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Les 7 demeures de l'ame de ste Thérese d'Avila

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7 demeures - Les 7 demeures de l'ame de ste Thérese d'Avila Empty Les 7 demeures de l'ame de ste Thérese d'Avila

Message par Francesco Mer 10 Nov 2010 - 1:59

Voici un des textes les plus importants sur la vie de l'ame vers son union a Dieu.Ces ''7 demeures de l'ame '' est une révélation direct du Seigneur a Ste Thérese d'ou son importance:http://catholiquedu.free.fr/revelation/doctrine/AVILA/7demeures/index7demeures.htm


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7 demeures - Les 7 demeures de l'ame de ste Thérese d'Avila Empty Re: Les 7 demeures de l'ame de ste Thérese d'Avila

Message par Francesco Mer 10 Nov 2010 - 2:01

1ere Demeure de l'ame:
[b]PREMIÈRES DEMEURES

CHAPITRE PREMIER SUITE

De la beauté et de la dignité de nos âmes : une comparaison nous aide à le comprendre. Des avantage qu'il y a à reconnaître les faveurs que nous recevons de Dieu. De l'oraison, la porte de ce Château.

1 Aujourd'hui, comme je suppliais le Seigneur de parler à ma place, puisque je ne trouvais rien à dire, ni comment entamer cet acte d'obéissance, s'offrit à moi ce qui sera, dès le début, la base de cet écrit : considérer notre âme comme un château fait tout entier d'un seul diamant ou d'un très clair cristal, où il y a beaucoup de chambres, de même qu'il y a beaucoup de demeures au ciel. Car à bien y songer, mes soeurs, l'âme du juste n'est rien d'autre qu'un paradis où Il dit trouver ses délices. Donc, comment vous représentez-vous la chambre où un Roi si puissant, si sage, si pur, si empli de tous les biens, se délecte ? Je ne vois rien qu'on puisse comparer à la grande beauté d'une âme et à sa vaste capacité. Vraiment, c'est à peine si notre intelligence, si aiguë soit-elle, peut arriver a le comprendre, de même qu'elle ne peut arriver à considérer Dieu, puisqu'il dit lui-même qu'il nous a créés à son image et à sa ressemblance. Or, s'il en est ainsi, et c'est un fait, nous n'avons aucune raison de nous fatiguer à chercher à comprendre la beauté de ce château ; il y a entre lui et Dieu la même différence qu'entre le Créateur et la créature, puisqu'il est sa créature ; il suffit donc que Sa Majesté dise que l'âme est faite à son image pour qu'il nous soit difficile de concevoir sa grande dignité et sa beauté.
2 Il est bien regrettable et confondant que, par notre faute, nous ne nous comprenions pas nous-mêmes, et ne sachions pas qui nous sommes. Celui à qui on demanderait, mes filles, qui il est, et qui ne se connaîtrait point, qui ne saurait pas qui fut son père, ni sa mère, ni son pays, ne prouverait-il pas une grande ignorance ? Ce serait d'une grande bêtise, mais la nôtre est plus grande, sans comparaison, quand nous ne cherchons pas à savoir ce que nous sommes, nous bornant à notre corps, et, en gros, a savoir que nous avons une âme, parce que nous en avons entendu parler et que la foi nous le dit. Mais les biens que peut contenir cette âme ; qui habite en cette âme, ou quel est son grand prix, nous n y songeons que rarement ; c'est pourquoi on a si peu soin de lui conserver sa beauté. Nous faisons passer avant tout sa grossière sertissure, ou l'enceinte de ce château, qui est notre corps.
3 Considérons donc que ce château a, comme je l'ai dit, nombre de demeures, les unes en haut, les autres en bas, les autres sur les côtés ; et au centre, au milieu de toutes, se trouve la principale, où se passent les choses les plus secrètes entre Dieu et l'âme. Il faut que vous soyez attentives à cette comparaison. Peut-être, par ce moyen, Dieu consentira-t-il à vous faire comprendre quelques-unes des faveurs que Dieu veut bien accorder aux âmes, et, dans la mesure du possible, les différences qu'il y a entre elles ; car personne ne peut les comprendre toutes, tant elles sont nombreuses : d'autant moins une misérable comme moi ! Si le Seigneur vous les accorde, vous aurez le : grand réconfort de savoir que cela est possible ; sinon, vous louerez sa grande bonté. Car si la considération des choses qui sont au ciel, et dont jouissent les bienheureux, ne nous fait aucun tort et nous réjouit plutôt, de même, lorsque nous cherchons à obtenir ce dont ils jouissent, il ne peut nous nuire de voir qu'un si grand Dieu peut se communiquer en cet exil à des vers de terre si malodorants, et d'aimer une bonté si bonne, une miséricorde si démesurée. Je tiens pour certain que celui qui souffrirait de savoir que Dieu peut nous faire cette faveur en cet exil n'a guère d'humilité ni d'amour du prochain ; car si ce n'était de cela, comment ne pas nous réjouir que Dieu accorde ces grâces à l'un de nos frères sans que cela l'empêche de nous l'accorder à nous aussi, et de voir que Sa Majesté manifeste ses grandeurs en quiconque ? Ce sera, parfois, dans le seul but de les manifester, comme le Seigneur l'a dit lui-même à propos de l'aveugle à qui il à rendu la vue, lorsque les Apôtres lui ont demandé s'il était aveugle à cause de ses péchés ou par la faute de ses parents. Il arrive, ainsi, que celui à qui il fait ces faveurs ne soit pas plus saint que celui à qui il ne les fait point, il veut seulement qu'on reconnaisse sa grandeur, comme nous le voyons dans saint Paul et la Madeleine, et pour que nous le louions en ses créatures.
4 On pourra dire que ces choses semblent impossibles, et qu'il est bon de ne pas scandaliser les faibles. Leur incrédulité est une moindre perte, si ceux à qui Dieu les accorde ne manquent pas d'en profiter ; ils s'en régaleront, un plus grand amour s'éveillera en eux pour Celui qui montre tant de miséricorde, et dont le pouvoir et la majesté sont si grands. D'autant plus que je sais que celles à qui je parle ne courent pas ce danger elles savent et croient que Dieu donne de bien plus grandes preuves d'amour. Je sais que ceux qui n'y croiraient point n'en auront pas l'expérience, car Dieu tient beaucoup à ce qu'on ne limite pas ses oeuvres ; donc, mes soeurs, que ce ne soit jamais le cas de celles d'entre vous que le Seigneur ne conduirait pas par cette voie.
5 Donc, pour revenir à notre bel et délicieux château, nous devons voir comment nous pourrons y pénétrer. J'ai l'air de dire une sottise : puisque ce château est l'âme, il est clair qu'elle n'a pas à y pénétrer, puisqu'il est elle-même ; tout comme il semblerait insensé de dire à quelqu'un d'entrer dans une pièce où il serait déjà. Mais vous devez comprendre qu'il y a bien des manières différentes d'y être ; de nombreuses âmes sont sur le chemin de ronde du château, où se tiennent ceux qui le gardent, peu leur importe de pénétrer l'intérieur, elles ne savent pas ce qu'on trouve en un lieu si précieux, ni qui l'habite, ni les salles qu'il comporte. Vous avez sans doute déjà vu certains livres d'oraison conseiller à l'âme d'entrer en elle-même ; or, c'est précisément ce dont il s'agit.
6 Un homme fort docte me disait récemment que les âmes qui ne font pas oraison sont semblables à un corps paralysé ou perclus, qui bien qu'il ait des pieds et des mains, ne peut les commander ; ainsi, il est des âmes si malades, si accoutumées à s'arrêter aux choses extérieures, que c'est sans remède, elle ne semblent pas pouvoir entrer en elles-mêmes ; elles ont une telle habitude de n'avoir de rapports qu'avec la vermine et les bêtes qui vivent autour du château qu'elles leur ressemblent déjà beaucoup ; et bien qu'elles soient, par nature, très riches, capables de converser avec rien de moins que Dieu, c'est sans remède. Si ces âmes ne cherchent pas à connaître leur grande misère et à y porter remède, elles resteront transformées en statues de sel faute de tourner la tête vers elles-mêmes, comme il advint de la femme de Loth pour l'avoir tournée (Gn. 19,26).
7 Car autant que je puis le comprendre, la porte d'entrée de ce château est l'oraison et la considération ; je ne dis pas mentale plutôt que vocale, car pour qu'il ait oraison, il doit y avoir considération. Celle qui ne considère pas à qui elle parle, et ce qu'elle demande, et qui est celle qui demande, et à qui, je n'appelle pas cela faire oraison, pour beaucoup qu'elle remue les lèvres. Il pourra pourtant y avoir oraison sans qu'on le recherche, mais dans ce cas on s'y sera exercé naguère. Quiconque aurait l'habitude de parler à la majesté de Dieu comme il parierait à son esclave, qui ne se demande pas s'il s'exprime mal, mais dit ce qui lui vient aux lèvres, ou qui l'apprend pour le répéter, je ne tiens pas cela pour de l'oraison, et plaise à Dieu que nul chrétien ne la pratique de cette façon. J'espère de la bonté de Sa Majesté, mes soeurs, que ce n'est le cas d'aucune de vous, vous êtes habituées à vous occuper des choses intérieures, ce qui est fort utile pour éviter de tomber dans une telle bestialité.
8 Nous ne nous adressons donc pas à ces âmes percluses, car si le Seigneur lui-même ne vient pas leur commander de se lever, comme à celui qui attendait à la piscine depuis trente ans (Jn 5,5), elles sont bien mal en point, et en grand danger, mais aux autres âmes, à celles qui pénètrent enfin dans le château. Celles-là, forts mêlées au monde, ont de bons désirs, et parfois, ne serait-ce que de loin en loin, elles se recommandent à Notre-Seigneur et considèrent qui elles sont sans toutefois s'y attarder. De temps en temps, pendant le mois, elles prient, pleines des mille affaires qui occupent ordinairement leur pensée, et auxquelles elles sont si attachées que là où est leur trésor, là est leur coeur (Mt 6,21) ; elles songent parfois à s'en affranchir, et c'est déjà une grande chose pour elles que la connaissance d'elles-mêmes, constater qu'elles sont en mauvaise voie, pour trouver la porte d'entrée. Enfin, elles pénètrent dans les premières pièces, celles du bas, mais toute la vermine qui entre avec elles ne leur permet ni de voir la beauté du château, ni de s'apaiser ; elles ont déjà beaucoup fait en entrant.
9 Ce que je dis, mes filles, va vous sembler déplacé, puisque, par la bonté de Dieu, vous n'êtes pas de celles-là. Il va vous falloir de la patience, sinon je ne saurais faire entendre comment j'ai compris certaines des choses intérieures de l'oraison, et encore plaise au Seigneur que j'arrive à parler de quelques-unes ; car ce que je voudrais vous faire entendre est bien difficile, lorsque l'expérience fait défaut. Si vous avez cette expérience ; vous verrez qu on ne peut s'abstenir d'effleurer ce que plaise au Seigneur dans sa miséricorde, de vous épargner.




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Message par Francesco Mer 10 Nov 2010 - 2:15

Voici la 1ere demeure.Il s'agit de croyant pratiquant mais tiede et peu fidele a la priere .Ils utilisent les sacrements mais ils demeurent peu impliquer ds leur relation a Dieu.Celle ci n'est pas personnalisée.:
mais aux autres âmes, à celles qui pénètrent enfin dans le château. Celles-là, forts mêlées au monde, ont de bons désirs, et parfois, ne serait-ce que de loin en loin, elles se recommandent à Notre-Seigneur et considèrent qui elles sont sans toutefois s'y attarder. De temps en temps, pendant le mois, elles prient, pleines des mille affaires qui occupent ordinairement leur pensée, et auxquelles elles sont si attachées que là où est leur trésor, là est leur coeur (Mt 6,21) ; elles songent parfois à s'en affranchir, et c'est déjà une grande chose pour elles que la connaissance d'elles-mêmes, constater qu'elles sont en mauvaise voie, pour trouver la porte d'entrée. Enfin, elles pénètrent dans les premières pièces, celles du bas, mais toute la vermine qui entre avec elles ne leur permet ni de voir la beauté du château, ni de s'apaiser ; elles ont déjà beaucoup fait en entrant.


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Message par Francesco Dim 21 Nov 2010 - 20:38

1ere Demeure chapitre II:
PREMIÈRES DEMEURES

CHAPITRE II SUITE

De la laideur de l'âme en état de péché mortel, et comment Dieu voulut la faire voir à certaine personne. De la connaissance de soi. Toutes choses utiles, souvent dignes de remarque. De la manière de comprendre ces demeures.

1 Avant d'aller plus loin, je tiens à vous demander de considérer ce qu'on peut éprouver à la vue de ce château si resplendissant et si beau, cette perle orientale, cet arbre de vie planté à même les eaux vives de la vie, qui est Dieu, lorsque l'âme tombe dans le péché mortel. Il n'est ténèbres si ténébreuses, chose si obscure et si noire qu'elle n'excède. Sachez seulement que bien que le soleil qui lui donnait tant d'éclat et de beauté soit encore au centre de cette âme, il semble n'y être point, elle ne participe point de Lui, et pourtant elle est aussi capable de jouir de Sa Majesté que le cristal de faire resplendir le soleil. Elle ne bénéficie de rien ; en conséquence, toutes les bonnes actions qu'elle accomplit ainsi, en état de péché mortel, ne portent aucun fruit qui mérite le ciel ; elles ne procèdent pas du principe qui est Dieu, par qui notre vertu est vertu, rien ne peut donc être agréable à ses yeux quand nous nous éloignons de Lui ; enfin, le but de celui qui commet un péché mortel n'est pas de Le satisfaire, mais de plaire au démon ; comme il n'est que ténèbres, la pauvre âme, elle aussi, se transforme en ténèbres.
2 Je connais une personne à qui Notre-Seigneur voulut montrer l'état de l'âme qui pèche mortellement. Cette personne (la sainte elle-même. Voir (Autobiographie, chap. 40 et Relation, chap. 25.) dit qu'aucun de ceux qui le connaîtraient ne pourrait pécher, lui semble-t-il même s'il lui fallait fuir les occasions au prix des plus grandes peines imaginables. Elle eut donc bien envie que tous en soient informés ; vous, mes filles, ayez envie de beaucoup prier Dieu pour ceux qui sont réduits à cet état de totale obscurité, eux et leurs oeuvres. Car de même que tous les ruisselets qui découlent d'une source très claire le sont aussi, lorsqu'une âme est en état de grâce, ses oeuvres sont agréables aux yeux de Dieu et à ceux des hommes (elles procèdent de cette source de vie, l'âme y est planter comme un arbre qui ne donnerait ni fraîcheur ni fruits, s'ils ne lui venaient de cette source qui le nourrit, l'empêche de sécher, et lui fait produire de bons fruits), ainsi lorsque l'âme, par sa faute, s'éloigne de cette source pour se planter dans une autre aux eaux très noires et très malodorantes, tout ce qu'elle produit est l'infortune et la saleté mêmes.
3 Il sied de considérer ici que la fontaine, ce soleil resplendissant qui est au centre de l'âme, ne perd ni son éclat ni sa beauté ; il est toujours en elle, rien ne peut lui ôter sa beauté. Mais si on jetait un drap très noir sur un cristal exposé au soleil, il est clair que si le soleil donne sur lui, sa clarté n'opérera point sur le cristal.
4 O âmes rachetées par le sang de Jésus-Christ ! Connaissez-vous vous-mêmes, et ayez pitié de vous ! Comment se peut-il que, sachant cela, vous ne cherchiez pas à retirer cette poix de ce cristal ? Considérez que si vous perdez la vie, jamais vous ne jouirez à nouveau de cette lumière. Ô Jésus ! quel spectacle que celui d'une âme qui s'en est éloigné ! Dans quel état sont les pauvres chambres du château ! Que les sens, ces gens qui les habitent, sont troublés ! Et les puissances, qui sont les alcades, majordomes, maîtres d'hôtels, qu'ils sont aveuglés, et gouvernent mal ! Enfin, puisque l'arbre est planté en un lieu qui est le démon, quel fruit peut-il donner ?
5 J'ai entendu une fois un homme, grand spirituel, dire qu'il ne s'étonnait de rien de ce que faisait une âme en état de péché mortel, mais de ce qu'elle ne faisait pas. Plaise à Dieu, dans sa miséricorde, de nous délivrer d'un si grand malheur, car rien, tant que nous vivons, ne mérite le nom de malheur si ce n'est celui qui entraîne des maux éternels, à jamais. Voilà, mes filles, ce que nous devons craindre, et ce que nous devons demander à Dieu dans nos prières ; s'il ne garde point la cite, nous travaillerons en vain (Ps 76,2), car nous sommes la vanité même. Cette personne disait qu'elle avait tiré deux choses de la grâce que le Seigneur lui a faite : l'une, l'immense crainte de l'offenser : elle le suppliait donc sans cesse de ne pas la laisser tomber dans le péché, dont elle voyait les terribles effets ; la seconde, un miroir d'humilité, sachant que tout ce que nous pouvons faire de bon n'a pas son principe en nous, mais dans cette fontaine où est planté l'arbre de notre ; âme, dans ce soleil qui réchauffe nos oeuvres. Elle a vu cela si clairement que dès qu'elle faisait ou voyait faire quelque chose de bien, elle ramenait cette action à son principe, et comprenait que sans cette aide nous sommes impuissants ; de là, elle était immédiatement portée à louer Dieu et à s'oublier d'ordinaire elle-même, quoi qu'elle fit de bien.
6 Le temps que vous passerez, mes soeurs, à lire ceci, et moi à l'écrire, ne serait pas perdu si nous retenions ces deux choses, que les hommes doctes et entendus savent très bien, mais notre balourdise, à nous, femmes, a besoin de tout cela ; et, d'aventure, le Seigneur veut peut-être qu'on porte à notre connaissance cette sorte de comparaison. Plaise à sa bonté de nous accorder la grâce nécessaire.
7 Ces choses intérieures sont si obscures pour l'entendement que quelqu'un de si peu instruit que moi, devra forcément dire beaucoup de choses superflues, et même insensées, avant de parler juste une seule fois. Il faudra donc de la patience à quiconque me lira, comme il m'en faut pour écrire ce que j'ignore ; car, vrai, il m'arrive de me sentir toute sotte en prenant le papier, je ne sans ni que dire, ni par quoi commencer. Je comprends bien qu'il est important pour vous que j'explique de mon mieux certaines choses intérieures, car nous entendons toujours dire combien l'oraison est bonne, et d'après la constitution nous devons la pratiquer pendant un grand nombre d'heures, mais on ne nous explique rien d'autre que ce qu'il nous est possible de faire de nous-mêmes ; on nous parle peu des choses que le Seigneur opère dans l'âme, c'est-à-dire le surnaturel. Le fait d'en parler et de nous l'expliquer de nombreuses façons nous apportera la grande consolation de contempler ce céleste artifice intérieur, si peu connu dés mortels, que toutefois nombre d'entre eux recherchent. Et bien que dans quelques-uns de mes écrits le Seigneur ait fait entendre certaines choses, je comprends que je ne les avais pas toutes comprises comme je le fais aujourd'hui, les plus difficiles, en particulier. L'ennui, c'est que pour les aborder, comme je l'ai dit, il faudra en répéter beaucoup de fort connues ; il ne saurait en être autrement, vu la rudesse de mon esprit.
8 Revenons donc à notre château aux nombreuses demeures. Vous ne devez pas vous représenter ces demeures l'une après l'autre, comme en enfilade, mais fixer votre regard au centre ; là se situe la salle, le palais, où réside le roi ; considérez le palmiste ; avant qu'on atteigne sa partie comestible, plusieurs écorces entourent tout ce qu'il contient de savoureux. Ici, de même, de nombreuses salles sont autour de celle-là, et également au-dessus. Les choses de l'âme doivent toujours se considérer dans la plénitude, l'ampleur et la grandeur, on ne le dira jamais assez, elle est capable de beaucoup plus que ce que nous sommes capables de considérer, et le soleil qui est dans ce palais se communique à toutes ses parties. Il est très important que toute âme qui s'adonne à l'oraison, peu ou prou, ne soit ni traquer, ni opprimée. Laissez-la évoluer dans ces demeures, du haut en bas et sur les côtés, puisque Dieu l'a douée d'une si grande dignité ; qu'elle ne se contraigne point à rester longtemps seule dans une salle. Oh ! s'il s'agit de la connaissance de soi ! Car elle est si nécessaire, (cherchez à me comprendre), même pour celles d'entre vous que le Seigneur a introduites dans la demeure où il se trouve Lui-même, que jamais, malgré votre élévation, vous ne pouvez mieux faire, et vous ne le pourriez pas, même si vous le vouliez ; car l'humilité travaille toujours à la façon dont l'abeille fait le miel dans la ruche, sinon tout est perdu ; mais considérons que l'abeille ne manque pas de sortir pour rapporter des fleurs ; ainsi fait l'âme, par la connaissance de soi ; croyez-moi envolez-vous de temps en temps, pour considérer la grandeur et la majesté de Dieu. Ainsi, débarrassées de la vermine qui entre dans les premières salles, celles de la connaissance de soi, vous verrez votre bassesse mieux qu'en vous-mêmes, bien que, comme je l'ai dit, Dieu fasse à l'âme une grande miséricorde lorsqu'il lui permet de se connaître, mais qui peut le plus peut le moins, comme on dit. Et croyez-moi, avec la vertu de Dieu nous pratiquerons une vertu bien plus haute que si nous restons étroitement ligotées à notre terre.
9 Je ne sais si je me suis bien fait comprendre, car cette connaissance de nous-mêmes est si importante que je voudrais que jamais vous ne vous relâchiez sur ce point, même si vous êtes fort élevées dans le ciel ; tant que nous sommes sur cette terre, rien ne doit avoir plus d'importance pour nous que l'humidité. Je répète donc qu'il est très bon, et meilleur encore, de chercher à pénétrer d'abord dans la salle qui la concerne plutôt que de s'envoler vers les autres : c'est le chemin pour y parvenir ; et puisque nous pouvons marcher en terrain sûr et uni, pourquoi voudrions-nous des ailes pour voler ? Cherchez à mieux progresser dans l'humilité ; et, ce me semble, jamais nous n'arriverons à nous connaître si nous ne cherchons pas à connaître Dieu ; en contemplant sa grandeurs penchons-nous sur notre bassesse ; en contemplant sa pureté, nous verrons notre saleté ; en considérant son humilité, nous verrons combien nous sommes loin d'être humbles.
10 On y trouve deux avantages : premièrement, il est clair que quelque chose de blanc parait plus blanc auprès de quelque chose de noir, et, à l'opposé, le noir auprès du blanc ; deuxièmement, notre entendement et notre volonté s'ennoblissent, ils se disposent mieux à accomplir tout ce qui est bien lorsque notre regard, donc nous-même, nous tournons vers Dieu ; il- a de grands inconvénients à ne jamais sortir de notre boue et de notre misère. Nous parlions, à propos de ceux qui sont en état de péché mortel, des courants noirs et malodorants dans lesquels ils sont ; de même, ici, sans qu'il y ait toutefois d'analogie, Dieu nous en garde ! Car ceci n'est qu'une comparaison. Si nous vivons enfoncés dans les misères de notre terre, jamais nous ne sortirons du courant boueux des craintes, des pusillanimités, et de la lâcheté ; regarder si on me regarde ou si on ne me regarde pas ; me demander s'il y a du danger à suivre cette voie ; n'y aurait-il pas quelque orgueil à oser entreprendre cette action ? Est-il bon qu'une misérable comme moi s'occupe d'une chose aussi haute que l'oraison ? Me méprisera-t-on si je ne suis pas la voie de tout le monde ? Et puis, les extrêmes ne sont pas bons, même dans la vertu, grande pécheresse que je suis, ne serait-ce tomber de plus haut ? Je ne progresserai peut-être point, et je nuirai à de bonnes gens ; quelqu'un comme moi n'a pas besoin de se singulariser.
11 Dieu secourable ! Mes filles, qu'elles sont nombreuses les âmes que le démon a dû beaucoup appauvrir par ce moyen ! Elles prennent tout cela pour de l'humilité, et bien des choses encore que je pourrais dire ; cela provient de ce que nous ne nous connaissons pas tout à fait ; la connaissance que nous avons de nous-même est déviée, et si nous ne sortons jamais de nous-même, je ne suis pas surprise que cela, et pis encore, soit à craindre. C'est pourquoi je dis, mes filles, que nous devons fixer nos regards sur le Christ, notre bien ; là, nous apprendrons la véritable humilité ; en Lui et en ses Saints, notre entendement s'ennoblira comme je l'ai dit, et la connaissance de nous-même n'engendrera pas de lâches voleurs ; car bien que ce ne soit encore que la première Demeure, elle est très riche et d'un si grand prix que celui qui échappe à la vermine qui s'y trouve ne manquera pas de progresser. Terribles sont les ruses et astuces du démon pour empêcher les âmes de se connaître et de discerner leur voie.
12 De ces premières demeures, je puis vous donner un très bon signalement dont j'ai l'expérience. C'est pourquoi je vous demande de ne pas considérer un petit nombre de salles, mais un million ; car les âmes entrent ici de bien des manières, animées, les unes et les autres, de bonnes intentions. Mais comme celles du démon sont toujours mauvaises, il doit maintenir dans chacune d'elles de larges légions de démons pour empêcher les âmes de passer d'une demeure à l'autre ; la pauvre âme ne s'en rend pas compte, il use donc de mille sortes d'embûches et illusions il n'est plus aussi à l'aise lorsque les âmes se rapprochent du Roi. Mais, comme elles sont, ici, encore absorbées par le monde, plongées dans leurs plaisirs, grisées d'honneurs et de prétentions, les sens et les facultés, ces vassaux de l'âme que Dieu leur a donnés, ne sont pas assez forts ; elles sont donc facilement vaincues, malgré leur désir de ne pas offenser Dieu, et les bonnes actions qu'elles font. Celles qui se trouvent dans cette situation devront souvent, et de leur mieux, avoir recours à Sa Majesté, demander à sa bienheureuse Mère, à ses Saints, d'intercéder et de combattre pour elles ; leurs propres serviteurs n'ont guère la force de les défendre. A la vérité, quel que soit notre état, il faut que la force nous vienne de Dieu. Plaise à Sa Majesté de nous en donner, dans sa miséricorde. Amen.
13 Quelle misérable vie nous vivons ! Mais je vous ai beaucoup dit ailleurs combien il nous est néfaste de ne pas bien comprendre ce qui touche l'humilité et la connaissance de soi (Autobiographie, chap. 13 ; Chemin de la Perfection, chap. 12 et 13), je n'insiste donc pas ici ; et encore, plaise au Seigneur que j'aie dit quelque chose qui vous soit profitable.
14 Vous remarquerez que la lumière qui émane du Palais où est le Roi n'éclaire encore qu'à peine ces premières Demeures, car bien qu'elles ne soient pas obscurcies et noires, comme c'est le cas pour l'âme en état de péché, elles sont assez sombres pour que celui qui s'y trouve ne puisse voir de clarté ; ce n'est pas que la salle ne soit pas éclairée, (je ne sais m'expliquer), mais toutes ces mauvaises couleuvres, ces vipères et ces choses venimeuses qui sont entrées avec lui ne lui permettent pas d'apercevoir la lumière : comme celui qui, pénétrant en un lieu où le ciel entre abondamment, aurait, sur les yeux, de la boue qui l'empêcherait de les ouvrir. La pièce est claire, mais il n'en jouit pas, il est gêné, et dés choses comme ces fauves et ces bêtes l'obligent à fermer les yeux et à ne voir qu'elles. Telle me semble la situation d'une âme, qui, bien qu'elle ne soit pas en mauvais état, est si mêlée aux choses mondaines, si imbue de richesses, ou d'honneurs, ou d'affaires, comme je l'ai dit, que bien qu'elle souhaiterait, en fait, voir sa beauté et en jouir, elle n'y a pas accès, et il ne semble pas qu elle puisse se faufiler entre tant d'obstacles. Il est très utile, pour obtenir de pénétrer dans les secondes Demeures, que chacun, selon son état, tâche de se dégager des choses et des affaires qui ne sont pas nécessaires. C'est d'une importance telle que j'estime impossible qu'on accède jamais à la Demeure principale sans commencer par là ; il sera même difficile de rester sans danger dans celle où on se trouve, si on a pénétré dans le château ; car au milieu de choses si venimeuses, il est impossible de n'être pas mordu.
15 Qu'adviendrait-il, mes filles, si nous qui avons déjà pénétré beaucoup plus avant, dans d'autres demeures secrètes du château, nous nous retrouvions, par notre faute, en plein tumulte, ce qui, du fait de nos péchés, est le cas de beaucoup de personnes à qui Dieu a accordé ses faveurs et qui, par leur faute, sont rejetées au sein de ces misères ? Ici, nous sommes libres extérieurement : intérieurement, plaise à Dieu que nous le soyons, et qu'il nous délivre. Gardez-vous, mes filles, des soucis qui vous sont étrangers. Considérez que rares sont les Demeures de ce château où les démons renoncent à combattre. Il est vrai qu'en certaines demeures, les gardes, je crois avoir dit que ce sont les puissances, ont la force de lutter ; mais il nous est bien nécessaire de ne point nous distraire pour comprendre leurs ruses et qu'ils ne nous trompent point, travestis en anges de lumière ; car ils peuvent nous nuire de multiples façons, en s'insinuant peu à peu et nous ne le comprenons que lorsque le mal est fait.
16 Je vous ai déjà dit (Chemin de la Perfection, chap. 38 et 39) que le démon agit comme une lime sourde, nous devons le déceler dès le début. Je veux ajouter autre chose, pour me faire mieux comprendre : il insuffle à une soeur de si vifs désirs de pénitence qu'elle n'a de repos que lorsqu'elle se tourmente. Le principe est bon, mais lorsque la prieure a ordonné de ne pas faire pénitence sans autorisation, si le démon suggère à cette soeur qu'elle peut bien passer outre, à si bonnes fins, elle mène en cachette une telle vie qu'elle en perd la santé et se trouve empêchée d'accomplir ce qu'ordonne la Règle ; vous voyez où aboutit ce bien. Il en anime une autre d'un très grand zèle pour la perfection ; c'est très bon, mais il peut découler de là que la moindre petite faute de la part de ses soeurs lui semble un grave manquement, il s'ensuit la préoccupation de les surveiller et d'en appeler à la prieure. Elle peut même en venir à ne pas voir ses propres fautes, tant elle a de zèle pour l'Ordre. Quant aux autres, elles ne comprennent pas ce qui se passe en son for intérieur, et il peut arriver qu'elles ne s'accommodent pas si bien que cela de sa vigilance.
17 Ce que recherche ici le démon, ce n'est rien de moins que refroidir la charité et l'amour des soeurs les unes pour les autres, ce qui serait fort dommage. Comprenons, mes filles, que la véritable perfection est dans l'amour de Dieu et du prochain ; plus nous observerons ces deux commandements, plus parfaites nous serons. Toute notre règle et nos Constitutions ne tendent à rien d'autre, elles ne font que nous donner le moyen de mieux les observer. Trêve de zèles indiscrets qui peuvent nous faire grand mal. Que chacune se considère elle-même. Je vous ai déjà longuement parlé de cela, je n'insisterai donc pas (Autobiographie, chap. 13 et Manière de visiter).
18 Cet amour que vous devez avoir les unes pour les autres est si important que je voudrais que vous ne l'oubliez jamais, car à force de considérer chez les autres de petits riens, qui d'ailleurs ne sont peut-être pas des imperfections, mais que, dans notre ignorance, nous prenons en mauvaise part, notre âme peut perdre la paix, et même inquiéter celle des autres ; considérez que cette perfection-là coûterait cher. Le démon pourrait aussi éveiller cette tentation chez la prieure ; ce serait plus dangereux. C'est pourquoi une grande prudence est nécessaire ; car lorsqu'il s'agit de choses contraires à la Règle et aux Constitutions, il ne faut pas toujours les prendre en bonne part, mais l'avertir, et si elle ne s'amende point, en appeler au supérieur ; voilà la charité. De même vis-à-vis des soeurs, s'il s'agit d'une chose grave ; la vraie tentation serait de tout laisser faire de peur que ce soit une tentation. Il faut prendre bien garde, pour que le démon ne nous abuse point, de ne point parler de cela entre nous, il pourrait en tirer un grand avantage et introduire l'habitude de la médisance, mais uniquement à celle qui agira utilement, comme je l'ai dit. Cela ne nous concerne guère puisque ici, grâce à Dieu, nous observons un silence continuel, mais il est bon que nous soyons sur nos gardes.




