« La liturgie de Paul VI prend sa source dans la grande histoire liturgique. »
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« La liturgie de Paul VI prend sa source dans la grande histoire liturgique. »
« La liturgie de Paul VI prend sa source dans la grande histoire liturgique. »
Entretien avec Sœur Marie-Aimée Manchon, moniale des Fraternités monastiques de Jérusalem, qui enseigne l’esprit de la liturgie en propédeutique au séminaire de Paris et au Collège des Bernardins.
« Soixante ans après la fin du Concile, on voit mieux aujourd’hui la richesse de ce qu’ont voulu les pères conciliaires et saint Paul VI. » - GODONG PHOTO
Entretien avec Sœur Marie-Aimée Manchon, moniale des Fraternités monastiques de Jérusalem, qui enseigne l’esprit de la liturgie en propédeutique au séminaire de Paris et au Collège des Bernardins.
« Soixante ans après la fin du Concile, on voit mieux aujourd’hui la richesse de ce qu’ont voulu les pères conciliaires et saint Paul VI. » - GODONG PHOTO
La messe dite « de Paul VI » issue du Concile a-t-elle créé une rupture dans la tradition liturgique comme on l’entend encore souvent ?
La délicate tâche de réformer a été comprise comme un désaveu de tout ce qu’il y avait avant et la nécessité de tout faire autrement. Ce n’est absolument pas ce qu’a dit le Concile. On ne peut refaire ici l’histoire du contexte dans lequel a été reçu Vatican II en France, mais la messe Paul VI a été parfois introduite dans des formes qui n’étaient pas elle, avec des fantaisies et des contresens qui étaient des abus liturgiques. Cela dit, si l’on n’a pas compris que Vatican II est la continuité du concile de Trente, que Paul VI est la continuité de Pie V, c’est qu’on ne connaît pas l’histoire du catholicisme. La messe Paul VI reprend, bien sûr, les éléments de la messe Pie V : la structure est exactement la même. C’est pour cela que Benoît XVI a pu dire qu’il s’agissait du même rite sous deux formes. Ce que dit le pape François aujourd’hui, c’est qu’à un moment une réforme ne peut pas aboutir et donner ses fruits si on revient tout le temps en arrière. Soixante ans après la fin du Concile, c’est maintenant le moment favorable, car nous sommes généralement sortis des dérives. On voit mieux aujourd’hui la richesse de ce qu’ont voulu les Pères conciliaires et saint Paul VI.
Qu’est-ce qui a motivé la réforme liturgique ?
La réforme liturgique est née d’une prise de conscience qui débute à la fin du XIXe siècle et court tout le long du XXe avec ce qu’on appelle le Mouvement liturgique initié par Dom Prosper Guéranger puis relayé par Dom Lambert Beauduin. Il rappelle que la liturgie n’est pas un simple devoir à remplir ou un domaine réservé aux gens pieux. Il fait prendre conscience qu’elle est l’axe du christianisme comme lieu d’union au Christ mort et ressuscité. C’est ce que décrit le Père Louis Bouyer dans Le Mystère pascal, un livre retentissant paru en 1945, et ce qu’expérimente Romano Guardini avec ses étudiants dès les années vingt. Naît le désir d’une messe centrée sur le Mystère pascal, pétrie d’Écritures saintes, dialoguée et responsoriale, à l’ornementation belle, sobre, épurée, où rien de surfait, de pompeux, d’adjacent, ne déconcentre du don du Christ au Père dans l’Esprit, auquel tous peuvent prendre part.
