Quel engagement politique pour les chrétiens - Article de la NEF
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Quel engagement politique pour les chrétiens - Article de la NEF
Quel engagement politique pour les chrétiens
L’engagement politique des chrétiens dans nos démocraties libérales n’a rien d’évident, tant celles-ci s’opposent, sur maints sujets, aux enseignements de l’Église.
Rappelons d’abord le contexte. Les chrétiens ne peuvent se désintéresser de la politique, comprise comme forme de charité supérieure. Mais dans nos sociétés le christianisme est désormais minoritaire et rejeté comme référence publique. Il est dès lors devenu difficile d’avoir une influence en s’en réclamant explicitement. Et pourtant les chrétiens ne peuvent pas non plus se fondre anonymement dans la société. Déjà, ils ne peuvent pas éviter d’intervenir et de s’afficher comme tels si l’enjeu est directement religieux. Mais même s’il relève de la loi naturelle, là où elle est méconnue de la société (mariage pour tous) : on les repère vite comme tels. Le vieux dilemme ne guide donc pas beaucoup : on agira toujours « en chrétien », évidemment, mais aussi cas par cas « en tant que chrétien » sans l’exclure a priori.
Le Magistère donne-t-il une réponse claire sur les orientations à prendre ? Les principes (la Doctrine sociale de l’Église) sont stables. Mais la ligne politique a notablement varié : d’abord hostile à la modernité politique (XIXe s.), elle a ensuite oscillé au moins jusqu’à la Seconde Guerre mondiale entre le rappel des principes et un accommodement de fait ; on s’est essayé ensuite à la démocratie chrétienne, qui paraissait un compromis commode et prometteur, mais qui a finalement échoué ; pour déboucher sur la position actuelle. Si on peut la résumer, elle semble recommander la démocratie et les droits de l’homme, comme le reste de la société ; mais (au moins pour Jean-Paul II et Benoît XVI) avec une compréhension sous-jacente assez différente de celle dominante, et plus que des nuances entre les papes. Il n’est en tout cas pas irrespectueux de dire que l’impact sur la durée en a été et reste peu concluant ; le seul cas de succès manifeste, celui de Jean-Paul II à l’Est, n’était pas un combat politique ordinaire.
Rappelons en outre que le Magistère ne s’exerce avec toute son autorité que sur la foi et les mœurs (les fondements moraux), pas sur les décisions relevant de la prudence politique. L’éclairage qu’il apporte est donc très important, mais il laisse ouvertes des possibilités diverses, en restant fidèle aux principes. Cela ne veut pas dire qu’il faille négliger l’enseignement magistériel, tant s’en faut ; mais ce n’est pas un manuel prêt à l’emploi. Ce fait est souvent oublié lorsqu’on prend sans précaution les positions prises ici ou là dans l’Église. Inversement il est dans la pratique difficile de s’afficher catholique en politique tout en allant contre telle ou telle expression de l’Église du moment, même si on reste dans la marge d’autonomie légitime. Par exemple, un parti se disant catholique mais restrictif sur les migrants serait probablement critiqué d’une façon inconfortable.
Quelles références au passé ?
A-t-on des références dans le passé ? Moins qu’on ne le pense. L’époque de chrétienté était trop différente. La démocratie chrétienne n’a pas survécu et a été un feu de paille – de façon corrélée avec l’illusion, fréquente alors, selon laquelle il y aurait eu un malentendu avec le monde moderne, qu’il suffisait de dissiper. Or ce qui est apparu est que, comme les papes du XIXe siècle le percevaient (malgré leurs erreurs et maladresses), il y a des éléments d’opposition forte et structurelle entre ce monde et le chrétien. En définitive, le modèle des premiers chrétiens paraît plus inspirant. Certes il n’y avait pas dans l’Empire romain de lutte politique démocratique. Mais on connaissait déjà le dilemme : ne pas renier la société où on vit et ses éléments de légitimité, tout en reconnaissant des points d’opposition irréductible. Et dans ce cadre, les positions pouvaient être diverses. Ainsi la question de l’armée romaine : certains pensaient qu’il était exclu d’y combattre, d’autres ont fait le choix inverse sans renier leur foi.
