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Abbaye de Lérins : « Il faut s’inscrire pour la messe ? »

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Abbaye de Lérins : « Il faut s’inscrire pour la messe ? » Empty Abbaye de Lérins : « Il faut s’inscrire pour la messe ? »

Message par Lumen Sam 17 Sep 2022 - 20:57

Abbaye de Lérins : « Il faut s’inscrire pour la messe ? »

Au large de Cannes, l’île Saint-Honorat abrite des moines depuis le Ve siècle. De nombreux touristes font chaque jour la traversée vers l’abbaye de Lérins, un petit bijou de biodiversité et de quiétude. Une invitation à la sagesse.

Abbaye de Lérins : « Il faut s’inscrire pour la messe ? » Lerins


À 17 h, le bateau de la compagnie Planaria vrombit vers l’abbaye flottante de Lérins, sur l’île Saint-Honorat. De loin, on dirait une minuscule lentille d’eau perdue dans le grand bleu. « Lérins est une miette de prière au milieu de l’éternité qui l’entoure de toute part », écrivait Paul Claudel.


Abbaye de Lérins : « Il faut s’inscrire pour la messe ? » Lerins_1
La traversée dure environ 20 minutes. A.Botbol - Hans Lucas


Sur le pont, Sophia contemple la baie de Cannes écrasée par le soleil. La Méditerranée est en passe de bouillir : 35°C aux abords de l’archipel. « Parfois, j’oublie que c’est un endroit exceptionnel », glisse-t-elle, méditative. Cette élégante brunette est une Cannoise pur jus. Les touristes, eux, vont sur l’île Sainte-Marguerite. Elle préfère Saint-Honorat : « C’est tellement joli, il y a de la verdure partout et des vignes... » Fidèle à son prénom, Sophia poursuit des études de philosophie. Elle est en quête de sagesse. Son auteur préféré ? Emmanuel Kant. « J’aime les grands textes et cet été, j’ai prévu de relire La vie heureuse de Sénèque. » Contrairement aux usages qui veulent que les derniers voyageurs transportés par Planaria dorment à l’hôtellerie monastique, Sophia a un tout autre plan. Elle rejoint son ami sur le yacht de ses parents. « On va passer du bon temps. » Un catamaran propose aux plaisanciers du champagne et des pizzas maison.


Ils traquent les touristes dénudés allant vers l’église

Sur le quai, casquette noire, brassard « sécurité » jaune fluo, Frédéric guette. Juché sur son VTT, il scrute le flux des visiteurs qui repartent. En reprenant la mer vers Cannes, ils laisseront l’île de Lérins (presque) déserte. Cet ancien militaire travaille pour la société Riviera sécurité. Il assure des rondes jour et nuit. L’archipel est un site sensible. « Regardez ! j’ai un extincteur à poudre sur mon vélo. Ça peut éteindre tous les départs de feu ! » Les touristes se pressent pour monter dans la dernière navette. Après, il sera trop tard. « Ça coûte 250 euros pour faire venir ici des bateaux privés », prévient Frédéric. Il montre ensuite sa ceinture aux mille poches : « Je suis formé au secourisme de guerre ! J’ai tout ce qu’il faut pour guérir les petits bobos et les grosses blessures comme les hémorragies. »

Une jeune femme, serviette de bain jetée sur les épaules, presse, elle aussi, le pas vers l’embarcadère. Zoé vient de séjourner trois jours à l’abbaye. Dans un sourire bienveillant, cette danseuse professionnelle explique qu’elle doit vite récupérer sa valise cachée derrière un buisson. Elle organise des retraites bien-être dans la nature. « L’idée est de retrouver la connexion avec son corps, avec soi-même et parfois avec plus grand que soi... » Avant de disparaître, Zoé lance en guise d’adieu : « Cela fait longtemps que je cherche l’absolu. En toute humilité, je crois pouvoir dire que j’ai commencé à m’approcher de Celui qu’on ne peut pas nommer. » Frédéric regarde la jolie danseuse disparaître en coup de vent. Il est rejoint par un congénère en VTT. C’est Jérémie, son patron, un gaillard blond de 33 ans à la musculature apparente. Sur son épaule droite, un tatouage de samouraï. Formé à l’école de police secours, il vient de lancer la société Riviera sécurité, grâce à la confiance de l’abbaye. C’est sa première saison. Il veut veiller sur les moines comme sur sa propre famille. « Faire la police ici, ce n’est pas du luxe... Les plaisanciers qui arrivent directement de la mer croient souvent que tout leur est dû. » Garder l’œil sur une île privée de 44 hectares n’est pas, en effet, une sinécure. Jérémie et Frédéric parcourent chacun 40 km par jour en moyenne. « À force, on connaît l’île comme notre poche. » Ils traquent les mégots susceptibles de déclencher des incendies, les barbecues sauvages, les touristes qui s’avancent dénudés vers l’église, etc.