La réforme vient aussi de la redécouverte des Pères de l’Église, avec la collection des « Sources chrétiennes » fondée en 1942 par le Père Henri de Lubac (et dont on célèbre cette année le 80e anniversaire), où les textes grecs, latins, syriaques sont traduits en français. Ils commentent la Bible, racontent la liturgie eucharistique ou baptismale, expliquent les symboles… C’est fabuleux ! Les catholiques redécouvrent la foi immense des premiers chrétiens et veulent raviver la leur. Le mouvement œcuménique a également redonné le goût de la parole de Dieu, à une époque où seuls les protestants la lisaient. À leur contact, les catholiques se sont rendu compte à quel point ils étaient ignorants de la Bible. C’est aussi par le dialogue avec les orthodoxes que l’on redécouvre la place de l’Esprit Saint dans la liturgie. La réforme liturgique est donc un retour aux sources : à l’Écriture et à la Tradition.
Qu’y avait-il à réformer dans la messe d’alors ?
Avant les années cinquante, en paroisse, pas grand monde ne communiait parce qu’il fallait avoir jeûné depuis minuit. On considérait que la communion du prêtre suffisait pour suppléer. Les gens priaient, ils s’unissaient au sacrifice de la messe, mais l’action s’est peu à peu concentrée entre le prêtre et Dieu. Les fidèles ne faisaient qu’y assister. Ce n’est qu’en 1953 que les lectures ont commencé à être lues en français… On a voulu enfin partager à nouveau le trésor de la liturgie avec les fidèles et ne plus le réserver aux seuls clercs. Dix ans avant Vatican II, Pie XII réforme la Semaine sainte en ce sens.
Quelle a été l’intention de saint Paul VI en promulguant un nouveau missel quelques années après la constitution conciliaire sur la liturgie Sacrosanctum concilium ?
Le 3 avril 1969 est promulgué, en effet, le Missale romanum « nouvelle version », si l’on peut dire, dans la ligne de la réforme demandée par le concile Vatican II. Lire sa « présentation générale » permet d’en comprendre l’esprit. Le désir exprimé dès l’abord est « qu’on embrasse de plus haut tout le passé de l’Église » afin que le style liturgique « s’accorde mieux avec le langage théologique d’aujourd’hui ». J’aime cette idée : revenir aux sources offre la véritable possibilité d’actualiser. Le dogme ne change pas, certes, mais son langage se développe. Élargir le champ (par exemple, connaître nos racines juives ou l’Orient chrétien) permet de prendre de la hauteur par rapport à nos idées fixes et aussi de réajuster nos écarts.
En plus de celle sur la liturgie, Vatican II a émis des constitutions sur la parole de Dieu (Dei Verbum), l’Église (Lumen gentium) et son lien au monde actuel (Gaudium et Spes). Paul VI en intègre l’esprit dans « son » missel. Pour faire court, la liturgie de la Parole s’étoffe avec plus de lectures bibliques, un écho valorisé entre l’Ancien Testament et le Nouveau, l’intégrale ou presque des Évangiles (contre moins de 15 % dans la messe tridentine), une homélie en rapport. Ensuite, l’appel universel à la sainteté rééquilibre la place de l’assemblée qui est invitée à célébrer in persona Ecclesiae, en communion avec le prêtre in persona Christi capitis. La dimension sponsale des Noces de l’Agneau est alors plus explicite dans le vis-à-vis du prêtre et de l’assemblée qui s’est mis en place spontanément. Enfin, le souci de recueillir les joies et les espoirs de ce temps pour en faire une prière et les remettre dans le Mystère pascal passe par le psaume responsorial et la prière universelle réintroduits. La « noble simplicité » des formules, des matières, des étoffes, et la possibilité de la langue vernaculaire se voulaient aussi plus en phase avec le monde contemporain.
Paul VI disait à son ami Jean Guitton : « Il ne s’agit pas simplement d’appliquer. Il faut créer, toujours dans le même sens. Le Concile n’est pas une nouveauté, c’est la Tradition même, mais avec plus de vérité intérieure, d’authenticité, de charité. » Cela n’a pas toujours été compris ni suivi, certes, alors à nous de nous y atteler…
Comment expliquer la persistance de la querelle liturgique aujourd’hui ?
