La Difficile interprétation des révélations privées selon st Jean de la Croix
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La Difficile interprétation des révélations privées selon st Jean de la Croix
De la Montée du Carmel(chapitre 18):[/quote]CHAPITRE XVIII
OÙ L'ON PROUVE
PAR L'AUTORITÉ DE LA
SAINTE ÉCRITURE QUE LES RÉVÉLATIONS
ET LES PAROLES DIVINES,
BIEN QUE TOUJOURS VRAIES EN
ELLES-MÊMES, NE SONT PAS TOUJOURS
CERTAINES DANS LEURS
PROPRES CAUSES.
Il nous faut exposer maintenant la seconde cause pour laquelle les visions et les paroles qui nous viennent de Dieu, bien que toujours vraies en elles-mêmes, ne sont pas toujours certaines par rapport à nous. La raison en vient des causes et des motifs sur lesquels elles se fondent. Souvent, en effet, Dieu dit des choses qui sont fondées sur les créatures ou les effets qu'elles produisent et qui sont variables ou même peuvent faire défaut; il en résulte que les paroles qui reposent sur ce fondement peuvent aussi être variables et ne point se réaliser; quand, en effet, une chose dépend d'une autre, si l'une vient à manquer, l'autre manque aussi. Supposez que Dieu dise: D'ici à un an j'enverrai tel fléau à ce royaume. La cause qui sert de fondement à cette menace vient d'une certaine offense qui a été commise contre Dieu dans ce royaume. Or si l'offense vient à cesser ou à se modifier, le châtiment peut lui aussi être suspendu ou se modifier. Cependant la menace était véritable; elle était fondée sur une faute actuelle; et, si la faute avait duré, la menace eût été exécutée. Ce sont là des menaces ou des révélations que l'on appelle comminatoires ou conditionnelles.
C'est ce qui est arrivé à la ville de Ninive. Dieu commanda au prophète Jonas d'aller de sa part lui annoncer cette menace: Adhuc quadraginta dies, et Ninive subvertetur: « Encore quarante jours, et Ninive sera détruite (Jonas, III,4). » Cependant cette prophétie ne s'est pas accomplie, parce que la cause pour laquelle elle avait été faite vint à cesser. Les Ninivites, au lieu de persévérer dans leurs péchés, en firent pénitence; sans cela, la menace eût été exécutée.
Au troisième livre des Rois, nous lisons que, le roi Achab ayant commis un grand crime, Dieu lui fit annoncer qu'un grand châtiment allait tomber sur sa personne, sur sa maison et sur son royaume. Or Achab, en signe de repentir, déchire aussitôt ses vêtements, prie en silence, se livre au jeûne, dort sur la dure, se montre triste et humilié. Dieu alors lui fait dire aussitôt par le même prophète: Quia igitur humiliatus est mei causa, non inducam malum in diebus ejus sed in diebus filii sui: « Puisque Achab s'est humilié par amour pour moi, je n'enverrai pas de châtiments durant sa vie, mais sous le règne de son fils (I Rois, XXI, 29). » Par là, nous voyons comment, Achab ayant changé de conduite et modifié ses dispositions, Dieu de son côté modifia la sentence qu'il avait portée.
Nous pouvons donc affirmer ce que nous avons déjà dit: Dieu fait une révélation, ou parle d'une façon très affirmative. Il annonce quelque bien ou quelque mal qui arrivera à cette âme ou à d'autres; mais cette prophétie peut se modifier plus ou moins, ou même elle ne se réalisera point, s'il y a changement ou modification de sentiments dans l'âme ou la cause qui en est l'objet et que Dieu a en vue. La prophétie ne s'accomplira donc pas comme on l'attendait; bien souvent même on en ignorera le motif, qui restera le secret de Dieu.
