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Mgr Bruno Valentin : « Les élections sont finies, mais tout commence ! »

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Mgr Bruno Valentin : « Les élections sont finies, mais tout commence ! » Empty Mgr Bruno Valentin : « Les élections sont finies, mais tout commence ! »

Message par Lumen Ven 12 Juil 2024 - 19:29

Mgr Bruno Valentin : « Les élections sont finies, mais tout commence ! »

Au lendemain du second tour des Législatives, dans une France fracturée, l’évêque de Carcassonne et Narbonne dessine quel peut être le rôle des chrétiens dans la période qui s’ouvre.

Mgr Bruno Valentin : « Les élections sont finies, mais tout commence ! » Mgr
Photos : Idriss Bigou-Gilles - Hans Lucas pour FC


On n’a pas beaucoup entendu l’Église pendant la campagne des Législatives. Pourquoi ?

Certains ont pu reprocher aux évêques de ne pas dire ce qu’ils voulaient entendre, mais notre vocation fondamentale n’est pas de donner des consignes de vote. Elle est d’abord de rappeler aux catholiques leur responsabilité, comme citoyens, de s’impliquer dans la société. C’est ensuite de fournir les éléments de nature à éclairer le discernement, et il y a eu plusieurs prises de parole et documents en ce sens ces dernières années. Le troisième axe, enfin, c’est l’invitation à prier, et les évêques l’ont fait également. Certains y ont vu une manière de se défiler, c’est loin d’être le cas. Si je peux comprendre que, pour le monde profane, la prière n’a pas beaucoup de sens, je le comprends moins de la part des catholiques ! Prier, ce n’est pas se défausser en se retirant sur une sorte d’Aventin spirituel. C’est, au contraire, le préalable pour pouvoir mettre les mains dans le cambouis et tenir pleinement son rôle.


Mgr Bruno Valentin : Ordonné en 2000 pour le diocèse de Versailles, il a eu plusieurs responsabilités pastorales et paroissiales, avant de devenir évêque auxiliaire début 2019. Il est évêque de Carcassonne et Narbonne depuis mars 2023. Il a publié Rebâtir ou laisser tomber ? (Éd. Emmanuel, 2020).


Dès le début de la campagne des élections législatives, vous avez fait le choix d’écrire aux catholiques de l’Aude pour les inviter, en premier lieu, à résister à la peur. Est-ce un sentiment que vous avez perçu sur le terrain ?

Cela est vrai dans l’Aude, comme partout ailleurs en France. Je suis préoccupé par l’accumulation des peurs dans notre société : peur du lendemain, peur du frigo vide, peur de l’avenir de mes enfants, peur de sortir le soir, peur de l’immigration, peur de l’insécurité, peur du terrorisme, peur de l’état de la planète… Et je suis très préoccupé par l’utilisation de ces peurs comme argument électoral central dans la campagne passée. La vérité oblige à reconnaître que, plutôt que présenter positivement leur programme, la plupart des coalitions en présence ont agité la peur du programme de l’autre, voire la peur de l’autre tout court. C’était une campagne très sartrienne : l’enfer, c’est l’autre ! Mais, objectivement, comment ne pas avoir peur quand le président de la République lui-même brandit la menace d’une guerre civile ? Ce climat me préoccupe, et les chrétiens n’en sont pas indemnes. Ils ont développé un certain nombre de peurs spécifiques, si ce n’est exclusives, autour d’une forme d’insécurité culturelle devant la disparition d’une anthropologie, d’une culture, de racines qui leur sont propres.


Cela n’est-il pas légitime ?

Bien sûr ! Toutes ces peurs sont légitimes. La question est de savoir ce que l’on en fait. La peur, dit la sagesse populaire, est mauvaise conseillère. « La peur est une réaction, le courage est une décision », affirmait Churchill. On ne peut pas se laisser orienter dans ses choix politiques par la peur.


Qu’est-ce que ces peurs disent de l’état de la société actuelle ?

Elles sont le signe d’une crise beaucoup plus profonde que le simple niveau politique. C’est une crise de ce que nous appelons, dans l’Église catholique, l’amitié sociale, c’est-à-dire tout simplement ce qui nous tient ensemble au sein d’un même pays. Dans l’encyclique Pacem in terris, Jean XXIII faisait déjà le constat que « la vie en société est une réalité avant tout spirituelle ». Ainsi, elle ne se résume pas à des enjeux de droits, de devoirs et de ressources matérielles à partager de manière plus ou moins équitable. Elle est d’abord une question de partage de vie et de valeurs. Aujourd’hui, nous ne sommes plus capables de dire ce qui nous tient ensemble. Là est la racine de la crise.


Dans le département de l’Aude, comme ailleurs en France, le vote des catholiques n’a pas semblé univoque, avec une forte poussée du Rassemblement national (RN)…

Je peux faire un double constat en ce qui concerne mon diocèse. Il existe une véritable pluralité des opinions politiques. Je l’ai vu dans ma propre circonscription, qui a eu un écho national en raison des personnalités présentes… Ainsi, des chrétiens très engagés, pour lesquels j’ai la plus haute estime, ont fait campagne pour Philippe Poutou, et d’autres se sont engagés dans le camp du RN. Les connaissant bien, rien ne me permet de conclure qu’il y aurait des bons et des mauvais chrétiens selon leurs choix politiques. La véritable question, par ailleurs, n’est pas de savoir pourquoi les gens ont voté pour l’un ou pour l’autre, mais comment nous en sommes arrivés là. La vraie question ne concerne pas les choix politiques, mais la manière dont les responsables ont agi jusqu’à présent pour que l’on aboutisse à cette situation.


