Saint Tropez, un martyr toujours vénéré

par Lumen Sam 30 Juil 2022 - 21:59

Saint Tropez, un martyr toujours vénéré

Loin de sa réputation de capitale du luxe et des paillettes, la ville de Saint-Tropez voue encore aujourd’hui un véritable culte à son saint patron.

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Lieu de rendez-vous incontournable de la jet-set, des fêtes bling-bling, des villas luxueuses et des yachts tape-à-l’œil scintillant sous un soleil de plomb. À première vue, partir sur les traces de saint Tropez dans le village auquel il a donné son nom relève de l’expédition archéologique. Ce matin de juillet, pourtant, le ciel s’est malicieusement encombré de nuages menaçants semblant vouloir faire mentir les clichés arrimés dans la tête des promeneurs de passage. Le port est presque désert. Pas de people à l’horizon. Armée d’un plan, une femme d’une cinquantaine d’années fait découvrir le village mythique à quelques amis. « Savez-vous qui était saint Tropez ? », hasardons-nous. « Pas du tout. Mais c’est vrai, ça, il faudrait que je creuse la question ! », sourit-elle. Chez Sénéquier, le café culte aux tables triangulaires et chaises en toile rouges, la réponse, parcellaire, ne se fait pas attendre. « C’était un soldat. Il est arrivé décapité dans une barque, entouré d’un coq et d’un chien. Les gens d’ici connaissent tous cette histoire. Je l’ai apprise au catéchisme quand j’étais petite », explique Stella, une jeune serveuse, tropézienne de souche.

Au coin d’une rue grimpant vers l’église Notre-Dame-de-l’Assomption, il apparaît soudain dans la vitrine d’une boutique de vaisselle et d’ustensiles de cuisine. Regard droit, fine moustache à la Clark Gable, cheveux tombant sur les épaules, large couronne et tunique rouge vif, la couleur des martyrs : saint Tropez. « Il fait partie de notre quotidien », justifie Élisabeth, la propriétaire des lieux. « Il a défendu le christianisme jusqu’à la mort. Nos parents nous ont transmis son histoire, nous avons grandi avec lui. Tous les Tropéziens ont une statue de lui dans leur maison, et presque tous les commerçants l’exposent dans leur boutique. » On aperçoit en effet son buste dans les différentes échoppes de la ville. Mais pourquoi pas dans cet élégant magasin de prêt-à-porter ? demande-t-on à une vendeuse. « L’enseigne nous interdit les touches de décoration personnelles », répond-elle en ouvrant la porte d’un placard. « Alors je l’ai installé ici pour qu’il veille sur moi. »

Evangélisé à Rome par saint Paul

Tropez, ou Torpès, est né à Pise dans une famille patricienne. Il est officier et ami de l’empereur Néron lorsqu’il se convertit au christianisme. Selon certaines sources, il aurait été évangélisé à Rome par saint Paul dont il aurait été témoin du martyre en l’an 67. Au cours d’une cérémonie dédiée à « Diane, créatrice de l’univers », Tropez refuse de rendre un culte aux dieux romains et confesse publiquement sa foi chrétienne. Attaché à ce valeureux soldat, Néron lui donne quelques jours pour abjurer sa foi. Alors catéchumène, il profite de ce délai pour se faire baptiser par un vieux prêtre vivant sur les hauteurs de Pise, en prévision de son martyre imminent. Face à son obstination, Néron le fait décapiter le 29 avril 68. Laissée sur la plage, sa tête est ramassée par son ami Andronic (elle est aujourd’hui conservée dans l’église San Torpè à Pise).

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Comme dans la plupart des boutiques, la pharmacie du port arbore un buste de saint Tropez.
Photo : Jef Baecker - Hans Lucas pour FC

Son corps est placé dans une barque avec un coq et un chien, sort habituellement réservé aux parricides. Poussé par les vents, le frêle esquif dérive sur la Méditerranée et échoue le 17 mai sur une plage de la côte provençale à l’emplacement actuel du village de Saint-Tropez. Là, une femme nommée Célèrine recueille miraculeusement le corps laissé intact par les deux bêtes. Elle l’embaume et lui fait dresser un sanctuaire. Lors des invasions barbares au VIIIe siècle, les habitants cachent les reliques du saint. Nul ne sait ce qu’elles sont devenues.