Il arrive encore souvent que Dieu dit, enseigne et promet, non pour qu'on le comprenne alors ou qu'on le possède, mais pour qu'on le comprenne plus tard, lorsqu'il conviendra d'en avoir l'intelligence ou qu'on en recevra l'effet. Telle a été la conduite de Notre-Seigneur avec ses disciples. Il leur faisait entendre beaucoup de paraboles et de sentences mystérieuses dont ils n'eurent point l'intelligence si ce n'est à l'époque où ils devaient les prêcher, quand ils reçurent le Saint-Esprit, dont Notre-Seigneur Jésus-Christ leur avait dit qu'il leur ferait comprendre tout ce que lui-même leur avait enseigné dans le cours de sa vie. Saint Jean, parlant de l'entrée de Notre-Seigneur à Jérusalem, dit: Haec non cognoverunt discipuli ejus primum, sed quando glorificatus est Jesus, tunc recordati sunt quia haec erant scripta de eo: « Les disciples ne comprirent pas ce qui se passait alors; mais lorsque Jésus eut été glorifié, ils se rappelèrent la prophétie qui l'avait annoncé (Jean, XII, 16). » Il y a donc bien des choses divines et très particulières qui peuvent se passer dans une âme, et que ni elle ni son directeur ne comprendront, si ce n'est à une certaine époque.
Nous lisons encore au premier livre des Rois que Dieu, irrité contre Héli, prêtre d'Israël, parce qu'il ne punissait pas ses fils de leurs péchés, lui envoya dire par Samuel ces paroles entre autres: Loquens locutus sum ut domus tua et domus patris tui ministraret in conspectu meo usque in sempiternum. Nunc autem dicit Dominus: Absit hoc a me, sed quicumque glorificaverit me, glorificabo eum: « En vérité, je l'ai dit, ta maison et la maison de ton père devaient à jamais remplir devant ma face l'office sacerdotal; mais loin de moi ce projet. Je ne le maintiendrai pas (I Rois II, 30). » Cet office du sacerdoce consistait à rendre gloire et honneur à Dieu; c'est dans ce but que Dieu avait promis au père d'héli que le sacerdoce resterait à jamais dans sa famille, mais c'était à la condition qu'on y fût fidèle. Or Héli manque de zèle pour la gloire de Dieu. Dieu lui-même lui fait savoir qu'il s'en plaint; qu'il honore plus ses fils que Dieu lui-même en dissimulant leurs péchés pour ne pas les humilier. Et ainsi ne se réalisa donc point la promesse de Dieu, qui devait durer toujours, mais à la condition que les descendants de la maison d'Héli fussent toujours fidèles à servir Dieu avec zèle.
Ainsi donc il ne faut pas croire que les paroles et les révélations qui viennent de Dieu, et sont vraies en soi doivent infailliblement s'accomplir selon la rigueur des termes qui les expriment, surtout quand, d'après la providence de Dieu, elles sont liées aux causes humaines qui, comme nous l'avons dit, peuvent varier, changer ou disparaître. Mais quand est-ce que ces paroles dépendent des causes humaines? Dieu s'en réserve le secret; il ne le révèle pas toujours. Il communique parfois sa parole ou sa révélation, mais il ne dira rien des circonstances où elles devront se réaliser. Telle est la conduite qu'il suivit à l'égard des Ninivites. Il leur annonce d'une manière absolue qu'au bout de quarante jours leur ville sera détruite (Jon. III, 4). D'autres fois il manifeste les circonstances de la prophétie; c'est ce qu'il fit quand il dit à Roboam: « Si tu gardes mes commandements comme mon serviteur David, je serai aussi avec toi comme avec lui: j'élèverai ta maison comme j'ai élevé la sienne (I Rois, XI, 38). » Mais qu'il manifeste ou non les conditions de ces prophéties, on ne doit pas s'imaginer avoir l'intelligence de ces prophéties; il n'est pas possible non plus de comprendre les vérités cachées dans la parole de Dieu ni les sens multiples qu'elle peut avoir. Lui est au-dessus de tous les cieux, et il parle des profondeurs de l'éternité; et nous, nous ne sommes pas des aveugles vivant sur cette terre; nous ne comprenons que les choses de la chair et du temps. Voilà ce que le Sage a compris; il a dit: Deus enim in caelo, et tu super terram, idcirco sint pauci sermones tui: « Dieu est au ciel, et toi, tu es sur la terre; voilà pourquoi tu dois veiller à parler peu (Eccl. V, 1). »