Abbaye de Lérins : « Il faut s’inscrire pour la messe ? » Lerins_2


L’abbaye de Lérins a la couleur d’un sablé sortant du four. 19 h 15. Un Frère agite une clochette pour les retraitants. « On peut être en retard à l’office, mais jamais aux repas », s’amuse Béatrice, bénévole depuis 2005. À l’époque, cette sophrologue avait demandé la prière des moines pour une de ses élèves qui avait reçu douze coups de couteau de son compagnon... L’élève est aujourd’hui saine et sauve et c’est Béatrice qui vient aider les moines plusieurs semaines par an. Pendant le repas en silence, le moine à la clochette lit le martyrologe romain. « Saint Thibaud. De 1235 à sa mort, abbé des Vaux-de-Cernay, dans les Yvelines, monastère qui comptait alors deux cents moines. Toujours premier levé, dernier couché, il balayait les couloirs, nettoyait les «retraits» sanitaires. » Melons, charcuterie, eau fraîche. L’Hymne acathiste vient couvrir le bruit des couverts.

Après les complies, Maxime, gardien de nuit employé par Riviera sécurité, commence sa ronde sur son VTT.
« Je ne me couche jamais et je tourne tout le temps, au cas où... Conscience professionnelle... » L’île de Lérins, délivrée de la curiosité des hommes, s’endort doucement, bercée par la musique ininterrompue des vagues.


Course-poursuite dans les chemins de terre ténébreux

23 h. Ambiance d’île déserte. Maxime pédale toujours sur son vélo quand il aperçoit tout à coup des phares fonçant droit sur lui. Qu’est-ce que ça peut être ? Trois jeunes viennent de voler le « caddie de golf » garé dans la ferme des moines. Maxime ne perd pas le nord (l’île est orientée est/ouest) et entame une course-poursuite dans les chemins de terre ténébreux. Il arrive à bloquer la voiturette contre un portail. Les voleurs sont enjoints de rejoindre le port. Illico presto. Les parents envoient un zodiac pour récupérer les trublions.

Les étoiles scintillent à pleine puissance au-dessus de l’église. 4 h du matin. Bientôt l’heure des vigiles. On entend au loin le chant mélancolique d’un hibou. Les ailes des palmiers sont au repos total devant le porche. Il ne se passe rien. Première nuit du livre de la Genèse. Dans l’église, on perçoit les gémissements fatigués de sandales sur le sol. Frère Romain approche, avec sa lampe de poche, vers les retraitants perdus dans les livrets. « Il faut prendre les psaumes de la semaine 2 », chuchote-t-il. Le Père abbé surgit de l’obscurité et se prosterne longuement devant l’autel. Psaume invitatoire. « C’est le psaume 3, souffle Frère Romain. Nous, on le connaît par cœur... » Premier nocturne, second nocturne. Frère Albéric, un novice tout vêtu de blanc, lit un long extrait du livre des Chroniques. Salomon implore Dieu de lui accorder la Sagesse. Par la porte ouverte de l’église, on entend les premiers chants d’oiseaux. Juste après les vigiles, Béatrice fonce voir le lever du soleil. Spectacle qu’elle ne manquerait pour rien au monde. Elle photographie un magnifique disque rouge s’élevant au-dessus des bateaux.