Toute réforme suppose une conversion de part et d’autre, et nous interroge : nos liturgies correspondent-elles à l’intention conciliaire ? Nous font-elles mieux rencontrer le Christ pascal en son mystère, en nos frères ? Ou sont-elles un lieu de division, de crispation, d’autocélébration ? On peut très bien avoir la messe Paul VI en latin avec du grégorien, qui est celle de Vatican II au départ. Cependant, il faut oser se poser la question du sens des choix que l’on pose pour ceux qui participent. Le plainchant vise l’unisson quand la polyphonie traduit naturellement le jeu et la complémentarité des voix d’hommes et de femmes.
Chanter dans sa langue maternelle est peut-être moins « puriste », mais offre d’emblée une grâce d’adhésion intérieure. Cela suppose toutefois des paroles priantes et non « bavardes » ou infantiles. Il est urgent aussi de retrouver le sens de la beauté de la liturgie, qui n’est pas la perfection du chant ou du geste, mais le fait d’habiter ce que l’on célèbre. Évangélisée, la beauté évangélise. L’adage monastique est « Ni trop, ni trop peu ! ». D’où l’appel pressant du pape François à se former à la liturgie pour se laisser réformer par la liturgie. La grâce de Dieu passe alors par son Église, et son Église est pour le monde, qui tient grâce à ces eucharisties, à ces transfigurations incessantes qui lèvent le voile sur le Royaume.
En France, beaucoup de jeunes sont attirés par l’ancienne liturgie. Qu’est-ce que cela révèle ?
Dans notre société, qui a un problème avec son histoire et qui veut faire table rase de tout, les jeunes ont soif. On comprend qu’ils soient attirés par tout un imaginaire patrimonial. Il faut leur montrer que la liturgie de Paul VI prend sa source dans la grande histoire liturgique. Par exemple, la quatrième prière eucharistique introduite en 1968 reprend la liturgie de saint Basile le Grand au IVe siècle ! Et il faut entendre leur besoin d’émerveillement, d’intériorité, de silence comme le demande le pape François dans sa magnifique lettre apostolique Desiderio desideravi.
Enfin, les jeunes disent aspirer à une dimension de « sacré ». Eh bien, la réforme liturgique veut nous faire passer du sacré au consacré ! C’est cela, « participer activement » à la messe. Non pas faire des choses, sentir une ambiance, mais devenir par l’Esprit Celui que nous recevons, filialement remis au Père. On oppose souvent la verticalité de la messe Pie V et l’horizontalité de la messe Paul VI. Or, les chrétiens ont la Croix, qui comporte les deux dimensions que l’on ne peut pas opposer l’une à l’autre. Si l’une disparaît, l’autre perd son sens, et la Croix n’appartient à aucune tradition liturgique. C’est nous qui devons lui appartenir. Alors notre vie entière sera devenue liturgie et, là seulement, la réforme conciliaire aura atteint son but !
Un trésor encore à découvrir
Ce samedi 15 octobre, Sœur Marie-Aimée Manchon donnera au Collège des Bernardins un cours-conférence ouvert à tous de 10 h 30 à 12 h intitulé « Ce que dit (vraiment) Vatican II sur la liturgie » (1), dans le cadre des Rendez-vous de l’École Cathédrale « L’esprit de la liturgie ». À suivre avec elle les autres samedis dans ce cadre : le 7 janvier 2023 : « Les prières eucharistiques entre Orient et Occident » ; le 25 mars 2023 : « La Vigile pascale, mère des fêtes » ; le 13 mai 2023 : « L’icône, école de beauté liturgique »
Tarif : 10 € (5 € pour les moins de 30 ans). Inscription sur place (20, rue de Poissy, Paris 5e) ou sur collegedesbernardins.fr/formation/lesprit-de-la-liturgie.
Clotilde Hamon
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Lumen- Date d'inscription : 09/11/2021
Localisation : France
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