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Message par Francesco Dim 21 Nov 2010 - 20:48

Vous remarquerez que la lumière qui émane du Palais où est le Roi n'éclaire encore qu'à peine ces premières Demeures, car bien qu'elles ne soient pas obscurcies et noires, comme c'est le cas pour l'âme en état de péché, elles sont assez sombres pour que celui qui s'y trouve ne puisse voir de clarté ; ce n'est pas que la salle ne soit pas éclairée, (je ne sais m'expliquer), mais toutes ces mauvaises couleuvres, ces vipères et ces choses venimeuses qui sont entrées avec lui ne lui permettent pas d'apercevoir la lumière : comme celui qui, pénétrant en un lieu où le ciel entre abondamment, aurait, sur les yeux, de la boue qui l'empêcherait de les ouvrir. La pièce est claire, mais il n'en jouit pas, il est gêné, et dés choses comme ces fauves et ces bêtes l'obligent à fermer les yeux et à ne voir qu'elles. Telle me semble la situation d'une âme, qui, bien qu'elle ne soit pas en mauvais état, est si mêlée aux choses mondaines, si imbue de richesses, ou d'honneurs, ou d'affaires, comme je l'ai dit, que bien qu'elle souhaiterait, en fait, voir sa beauté et en jouir, elle n'y a pas accès, et il ne semble pas qu elle puisse se faufiler entre tant d'obstacles. Il est très utile, pour obtenir de pénétrer dans les secondes Demeures, que chacun, selon son état, tâche de se dégager des choses et des affaires qui ne sont pas nécessaires.
Ces textes du Chteau de l'ame sont nécessaires a lire a quiconque veut vraiment avancer ds son cheminement spirituel...


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Message par Francesco Lun 22 Nov 2010 - 16:43

2e Demeure de l'ame:

DEUXIEMES DEMEURES

CHAPITRE PREMIER SUITE

De la valeur de la persévérance, pour atteindre aux dernières Demeures, du vif combat que livre le démon, et combien il est utile de ne pas se tromper de chemin au début. D'un moyen dont elle a fait l'expérience efficace.

1 Venons-en maintenant à parler des âmes qui pénètrent dans les deuxièmes Demeures, et de ce qu'elles y font. Je voudrais le faire brièvement, car je m'en suis occupée bien longuement ailleurs (Autobiographie, chap. 11-13 ; Le Chemin de la Perfection, chap.20-29), il me serait impossible de ne pas me répéter, je ne me rappelle rien de ce que j'ai dit ; si je pouvais cuisiner cela de différentes façons, je sais bien que vous n'en seriez pas fâchées, puisque nous ne nous lassons jamais des livres qui traitent de ces sujets, si nombreux soient-ils.
2 Il s'agit de ceux qui ont déjà commencé à faire oraison et compris l'importances pour eux, de ne pas en rester aux premières Demeures ; mais, souvent, ils ne sont pas encore assez déterminés à ne pas y rester, ils ne s'éloignent pas encore des occasions, ce qui est fort dangereux. Dieu leur fait une bien grande miséricorde lorsqu'ils cherchent par instants à fuir les couleuvres et choses venimeuses, et comprennent qu'il est bon de les fuir. Ceux-là, pour une part, peinent beaucoup plus que les premiers, mais ils sont beaucoup moins exposés ; ils semblent connaître le danger, et il y a grand espoir de les voir pénétrer plus avant. Je dis qu'ils peinent plus, parce que les premiers sont comme des muets qui entendraient rien ; ils supportent donc mieux l'épreuve de ne pas parler que ceux qui entendraient sans pouvoir parler : ce serait bien plus pénible. Mais on n'en désire pas pour autant ne pas entendre, car, enfin, c'est une grande chose que de comprendre ce qu'on nous dit. Donc, ceux-là entendent les appels du Seigneur ; ils se rapprochent du séjour de Sa Majesté, il est trés bon voisin, et sa miséricorde et sa bonté sont si grandes que même au milieu de nos passe-temps, de nos affaires, de nos plaisirs et des voleries du monde, même lorsque nous tombons dans le péché, et nous en relevons, (ces bêtes sont si venimeuses, leur compagnie est si dangereuse et si tapageuse qu'il serait merveilleux de ne trébucher ni tomber), ce Seigneur, malgré tout, apprécie tellement que nous l'aimions et recherchions sa compagnie qu'il ne manque pas, un Jour ou l'autre, de nous appeler, pour nous inviter à nous approcher de Lui ; et cette voix est si douce que la pauvre âme se consume de ne pouvoir faire immédiatement ce qu'il lui ordonne ; c'est pourquoi, comme je l'ai dit, elle est bien plus en peine que si elle ne l'entendait point.
3 Je ne dis pas que cette voix et ces appels ressemblent à ceux dont je parlerai plus loin ; s'il s'agit de paroles de gens de bien, de sermons, de ce qu'on lit dans de bons livres, de beaucoup de choses que vous avez entendues, et qui sont un appel de Dieu, également des maladies, des épreuves, des vérités aussi qu'il nous enseigne dans ces moments que nous consacrons à l'oraison ; si paresseusement que vous vous y adonniez, Dieu prise cela très haut. Et vous, mes soeurs, ne méprisez point cette première faveur, sans toutefois vous désoler lorsque vous ne répondez pas immédiatement au Seigneur, Sa Majesté sait bien attendre de longs jours, des années, en particulier quand elle voit en nous de bons désirs, étude la persévérance. C'est ce qu'il y a de plus nécessaire ici ; avec la persévérance, on ne manque jamais de beaucoup gagner. Mais la batterie que fomentent sous mille formes les démons est terrible, et bien plus pénible à l'âme que dans la demeure antérieure ; là-bas, elle était muette et sourde, du moins elle n'entendait guère et résistait moins, comme ceux qui ont perdu en partie l'espérance de vaincre. Ici l'entendement est plus vif, les puissances plus habiles ; les coups et la canonnade sont tels que l'âme ne peut manquer de les entendre. Les démons proposent ces couleuvres que sont les choses du monde, ils présentent, comme éternelles, en quelque sorte, ses joies, l'estime dans laquelle il nous tient, les amis et parents, la santé par rapport aux choses de la pénitent (car toujours, l'âme qui entre dans cette demeure, se met à souhaiter de se mortifier un peu), et mille autres sortes d'obstacles.
4 Ô Jésus ! quel train mènent ici les démons, quelle affliction est celle de la pauvre âme qui ne sait si elle doit avancer ou retourner à la première Demeure ! Car la raison, d'autre part, lui montre qu'elle se leurre beaucoup si elle s'imagine que tout cela n'est rien, comparé avec ce qu'elle recherche. La foi l'instruit de ce qui lui est réservé. La mémoire lui représente à quoi aboutit tout cela, elle lui rappelle la mort de ceux qui ont beaucoup joui de ces choses qu'elle a vues, dont quelques-uns, morts subitement, sont bientôt oubliés de tous ; elle a vu fouler aux pieds Ceux quelle avait connus en pleine prospérité, elle est passée elle-même sur leur sépulture, elle a songé que dans ce corps grouillaient beaucoup de vers, et tant d'autres choses que la mémoire peut lui rappeler. La volonté est portée à aimer, lorsqu'elle a vu tant de marques d'amour et de choses innombrables, elle voudrait les payer de retour ; en particulier, il lui apparaît que ce véritable amant ne la quitte jamais, il l'accompagne, il lui donne la vie et l'être. Aussitôt, l'entendement accourt lui faire entendre qu'elle ne peut se faire un meilleur ami, quand elle vivrait bien des années ; que le monde entier est plein de fausseté ; et ses plaisirs (ceux que lui procure le démon), pleins de peines, de soucis, et de contrariétés ; il lui dit qu'elle est certaine de ne trouver ni sécurité, ni paix hors de ce château ; qu'elle cesse donc d'aller dans des maisons étrangères puisque la sienne regorge de biens, si elle veut en jouir ; qui donc pourrait trouver comme elle tout ce dont elle a besoin dans sa maison, en particulier un pareil hôte, si elle ne veut pas se perdre comme l'enfant prodigue, et manger la nourriture des porcs.
5 Ce sont là des raisons pour vaincre les détenons. Mais, ô Seigneur et mon Dieu ! Les habitudes de la vanité, où tout le monde est engagé, corrompent toutes choses ! La foi est si morte que nous préférons ce que nous voyons à ce qu'elle nous dit ; à la vérité, nous ne voyons pourtant qu'infortunes chez ceux qui poursuivent ces choses visibles. C'est le fait de ces choses venimeuses dont nous avons parlé ; comme celui que mord une vipère est tout entier empoisonné, enflé, il en est de même ici-bas, et nous ne nous en préservons pas. Évidemment, de nombreux traitements seront nécessaires pour guérir, et c'est déjà une fort grande faveur de Dieu que de n'en pas mourir. Vrai, l'âme souffre ici de grandes peines, en particulier si le démon comprend que son caractère et ses habitudes la prédisposent à aller très loin ; alors, tout l'enfer se conjuguera pour l'obliger à s'en retourner et à sortir du château.
6 Ah, mon Seigneur ! Ici votre aide est nécessaire, sans elle on ne peut rien. Par votre miséricorde, ne permettez pas que cette âme soit dupée, et incitée à abandonner ce qu'elle a commencé. Éclairez-la, pour qu'elle voie que tout son bonheur en dépend, et qu'elle évite les mauvaises compagnies. Car c'est une chose immense que de fréquenter ceux qui parlent de tout cela, de rechercher, non seulement ceux qu'elle rencontre dans les mêmes salles qu'elle, mais ceux dont elle comprend qu'ils ont pénétré plus avant ; ils l'aideront beaucoup, et ces conversations peuvent les inciter à l'admettre en leur compagnie. Songez toujours à ne pas vous laisser vaincre, car si le démon vous voit bien déterminé à perdre la vie, le repos, tout ce qu'il vous offre, plutôt que de retourner à la première salle, il vous lâchera beaucoup plus vite. Soyez un homme, et pas de ceux qui se jetaient à plat ventre pour boire quand ils allaient au combat, je ne me rappelle plus avec qui (Gédéon), mais montrez votre résolution, vous allez vous battre contre tous les démons, et il n'est meilleures armes que celles de la croix.
7 Ce qui va suivre est si important que, bien que je l'aie déjà dit d'autres fois (Autobiographie, chap. 11), je le répète ici. Voici : ne vous dites point qu'il y a des joies dans ce que vous entreprenez, ce serait une façon bien basse de commencer à bâtir un si vaste et si précieux édifice, et si vous fondez sur le sable, tout croulera : vous n'en finirez pas d'être mécontents et tentés. Car ce n'est pas dans ces Demeures que pleut la manne, mais plus loin, là où tout a la saveur de ce qu'aime l'âme, parce qu'elle ne veut que ce que Dieu veut. C'est du joli ! Nous sommes encore en proie à mille difficultés et imperfections, les vertus ne savent pas encore marcher, à peine commencent-elles à naître, et plaise même à Dieu qu'elles aient commencé, et nous n'avons pas honte de vouloir des douceurs dans l'oraison et te nous plaindre de nos sécheresses ! Que cela ne vous arrive jamais, mes soeurs ; embrassez la croix que votre Époux a portée, et comprenez que ce sont là vos hauts faits ; que la plus apte à souffrir souffre pour Lui davantage, et elle sera la mieux préservée. Le reste n'est qu'accessoire ; si le Seigneur vous l'accorde, remerciez-le bien.
8 Vous vous croirez bien décidées à affronter les peines extérieures, à condition que Dieu vous dorlote intérieurement. Sa Majesté sait mieux que nous ce qui nous convient ; nous n'avons pas à lui conseiller ce qu'Elle doit nous donner, elle peut nous dire avec raison que nous ne savons pas ce que nous demandons (Mt 20,22). Quiconque débute dans l'oraison (n'oubliez pas cela, c'est très important), doit avoir l'unique prétention de peiner, de se déterminer, de se disposer, aussi diligemment que possible, à conformer sa volonté à celle de Dieu ; et comme je le dirai plus loin, soyez bien certaines que telle est la plus grande perfection qu'on puisse atteindre dans la voie spirituelle. Vous recevrez d'autant plus du Seigneur que vous observerez cela plus parfaitement, et vous avancerez d'autant mieux sur cette voie. Ne croyez pas qu'il y ait là des complications arabes, des choses ignorées et secrètes : tout notre bonheur consiste en cela. Mais si nous nous trompons au début, si nous voulons immédiatement que le Seigneur fasse notre volonté, qu'il nous conduise comme nous l'imaginons, quelle peut être la solidité de l'édifices ? Tâchons de faire ce qui dépend de nous, et gardons-nous de cette vermine venimeuse ; le Seigneur veut souvent que de mauvaises pensées nous poursuivent et nous affligent sans que Nous parvenions à les chasser, il permet les sécheresses, il consent même parfois à ce que nous soyons mordus pour mieux savoir nous garder à l'avenir, et mettre à l'épreuve notre profond regret de l'avoir offensé.
9 S'il vous arrive de tomber, ne vous découragez pas, ne renoncez pas à vous efforcer d'avancer, Dieu tirera du bien de cette chute même, comme celui qui vend la thériaque commence par boire du poison, pour s'assurer de sa bonne qualité. Quand cela ne suffirait qu'à nous montrer notre misère, le grand tort que nous fait l'éparpillement où nous vivons, nos luttes, dans cette batterie, pour retrouver le recueillement, ce serait beaucoup. Est-il plus grand malheur que de ne pas nous retrouver nous-même dans notre propre maison ? Quel espoir de trouver le repos dans d'autres maisons, si nous ne pouvons nous reposer chez nous ? Car nos grands, nos vrais amis et parents, ceux avec lesquels, même malgré nous, nous devons vivre toujours, c'est-à-dire nos puissances, semblent nous faire la guerre, comme si elles nous gardaient rancune de celle que nos vices leur ont faite. La paix, la paix, mes soeurs, a dit bien souvent le Seigneur, en admonestant ses disciples (Jn 10,21). Croyez-moi donc : si nous ne la possédons pas, si nous ne la recherchons pas dans notre maison nous ne la trouverons pas chez des étrangers. Il faut mettre fin à cette guerre ; par le sang qu'il a versé, je le demande à ceux qui n'ont pas commencé à rentrer en eux-mêmes ; quant à ceux qui ont commence ; ce combat ne doit pas suffire a les faire retourner en arrière. Qu'ils considèrent que la rechute est pire que la chute ; déjà, il voient ce qu'ils ont perdu ; qu'ils se fient à la miséricorde de Dieu, nullement à eux-mêmes, et ils verront Sa Majesté les conduire de Demeures en Demeures, et les introduire en un pays où ces bêtes féroces ne pourront ni les touchers ni les épuiser ; ils les assujettiront toutes et se moqueront d'elles, et ils jouiront de beaucoup plus de biens qu'ils ne pourraient en désirer, je le dis, même dès cette vie.
10 Je vous ai dit au début que j'ai écrit comment vous devez affronter les troubles que le démon suscite ici (Autobiographie, chap. 11 et 19) et qu'il ne s'agit pas, quand on commence à se recueillir, de s'y employer à la force du poignet, mais avec douceur, afin de s'y tenir plus longuement, je n'en parlerai donc pas davantage ici ; je dirai seulement qu'à mon avis il est très important d'en conférer avec des personnes expérimentées, car lorsque vous aurez à vaquer à des occupations nécessaires, vous imaginerez faillir gravement au recueillement. Tant qu'on ne l'abandonnera point, le Seigneur dirigera tout pour notre bien, même si nous ne trouvons personne pour nous instruire ; mais contre ce mal, l'abandon, il n'y a d'autre remède que de recommencer, sinon l'âme se perd un peu plus chaque jour, et encore plaise à Dieu qu'elle le comprenne !
11 Certaines pourront penser que puisqu'il est si grave de retourner en arrière, mieux vaudrait ne jamais commencer, et rester en dehors du château. Je vous l'ai dit au début, et le Seigneur lui-même le dit, celui qui vit dans le danger y périt (d'après Qo 3,27), et la porte d'entrée dans ce château est l'oraison. Songer que nous devons entrer dans ce château sans rentrer en nous-même, nous connaître, considérer cette misère, ce que nous devons à Dieu, et sans lui demander souvent miséricorde, c'est de la folie. Le Seigneur lui-même le dit : " Nul ne parviendra à mon Père si ce n'est par moi (Jn 14,6) " ; je ne sais s'il le dit en ces termes, je crois que oui ; et " Qui me voit, voit mon Père (Jn 14,9) ". Donc, si nous ne le regardons jamais, si nous ne considérons pas ce que nous lui devons et la mort qu'il a subie pour nous, je ne sais comment nous pouvons le connaître, ni agir à son service. Car la foi sans les oeuvres, et sans que ces oeuvres tirent leur valeur des mérite, de Jésus-Christ, notre bien, quelle valeur peut-elle avoir ? Et qui nous excitera à aimer ce Seigneur ? Plaise à Sa Majesté de nous faire comprendre tout ce que nous lui coûtons, que le serviteur n'est pas plus que son Seigneurs (Mt 10,24), que nous devons travailler pour jouir de sa gloire, et qu'il nous est nécessaire pour cela de prier, afin de ne pas vivre toujours en tentations (Mt 26,40).

SUITE



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Message par Francesco Lun 22 Nov 2010 - 16:54

Il s'agit de ceux qui ont déjà commencé à faire oraison et compris l'importances pour eux, de ne pas en rester aux premières Demeures ; mais, souvent, ils ne sont pas encore assez déterminés à ne pas y rester, ils ne s'éloignent pas encore des occasions, ce qui est fort dangereux. Dieu leur fait une bien grande miséricorde lorsqu'ils cherchent par instants à fuir les couleuvres et choses venimeuses, et comprennent qu'il est bon de les fuir.


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Message par Francesco Mar 23 Nov 2010 - 23:46

3e Demeure:
TROISIEMES DEMEURES

CHAPITRE PREMIER SUITE

Comme quoi nous ne sommes guère en sécurité tant que nous vivons dans cet exil, même si nous y avons atteint un degré élevé, et qu'il sied d'avoir crainte.