Maintenant que le second tour est derrière nous, comment éviter les anathèmes réciproques ?

Cela passe par la reconstruction d’une véritable amitié sociale. Pour les chrétiens, il s’agit de revenir à notre identité et à notre vocation profonde au milieu du monde, telle qu’elle est formulée dans la Première Lettre de saint Pierre, qui nous rappelle notre vocation d’hommes et de femmes de bénédiction (1 P 3, 9). Lorsque je vois le climat de nos discussions internes et la façon dont un certain nombre de catholiques s’expriment dans le débat public à travers les réseaux sociaux, avec des excommunications réciproques, j’ai parfois honte, honte de la violence dont nous sommes capables entre nous et vis-à-vis de l’extérieur. Tout n’est pas permis ! Comme le dit la célèbre formule de Camus, « un homme, ça s’empêche ». De même, un chrétien ça s’empêche de dire certaines choses eu égard à sa vocation de bénir. Et puis, il nous faut cultiver l’espérance ! Nous sommes enracinés dans un livre, la Bible, qui répète à trois cent soixante-cinq reprises : « N’ayez pas peur ! » Cela fait une fois par jour de l’année… C’est vraiment un appel à être des êtres d’espérance, plus que d’espoir.


Les semaines passées n’ont pas forcément exalté la grandeur de l’engagement politique… Comment peut-on sortir d’un certain malaise après cet épisode ?

Ce malaise a des origines conjoncturelles. Mais, pour un chrétien, il a d’abord une racine spirituelle. Le chrétien est forcément en tension par rapport à la situation politique, car il ambitionne de voir se construire un Royaume lui-même en tension : ce Royaume est déjà là, parce que Jésus est déjà ressuscité, et il n’est pas encore là, car la royauté du Christ n’est pas de ce monde. En acceptant cette insatisfaction, il nous faut résister à une double tentation. D’une part, celle de croire que l’on pourrait bâtir le Royaume par la seule action politique ; et, à l’inverse, la tentation de renoncer à ce que le Royaume puisse un jour prendre corps dans notre monde, en cédant au cynisme et au découragement. C’est Jésus qui bâtit son Royaume, et nous devons accepter le caractère imparfait et non idéal du débat politique.


On a beaucoup encouragé l’engagement en politique, en particulier chez les jeunes. Beaucoup s’y sont cassé les dents. Quel peut-être l’engagement des chrétiens durant la période incertaine qui s’ouvre ?

Cet engagement est absolument nécessaire. Avec son style très personnel et très direct, le pape François invitait les jeunes, aux JMJ de Cracovie, en 2016, à ne pas rester sur les bancs des remplaçants. C’était une façon de leur dire : « Vous ne pouvez pas vous contenter d’observer l’Histoire, vous devez faire l’Histoire. » C’est fondamental et incontournable. Bien sûr, le terrain paraît parfois boueux, il y a des gens qui ne respectent pas les règles du jeu, on prend des coups, on prend des buts… Pour autant, nous n’avons pas le droit d’abandonner la partie. Le Seigneur ne nous demande pas de remporter des victoires politiques, mais de nous engager, même si cela réclame beaucoup de sacrifices personnels. Ce n’est pas parce que c’est difficile qu’il ne faut pas y aller, mais il faut l’en‑ visager comme une course en montagne. En politique, il faut agir ensemble, s’organiser en cordée, et se faire accompagner.

Et il faut d’abord se former pour être crédible et compétent sur les questions du monde, les enjeux de société qui évoluent. Enfin, il ne faut pas confondre la politique et le politique. C’est-à-dire que le bien de la cité, qui est la politique au sens large, ne se résume pas à l’engagement militant. S’engager d’un point de vue syndical, associatif, culturel, s’engager dans l’éducation, c’est s’engager politiquement au sens plein. Il y a donc de nombreux terrains d’engagement où nous sommes attendus. Les élections sont finies, mais tout commence !



Que faut-il changer en nous pour que tout change, dans un monde qui est de moins en moins chrétien ?

La société française est éminemment sécularisée et les chrétiens y sont minoritaires. Mais combien de milliers d’auditeurs Jésus avait-Il le jour où Il a affirmé : « Vous êtes le sel de la Terre, vous êtes la lumière du monde » ? Ils étaient douze, pas douze millions ou douze mille ! J’insiste. Il faut que l’on sorte de l’illusion que le Royaume se construit par nos propres forces et que, parce que nos forces diminuent, nous ne pourrions plus le construire. Il nous faut sortir du défaitisme, nous attacher fondamentalement à Jésus pour donner à nos vies la saveur de l’Évangile. C’est l’unique secret de la fécondité qu’ont eu les saints en leur temps. Les saints sont comme les champignons : ils poussent sur certains terrains et en fonction de conditions climatiques bien déterminées. Ils poussent sur les lignes de fracture de notre monde. Pensez à saint François d’Assise qui a germé au cœur des crises de l’Église et de la société de son temps. Pensez à saint Maximilien Kolbe, qui a poussé au moment le plus noir de la Seconde Guerre mondiale. Pensez à Mgr Pierre Claverie et à ses dix-huit compagnons, qui ont germé sur la fracture entre l’islam et le catholicisme, entre le monde musulman et l’Occident. C’est au cœur des crises que germent les saints !



Propos recueillis par Antoine-Marie Izoard
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