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LES NEUVAINES Par le Père Guillaume de Menthière

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Message par Lumen Mar 25 Juil 2023 - 20:33

LES NEUVAINES  Par le Père Guillaume de Menthière


La pieuse tradition des neuvaines existe depuis des siècles. Il s’agit d’une forme de dévotion qui consiste à répéter telle prière ou telle démarche de piété neuf jours durant sans omission. Elle connaît de nos jours un regain étonnant et foisonnant de faveur. Sans cesse nous recevons des propositions de neuvaines de prières à saint Jude, aux saints anges, à la Vierge Marie, à l’Esprit Saint…. pour la France, pour la Vie, pour le Pape…. Les réseaux sociaux permettent leur diffusion large et rapide. Que penser de tout cela ? La dévotion des neuvaines semble plus une tradition dans l’Église que de l’Église. Il s’agit d’une pratique spontanée des fidèles pas toujours encouragée par le Magistère. Quelle est son origine et sa raison d’être ?


La neuvaine de Pentecôte

La Sainte Écriture atteste que, durant les neuf jours qui séparent l’Ascension de la Pentecôte, les apôtres « d’un seul cœur participaient fidèlement à la prière, avec quelques femmes, dont Marie, la Mère de Jésus, et avec ses frères » (Ac 1, 14). Cette première neuvaine apostolique et mariale est le meilleur fondement de la pratique ultérieure. Comme la Vierge Marie a porté neuf mois Jésus en son sein, elle porte durant ces neuf jours l’Église dans sa prière. Elle est Mère de l’Église. Elle préside mystérieusement à la naissance de l’Église, à sa mise au monde le jour de la Pentecôte. Le Saint Esprit offre à la communauté les neufs charismes énumérés par saint Paul : sagesse, science, foi, don de guérisons, puissance pour opérer des miracles, prophétie, discernement,  capacité de parler en langue et le don de les interpréter (cf 1 Co 12, 4-11). Il porte dans les cœurs qu’il habite ses neufs fruits, ou plutôt son unique fruit nonuple : charité, joie, paix, longanimité, serviabilité, bonté, confiance dans les autres, douceur, maîtrise de soi (cf Galates 5, 22). Le chiffre neuf aurait-il quelques vertus cachées, quelques accointances secrètes avec l’Esprit Saint ?


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La neuvaine et le chiffre 9

Le chiffre 7 signifie la plénitude et les septénaires sont particulièrement nombreux (jours de la semaine, sacrements, merveilles du monde, dons de l’Esprit etc…). Le chiffre 8 désigne l’éternité, il est en effet l’au-delà du sept (8=7 +1), c’est-à-dire l’au-delà du temps mesurable. La liturgie joue sur ces chiffres en retenant par exemple des octaves et en construisant des baptistères octogonaux, symbole de la vie éternelle que confère le baptême.

On sait que les anciens étaient particulièrement sensibles à la gématrie, c’est-à-dire à cette forme d’exégèse qui donne à tout nombre une signification symbolique et à tout vocable une valeur chiffrée. En hébreu comme en grec, les lettres sont également des chiffres. Quelle est la signification du chiffre neuf ? Il est apparemment bien moins présent et valorisé religieusement que le sept, le huit ou même le dix. On ne compte qu’une cinquantaine d’emplois du chiffre 9 dans la Bible contre du chiffre 10 ! Par exemple, neuf fils de David lui naquirent à Jérusalem où il régna durant 33 ans (1 Ch 3, 3-8). Ou encore neuf tribus et demi ont un lopin de Terre Sainte en héritage (Josué 14, 2-4 // Nombres 34, 13).

La première idée c’est que neuf c’est dix moins un. Dix étant le chiffre de la Loi (les dix commandements, les dix paroles de Dieu), neuf n’est que préparatoire. Un exemple nous en est fournit dans le Siracide où le sage s’exprime en disant : « Il y a neuf choses qui me viennent à l'esprit et que j'estime heureuses et une dixième que je vais vous dire… » (Siracide 25, 7) Il va de soi que l’accent est mis dans ce passage sur la dixième chose, la crainte du Seigneur, « Car la dixième chose, la crainte du Seigneur l'emporte sur tout : celui qui la possède, à quoi le comparer ? » (Siracide 25, 11). Dans l’Évangile c’est le dixième lépreux, un samaritain, qui vient rendre grâce à Jésus pour sa guérison et s’entend demander par le Seigneur : « Et les neuf autres, où sont-ils ? » (Luc 17 ,17)