1 " Bienheureux l'homme qui craint le Seigneur (Ps 61,1) " : que dirons-nous d'autre à ceux qui, par la miséricorde de Dieu, ont remporté la victoire dans ces combats, et sont entrés, par leur persévérance dans les Troisièmes Demeures ? Sa Majesté a beaucoup fait en m'aidant à comprendre en castillan, le sens de ce verset, tant j'y suis inhabile. Certes, nous avons raison d'appeler cet homme-là bienheureux, car s'il ne retourne pas en arrière, à ce que nous comprenons, il est sur le bon chemin du salut. Vous verrez ici, mes soeurs, combien il importe de remporter la victoire dans les batailles précédentes ; car je tiens pour certain que le Seigneur ne manque jamais de donner au vainqueur la sécurité de conscience, ce qui n'est pas un mince avantage. J'ai dit : la sécurité, et je me suis mal exprimée, car il n'en est pas en cette vie ; comprenons donc toujours que je sous-entends : si l'âme ne s'écarte pas à nouveau du chemin dans lequel elle s'est engagée. :
2 C'est une fort grande misère que cette vie où nous devons vivre toujours comme ceux qui, l'ennemi aux portes, ne peuvent ni dormir ni manger sans armes, toujours inquiets qu'ils n'ouvrent quelque brèche dans cette forteresse. Ô mon Seigneur et mon Bien ! Comment voulez-vous que nous désirions une vie si misérable alors qu'il nous est impossible de ne pas vouloir et demander que vous nous en sortiez, sauf si nous avons l'espérance de la donner pour Vous, de la dépenser vraiment à votre service, et, surtout, de comprendre que telle est votre volonté ? Si vous le voulez, mon Dieu, mourons avec Vous, comme l'a dit saint Thomas (Jn 11,16), car vivre sans Vous, en redoutant de vous perdre à jamais, c'est mourir plusieurs fois, et rien d'autre. C'est pourquoi je dis, mes filles, que la béatitude que nous devons demander c'est d'être en sécurité dès maintenant, avec les bienheureux, car au milieu de ces craintes, quelle satisfaction peut trouver celui dont la seule satisfaction est de satisfaire Dieu ? Considérez que certains saints qui avaient ce bonheur à un bien plus haut degré, sont tombés gravement dans le péché ; et nous n'avons pas l'assurance que Dieu nous tendra la main pour en sortirs (je parle du secours personnel), et faire, comme eux, pénitence.
3 Vraiment, mes filles, j'écris ceci dans un tel état de crainte que je ne sais comment je l'écris, ni comment je vis quand j'y songe, et c'est bien souvent. Demandez, mes filles, que Sa Majesté vive toujours en moi ; sinon, comment se sentir en sécurité dans une vie aussi mal employée que la mienne ? Ne vous affligez pas d'entendre qu'il en est ainsi, comme vous l'avez souvent fait lorsque je vous en ai parlé, car vous me voudriez très sainte, et vous avez raison, je le voudrais bien, moi aussi. Mais qu'y puis-je, puisque c'est uniquement par ma faute que j'ai tant perdu ! Je ne me plaindrai point de Dieu, dont l'aide n'a pas suffi pour que vos voeux s'accomplissent ; je ne puis parler ainsi sans larmes, et je suis dans une grande confusion d'écrire quoi que ce soit pour vous qui pourriez m'instruire, moi. Il me fut bien dur d'obéir ! Plaise au Seigneur, puisque je le fais pour Lui, que cela vous serve à quelque chose, et que vous lui demandiez de pardonner à cette misérable effrontée. Mais Sa Majesté sait bien que je ne puis me flatter que de sa miséricorde, et puisque je ne puis nier ce que j'ai été, je n'ai d'autre remède que de m'en remettre à Elle, de me fier aux mérites de son Fils et de la Vierge, sa mère, dont je porte indignement l'habit que vous portez aussi. Louez-le, mes filles, d'être vraiment les filles de cette mère ; vous n'avez donc pas sujet de rougir de ma misère, puisque vous avez une si bonne mère. Imitez-la, considérez quelle doit être la grandeur de cette Dame et le bonheur de l'avoir pour patronne puisque mes péchés et le fait que je sois celle que je suis n'ont nullement discrédité ce saint Ordre.
4 Mais Je vous avertis d'une chose : bien que filles d'une telle mère, ne soyez pas sures de vous, car David était très saint, et vous voyez ce que fut Salomon. Ne vous prévalez pas de la clôture et de la pénitence où vous vivez ; Dieu est le seul sujet de vos entretiens, vous vous exercez continuellement à l'oraison vous êtes si éloignées des choses du monde que vous les avez, vous semble-t-il, en abomination, tout cela est bon, mais ne suffit point, comme je l'ai dit, à nous délivrer de toute crainte ; continuez donc ce verset, et rappelez-le souvent à votre mémoire : BEATUS VIR, QUI TIMET DOMINUM (Ps 61,1).
5 Je ne sais plus ce que je disais, je me suis beaucoup écartée de mon sujet, dés que je pense à moi, mes ailes se brisent, je ne puis rien dire de bon ; je coupe donc court pour l'instant, et je reviens aux âmes qui sont entrées dans les Troisièmes Demeures : la faveur que le Seigneur leur a faite de passer outre aux premières difficultés n'est pas mince, mais très grande. Ces âmes, de par la bonté de Dieu, sont, je le crois, nombreuses en ce monde : vivement désireuses ne pas offenser Sa Majesté, elles se gardent même des péchés véniels et sont amies de la pénitence, elles réservent des heures au recueillement, emploient bien leur temps, s'appliquent aux oeuvres de charité envers le prochain, un ordre harmonieux règne dans leur langage, leurs vêtements, et dans le gouvernement de leur maison, si elles en ont. C'est, certes, un état souhaitable, il n'y a, semble-t-il, aucune raison de leur refuser l'entrée de la Dernière Demeure, le Seigneur ne la leur refusera point, si elles le veulent ; c'est une très belle disposition pour obtenir de lui toute grâce.
6 Ô Jésus ! Laquelle d'entre vous prétendrait ne pas vouloir un si grand bien, surtout après être passée par ce qu'il y a de plus ardu ? Non, personne. Nous disons toutes que nous le voulons ; mais il faut bien davantage pour que le Seigneur possède l'âme tout entière, il ne suffit pas de le dire, comme cela n'a pas suffi au jeune homme à qui le Seigneur demanda s'il voulait être parfaits (Mt 19,16-22). J'y songe depuis que j'ai commence à parler de ces Demeures, car nous sommes ainsi, à la lettre, et les grandes sécheresses dans l'oraison viennent habituellement de là, bien qu'il y ait aussi d'autres causes. Je ne dis rien des épreuves intérieures, et elles sont intolérables, que bien des bonnes âmes subissent sans être moindrement coupables et dont le Seigneur les délivre toujours avec de grands bénéfices, ni de celles qui souffrent de mélancolie, ou d'autres maladies. Enfin, en toutes choses, nous devons faire la part du jugement de Dieu. Quant à moi, je crois que la cause la plus habituelle de la sécheresse est celle que j'ai dite ; car ces âmes, qui voient que pour rien au monde elles ne commettraient un péché mortel, ni même souvent un véniel de propos délibéré et qui emploient bien leur vie et leur fortune, s'impatientent pourtant de voir se fermer devant elles la porte qui conduit à l'appartement de notre Roi dont elles s'estiment les vassales, et elles le sont effectivement. Mais bien que le Roi de la terre ait de nombreux vassaux en ce lieu, ils ne pénètrent pas tous dans sa chambre. Entrez, entrez, mes filles, à l'intérieur ; dépassez vos oeuvres mesquines, car en tant que chrétiennes, vous devez tout cela et beaucoup plus ; il vous suffit d'être les vassales de Dieu : ne demandez pas trop, vous n'auriez plus rien. Regardez les saints qui sont entrés dans la chambre de ce roi, vous verrez quelle différence il y a entre eux et nous. Ne demandez pas ce que vous n'avez pas mérité ; nous avons beau Le servir, l'idée que nous, qui avons offensé Dieu, puissions mériter ce qu'il accorde aux saints, ne devrait même pas nous venir à la pensée.
7 Ô humilité, humilité ! Je ne sais pourquoi je suis tentée, dans ce cas, de ne pas me résoudre à croire que celles qui font un tel cas de ces sécheresses ne manquent pas un peu d'humilité. Je répète qu'il ne s'agit pas des grandes épreuves intérieures dont j'ai parlé, elles sont beaucoup plus pénibles qu'un manque de ferveur. Mettons-nous à l'épreuve nous-mêmes, mes soeurs, ou que le Seigneur nous éprouve, il s'en acquitte très bien, quoique souvent nous ne voulions pas le comprendre, et revenons à ces âmes si bien disposées ; voyons ce qu'elles font pour Dieu, et nous verrons aussitôt que nous n'avons nulle raison de nous plaindre de Sa Majesté. Si lui tournant le dos, nous nous en allons tristement, comme le jeune homme de l'Évangile, quand Elle nous dit ce que nous devons faire pour être parfaits, que voulez-vous que fasse Sa Majesté, qui doit mesurer sa récompense à l'amour que nous lui portons ? Et cet amour, mes filles, ne doit pas être fabriqué par notre imagination, mais prouvé par des oeuvres ; et ne croyez pas que le Seigneur ait besoin de nos oeuvres, mais de la décision de notre volonté.
8 Nous qui portons l'habit d'un Ordre religieux, qui l'avons pris volontairement, et avons quitté toutes les choses du monde et ce que nous possédions pour Lui (n'aurions-nous quitté que les filets de saint Pierre, cela semble beaucoup à qui donne tout ce qu'il a), nous croyons avoir déjà tout accompli. C'est une fort bonne disposition si nous persévérons et si nous ne retournons pas nous fourrer à nouveau au milieu de la vermine des premières pièces, n'en aurions-nous que le désir, il n'y a pas de doute, si nous persévérons dans ce dénuement et cet abandon de tout, nous atteindrons notre but. Mais ce sera à une condition, que je vous demande de bien considérer : regardez-vous comme des serviteurs inutiles, selon l'expression de saint Paul ou du Christ (Lc 17,10), et croyez que rien n'oblige Notre-Seigneur à vous faire de telles faveurs ; votre dette est même d'autant plus forte que vous avez plus reçu. Que pouvons-nous faire pour un Dieu si généreux, qui est mort pour nous, qui nous a créés et nous donne l'être ? Ne pouvons-nous nous estimer très heureuses quand il se dédommage un peu de ce que nous lui devons pour tous les services qu'il nous a rendus, sans lui demander de nouvelles faveurs et de nouveaux régals ? (J'ai employé à contre coeur ce mot de service, mais c'est ainsi, il n'a fait que nous servir tout le temps qu'il a vécu sur la terre.)
9 Considérez bien, mes filles, certaines des choses qui sont marquées ici, quoique confusément, car je ne sais m'expliquer mieux. Le Seigneur vous aidera à les comprendre pour que dans les sécheresses vous puisiez de l'humilité, et non de l'inquiétude, comme le voudrait le démon ; croyez qu'à celles qui sont vraiment humbles, même s'il ne leur accorde point ses délices, Dieu donnera une paix et une acceptation qui les rendront plus heureuses que certains de ceux qu'Il régale. Car souvent, comme vous l'avez lu, Sa Divine Majesté réserve ces douceurs aux plus faibles ; je crois toutefois qu'ils ne les échangeraient pas pour la force de ceux qui vivent dans la sécheresse. Nous sommes enclins à préférer les joies à la croix. Éprouve-nous, Seigneur, Toi qui sais la vérité, afin que nous nous connaissions.




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Message par Francesco Mar 23 Nov 2010 - 23:57

je coupe donc court pour l'instant, et je reviens aux âmes qui sont entrées dans les Troisièmes Demeures : la faveur que le Seigneur leur a faite de passer outre aux premières difficultés n'est pas mince, mais très grande. Ces âmes, de par la bonté de Dieu, sont, je le crois, nombreuses en ce monde : vivement désireuses ne pas offenser Sa Majesté, elles se gardent même des péchés véniels et sont amies de la pénitence, elles réservent des heures au recueillement, emploient bien leur temps, s'appliquent aux oeuvres de charité envers le prochain, un ordre harmonieux règne dans leur langage, leurs vêtements, et dans le gouvernement de leur maison, si elles en ont.


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Message par Francesco Mer 24 Nov 2010 - 23:41

3e Demeure:
TROISIEMES DEMEURES

CHAPITRE II SUITE

Suite du même sujet. Des sécheresses dans l'oraison, de ce qui peut s'ensuivre, de la nécessité de nous mettre à l'épreuve. De la manière dont le Seigneur éprouve ceux qui ont atteint ces Demeures.

1 J'ai connu quelques âmes, je crois même pouvoir dire que j'en ai connu beaucoup, qui, parvenues à cet état, ont vécu de longues années dans cette droiture et cette harmonie, corps et âme, pour autant que l'on puisse en juger ; elles semblaient avoir déjà maîtrisé le monde, ou du moins être bien déçues par lui, mais lorsque Notre-Seigneur les soumit à des épreuves peu importantes, leur inquiétude fut telle, leur coeur fut si serré, que j'en fus éberluée et même fort effrayée. Il est vain de les conseiller, elles sont depuis si longtemps consacrées à la vertu qu'elles se croient capables de l'enseigner aux autres et n'avoir que trop de raisons de regretter ces épreuves.
2 Enfin, pour consoler ces personnes, je n'ai trouvé d'autre remède que de beaucoup compatir à leur peine (c'est pitié, à la vérité, que de les voir asservies à toutes ces misères), sans contester leurs raisons ; elles imaginent toutes qu'elles souffrent pour Dieu, et n'arrivent donc pas à comprendre que c'est une imperfection. C'est une idée fausse de plus de la part de gens si avancés ; nous ne pouvons nous étonner qu'ils s'en affligent, bien qu'à mon avis, semblable affliction devrait être passagère. Dieu veut souvent que ses élus ressentent leur misère, Il détourne un peu sa faveur, et il n'en faut pas plus, on peut le dire hardiment, pour que nous ayons tôt fait de nous connaître. On comprend immédiatement que c'est une épreuve, car ils comprennent, eux, très clairement, leur faute ; il leur arrive d'être peinés de leur impuissance à maîtriser l'affliction que leur causent des choses terrestres de bien peu de poids plus que de l'épreuve elle- même. J'y vois une : grande miséricorde de Dieu, car bien que ce soit une faute, elle fait beaucoup gagner en humilité.
3 Mais il n'en est pas ainsi des personnes dont je parlais, car, comme je l'ai dit, elles canonisent ces choses dans leur pensée, et elles voudraient que les autres les canonisent également. Je veux vous citer quelques cas, afin que nous nous connaissions et nous mettions nous-même à l'épreuve avant que le Seigneur ne nous éprouve ; nous aurions grand avantage à être lucides et les premières à nous connaître.
4 Une personne riche, sans enfants, sans personne pour qui elle puisse désirer de la fortune, vient à perdre une partie de ses biens, mais ce qui en reste suffit à lui assurer le nécessaire pour elle, sa maison, et même au-delà. Si cet homme se montrait aussi trouble, aussi inquiet que s'il ne lui restait plus un pain à manger, comment Notre-Seigneur lui demanderait-il de tout quitter pour Lui ? Mais un autre s'afflige parce qu'il veut pouvoir donner aux pauvres. Je crois que Dieu préfère à cette charité que je me soumette à la volonté de Sa Majesté, et tout en cherchant à recouvrer mes biens, que je maintienne mon âme en paix. S'il n'y parvient pas, le Seigneur ne l'ayant pas élevé aussi haut, à la bonne heure, mais qu'il comprenne que cette liberté d'esprit lui manque ; il se disposera alors à la recevoir du Seigneur, car il la lui demandera. Une personne a largement de quoi manger, et même plus qu'il ne lui en faut ; un moyen s'offre à elle d'accroître sa fortune ; prendre ce qu'on lui donne, à la bonne heure, passons ; mais le rechercher, et lorsqu'elle l'a, en rechercher plus, et plus encore, quelles que soient ses bonnes intentions, (et elle doit en avoir, car, comme je l'ai dit, il s'agit de personnes d'oraison, et vertueuses), elle n'a pas à craindre de monter jusqu'aux demeures les plus proches du Roi.
5 Il en est de même s'il leur arrive d'offrir quelque prise au mépris ou si on porte légèrement atteinte à leur honneur ; quoique Dieu leur fasse souvent la grâce de bien le prendre, (notre Bien est très bon, Il est enclin à favoriser publiquement la vertu, pour que l'estime dans laquelle on tient ceux qui l'ont servi ne souffre en rien) ils ne sortent pas de sitôt d'un état d'inquiétude insupportable. Dieu secourable ! Ne s'agit-il pas de gens qui considèrent depuis longtemps combien le Seigneur a souffert, qui savent que la souffrance est bonne, et même qui la désirent ? Ils voudraient que chacun organise sa vie aussi bien qu'ils le font, et encore plaise a Dieu qu ils ne s'imaginent pas qu'ils souffrent par la faute des autres et ne s'en octroient point, en pensée, le mérite.
6 Il vous semblera, mes soeurs, que je parle mal à propos, et pas a votre adresse : on ne voit ici rien de semblable, puisque ne possédant aucun bien nous n'en voulons pas, nous n'en recherchons pas, et que nul non plus ne nous fait injure. Ces comparaisons ne se rapportent donc point à ce qui se passe ici, mais on en déduit beaucoup d'autres choses qui pourraient s'y passer et qu'il ne serait ni bon ni utile d'indiquer. Elles vous aideront à reconnaître si vous êtes bien dépouillées de tout ce que vous avez quitté ; car de petites choses s'offrent à vous, moins graves, certes, que tout cela, qui peuvent vous aider à vous éprouver et à comprendre si vous êtes maîtresses de vos passions. Et croyez-moi, l'affaire n'est pas de porter ou non un habit religieux, mais de chercher à nous exercer dans la vertu, de soumettre en toutes choses notre volonté à celle de Dieu, et de conformer notre vie à ce que Sa Majesté dispose ; ne désirons point que notre volonté se fasse, mais la siennes (Lc 22,42). Tant que nous n'en serons pas là, comme je l'ai dit, de l'humilité ! C'est l'onguent de nos plaies ; car si nous sommes vraiment humbles, même s'il tarde un peu, le chirurgien, qui est Dieu, viendra nous guérir.
7 Les pénitences de ces âmes sont aussi bien organisées que leur existence. Elles aimaient beaucoup leur vie mise au service de Notre-Seigneur, et tout cela n'est point mauvais, mais elles ne se mortifient que très prudemment, pour que leur santé n'en pâtisse point. Ne craignez pas qu'elles se tuent, elles sont en possession de leur raison, l'amour ne les fait pas encore déraisonner. Mais je voudrais qu'elle nous incite, notre raison, à ne pas nous contenter toujours de cette manière de servir Dieu, à pas traînant, car nous n'arriverions jamais au bout du chemin. Et comme nous imaginons être toujours en marche, et que nous nous fatiguons, (car croyez-le, cette route est accablante), ce sera déjà bien que nous ne nous perdions point. Mais pensez-vous, mes filles, qu'il puisse être bon, lorsqu'il nous est loisible d'aller d'un pays à un autre en huit jours, de faire le trajet en un an, au hasard des auberges, de la neige, des pluies, et des mauvais chemins ? Ne vaudrait il pas mieux en finir une bonne fois ? Car à tout cela s'ajoute le danger des serpents. Oh ! les bons exemples que je pourrais en donner ! Plaise à Dieu que je sois sortie de là, il me semble bien souvent que non.
8 Nous sommes de si grands cerveaux que tout nous offense, car nous avons peur de tout ; ainsi, nous n'osons pas aller de l'avant, tout comme si nous nous savions capables d'atteindre ces Demeures, et que d'autres fassent le chemin. Puisque c'est impossible, prenons courage, mes soeurs, pour l'amour du Seigneur ; remettons notre raison et nos craintes entre ses mains oublions cette faiblesse naturelle, dont il nous arrive de beaucoup tenir compte. Le soin de nos corps regarde nos supérieurs à eux d'y pourvoir ; le nôtre est de marcher à vive allure pour voir ce Seigneur ; car les aises dont vous jouissez ont beau être nulles, à peu de choses près, le souci que nous avons de notre santé pourrait nous induire en erreur. Nous ne nous en porterons d'ailleurs pas mieux, je le sais ; je sais aussi que ce qui concerne le corps n'est pas une affaire, c'est secondaire ; l'acheminement dont je parle s'accompagne d'une grande humilité ; si vous m'avez comprise, j estime que là est l'erreur de celles qui n'avancent point ; nous n'avons fait, nous semble-t-il que quelques pas, nous le croyons, tandis que l'allure à laquelle marchent nos soeurs doit nous paraître très rapide, et non seulement nous devons désirer qu'on nous tienne pour la plus misérable de toutes, mais faire ce qu'il faut pour cela.
9 Alors, cet état sera excellent ; sinon, nous y vivrons dans mille peines et misères, car nous y subissons de lourdes épreuves tant que nous n'avons pas renoncé à nous-même et que nous portons la charge de cette terre de misère ; cela n'est pas le cas de ceux qui s'élèvent vers les autres Demeures. Là, le Seigneur ne manque pas de les récompenser ; juste comme il l'est, et même miséricordieux, il nous donne toujours beaucoup plus que nous ne méritons lorsqu'il nous accorde des joies bien supérieures à celles que nous pourrions trouver dans les régals et distractions de la vie ; mais ne pensez pas qu'il leur prodigue des douceurs spirituelles, sauf rare exception : il les invite à voir ce qui se passe dans les autres Demeures, pour qu'ils se disposent à y pénétrer.
10 Vous allez imaginer que contentements et plaisirs spirituels sont une seule et même chose, et vous demander pourquoi j'emploie des mots différents. A moi, il me semble que la différence est très grande, mais je puis me tromper. Je dirai ce que j'entends ainsi lorsque je parlerai des quatrièmes Demeures qui vont suivre ; ce sera plus opportun, puisqu'il faudra, alors expliquer certains des plaisirs que le Seigneur y procure. Même si cela semble inutile, vous aurez l'avantage de comprendre ce que sont ces deux choses, et vous pourrez rechercher ce qu'il y a de mieux ; les âmes que Dieu élève à cet état y trouveront un grand réconfort, et celles qui croient tout avoir une grande confusion ; si elles sont humbles, elles seront portées à l'action de grâces. Mais si elles manquent quelque peu d'humilité, leur affliction intérieure sera sans objet, car la perfection ne consiste pas dans des plaisirs intérieurs, elle est l'apanage de celui qui aime le plus ; à lui, la récompense, comme à celui qui agit avec justice et vérité.
11 Vous vous direz peut-être : à quoi bon parler de ces faveurs intérieures, en donner l'explication, puisque c'est, en fait, la vérité ? Je l'ignore, demandez-le à celui qui me commande d'en écrire, je ne suis pas obligée à discuter avec les supérieurs, mais à leur obéir, sous peine de mal agir. Ce que je puis vous dire en toute sincérité, c'est que lorsque je n'avais pas l'expérience de ces faveurs, ni même l'idée que je l'aurais de ma vie, (à juste titre, mais j'eusse été bien heureuse de savoir, ou, à l'occasion ; de comprendre, que j'étais un peu agréable à Dieu), quand je lisais dans les livres les faveurs et les consolations que le Seigneur accorde aux âmes qui le servent, j'en avais une grande joie, et mon âme y trouvait le sujet de vives louanges à Dieu. S'il en était ainsi d'une âme aussi misérable que la mienne, celles qui sont bonnes et humbles le loueront bien davantage ; et quand il n'y en aurait qu'une seule pour le louer une seule fois, il est très bon de le dire, ce me semble, et que nous comprenions le contentement et les délices que nous perdons par notre faute. D'autant mieux que si ces faveurs viennent de Dieu, elles sont chargées d'amour et de courage, on peut donc continuer à marcher sans peine, et croître en bonnes actions et en vertu. Ne penser pas que peu importe de nous y disposer ; lorsque nous ne sommes pas en faute, le Seigneur est juste, et Sa Majesté vous donnera par d'autres voies ce qu'Elle vous ôte par celle-là ; Sa Majesté a ses raisons, et ses secrets sont bien cachés ; du moins nous donnera-t-elle ce qui nous convient le mieux, sans aucun doute.
12 Celles qui, par la bonté du Seigneur, sont parvenues à cet état, (ce n'est pas une petite miséricorde, comme je l'ai dit, car elles sont bien près de monter plus haut), auraient grand intérêt à beaucoup s'exercer à la prompte obéissance ; même pour ceux qui n'appartiennent pas à un Ordre Religieux, il serait fort utile, comme le font de nombreuses personnes, d'avoir quelqu'un à qui recourir pour ne faire en aucun cas notre volonté propre, car c'est ordinairement ce qui nous nuit ; ne le choisissons pas d'humeur analogue à la notre comme on dit, aussi prudent que nous le sommes, mais recherchons-en un qui soit bien désabusé de toutes les choses du monde. Il est extrêmement profitable d'être en rapports avec quelqu'un qui le connaît, pour mieux nous conmaître ; et puis, lorsque des choses qui nous paraissent impossibles se révèlent possibles pour d'autres, et même douces, nous prenons courage ; leur envol, semble-t-il, nous enhardit à voler, comme les petits des oiseaux qui font leur apprentissage, et si, dans l'immédiat, ils ne volent pas très loin, ils imitent, peu à peu, leurs parents ; on fait ainsi de grands progrès, je le sais. Quelle que soit leur détermination de ne pas offenser le Seigneur, ces personnes feront bien de ne pas s'exposer à l'offenser : elles sont tout près des premières Demeures, et pourraient facilement y retourner. Leur force n'est pas fondée sur un terrain solide, comme c'est le cas des personnes qui, déjà exercées à souffrir, connaissent les tempêtes du monde et ont des raisons de ne guère les redouter, ni de désirer ses joies une grande persécution comme celles que le démon sait très bien agencer pour nous nuire pourrait les y ramener ; promptes à éviter le péché à autrui, ces âmes seraient incapables de résister à ce qui pourrait leur arriver en cette occurrence.
13 Considérons nos fautes, et laissons là celles des autres, car le fait de ces personnes si bien organisées est souvent de s'offusquer de tout, et, d'aventure, ceux dont nous nous offusquons pourraient bien avoir beaucoup à nous apprendre d'essentiel. Il se peut que dans l'attitude extérieure, la manière d'être, nous les surpassions, mais le principal n'est pas là, bien que ce soit important, mais il n'y a pas de quoi vouloir que tout le monde suive immédiatement le même chemin que nous, ni de nous mettre à les instruire des voies spirituelles, alors que, d'aventure, nous les ignorons ; car nous pouvons faire un usage fort erroné, mes soeurs, de ce désir que nous donne Dieu d'aider les âmes. Il vaut donc mieux nous en tenir à notre Règle ; " Chercher à vivre toujours dans le silence et l'espérance (Is 30,15) ) ", et le Seigneur prendra soin de des âmes. Tant que nous ne négligerons pas de supplier pour elles la Majesté, nous serons fort utiles, avec Sa grâce. Qu'Elle soit bénie à Jamais.


SUITE


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Message par Francesco Mer 24 Nov 2010 - 23:59

Celles qui, par la bonté du Seigneur, sont parvenues à cet état, (ce n'est pas une petite miséricorde, comme je l'ai dit, car elles sont bien près de monter plus haut), auraient grand intérêt à beaucoup s'exercer à la prompte obéissance ; même pour ceux qui n'appartiennent pas à un Ordre Religieux, il serait fort utile, comme le font de nombreuses personnes, d'avoir quelqu'un à qui recourir pour ne faire en aucun cas notre volonté propre, car c'est ordinairement ce qui nous nuit ; ne le choisissons pas d'humeur analogue à la notre comme on dit, aussi prudent que nous le sommes, mais recherchons-en un qui soit bien désabusé de toutes les choses du monde.
Nous pouvons déja voir l'importance que le docteur de l'église apporte a la question de l'obéissance aux supérieurs et ca inclut l'éveque....


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Message par Francesco Jeu 25 Nov 2010 - 23:47

4e Demeures:
QUATRIEMES DEMEURES

CHAPITRE PREMIER SUITE

De la différence qu'il y a entre les contentements et tendresses dans l'oraison, et les plaisirs qu'on y trouve. En quoi la pensée diffère de l'entendement. Choses utiles à ceux qui sont distraits dans l'oraison.

