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Jacques Gauthier : « Dieu est près de nous dans nos nuits »

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Message par Lumen Jeu 20 Oct 2022 - 23:24

Jacques Gauthier : « Dieu est près de nous dans nos nuits »

Auteur prolifique d’ouvrages sur la prière et les saints, le poète et essayiste québecois publie En sa présence, une autobiographie spirituelle. L’occasion de nous dévoiler les secrets de son intimité avec Dieu.

Jacques Gauthier : « Dieu est près de nous dans nos nuits » Jacques_gauthier
« Vivre la sécheresse dans la prière, c’est être solidaire de nos contemporains et,
d’une certaine façon, partager le poids du monde », d’après cet essayiste. - C.BRAZEAU


Qu’il est exquis d’écouter Jacques Gauthier. Pas seulement parce que son accent québécois nous fait vibrer et nous incite à la bonne humeur, mais parce que ses paroles sont aussi poétiques, spirituelles et dépouillées que sa foi. Avec lui, la prière semble si facile. À l’occasion de sa venue en France pour la promotion de son autobiographie spirituelle En sa présence, publiée aux éditions Artège, le poète et essayiste aux quatre-vingts ouvrages de spiritualité n’a pas résisté à l’envie de venir raconter à Famille Chrétienne, dont il fut autrefois chroniqueur, le long compagnonnage de Dieu dans sa vie.

Votre livre s’intitule En sa présence. Vous qui pratiquez l’oraison depuis très longtemps, que ressentez-vous intérieurement lorsque vous vous mettez en présence de Dieu ?

Très souvent, comme de nombreux priants, je ne ressens rien au niveau émotionnel ! Pourtant, je sais qu’Il est là. C’est ça, la foi, la foi nue. Savoir que je suis en sa présence.
Ce n’est pas de l’ordre du senti, mais de l’ordre du cœur profond. Il m’arrive bien sûr de vivre quelques petites éclaircies. Dans ces moments-là, je ressens une grande paix et un silence profond sans aucune distraction. Ces instants rares sont de vrais cadeaux. Le danger est de croire que nous allons revivre la même chose le lendemain, et de nous décourager quand les distractions et les sécheresses reviennent. C’est pour cela que sainte Thérèse d’Avila disait qu’il ne faut pas chercher dans la prière les grâces de Dieu, mais le Dieu des grâces. Le regarder, Lui, au-delà de tout ce qu’on peut ressentir, de tout ce qu’on peut conceptualiser ou de tout ce qu’on peut vivre. Il est au-delà de tout. Simplement être présent en sa présence, car Il nous a promis qu’Il serait toujours là auprès de nous : « Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde » (Mt 28, 20).

Que répondre alors aux personnes qui veulent faire une rencontre personnelle avec le Christ et qui disent ne pas ressentir sa présence ?

Je leur dis qu’elles sont solidaires de ce que le monde vit. Le monde ne ressent rien non plus. Et nous, notre oraison serait toujours dans l’extase, serait toujours dans la jubilation alors qu’il y a tant de jeunes qui se suicident, tant d’avortements, tant de souffrances, tant d’addictions ? Cela ne va pas ! Vivre la sécheresse dans la prière, c’est être solidaire de nos contemporains et, d’une certaine façon, partager le poids du monde. Dans la sécheresse de la prière, nous sommes profondément missionnaires. Regardez Thérèse de l’Enfant-Jésus : dans toutes ses oraisons, elle vivait la sécheresse et l’aridité. Pourtant, c’est une petite sainte qui a beaucoup rayonné et qui a porté de la joie autour d’elle. C’est une croix de persévérer quand on ne ressent rien. Mais plus on est sur la croix, plus notre joie devient forte et profonde.

Ces personnes aimeraient pourtant vivre des conversions fulgurantes, recevoir un signe de Dieu…

Les conversions ne sont pas toutes identiques, et ne dépendent que de Dieu. La mienne fut un enivrement – une lune de miel, j’aime à dire. D’autres ne ressentent rien ou croient ne rien ressentir. Ces personnes ont besoin d’être accompagnées pour apprendre à discerner la présence de Dieu dans leur vie : « Tu vois la paix que tu as et que tu n’avais pas avant ? », « Tu ne trouves pas que quelque chose a changé chez toi ? » Mais, je me répète, Dieu est au-delà du sensible. Certaines personnes courent toutes les retraites en quête d’une expérience sensible. Elles cherchent pour leur âme des sensations qui s’épuisent aussi rapidement qu’elles sont apparues. Notre âme a besoin de plus : c’est devant Dieu, dans la foi nue, dans le silence et le désert, qu’elle est rassasiée. Nous ne sommes pas tous des ermites, me répondrez-vous, mais nous pouvons tous, dans le métro, au travail ou à la maison, fermer nos yeux pour descendre dans notre cœur et simplement Lui rendre grâce.