Un chiffre calamiteux

Neuf marque donc une incomplétude, un manque. Le chiffre dix est le plus élevé, le numerus maximus, autrement dit le plus parfait, celui qui convient à Dieu ; le chiffre neuf, un dix qui n'a pas réussi, est le chiffre de l'imperfection, celui qui convient à la nature mortelle. Effectivement dans la conscience juive et chrétienne le neuf va être connoté extrêmement négativement comme le chiffre de la misère, du chagrin, de la catastrophe. En Israël tous les échecs et les débâcles se produisent le neuvième jour du mois. Exemplaire est effectivement le 9ème jour du mois de Av (juillet-août), le Tisha Beav. On y commémore toutes les calamités qui se sont abattues sur le peuple élu. C’est le 9 Av que le Temple de Salomon fut détruit en 587 avant Jésus Christ. Et c’est à la même date, le 9 Av de l’année 70 après Jésus Christ, que Titus détruisit le second Temple. C’est 9 Av 1492 que les juifs furent expulsés d’Espagne mais c’est aussi d’après le Talmud le 9 Av que les israélites, doutant de Dieu, furent pris de peur et de découragement et se mirent à pleurer dans le désert suite à l’exploration de la Terre Sainte (cf Nombres 13). Ce jour-là les hébreux pleurèrent pour rien et c’est en châtiment de cette faute que Dieu décida de leur donner désormais chaque année le 9 Av une bonne raison de pleurer.

C’est ainsi que chaque année les neufs premiers jours du mois d’Av (les Tish’at hayamim) les Juifs vivent une période de deuil. On ne prend ni viande ni vin, on ne lave pas ses vêtements, on ne s’offre pas de cadeau, on ne salue pas son prochain. Tout est fait pour alourdir le cœur afin d’être vraiment triste le 9 Av. Ce jour-là la synagogue est dépouillée de ses ornements et plongée dans une semi-obscurité. On se garde bien d’étudier la Torah, car « les préceptes du Seigneur réjouissent le cœur ». On lit le livre des Lamentations. On dort à la dure sur des couches de pierre inconfortable avec une pierre sous la tête.



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Ce caractère calamiteux du neuf est encore souligné par les Pères de l’Eglise. L'événement le plus épouvantable de l’histoire, la mort du Fils de Dieu, n’est-elle pas survenue à la neuvième heure  (cf Marc 15,34//) ? Saint Jérôme explique que le chiffre neuf exprime la peine et la douleur qui doivent attendre du chiffre dix le rétablissement de l’harmonie heureuse. Le Pseudo-Ambroise commente la guerre entre les quatre et les cinq rois (cf Genèse 14,8-9) en disant que quatre et cinq font neuf ce qui est le chiffre de la guerre. Heureusement le dix surviendra avec Abraham, homme de paix.

C’est encore Abraham qui intercèdera pour Sodome en disant « s’il ne s’y trouve que dix justes » ? On connaît la réponse du Seigneur : « Pour dix, je ne détruirai pas » (Genèse 18,32). C’est une des raisons qui est avancée pour justifier la pratique du miniane, c’est-à-dire de ce quorum de dix hommes adultes nécessaires à la récitation des prières les plus importantes. Le Talmud fait aussi remonter la réquisition de ces dix hommes pour la validité de la prière à l’épisode des douze explorateurs qui espionnèrent la terre de Canaan. Seul Josué et Caleb se montrèrent dignes. Les dix autres explorateurs firent vaciller ce jour-là le cœur du peuple dans l’impiété (cf Nombres 13-14). A rebours dix hommes en prières peuvent faire revenir le cœur du peuple vers Dieu.

On le voit de bien des manières, le chiffre 9 est celui de l’insatisfaction, de l’indigence. Il est le seuil de pauvreté. Ainsi se prête-t-il bien sans doute à une prière de supplication et on pourrait voir là un des arguments de convenance pour justifier les neuvaines. Après les neuf jours du manque, vient le dixième jour de la récompense. Mais il faut bien le reconnaître, tout cela n’est pas très convaincant et c’est sans doute dans le monde païen qu’il faut étendre notre recherche.



