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Consignes de vote aux fidèles : « Il n’y a que des coups à prendre pour un évêque »

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Consignes de vote aux fidèles : « Il n’y a que des coups à prendre pour un évêque » Empty Consignes de vote aux fidèles : « Il n’y a que des coups à prendre pour un évêque »

Message par Lumen Lun 17 Juin 2024 - 16:56

Consignes de vote aux fidèles : « Il n’y a que des coups à prendre pour un évêque »

Paul Airiau, docteur et agrégé en histoire, revient sur l’influence des évêques dans le choix électoral des fidèles. Selon lui, les prélats se sont désengagés de ce sujet, laissant leurs ouailles hiérarchiser eux-mêmes les principes qui les amènent à choisir un bord ou l’autre.

Consignes de vote aux fidèles : « Il n’y a que des coups à prendre pour un évêque » Eveque_sipa
L'influence des évêques sur le vote des fidèles s'est considérablement amoindrie depuis Vatican II. Désormais, ce sont les fidèles qui hiérarchisent les principes qui leur feront choisir un bord ou l'autre. - Laurent Ferriere/SIPA


A l’approche des élections législatives, les évêques d’Arras, de Lille et de Cambrai ont publié un message à l’intention des fidèles, les appelant à « s’engager dans la société », « dans la tradition humaniste, l’humilité de l’écoute et la solidarité universelle ». Ces messages sont-ils encore écoutés par les électeurs catholiques ?

Indéniablement, le vocabulaire utilisé manque de clarté parce que nous sommes dans une époque où la polarisation s’est accentuée et où les élections à venir ne sont pas à faibles enjeux. La voix de la mesure et de la pondération, empruntée depuis longtemps par les évêques, aura toujours du mal à se faire entendre. Il y a une gêne parmi les prélats, parce qu’ils sont plus centristes qu’une partie de leurs ouailles, qui ont connu un phénomène assez récent de droitisation. Depuis une dizaine d’années, le vote des catholiques pratiquants au moins une fois par mois évolue fortement, chose que n’ont pas anticipée les évêques.

Comment a évolué la mobilisation des évêques à l’approche des rendez-vous électoraux, dans l’histoire ?

Les évêques ont toujours appelé les fidèles à voter, et pour les bons candidats. Depuis que la France est devenue une démocratie réelle sous la IIIe République, la participation politique est considérée comme un devoir moral. Ce qui a changé, c’est la compréhension du bon candidat. Pendant très longtemps, au moins jusqu’en 1945, le bon candidat est celui qui va défendre les positions sociales, politiques, économiques et les intérêts de l’Église. Il est attaché à l’école privée, il conteste la législation laïque, il s’oppose à la séparation des Églises et de l’État, il défend l’ordre et la propriété, il rejette le socialisme. Jusqu’en 1945, les évêques laissaient clairement entendre pour qui il faut voter.

Par la suite, cette prise de position se perpétue mais avec réorientation, en en appelant davantage à la conscience, à la prise en compte de la doctrine sociale (le respect du droit de propriété, la défense des travailleurs, le salaire juste, la prise en compte de l’environnement…) et à la défense de l’unité nationale. On observe une spiritualisation croissante du message. Les évêques présentent un certain nombre de points d’attention et de repères sur lesquels il faut être attentif, sans pour autant donner d’orientation précise de vote. En 1972, les évêques décident qu’il était possible que le conflit politique pût exister entre les catholiques sans que cela ne porte atteinte à l’unité catholique. Désormais, l’enjeu est donc de demeurer catholique tout en faisant droit à la divergence politique. Mais les prélats maintiennent que certaines positions ne peuvent être tenues, parce qu’elles sont moralement répréhensibles, dont tout ce qui conduirait au conflit à connotation raciale. Avec Jean-Paul II et Benoît XVI, on assiste à l’arrivée des « points non négociables » dans le champ de la réflexion, dont la question du respect de la vie de sa conception naturelle à sa mort naturelle, de la conjugalité, mais aussi des droits des migrants et « l’option préférentielle pour pauvres ». Une sorte d’équilibre se met en place entre ces principes.

