Sainte Valtorta...hum j'en doute...
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Sainte Valtorta...hum j'en doute...
Joachim Bouflet
Sainte Valtorta
Source : « Faussaires de Dieu », Paris, Presses de la Renaissance, 2007, p. 635-638
dimanche 7 mars 2010, par Blaise
Maria Valtorta n’a pas connu, avec ses révélations, les déboires d’Anne-Catherine Emmerick [1] : elle écrivait elle-même, véritable graphomane qui noircit quelque quinze mille pages entre le Vendredi saint 1943 et l’année 1947 surtout. Atteinte d’une forme grave de déficience cérébrale, elle passa les cinq dernières années de sa vie dans une réclusion intérieure qui faisait d’elle une véritable autiste :
« Elle commençait à répondre avec à propos à ses interlocuteurs, ou à faire des remarques sensées, laissant effleurer (mais désormais sans la possibilité d’un autocontrôle) une certaine finesse d’esprit qui lui était congénitale. Mais, parlant toujours moins, elle finissait par ne plus répéter ce qu’on lui disait, ce qui excluait toute forme de dialogue. De temps à autre, elle émettait de petits cris prolongés, comme le hurlement d’une sirène ». [2]
Elle mourut en 1961 à Viareggio, où elle vivait depuis de nombreuses années assistée par une amie.
La publication de ses écrits provoqua une vive réaction du Saint-Office, qui, par décret du 16 décembre 1959,
« condamna et mit à l’Index des livres prohibés les quatre volumes d’une œuvre anonyme, dont le premier
Le Poème de Jésus (typographie et édition M. Pisani, Isola del Liri), est suivi de :
Le Poème de l’Homme-Dieu » (ibid.).
Cette condamnation avait été précédée, une dizaine d’années auparavant, d’une mise en garde contre les extraits qui circulaient sous forme de cahiers dactylographiés : l’autorité ecclésiastique avait demandé que ces textes fussent retirés de la circulation, et interdit leur publication. C’est alors que Maria Valtorta avait vu sa santé psychique s’altérer :
« Le 18 avril 1949, Maria fit à Dieu le sacrifice de ne pas voir son œuvre approuvée par l’Église, et elle Lui offrit le don précieux de son intelligence. Le Seigneur dut la prendre au mot car, après avoir vu ses écrits « bloqués », elle commença à ressentir graduellement les premières atteintes du mal qui allait la confiner en elle-même » [3].
II est légitime de chercher dans l’immense contrariété qu’elle éprouva alors, la cause immédiate de sa maladie, plutôt que de voir en celle-ci la « réponse » de Dieu à son vœu. Maria Valtorta était en effet très attachée à ce qu’elle avait écrit, et le choc dut être d’autant plus rude qu’il était inattendu : elle avait soumis ses cahiers au discernement de son directeur spirituel, ils avaient été loués par plusieurs ecclésiastiques. Que contenaient-ils donc de si grave ?
« L’auteur, nous dit la préface du Poème de Jésus, nous a donné à l’instar de Dante une œuvre dans laquelle, évoluant dans de splendides descriptions des moments et des lieux, se présentent d’innombrables personnages qui s’adressent et nous adressent tour à tour des paroles remplies de douceur et de force, des avertissements. Il en résulte une Œuvre humble et imposante : l’hommage littéraire d’une infirme qui souffre au Grand Consolateur qu’est Jésus » [4].
Les consulteurs du Saint-Office étaient d’un tout autre avis : « C’est le mauvais roman d’une vie de Jésus. » Ils avaient d’autant plus de raisons de se montrer suspicieux que les livres avaient été publiés sans le nécessaire imprimatur (alors obligatoire en la matière).
L’ouvrage a connu, depuis sa condamnation, un succès extraordinaire. Dès que les sanctions attachées au défaut d’imprimatur eurent été supprimées, l’éditeur lança sur le marché une deuxième édition, accompagnée d’une publicité savamment orchestrée sur le thème du fruit défendu désormais accessible. Les pieux fidèles s’arrachèrent l’ouvrage, dont les dix tomes furent publiés successivement, ce qui entretenait le suspense. Le résultat dépassa toutes les espérances. Aujourd’hui encore, de nombreuses personnes se nourrissent de ces textes qui ont, pour beaucoup, relégué au rang de vieilles lunes les révélations attribuées à Anne-Catherine Emmerick.
Pourtant, la lecture donne une impression de malaise : les personnages centraux de Jésus et de Marie sont terriblement humains, dans l’acception péjorative du terme :
« Dans le récit évangélique, nous admirons l’humilité et le silence de la Mère de Dieu. En revanche, pour l’auteur (ou l’autrice) de ces pages, la très Sainte Vierge a la faconde d’une moderne propagandiste, elle est toujours présente partout, toujours prête à donner des leçons de théologie mariale jusque sur les points les plus discutés actuellement par les spécialistes en la matière » [5].
