière si nous persévérons.

Lorsque nous parlons de l’exclamation « Abba, Père ! », nous ne pensons généralement qu’à ce que ce mot signifie pour la personne qui le prononce, à ce qui nous concerne. Nous ne pensons presque jamais à ce que cela signifie pour Dieu qui l’entend et à ce que cela produit en lui. Nous ne pensons pas, en somme, à la joie de Dieu d’être appelé papa. Mais celui qui est père (biologique ou spirituel) sait ce que c’est que de s’entendre appeler ainsi par le timbre inimitable de la voix de son petit garçon ou de sa petite fille. C’est comme si l’on devenait père à chaque fois, parce que chaque fois ce cri nous rappelle et nous fait prendre conscience que nous le sommes ; il touche la partie la plus intime de nous-même.

Jésus le savait, c’est pourquoi il appelait si souvent Dieu Abba ! et il nous a appris à faire de même. Nous donnons à Dieu une joie simple et unique en l’appelant papa, la joie de la paternité. Son cœur « se retourne » au-dedans de lui, ses entrailles « frémissent de compassion » à s’entendre appeler de la sorte (cf. Os 11, 8). Et tout cela, je disais que nous pouvons le faire même lorsque nous ne « sentons » rien.

C’est précisément dans ce temps d’éloignement apparent de Dieu et d’aridité que nous découvrons toute l’importance de l’Esprit Saint pour notre vie de prière. Invisible et inaudible pour nous – « il vient au secours de notre faiblesse », remplit nos paroles et nos gémissements du désir de Dieu, d’humilité, d’amour, « et celui qui scrute les cœurs, connaît les intentions de l’Esprit » (cf. Rm 8, 26-27). L’Esprit devient alors la force de notre « faible » prière, la lumière de notre prière éteinte ; en un mot, l’âme de notre prière. En vérité, il « baigne ce qui est aride », comme on le dit dans la séquence en son honneur.

Tout cela arrive par la foi. Il me suffit de dire ou de penser : « Père, tu m’as donné l’Esprit de Jésus ton Fils ; en faisant donc avec lui un seul esprit » (cf 1 Co 6, 17), je récite ce psaume, je célèbre cette Sainte Messe, ou je me tiens simplement en silence, ici en ta présence. Je veux te donner cette gloire et cette joie que Jésus te donnerait si c’était lui te priait encore depuis la terre ».

Ce que l’Esprit dit à l’Église

Avant de conclure, je voudrais mentionner une application pastorale de cette réflexion sur le rôle de l’Esprit Saint. J’ai déjà cité en d’autres occasions les paroles prononcées par le métropolite orthodoxe Ignatios de Lattaquié lors d’une réunion œcuménique solennelle en 1968, mais cela vaut la peine de les réécouter ici :

Sans l’Esprit Saint,

Dieu est loin,

Le Christ reste dans le passé,

L’Évangile est une lettre morte,

L’Église une simple organisation,

L’autorité une domination,

La mission une propagande,

Le culte une évocation,

L’agir chrétien une morale d’esclave.


Mais, avec l’Esprit Saint,

Le cosmos est soulevé et gémit dans la naissance du royaume,

L’homme lutte contre la chair,

Le Christ ressuscité est là,

L’Évangile est puissance de vie,

L’Église signifie la communion trinitaire,

L’autorité est un service libérateur,

La mission est une Pentecôte,

La liturgie est mémorial et anticipation,

L’agir humain est déifié[7]. »


Nous devons tout fonder sur le Saint-Esprit. Il ne suffit pas de réciter un Notre Père, un Je vous salue Marie et un Gloire au Père au début de nos réunions pastorales, puis de passer à toute vitesse à l’ordre du jour. Lorsque les circonstances le permettent, nous devons rester un moment exposés à l’Esprit Saint, lui donner le temps d’agir. Nous « brancher » sur lui.

Sans ces conditions préalables, les résolutions et les documents restent des mots. C’est comme durant le sacrifice d’Elijah au Mont Carmel. Élie ramassa le bois, l’arrosa sept fois ; il fit tout ce qu’il pouvait ; puis il pria le Seigneur de faire descendre le feu du ciel et de consumer le sacrifice. Sans ce feu venu d’en haut, tout n’aurait resté que bois humide (cf. 1 Rois 18, 20s.).

Voilà des choses qui, sans tapage, commencent à se produire dans l’Église. Cette année, j’ai reçu la lettre du curé d’un diocèse français. Il disait : « Depuis presque trois ans, notre archevêque nous a tous lancés dans l’aventure missionnaire et a mis en place une fraternité de missionnaires diocésains. Nous avons proposé de vivre un cycle de préparation au baptême dans l’Esprit. Ce fut une expérience merveilleuse avec 300 chrétiens de tout le diocèse, accompagnés de l’archevêque. Peu de temps après, les 28 Clarisses d’un monastère voisin ont demandé à vivre la même expérience ».

Il ne faut pas s’attendre à des réponses immédiates et spectaculaires. La nôtre n’est pas une danse du feu, comme celle des prêtres de Baal au Carmel. Les temps et les voies sont connus de Dieu seul. Souvenons-nous des paroles du Christ à ses apôtres : « Il ne vous appartient pas de connaître les temps et les moments que le Père a fixés de sa propre autorité. Mais vous allez recevoir une force quand le Saint-Esprit viendra sur vous ; vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre. » (Ac 1, 7-8) L’important est de demander et d’accueillir la force d’en haut ; la façon dont elle se manifestera revient à Dieu.