1 Pour commencer à parler des Quatrièmes Demeures, j'avais grand besoin de me recommander au Saint-Esprit comme je l'ai fait ; je l'ai supplié de dire désormais à ma place quelque chose des Demeures suivantes afin que vous le compreniez, car nous commençons à entrer dans les choses surnaturelles, et il est extrêmement difficile de les faire entendre si Sa Majesté ne s'en charge point, comme elle le fit, d'ailleurs, quand j'écrivis tout ce qui m'avait été donné de comprendre jusqu'alors, il y a plus ou moins quatorze ans. Il me semble avoir un peu plus de lumières sur les faveurs que le Seigneur accorde à quelques âmes, mais il est bien différent de savoir en parler : plaise à Sa Majesté de le faire, s'il doit s'ensuivre un certain bien, et sinon, non.
2 Ces Demeures étant déjà plus proches de celle qu'habite le Roi, elles sont d'une grande beauté, on y voit et on y entend des choses si délicates que l'intelligence est incapable d'en donner une idée si juste qu'elle ne soit encore bien obscure pour ceux qui n'en ont pas l'expérience ; ceux-là comprendront très bien, spécialement ceux dont l'expérience est grande. On croira que pour atteindre ces Demeures il faut avoir vécu très longtemps dans les autres, mais bien qu'à l'ordinaire il faille être passé par celles dont nous venons de parler, cette règle n'est pas absolue, comme vous l'avez sans doute entendu dire souvent ; car ces biens qui Lui appartiennent, le Seigneur les donne quand il veut, comme il veut, et à qui il veut, sans faire tort à personne.
3 Il est rare que les bêtes venimeuses pénètrent dans ces Demeures, et si elles y entrent, elles ne font pas de mal, l'âme y gagne plutôt. J'estime bien préférable qu'elles entrent et nous fassent la guerre à ce degré l'oraison ; s'il n'y avait point de tentations le démon pourrait se servir, pour nous leurrer, des plaisirs que Dieu accorde, et nuire plus grièvement à l'âme qui a moins à gagner lorsqu'elle n'est pas tentée ; le moins qu'il puisse faire est d'écarter de cette âme tout ce qui peut lui acquérir des mérites, et la laisser dans un ravissement continuel. Or, quand il est continuel, je ne crois pas qu'il soit sûr, il me semble impossible que l'esprit du Seigneur soit toujours en nous, durant cet exil.
4 Mais je vous ai dit que je parlerais ici de la différence entre les contentements qu'on trouve dans l'oraison, ou les plaisirs. Je crois qu'on peut appeler contentement ce que nous obtenons nous-même par la méditation et nos prières à Notre-Seigneur, cela procède de notre nature, avec, tout de même, l'aide de Dieu, car dans tout ce que je dis il faut comprendre que nous ne pouvons rien sans Lui ; mais le contentement procède de l'acte vertueux même que nous accomplissons, il nous semble l'avoir gagné par notre travail, et nous sommes contents, à juste titre, de nous être appliqués à ces choses. Mais tout bien considéré, bien des choses qui peuvent advenir sur terre peuvent nous causer le même contentement. Ainsi, une grande fortune qui nous échoit soudain, voir soudain une personne que nous aimons beaucoup, réussir une affaire importante, une grande chose, que tout le monde approuve ; la femme, aussi, à qui on a annoncé la mort de son mari, de son frère, ou de son fils, et qui le voit arriver, vivant. J'ai vu de grands contentements faire verser des larmes, cela m'est même arrivé quelquefois. Ces contentements sont naturels et il me semble qu'il en est de même de ceux que nous inspirent les choses de Dieu ; ils sont seulement de plus noble lignée, sans toutefois que les autres soient mauvais. Enfin, ils partent de notre nature elle-même et s'achèvent en Dieu. Les plaisirs partent de Dieu, notre nature les ressent, et elle en jouit autant que peuvent jouir les personnes dont j'ai parlé, et beaucoup plus. Ô Jésus ! Que je voudrais pouvoir m'expliquer à ce sujet ! Il me semble entendre qu'il y a là des différences certaines, et je n'ai pas la science de me faire comprendre ; plaise au Seigneur d'y pourvoir.
5 Je me rappelle soudain un verset que nous récitons à Prime à la fin du premier psaume ; la fin du verset dit : Cum dilatasti cor meum (Ps 118,32). Cela suffira à ceux qui ont une grande expérience de ces faveurs pour comprendre quelle différence il y a entre les unes et les autres ; mais un plus ample exposé est nécessaire à ceux qui ne l'ont point. Les contentements dont j'ai parlé ne dilatent pas le coeur, ils semblent même à l'ordinaire, le serrer un peu, bien qu'il soit tout content de voir ce qui se fait pour Dieu ; mais des larmes angoissées jaillissent, qui semblent en quelque sorte causées par la passion. Je ne sais pas grand- chose de ces passions de l'âme, ma gaucherie est grande, sinon je me ferais peut-être comprendre, je montrerais ce qui procède de la sensualité et de notre nature ; je saurais m'expliquer, moi qui suis passer par là, si je comprenais. A toutes fins, le savoir et l'instruction sont de grandes choses.
6 Je dis ce que je sais par expérience de cet état, de ces régals et contentements dans la méditation ; si la Passion commençait à me faire pleurer, j'étais incapable de m'arrêter jusqu'à ce que j'en eusse la tête cassée ; de même, si je pleurais mes péchés Notre-Seigneur me faisait ainsi une fort grande faveur, mais je ne veux pas examiner pour le moment ce qui vaut le mieux, des contentements ou des plaisirs ; je voudrais seulement pouvoir dire quelle différence il y a entre eux. Ces larmes et ces désirs sont souvent favorisés par la nature et la disposition du moment ; mais, enfin, comme je l'ai dit, quoi qu'il en soit, ils aboutissent à Dieu. C'est hautement appréciable, si l'humilité est là pour nous faire comprendre que nous ne sommes pas meilleurs pour cela ; nous ne pouvons pas comprendre si tous ces effets sont causés par l'amour, mais s'il en est ainsi, c'est un don de Dieu. La plupart des âmes éprouvent cette sorte de ferveur dans les Demeures précédentes, car leur entendement est presque toujours en action, elles l'emploient à réfléchir, à méditer : elles sont en bonne voie, car on ne leur a pas accordé davantage, mais elles feraient bien de se consacrer par moments à accomplir des actes, à louer Dieu, à se réjouir de sa bonté, à le voir semblable à Lui-même, à souhaiter son honneur et sa gloire : cela, de leur mieux, car c'est un excellent moyen d'éveiller la volonté. Et qu'elles veillent bien, lorsque le Seigneur leur donnera ces sentiments, à ne pas les faire taire pour achever leur méditation ordinaire.
7 Comme je me suis longuement étendue, ailleurs, sur ce sujet (Autobiographie, chap.12), je n'en parlerai pas ici. Je veux absolument que vous sachiez que pour beaucoup avancer sur ce chemin et monter aux Demeures que nous désirons atteindre, il ne s'agit pas de beaucoup penser, mais de beaucoup aimer ; donc, tout ce qui vous incitera à aimer davantage, faites-le. Nous ne savons peut-être pas ce que c'est qu'aimer, je n'en serais pas très étonnée ; or il ne s'agit pas de goûter le plus grand plaisir, mais d'avoir la plus forte détermination de désirer toujours contenter Dieu, de chercher, autant que possible, à ne pas l'offenser, de le prier de faire toujours progresser l'honneur et la gloire de son Fils, et grandir l'Église Catholique. Telles sont les marques de l'amour, mais ne croyez pas qu'il s'agisse de ne pas penser à autre chose, et que si vous êtes un peu distraite, tout est perdu.
8 Ces tumultes de la pensée m'ont parfois bien oppressée ; depuis un peu plus de quatre ans, j'ai enfin compris, par expérience, que la pensée, ou, pour mieux me faire comprendre, l'imagination, n'est pas l'entendement ; je l'ai demandé à un homme docte, il m'a dit qu'il en était ainsi, pour ma plus grande satisfaction. Comme l'entendement est l'une des facultés de l'âme, il m'était dur de le voir parfois si papillonnant ; il est habituel que la pensée s'envole soudain, Dieu seul peut la lier ; quand il nous lie ainsi, nous avons l'impression d'être, en quelque sorte, déliés de notre corps. Je voyais, quant à moi, les facultés de l'âme occupées en Dieu, recueillies en Lui, tandis que d'autre part là pensée s'agitait : j'en était tout hébétée.
9 Ô Seigneur ! Tenez-nous compte de tout ce que nous endurons sur ce chemin, par manque de connaissance ! Le malheur, c'est que faute de songer qu'il faille savoir autre chose que de penser à vous, nous ne savons même pas interroger ceux qui le savent, nous n'avons pas idée de ce qu'il faut leur demander, et nous subissons de terribles épreuves, faute de nous comprendre ; et ce qui n'est pas mauvais, mais bon, nous le jugeons très coupable. De là proviennent les afflictions de bien des gens qui pratiquent l'oraison et se plaignent d'épreuves intérieures, du moins, souvent, ceux qui manquent d'instruction ; et viennent les mélancolies, et la ruine de la santé ; ils en arrivent à tout abandonner et ne considèrent pas qu'il existe un monde intérieur ici-bas. De même que nous ne pouvons pas retenir le mouvement du ciel qui va vite, à toute vélocité, nous ne pouvons pas davantage retenir notre pensée, nous lui adjoignons toutes les facultés de notre âme, nous croyons que nous sommes perdues et que nous faisons mauvais usage du temps que nous passons devant Dieu. Mais l'âme, d'aventure, est tout unie à Lui dans les très proches Demeures tandis que la pensée, encore aux alentours du château, en proie à mille bêtes féroces et venimeuses, acquiert des mérites par ces souffrances ; cela ne doit donc pas nous troubler, ni nous inciter à abandonner ; car c'est ce que prétend le démon Pour la plupart, toutes nos inquiétudes et nos épreuves viennent de ce que nous ne nous comprenons pas.
10 En écrivant ceci, je considère ce qui se passe dans ma tête, ce grand bruit dont j'ai parlé au début et qui me rendait à peu prés incapable d'obéir à l'ordre d'écrire qui me fut donné. J'ai l'impression d'avoir dans la tête beaucoup de fleuves torrentueux qui s'écroulent en cataractes, beaucoup de petits oiseaux et de sifflements, et cela, non pas dans les oreilles, mais dans la partie supérieure de la tête, où, dit-on, se trouve la partie supérieure de l'âme. J'ai insisté là-dessus, car il m'a semblé que le grand mouvement de l'esprit vers le haut montait avec vélocité. Plaise à Dieu que je me rappelle d'en dire la cause quand je parlerai des Demeures suivantes, il ne sied pas de le faire ici, et il ne serait pas surprenant que le Seigneur ait voulu me donner ce mal de tête pour me le faire mieux comprendre ; car malgré le tumulte qui y règne, cela ne me gêne ni dans l'oraison, ni pour m'exprimer mais l'âme est tout entière dans sa quiétude, dans son amour dans ses désirs, et dans la claire connaissance.
11 Mais si la partie supérieure de l'âme est dans la partie supérieure de la tête, comment se fait-il qu'elle ne soit pas troublée ? Je l'ignore, mais je sais que ce que je dis est vrai. On en souffre quand l'oraison ne s'accompagne pas de suspension des sens, car alors, tant que la suspension ne cesse point, on ne ressens aucun mal, mais c'eût été un fort grand mal de tout abandonner à cause de cet inconvénient. Il n'est donc pas bon de nous laisser troubler par nos pensées, ni d'y accorder la moindre importance ; ainsi si elles nous viennent du démon, il y renoncera ; et si cela provient, comme c'est le cas, ainsi que d'autre conséquences, de la misère : où nous a laissées péché d'Adam, prenons patience, soufrons tout pour l'amour de Dieu ; car nous sommes également assujetties à manger et à dormir, nous ne pouvons l'éviter, et c'est une fort grande épreuve.
12 Reconnaissons notre misère, et souhaitons aller là où personne ne nous méprisera (Ct 8,1). Je me rappelle parfois avoir entendu l'Épouse du Cantique le dire, je ne trouve vraiment rien dans toute notre vie qui justifie mieux ces paroles, car tous les mépris et épreuves de la vie me semblent peu de chose comparés à ces combats intérieurs. Nous pouvons supporter n'importe quel trouble et n'importe quelle guerre à condition de trouver la paix chez nous, comme je l'ai déjà dit ; mais lorsque nous voulons nous reposer des mille épreuves du monde, lorsque le Seigneur veut nous préparer ce lieu de repos, il est fort pénible, presque intolérable, que l'obstacle soit en nous-mêmes. C'est pourquoi, Seigneur, conduis-nous là où ces misères ne nous méprisent point, car elles semblent parfois se moquer de l'âme ! Le Seigneur l'en délivre dés cette vie lorsqu'elle a atteint la dernière Demeure, comme nous le : dirons si Dieu veut.
13 Ces misères ne vous causeront pas à vous toutes autant de peine qu'à moi, elles ne s'attaqueront pas à vous comme à moi, qui suis vile, car on eût pu croire que je voulais moi-même me venger de moi. Songeant qu'il est possible que vous subissiez vous aussi ce qui me fut si pénible, je vous en parle sans cesse, partout, avec l'espoir de parvenir une seule fois à vous faire comprendre que c'est inévitable et que vous ne devez ni vous en inquiéter ni vous en affliger ; laissons aller ce traquer de moulin, contentons-nous de moudre notre farine sans que cessent d'agir la volonté et l'entendement.
14 Cette gêne est plus ou moins importante, selon notre état de santé et le moment. Qu'elle souffre donc la pauvre âme, bien qu'elle n'ait pas commis de faute ; elle en commettra d'autres, il est donc juste que nous prenions patience. Et puisque ce que nous lisons, ce qu'on nous conseille, ne suffit pas à nous persuader de ne pas faire cas de ces pensées, nous qui savons peu de chose, il ne me semble pas que tout le temps que je passe à mieux vous expliquer tout cela et à vous consoler, si tel est votre cas, soit du temps perdu. Cela ne servira toutefois pas à grand-chose jusqu'à ce que le Seigneur veuille nous éclairer. Mais il est nécessaire, Sa Majesté le veut, que nous prenions des mesures et que nous nous connaissions, pour ne pas accuser notre pauvre âme de ce que font notre faible imagination, notre nature, et le démon.

SUITE




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Message par Francesco Sam 27 Nov 2010 - 21:56

4e Demeures:
QUATRIEMES DEMEURES

CHAPITRE II SUITE

Suite du même sujet. Des plaisirs spirituels, et comment on doit les obtenir sans les rechercher : une comparaison aide à comprendre.
1 Dieu secourable, dans quoi me suis-je fourrée ! J'avais déjà oublié ce dont je parlais, car les affaires et ma santé m'obligent à m'interrompre au meilleur moment ; et comme je n'ai guère de mémoire, tout doit être en désordre, faute de pouvoir me relire. Il se peut d'ailleurs que tout ce que je dis ne soit que désordre ; du moins est-ce mon impression. Il me semble avoir déjà parlé des consolations spirituelles, qui parfois, quand s'y mêlent nos passions, provoquent une frénésie de sanglots ; certaines personnes m'ont même dit que leur coeur se serre, qu'il s'ensuit même des mouvements extérieurs auxquels elles ne peuvent résister, si forts que le sang leur sort par les narines, et autres choses aussi pénibles. Je ne puis rien dire faute d'être passée par là, mais il doit s'ensuivre de la consolation ; car, comme e le dis, tout aboutit au désir de contenter Dieu et de jouir de Sa Majesté.
2 Il en va tout autrement de ce que j'appelle les plaisirs de Dieu, et que j'ai nommé ailleurs oraison de quiétude, comme le comprendront celles d'entre vous qui y ont goûté, par la miséricorde de Dieu. Pour mieux comprendre, supposons que nous voyions deux fontaines qui emplissent d'eau deux bassins : je ne trouve rien qui se prête mieux que l'eau à l'explication de certaines choses spirituelles, pour une raison : je sais peu de choses, nul talent ne me vient en aide, mais j'aime tant cet élément que je l'ai considéré avec plus d'attention que toute autre chose. Car dans tout ce qu'un si grand Dieu, si savant, a créé, il doit y avoir de nombreux secrets dont nous ne pouvons tirer le même profit que ceux qui les comprennent ; je crois pourtant qu'il y a plus qu'on ne peut comprendre dans chaque petite chose que Dieu a créée, ne serait-ce qu'une petite fourmi.
3 Ces deux bassins s'emplissent d'eau par des moyens différents ; pour l'un elle est amenée artificiellement de loin par de nombreux aqueducs, l'autre a été creusé à la source même de l'eau, et il s'emplit sans bruit. Si la source est aussi abondante que celle dont nous parlons, lorsque le bassin est plein, il en déborde un grand ruisseau ; il n'y a pas besoin d'artifices, peu importerait la ruine de l'aqueduc, l'eau jaillit toujours du même point. Telle est la différence : celle qui vient par les aqueducs s'assimile, ce me semble, aux contentements qu'on obtient par la méditation ; nos pensées nous les procurent, en nous aidant des choses créées pour méditer par un effort de l'entendement, et comme elle vient, enfin, de notre industrie, c'est avec bruit qu'elle répand quelque chose de profitable dans l'âme, comme je l'ai dit.
4 Dans l'autre bassin, l'eau naît de la source même, qui est Dieu ; donc, comme Sa Majesté le veut quand Sa volonté est d'accorder une faveur surnaturelle, elle émane avec une quiétude immense et paisible du plus intime de nous-même, je ne sais où, ni comment il se fait que ce contentement et cette délectation ne se ressentent pas dans le coeur comme les joies d'ici-bas, du moins au début, car ils finissent par tout inonder ; cette eau se répand dans toutes les Demeures et toutes les puissances, elle atteint enfin le corps ; c'est pourquoi j'ai dit qu'elle commence en Dieu et finit en nous ; car vraiment, comme le verra quiconque l'éprouvera, l'homme extérieur tout entier jouit de ce plaisir et de cette douceur.
5 Tout en écrivant, je considérais tout à l'heure que le verset que j'ai cité : Dilatasti cor meum, dit que le coeur s'est dilaté ; il ne me semble pourtant pas que cela prenne naissance dans le coeur, mais en un point encore plus intérieur, comme en quelque chose de très profond. Je pense que ce doit être le centre de l'âme, comme je l'ai compris depuis et le dirai pour finir ; car vrai, je vois en nous des mystères qui m'émerveillent souvent. Combien d'autres doit-il y en avoir ! Ô mon Seigneur et mon Dieu, que vos grandeurs sont grandes ! Nous nous conduisons ici-bas comme de naïfs petits bergers, nous croyons saisir quelque chose de vous, et ce doit être moins que rien, puisqu'il y a déjà en nous-même de grands mystères que nous ne comprenons pas. Moins que rien, par rapport à l'immensité qui est en Vous : je ne dis pas que vos grandeurs que nous voyons ne soient pas grandes même ce que nous pouvons saisir de vos oeuvres.
6 Pour en revenir au verset, s'il peut éclairer, ce me semble, ce que j'écris ici, c'est à propos de cette dilatation ; car il apparaît que lorsque cette eau céleste commence à couler de la source dont je parle au plus profond de nous, on dirait que tout notre intérieur se dilate et s'élargit, et on ne saurait exprimer tout le bien qui en résulte, l'âme elle-même ne peut comprendre ce qui lui est donné. Elle respire un parfum, disons-le maintenant, comme s'il y avait dans cette profondeur intérieure un brasero sur lequel on jetterait des parfums embaumés : on ne voit pas la braise, on ne sait où elle est, mais sa chaleur et la fumée odorante pénètrent l'âme tout entière, et même, comme je l'ai dit, le corps en a fort souvent sa part. Attention, comprenez-moi, on ne sent pas de chaleur, on ne respire pas une odeur, c'est chose plus délicate que ces choses-là, mais cela peut vous aider à comprendre, et les personnes qui n'en ont pas l'expérience sauront que cela se produit vraiment ainsi, qu'on le comprend plus clairement que je ne l'exprime. Ce n'est pas un de ces cas où l'on puisse se faire illusion, puisque nos plus grands efforts ne pourraient rien obtenir ; cela même nous prouve que ça n'est pas d'un métal courant, mais l'or infiniment pur de la sagesse divine. Ici, ce me semble, les puissances ne sont pas unies, mais ravies, et comme étonnées, elles considèrent tout cela.
7 Il se peut qu'à propos de ces choses intérieures je sois en contradiction avec ce que j'ai déjà dit ailleurs. Il n'y a rien de surprenant, car depuis prés de quinze ans que je les ai écrites, il se peut que le Seigneur m'ait donné plus de lumières sur ces choses que je n'en avais alors, mais aujourd'hui comme alors, je puis me tromper en tout, mais je ne saurais mentir ; par la miséricorde de Dieu, je souffrirais plutôt mille morts ; je dis ce que je comprends.
8 Il me semble bien que la volonté doive être unie avec celle de Dieu d'une façon ou d'une autre, mais c'est aux effets et aux oeuvres qui s'ensuivent qu'on reconnaît la vérité de cette oraison ; il n'est meilleur creuset pour l'éprouver. C'est une fort grande faveur de Dieu que de la reconnaître quand on la reçoit, c'en est une très grande si on ne retourne pas en arrière. Vous voudrez donc, mes filles, chercher à obtenir cette oraison, et vous avez raison, car, comme je l'ai dit, l'âme ne pourra jamais mesurer les grâces que le Seigneur lui accorde alors, et l'amour avec lequel il la rapproche encore de Lui ; vrai, vous voudriez bien savoir comment nous obtiendrons cette faveur. Je vais vous dire ce que j'ai compris à ce sujet.
9 Ne parlons pas de l'heure où le Seigneur consent à l'accorder : c'est au gré de Sa Majesté, uniquement. Elle a ses raisons, nous n'avons pas à nous en mêler. Lorsque vous aurez fait tout ce qu'on accomplit dans les précédentes Demeures, de l'humilité, de l'humilité ! C'est elle qui persuade le Seigneur de nous accorder tout ce que nous attendons de lui ; vous reconnaîtrez en tout premier lieu que vous la possédez à ce que vous ne croirez pas mériter ces faveurs et saveurs du Seigneur, ni jamais les connaître de votre vie. En ce cas, objecterez-vous, comment les obtient-on sans les chercher ? Je réponds que le meilleur moyen est celui que je vous ai dit, ne pas les rechercher, pour les raisons suivantes. La première, c'est qu'il faut d'abord, pour cela, aimer Dieu sans intérêt. La seconde, c'est qu'il y aurait certain manque d'humilité à penser que nos misérables services pourraient nous valoir quelque chose d'aussi grand. La troisième, c'est que la vraie manière de nous y préparer est le désir de souffrir et d'imiter le Seigneur. La quatrième, c'est que Sa Majesté n'est pas obligée de nous l'accorder, comme elle l'est de nous accorder le ciel si nous observons ses commandements, car nous pouvons nous sauver sans cela, Dieu sait mieux que nous ce qui nous convient, et qui l'aime vraiment ; c'est vrai, je le sais, je connais des gens qui suivent la voie de l'amour comme ils le doivent, uniquement pour servir leur Christ crucifié, et non seulement ils ne lui demandent pas de plaisirs spirituels et n'en désirent pas, mais ils le supplient de ne pas leur en donner en cette vie ; c'est la vérité. La cinquième, c'est que nous travaillerions en vain, car cette eau ne peut être amenée par les aqueducs comme la précédente, et si elle ne peut couler de source, il ne nous sert pas à grand-chose de nous fatiguer. Je veux dire que pour beaucoup que nous méditions, pour beaucoup que nous nous pressurions jusqu'à nous tirer des larmes cette eau ne vient pas de là. Dieu ne la donne qu'à qui il veut et souvent au moment où l'âme y pense le moins.
10 Nous sommes à Lui, mes soeurs, qu'il fasse de nous ce qu'il voudra, qu'il nous conduise par la voie qui lui plaira. Je crois bien que si nous nous humilions et détachons vraiment, (je dis vraiment, il ne suffit pas que ce soit en pensée, nos pensées nous trompent souvent, mais nous devons être entièrement détachées), le Seigneur ne manquera pas de nous accorder cette faveur, et bien d'autres encore que nous ne saurions désirer. Qu'il soit loué et béni à jamais. Amen.


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Message par Francesco Sam 27 Nov 2010 - 22:03

Oraison de quiétude qui n'est donné que par Dieu seul:
8 Il me semble bien que la volonté doive être unie avec celle de Dieu d'une façon ou d'une autre, mais c'est aux effets et aux oeuvres qui s'ensuivent qu'on reconnaît la vérité de cette oraison ; il n'est meilleur creuset pour l'éprouver. C'est une fort grande faveur de Dieu que de la reconnaître quand on la reçoit, c'en est une très grande si on ne retourne pas en arrière. Vous voudrez donc, mes filles, chercher à obtenir cette oraison, et vous avez raison, car, comme je l'ai dit, l'âme ne pourra jamais mesurer les grâces que le Seigneur lui accorde alors, et l'amour avec lequel il la rapproche encore de Lui ; vrai, vous voudriez bien savoir comment nous obtiendrons cette faveur. Je vais vous dire ce que j'ai compris à ce sujet.


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Message par Francesco Mer 8 Déc 2010 - 2:53

QUATRIEMES DEMEURES

CHAPITRE III SUITE

De l'oraison de recueillement que le Seigneur accorde la plupart du temps avant celle dont il vient d'être parlé. De ses effets, et de ce qui reste à dire de l'oraison précédente.