Les Ennéades

Plotin (✞270), philosophe néoplatonicien, est l’auteur des Ennéades, ce qui est un mot grec pouvant se traduire, les neuvaines. (neuf = εννεα en grec). Son œuvre rencontra un très grand succès chez les Pères de l'Église notamment saint Grégoire de Nysse et surtout saint Augustin. Chez ce dernier la lecture de Plotin alluma « un incroyable incendie, incredibile incendium », il brûlait, confesse-t-il lui-même. L’étude de cet auteur païen fût paradoxalement  un des éléments décisifs de sa conversion définitive au christianisme. Dans ces œuvres majeures on retrouvera beaucoup de thèmes à saveur plotinienne.

Dans la pensée de Plotin le nom propre de Dieu est l’UN. De cet UN, ineffable, indéterminé, absolument transcendant, on ne peut rien dire. Comme le Bien de Platon, l’UN plotinien laisse émaner des puissances subalternes. Plotin,  appelle la première de ses puissances émanées  le Noûs ou encore le Logos, l’Intelligence, le Verbum. De manière significative il désigne comme Fils de Dieu et Lumière de Lumière (Lumen de Lumine) cette première puissance émanée. Viennent ensuite une cascade de 9 puissances inférieures. On voit comme était grande la tentation concordiste : appliquer le schéma plotinien à la Révélation chrétienne :

   - * L’Un = Dieu

   - * Le  Noûs = Le Fils de Dieu, le Verbe

   - * Les 9 puissances = les anges

Arius, entre autres, fut très influencée par ce schéma. Le prêtre d’Alexandrie prisonnier de cette philosophie prétendit que le Verbe était émané de Dieu et non Dieu lui-même. On trouve bien évidemment des traces de polémique anti-arienne dans le Symbole de Nicée-Constantinople qui développe considérablement l’article sur la nature de Jésus-Christ en disant : « Né du Père avant tous les siècles : il est Dieu né de Dieu, Lumière né de la Lumière, vrai Dieu né du vrai Dieu, de même nature que le Père, et par Lui tout a été fait. »



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Les neuf chœurs angéliques

Du côté catholique on ne garda du schéma plotinien que l’ordonnancement des anges en neuf chœurs distincts. Cela fut fait surtout sous l’influence du Pseudo-Denys, un moine du VIème siècle, très marqué par Plotin, et qu’on a longtemps tenu pour être ce Denys que saint Paul lui-même avait converti sur l’Aréopage d’Athènes (Actes 17,34). Cette confusion donna aux ouvrages du Pseudo-Denys une autorité quasi apostolique ! On l’appelait Denys l’Aréopagite. Or son livre Les Hiérarchies Célestes, systématisait la répartition des anges en neuf chœurs. On y lisait ceci :

« La théologie a désigné par neuf appellations diverses toutes les natures angéliques, et notre divin initiateur les distribue en trois hiérarchies, dont chacune comprend trois ordres. Selon lui, la première environne toujours la divinité et s'attache indissolublement à elle d'une façon plus directe que les deux autres, l'Écriture témoignant d'une manière positive que les trônes et ces ordres auxquels on donne des yeux et des ailes, et que l'hébreu nomme chérubins et séraphins, sont immédiatement placés auprès de Dieu et moins séparés de lui que le reste des esprits. Ainsi, d'après la doctrine de nos illustres maîtres, de ces trois rangs résulte une seule et même hiérarchie, la première, qui est la plus divine et qui puise directement à leur source les splendeurs éternelles. Dans la deuxième, on trouve les puissances, les dominations et les vertus. Enfin, la troisième et dernière se compose des anges, des archanges et des principautés. »

Le Pseudo-Denys ne s’appuyait pas seulement sur les Ennéades de Plotin mais aussi sur plusieurs textes de saint Paul qui, habilement combinés, pouvait donner lieu à cette énumération des chœurs angéliques. L'épître aux Colossiens parle des Trônes, Seigneuries, Principautés, Puissances, et l’épître aux Ephésiens mentionne les Principautés, Puissances, Vertus, Seigneuries. Saint Ambroise (✞397) fait déjà mention des neuf chœurs angéliques que l’on peut ranger comme suit :

Premier chœur(ou hiérarchie)   :

   - * Séraphin

   - * Chérubin

   - * Trône

Deuxième chœur :                    

   - * Domination (ou Seigneurie)

