La part du pauvre au Moyen-Âge
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La part du pauvre au Moyen-Âge
La part du pauvre au Moyen-Âge
par Daniel Le Blévec
L'assistance dans les pays du Bas-Rhône, du 12 ème siècle au milieu du XVe siècle. Rome, École Française, 2000, 2 vol., 960 pp., 4 h.-t., 22 tabl., 19 cartes (Coll. École Française de Rome, 265).
Ce livre est une des dernières grandes thèses d'État. C'est aussi un des plus remarquables témoignages du renouveau de l'histoire de l'assistance, amorcé dans les années 1960 avec une série de grands colloques et les recherches entreprises autour de Michel Mollat. Daniel Le Blévec a pris ici comme objet, non pas simplement une institution ou une ville, mais une région entière, les plaines du Bas-Rhône entre Nîmes et Carpentras, entre Viviers et la mer, deux cent cinquante paroisses ; afin d'étudier dans ce cadre l'ensemble des pratiques charitables et ainsi de mieux cerner, sur près de trois siècles, l'offre d'assistance en ses formes successives et multiples.
Cette somme, appuyée sur une série d'articles préparatoires et une documentation impressionnante tirée de fonds d'archives souvent inconnus, contient en réalité plusieurs petits livres : sur l'ordre de l'Hôpital, sur la charité dans les testaments, sur les fraternités de pont, sur les aumônes pontificales, sur le réseau hospitalier régional. L'originalité du Bas-Rhône tient d'une part à la densité et à la variété des formes d'assistance, à la présence en particulier des œuvres de pont, à l'absence aussi de sélection dans l'accueil hospitalier, d'autre part à l'« accident » que constitua l'installation de la papauté au 14 ème siècle en Avignon, et qui perturba incontestablement les chronologies traditionnelles de l'histoire de l'assistance. Jusqu'au 12 ème siècle, l'Église assume seule le devoir de charité au nom des fidèles, d'une part autour de l'évêque, père des pauvres, d'autre part à la porte des monastères.
Daniel Le Blévec montre que nous n'avons pas tout à fait affaire à quelques îlots de charité au milieu d'un océan d'indifférence et que ces formes traditionnelles ne disparaissent pas lorsque débute la « révolution » de la charité, où les laïcs vont jouer un rôle croissant. L'activité charitable de certains monastères se maintient parfois jusqu'au début du 14 ème siècle , ainsi celle du prieuré clunisien de Pont-Saint-Esprit. Il semble aussi que la plupart des cathédrales du Midi méditerranéen aient entretenu un hôpital. Le silence des sources ne signifie pas toujours absence. Mais ces formes traditionnelles apparaissent dans les sources au moment où elles se révèlent inadaptées, face au développement d'une nouvelle pauvreté, celle des laissés-pour-compte de la croissance. C'est alors qu'elles vont renforcer leur rôle liturgique.
Prieuré clunisien de Pont-Saint-Esprit - a été fondé en 948. C'est la septième fondation clunisienne, grâce à la donation de Géraud d'Uzès.
Les hôpitaux des chanoines vont en général péricliter à partir du 13 ème siècle, Viviers constituant ici un cas tout à fait exceptionnel. À côté des moines et des chanoines et avant que ne se tisse la trame hospitalière, une autre institution va prendre en charge l'assistance au 12 ème siècle, les ordres hospitaliers ; ils vont même trouver un terrain d'élection dans les régions méridionales. C'est le cas du plus ancien d'entre eux, l'ordre de l'Hôpital de Saint-Jean de Jérusalem ; nous sommes ici au cœur de sa première expansion en Occident, qui donna lieu à une véritable stratégie d'implantation, dont le prieuré de Saint-Gilles constitue le « pivot ». D. Le Blévec rouvre ici le dossier de la pratique charitable de l'ordre en Occident et montre que la « militarisation » de l'ordre n'a pas effacé sa vocation première.
Ordre Hospitalier de St-Jean de Jérusalem
Ambulance St-Jean au Canada - une des versions modernes des Ordres Hospitaliers du Moyen-Âge
Parmi les autres ordres hospitaliers, il faut mentionner plus particulièrement les Antonins et les Trinitaires, dont le prestige ne se dément pas, au moins jusqu'à la seconde moitié du 14 ème siècle. Le renouveau des œuvres d'assistance, à partir du milieu 12 ème siècle, vint en particulier des notables urbains, des communautés de laïcs, des municipalités ; l'Église perdit son monopole, mais elle-même ouvrit la voie, en développant en direction des laïcs la doctrine des œuvres de miséricorde. Ce renouveau prit deux formes : d'une part les distributions de pain (et de vêtements), ce qu'on appela les aumônes ou les charités ; d'autre part les hôpitaux et les œuvres de pont. Les confréries jouèrent un rôle, mais les confréries « hospitalières », par exemple, se contentèrent, ici, d'être des bailleurs de fonds. La tradition ancienne des distributions à la porte des monastères, attestée encore ici ou là au 13 ème siècle, fut reprise par les municipalités, dès le 12 ème siècle ; ces « charités » se multiplièrent par la suite, leur prolifération étant due en partie au coup d'arrêt porté aux confréries, dans la deuxième moitié du 12 ème siècle.