Jésus, en revanche, est d’une sensibilité qui confine souvent à la plus navrante mièvrerie ; les relations entre divers personnages sont assez ambiguës, au point que la critique ecclésiastique a pu parler de
« plusieurs pages plutôt scabreuses, qui évoquent certaines scènes et descriptions que l’on trouve dans les romans modernes ; ainsi, par exemple, la confession faite à Marie par une certaine Aglaë, femme de mauvaise vie, à la page 790 du premier tome » [6].
Bien que Maria Valtorta proteste n’avoir eu recours à d’autres lectures que les Évangiles et le catéchisme de saint Pie X, il est clair que les censeurs ecclésiastiques en doutent fortement : la richesse et la variété des détails d’ordre chronologique, topographique, archéologique, etc., est telle qu’elle suscite l’étonnement, l’émerveillement de certains. Des études ont été entreprises pour confronter les dires de Maria Valtorta aux découvertes de la science historique, et si d’aucuns admirent la rigoureuse exactitude de nombreux détails — qu’elle n’aurait, dit-on, pu connaître à l’époque où elle écrivait —, d’autres ont noté des contradictions et des erreurs. Enfin, plusieurs audaces théologiques ont été relevées, qui parfois confinent à l’hérésie :
« Marie peut être appelée la conjointe du Père (p. 63 du premier tome), affirmation répétée à la page suivante. L’explication qui est donnée de l’expression en limite la signification, évitant ainsi une hérésie authentique. Mais cela ne peut ôter l’impression, tout à fait fondée, que l’on veut élaborer une nouvelle mariologie qui parfois dépasse les limites de la convenance » [7].
Compte tenu de tous les éléments, il est possible que l’on se trouve avec les écrits de Maria Valtorta devant un cas psychologique très intéressant où se mêleraient le dédoublement de la personnalité, des interactions d’ordre métapsychique et peut-être parapsychologique, comme semble l’indiquer un curieux détail relaté dans sa biographie :
« Maria expérimenta de manière plus sensible certaines perceptions psychiques qu’elle avait déjà éprouvées les années précédentes sous la forme de “prémonitions” ou d’autres “faits étranges” . C’était, en particulier, “la sensation que de ses doigts partaient de longs, très longs fils lancés dans l’espace, et que ces fils se seraient noués à d’autres semblables” , qui partaient d’autres personnes, comme pour un désir de rencontre » [8].
Les admirateurs de Maria Valtorta la tiennent pour une sainte. Il est vrai qu’elle sut sanctifier une existence très éprouvée, aussi bien par une situation familiale conflictuelle que par l’infirmité qui la rendit grabataire durant plusieurs années, contrariant ainsi irrévocablement sa vocation religieuse. Elle fut une âme contemplative, presque par la force des choses, mais il reste difficile d’apprécier la nature de son expérience intérieure : fut-elle la grande mystique que d’aucuns présentent ? Rien n’est moins évident, et Rome a jusqu’à ce jour refusé l’introduction de sa cause de béatification. Plus d’une fois, ces dernières années, la Congrégation pour la doctrine de la foi a rappelé que les motifs de la condamnation des œuvres de Maria Valtorta gardaient leur raison d’être.
Notes
[1]voir à ce sujet Faussaires de Dieu, Paris, Presses de la Renaissance, 2007, p. 632-635.
[2]ANONYME, Maria Valtorta, la persona e gli scritti, Isola del Liri, Edizioni Pisani, 1976, p. 36.
[3]ANONYME, Maria Valtorta, la persona e gli scritti, Isola del Liri, Edizioni Pisani, 1976, p. 36.
[4]Una vita di Gesu malamente romanzata, commentaire du décret du Saint-Office condamnant Il Poema di Gesu et Il Poema dell’Uomo Dio (Maria Valtorta), note d’information de la Congrégation, 1952, Osservatore Romano), 1, AA.
[5]Una vita di Gesu malamente romanzata, commentaire du décret du Saint-Office condamnant Il Poema di Gesu et Il Poema dell’Uomo Dio (Maria Valtorta), note d’information de la Congrégation, 1952, Osservatore Romano), 1, AA.
[6]Una vita di Gesu malamente romanzata, commentaire du décret du Saint-Office condamnant Il Poema di Gesu et Il Poema dell’Uomo Dio (Maria Valtorta), note d’information de la Congrégation, 1952, Osservatore Romano), 1, AA.
[7]Una vita di Gesu malamente romanzata, commentaire du décret du Saint-Office condamnant Il Poema di Gesu et Il Poema dell’Uomo Dio (Maria Valtorta), note d’information de la Congrégation, 1952, Osservatore Romano), 1, AA.
[8]ANONYME, Maria Valtorta, la persona e gli scritti, Isola del Liri, Edizioni Pisani, 1976, p. 25.
Dieu seul suffit,l'aimer,le suivre et faire sa volonté.
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