   - * Vertu

   - * Puissance

Troisième chœur :                  

   - * Principautés                            

   - * Archange                            

   - * Ange



Le chiffre neuf devient donc classiquement chez les Pères, le chiffre des créatures angéliques. Si la drachme perdue dans la parabole de l’évangile (Luc 15,8-10) représente l’humanité, les neuf drachmes conservées sont les neuf chœurs des anges fidèles. « Ainsi, cette femme avait dix drachmes, parce qu’il y a neuf chœurs des anges, explique saint Grégoire le Grand, mais qu’afin de compléter le nombre des élus, l’homme fut créé en guise de dixième… ». De même, si la brebis égarée est la frêle humanité, les 99 brebis restantes sont le troupeau des anges bons (cf Luc 15,1-7). Car pour sauver l’homme pécheur, Dieu n’a pas envoyé seulement quelque serviteur zélé, mais son propre Fils, le Bon Pasteur des hommes et des anges. « C'est d’ailleurs un riche Pasteur, explique saint Ambroise à ses fidèles, puisqu'à nous tous nous formons le centième de son partage. Il possède les troupeaux innombrables des anges, ceux des archanges, des dominations, des puissances, des trônes (Col., I, 16), d'autres encore, qu'il a laissés sur les hauteurs ».  Saint Grégoire le Grand (✞604) est encore plus précis en expliquant : « Puisque cent est le nombre de la perfection, Dieu eut cent brebis quand il créa la nature des anges et des hommes. Mais une brebis vint à se perdre lorsque l’homme, en péchant, quitta le pâturage de la vie. Le Créateur laissa alors les quatre-vingt-dix-neuf brebis dans le désert, car il abandonna les très hauts chœurs des anges dans le Ciel. »

Pratiquer une neuvaine est-ce espérer secrètement que notre prière soit portée par les anges et montent comme par étape à travers les neuf chœurs angéliques jusqu’au Trône de Dieu ? Après tout, Dante ne décrit-il pas dans sa Divine Comédie les neufs cieux qu’il lui faut parcourir avant de parvenir à l’Empyrée du monde divin ? Le chiffre neuf n’est-il pas trois que multiplie trois, une sorte de Trinité au carré qui nous plonge en Dieu ?



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Les Novendialia

Notre recherche pour un éventuel fondement de la pratique des neuvaines dans le monde juif et chrétien s’avère somme toute assez infructueuse. On ne voit rien qui puisse motiver clairement la mise en place de neuf jours ininterrompus de prières et susciter la croyance en une particulière efficacité liée à cette durée précise. C’est vers le monde païen qu’il faut plutôt semble-t-il diriger notre recherche.

Il existait en effet chez les Grecs et les Romains la coutume très ancienne d'observer un deuil de neuf jours après la mort ou l'ensevelissement. Une cérémonie spéciale marquait le neuvième jour. On en trouve un témoignage chez des auteurs comme Homère, Virgile, Tacite. Les Romains célébraient aussi leur parentalia novendialia, une neuvaine annuelle (du 13 au 22 février) pour commémorer tous les membres défunts de leurs familles. La célébration se terminait le neuvième jour par un sacrifice et un banquet joyeux. Virgile parle de cette neuvième Aurore qui donne aux mortels un jour béni.

Arrivant à Milan pour rejoindre son fils Augustin en l’an 385, sainte Monique dût renoncer à la pieuse coutume répandue en Afrique d'apporter aux tombeaux des saints du pain, du vin, des viandes apprêtées, offrandes destinées aux pauvres. Cette coutume avait été supprimée à Milan à cause de sa ressemblance avec les pratiques superstitieuses des païens. Les mensae, les tables d’agapes sur les tombeaux des saints, le refrigerium (à la fois rafraîchissement et restauration), nom que l’on donnait à ces agapes de communion avec les morts étaient encore des pratiques bien courantes en cette fin de IVème siècle. Il avait fallu toute l’autorité de saint Ambroise pour tenter de les canaliser. Pourtant  le glorieux évêque de Milan ne parvint jamais à supprimer totalement ces agapes qui continuaient les Parentalia de jadis et qui étaient prétextes à des scènes d’ivrognerie sur les tombeaux des saints. On ne pouvait éradiquer ces vieux réflexes si puissamment ancrés dans la société.