1 Les effets de cette oraison sont nombreux ; j'en dirai quelques-uns. En premier lieu, je parlerai d'une autre forme d'oraison qui la précède presque toujours, mais, comme je l'ai déjà fait ailleurs (Autobiographie, chap.16 ; Le chemin de la Perfection, chap. 28 et 29) je serai brève : il s'agit d'un recueillement qui me semble, lui aussi, surnaturel, car il ne consiste pas à rester dans l'obscurité, ni à fermer les yeux, ni en quoi que ce soit d'extérieur, puisque sans le vouloir, on ferme les yeux et on désire la solitude ; il semble qu'on construise sans artifice l'édifice de l'oraison dont j'ai parlé ; car ces sens et ces choses extérieures paraissent perdre peu à peu leurs droits et l'âme reprendre les siens, qu'elle avait perdus.
2 On dit que l'âme entre en elle-même : on dit aussi qu'elle monte au-dessus d'elle-même. Je ne saurais éclairer moindrement ce langage, j'ai le tort de penser que vous devez comprendre celui dans lequel je m'exprime alors que je ne parle peut-être que pour moi. Estimons que ces sens et ces puissances dont j'ai déjà dit qu'ils sont les habitants de ce château, comparaison qui m'aide à m'expliquer, sont sortis, et vivent depuis des jours et des années avec des étrangers, ennemis de ce château ; ils se voient perdus et ils s'en rapprochent, mais sans arriver à s'y introduire, car l'habitude qu'ils ont prise est forte, mais ils ne sont plus des traîtres, et rôdent aux alentours. Lorsqu'il voit leur bonne volonté, le grand Roi qui habite ce château veut les ramener à Lui, dans sa grande miséricorde, en bon pasteur ; par un sifflement si doux que c'est à peine s'ils l'entendent, il cherche à leur faire reconnaître sa voix afin qu'ils ne se croient plus perdus, mais retournent à leur demeure. Et ce sifflement du pasteur a une telle puissance qu'ils abandonnent les choses extérieures qui aliénaient leur raison, et rentrent dans le château.
3 Il semble ne l'avoir jamais mieux fait comprendre : quand nous cherchons Dieu en nous-même, (on l'y trouve mieux et plus efficacement que dans les créatures, comme le dit saint Augustin qui l'a trouvé là, après l'avoir cherché en beaucoup d'endroits), cette grâce, si Dieu nous la fait, nous est d'un grand secours. Ne songez pas que nous y parvenions à l'aide de l'entendement, en nous appliquant à penser que Dieu est en nous, ni à l'aide de l'imagination, en l'imaginant en nous. C'est là une bonne, une excellente manière de méditation, basée sur la vérité, puisqu'il est vrai que Dieu est en nous-même ; cela, chacun de nous peut le faire, (bien entendu, comme toutes choses, avec la faveur du Seigneur), mais ce n'est pas de cela qu'il s'agit. Ce dont je parle est différent ; parfois, avant de commencer à penser à Dieu, ces gens sont déjà dans le Château ; sans que je sache où ni comment, ils ont entendu le sifflement de leur Pasteur ; ce ne fut pas par l'ouïe, car on n'entend rien, mais on ressent très manifestement un doux recueillement intérieur ; ceux qui en ont l'expérience le sauront, mais je ne puis l'expliquer plus clairement. Je crois avoir lu que le hérisson ou la tortue rentrent ainsi en eux-mêmes ; celui qui l'a écrit devait bien comprendre ce dont il est question. Toutefois ces animaux rentrent quand ils le veulent, tandis que ce recueillement ne s'obtient pas à volonté, mais lorsque Dieu veut nous accorder cette grâce. M'est avis que si Sa Majesté l'accorde, c'est à des personnes qui renoncent déjà aux choses du monde. Je ne dis pas que ceux que leur état retient dans le monde s'en éloignent effectivement, ils ne le peuvent point, mais leur désir, qui les invite particulièrement à être attentifs aux choses intérieures, s'en écarte ; je crois donc que si nous voulons faire place à Sa Majesté, elle ne donnera pas que cela à ceux qu'Elle appelle à monter plus haut.
4 Ceux qui découvriront cela en eux loueront Dieu avec ardeur, et leurs actions de grâces les disposeront à recevoir de plus grandes faveurs. Cela les disposera à écouter, comme le conseillent certains livres, en s'efforçant de ne point réfléchir, mais à être attentifs à ce que le Seigneur opère dans l'âme ; toutefois, si Sa Majesté n'a pas commencé à nous absorber en Elle, je n'arrive pas à comprendre comment la pensée peut s'arrêter sans plus de dommage que de profit ; ce fut toutefois un sujet de querelle fort discuté entre quelques spirituels ; quant à moi, je confesse mon manque d'humilité, car jamais je ne me suis ralliée aux raisons qu'ils m'ont données. L'un d'eux m'a allégué certain livre du saint Fr. Pierre d'Alcantara, dont je crois qu'il est un saint, et à qui je me soumettrais, car je sais qu'il savait ce dont il parlait ; nous l'avons lu, et il dit la même chose que moi, néanmoins pas dans les mêmes termes ; mais d'après ce qu'il dit on comprend que l'amour doit être déjà éveillé. Il se peut que je me trompe, mais voici mes raisons.
5 La première : dans ce travail spirituel, celui qui pense le moins et veut le moins obtient plus ; ce que nous devons faire, c'est demander comme le font de pauvres nécessiteux devant un grand et riche empereur ; ensuite, baisser les yeux et attendre humblement. Quand par ses voies secrètes il semble nous faire comprendre qu'il nous écoute, alors, il convient de nous taire dès lors qu'il nous permet de rester prés de Lui, il n'est pas mauvais de tâcher de ne pas agir avec l'entendement, si nous le pouvons, dis-Je. Mais si nous n'avons pas encore le sentiment que ce Roi nous écoute, qu'il nous voit, nous n'allons pas rester là, tout nigauds, ce qui arrive souvent à l'âme forte quand elle s'est efforcée à faire taire l'entendement ; elle se trouve dans une bien plus grande sécheresse, et d'aventure, l'imagination est plus inquiète quand elle s'est fait violence pour ne penser à rien ce que veut le Seigneur, c'est que nous le priions et que nous considérions que nous sommes en sa présence, il sait, lui, ce qui nous convient. Je ne puis me résoudre à user de moyens humains en des choses où Sa Majesté semble avoir imposé des limites et qu'Elle semble vouloir se réserver ; il en est toutefois beaucoup d'autres que nous pouvons pratiquer avec son aide, qu'il s'agisse de pénitences, d'oeuvres, d'oraison, autant que notre misère nous le permet.
6 Seconde raison : toutes ces oeuvres intérieures sont douces et pacifiques, et faire quelque chose de pénible fait plus de tort que cela ne cause de profit. J'appelle pénible toute violence que nous voudrions nous faire, comme ce le serait de retenir notre souffle ; que l'âme s'abandonne donc dans les mains de Dieu, pour qu'il fasse d'elle ce qu'il veut, avec le moindre souci possible de ses intérêts, et le plus grand abandon à la volonté de Dieu. La troisième raison est que le soin même que nous avons de ne penser à rien excitera peut-être la pensée à beaucoup penser. La quatrième est que Dieu, essentiellement, tient pour agréable que nous nous souvenions de son honneur et de sa gloire, et que nous nous oubliions nous-mêmes, notre profit, notre bien-être, notre bon plaisir. S'oublie-t-il lui- même, celui qui, fort soucieux, n'ose remuer, qui ne permet même pas à son entendement ni à ses désirs d'être mus du désir d'une plus grande gloire de Dieu, ni de se réjouir de la gloire qui est la sienne ? Quand Sa Majesté veut que l'entendement se taise, Elle l'occupe autrement, et projette sur nos connaissances des lumiéres tellement au-dessus de ce que nous pouvons atteindre qu'il en est tout absorbé, et, sans savoir comment, il se trouve bien mieux instruit que par tous les efforts que nous faisons pour l'aneantir. Dieu nous a donné les puissances pour nous en servir, elles ont leur prix, nous n'avons pas à les enchanter, mais à les laisser faire leur office, jusqu'à ce que Dieu leur en donne un autre, plus important.
7 A ma connaissance, ce qui convient mieux à l'âme que le Seigneur a bien voulu introduire en cette Demeure, c'est de faire ce que j'ai dit ; sans violence et sans bruit, qu'elle cherche à empêcher l'entendement de discourir, mais non à le suspendre, et ainsi de la pensée ; sauf qu'il lui est bon de se rappeler qu'elle est devant Dieu, et qui est ce Dieu. Si ce qu'elle sent en elle la ravit, à la bonne heure ; mais que l'entendement ne cherche pas à comprendre ce qui se passe : c'est accordé à la volonté. Qu'il laisse donc l'âme en jouir sans autre activité que quelques paroles amoureuses, car bien que dans cet état nous ne cherchions pas à ne penser à rien, cela arrive souvent, mais brièvement.
8 J'ai :dit ailleurs (Chemin de la Perfection, chap. 31) la raison pour laquelle dans cette forme d'oraison dont j'ai parlé au commencement de cette Demeure, (j'ai parlé de l'oraison de recueillement en même temps que de celle dont je devais parler en premier, bien qu'elle soit fort inférieure à celle des plaisirs spirituels que donne Dieu, mais seulement le premier pas pour y atteindre ; car dans l'oraison de recueillement il ne faut pas abandonner la méditation, ni l'action de l'entendement lorsque l'eau coule de source, sans que les aqueducs l'amènent), l'entendement se modère ou est contraint te se modérer, lorsqu'il voit qu'il ne comprend pas ce qu'il voudrait, et qu'il va de-ci de-là comme un insensé qui n'à ses assises nulle part. La volonté est si bien établie en son Dieu quelle s'afflige fort de ce tapage ; l'âme n'a donc pas besoin d'en faire cas, elle y perdrait beaucoup de ses jouissances : elle n'a qu'à abandonner, et s'abandonner, elle, dans les bras de l'amour ; Sa Majesté lui enseignera ce qu'elle doit faire en cet état où elle n'a guère qu'à se juger indigne d'un si grand bien, et à se confondre en actions de grâce.
9 Pour traiter de l'oraison de recueillement, j'ai omis les effets, ou signes, qui caractérisent les âmes auxquelles Dieu Notre-Seigneur accorde cette oraison. Ainsi, on y perçoit clairement une dilatation ou élargissement de l'âme, comme si l'eau qui coule d'une source ne pouvant s'écouler, le réservoir lui même était fabriqué d'un matériau tel que l'édifice s'agrandirait à mesure qu'il jaillirait plus d'eau ; c'est ce qu'on remarque dans cette oraison, avec bien d'autres merveilles que Dieu accomplit dans l'âme : il l'habilite et la dispose pour que tout tienne en elle. Ainsi, cette suavité et cet élargissement intérieurs sont perceptibles à ceci que l'âme n'est plus aussi liée que naguère par les choses du service de Dieu, mais beaucoup plus au large. Ainsi, elle n'est plus oppressée par la frayeur de l'enfer, car tout en ayant un plus grand désir de ne point offenser Dieu (ici, elle perd sa peur servile), elle a grande confiance de jouir de lui un jour. La crainte qu'elle eut de détruire sa santé en faisant pénitence, elle la rejette entièrement en Dieu ; ses désirs de se mortifier s'accroissent. Son appréhension des épreuves diminue car sa foi est plus vive, et elle comprend que si elle les endure pour Dieu, Sa Majesté lui accordera la grâce de les supporter patiemment ; elle les désire même parfois, car elle a aussi la ferme volonté de faire quelque chose pour Dieu. Comme elle connaît mieux sa grandeur, elle se juge d'autant plus misérable ; comme elle a déjà goûté aux délices de Dieu, elle voit que celles du monde ne sont qu'ordure ; elle s'en éloigne peu à peu, et, pour le faire, elle a plus d'empire sur elle- même. Enfin, elle se perfectionne dans toutes les vertus, et elle ne cessera de grandir si elle ne retourne en arrière en offensant Dieu, car c'est ainsi qu'une âme peut se perdre, si élevée qu'elle soit au sommet. Il ne faut pas croire, non plus, que si Dieu a accordé cette faveur à une âme une fois ou deux, toutes ces grâces demeurent acquises si elle n'a pas de persévérance pour les recevoir : tout notre bonheur dépend de cette persévérance.
10 Je mets vivement en garde ceux qui seraient dans cet état : qu'ils évitent avec la plus grande vigilance de s'exposer à offenser Dieu. L'âme n'est pas encore adulte, mais comparable au petit enfant qui commence à téter ; s'il s'éloigne du sein de sa mère, que peut-on attendre pour lui, sinon la mort ? J'ai grand peur que ce soit le sort de ceux à qui Dieu a accordé cette faveur s'ils s'éloignent de l'oraison, sauf en une circonstance pressante, ou s'ils n'y reviennent pas au plus vite, sous peine d'aller de mal en pis. Je sais qu'il y a beaucoup à craindre dans ce cas, et je connais certaines personnes qui m'affligent fort, je dis ce que j'ai vu, parce qu'elles se sont écartées de celui qui avec tant d'amour voulait se donner à elles en ami, et le leur prouver par des oeuvres. Je les mets vivement en garde contre les occasions, parce que le démon s'acharne beaucoup plus sur l'une de ces âmes que sur les autres, très nombreuses, à qui le Seigneur n'accorde pas ces faveurs ; elles peuvent, en effet, lui faire grand tort en entraînant d'autres à leur suite, et être éventuellement très utiles à l'Église de Dieu. N'y verrait-il que l'amour particulier que leur témoigne Sa Majesté, cela suffit pour qu'il s'acharne à les perdre ; elles sont donc très combattues, et même, si elles se perdent, beaucoup plus perdues que les autres. Vous, mes Soeurs, vous êtes à l'abri de ces dangers, selon ce que nous pouvons en juger ; que Dieu vous garde de l'orgueil et de la vaine gloire ; si le démon contrefait ces faveurs, on le reconnaîtra à ce que les effets ne seront pas ceux dont nous avons parlé, mais tout à l'opposé.
11 Je veux vous avertir d'un danger dont j'ai parlé ailleurs ; j'y ai vu tomber des personnes d'oraison, spécialement des femmes, car nous sommes plus faibles, donc plus exposées à ce que je vais dire. Voici : certaines, à force de pénitences, d'oraison, de veilles, et même sans cela, sont faibles de constitution. Lorsqu'elles ressentent quelques plaisirs spirituels, leur nature les entrave ; si elles éprouvent une joie intérieure, et, extérieurement, une défaillance, ainsi que la faiblesse qui accompagne un sommeil qu'on appelle spirituel, un peu plus élevé que ce dont j'ai parlé, il leur semble que c'est tout un, et elles s'abandonnent à une sorte d'ivresse. Et plus elles s'abandonnent, plus elles sont enivrées, car leur nature cède de plus en plus, et dans leur cervelle, elles croient qu'il s'agit d'un ravissement. Moi, j'appelle cela abêtissement, car elles ne font rien d'autre que de perdre leur temps et gâcher leur santé.
12 Certaine personne restait ainsi huit heures, sans perde les sens et sans rien éprouver des choses de Dieu. Elle s'en guérit en mangeant, en dormant, et en modérant ses pénitences, parce que quelqu'un comprit ce dont il s'agissait ; son confesseur se trompait à son sujet, d'autres personnes aussi, et elle-même, car elle ne cherchait pas à tromper. Je crois bien que le démon s'affairait pour en profiter, et déjà les avantages qu'il en tirait n'étaient pas minces.
13 Il faut comprendre que lorsqu'il s'agit vraiment de Dieu, même s'il y a défaillance intérieure et extérieure, il n'y en a point dans l'âme, qui sent très vivement qu'elle est tout prés de Dieu ; cela ne dure pas aussi longtemps, mais passe très vite. Bien que l'âme soit à nouveau enivrée, et dans cet état d'oraison, sauf en un cas de faiblesse comme celui que j'ai décrit, ça n'est pas au point de démolir le corps, qui n'est pas non plus sensible extérieurement. Ainsi, soyez sur vos gardes ; quand vous éprouverez quelque chose de cette sorte, dites-le à la supérieure, et distrayez-vous comme vous le pourrez. Qu'on ne laisse pas ces soeurs passer de si longues heures en oraison, mais fort peu de temps, qu'on les incite à bien dormir et à manger, jusqu'à ce qu'elles retrouvent leurs forces naturelles, si le manque de sommeil et de nourriture les leur a fait perdre. Celle dont la faiblesse naturelle est telle que cela ne suffise point, croyez-moi, Dieu ne l'appelle qu'à la vie active, et il faut de tout dans un monastère ; qu'on l'occupe à divers offices, en veillant à ce qu'elle ne vive pas trop dans la solitude car elle en viendrait à détruire entièrement sa santé. Ce sera pour elle une fort grande mortification, mais le Seigneur soumet son amour pour Lui à une épreuve : voir comment elle supporte cette absence ; au bout d'un certain temps peut-être consentira-t-il à lui rendre ses forces ; sinon, elle gagnera en oraison vocale et en obéissance et obtiendra ainsi, et d'aventure avec surcroît, les mérites qu'elle aurait mérités autrement.
14 Il s'en trouve aussi, comme j'en ai connu, dont la tête et l'imagination sont si faibles qu'elles croient voir tout ce qu'elles pensent ; c'est fort dangereux. Je n'en dis pas davantage ici parce que je m'en occuperai peut-être plus avant ; je me suis beaucoup étendue sur cette Demeure, parce que, me semble-t-il, c'est celle où les âmes pénètrent en plus grand nombre. Comme le naturel s'y trouve mêlé au surnaturel, le démon peut y faire plus de mal ; mais, dans les Demeures dont je vais parler, le Seigneur lui en laisse moins souvent l'occasion.

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Message par Francesco Mer 8 Déc 2010 - 19:49

5e Demeures:

CINQUIEMES DEMEURES

CHAPITRE PREMIER SUITE

De la manière dont l'âme s'unit à Dieux dans l'oraison. A quoi on reconnaîtra que ce n'est pas un leurre.
1 Ô mes soeurs, comment vous dire les richesses, et les trésors, et les délices qui se trouvent dans les cinquièmes Demeures

? Je crois qu'il vaudrait mieux ne rien dire de celles dont je n'ai pas encore parlé, car on ne saurait les décrire, l'entendementne saurait les comprendre, ni les comparaisons servir à les expliquer ; car les choses terrestres sont trop basses pour nous y aider. Envoyez, mon Seigneur, de la lumière du ciel pour que je puisse éclairer quelque peu vos servantes, (puisque vous consentez à ce que certaines d'entre elles jouissent ordinairement de ces délices), afin qu'elles ne soient pas induites en erreur au cas où le démon se transfigurerait en ange de lumière ; elles n'ont d'autre désir que celui de vous contenter.
2 J'ai parlé de certaines d'entre elles, mais rares sont celles qui n'entrent pas dans cette Demeure dont je vais m'occuper. Il y a le plus et le moins, c'est pourquoi je dis que la plupart y entrent. Je crois bien que certaines des choses qu'on trouve dans cette Demeure ne sont données qu'à un petit nombre, mais ne feraient-elles qu'arriver à la porte, c'est déjà une fort grande miséricorde, car si les appelés sont nombreux, rares sont les élus. Je dis donc maintenant que bien que nous toutes qui portons ce saint habit du Carmel soyons appelles à l'oraison et à la contemplation, car telle fut notre origine, nous descendons de cette caste, celle de nos saints Pères du Mont Carmel qui dans une si grande solitude et un si profond mépris du monde recherchaient ce trésor, rares sont celles d'entre nous qui se disposent à mériter que le Seigneur leur découvre la perle précieuse dont nous parlons. Extérieurement, tout se prête à ce que nous obtenions ce qui nous est nécessaire ; quant aux vertus pour y atteindre, il nous en faut beaucoup, beaucoup, et ne jamais rien négliger, ni peu, ni prou. Donc, mes soeurs, puisque en quelque sorte nous pouvons jouir du ciel sur la terre, prions bien haut le Seigneur de nous aider de sa grâce pour que nous n'y manquions point par notre faute, qu'il nous montre le chemin, et nous donne de la force d'âme, jusqu'à ce que nous découvrions ce trésor caché, puisqu'il est vrai qu'il est en nous : c'est ce que je voudrais vous faire comprendre, si le Seigneur veut que j'en sois capable.
3 J'ai dit " de la force d'âme ", pour que vous compreniez que celle du corps n'est pas nécessaire lorsque Dieu Notre-Seigneur ne nous la donne point ; il ne met personne dans l'impossibilité d'acheter ses richesses ; si chacun donne ce qu'il a, il s'en contente. Béni soit un si grand Dieu. Mais considérez, mes filles, qu'en ce qui nous occupe, il n'entend pas que vous vous réserviez quoi que ce soit ; peu ou beaucoup, il veut tout pour lui, et les faveurs que vous recevrez seront plus ou moins grandes, conformément à ce que vous constaterez avoir donné. Il n'est meilleure manière de nous prouver si, oui ou non, notre oraison atteint à l'union. Ne pensez pas que ce soit chose rêvée, comme dans la Demeure précédente : je dis rêvée, parce que l'âme semble comme assoupie, sans toutefois paraître endormie, ni se sentir éveillée. Ici, bien que toutes nos puissances soient endormies, et bien endormies aux choses du monde et à nous-mêmes, (car, en fait, on se trouve comme privée de sens pendant le peu de temps que dure cette union, dans l'incapacité de penser, quand même on le voudrait), ici, donc, il n'est pas nécessaire d'user d'artifices pour suspendre la pensée.
4 Et même aimer ; car si elle aime, elle ne sait comment, ni qui elle aime, ni ce qu'elle aimerait ; enfin, elle est comme tout entière morte au monde pour mieux vivre en Dieu. Et c'est une mort savoureuse, l'âme s'arrache à toutes les opérations qu'elle peut avoir, tout en restant dans le corps : délectable, car l'âme semble vraiment se séparer du corps pour mieux se trouver en Dieu, de telle sorte que je ne sais même pas s'il lui reste assez de vie pour respirer. J'y pensais à l'instant, et il m'a semblé que non ; du moins, si on respire, on ne s'en rend pas compte. L'entendement voudrait s'employer tout entier à comprendre quelque chose de ce qu'éprouve l'âme, et comme ses forces n'y suffisent point, il reste ébahi de telle façon que s'il n'est pas complètement annulé, il ne bouge ni pied, ni main, comme on le dit d'une personne évanouie si profondément qu'elle nous parait morte. Ô secrets de Dieu ! Jamais je me lasserais de chercher à vous les faire comprendre, si je pensais avoir quelque chance d'y réussir ; je dirai donc mille folies dans l'espoir de tomber juste une fois ou l'autre, afin que nous louions vivement le Seigneur.
5 J'ai dit que ce n'était pas une chose rêvée, parce que dans la Demeure dont j'ai parlé, tant qu'on n'a pas une grande expérience, l'âme reste dans le doute sur ce qui s'est passé : s'est-elle illusionnée, était-elle endormie, était-ce un don de Dieu, ou le démon s'est-il transfiguré en ange de lumières ? Elle a mille soupçons, et il est bon qu'il en soit ainsi ; car, comme je l'ai dit notre nature elle-même peut parfois nous tromper dans cette Demeure ; les bêtes venimeuses n'y ont pas aussi facilement accès que dans les précédentes, sauf, toutefois, de petits lézards, si subtils qu'ils se fourrent partout, et bien qu'ils ne fassent point de mal, en particulier si, comme je l'ai dit, on n'en fait aucun cas, ce sont de petites pensées nées de l'imagination et d'autres causes déjà indiquées, qui, souvent, importunent. Ici, dans cette Demeure, si subtils que soient les lézards, ils ne peuvent entrer ; car il n'est imagination, ni mémoire, ni entendement qui puisse s'opposer à notre bonheur. Et j'ose affirmer que c'est vraiment une union avec Dieu, le démon ne peut entrer, ni faire aucun mal ; car Sa Majesté est si étroitement unie à l'essence de l'âme qu'il n'ose approcher, et qu'il ne doit même pas connaître ce secret. C'est clair : puisqu'on dit qu'il ne comprend pas nos pensées, il comprendra moins encore quelque chose d'aussi secret que Dieu ne confie même pas à notre entendement. Ô bonheur d'un état où ce maudit ne nous fait pas de mal ! C'est ainsi que l'âme obtient de précieux avantages, Dieu agit en elle sans que nul n'y fasse obstacle, pas même nous. Que ne donnera donc pas celui qui aime tant à donner, lorsqu'il peut donner tout ce qu'il veut ?
6 Je vous troubles ce me semble, lorsque je dis " si c'est vraiment une union avec Dieu " ; comme s'il y avait d'autres unions. Il y en a, et comment ! Ne s'agirait-il que des choses vaines, si on les aime beaucoup, le démon peut s'en servir pour nous transporter, mais pas à la façon de Dieu, ni dans la délectation et la satisfaction de l'âme, sa paix, sa joie. Cette joie-là surpasse toutes celles de la terre, elle surpasse toutes les délices, tous les contentements, plus encore, ce qui engendre ces contentements, et la cause de ceux de la terre n'ont rien de commun, le sentiment qu'on éprouve est bien différent, comme vous le savez peut-être d'expérience. J'ai dit un jour (Le Chemin de la Perfection, chap. 31) qu'on peut de même comparer ce que ressent notre corps grossier avec ce qu'on éprouve au plus profond de soi-même, c'est exact, je ne sais comment je pourrais mieux dire.
7 Mais, me semble-t-il, je vous devine encore insatisfaites, vous allez croire que vous pouvez vous tromper, car l'examen de ces choses intérieures est difficile ; ce que j'ai dit suffira à celles qui ont de l'expérience, car la différence est grande, mais je veux vous donner un signe clair qui vous évitera de vous tromper et de douter que cela vienne de Dieu ; Sa Majesté me l'a rappelé aujourd'hui, et, à mon avis, c'est la vraie preuve. Dans les choses difficiles, même lorsque je crois les comprendre, j'emploie toujours l'expression, " il me semble ", car si je me tronquais, je suis toute disposée à croire ce que diraient les hommes très doctes, car même s'ils ne sont pas passés par ces choses, les grands clercs ont un je ne sais quoi de particulier : comme Dieu fait d'eux la lumière de son Église, quand il y a une vérité, il là leur communique pour qu'ils la fassent admettre ; et s'ils ne se dissipent point, mais sont les serviteurs de Dieu, jamais ils ne s'étonnent de ses grandeurs, car ils comprennent bien qu'il peut beaucoup plus, et plus encore. Enfin, si certaines choses n'ont pas été si bien définies, ils doivent, dans les livres, en trouver d'autres qui leur montrent que celles-là peuvent se produire.
8 J'ai de cela la très grande expérience, j'ai aussi celle de ces moitiés de clercs qu'un rien effarouche ici, car ils me coûtent très cher. Je pense, du moins, que ceux qui ne croient pas que Dieu peut faire bien davantage, qu'il a jugé, et juge bon d'en disposer pour ses créatures, se ferment la porte par laquelle ils pourraient recevoir ses faveurs. Que cela ne vous arrive jamais, mes soeurs, mais, croyez que tout est possible à Dieu et beaucoup plus encore, ne vous demandez pas si ceux à qui il accorde ses grâces sont bons, ou s'ils sont vils, Sa Majesté le sait, comme je vous l'ai dit. Nous n'avons pas à nous en mêler, mais à servir Sa Majesté avec simplicité de coeur, humilité, et à la louer de ses oeuvres et de ses merveilles.
9 Donc, pour en revenir au signe dont je dis qu'il est le vrai, vous voyez cette âme que Dieu a rendue toute bête, pour mieux graver en elle la vraie science ; elle ne voit rien, n'entend ni ne comprend rien le temps que dure cet état ; temps bref, mais il lui semble, à elle, plus bref encore qu'il ne l'est. Dieu se fixe dans cette âme de telle façon que lorsqu'elle revient à elle, elle ne peut absolument pas douter qu'elle fut en Dieu, et Dieu en elle. Cette vérité s'affirme si fortement que même si des années se passent sans que Dieu lui fasse à nouveau cette faveur, elle ne peut l'oublier, ni douter de l'avoir reçue. C'est ce qu'il y a de plus impor-
tant, laissons donc de côté pour le moment les effets durables qui s'ensuivent, nous en parlerons plus avant.
10 Vous me direz donc : " Comment l'a-t-elle vu ou compris, puisqu'elle ne voit ni ne comprend ? " Je ne dis pas qu'elle l'ait vu dans l'instant, mais qu'elle le voit clairement après coup ; ce n'est pourtant pas une vision, mais une certitude que Dieu seul peut donner à l'âme. Je connais une personne qui n'avait jamais appris que Dieu était en toutes choses par présence, et puissance, et essence, et qui, après une faveur de cette sorte que lui fit le Seigneur, en vint à le croire si fermement (Autobiographie, chap 18) que lorsqu'elle demanda à l'un de ces demi-clercs dont j'ai parlé comment Dieu est en nous, (il n'en savait pas plus qu'elle-même avant que Dieu le lui ai fait comprendre), et qu'il lui répondit qu'il n'y était que par sa grâcé, elle était si affermie dans la vérité qu'elle ne le crut point ; elle en interrogea d'autres, qui lui dirent la vérité, et ce fut pour elle un grand réconfort.
11 Ne vous y trompez point, n'allez pas croire que cette présence dont vous avez la certitude soit une forme corporelle comme l'est le corps de Notre-Seigneur Jésus-Christ dans le Saint-Sacrement, malgré que nous ne le voyions point ; il n'est pas ici sous cette forme, mais sa Divinité seule. Comment se fait-il que nous soyons certains de ce que nous ne voyons pas ? Je l'ignore, c'est une oeuvre de Dieu, mais je sais que je dis la vérité, et je dirais de quiconque n'aurait pas cette certitude que son âme n'est pas unie à Dieu tout entière, mais seulement par l'une de ses puissances, ou par l'une des nombreuses sortes de faveurs que Dieu accorde à l'âme. Nous devons renoncer à chercher pour quelles raisons cela se passe ; alors que notre entendement n'arrive pas à le comprendre, de quoi voulons-nous nous enorgueillir ? Il suffit de voir que celui qui agit est tout-puissant ; puisque tous nos efforts sont incapables à nous obtenir cette faveur, mais que Dieu fait tout, ne faisons pas l'effort de chercher à comprendre.
12 A propos de ce que je dis, de notre impuissance, je me rappelle ce que vous avez entendu dire à l'épouse du CANTIQUE : LE ROI MA INTRODUITE DANS SES CELLIERS (Ct 1,3), je crois même qu'il dit : IL M'Y A FOURRÉE. Et il ne dit pas que c'est elle qui y est allée. Il dit aussi qu'elle allait de part et d'autre à la recherche de son Aimé. Je comprends qu'il s'agit là du cellier où le Seigneur veut nous fourrer quand il veut, et comme il veut ; mais pour beaucoup d'efforts que nous fassions nous-même, nous ne pouvons y entrer. Sa Majesté Elle-même doit nous y fourrer, et pénétrer, Elle, au centre de notre âme, pour mieux montrer ses merveilles. Elle veut que nous n'y soyons pour rien, sauf par la soumission totale de notre volonté, et qu'on n'ouvre point la porte aux puissances et aux sens, qui sont tous endormis ; Dieu entre donc au centre de l'âme sans passer par aucune de ces portes, comme il entra chez ses disciples, lorsqu'il dit : " PAR VOBIS " (Jn 20,19), et comme il sortit du sépulcre sans soulever la pierre. Vous verrez plus avant comment Sa Majesté veut que l'âme jouisse d'Elle dans son centre même, et beaucoup plus encore dans la dernière Demeure que dans celle-ci.
13 Ô mes filles, nous verrons beaucoup de choses si nous consentons à ne voir que notre bassesse et notre misère, et à comprendre que nous ne sommes pas dignes d'être les servantes d'un Seigneur si grand que nous ne pouvons concevoir ses merveilles ! Qu'il soit loué à jamais. Amen.