Les évêques ont donc refusé de hiérarchiser ces principes qui orientaient le vote des fidèles ?

C’est le véritable basculement de l’influence des évêques sur le vote des fidèles. Il n’y a jamais eu de position magistérielle des évêques sur quelle dimension devait l’emporter. Ces principes se retrouvent tous au même niveau. A partir de ce moment, il appartient aux fidèles de les hiérarchiser. En fait, les évêques ont considéré que la politique ne les concernait plus directement. Il y a une forme d’abandon du politique à lui-même par l’Église depuis Vatican II. Les prélats se retrouvent du même coup moins écoutés. Il y a et il y aura donc toujours des contestations sur ce qu’ils disent ou ne disent pas assez. Cela a été le cas en 2002, avec l’arrivée de Jean-Marie Le Pen au second tour des présidentielles et pour les élections européennes, très récemment. Ce sera le cas également pour les législatives à venir. D’où la tendance des évêques à de moins en moins intervenir, parce qu’ils savent qu’ils vont se faire tirer dessus de tous les côtés.

Ils se sont donc coincés eux-mêmes ?

En partie oui. L’Église a promu l’autonomie des choses temporelles avec Vatican II, et se borne à rappeler quelques grands référents moraux à l’approche des scrutins. Elle manque aussi d’experts en matière politique et ignorent les travaux des sciences sociales. Notamment, il y a sans doute une forme de retard de prise en compte des évolutions de ce qui reste des catholiques pratiquants en matière de rapport à la nation, point plus ou moins délaissé. Qu’est-ce qu’une nation contemporaine ? Quel rapport les fidèles entretiennent-ils avec la nation ? Quelle est sa définition, ses limites ? Voilà des questions que les évêques n’abordent pas, depuis qu’ils parlent de l’ « Église qui est en France » et non plus de « l’Église de France ».

Comment expliquer ce vote croissant des catholiques pratiquants pour l’extrême-droite, sur lequel les évêques mettent en garde ?

Il y a plusieurs facteurs. L’électorat est davantage vieillissant, il se pose des questions sur le destin de ses propres enfants. Ces électeurs sont aussi plus sensibles à la question nationale exacerbée par la présence plus visible de l’Islam et des attentats de 2015. Par ailleurs, cet électorat a été en grande partie formé doctrinalement sous Jean-Paul II et Benoît XVI ; ils ont contribué à faire de la question éthique, liée à la sexualité et au genre, un point qui l’emporte sur l’accueil de la question des migrants, de la solidarité ou de la justice sociale. Enfin, l’expérience des échecs autour de la Manif pour tous, de la candidature Fillon en 2017, et de la constitutionnalisation de l’IVG et le possible recours à l’euthanasie, poussent à un vote contestataire, vers les extrêmes.

Pensez-vous que le poids des évêques sur le vote des fidèles est appelé à s’invisibiliser davantage ?

Jusque dans les années 2000, les évêques refusaient assez explicitement tout nationalisme se réclamant du christianisme et défendaient la démocratie. Ainsi, en 1998, Mgr Rouet a différé le baptême d’un militant du FN, pourtant converti par le biais de son adhésion au parti. Cette décision très tranchée avait fait scandale, parce qu’il y avait l’idée d’une incompatibilité entre les positions politiques de cet homme et le fait d’être catholique. Désormais, il n’y a que des coups à prendre pour un évêque. Quelle que soit la position qu’ils prennent, ils seront critiqués par une partie des catholiques pratiquants ou par le reste de la société. L’autorité épiscopale en matière politique a disparu. Elle n’est reconnue que par ceux qui pensent qu’elle va soutenir leur propre position. Ce n’est donc plus une autorité.




Louis de La Houplière
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