Cela ne nous dit pas quels choix doivent être faits concrètement. D’autant plus que le monde chrétien est divisé politiquement, avec pour simplifier une polarisation de base entre « conservateurs » et « progressistes ». Les premiers sont plus nombreux et transmettent mieux la foi ; mais les seconds, quoique affaiblis, tiennent plus de leviers. Cela dit, le spectre catholique ainsi dessiné ne se confond pas avec le spectre politique dans la société, car il est sensiblement plus décalé sur la droite. Le chrétien « progressiste » est très rarement d’extrême gauche : il sera écolo ou PS, mais souvent LREM ou même LR, comme le gros des catholiques pratiquants. Le chrétien « conservateur » sera, lui, volontiers classé par le système à droite, voire à l’extrême droite.
Ces oppositions paraissent en outre irréductibles. D’abord bien sûr sur les questions de mœurs et de société : en théorie, la doctrine donne des réponses claires et tranchées ; mais tous n’y adhèrent pas (contraception), et reste ouverte la question du possible : dès lors souvent la division est forte (mariage pour tous). Viennent ensuite les migrants : le désaccord entre chrétiens est ici très âpre – le pape actuel s’étant en outre engagé radicalement d’un des côtés. Moins dure mais néanmoins nette est l’opposition sur l’Europe et plus largement sur la question nationale. Enfin dans le vaste domaine des questions économiques et sociales, y compris l’écologie, on trouve une gamme d’opinions très large, avec des différences considérables. Ce simple rappel montre qu’on ne peut réunir sous une même bannière les positions en question, explicitement chrétiennes ou non.
Dans un tel contexte, les frustrations sont inéluctables, des deux côtés, et pas seulement parce que le Magistère paraît appuyer tantôt les uns, tantôt les autres. Du côté « progressiste », on souffre du recul de ce courant par rapport aux années 70-80. Surtout, comme on nie ou relativise l’opposition entre l’esprit dominant dans nos sociétés et la foi chrétienne, on finit dans le sillage du premier et, dans la pratique, l’action politique qu’on mène se confond avec celle de la gauche ou du centre. En outre le progressiste engagé est troublé par le vote à droite de la majorité des catholiques, ainsi que par l’insistance des « conservateurs » sur le sociétal, qui est beaucoup plus visible et la seule à être associée par le public avec le christianisme. Enfin on a du mal avec une doctrine magistérielle qui reste traditionnelle (malgré certaines déclarations). D’où en réaction la tentation d’une éthique de conviction exacerbée, notable sur les migrants – mais là aussi sans effet politique propre.
Le malaise n’est pas moins réel du côté « conservateur » : ce peut être par le porte-à-faux par rapport à la hiérarchie – pas tant sur les principes que sur certaines déclarations comme sur les migrants –, mais plus encore par frustration sur les faibles résultats obtenus, ainsi dans les luttes sociétales. C’est qu’on s’oppose là à des tendances lourdes de la société, le paradigme relativiste qui la domine. En outre, de ce côté-là aussi la parole chrétienne est minoritaire, quoique moins qu’à gauche.
Le bilan ne paraît donc pas réjouissant. On peut se reconnaître comme chrétien une ardente obligation, mais on a en pratique une difficulté à la mettre en œuvre de façon repérable en termes chrétiens ; la dispersion des efforts est considérable ; et le champ politique n’apparaît pas d’emblée fécond pour le chrétien qui veut agir explicitement comme tel. Mais on aurait tort d’en rester là. D’abord bien sûr ce qui fait qu’une action est bonne ou mauvaise n’est pas d’abord le résultat obtenu – qui pour l’essentiel dépend de Dieu. Ce n’est pas à nous de porter le futur de l’humanité sur nos épaules ; ce qui ne nous empêche pas de faire ce que nous avons à faire, là où nous sommes et là où nous le pouvons, et si possible intelligemment. Faire le bien autour de nous, y compris en matière politique, reste toujours possible, et obtenir des résultats réels. En explicitant en quoi cela manifeste notre foi chrétienne chaque fois que c’est possible ou pertinent.
Autre chose est la manifestation du christianisme dans la société et dans l’histoire. Regardons ses leçons : combien de cas de succès collectifs qui soient le fruit d’une action chrétienne voulue collectivement comme telle, consciemment et à l’avance ? Je suis par exemple de ceux qui admirent la chrétienté malgré ses défauts et limites ; mais elle n’a jamais été définie comme un objectif à atteindre ; elle a été donnée en son temps. Il en sera de même pour l’avenir.
Pierre de Lauzun, polytechnicien, énarque, a travaillé dans la banque et la finance et a notamment publié : Philosophie de la foi (CreateSpace Independent Publishing Platform, 2015), La finance peut-elle être au service de l’homme ? (Desclée de Brouwer, 2015), Finance : un regard chrétien (Embrasure, 2012).