Un selfie avec Frère Marie

Avec le jour, la vie mondaine reprend ses droits. Contraste saisissant entre vigiles nocturnes et visites diurnes.
10 h. Un camion blanc de Fuel littoral livre du mazout dans la cour des retraitants. Un tuyau énorme s’enfonce dans une trappe au sol. « 6 000 litres », précise le chauffeur.

Devant le magasin de l’abbaye, un jeune homme en tenue de sport bleu Schtroumpf. C’est Nicolas, qui veut absolument un selfie avec Frère Marie, le Père hôtelier. Il appartient à un petit groupe de personnes handicapées. Frère Romain en profite pour passer incognito, une serviette de bain sous le bras, en direction de la mer. Il est réputé pour se baigner tous les jours de l’année. Frère Marie, lui, est assailli de coups de fil : « Voilà mon problème... C’est un câble sur le Switch qui fournit plus... Les caisses du magasin ne sont plus connectées. » À peine a-t-il raccroché, qu’un vieux monsieur lui tombe dessus : « On peut manger avec les moines ce midi ? Non, les repas sont réservés aux retraitants Dommage... Et faut s’inscrire pour la messe ? Non, non, pas besoin », sourit Frère Marie.



Abbaye de Lérins : « Il faut s’inscrire pour la messe ? » Lerins_3


Le mercure dépasse déjà les 30°C. Bernard et Catherine s’éventent à l’ombre du magasin. Ces retraités originaires du Luxembourg sont des habitués. Ils sont déjà venus cinq fois. Lui confie, songeur : « Cet endroit est tellement apaisant et mystique... On a l’impression que le temps n’avance pas. » Bernard tient dans les bras un spitz nain : « Elle s’appelle Poïka. » Il esquisse un geste protecteur en lui caressant la tête : « On a quand même peur des chenilles processionnaires sur l’île... Il suffit qu’elles touchent sa truffe et ça fera un œdème ! »

La messe de 11 h 25 sonne à l’église abbatiale. Kelly et Sami approchent avec Talia, un petit husky craquant. C’est Nolan, 9 ans, qui a l’honneur de le tenir en laisse. Cependant, les animaux ne sont pas autorisés à franchir le périmètre sacré. « J’essaye toujours d’aider les gens à comprendre, explique Frédéric. Je me dis qu’ils ne sont pas venus à l’église par hasard... C’est quand même dur de les renvoyer à cause du chien. » Frédéric persuade les propriétaires de Talia, l’husky de Sibérie, de le laisser dans un recoin à l’ombre. Talia se couche docilement. Sage comme la statue de saint Honorat avec sa tête couleur vert de bronze.

« C’est votre chien ?, demande Béatrice après la messe. Qu’est-ce qu’il est sage ! Il a quel âge ? » « Quatre mois », répond Kelly. « Vous attendez un bébé ? ! Oui, pour décembre... » Kelly doit ensuite prendre dans ses bras Talia, qui refuse catégoriquement de quitter sa place devant le saint des saints. « Talia est trop bien ici », conclut Béatrice.

Faisans, chauves-souris, hiboux et cormorans

Le rendez-vous des JAL (Jeunes Accueil Lérins) est fixé à 14 h 45. Atmosphère caniculaire. Claire-Marie fait partie des volontaires qui se relaient tout l’été. Dix-huit jours sur l’île : trois de formation avec les moines et quinze de service. À 27 ans, cette prof d’histoire-géo communicative lance la visite guidée de la partie occidentale de l’île. « Lérins est une île monastique depuis le Ve siècle. Il y a ici une diversité botanique incroyable : pins d’Alep, palmiers, eucalyptus et agapanthes... Sans compter la faune : faisans, hiboux, chauves-souris dans la tour monastère, cormorans, etc. » Depuis que Claire-Marie a découvert l’île de Lérins en 2019, quand elle est venue y réviser son agrégation, elle est accro. Elle revient chaque année respirer cet air cistercien et iodé. « À chaque fois, je prends conscience de tout ce qui a changé en moi et dans le monde... Mais ici, rien ne change ! «Le ciel et la terre passeront, dit Jésus, mais mes paroles ne passeront point. » Pour Claire-Marie, c’est évident, Lérins abrite une sagesse qui surpasse tout.




Samuel Pruvot
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Lumen
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Date d'inscription : 09/11/2021
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