Que diriez-vous à une personne qui voudrait persévérer dans le feu de Dieu, mais qui traverserait une nuit de la foi ou alors qui serait plongée en pleine acédie ?

Je lui dirais : essaie de continuer comme si de rien n’était, de ne pas tout envoyer en l’air, de faire confiance. La messe est une corvée ? Tu y vas tout de même et puis tant pis si tu es sec, si tu cries vers le Seigneur. C’est une grâce quand le Seigneur nous manque. Posons-nous cette question : est-ce que le Seigneur nous manque ? S’Il nous manque,  c’est parce qu’Il nous est présent, sinon on ne souffrirait pas de son absence. Il est beaucoup plus près de nous dans nos nuits. Il est beaucoup plus près de nous quand on a l’impression qu’Il est absent. Et si on a déjà foutu le camp ou si on a tout abandonné, on revient. On revient, car nous sommes constamment des recommençants. Dans la foi, on marche sans cesse. On est des novices, on débute. À chaque matin suffit son commencement. À chaque jour suffit sa joie. Dis-toi que le Seigneur sait ce que tu vis. Il va te rejoindre un jour ou l’autre. Et si tu reviens vers Lui, tu vas pleurer, comme les autres, parce que tu t’es éloigné de la source et qu’on ne peut pas donner cette eau vive à notre cœur si l’on ne boit pas à la source. Et cette source, c’est Lui.

N’a-t-on pas parfois une recherche trop sophistiquée, trop intellectuelle de Dieu ?

C’est vrai, il y a un peu trop de nous-même dans cette recherche, alors que Dieu est là, partout. Il se rend d’abord présent, constamment et simplement, dans sa parole. Elle est à portée de main et suffit à nous nourrir. Certains, aussi, courent toujours après la nouveauté, comme après ce nouveau livre qui vient de sortir qui serait forcément meilleur que l’ancien ou qui nous montrerait mieux le chemin vers Dieu. Mais un livre d’il y a cinquante ans ou trois siècles est aussi bon que ceux d’aujourd’hui. Il y a des fulgurances chez saint Jean de la Croix, saint Bernard, saint Augustin ou chez les Pères de l’Église qui sont très actuelles. Pourquoi serait-ce dépassé ? Ces auteurs sont des amis et des lumières pour ma foi. N’ayons pas peur de nous nourrir des classiques !



Une extraordinaire vie ordinaire

Qui est l’homme qui se cache derrière le théologien et poète, auteur de plus de quatre-vingts ouvrages diffusés dans le monde entier ? Dans Un beau jour, le podcast de Famille Chrétienne, Jacques Gauthier raconte son histoire, celle d’un assoiffé d’absolu qui voulut tout donner à Dieu après une re-conversion radicale à 20 ans, mais que le Seigneur attendait au creux d’une vie ordinaire. De son enfance harmonieuse à son adolescence tourmentée, d’une vie hippie à la trappe d’Oka, au Québec, de son mariage heureux à sa vocation d’auteur, nous recevons le témoignage enthousiasmant d’un homme marchant à la suite de sainte Thérèse pour révéler l’extraordinaire de Dieu en chaque chose ordinaire.
L’épisode 37 d’Un beau jour est disponible à partir du samedi 22 octobre sur famillechretienne.fr, rubrique Podcasts, et sur toutes vos plateformes d’écoute.


Le culte de la performance nous poursuit jusque dans notre vie spirituelle. Une prière réussie, est-ce que cela existe ?