Saint Augustin, baptisé par saint Ambroise, combattra comme son maître la coutume de cette neuvaine de deuil, trop évidemment héritière du paganisme et donnant lieu à toutes sortes de débordement. Il s’appuie sur le passage de l’Écriture où il est dit que le patriarche Joseph célébra pour son père Jacob un deuil de sept jours (Cf Genèse 50,10). Il écrit à ce sujet :


« Je ne sache pas qu'on trouve dans l'Écriture, à l'occasion de la mort d'un saint personnage, un deuil célébré pendant neuf jours, ce que les latins appellent les Novandiales. Si donc il est des chrétiens qui observent, à la mort des leurs, ce nombre en usage surtout parmi les païens, il faut, à mon avis, leur défendre cette coutume. Quant au nombre sept, il fait autorité dans l’Écriture ; c'est pourquoi il est écrit ailleurs: « On pleure un mort pendant sept jours; mais un  insensé doit être pleuré toute sa vie»(Siracide 22,13) Le nombre septénaire marque principalement le repos à cause de la figure du Sabbat; c'est donc avec raison qu'on l'observe pour les morts, parce qu'ils sont comme entrés dans leur repos. »



(A SUIVRE)
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Message par Lumen Mar 25 Juil 2023 - 20:58

(SUITE)

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La christianisation d’une coutume païenne

Pourtant le conseil d’Augustin ne prévalût pas. La période de neuf jours avait pour elle une trop longue tradition. D’ailleurs en Orient on avait moins de scrupules. D’autant qu’un  texte aussi vénérable que les Constitutions Apostoliques prescrivait :

   
« Célébrez le troisième jour après la mort par des psaumes, des textes et des prières, à cause de Celui qui est ressuscité le troisième jour et célébrez le neuvième jour en mémoire des vivants et des morts ; et aussi le quarantième jour selon l’antique tradition, car ainsi fit le peuple se lamentant sur Moïse au jour anniversaire en mémoire de lui. Et faites des aumônes avec les biens du défunt en mémoire de lui. »

L’empereur chrétien Justinien au VIème siècle promulguera encore une loi interdisant aux créanciers de déranger les héritiers de leur débiteur pendant neuf jours après sa mort. Cela montre à quel point ce délai de neuf jours était associé aux rites du deuil.

Même si elle était incontestablement d’origine païenne rien n’empêchait de christianiser cette neuvaine de deuil. Aussi se mit-on à remplacer les banquets humains par le banquet divin, en célébrant chaque jour la messe sur le tombeau du défunt. Un deuil de neuf jours avec Eucharistie quotidienne était évidemment un luxe que seuls pouvaient se permettre les grands personnages. Ceux-ci prévoyaient par décisions testamentaires qu’une telle neuvaine soit observée à leur mort. Tel fut le cas des cardinaux et des papes. La règle s’est maintenue jusqu’à nos jours. La Constitution Universi Dominici Gregis promulguée par Jean-Paul II le 22 février 1996 fixe les règles à observer lors de la vacance du Siège Apostolique. Il est explicitement prévu que les obsèques du pontife défunt devront être célébrées durant neuf jours consécutifs, les cardinaux célébrant quotidiennement pendant cette période les services funèbres.



Neuvaines de préparation

Si depuis des temps si reculés une neuvaine était conventionnellement associée à la mort c’est peut-être aussi parce qu’une autre neuvaine est naturellement associée à la vie. Les neuf mois de gestation dans le sein maternel sont en quelque sorte cette neuvaine primordiale qui associe spontanément le chiffre neuf à une préparation. De fait dès le septième siècle en Espagne on trouve la fête de l’Annonciation célébrée le 17 décembre afin que l’on puisse célébrer une neuvaine entre l’Incarnation et la Nativité. Durant ces neuf jours avant Noël on pouvait vivre en raccourci les neuf mois que Jésus avait passés dans le sein de la Vierge Marie. On célébrait durant cette période neuf messes votives à Notre-Dame. La vénérable abbesse espagnole Marie d’Agréda (✞1665) prétend que la Vierge Marie, après la Pentecôte, célébrait chaque année une neuvaine préparatoire du 16 mars au soir jusqu’au 25 mars jour où elle avait conçu le Fils de Dieu.


Abus des neuvaines ?