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L’engagement politique des chrétiens dans nos démocraties libérales n’a rien d’évident, tant celles-ci s’opposent, sur maints sujets, aux enseignements de l’Église.
Rappelons d’abord le contexte. Les chrétiens ne peuvent se désintéresser de la politique, comprise comme forme de charité supérieure. Mais dans nos sociétés le christianisme est désormais minoritaire et rejeté comme référence publique. Il est dès lors devenu difficile d’avoir une influence en s’en réclamant explicitement. Et pourtant les chrétiens ne peuvent pas non plus se fondre anonymement dans la société. Déjà, ils ne peuvent pas éviter d’intervenir et de s’afficher comme tels si l’enjeu est directement religieux. Mais même s’il relève de la loi naturelle, là où elle est méconnue de la société (mariage pour tous) : on les repère vite comme tels. Le vieux dilemme ne guide donc pas beaucoup : on agira toujours « en chrétien », évidemment, mais aussi cas par cas « en tant que chrétien » sans l’exclure a priori.
Le Magistère donne-t-il une réponse claire sur les orientations à prendre ? Les principes (la Doctrine sociale de l’Église) sont stables. Mais la ligne politique a notablement varié : d’abord hostile à la modernité politique (XIXe s.), elle a ensuite oscillé au moins jusqu’à la Seconde Guerre mondiale entre le rappel des principes et un accommodement de fait ; on s’est essayé ensuite à la démocratie chrétienne, qui paraissait un compromis commode et prometteur, mais qui a finalement échoué ; pour déboucher sur la position actuelle. Si on peut la résumer, elle semble recommander la démocratie et les droits de l’homme, comme le reste de la société ; mais (au moins pour Jean-Paul II et Benoît XVI) avec une compréhension sous-jacente assez différente de celle dominante, et plus que des nuances entre les papes. Il n’est en tout cas pas irrespectueux de dire que l’impact sur la durée en a été et reste peu concluant ; le seul cas de succès manifeste, celui de Jean-Paul II à l’Est, n’était pas un combat politique ordinaire.
Rappelons en outre que le Magistère ne s’exerce avec toute son autorité que sur la foi et les mœurs (les fondements moraux), pas sur les décisions relevant de la prudence politique. L’éclairage qu’il apporte est donc très important, mais il laisse ouvertes des possibilités diverses, en restant fidèle aux principes. Cela ne veut pas dire qu’il faille négliger l’enseignement magistériel, tant s’en faut ; mais ce n’est pas un manuel prêt à l’emploi. Ce fait est souvent oublié lorsqu’on prend sans précaution les positions prises ici ou là dans l’Église. Inversement il est dans la pratique difficile de s’afficher catholique en politique tout en allant contre telle ou telle expression de l’Église du moment, même si on reste dans la marge d’autonomie légitime. Par exemple, un parti se disant catholique mais restrictif sur les migrants serait probablement critiqué d’une façon inconfortable.
Quelles références au passé ?
A-t-on des références dans le passé ? Moins qu’on ne le pense. L’époque de chrétienté était trop différente. La démocratie chrétienne n’a pas survécu et a été un feu de paille – de façon corrélée avec l’illusion, fréquente alors, selon laquelle il y aurait eu un malentendu avec le monde moderne, qu’il suffisait de dissiper. Or ce qui est apparu est que, comme les papes du XIXe siècle le percevaient (malgré leurs erreurs et maladresses), il y a des éléments d’opposition forte et structurelle entre ce monde et le chrétien. En définitive, le modèle des premiers chrétiens paraît plus inspirant. Certes il n’y avait pas dans l’Empire romain de lutte politique démocratique. Mais on connaissait déjà le dilemme : ne pas renier la société où on vit et ses éléments de légitimité, tout en reconnaissant des points d’opposition irréductible. Et dans ce cadre, les positions pouvaient être diverses. Ainsi la question de l’armée romaine : certains pensaient qu’il était exclu d’y combattre, d’autres ont fait le choix inverse sans renier leur foi.
Cela ne nous dit pas quels choix doivent être faits concrètement. D’autant plus que le monde chrétien est divisé politiquement, avec pour simplifier une polarisation de base entre « conservateurs » et « progressistes ». Les premiers sont plus nombreux et transmettent mieux la foi ; mais les seconds, quoique affaiblis, tiennent plus de leviers. Cela dit, le spectre catholique ainsi dessiné ne se confond pas avec le spectre politique dans la société, car il est sensiblement plus décalé sur la droite. Le chrétien « progressiste » est très rarement d’extrême gauche : il sera écolo ou PS, mais souvent LREM ou même LR, comme le gros des catholiques pratiquants. Le chrétien « conservateur » sera, lui, volontiers classé par le système à droite, voire à l’extrême droite.