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Message par Francesco Ven 10 Déc 2010 - 0:12

5e Demeures:

CINQUIEMES DEMEURES

CHAPITRE II SUITE

Suite du même sujet. De l'oraison d'union : une délicate comparaison l'illustre. Des effets dans l'âme de cette forme d'oraison.

1 Sans doute vous semble-t-il que tout ce qu'il y a à voir dans cette Demeure a déjà été décrit, mais il reste encore beaucoup à dire, car, je le répète, on y trouve du plus et du moins De l'union, je ne crois pas savoir en dire davantage ; mais il y a beaucoup à dire au sujet des âmes à qui Dieu accorde ces faveurs et des oeuvres qu'accomplit en elles le Seigneur lorsqu'elles se disposent à les recevoir. Je parlerai de quelques-unes, et de leur effet sur l'âme. Pour aider à le comprendre, je veux me servir d'une comparaison qui s'y prête ; nous verrons aussi comment, bien que nous soyons impuissants à susciter cette oeuvre du Seigneur nous pouvons toutefois faire beaucoup, si nous nous disposons à ce que Sa Majesté nous accorde cette faveur.
2 Vous avez sans doute entendu dire de quelle façon merveilleuse se produit la soie, Lui seul put inventer choses semblables, une semence, pas plus grosse qu'un petit grain de poivre, (je ne l'ai jamais vue, mais j'en ai entendu parler, et si je dis quelque chose d'inexact, ce n'est donc pas de ma faute), mais sous l'action de la chaleur, lorsque apparaissent sur les mûriers les premières feuilles, cette semence se met à vivre ; car elle est morte jusqu'au jour où naît l'aliment dont elle se sustente. De ces feuilles de mûrier elle se nourrit, jusqu'au jour où déjà grande, on dispose pour elle de petites branches ; et là, de sa petite bouche, elle file elle- même la soie, et fait un petit cocon très serré où elle s'enferme : ce ver, qui est gros et laid, meurt là, et il sort de ce même cocon un petit papillon blanc, très gracieux. Qui pourrait y croire, sans le Voir ? Cela semblerait plutôt un conte du temps jadis. Quel raisonnement pourrait nous faire admettre qu'une chose dénuée de raison comme peuvent l'être un ver, ou une abeille, travaillent à notre profit avec une telle diligence, qu'ils soient si industrieux, à tel point qu'il en coûte la vie au pauvre vermisseau ? Cela peut suffire à un moment de méditation, mes soeurs, même si je ne vous en disais pas davantage ; car vous pouvez considérer ici les merveilles et la sagesse de notre Dieu. Qu'adviendrait-il donc si nous connaissions les propriétés de toutes choses ? Il nous est bien profitable de nous occuper à méditer sur ces grandeurs, et de nous réjouir d'être les épouses d'un Roi si sage et si puissant.
3 Revenons à mon propos. Ce ver commence à vivre lorsque, à la chaleur du Saint-Esprit, nous commençons à profiter de l'aide générale que Dieu nous donne à tous, et quand nous commençons à user des remèdes qu'il a confiés à son Église, comme la pratique de la confession, les bonnes lectures, les sermons, remèdes qui s'offrent à l'âme qui est morte des suites de sa négligence, de ses péchés, et qui demeure au milieu des tentations. Elle commence alors à vivre, elle se nourrit de tout cela et de bonnes méditations jusqu'à ce qu'elle ait grandi, et voilà ce qui nous intéresse, peu importe le reste.
4 Lorsque ce ver est grand, comme je l'ai dit au début de ce que j'ai écrit, il commence à élaborer la soie et à édifier la maison où il doit mourir. Je voudrais faire comprendre ici que cette maison, c'est le Christ. Je crois avoir lu ou entendu quelque part que notre vie est cachée dans le Christ, ou en Dieu, c'est tout un, ou que le Christ est notre vie (Col 3,3). Que je l'aie lu ou non, n'ajoute pas grand-chose à mon propos.
5 Vous voyez donc ici, mes filles, ce que nous pouvons faire avec la faveur de Dieu : Sa Majesté elle-même peut être notre demeure, comme Elle l'est dans cette oraison d'union, et nous pouvons construire cette demeuré ! J'ai l'air de vouloir dire que nous pouvons enlever et ajouter quelque chose à Dieu, lorsque je dis qu'il est la Demeure, et que nous pouvons la fabriquer pour nous y installer. Eh oui, nous le pouvons ! Non pas enlever ni ajouter quelque chose à Dieu, mais enlever de nous quelque chose et y ajouter, comme le font ces vermisseaux ; car à peine aurons-nous fini de faire tout notre possible que Dieu unira à sa grandeur ce petit travail, qui n'est rien, et il lui donnera une si grande valeur que la récompense de cet ouvrage sera le Seigneur lui-même. Et comme c'est Lui qui a assumé la plus grosse part des frais, il veut unir nos petites peines aux grandes que Sa Majesté a souffertes, et que tout soit un.
6 Or, donc, mes filles, vite à l'oeuvre, hâtons-nous de tisser ce petit cocon, renonçant à notre amour propre et à notre volonté à l'attachement à toute chose terrestre, faisons oeuvre de pénitence, oraison, mortification, obéissance, et de tout ce que vous savez déjà ; plaise à Dieu que nous accomplissions ce que nous savons, ce qu'on nous a enseigné à faire ! Meure, meure ce ver, comme il le fait lorsqu'il a achevé l'oeuvre pour laquelle il fut créé, et vous verrez comment nous voyons Dieu, et comment nous nous voyons aussi incluses dans sa grandeur que le petit ver l'est dans le cocon. Considérez que lorsque je dis voir Dieu, c'est à la façon dont il nous signifie sa présence dans cette forme d'union.
7 Voyons donc ce qu'il advient de ce ver, c'est à quoi tend tout ce que j'ai dit jusqu'ici ; car lorsqu'il a atteint à ce degré d'oraison, bien mort au monde, il se transforme en petit papillon blanc. Ô grandeur de Dieu, que devient l'âme ici, du seul fait d'avoir été un petit peu mêlée à la grandeur de Dieu et si proche de Lui ; car, ce me semble, elle n'y reste pas plus d'une demi-heure ! Je vous dis en vérité que l'âme elle-même ne se connaît pas, considérez quelle différence il y a entre un vilain ver et un petit papillon blanc ; il en est de même pour l'âme. Elle ne sait comment elle a pu mériter un si grand bienfait : je veux dire qu'elle ignore d'où il a pu lui venir, sachant bien qu'elle ne le mérite point ; elle éprouve un tel désir de louer Dieu qu'elle voudrait s'anéantir et mourir pour Lui mille morts. Et elle se prend aussitôt à souhaiter subir de grandes épreuves, sans qu'elle puisse rien faire d'autre. Immense désir de pénitence, de solitude, et que tous au monde connaissent Dieu ; et de là naît un grand chagrin de voir qu'on l'offense. Il sera traité en détail de tout cela dans la Demeure suivante, car si les choses se passent dans cette Demeure-ci à très peu de chose près comme dans la suivante, la puissance des effets est fort différente ; car, comme je l'ai dit si l'âme que Dieu a amenée ici s'efforce à aller de l'avant, elle verra de grandes choses.
8 Oh ! Voir l'inquiétude de ce petit papillon, qui pourtant n'a jamais été aussi calme et paisible de sa vie ! C'est chose digne d'en louer Dieu, car s'il ne sait où se poser pour s'y fixer, c'est qu'il n'a jamais connu une telle paix, il est mécontent de tout ce qu'il voit sur la terre, en particulier si Dieu lui donne souvent de ce vin ; il y gagne quelque chose à peu près chaque fois. Il méprise désormais les oeuvres qu'il accomplissait lorsqu'il était vermisseau et filait peu à peu son cocon ; il lui est poussé des ailes : comment se contenterait-il, maintenant qu'il peut voler, d'aller pas à pas ? Tout ce qu'il peut faire pour Dieu lui semble peu de chose, si vif est son désir. Il ne prise pas beaucoup ce qu'ont souffert les Saints, connaissant maintenant d'expérience l'aide que peut donner le Seigneur et qu'il transforme l'âme dont on ne reconnaît plus rien, pas même son visage. Car de faible pour faire pénitence, la voici forte ; son attachement aux parents, aux amis, à ses biens, (auxquels tous ses efforts, ses déterminations, sa volonté de s'en dégager, semblaient l'assujettir davantage), ne l'entrave plus, il lui pèse même de se contraindre à ce qu'elle est obligée de faire sous peine d'offenser Dieu. Tout la fatigue, depuis qu'elle a la preuve que les créatures ne peuvent lui donner le vrai repos.
9 J'ai l'air de trop m'étendre, : alors que je pourrais en dire beaucoup plus long ; ceux à qui Dieu aura fait cette faveur verront que je suis loin de compte ; il ne faut donc pas s'étonner si ce petit papillon cherche à nouveau où se poser, tant il se découvre étranger aux choses de cette terre. Où donc ira-t-il, le pauvret ? Revenir à ce qu'il a quitté, il ne le peut, car, comme je l'ai dit, cela ne dépend pas de nous, quels que soient nos efforts, jusqu'à ce que Dieu consente à réitérer cette faveur. Ô Seigneur ! Que de nouvelles épreuves commencent pour cette âme ! Qui l'eût cru, après une si haute faveur ? A la fin des fins, d'une manière ou d'une autre, nous devons porter la croix tant que nous vivons. Si quelqu'un disait qu'une fois arrivé là il n'a plus vécu que dans le repos et les régals, je dirais, moi, que jamais il n'y est parvenu, que s'il est arrivé, d'aventure, à la Demeure précédente, il y a connu quelques joies dues à sa faiblesse naturelle, et même, d'aventure, au démon, qui lui donne la paix pour mieux lui faire la guerre plus tard.
10 Je ne veux pas dire que ceux qui atteignent à cet état ne sont pas en paix, oui, ils y sont, et bien ; car leurs épreuves mêmes sont de si haut prix et de si bonne souche que, si sévères elles soient, elles engendrent la paix et la joie. Du déplaisir qu'ils trouvent aux choses du monde naît un si douloureux désir d'en sortir que leur seul soulagement est de penser que la volonté de Dieu leur impose cet exil, et cela ne suffit même pas, car malgré tout ce que l'âme a gagné, elle n'est pas encore aussi abandonnée à la volonté de Dieu qu'elle le sera dans l'avenir, sans toutefois qu'elle manque à se résigner ; mais elle ne le fait qu'avec un vif regret, avec beaucoup de larmes ; on ne lui a pas donné plus, elle ne peut donc mieux faire, et chaque fois qu'elle fait oraison, c'est là sa peine. Cette peine provient en quelque sorte de celle, très vive, qu'elle éprouve de voir Dieu offensé en ce monde, peu honoré, et le grand nombre d'âmes qui s'y perdent, celles des hérétiques comme celles des Maures ; mais elle a encore plus pitié de celles des chrétiens ; elle a beau voir la miséricorde de Dieu, si grande que ceux qui vivent mal peuvent toutefois s'amender et se sauver, elle craint que nombre d'entre eux ne se damnent.
11 Ô grandeur de Dieu ! Il y a bien peu d'années, peut-être même bien peu de jours, cette âme ne pensait qu'à elle. Qui donc l'a jetée dans de si pénibles soucis ? En de longues années de méditation, nous ne pourrions les ressentir aussi douloureusement que les éprouve cette âme. Mais, Dieu secourable, si je m'exerçais pendant des jours et des années à songer combien il est mal, et grave d'offenser Dieu, à considérer que ceux qui se damnent sont ses enfants, mes frères, les dangers au milieu desquels nous vivons, et combien il serait bon de sortir de cette misérable vie, cela ne suffirait-il point ? Que non, mes filles ; la peine qu'on éprouve à ce degré d'oraison n'a rien de commun avec celle-ci ; nous pourrions bien, certes, la ressentir, Dieu aidant, à force de méditer, mais elle n'atteint pas le fond de nos entrailles comme il en est ici, où elle semble déchiqueter l'âme et la broyer, sans qu'elle le cherche, et même parfois sans qu'elle le veuille. Qu'est-ce donc ? D'où cela vient-il ? Je vais vous le dire.
12 N'avez-vous pas entendu parler de l'Épouse (je l'ai fait plus haut, mais pas à ce sujet), que Dieu a introduite dans le cellier du vin, ordonnant en elle la charité ? C'est cela même, car déjà cette âme s'abandonne dans ses mains ; elle est si vaincue par son grand amour qu'elle demande à Dieu de faire d'elle ce qu'il veut, elle ne sait et ne veut rien d'autre, (à ce que je crois, jamais Dieu ne fera cette grâce qu'à l'âme qu'il tient entièrement pour sienne) et Dieu veut que sans qu'elle sache comment, elle sorte de là scellée de son sceau. Car, vraiment, ici, l'âme n'est pas plus active que la cire sur laquelle on imprime un sceau, la cire ne se scelle pas elle-même, elle est seulement disposée, c'est-à-dire molle ; et elle ne s'amollit pas elle-même pour se disposer, mais elle se tient tranquille, et consent. Ô bonté de Dieu, qui faites toujours les frais de tout ! Vous ne demandez que notre bonne volonté, et que la cire ne fasse pas obstacle.
13 Vous voyez, mes soeurs, ce que notre Dieu accomplit ici pour que cette âme reconnaisse qu'elle est à lui ; Il lui donne une part de ses biens, et son Fils en cette vie a eu la même chose : il ne peut nous faire une plus grande faveur. Qui donc plus que lui devait vouloir sortir de cette vie ? Sa Majesté l'a dit ainsi à la Cène : " J'ai désiré avec ardeur " (Lc 22,15). Comment, Seigneur, n'avez-vous pas envisagé la douloureuse mort dont vous alliez mourir, si pénible, si effrayante ? Non, car mon grand amour, mon désir du salut des âmes, surpassent incomparablement ces peines ; celles, immenses, que j'ai endurées et que j'endure depuis que je suis sur terre sont assez grandes pour que les autres soient néant en comparaison.
14 C'est ainsi que j'ai souvent médité cela ; sachant le tourment qu'endure, et a enduré, certaine âme que je connais (la sainte elle-même) devant les offenses faites à Notre-Seigneur, pensée si intolérable qu'elle eût préféré la mort à cette souffrance, alors que la charité de cette âme était infime, on peut même dire à peu près nulle, comparée avec celle du Christ, or donc, puisqu'elle ressentait une souffrance si insupportable, quelle affliction dut ressentir Notre-Seigneur Jésus- Christ ? Quelle vie dut être la sienne, lui qui voyait toutes choses, et qui avait toujours devant les yeux les grandes offenses faites à son-Père ? Je ne doute pas que ces souffrances-là n'aient été bien pires que celles de sa très sainte Passion, car il touchait alors à la fin de ses épreuves, et, joint à la joie de faire notre salut par sa mort, à celle de témoigner de son amour pour son-Père en souffrant pour lui si cruellement, cela put modérer ses douleurs, comme il en est ici-bas pour ceux qui, fortifiés par l'amour, font de grandes pénitences ; ils ne les sentent qu'à peine, ils voudraient plutôt en faire de plus en plus, tout leur semble léger. Que devait-il en être pour Sa Majesté, en une si grave conjoncture, alors qu'Elle montrait au Père avec quelle perfection Elle lui obéissait, avec quel amour du prochain ? Oh ! grandes délices, souffrir en accomplissant la volonté de Dieu ! Mais j'estime si rude la vue continuelle de tant d'offenses faites à Sa Majesté, celle de tant d'âmes qui vont en enfer, que s'il n'eût été plus qu'un homme, un seul jour de cette peine eût suffi, je le crois, à anéantir de nombreuses vies, et, d'autant mieux, une seule !


SUITE


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7 demeures - Les 7 demeures de l'ame de ste Thérese d'Avila Empty Re: Les 7 demeures de l'ame de ste Thérese d'Avila

Message par Francesco Sam 11 Déc 2010 - 0:24

5E Demeures:

CINQUIEMES DEMEURES

CHAPITRE III SUITE

Suite du même sujet. D'une autre forme d'union que l'âme peut atteindre avec la faveur de Dieu, et de l'importance, dans ce but, de l'amour du prochain. C'est fort substantiel.