Assez rapidement se généralisât la coutume de préparer toutes sortes de fêtes par une neuvaine de messes et de prières. Une des plus célèbres est la neuvaine à saint Marcoult, ce saint qui accordait aux rois de France le pouvoir de guérir les écrouelles en touchant les malades. Après avoir été sacré à Reims, le roi devait venir à Corbeny sur le tombeau du saint et y effectuer une neuvaine.

Les neuvaines prospérèrent tant que déjà au XIVème siècle Gerson mettait en garde contre l’abus superstitieux de cette pratique. Celle-ci fut aussi vertement critiquée par les jansénistes et le synode de Pistoie statuera encore en 1786 qu’on ne fasse aucune neuvaine sans la permission de l’évêque. Pourtant à la même époque Saint Alphonse de Liguori, grand docteur marial, est aussi un champion des neuvaines. Il compose :

   - * une neuvaine de Noël (1758) ;

   - * une neuvaine au Sacré-Coeur de Jésus(1758) ;

   - * une neuvaine au Saint-Esprit (1767) ;

   - * une neuvaine à sainte Thérèse (1745) ;

   - * une neuvaine à saint Michel (1758) ;

   - * une neuvaine à saint Joseph (1758) ;

   - * une neuvaine pour les défunts (1775).

Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus (✞1897) est un bon témoin de la place prise par les neuvaines dans la vie spirituelle. Avant une retraite, elle fait une neuvaine pour que le prédicateur ne soit pas trop ennuyeux ! Elle fait une neuvaine à Théophane Vénard au mois de novembre 1896 pour savoir si son projet de partir au Tonkin est conforme à la volonté de Dieu; en mars 1897 une neuvaine à saint François-Xavier pour obtenir de faire du bien après sa mort….



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L’intervention du Magistère

A la même époque le pape Léon XIII le dans l’encyclique Divinum illud munus sur l’Esprit Saint (9 mai 1897) instaure une neuvaine de prière pour l’unité qui devra être célébrée avant la fête de la Pentecôte. Cette neuvaine est une des rares qui aient été très officiellement promue par le Magistère. Car pour l’essentiel la pratique des neuvaines est une expression spontanée de la piété des fidèles que le Magistère se contente de regarder avec bienveillance, tout en rappelant qu’elle ne doit pas empiéter sur le culte liturgique mais au contraire être vécue en harmonie avec lui.  On lit par exemple dans le   Directoire sur la piété populaire :

« Il est fréquent de préparer et de faire précéder une fête, dont la célébration est un moment culminant, par un triduum, un septénaire ou une neuvaine. Ces "temps et ces modes d’expression propres à la piété populaire" doivent être accomplis en harmonie avec les "temps et les modes d’expression propres à la Liturgie." »


A la suite du Concile Vatican II il importe en effet de bien distinguer les « pieux exercices » du culte liturgique qui, par sa nature même, leur est bien supérieur. Aussi les exercices en question doivent-ils s’harmoniser avec les temps liturgiques.


 LES NEUVAINES  Par le Père Guillaume de Menthière Jour9-getty_copie



L’intervention du Magistère

Mais harmoniser ne signifie ni supprimer ni confondre. C’est pourquoi « méritent d’être encouragées aussi les neuvaines, spécialement celles qui précèdent les solennités liturgiques (par exemple, Pentecôte, Noël etc.) » Parmi les neuvaines les plus répandues dans le peuple chrétien on peut souligner aussi celle qui prépare à la fête de l’Immaculée Conception, le 8 décembre. Le calendrier de l’Église est une grande école de spiritualité, pour celui qui sait le lire et l'observer.

Les neuvaines sont un exemple éminent de cette piété populaire dont le pape François  nous rappelle qu’elle est une expression authentique de l’action missionnaire spontanée du peuple de Dieu. « Dans la piété populaire, puisqu’elle est fruit de l’Évangile inculturé, écrit le Pape, se trouve une force activement évangélisatrice que nous ne pouvons pas sous-estimer. »

Les catholiques pressentent par expérience que la neuvaine n'est nullement, quoiqu’il en soit de son origine, une coutume païenne et superstitieuse, mais un moyen très fiable d'obtenir des grâces célestes. La neuvaine de prière porte en elle, pour ainsi dire, comme une promesse d'être entendu. Elle est aussi une école qui enseigne deux qualités essentielles de la prière soulignées dans les Évangiles : la confiance et la persévérance.




https://neuvaines.mariedenazareth.com/neuvaines
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