On me dira peut-être: Mais si nous ne devons pas comprendre ces révélations, ni nous en occuper, pourquoi Dieu nous les communique-t-il? Nous l'avons dit déjà, chaque révélation est comprise au temps fixé par celui qui l'a faite; elle sera comprise de celui à qui il voudra en donner l'intelligence, et alors on en verra la convenance, car Dieu ne fait rien sans motif, et en dehors de la vérité. Il faut donc bien se persuader que l'on n'arrivera jamais à comprendre et à saisir les divers sens renfermés dans les paroles et les révélations divines; se baser sur leurs apparences, c'est s'exposer à beaucoup d'erreurs et de déceptions. Voilà ce que savaient très bien les prophètes qui annonçaient la parole de Dieu. L'accomplissement de leur mission leur attirait les plus grandes épreuves de la part du peuple. Car, ainsi que nous l'avons dit, beaucoup de Juifs ne voyaient pas les prophéties se réaliser selon le sens des paroles qu'ils entendaient, et ils en tiraient un motif pour tourner en dérision les prophètes et se moquer d'eux. Jérémie en vint même jusqu'à dire: « Ils se moquent de moi tout le long du jour; tous me tournent en dérision et me méprisent, parce qu'il y a déjà longtemps que je crie contre leur malice et que j'annonce leur destruction; la parole de Dieu est devenue pour moi un sujet constant d'opprobres et de railleries. Ainsi ai-je dit: Je ne veux plus me souvenir des paroles de Dieu, je ne veux plus parler en son nom (Jer. XX, 7-9) ». Ces paroles nous montrent que si le prophète parle avec résignation et nous peint la faiblesse de l'homme qui ne comprend pas les voies et les secrets de Dieu, il donne bien à comprendre également quelle différence il y a entre l'accomplissement des paroles divines et le sens qu'on leur donne communément. C'est pour ce motif que les saints prophètes passaient pour des séducteurs; ils avaient tant à souffrir à l'occasion de leurs prophéties, que le même Jérémie a dit dans un autre endroit: Formido et laqueus facta est nobis vaticinatio et contritio: « La prophétie est devenue pour nous une frayeur, un piège et une affliction (Lament. III, 47). »
C'est pour ce motif que Jonas fuyait quand Dieu l'envoyait prêcher la destruction de Ninive. Il savait que l'homme comprend diversement les paroles de Dieu et leurs causes. Aussi, afin de n'être pas tourné en dérision si la prophétie ne s'accomplissait pas, il fuyait pour ne point prophétiser. Il attendit donc en dehors de la ville les quarante jours qu'il avait prédits, pour voir si la prophétie s'accomplissait. Voyant qu'elle ne s'accomplissait pas, il tomba dans une si profonde tristesse qu'il dit à Dieu: Obsecro, Domine, numquid non hoc est verbum meum, cum adhuc essem in terra mea? Propter hoc praeoccupavi ut fugerem in Tharsis: « Je vous le demande, Seigneur, n'est-ce pas là ce que je disais lorsque j'étais dans mon pays? Voilà ce que j'avais prévu, et c'est pour cela que je fuyais vers Tarse (Jonas, IV, 2). » Et le saint, en proie à son chagrin, demanda à Dieu de le retirer du monde.
Pourquoi donc nous étonner si, parmi les prophéties ou les révélations que Dieu fait aux âmes, il y en a qui ne se réalisent pas dans le sens où on les comprend? Dieu affirme par exemple à une âme ou lui révèle qu'elle ou une autre recevra telle récompense ou sera châtiée; cette prophétie est fondée sur certains actes par lesquels cette âme ou une autre procurent la gloire de Dieu ou l'offensent; mais si ces âmes persévèrent dans cet état, la prophétie, nous le répétons, se réalisera; il n'est pas certain, toutefois qu'elle s'accomplisse à la lettre, parce qu'il n'est pas certain que ces âmes garderont les mêmes dispositions. Aussi ne faut-il jamais s'assurer ni affirmer que l'on comprend bien la prophétie. La foi seule est notre guide.