Ces oppositions paraissent en outre irréductibles. D’abord bien sûr sur les questions de mœurs et de société : en théorie, la doctrine donne des réponses claires et tranchées ; mais tous n’y adhèrent pas (contraception), et reste ouverte la question du possible : dès lors souvent la division est forte (mariage pour tous). Viennent ensuite les migrants : le désaccord entre chrétiens est ici très âpre – le pape actuel s’étant en outre engagé radicalement d’un des côtés. Moins dure mais néanmoins nette est l’opposition sur l’Europe et plus largement sur la question nationale. Enfin dans le vaste domaine des questions économiques et sociales, y compris l’écologie, on trouve une gamme d’opinions très large, avec des différences considérables. Ce simple rappel montre qu’on ne peut réunir sous une même bannière les positions en question, explicitement chrétiennes ou non.
Dans un tel contexte, les frustrations sont inéluctables, des deux côtés, et pas seulement parce que le Magistère paraît appuyer tantôt les uns, tantôt les autres. Du côté « progressiste », on souffre du recul de ce courant par rapport aux années 70-80. Surtout, comme on nie ou relativise l’opposition entre l’esprit dominant dans nos sociétés et la foi chrétienne, on finit dans le sillage du premier et, dans la pratique, l’action politique qu’on mène se confond avec celle de la gauche ou du centre. En outre le progressiste engagé est troublé par le vote à droite de la majorité des catholiques, ainsi que par l’insistance des « conservateurs » sur le sociétal, qui est beaucoup plus visible et la seule à être associée par le public avec le christianisme. Enfin on a du mal avec une doctrine magistérielle qui reste traditionnelle (malgré certaines déclarations). D’où en réaction la tentation d’une éthique de conviction exacerbée, notable sur les migrants – mais là aussi sans effet politique propre.
Le malaise n’est pas moins réel du côté « conservateur » : ce peut être par le porte-à-faux par rapport à la hiérarchie – pas tant sur les principes que sur certaines déclarations comme sur les migrants –, mais plus encore par frustration sur les faibles résultats obtenus, ainsi dans les luttes sociétales. C’est qu’on s’oppose là à des tendances lourdes de la société, le paradigme relativiste qui la domine. En outre, de ce côté-là aussi la parole chrétienne est minoritaire, quoique moins qu’à gauche.
Le bilan ne paraît donc pas réjouissant. On peut se reconnaître comme chrétien une ardente obligation, mais on a en pratique une difficulté à la mettre en œuvre de façon repérable en termes chrétiens ; la dispersion des efforts est considérable ; et le champ politique n’apparaît pas d’emblée fécond pour le chrétien qui veut agir explicitement comme tel. Mais on aurait tort d’en rester là. D’abord bien sûr ce qui fait qu’une action est bonne ou mauvaise n’est pas d’abord le résultat obtenu – qui pour l’essentiel dépend de Dieu. Ce n’est pas à nous de porter le futur de l’humanité sur nos épaules ; ce qui ne nous empêche pas de faire ce que nous avons à faire, là où nous sommes et là où nous le pouvons, et si possible intelligemment. Faire le bien autour de nous, y compris en matière politique, reste toujours possible, et obtenir des résultats réels. En explicitant en quoi cela manifeste notre foi chrétienne chaque fois que c’est possible ou pertinent.
Autre chose est la manifestation du christianisme dans la société et dans l’histoire. Regardons ses leçons : combien de cas de succès collectifs qui soient le fruit d’une action chrétienne voulue collectivement comme telle, consciemment et à l’avance ? Je suis par exemple de ceux qui admirent la chrétienté malgré ses défauts et limites ; mais elle n’a jamais été définie comme un objectif à atteindre ; elle a été donnée en son temps. Il en sera de même pour l’avenir.
Pierre de Lauzun, polytechnicien, énarque, a travaillé dans la banque et la finance et a notamment publié : Philosophie de la foi (CreateSpace Independent Publishing Platform, 2015), La finance peut-elle être au service de l’homme ? (Desclée de Brouwer, 2015), Finance : un regard chrétien (Embrasure, 2012).
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MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
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