Les Tropéziens n’oublient pas pour autant celui qui devient leur saint patron et qu’ils fêtent chaque 17 mai. À cette occasion, une grande procession appelée « bravade » est organisée, à laquelle les hommes participent armés, en prévision d’éventuelles attaques. Au XVIe siècle est créé un corps d’armée local chargé de défendre la cité et dirigé par un « capitaine de ville ». Ce dernier défile en tête de chaque bravade, accompagné de ses hommes. Lorsque, sous le règne de Louis XIV, ce corps d’armée est remplacé par une garnison royale, le capitaine de ville continue à marcher à l’avant de la procession suivi des habitants portant leurs anciens uniformes et leurs armes afin d’honorer leur passé militaire.

Fête militaire et religieuse

C’est ainsi que naît la tradition des bravades de Saint-Tropez, célébrées encore aujourd’hui par l’ensemble de la population les 16, 17 et 18 mai. « Pendant trois jours, la ville parée de drapeaux est en ébullition et vit un vrai moment de communion. Les deux cents bravadeurs revêtent leur uniforme de soldat et défilent en faisant retentir tromblons et fusils en l’honneur de leur saint patron. Des femmes s’habillent en costume provençal, et les autres habitants sont vêtus de rouge et blanc. C’est une fête à la fois militaire et religieuse », explique Serge Astezan, le cepoun de la ville.

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Chaque été, la ville de Saint-Tropez accueille de nombreux touristes. Peu d'entre eux connaissent l'histoire du saint qui a donné son nom au port de pêche le plus célèbre du monde. Les habitants, en revanche, sont très attachés à leur saint patron qu'ils honorent à plusieurs reprises au cours de l'année. Photo : Jef Baecker - Hans Lucas pour FC

Le premier jour, le curé bénit les armes des bravadeurs, puis tous se dirigent en procession vers l’église pour assister au salut du Saint-Sacrement. Le lendemain, une messe est célébrée à 7 h, à l’issue de laquelle sont vendus des bouquets d’œillets et de pittosporum que les Tropéziens rapportent chez eux en remplacement de ceux de l’année précédente. Une deuxième messe est dite en présence de l’évêque, puis l’assistance part en procession dans les rues de la ville en portant le buste de son saint patron. Le troisième jour est célébrée une messe d’action de grâces.

« Un terreau à ne pas négliger »

Un dicton assure que les Tropéziens croient en leur saint patron mais pas en Dieu. « Saint Tropez rayonne surtout culturellement », confirme le Père Jean-Paul Gouarin, curé de la paroisse. « Les Tropéziens portent tous sa médaille, qu’ils me demandent de bénir, mais seulement une minorité est catholique pratiquante. Cette piété populaire est toutefois un terreau qu’il ne faut pas négliger. Le 17 de chaque mois, je célèbre une messe en l’honneur de saint Tropez à laquelle une cinquantaine de bravadeurs assiste fidèlement, alors qu’ils ne sont qu’une poignée à venir à la messe dominicale. Dieu agit, il faut avoir confiance ! » La ville n’a-t-elle pas d’ailleurs pour devise « Ad usque fidelis » (« Fidèle jusqu’au bout ») ?

Dans sa bijouterie, située à quelques mètres de l’église qu’il ne fréquente pourtant qu’exceptionnellement, Sébastien, spécialisé dans la vente des médailles du saint, n’omet jamais de rappeler à ses clients qui était Tropez. À tous, il distribue une prière qui lui est dédiée. « Je ne vais pas souvent à la messe, mais je prie saint Tropez et le chapelet. Je n’oublie pas que s’il y a saint Tropez, c’est parce qu’il y a le Christ. »

Élisabeth Caillemer

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