Il a en outre existé une indéniable collusion entre cette prise en charge collective de l'assistance et le mouvement communal. Ces distributions existent une fois l'an, à Pâques, l'Ascension ou la Pentecôte. Ce n'est que dans de très rares cas, et ici à l'ombre de l'Église, que ces distributions deviennent régulières et fréquentes ; c'est le cas de Viviers et surtout de l'aumône pontificale appelée la Pignotte, au 14 ème siècle, qui est étudiée ici de manière exhaustive : le pape répète chaque jour le miracle de la multiplication des pains. Les comptes de la Chambre apostolique permettent à Daniel Le Blévec d'approcher, de manière tout à fait exceptionnelle pour le Moyen Âge, le volume réel de l'offre d'assistance et d'en suivre l'évolution sur près de trois quarts de siècle. L'étude de l'autre catégorie d'œuvres, celle du réseau, du « maillage » hospitalier, permet d'approcher le niveau d'équipement (remarquable) de la région en matière d'assistance.
L'étude décrit aussi l'hôpital à ses trois niveaux : la direction (la tutelle), le personnel et la clientèle (les assistés). La lutte pour la tutelle tourna autour de la nomination du recteur ; l'hôpital, lieu religieux, dépend à l'origine de l'évêque ; l'évolution inexorable vers la laïcisation fut ici freinée par des traditions cléricales vigoureuses et par l'installation de la papauté au 14 ème siècle, laquelle, souvent au mépris des décisions du concile de Vienne (1311), favorisa l'extension du système bénéficiai. Cette « dérive », plus marquée ici qu'ailleurs, entraîna des abus. Elle eut aussi pour résultat un décalage très net dans la prise en charge des hôpitaux par les municipalités. Au niveau du personnel, elle coïncida avec le remplacement des fraternités hospitalières primitives par des « donats » (donnés), qui firent souvent de l'hôpital à la fin du Moyen Âge une maison de retraite ; mais pas toujours, comme le montre l'histoire étonnante d'une veuve avignonnaise, Mireille Guibert, qui nous fait pénétrer subrepticement dans la vie quotidienne de l'hôpital médiéval. L'étude enfin de la clientèle hospitalière permet à l`étude de tracer une typologie de la misère et des soins et de revenir sur la question de la médicalisation, qu'il faut associer à une certaine désacralisation de la maladie et à la logique plus sanitaire que strictement charitable à l'œuvre dans la municipalisation.
Dans cette étude du monde hospitalier, les léproseries ne sont pas oubliées ; ni l'apparition d'institutions pour les enfants trouvés et les orphelins, comme l'orphelinat de Jujon en Avignon (1366). Mais Daniel Le Blévec s'est plus particulièrement intéressé à l'extraordinaire développement des œuvres de pont dans notre région ; ces fraternités de pont, dans chaque cas originales, ne constituèrent jamais un Ordre des frères pontifes, comme on l'a parfois cru. Trois exemples sont surtout étudiés, Bonpas sur la Durance et Avignon à la fin du 12ème siècle., et Pont-Saint-Esprit à la fin du 13 ème siècle. Ces fraternités sont des groupes de laïcs à l'origine de la construction, dont l'existence se pérennise ensuite, parce qu'ils ajoutent à l'entretien du pont une activité hospitalière, orientée vers les pèlerins et les voyageurs. Ces complexes hospitalo-routiers associent pont, hôpital et chapelle, sacralisant le « passage » et devenant même parfois lieu de pèlerinage.
Un pont du Moyen-Âge - quelquefois construit par des fraternités de laïcs chrétiens - fraternités de ponts
Disposant de patrimoines insuffisants, ils doivent vivre de la générosité des fidèles, les indulgences venant conforter des quêtes entreprises sur une très vaste échelle. Les ponts relèvent bien de la charité. Mais ils sont aussi un enjeu entre les pouvoirs. Le beau livre de D. Le Blévec constitue désormais une référence incontournable pour l'histoire de l'assistance médiévale. A travers l'étude minutieuse d'un très grand nombre d'institutions, il apporte une réflexion neuve d'une part sur la chronologie des formes d'assistance, d'autre part sur les processus de laïcisation / municipalisation. Les historiens de l'assistance, en particulier dans les régions méridionales, distinguent deux inflexions majeures, deux mutations des comportements charitables, en s'appuyant d'une part sur les créations hospitalières, d'autre part sur les testaments : une « pause » dans la seconde moitié du 13 ème siècle; et un tournant dans les années 1360, amenant un déclin de l'élan charitable, au moment où les pauvres apparaissent de plus en plus comme classe dangereuse et où les messes, plus que l'aumône, deviennent le grand passeport pour l'au-delà. La « pause », dans notre région, ne fut qu'un léger fléchissement, et le tournant de 1360 ne remit pas en cause la bonne tenue des « charités » dans la générosité des fidèles ; il n'y eut pas non plus semble-t-il de retournement des mentalités ; l'assistance traversa une crise au 15 ème siècle ; mais le « catastrophisme » plaqué sur le bas Moyen Âge serait peut-être à revisiter. Daniel Le Blévec montre aussi que l'assistance fut un des domaines les plus révélateurs des rapports complexes entre les laïcs et l'Église, et qu'il ne faut pas assimiler laïcisation et effacement du religieux ; les structures laïques continuent longtemps à jouer un rôle dans l'économie du salut et s'insèrent dans la circulation de la caritas (Charité). La laïcisation et la recherche de l'efficacité qui lui est liée doivent être considérées non pas tant comme une manifestation d'anticléricalisme (qui a pu exister au 13 ème siècle), mais davantage comme un chapitre de l'émergence du laïcat dans l'Église.
Jean-Louis Roch.
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
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