La vraie prière commence justement quand tu as l’impression de la perdre ou que tu ne pries pas ! Le plus grand effort dans la prière, c’est de ne pas en faire, c’est de s’abandonner totalement. De perdre le contrôle. Saint Paul nous le dit : « Nous ne savons pas prier comme il faut » (Rm 8, 26). Mais « l’Esprit Saint vient au secours de notre faiblesse » et « intercède pour nous » en criant : « Abba ! Père ! » Le succès d’une prière ne vient jamais de nous, mais de l’Esprit Saint qui nous façonne.

Mais nos distractions n’annihilent-elles pas l’action de l’Esprit Saint ?

Au contraire, quand les distractions sont là, cela veut dire qu’on n’est pas encore mort [rires]. Personnellement, je prie avec mes distractions. J’en ai plein, tout le temps. Elles charment mes nuits d’hiver : il ne faut pas que j’oublie d’acheter cela, de répondre à cette personne-là, d’aller à Famille Chrétienne… [rires]. Toutes ces distractions, je les transforme en prière. C’est sûr qu’à la fin, on a l’impression d’avoir complètement raté son oraison. Mais n’est-ce pas ce que Dieu voulait pour moi aujourd’hui ? Ne lui ai-je pas dit, au début de ma prière : « Non pas ce que je veux, mais ce que Tu veux » ? Ce n’est pas mon problème, à moi, si je suis distrait. Moi, je n’ai rien fait de mal. Ma conscience est pure, tout est correct. C’est Dieu qui décide ce qu’Il veut me donner : un mot de son esprit, une distraction ou une sécheresse. Le fruit de ma prière ne m’appartient pas.

Quel est le plus grand danger pour notre vie spirituelle ?

De s’habituer. De ne plus s’émerveiller. « Avec le temps, va, tout s’en va », chantait Léo Ferré. On va à la messe parce qu’on a toujours fait comme cela, alors qu’à l’intérieur on n’a même plus un cœur de pauvre. « Il y a quelque chose de pire que d’avoir une âme même perverse, c’est d’avoir une âme habituée », disait Charles Péguy. « Avec le temps, on n’aime plus », concluait Léo Ferré. C’est le danger du frère aîné dans la parabole du Fils prodigue. Il y a aussi l’acédie, cette sorte de tristesse et d’abattement de l’âme. Ce danger est de plus en plus grand, car nos vies débordées nous y conduisent souvent. Chacun doit être très vigilant vis-à-vis des signes avant-coureurs et ne pas hésiter à partir se ressourcer grâce à une retraite ou à lire un beau livre de spiritualité qui nous remet sur les rails. Mais cela peut aussi être une grâce de vivre l’acédie, car elle peut nous aider à changer, à nous remettre en question. À nous aider à discerner que nous nous étions tellement habitué à la grâce que nous y étions devenu imperméable.


En fin de compte, par vos mots poétiques, vos mots simples, vous révélez depuis soixante-dix ans la grâce que le Seigneur se cache dans toutes choses.

Oui, le Seigneur se révèle à travers nous. Il a besoin de nous. Il mendie notre amour. Il nous crie : « J’ai soif. Donne-moi à boire. » De quoi a-t-Il soif ? De nous ! De notre oui, de nos mains, de notre cœur. Benoît XVI disait : « Toute la Trinité se révèle dans ce cri de Jésus sur la croix. » On pense que c’est nous qui désirons Dieu, mais c’est Lui qui nous cherche et qui nous attend. Et on Lui fait un plaisir énorme en se laissant aimer et en arrêtant de courir à droite et à gauche. Le Seigneur nous dit tout le temps : « Venez à moi, vous tous, qui êtes fatigués, je vous soulagerai. Je suis doux et humble de cœur. » Est-ce qu’on y croit ou non ?



Jamais sans Dieu

Avouant préférer parler des autres – des saints, surtout ! –, Jacques Gauthier reconnaît avoir freiné des quatre fers pour écrire ce premier récit autobiographique, En sa présence, qui, sans en porter le nom, ressemble à un testament. « Par manque d’humilité, écrit-il, de maturité. » Par peur aussi de voler la vedette à Dieu, lui qui est si attaché à la petite voie de sainte Thérèse. « Dans ce livre, je parle de moi en pensant à Dieu », précise-t-il en guise d’introduction. « Il est un aimant qui m’attire, un amant qui m’attend, un ciel qui m’éclaire… » Une relation fusionnelle qu’il a accepté de rendre publique sans masquer ses épreuves et ses doutes.



Antoine Pasquier
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