Ce besoin est particulièrement évident au moment où l’Église se lance dans l’aventure synodale. Sur ce point, nous ne pouvons que relire et méditer les paroles prononcées par le Saint-Père dans son homélie pour l’ouverture du Synode le 10 octobre dernier. Il y exhortait à prendre « un temps pour donner de la place à la prière, à l’adoration, à ce que l’Esprit veut dire à l’Eglise ».

Je me demande si, au moins dans les assemblées plénières de chaque circonscription, qu’elle soit locale ou universelle, il ne serait pas possible de nommer un animateur spirituel pour organiser des temps de prière et d’écoute de la Parole, en marge des réunions. « C’est le témoignage de Jésus qui inspire la prophétie », dit l’Apocalypse (Ap 19, 10). L’esprit de prophétie se manifeste de préférence dans un contexte de prière communautaire.

Nous en avons un merveilleux exemple lors de la première crise que l’Église a dû affronter dans sa mission de proclamation de l’Évangile. Pierre et Jean sont arrêtés et mis en prison pour avoir « enseigné le peuple et annoncé, en la personne de Jésus, la résurrection d’entre les morts ». Ils sont libérés par le Sanhédrin avec « l’interdiction formelle de parler ou d’enseigner au nom de Jésus ». Les apôtres sont confrontés à une situation qui se répétera de nombreuses fois au cours de l’Histoire : se taire, en ne remplissant pas le mandat de Jésus, ou parler, avec le risque d’une intervention brutale des autorités qui met fin à tout.

Que font les apôtres ? Ils rejoignent la communauté. Qui prie. L’un d’entre eux proclame le verset du psaume : « Les rois de la terre se dressent, les grands se liguent entre eux contre le Seigneur et son messie » (Ps 2, 2). Un autre l’applique à ce qui s’est passé lors de l’alliance entre Hérode et Ponce Pilate au sujet de Jésus. « Quand ils eurent fini de prier, le lieu où ils étaient réunis se mit à trembler, ils furent tous remplis du Saint-Esprit et ils disaient la parole de Dieu avec assurance (parresia) ». (cf. Ac 4, 1-31) Paul montre que cette pratique n’est pas restée isolée dans l’Église : « Alors, frères, quand vous vous réunissez, et que chacun apporte un cantique, ou un enseignement, ou une révélation, ou une intervention en langues, ou une interprétation, il faut que tout serve à construire l’Église. » (1 Co 14, 26)

L’idéal pour toute résolution synodale serait de pouvoir l’annoncer – du moins idéalement – à l’Église dans les termes même de son premier concile : « L’Esprit Saint et nous-mêmes avons décidé… » (Ac 15, 28) L’Esprit Saint est le seul à ouvrir de nouvelles voies, sans jamais contredire les anciennes. Il ne fait pas des choses nouvelles mais il renouvelle les choses ! C’est-à-dire qu’il ne crée pas de nouvelles doctrines et de nouvelles institutions, mais qu’il renouvelle et vivifie celles instituées par Jésus. Sans lui, nous serons toujours à la traîne dans l’Histoire. « L’Esprit Saint », disait le Saint-Père dans l’homélie mentionnée ci-dessus, « souffle toujours de façon surprenante, pour suggérer des parcours et des langages nouveaux. » Il est – et c’est moi qui ajoute ici – le maître de cet aggiornamento que saint Jean XXIII avait fixé comme objectif au Concile. Le Concile devait réaliser une nouvelle Pentecôte et la nouvelle Pentecôte doit maintenant réaliser le Concile !

L’Eglise latine possède un trésor à cet effet : l’hymne Veni Creator Spiritus.  Depuis qu’il a été composé au IXème siècle, il n’a cessé de résonner dans toute la chrétienté, comme une épiclèse prolongée sur toute la création et sur l’Église. Dès les premières années du deuxième millénaire, chaque nouvelle année, chaque siècle, chaque conclave, chaque concile œcuménique, chaque synode, chaque ordination sacerdotale ou épiscopale, chaque rencontre importante dans la vie de l’Église s’est ouverte avec le chant de cet hymne. Il est chargé de toute la foi, la dévotion et le désir ardent de l’Esprit des générations qui l’ont chanté avant nous. Et maintenant, quand il est chanté, même par le plus modeste chœur des fidèles, Dieu l’entend ainsi, avec cette immense « orchestration » qu’est la communion des saints.

Je vous demande la charité, Vénérables Pères, frères et sœurs, de vous lever et de le chanter avec moi pour invoquer une nouvelle effusion de l’Esprit sur nous et sur toute l’Eglise…



Raniero Cantalamessa
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Traduction Française de Cathy Brenti de la Communauté des Béatitudes.


1] [1] In Enchiridion Fontium Historiae Ecclesiasteicae Antiquae, Herder 1965, pp.92-94.

[2] Cf. LG, 9.

[3] Cf. H.U. von Balthasar, « Casta Meretrix » (1948), in id., Sponsa Verbi (1961), Johannes, Freiburg, 1971.

[4] Bonaventure, Itinéraire de l’esprit vers Dieu, Poche, 2001.

[5] Cf. Luther, Sermon pour la Pentecôte, WA 12.

[6] Raymond de Capoue, Legenda maior, 113.

[7] Métropolite Ignatios de Lataquié, Rapport du Conseil Mondial des Églises, Uppsala, 1968.
Lumen
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