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OÙ L'ON PROUVE
PAR L'AUTORITÉ DE LA
SAINTE ÉCRITURE QUE LES RÉVÉLATIONS
ET LES PAROLES DIVINES,
BIEN QUE TOUJOURS VRAIES EN
ELLES-MÊMES, NE SONT PAS TOUJOURS
CERTAINES DANS LEURS
PROPRES CAUSES.
Il nous faut exposer maintenant la seconde cause pour laquelle les visions et les paroles qui nous viennent de Dieu, bien que toujours vraies en elles-mêmes, ne sont pas toujours certaines par rapport à nous. La raison en vient des causes et des motifs sur lesquels elles se fondent. Souvent, en effet, Dieu dit des choses qui sont fondées sur les créatures ou les effets qu'elles produisent et qui sont variables ou même peuvent faire défaut; il en résulte que les paroles qui reposent sur ce fondement peuvent aussi être variables et ne point se réaliser; quand, en effet, une chose dépend d'une autre, si l'une vient à manquer, l'autre manque aussi. Supposez que Dieu dise: D'ici à un an j'enverrai tel fléau à ce royaume. La cause qui sert de fondement à cette menace vient d'une certaine offense qui a été commise contre Dieu dans ce royaume. Or si l'offense vient à cesser ou à se modifier, le châtiment peut lui aussi être suspendu ou se modifier. Cependant la menace était véritable; elle était fondée sur une faute actuelle; et, si la faute avait duré, la menace eût été exécutée. Ce sont là des menaces ou des révélations que l'on appelle comminatoires ou conditionnelles.
C'est ce qui est arrivé à la ville de Ninive. Dieu commanda au prophète Jonas d'aller de sa part lui annoncer cette menace: Adhuc quadraginta dies, et Ninive subvertetur: « Encore quarante jours, et Ninive sera détruite (Jonas, III,4). » Cependant cette prophétie ne s'est pas accomplie, parce que la cause pour laquelle elle avait été faite vint à cesser. Les Ninivites, au lieu de persévérer dans leurs péchés, en firent pénitence; sans cela, la menace eût été exécutée.
Au troisième livre des Rois, nous lisons que, le roi Achab ayant commis un grand crime, Dieu lui fit annoncer qu'un grand châtiment allait tomber sur sa personne, sur sa maison et sur son royaume. Or Achab, en signe de repentir, déchire aussitôt ses vêtements, prie en silence, se livre au jeûne, dort sur la dure, se montre triste et humilié. Dieu alors lui fait dire aussitôt par le même prophète: Quia igitur humiliatus est mei causa, non inducam malum in diebus ejus sed in diebus filii sui: « Puisque Achab s'est humilié par amour pour moi, je n'enverrai pas de châtiments durant sa vie, mais sous le règne de son fils (I Rois, XXI, 29). » Par là, nous voyons comment, Achab ayant changé de conduite et modifié ses dispositions, Dieu de son côté modifia la sentence qu'il avait portée.
Nous pouvons donc affirmer ce que nous avons déjà dit: Dieu fait une révélation, ou parle d'une façon très affirmative. Il annonce quelque bien ou quelque mal qui arrivera à cette âme ou à d'autres; mais cette prophétie peut se modifier plus ou moins, ou même elle ne se réalisera point, s'il y a changement ou modification de sentiments dans l'âme ou la cause qui en est l'objet et que Dieu a en vue. La prophétie ne s'accomplira donc pas comme on l'attendait; bien souvent même on en ignorera le motif, qui restera le secret de Dieu.
