Narcopolitique au Mexique : les cartels choisissent leurs candidats

La drogue détruit les vies, les familles et même les nations - ceux qui en consomme sont-ils conscient qu`ils aident les cartels et leur violence? Combien de trafiquants et de producteurs de drogues vont finir leur jours en enfer et combien y sont déjà et pour toujours?




Narcopolitique au Mexique : les cartels choisissent leurs candidats

Radio-Canada - 3 Juin 2024

Les groupes criminels liés aux cartels de la drogue deviennent de plus en plus puissants au Mexique. Ils ne se contentent pas du trafic de drogue. Leurs intérêts s’étendent au trafic de migrants, à l’extorsion et, de plus en plus, ils veulent s’infiltrer dans la politique et les administrations publiques. Il est clair que des groupes criminels choisissent leurs candidats aux élections des différents ordres de gouvernement.

Morena, un narcoparti?

Dans le deuxième des trois débats télévisés entre les trois candidats à la présidence mexicaine, Jorge Álvarez Máynez, Claudia Sheinbaum et Xochitl Galvez, cette dernière n’a pas mâché ses mots : Je le répète encore une fois : les criminels ont déjà un parti et Morena [parti au pouvoir, NDLR] est devenu un narcoparti. Et elle [Claudia Sheinbaum] est la candidate de ce narcoparti. Luis Astorga, sociologue, expert du narcotrafic et professeur à l’Université autonome de Mexico (UNAM) n’est pas aussi catégorique, mais selon lui, il y a beaucoup d'éléments qui nous laissent penser qu'il y a eu et qu'il y a encore un certain type d'accord avec les organisations criminelles, justement pour faire gagner le parti du président et ses alliés, mais ils pensent naïvement qu'ils peuvent contrôler le "Frankenstein".

Le Frankenstein, ce sont les groupes criminels affiliés aux cartels et en particulier le cartel de Sinaloa, le plus puissant en ce moment au Mexique qui est devenu en particulier le principal producteur de fentanyl à destination de l’Amérique du Nord. Nous sommes allés à Culiacan, Sinaloca, berceau de tous les grands narcotrafiquants du Mexique depuis le début du XXe siècle. Notre collègue Ismael Bojorquez, qui a fondé et dirige l’hebdomadaire Ríodoce, a révélé qu’en 2021 l’organisateur en chef du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI), Chuy (Jésus) Valdez avait été kidnappé par un groupe criminel avec une centaine de ses collaborateurs la veille des élections de mi-mandat. En l’absence du PRI, Morena, le parti du président Andrés Manuel Lopez Obrador a tout raflé, dont le poste de gouverneur gagné par Ruben Rocha. De nombreux médias ont dénoncé des exemples de collusion entre Morena et le cartel de Sinaloa dirigé par les quatre fils de Joaquin (El Chapo) Guzman, emprisonné aux États-Unis. L’un de ces fils, Ovidio, a été capturé en 2019 au cours d’une rafle sanglante de l’armée mexicaine pour être relâché sur ordre du président Lopez Obrador (AMLO) lui-même. Il a été recapturé, puis extradé, en janvier 2023, juste avant la visite au Mexique du président américain Joe Biden.

Tu t'en vas [volontairement] ou tu t'en vas?

C’est la menace classique, sur le candidat ou sa famille qui ne coopère pas. Les narcos choisissent leurs candidats, nous dit Ismael Bojorquez. D’abord par intimidation : plusieurs se désistent sans explication ou prétextent des questions familiales. S’ils refusent de travailler pour les narcotrafiquants, ils risquent leur vie. Le 29 mai, quelques jours avant l’élection, Alfredo Cabrera, candidat à la mairie de Coyuca de Benitez, dans le Guerrero –un des États les plus turbulents du Mexique – a été tué d’une balle à bout portant dans la tête. Le journal Milenio établit à 34 le nombre de candidats assassinés et à 250 celui des volontaires de partis. Car tous les partis sont touchés, même Morena. Le Frankenstein, comme l'appelle Luis Astorga, ne choisit pas son parti, mais son homme ou sa femme.

Ce sont les élections les plus meurtrières, nous dit Ismael Bojorquez. C’est un bain de sang. Être candidat au Mexique c’est dangereux. L’administration publique c’est un trésor. Les narcos veulent placer leurs gens dans la police, dans les services publics. Pratique, les camions à ordures pour transporter la drogue. Si le maire ne collabore pas, on s’en débarrasse, explique-t-il. Son hebdomadaire Ríodoce a reçu de nombreux prix internationaux pour son travail au cœur du fameux cartel de Sinaloa. Il en a payé le prix quand, en 2017, son co-fondateur a été assassiné en pleine rue, non loin du bureau. Javier Valdez a écrit une phrase de trop qui a déplu à un petit chef narco qui l’a fait assassiner.