1 Revenons donc à notre petit papillon et voyons certaines choses que Dieu lui accorde en cet état. Il est toujours bien entendu qu'il doit chercher à progresser dans le service de Notre-Seigneur et dans la propre connaissance ; car s'il ne fait que recevoir cette faveur, s'il la tient pour assurée désormais, il en vient à moins se surveiller dans la vie et à se fourvoyer sur le chemin du ciel, c'est-à-dire dans l'observation des commandements, et il en sera de lui comme de celui qui sort du ver à soie : il jette la semence d'où naîtront d'autres papillons, et meurt à jamais. Je dis qu'il jette la semence, car je crois personnellement que Dieu veut qu'une si grande faveur n'ait pas été accordée en vain, et que puisqu'il vit avec les désirs et les vertus dont j'ai parlé, tant qu'il persévère dans le bien, il est toujours utile à d'autres âmes, sa chaleur les réchauffe ; et même s'il a perdu tout cela, il lui arrive de garder cette envie d'aider les autres, et de se plaire à faire connaître les faveurs que Dieu accorde à ceux qui l'aiment et le servent.
2 J'ai connu une personne dont ce fut le cas (la sainte parle d'elle) ; alors qu'elle se trouvait dans un grand égarement, elle aimait que d'autres profitent des faveurs que Dieu lui avait faites, elle montrait le chemin de l'oraison à celles qui ne le connaissaient pas, et elle leur fut très, très utile. Plus tard le Seigneur lui rendit la lumière. Il est vrai qu'elle n'avait pas encore obtenu les effets de l'oraison dont j'ai parlé. Mais combien doit-il y en avoir que le Seigneur appelle à l'apostolat, comme Judas, à qui il se communique, combien il en appelle, pour les faire rois, comme Saül, qui se perdent ensuite par leur faute ! Nous devons en déduire, mes soeurs, que pour acquérir de plus en plus de mérites et ne pas nous perdre comme ces gens-là, il est un moyen-sûr, l'obéissance, et ne point dévier de la loi de Dieu : je parle pour ceux à qui Dieu accorde de telles faveurs, et même pour tout le monde.
3 Malgré tout ce que j'ai dit, il m'apparaît que cette Demeure reste encore quelque peu obscure. Puisqu'il y a tant d'avantages à y pénétrer, il est bon de ne pas avoir l'impression que ceux à qui le Seigneur n'accorde pas des choses aussi surnaturelles n'ont aucune espérance : on peut très bien atteindre à la véritable union, avec la faveur de Notre-Seigneur, si on s'efforce de l'obtenir en n'ayant d'autre volonté que celle de nous attacher en tout à la volonté de Dieu. Oh ! que nous devons être nombreux à parler ainsi, à croire que nous ne voulons rien d'autre, et que nous sommes prêts à mourir pour cette vérité, comme je crois l'avoir dit ! Mais je dis ici, et je le répéterai souvent, que si vous pensez ainsi, cette faveur du Seigneur vous est acquise ; ne soyez donc nullement en peine des régals de l'autre union dont j'ai parlé, son intérêt majeur est de découler de celle dont je parle ici, et du fait qu'il soit impossible d'y atteindre si l'union qui asservit notre volonté à celle de Dieu n'est pas bien affirmée. Oh ! quelle union à désirer ! Heureuse l'âme qui l'a obtenue, elle vivra en paix en cette vie, et également dans l'autre, car aucun des événements de la terre ne l'affligera, sauf de se trouver en quelque danger de perdre Dieu, ou de voir qu'on l'offense, mais ni la maladie, ni la pauvreté, ni mille morts, s'il ne s'agit de quelqu'un de nécessaire au service de Dieu ; car cette âme voit bien qu'il sait ce qu'il fait mieux qu'elle ne sait ce qu'elle désire.
4 Remarquez qu'il y a peines et peines ; des peines proviennent spontanément de la nature, de même des joies, et aussi certains mouvements de pitié charitable pour les autres, comme celui qu'éprouva Notre-Seigneur quand Il ressuscita Lazare (Jn 11,35) ; elles ne nous empêchent pas d'être unis à la volonté de Dieu, elles ne troublent pas non plus l'âme d'une passion inquiète, turbulente, et qui dure. Ces peines-là passent vite ; comme je l'ai dit des plaisirs dans l'oraison, elles ne semblent pas pénétrer au fond de l'âme, elles ne touchent que les sens et les puissances. Elles vont et viennent dans les Demeures précédentes, mais n'entrent pas dans celle dont il reste à parler, la dernière, (car alors la suspension des puissances déjà évoquer est nécessaire), toutefois le Seigneur est assez puissant pour enrichir les âmes et les amener à ces Demeures par bien des chemins, sans passer par le raccourci dont nous avons parlé.
5 Mais notez bien, mes filles, qu'il faut que le ver à soie meure, et il vous en coûtera beaucoup ; car là-bas (c'est-à-dire l'union de délices) la découverte d'une vie si nouvelle l'aide beaucoup à mourir ; ici (c'est-à-dire l'union sans délices) il faut que, vivant sur terre, nous le tuions. Je confesse que l'effort sera bien plus pénible, mais il a son prix ; la récompense sera plus forte, si vous obtenez la victoire. Il ne faut pas douter que ce soit possible, à condition que nous soyons vraiment unies à la volonté de Dieu. Telle est l'union que j'ai désirée toute ma vie, celle que je ne cesse de demander au Seigneur, celle qui est la plus claire et la plus sûre.
6 Mais, infortunés que nous sommes, rares sont ceux qui doivent y parvenir ! Cependant, celui qui se garde d'offenser Dieu et qui est entré en religion croit avoir tout fait. Oh ! que de vers sont restés inaperçus, comme celui qui rongea le lierre de Jonas (Jn 4,6-7) ! Ils ont rongé nos vertus par l'amour-propre, l'estime personnelle, nos jugements sur le prochain, par de petites choses aussi, le manque de charité envers les autres faute de les aimer comme nous-même ; car si nous arrivons, à la traîne, à remplir nos obligations pour ne pas commettre un péché, nous sommes encore bien loin de l'union totale à la volonté de Dieu.
7 D'après vous, mes filles, quelle est sa volonté ? Que nous soyons absolument parfaites, pour que chacune de nous soit une avec Lui et le Père, comme Sa Majesté l'a demandé (Jn 17,22). Que nous sommes loin d'en arriver là ! Je vous le dis, je suis, en écrivant ceci, fort en peine de m'en voir si éloignée, et tout cela par ma faute ; il n'est pas nécessaire que le Seigneur nous régale de ses faveurs pour cela ; il suffit qu'il nous ait donné son Fil pour nous montrer le chemin. Ne croyez pas qu'il s'agisse, si mon père ou mon frère meurent, d'être si résigner à la volonté de Dieu que je n'en aie pas de regret, et si surviennent épreuves et maladies, de les supporter avec joie. Cela est bon et prudent à la fois, car nous n'y pouvons rien, et nous faisons de nécessité vertu. Que de choses comme celles-là faisaient les philosophes ! Celles-là ou d'autres, pour lesquelles leur grand savoir suffisait. Ici, le Seigneur ne nous demande que deux sciences : celles de l'amour de Sa Majesté et du prochain, voilà à quoi nous devons travailler. Si nous les observons parfaitement, nous faisons sa volonté, et ainsi nous lui serons unis. Mais, je l'ai déjà dit, que nous sommes loin d'observer ces deux choses comme nous le devons à un si grand Dieu ! Plaise à Sa Majesté de nous donner la grâce de mériter de parvenir à cet état ; il est à notre portée, si nous le voulons.
8 Nous reconnaîtrons, ce me semble, que nous observons bien ces deux choses, si nous observons bien celle d'aimer notre prochain : ce sera le signe le plus certain ; nous ne pouvons savoir si nous aimons Dieu, bien que d'importants indices nous fassent entendre que nous l'aimons, mais nous pouvons savoir, oui, si nous avons l'amour du prochain. Et soyez certaines que plus vous ferez de progrès dans cet amour-là, plus vous en ferez dans l'amour de Dieu ; car l'amour de Sa Majesté pour nous est si grand qu'en retour de celui que nous avons pour notre prochain il augmentera de mille manières celui que nous avons pour Sa Majesté : je ne puis en douter.
9 Il est de prime importance que nous soyons très attentives sur ce point, et si nous nous y attachons à la perfection, tout est fait ; je crois, en effet, vu notre mauvais naturel, que si notre amour du prochain ne s'enracine pas dans l'amour de Dieu, nous n'y atteindrons jamais parfaitement. C'est pourquoi il est important pour nous, mes soeurs, de chercher à voir clair en nous dans les choses les plus menues sans tenir compte des très grandes qui s'offrent à nous toutes ensemble dans l'oraison, quand nous préjugeons de ce que nous ferons et entreprendrons pour notre prochain et pour le salut d'une seule âme ; car si les oeuvres qui suivent ne sont pas conformes, nous n'avons aucune raison de croire que nous y parviendrons. J'en dis autant de l'humilité et de toutes les vertus. Les ruses du démon sont grandes, et pour nous faire croire, à tort, que nous possédons l'une d'elles, il retournera tout l'enfer. Et il a raison, c'est fort nuisible, fausses vertus s'accompagnent toujours de vaine gloire, c'est donc là qu'elles prennent racine ; de même, celles que donne Dieu sont exemptes de vaine gloire et d'orgueil.
10 Je m'amuse souvent de voir des âmes, en oraison, désirer qu'on les abaisse, qu'on les insulte publiquement et pour Dieu, mais prêtes a cachez ensuite, une petite faute, si elles le pouvaient. Oh ! Que dire si on les accuse d'une faute qu'elles n'ont pas commise ! Dieu nous en garde ! Celle qui ne supporte pas cela doit bien s'examiner pour ne pas tenir compte de la décision qu'elle pense avoir prise ; à vrai dire, ce ne fut pas une décision de la volonté, quand la volonté est sincère, c'est autre chose, mais le fait de l'imagination : c'est elle que le démon utilise pour nous leurrer et nous précipiter ; il peut beaucoup sur les femmes et les illettrés, nous ne savons pas distinguer les puissances de l'imagination, et mille autre choses intérieures. Ô mes soeurs ! comme on distingue clairement en certaines d'entre vous l'amour vrai du prochain, alors que chez d'autres il n'atteint pas à la même perfection ! Si vous compreniez l'importance pour nous de cette vertu, vous ne vous appliqueriez à rien d'autre.
11 Quand je vois des âmes s'adonner diligemment à examiner leur oraison, si encapuchonnées qu'elles n'osent ni bouger ni détourner leur pensée pour éviter qu'un peu de leur plaisir et de leur ferveur ne se dérobe, j'en conclus qu'elles comprennent bien mal par quel chemin on atteint à l'union, et qu'elles pensent que toute l'affaire se réduit à cela. Mais non, mes soeurs, non : le Seigneur veut des oeuvres ; si tu vois une malade à qui tu puisses apporter certain soulagement, peu doit t'importer de perdre cette ferveur, aie pitié d'elle ; si elle souffre, souffre toi aussi ; et si c'est nécessaire, jeûne pour qu'elle mange à ta place : moins pour elle que parce que tu sais que le Seigneur veut qu'il en soit ainsi. Telle est la vraie union avec Sa volonté ; et si tu entends vivement louer une personne, réjouis-toi beaucoup plus que si on te louais toi-même. C'est facile, à la vérité, car l'humilité, si elle existe, serait plutôt peinée de s'entendre louer. Mais nous réjouir qu'on reconnaisse les vertus de nos soeurs est une grande chose, de même que, si l'on voit en l'une d'elles un défaut, le déplorer comme s'il s'agissait de nous-même, et le cacher.
12 J'ai beaucoup insisté ailleurs (Le Chemin de la Perfection, chap. 7) sur tout cela, sachant, mes soeurs, que s'il y a ici une faille, nous sommes perdues. Plaise au Seigneur que ce ne soit jamais le cas. Si vous avez cet amour du prochain, je vous affirme que vous ne manquerez pas d'obtenir de Sa Majesté l'union dont j'ai parlé. Si vous constatiez qu'il vous fait défaut, même si vous avez de la ferveur et des joies spirituelles, même si vous croyez être parvenues à l'union, avoir eu une quelconque petite extase dans l'oraison de quiétude, (certaines imagineront immédiatement que tout est fait), croyez-moi quand je vous dis que vous n'avez pas obtenu l'union, demandez à Notre-Seigneur de vous donner, à la perfection, cet amour du prochain, et laissez faire Sa Majesté : Elle vous donnera plus que vous ne sauriez désirer, à condition que vous fassiez des efforts et que vous recherchiez, tant que vous le pourrez, cet amour-là ; contraignez votre volonté à être en tout conforme à celle de vos soeurs ; même si vous perdez vos droits, oubliez-vous pour elles, pour beaucoup que cela révolte votre nature ; et cherchez à assumer des tâches pour en délivrer votre prochain, lorsque vous en aurez l'occasion. Ne pensez pas que cela ne vous coûtera guère, et que c'est déjà chose faite. Considérez ce que Son amour pour nous a coûté à notre l'époux, lui qui pour vous délivrer de la mort mourut de la mort si douloureuse qu'est la mort sur la croix.

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7 demeures - Les 7 demeures de l'ame de ste Thérese d'Avila Empty Re: Les 7 demeures de l'ame de ste Thérese d'Avila

Message par Francesco Sam 11 Déc 2010 - 23:27

5e Demeures:

CINQUIEMES DEMEURES

CHAPITRE IV SUITE

De ce même sujet de l'oraison. Combien il importe d'être sur nos gardes le démon s'employant activement à faire reculer ceux qui se sont engagés dans cette voie.

1 Vous désirez, ce me semble, savoir ce qu'il advient de ce petit papillon, où il se pose, puisqu'il est bien entendu que ni les plaisirs spirituels ni les joies de la terre ne le retiennent ; son vol est plus élevé. Je ne pourrai satisfaire votre désir qu'à la dernière Demeure, et encore plaise à Dieu que je m'en souvienne, et que j'aie le temps de l'écrire ; près de cinq mois se sont écoules depuis que j'ai commencé ceci, et comme ma tête n'est pas en si bon état que je puisse me relire, tout doit être en désordre ; même, d'aventure, je dis peut-être dix fois la même chose. Comme c'est pour mes soeurs, ça n'a guère d'importance.
2 Je veux développer davantage ce que je crois savoir de cette oraison d'union. A mon habitude, - c'est ma tournure d'esprit, - j'userai d'une comparaison : nous reparlerons plus tard de ce petit papillon qui ne s'arrête nulle part, (tout en continuant à fructifier dans le bien, pour lui et pour les autres), faute de trouver son véritable repos.
3 Vous avez, c'est probable, souvent entendu dire que Dieu épouse les âmes spirituellement. Bénie soit sa miséricorde, qui consent à une telle humiliation ! Et bien que la comparaison soit grossière, je ne trouve rien de mieux que le sacrement du mariage pour me faire comprendre. C'est fort différent, dans ce dont nous parlons tout est spirituel, (l'union corporelle en est bien éloignée, les contentements et plaisirs spirituels que donne le Seigneur sont à mille lieues de ceux des époux), car tout est amour avec amour, et ses opérations si pures, d'une si extrême délicatesse, si douces, qu'on ne peut les exprimer ; mais le Seigneur sait très bien les faire sentir.
4 Il me semble, à moi, que l'union n'est pas encore les fiançailles spirituelles ; mais ce qui se produit ici-bas lorsqu'un couple doit se marier, s'inquiéter de leur bonne entente, de leur volonté mutuelle, cherchant même à ce qu'ils se voient pour mieux se plaire l'un à l'autre, nous le retrouvons ici : mais l'accord est déjà fait, l'âme est fort bien informée de son bonheur et déterminée à faire en tout la volonté de son Époux, à le complaire de toutes les manières, et l'Époux, qui comprend bien qu'il en est ainsi, se complaît en elle, il consent, dans sa miséricorde, à ce qu'elle le comprenne mieux encore, qu'ils en viennent, comme on dit, à l'entrevue, où il l'unit à Lui. Nous pouvons dire que cela se passe ainsi, et en un temps très bref. Là il n'y a plus d'hésitation, mais l'âme, par une secrète approche, voit qui est cet Époux qu'elle doit prendre ; par les sens et puissances elle ne pourrait, en mille ans, comprendre ce qu'elle comprend ici en un instant. Mais l'Époux est tel que sa seule vue la rend plus digne de lui accorder sa main, comme on dit ; l'âme s'éprend d'un tel amour qu'elle fait tout ce qu'elle peut pour que ne se rompent point ces divines épousailles. Mais si cette âme égare son affection sur quelque chose qui ne soit pas Lui, elle perd tout, et c'est une immense perte, aussi grande que le sont les grâces qu'elle recevait, et bien plus grande qu'on ne saurait le dire.
5 Aussi, âmes chrétiennes que le Seigneur a amenées à ce terme, je vous demande pour l'amour de Lui de ne pas vous laisser distraire, mais de vous éloigner des tentations ; l'âme, même dans cet état, n'est pas aussi forte pour s'y exposer qu'elle le sera après les fiançailles ; elles auront lieu dans la Demeure dont nous parlerons par la suite. Car il n'y eut d'autre communication qu'une entrevue, comme on dit, et le démon s'acharnera fort à combattre et à faire rompre ces fiançailles ; plus tard lorsqu'il voit l'âme toute soumise à l'Époux, il a moins d'audace, il a peur d'elle, et il sait par expérience que lorsqu'il s'y hasarde, il perd d'autant plus qu'elle y gagne beaucoup.
6 Je vous le dis, mes filles, j'ai connu des personnes très élevées qui parvinrent à cet état, mais le démon les a regagnées à force de subtilités et de ruses : tout l'enfer doit se liguer dans ce but, sachant, comme je l'ai souvent dit, qu'une âme n'est pas seule à se perdre, mais un grand nombre avec elle. Il le sait par expérience ; et si nous considérons la multitude des âmes que Dieu ramène à Lui au moyen d'une seule, nous pouvons beaucoup le louer des milliers de conversions que faisaient les martyrs. Une jeune fille comme sainte Ursule ! Et celles qui ont échappé au démon du fait d'un saint Dominique, d'un saint François, et autres fondateurs d'ordres ! Celles que lui fait perdre actuellement le P. Ignace, qui fonda la Compagnie, puisque eux tous, comme nous le lisons, ont reçu de Dieu des faveurs semblables ! Comment cela, si ce n'est parce qu'ils ont tout fait pour ne pas rompre par leur faute de si divines fiançailles ? Ô mes filles ! le Seigneur est aussi disposé à nous accorder ses faveurs aujourd'hui qu'il le fut alors, et peut-être même a-t-il plus besoin que jamais de gens qui veuillent les recevoir, car ceux qui considèrent son honneur sont plus rares qu'en ce temps-là. Nous nous aimons beaucoup nous-mêmes, nous usons de prudence, pour ne pas perdre nos droits. Oh ! la grande erreur que voilà ! Plaise à la miséricorde du Seigneur de nous éclairer, pour que nous ne tombions pas dans ces ténèbres !
7 Peut-être m'interrogeriez-vous sur deux points, dont vous pouvez douter : d'abord, comment une âme aussi soumise à la volonté de Dieu qu'on vous l'a montré peut-elle être trompée, puisqu'elle ne veut suivre en rien sa propre volonté, Ensuite : par quelles voies le démon peut-il pénétrer dans votre âme si dangereusement qu'elle se perde, alors qu'éloignées du monde vous approchez si fréquemment les sacrements, et que vous vivez, nous pouvons le dire, en compagnie des anges ? Toutes, ici, en effet, par la bonté du Seigneur, n'ont d'autre désir que de le servir et lui plaire en toutes choses, mais il n'est pas surprenant qu'il en soit ainsi pour ceux qui vivent au milieu des tentations du monde. Je dis que vous avez raison en cela, Dieu témoigne à notre égard d'une grande miséricorde ; mais quand je vois, comme je l'ai dit, que Judas vivait au milieu des Apôtres, qu'il était en rapports continuels avec Dieu lui-même, écoutant ses paroles, je comprends que ça n'est pas une assurance.
8 A la première question, je réponds que si cette âme était toujours cramponnée à la volonté de Dieu, il est clair qu'elle ne se perdrait pas ; mais arrive le démon, avec sa grande subtilité, et sous couleur de bien, il l'en éloigne par de toutes petites choses, il l'engage dans d'autres dont il lui insinue qu'elles ne sont pas mauvaises, et peu à peu, en obscurcissant son entendement, en tiédissant sa volonté, en accroissant en elle l'amour-propre, il l'écarte, chaque chose aidant, de la volonté de Dieu, et il l'incline a faire la sienne. De là découle la réponse à la seconde question il n'est clôture si bien close qu'il ne puisse y entrer, ni désert si écarté où il manque d'aller. Et j'ajoute autre chose : le Seigneur permet peut-être qu'il en soit ainsi pour voir comment se comporte cette âme qu'il destine à en éclairer d'autres ; car si elle se montre vile, mieux vaut que ce soit au début plutôt que lorsqu'elle pourrait nuire à beaucoup d'autres.
9 La démarche la plus sûre, ce me semble, (après la prière, la demande constante à Dieu de son soutien, la pensée continuelle de l'abîme profond où nous sombrerons s'il nous abandonne, le refus de nous fier à nous-mêmes, ce qui serait de la folie), c'est d'être particulièrement avisées, sur nos gardes, et de considérer où en sont nos vertus : si nous progressons ou rétrocédons quelque peu, en particulier dans l'amour réciproque, dans le désir d'être, entre toutes, la moindre, et dans les choses de la vie ordinaire ; car si nous les observons en demandant au Seigneur de nous éclairer, nous jugerons aussitôt de nos profits ou de nos pertes. Mais ne pensez pas que Dieu abandonne si promptement l'âme qu'il a élevée si haut, le démon doit se donner beaucoup de mal, sa perte serait si sensible à Sa Majesté qu'Elle lui donne mille avis intérieurs de multiples façons ; ainsi, elle ne pourra se cacher qu'elle est en danger.
10 Enfin, pour conclure, tâchons d'aller toujours de l'avant, et si nous ne faisons pas de progrès, vivons dans la crainte, car le démon, sans nul doute, ouvre devant nous un précipice ; lorsqu'on est arrivé aussi haut, il est impossible de cesser de grandir, l'amour n'est jamais oisif, et ce serait fort mauvais signe. L'âme qui a prétendu épouser Dieu lui-même, qui s'est déjà entretenue avec Sa Majesté, qui a été avec Elle dans les termes décrits, ne peut s'endormir. Et pour que vous voyiez, mes filles, ce que Dieu fait pour celles qu'il a déjà prises pour épouses, commençons à parler des sixièmes Demeures ; et vous verrez combien tout ce que nous pouvons faire, servir, souffrir, est peu de chose lorsqu'il s'agit de nous disposer à recevoir de si grandes faveurs. C'est peut-être la raison pour laquelle Notre- Seigneur a ordonné qu'on me commande d'écrire : pour que les yeux fixés sur la récompense, devant sa miséricorde sans bornes, puisqu'il veut bien se manifester à des vers de terre et se montrer à eux, nous oubliions nos minuscules satisfactions terrestres, et, contemplant sa grandeur, nous courrions, enflammées par son amour.
11 Plaise à Lui que je parvienne à expliquer quelques-unes de ces choses si difficiles ; je sais que cela me sera impossible si Sa Majesté et l'Esprit Saint ne dirigent ma plume. Si vous ne devez pas en tirer profit, je supplie Dieu de me rendre incapable de rien dire, car Sa Majesté sait que si je me connais bien, je ne désire rien d'autre que la gloire de son nom, et que nous nous efforcions de servir un Seigneur qui déjà sur cette terre nous récompense ainsi ; nous pouvons comprendre par là ce qu'il nous donnera au ciel, sans les atermoiements, les épreuves, les dangers de cette mer des tempêtes. Car si nous n'étions pas en danger de le perdre et de l'offenser, ce serait un repos que de ne pas cesser de vivre jusqu'à la fin du monde afin de travailler pour un si grand Dieu, notre Seigneur et notre Époux. Plaise à Sa Majesté que nous méritions de lui rendre quelques services, sans toutes les fautes que nous commettons toujours, même dans nos bonnes oeuvres. Amen.


SUITE


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7 demeures - Les 7 demeures de l'ame de ste Thérese d'Avila Empty Re: Les 7 demeures de l'ame de ste Thérese d'Avila

Message par Francesco Lun 13 Déc 2010 - 19:50

6e Demeures:

SIXIEMES DEMEURES

CHAPITRE PREMIER SUITE

De l'accroissement des épreuves, lorsque le Seigneur commence à accroître ses faveurs. De ces épreuves, et comment ceux qui ont atteint cette Demeure les supportent. Bon chapitre pour ceux qui subissent des épreuves intérieures.