Il arrive encore souvent que Dieu dit, enseigne et promet, non pour qu'on le comprenne alors ou qu'on le possède, mais pour qu'on le comprenne plus tard, lorsqu'il conviendra d'en avoir l'intelligence ou qu'on en recevra l'effet. Telle a été la conduite de Notre-Seigneur avec ses disciples. Il leur faisait entendre beaucoup de paraboles et de sentences mystérieuses dont ils n'eurent point l'intelligence si ce n'est à l'époque où ils devaient les prêcher, quand ils reçurent le Saint-Esprit, dont Notre-Seigneur Jésus-Christ leur avait dit qu'il leur ferait comprendre tout ce que lui-même leur avait enseigné dans le cours de sa vie. Saint Jean, parlant de l'entrée de Notre-Seigneur à Jérusalem, dit: Haec non cognoverunt discipuli ejus primum, sed quando glorificatus est Jesus, tunc recordati sunt quia haec erant scripta de eo: « Les disciples ne comprirent pas ce qui se passait alors; mais lorsque Jésus eut été glorifié, ils se rappelèrent la prophétie qui l'avait annoncé (Jean, XII, 16). » Il y a donc bien des choses divines et très particulières qui peuvent se passer dans une âme, et que ni elle ni son directeur ne comprendront, si ce n'est à une certaine époque.
Nous lisons encore au premier livre des Rois que Dieu, irrité contre Héli, prêtre d'Israël, parce qu'il ne punissait pas ses fils de leurs péchés, lui envoya dire par Samuel ces paroles entre autres: Loquens locutus sum ut domus tua et domus patris tui ministraret in conspectu meo usque in sempiternum. Nunc autem dicit Dominus: Absit hoc a me, sed quicumque glorificaverit me, glorificabo eum: « En vérité, je l'ai dit, ta maison et la maison de ton père devaient à jamais remplir devant ma face l'office sacerdotal; mais loin de moi ce projet. Je ne le maintiendrai pas (I Rois II, 30). » Cet office du sacerdoce consistait à rendre gloire et honneur à Dieu; c'est dans ce but que Dieu avait promis au père d'héli que le sacerdoce resterait à jamais dans sa famille, mais c'était à la condition qu'on y fût fidèle. Or Héli manque de zèle pour la gloire de Dieu. Dieu lui-même lui fait savoir qu'il s'en plaint; qu'il honore plus ses fils que Dieu lui-même en dissimulant leurs péchés pour ne pas les humilier. Et ainsi ne se réalisa donc point la promesse de Dieu, qui devait durer toujours, mais à la condition que les descendants de la maison d'Héli fussent toujours fidèles à servir Dieu avec zèle.
Ainsi donc il ne faut pas croire que les paroles et les révélations qui viennent de Dieu, et sont vraies en soi doivent infailliblement s'accomplir selon la rigueur des termes qui les expriment, surtout quand, d'après la providence de Dieu, elles sont liées aux causes humaines qui, comme nous l'avons dit, peuvent varier, changer ou disparaître. Mais quand est-ce que ces paroles dépendent des causes humaines? Dieu s'en réserve le secret; il ne le révèle pas toujours. Il communique parfois sa parole ou sa révélation, mais il ne dira rien des circonstances où elles devront se réaliser. Telle est la conduite qu'il suivit à l'égard des Ninivites. Il leur annonce d'une manière absolue qu'au bout de quarante jours leur ville sera détruite (Jon. III, 4). D'autres fois il manifeste les circonstances de la prophétie; c'est ce qu'il fit quand il dit à Roboam: « Si tu gardes mes commandements comme mon serviteur David, je serai aussi avec toi comme avec lui: j'élèverai ta maison comme j'ai élevé la sienne (I Rois, XI, 38). » Mais qu'il manifeste ou non les conditions de ces prophéties, on ne doit pas s'imaginer avoir l'intelligence de ces prophéties; il n'est pas possible non plus de comprendre les vérités cachées dans la parole de Dieu ni les sens multiples qu'elle peut avoir. Lui est au-dessus de tous les cieux, et il parle des profondeurs de l'éternité; et nous, nous ne sommes pas des aveugles vivant sur cette terre; nous ne comprenons que les choses de la chair et du temps. Voilà ce que le Sage a compris; il a dit: Deus enim in caelo, et tu super terram, idcirco sint pauci sermones tui: « Dieu est au ciel, et toi, tu es sur la terre; voilà pourquoi tu dois veiller à parler peu (Eccl. V, 1). »
On me dira peut-être: Mais si nous ne devons pas comprendre ces révélations, ni nous en occuper, pourquoi Dieu nous les communique-t-il? Nous l'avons dit déjà, chaque révélation est comprise au temps fixé par celui qui l'a faite; elle sera comprise de celui à qui il voudra en donner l'intelligence, et alors on en verra la convenance, car Dieu ne fait rien sans motif, et en dehors de la vérité. Il faut donc bien se persuader que l'on n'arrivera jamais à comprendre et à saisir les divers sens renfermés dans les paroles et les révélations divines; se baser sur leurs apparences, c'est s'exposer à beaucoup d'erreurs et de déceptions. Voilà ce que savaient très bien les prophètes qui annonçaient la parole de Dieu. L'accomplissement de leur mission leur attirait les plus grandes épreuves de la part du peuple. Car, ainsi que nous l'avons dit, beaucoup de Juifs ne voyaient pas les prophéties se réaliser selon le sens des paroles qu'ils entendaient, et ils en tiraient un motif pour tourner en dérision les prophètes et se moquer d'eux. Jérémie en vint même jusqu'à dire: « Ils se moquent de moi tout le long du jour; tous me tournent en dérision et me méprisent, parce qu'il y a déjà longtemps que je crie contre leur malice et que j'annonce leur destruction; la parole de Dieu est devenue pour moi un sujet constant d'opprobres et de railleries. Ainsi ai-je dit: Je ne veux plus me souvenir des paroles de Dieu, je ne veux plus parler en son nom (Jer. XX, 7-9) ». Ces paroles nous montrent que si le prophète parle avec résignation et nous peint la faiblesse de l'homme qui ne comprend pas les voies et les secrets de Dieu, il donne bien à comprendre également quelle différence il y a entre l'accomplissement des paroles divines et le sens qu'on leur donne communément. C'est pour ce motif que les saints prophètes passaient pour des séducteurs; ils avaient tant à souffrir à l'occasion de leurs prophéties, que le même Jérémie a dit dans un autre endroit: Formido et laqueus facta est nobis vaticinatio et contritio: « La prophétie est devenue pour nous une frayeur, un piège et une affliction (Lament. III, 47). »
C'est pour ce motif que Jonas fuyait quand Dieu l'envoyait prêcher la destruction de Ninive. Il savait que l'homme comprend diversement les paroles de Dieu et leurs causes. Aussi, afin de n'être pas tourné en dérision si la prophétie ne s'accomplissait pas, il fuyait pour ne point prophétiser. Il attendit donc en dehors de la ville les quarante jours qu'il avait prédits, pour voir si la prophétie s'accomplissait. Voyant qu'elle ne s'accomplissait pas, il tomba dans une si profonde tristesse qu'il dit à Dieu: Obsecro, Domine, numquid non hoc est verbum meum, cum adhuc essem in terra mea? Propter hoc praeoccupavi ut fugerem in Tharsis: « Je vous le demande, Seigneur, n'est-ce pas là ce que je disais lorsque j'étais dans mon pays? Voilà ce que j'avais prévu, et c'est pour cela que je fuyais vers Tarse (Jonas, IV, 2). » Et le saint, en proie à son chagrin, demanda à Dieu de le retirer du monde.
Pourquoi donc nous étonner si, parmi les prophéties ou les révélations que Dieu fait aux âmes, il y en a qui ne se réalisent pas dans le sens où on les comprend? Dieu affirme par exemple à une âme ou lui révèle qu'elle ou une autre recevra telle récompense ou sera châtiée; cette prophétie est fondée sur certains actes par lesquels cette âme ou une autre procurent la gloire de Dieu ou l'offensent; mais si ces âmes persévèrent dans cet état, la prophétie, nous le répétons, se réalisera; il n'est pas certain, toutefois qu'elle s'accomplisse à la lettre, parce qu'il n'est pas certain que ces âmes garderont les mêmes dispositions. Aussi ne faut-il jamais s'assurer ni affirmer que l'on comprend bien la prophétie. La foi seule est notre guide.
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Dieu seul suffit,l'aimer,le suivre et faire sa volonté.
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