1 Venons-en donc, avec la faveur de l'Esprit Saint, à parler des Sixièmes Demeures, où l'âme, déjà blessée de l'amour de l'Époux, recherche davantage la solitude, et, autant que son état le lui permet, évite tout ce qui peut l'en sortir. L'entrevue avec son Époux est si présente à son âme que son unique désir est d'en jouir à nouveau. J'ai déjà dit que dans cette forme d'oraison elle ne voit rien, - ce qu'on peut appeler voir, - pas même en imagination : je parle d'entrevue parce que je me suis déjà servie de cette comparaisons. L'âme est désormais bien décider à ne pas prendre d'autre époux, mais l'époux ne tient pas compte de son vif désir de célébrer immédiatement les fiançailles, il veut qu'elle le désire encore plus vivement et que le plus grand des biens lui coûte un peu de son bien. Elle paie ainsi d'un prix insignifiant un gain immense, mais je déclare, mes filles, que l'avant-goût qu'elle en a, le signe qu'elle a reçu, lui sont bien nécessaires pour la soutenir. Ô Dieu secourable ! que d'épreuves intérieures et extérieures elle endure, jusqu'à ce qu'elle pénètre dans la septième Demeure !
2 Vraiment, je songe parfois que si on les connaissait d'avance, il serait, je le crains, extrêmement difficile de persuader notre faiblesse naturelle de les souffrir et de les vivre, si grands soient les biens qui lui sont proposés, à l'exception des âmes qui ont atteint la septième Demeure ; car là, il n'est rien que l'âme redoute et ne décide d'affronter, de tout son être, pour Dieu. Elle est presque toujours si étroitement unie à Sa Majesté, que sa force vient de là. Je crois que je ferai bien de vous décrire quelques-unes des épreuves que je suis certaine de connaître. Il se peut que toutes les âmes ne soient pas conduites par ce chemin, je doute toutefois beaucoup que celles qui jouissent parfois bien réellement des choses du ciel soient quittes d'épreuves terrestres d'une manière ou d'une autre.
3 Je n'avais pas l'intention d'en parler, mais j'ai pensé que ce sera une consolation pour l'âme qui les subit de savoir ce qu'il advient de celles à qui Dieu accorde de semblables faveurs, car, vraiment, alors, tout paraît perdu. Je ne les exposerai pas dans l'ordre, mais au fur et à mesure qu'elles me reviendront en mémoire. Je veux commencer par les plus petites épreuves, les criailleries des personnes de ses relations, et même de celles avec lesquelles elle n'a point de rapports, dont jamais elle n'aurait imaginé qu'elles pourraient s'occuper d'elle : " Elle fait la sainte ", " Elle exagère, pour tromper le monde et abaisser les autres, qui sont meilleurs chrétiens sans ces cérémonies ". II sied de remarquer qu'elle n'a aucune pratique particulière ; elle cherche seulement à bien accomplir ses devoirs d'état. ; Ceux qu'elle croyait ses amis s'éloignent, ce sont eux qui ne font d'elle qu'une bouchée, et montrent de vifs regrets : " Cette âme se perd, elle vit notoirement dans l'illusion. ; " Ce sont là choses du démon " ; " Il en sera d'elle comme de telle et telle qui se sont perdues, et qui contribuent à ruiner la vertu " ; " Elle trompe ses confesseurs ". Et de s'adresser à eux, et de le leur dire, en invoquant l'exemple de ce qui est arrivé à certaines personnes qui se sont perdues de cette façon-là : enfin, mille sortes de moqueries et de sarcasmes.
4 J'ai connu une personne (La sainte, voir chap. 28 de l'Autobiographie) qui eut grand peur de ne plus trouver à qui confesser, au point où en étaient les choses : je ne puis m'y arrêter, il y aurait trop à dire. Le pis est que cela n'est point passager, mais dure toute une vie ; ils s'avisent les uns les autres de se garder de voir des personnes semblables. Vous me direz qu'il est aussi des gens qui disent du bien d'elles. Ô mes filles, qu'ils sont rares, ceux qui ajoutent foi à ce bien, comparé au nombre de ceux qui les abominent ! D'autant plus que cette épreuve-là est pire que les moqueries ! L'âme voit clairement que si elle possède quelque bien, c'est un don de Dieu, il ne lui appartient nullement, elle s'est vue naguère très pauvre, engloutie dans le péché, et c'est pour elle un tourment intolérable, du moins au début ; elle en souffre moins plus tard, pour plusieurs raisons : premièrement l'expérience lui montre clairement que les gens sont aussi prompts à dire du mal qu'à dire du bien, elle ne fait donc pas plus cas de l'un que de l'autre ; deuxièmement, le Seigneur lui a fait mieux comprendre que rien de bon ne lui appartient, mais procède de Sa Majesté, et oubliant qu'elle y est pour quelque chose, comme s'il s'agissait d'une tierce personne, elle se tourne vers Dieu pour le louer ; troisièmement, si elle voit quelques âmes tirer avantage des faveurs que Dieu lui accorde elle pense que, dans leur intérêt, Sa Majesté permet qu'on la croie bonne sans qu'il n'en soit rien ; quatrièmement, plus occupée de l'honneur et de la gloire de Dieu que de son propre renom, elle n'est plus tentée de croire, comme au début, que ces louanges ont pour but de l'abattre, comme ce fut le cas pour certaines d'entre elles, et peu lui importe qu'on la déshonore, si, en échange, Dieu est loué ne serait-ce qu'une fois et advienne que pourra.
5 Ces raisons et autres apaisent la vive peine que lui causent ces louanges, non sans regrets, toutefois, sauf si elle n'y prête aucune attention ; mais l'épreuve de bénéficier sans raison de l'estime publique est incomparablement plus pénible que les sarcasmes. Quand l'âme en vient à moins s'affliger des louanges, elle ressent beaucoup moins les moqueries ; elle s'en réjouit plutôt, c'est pour elle une musique très douce. A la vérité, elles fortifient l'âme bien plus qu'elles ne l'effraient. Elle sait déjà d'expérience les grands avantages qu'elle trouve sur cette voie, elle ne croit même pas que ceux qui la persécutent offensent Dieu : Sa Majesté les y autorise pour son plus grand bien ; comme elle en est clairement persuadée, elle s'éprend pour eux d'un amour particulièrement tendre et les tient pour ses meilleurs amis, puisqu'ils lui font gagner plus que ceux qui disent du bien d'elle.
6 Le Seigneur envoie aussi parfois de très graves maladies. C'est là une épreuve bien pire, en particulier lorsqu'elles s'accompagnent de souffrances aiguës ; si les douleurs sont vives, c'est, me semble-t-il, ce que nous pouvons endurer de pire sur terre : je précise qu'il s'agit de douleurs extérieures, mais elles pénètrent à l'intérieur quand elles le veulent, je dis bien les douleurs très vives. Cela décompose l'intérieur et l'extérieur de telle façon que l'âme oppresser ne sait que devenir, elle préférerait de beaucoup un prompt martyre à ces souffrances-là ; toutefois, lorsque leur acuité est extrême, elles ne se prolongent pas trop longtemps, car, enfin, Dieu ne nous donne rien que nous ne puissions supporter, Sa Majesté commence par nous donner la patience, avec d'ordinaire d'autres grandes douleurs, et toutes sortes de maladies.
7 Je connais une personne (la sainte elle-même) qui depuis que le Seigneur a commencé à lui accorder la faveur dont j'ai parlé, il y a quarante ans, ne peut dire sincèrement avoir vécu un jour sans douleurs, ou toute autre forme de souffrance ; par manque de santé corporelle, dis-je, sans parler d'autres pénibles épreuves. Il est vrai qu'elle avait été bien vile, et ce qu'elle subissait était peu de chose, puisqu'elle méritait l'enfer. Notre-Seigneur doit en user autrement avec celles qui ne l'ont pas offensé, mais je choisirais quant à moi la souffrance, ne serait-ce que pour imiter Notre-Seigneur Jésus-Christ, même s'il n'y avait pas d'autre avantage ; or, ils sont toujours très nombreux. Oh ! Que dire alors des souffrances intérieures ! S'il était possible de les décrire, les souffrances extérieures sembleraient infimes, mais elles sont incommunicables.
8 Commençons par le tourment de tomber sur un confesseur si raisonnable et si peu expérimenté qu'il n'est chose qui ne lui semble dangereuse : il a peur de tout, il doute de tout, lorsque ce qu'il voit sort de l'ordinaire. En particulier, s'il remarque quelque imperfection dans l'âme à qui ces choses arrivent, alors qu'il lui semble que Dieu ne doit accorder ces faveurs qu'à des anges, ce qui est impossible tant qu'elle habite ce corps : immédiatement, il condamne tout, c'est le démon, ou la mélancolie. Cette maladie pullule en ce monde à tel point que cela ne m'étonne point, elle est si fréquente, le démon, par ce moyen, fait tant de dégâts, que les confesseurs ont de fortes raisons de la craindre et d'y regarder de très prés. Mais la pauvre âme qui vit elle-même dans cette crainte s'adresse au confesseur comme à un juge ; s'il la condamne elle ne peut éprouver qu'un trouble si profond et de si grands tourments que seuls ceux qui sont passés par là comprendront quelle rude épreuve elle endure. Voilà encore l'une des grandes épreuves que subiront ces âmes, spécialement si elles ont été coupables : songer que Dieu permet qu'elles soient induites en erreur, en punition de leurs péchés ; même lorsque Sa Majesté leur accorde une faveur, elles ne peuvent croire qu'il s'agisse d'un autre esprit, mais de Dieu, elles en sont certaines ; toutefois, comme cela passe vite et que le souvenir de leurs péchés est toujours présent, elles voient leurs fautes, il y en a toujours, et ce tourment s'ensuit. Quand le confesseur les rassure, elles s'apaisent, mais momentanément ; s'il enchérit sur les craintes, c'est chose presque intolérable, en particulier quand s'ensuit une période de sécheresse où elles imaginent qu'elles n'ont jamais pensé à Dieu, que jamais elles n'y pensent ; et elles entendent parler de Sa Majesté comme d'une personne qu'elles ne connaissent que de loin.
9 Tout cela n'est rien ; s'il ne s'y ajoute l'idée qu'elles ne savent pas informer leurs confesseurs, et qu'elles les trompent elles ont beau y réfléchir et voir qu'il n'est premier mouvement qu'elles ne lui avouent, tout est inutile ; leur entendement obscurci est incapable de voir la vérité ; il ne croit que ce que l'imagination lui suggère, (elle est alors souveraine), et toutes les folies que le démon veut leur suggérer, avec, semble-t-il, l'autorisation de Notre-Seigneur qui lui permet de les éprouver, et même de leur faire croire qu'elles sont réprouvées de Dieu. Car tant de choses combattent cette âme, elles l'oppressent intérieurement d'une façon si sensible, si intolérable, que l'on ne pourrait comparer ses souffrances à rien d'autre qu'à celles de l'enfer ; et il n'y a aucune consolation dans cette tempête. Si elle veut en trouver auprès de son confesseur, les démons, lui semble-t-il, l'ont persuadé de la tourmenter plus encore. L'un d'eux, qui dirigeait une âme dont l'angoisse lui semblait d'autant plus dangereuse qu'elle était faite de l'accumulation de choses multiples, lui demanda, la crise passée, de le prévenir lorsqu'elle se sentirait à nouveau menacée. Comme son état empirait toujours, il finit par comprendre qu'il ne lui appartenait pas de se dominer. Lorsque cette personne, qui savait bien lire, prenait un livre en castillan, il lui arrivait de n'y rien comprendre, comme si elle eut ignoré le b-a-ba : son entendement en était incapable.
10 Enfin, il n'est sauvegarde au milieu de cette tempête, sauf d'attendre la miséricorde de Dieu qui au moment le plus inattendu, par un seul mot, ou au hasard d'un événement, dissipe tout si promptement qu'il semble n'y avoir jamais eu de nuages en cette âme qui se retrouve ensoleiller et plus consoler que jamais. Et comme ceux que la victoire a soustraits aux dangers d'une bataille, elle rend grâces à Notre-Seigneur qui a combattu et vaincu ; elle voit clairement qu'elle n'a pas combattu elle-même, elle croit voir aux mains de ses ennemis les armes avec lesquelles elle aurait pu se défendre ; elle perçoit donc clairement sa misère et le peu que nous pouvons faire nous-même si le Seigneur nous abandonne.
11 On pourrait croire qu'elle n'a plus besoin de ces considérations pour le comprendre, elle est passée par là, l'expérience lui a montré sa totale impuissance, elle a compris notre néant et la misérable chose que nous sommes ; mais la grâce dont elle n'est probablement pas privée, puisqu'elle n'offense pas Dieu dans ces orages et qu'elle ne l'offenserait pour rien au monde, est si cachée, qu'elle ne perçoit pas la plus petite étincelle d'amour de Dieu en elle, et qu'elle n'imagine pas l'avoir jamais aimé ; le bien qu'elle a pu faire, une faveur que Sa Majesté a pu lui accorder, tout lui semble songe, ou imagination ; mais elle est certaine des péchés qu'elle a commis.
12 Ô Jésus ! quelle vision que celle d'une âme ainsi délaissée, pour qui, comme je l'ai dit, toute consolation terrestre est si peu de chose ! Ne pensez donc point, mes soeurs, s'il vous arrive de vous trouver dans cet état, que les riches, et ceux qui sont libres doivent y remédier mieux que vous. Non, non, je crois, quant à moi, qu'il en est d'eux comme de condamnés à mort à qui on offrirait tout ce qu'il y a de délicieux au monde, cela ne les soulage point, et tendrait plutôt à accroître leur tourment ; il vient d'en haut, et les choses de la terre sont impuissantes. Ce grand Dieu veut que nous voyions en Lui le Roi, et en nous notre misère. C'est très important pour ce qui va suivre.
13 Que fera donc cette pauvre âme, quand elle passera de longs jours dans cet état ? Si elle prie, c'est comme si elle ne priait point ; quant à la consolation, je le précise : toute consolation extérieure est exclue, elle ne comprend pas le sens de sa prière, rien qu'une prière vocale, puisque ce n'est absolument pas le moment de la prière mentale, les puissances en sont incapables ; la solitude accroît plutôt son mal, d'où un autre tourment, celui de vivre en compagnie, et qu'on lui parle. Ainsi, malgré ses efforts, elle extériorise son dégoût, sa mauvaise humeur, très ostensiblement. Saura-t-elle vraiment dire ce qu'elle a ? C'est indicible, il s'agit d'oppressions et de peines spirituelles auxquelles on ne saurait donner un nom. Le meilleur remède, je ne dis pas pour guérir, car je n'en trouve pas, mais pour supporter ce mal, c'est de s'occuper à des oeuvres de charité extérieures et d'espérer en la miséricorde de Dieu, qui ne fait jamais défaut à ceux qui espèrent en Lui. Qu'il soit béni à jamais. Amen.
14 D'autres épreuves que nous infligent les démons sont extérieures, et doivent être moins fréquentes ; il n'y a donc pas lieu d'en parler, elle sont d'ailleurs beaucoup moins pénibles, les démons, pour beaucoup qu'ils fassent, n'arrivent pas ainsi à inhiber les puissances, ce me semble, ni à troubler l'âme de cette manière ; enfin, il reste assez de raison pour penser qu'ils ne peuvent outrepasser ce que le Seigneur leur permet, et quand on n'a pas perdu la raison, tout ce qu'on endure n'est pas grand-chose, comparé à ce que je viens de dire.
15 Nous parlerons d'autres peines intérieures de cette Demeure en traitant des différences qu'il y a dans l'oraison et dans les faveurs du Seigneur. Bien que certaines de ces souffrances soient encore plus cruelles que ces dernières, comme on le verra par l'état où elles laissent le corps, elles ne méritent pas le nom d'épreuves nous aurions tort de le leur donner, tant ces faveurs du Seigneur sont grandes ; l'âme qui les reçoit le comprend, et conçoit qu'elles sont disproportionnées à ses mérites. Cette grande peine précède l'entrée dans la Septième Demeure, avec beaucoup d'autres ; je parlerai de quelques-unes, il serait impossible de toutes les décrire ni même de les définir, car elles sont d'une tout autre lignée que les précédentes et beaucoup plus élevées ; et si je n'ai pu exposer mieux que je ne l'ai fait celles qui sont de plus basse catégorie, je pourrai d'autant moins expliquer celles-là. Plaise au Seigneur de me donner sa faveur en toutes choses, par les mérites de son Fils. Amen.


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Message par Francesco Jeu 16 Déc 2010 - 1:27

6e Demeures:[b]

[b]SIXIEMES DEMEURES

CHAPITRE II SUITE

De certains dont use le Seigneur pour éveiller les ânes ; il semble qu'on n'ait rien à redouter, bien que ce soit chose très élevée, et que ces faveurs soient grandes.

1 Nous avons, semble-t-il, bien délaissé le petit papillon, mais il n'en est rien, car ces épreuves tendent à le faire voler plus haut. Commençons donc maintenant à traiter de la façon dont l'époux se comporte à son égard, voyons comment, avant de s'unir tout à fait à l'âme, il le lui fait bien désirer, par des moyens si délicats qu'ils lui sont imperceptibles, et que je me crois incapable d'en parler de manière à me faire comprendre sauf de celles qui sont passées par là ; venues du plus profond de l'âme, ce sont des impulsions si délicates, si subtiles, que je ne puis trouver de comparaison satisfaisante.
2 C'est fort différent de tout ce que nous pouvons obtenir ici-bas et même des joies intérieures dont il a été parlé, car fréquemment, lorsque la personne est distraite, sans même qu'elle songe à Dieu, il arrive que Sa Majesté l'éveille, brusquement, comme passe une étoile filante, ou comme éclate un coup de tonnerre, mais elle n'entend aucun bruit : l'âme comprend toutefois fort bien que Dieu l'a appelée, elle le comprend même si bien que parfois, surtout au début, elle frémit et gémit, quoique rien lui fasse mal. Elle ressent les effets d'une blessure infiniment savoureuse, sans déceler toutefois comment elle fut blessée, ni par qui ; elle reconnaît bien que c'est chose précieuse et voudrait ne jamais guérir de cette blessure. Elle se plaint à son Époux, parfois même à voix haute, avec des mots d'amour qu'elle ne peut retenir ; elle comprend qu'il est présent, mais qu'il ne veut pas se manifester ni lui permettre de jouir de sa compagnie. C'est une peine bien grande, mais savoureuse et douce ; l'âme ne peut se refuser à la ressentir, jamais même elle n'y consentirait. Elle y puise de bien plus grandes satisfactions que dans le savoureux anéantissement, libre de toute peine, qu'est l'oraison de quiétude.
3 Je me morfonds du désir de vous faire comprendre, mes soeurs, cette opération, et ne sais comment m'exprimer. Il semble contradictoire de dire que l'Aimé fait clairement comprendre qu'il est avec l'âme, et qu'il semble en même temps l'appeler par un signe si réel qu'elle ne peut en douter, un sifflement si pénétrant, si audible, que cette âme ne peut manquer de l'entendre, car il paraît évident que lorsque l'Époux qui est dans la Septième Demeure parle ainsi, sans toutefois qu'il s'agisse de paroles formulées, les gens qui se trouvent dans les autres Demeures n'osent bouger, ni les sens, ni l'imagination, ni les puissances. Ô mon Dieu tout- puissant, que vos secrets sont grands, et que les choses de l'esprit diffèrent de tout ce qu'on peut voir et entendre ici-bas puisqu'il n'y a aucun moyen d'expliquer cette faveur, pourtant si petite, quand on la compare à tout ce que vous opérez de si grand dans les âmes !
4 Son action sur l'âme est si forte qu'elle s'anéantit de désir et ne sait que demander, car elle croit percevoir clairement que son Dieu est avec elle. Vous allez me dire : comprenant cela que peut-elle désirer, qu'est-ce qui peut la peiner ? Quel plus grand bien veut-elle ? Je ne le sais ; je sais que cette peine semble l'atteindre aux entrailles, et que lorsque celui qui la blesse arrache la flèche, il semble vraiment les lui arracher aussi, si vif est l'amoureux regret qu'elle éprouve. Je me demande si on ne pourrait pas dire que de ce brasier ardent, qui est mon Dieu, une étincelle jaillit, touche l'âme, et lui transmet sa flamme ardente ; c'est insuffisant pour la brûler, mais si délectable qu'elle reste tout en peine, et il a suffi d'un contact pour susciter cet effet ; telle est, me semble-t-il, la meilleure comparaison que j'aie trouvée. Car cette douleur savoureuse, qui n'est pas une douleur, ne dure pas ; s'il lui arrive de persister un long moment, elle peut aussi disparaître au plus vite, selon ce que le Seigneur veut lui communiquer, car nul moyen humain ne peut l'obtenir. Aussi, bien qu'elle dure parfois un moment, elle disparaît et revient ; enfin, elle n'est jamais permanente, c'est pourquoi elle n'embrase pas l'âme tout entière ; à peine l'étincelle va-t-elle l'enflammer qu'elle s'éteint ; mais l'âme garde le désir de souffrir à nouveau l'amoureuse douleur qu'elle lui a causée.
5 Il n'y a pas lieu de demander ici si cela provient de notre nature, si la cause en est la mélancolie, ou les tromperies du démon, ou nos imaginations ; on perçoit fort bien que ce mouvement provient du lieu même où se tient le Seigneur, qui est immuable ; ces opérations ne ressemblent pas à d'autres dévotions, où la torpeur des plaisirs spirituels peut susciter le doute. Ici, ni les sens ni les puissances ne sont dans la torpeur, ils considèrent et s'interrogent, impuissants à s'opposer à cette peine délectable comme à l'accroître, incapables d'y échapper, me semble-t-il. Que celui à qui Notre-Seigneur accorderait cette faveur, (il la reconnaîtra lorsqu'il lira ceci) lui rende grâce ardemment, car il n'a pas à craindre d'être abusé ; qu'il ait grand peur de répondre par de l'ingratitude à une si haute faveur, qu'il tâche de servir et d'amender sa vie en toutes choses, il verra ce qui s'ensuit : il recevra de plus en plus. Une personne à qui échut cette faveur vécut ainsi plusieurs années, si satisfaite, que si elle avait dû servir le Seigneur au milieu de grandes épreuves pendant des années infinies, elle se fût jugée bien récompensée. Qu'il soit béni à jamais. Amen.
6 Il se peut que vous objectiez : pourquoi y a-t-il plus de sécurité dans ces choses-là que dans d'autres ? A mon avis, pour plusieurs raisons. Premièrement, jamais le démon ne donne une peine aussi savoureuse que celle-là. Peut-être pourrait-il donner une saveur, des délices, qui semblent spirituels ; mais joindre à la peine, et à une si grande peine, la quiétude et le plaisir de l'âme, n'est pas de son ressort ; tous ses pouvoirs sont extérieurs, et ses peines, quand il en inflige, ne sont, à ce qu'il me semble, jamais savoureuses, ni accompagnées de paix : elles inquiètent et suscitent la guerre. Deuxièmement, parce que cette savoureuse tempête provient d'une région sur laquelle il ne peut exercer son empire. Troisièmement, du fait des grands bienfaits que cette faveur communique à l'âme ; ce sont, à l'ordinaire, le désir de subir de nombreuses épreuves, la détermination accrue de s'éloigner des contentements et conversations de la terre, et autres choses semblables.
7 Il est très clair qu'il ne s'agit pas d'imaginations, car si l'âme recherchait cette faveur, elle ne pourrait la contrefaire. C'est chose si frappante qu'on ne peut s'en faire aucune idée, (je précise, croire qu'on l'a quand on ne l'a point) ni en douter quand on la reçoit ; au cas où quelque doute subsisterait, que l'âme sache alors qu'il ne s'agit pas véritablement de ces élans dont j'ai parlé ; je précise, au cas où elle se demanderait si elle les a éprouvés ou non, que l'âme les perçoit aussi clairement que l'oreille entend un grand cri. Quant à la mélancolie, c'en est fort éloigné ; la mélancolie ne fait et fabrique ses idées que dans l'imagination ; ce dont nous parlons provient de l'intérieur de l'âme. Il se peut que je me trompe, mais tant que je n'entendrai pas quelqu'un qui connaisse cet état me donner d'autres explications, mon opinion ne variera point ; une personne que je connais redoutait fort des illusions, mais jamais elle n'a pu douter de cette forme d'oraison.
8 Notre-Seigneur a aussi d'autres façons d'éveiller l'âme : au moment le plus inattendu, alors qu'on prie vocalement, distrait de toute chose intérieure, une flambée délicieuse vous saisit, comme si un fort parfum se communiquait soudain à tous les sens, (je ne dis pas que ce soit un parfum, ce n'est qu'une comparaison), ou quelque chose de cette sorte, qui fait sentir que l'Époux est présent ; l'âme s'émeut du désir savoureux de jouir de Lui, elle se trouve disposée à accomplir de grandes actions et à louer Notre-Seigneur. Cette faveur naît de ce que je viens d'évoquer ; mais ici rien ne fait de la peine, le désir même de jouir de Dieu n'est pas pénible : voilà ce que l'âme éprouve d'ordinaire. Ici non plus, il n'y a rien à redouter, ce me semble, pour quelques-unes des raisons que j'ai dites ; mais tâcher de recevoir cette faveur avec les actions de grâces.


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7 demeures - Les 7 demeures de l'ame de ste Thérese d'Avila Empty Re: Les 7 demeures de l'ame de ste Thérese d'Avila

Message par Francesco Ven 17 Déc 2010 - 2:12

6e Demeures:

SIXIEMES DEMEURES

CHAPITRE III SUITE

Suite du même sujet. Comment Dieu parle a l'âme quand il le veut ; ce qu'il faut faire en cette circonstance, et ne pas suivre son propre sentiment. A quels signes l'âme peut constater que ce n'est pas un leurre, et quand c'en est un. Chapitre fort utile.

1 Dieu a une autre manière d'éveiller l'âme ; bien que sous certains aspects cette faveur-ci paraisse supérieure aux précédentes, elle peut être plus dangereuse, c'est pourquoi je m'y arrêterai un peu. Il s'agit de paroles adressées à l'âme, de diverses façons ; certaines semblent venir de l'extérieur, d'autres du plus profond ou du plus haut de l'âme ; d'autres viennent de l'extérieur, et elles sont si nettes que l'ouïe les distingue. Quelquefois, souvent même, ce peut être une idée qu'on se fait, en particulier chez les personnes de faible imagination, ou mélancoliques ; je précise : celles dont la mélancolie est notoire.
2 A mon avis, il ne faut pas faire crédit à ces deux sortes de personnes, même quand elles disent qu'elles voient et qu'elles entendent, ni les inquiéter en leur disant qu'il s'agit du démon, mais les écouter comme des malades ; que la prieure ou le confesseur à qui elles s'en ouvriraient leur disent de ne pas en faire cas, que tel n'est pas le moyen substantiel de servir Dieu, que le démon a trompé nombre de gens par ce moyen, bien que ce ne soit peut-être pas leur cas : cela afin de ne pas ajouter à l'affliction où déjà leur humeur les incline. Si on leur dit que c'est l'effet de la mélancolie, on n'en finira plus ; elles jureront qu'elles voient et entendent, car elles ont cette impression.
3 Il est vrai qu'il faut avoir le soin de les priver de l'oraison, et obtenir autant que possible qu'elles ne tiennent aucun compte de tout cela ; le démon utilise parfois ces âmes malades, il ne leur nuit pas, à elles, mais à d'autres ; malades et bien portantes doivent toujours redouter ces choses-là jusqu'à ce qu'on en connaisse l'esprit. Je dis donc qu'il est préférable de les vaincre au début, car si elles viennent de Dieu, elles n'en progresseront que mieux : l'épreuve les renforce. Il en est ainsi, mais qu'on ne cherche pas à beaucoup opprimer l'âme, ni à l'inquiéter, car, vraiment, elle n'en peut mais.
4 Revenant, donc, à mon premier sujet, celui des paroles dites à l'âme, quelle que soit la façon dont elles se présentent, elles peuvent venir de Dieu, mais aussi du démon ou de notre propre imagination. Je dirai, si cela m'est possible avec la faveur de Dieu, à quels signes on les distingue, et dans quelles circonstances ces paroles sont dangereuses. Car parmi les gens d'oraison, nombreuses sont les âmes qui en entendent, et je voudrais, mes soeurs, que vous ne pensiez mal faire ni en ne leur accordant aucun crédit, ni en leur en accordant ; quand elles ne concernent que vous, soit qu'elles vous flattent, soit qu'elles vous éclairent sur vos fautes, peu importe celui qui les dit, et même si c'est une idée que vous vous faites, cela ne va pas loin. Je vous avertis de ceci : même si elles proviennent de Dieu, ne vous croyez pas meilleurs de ce fait ; il a beaucoup parlé aux pharisiens, et tout dépend du profit qu'on tire de ses paroles ; ne faites pas plus cas de celles qui ne seraient pas très exactement conformes aux Écritures que si vous les teniez du démon en personne ; car même si elles sont nées de votre faible imagination, il faut les considérer comme une tentation contre les choses de la foi, donc toujours y résister, afin de les écarter ; et elles s'écarteront, car elles n'ont pas une grande force.
5 Pour en revenir à ce que je disais au début, soit que les paroles viennent de l'intérieur ou de la partie supérieure de l'âme, soit qu'elles viennent de l'extérieur, cela ne signifie pas qu'elles ne viennent pas de Dieu. Les marques les plus certaines qu'on puisse en avoir sont les suivantes. La première, et la plus sure, c'est la puissance et l'empire qu'elles exercent : ces paroles sont des actes. Je m'explique : l'âme se trouve au milieu des tribulations et de l'agitation intérieures déjà décrites, dans l'obscurité de l'entendement et la sécheresse : il lui suffit d'entendre un mot, rien que " n'aie pas de peine ", pour s'apaiser, libre de tout chagrin, dans une grande lumière ; cette peine s'évanouit, alors qu'il lui semblait que si le monde entier et les hommes doctes tous ensemble lui avaient donné des raisons de s'en délivrer, leurs efforts ne seraient pas parvenus à soulager son affliction. Elle est affligée, pleine de craintes parce que son confesseur, et d'autres personnes avec lui, lui ont dit que son esprit provient du démon ; mais il suffit qu'on lui dise la parole : " C'est moi, n'aie pas peur ", pour que tout se dissipe ; elle est parfaitement consolée, persuadée que personne ne pourrait lui faire croire qu'il en est autrement. De même lorsqu'elle est fort en peine d'affaires graves, dont elle ignore ce qu'il en adviendra, elle entend qu'elle doit se calmer, que tout réussira. Elle se retrouve dans la certitude, sans nulle peine. Et il en est ainsi de beaucoup d'autres choses (voir Autobiographie, chap. 25).
6 Second signe : l'âme se retrouve dans une grande quiétude, dans un recueillement fervent et apaisé, prête à louer Dieu. Ô Seigneur ! Si le mot que vous nous faites dire par l'un de vos pages (puisqu'à ce qu'on dit, du moins dans cette Demeure, ce n'est pas le Seigneur lui-même qui parle, mais un ange), a un tel pouvoir, qu'en sera-t-il pour l'âme liée d'amour avec Vous, et Vous avec elle ?
7 Troisième signe : ces paroles ne s'effacent pas de la mémoire avant fort longtemps, et certaines ne s'effacent jamais, alors que nous oublions celles que nous entendons ici-bas ; je précise : celles que les hommes nous ont dites ; pour graves et doctes qu'ils soient, leurs paroles ne se gravent pas aussi profondément dans la mémoire, et s'il s'agit de choses futures, nous n'y ajoutons pas la même foi ; mais la parole de Dieu nous insuffle une immense certitude, et même lorsqu'il s'agit de choses qui semblent si impossibles que l'âme ne peut s'empêcher d'en douter, de se demander si elles se réaliseront oui ou non, l'entendement hésite un peu, mais l'âme elle-même est pleine d'une certitude invincible, même si tout semble contredire ce qu'elle a entendu ; les années passent, rien ne peut l'empêcher de penser que Dieu usera de moyens incompréhensibles aux hommes, mais que cela s'accomplira enfin ; et cela s'accomplit. Pourtant, comme je l'ai dit, elle n'en souffre pas moins lorsqu'elle voit de nombreux obstacles ; ce qu'elle a entendu est loin dans le temps, l'action de Dieu, la certitude qu'elle eue sur le moment que cela venait de Lui, se sont émoussées, les doutes apparaissent, elle se demande si ce ne fut pas le démon, ou son imagination. Mais sur le moment elle n'a aucun doute, mais elle mourrait pour cette vérité. Toutefois, comme je le dis, que ne fera le démon à l'aide de ces imaginations qu'il suggère pour affliger et effrayer l'âme ! En particulier s'il s'agit d'une affaire dont on présume qu'elle sera pour le grand bien des âmes, une oeuvre pour l'honneur de Dieu, pour son service et qui présente de sérieuses difficultés. Le moins qu'il fasse c'est d'affaiblir la foi, et il est fort nuisible de ne pas croire Dieu assez puissant pour accomplir des oeuvres que notre entendement n'entend pas.
8 Au milieu de tous ces combats, malgré tant de gens qui disent à cette personne elle-même que c'est de l'absurdité, (c'est-à-dire les confesseurs avec qui elle traite de ces choses), malgré tous les revers qui devraient lui faire admettre que ces prédictions sont irréalisables, il lui reste je ne sais où une étincelle d'espérance si vive que même si tous les autres espoirs étaient morts, il lui serait impossible, le voudrait-elle, d'admettre que cette certitude n'est pas vivante. Et enfin, comme je l'ai dit, la parole du Seigneur s'accomplit, la satisfaction et l'allégresse de l'âme sont telles qu'elle ne cesse de louer Sa Majesté d'avoir vu s'accomplir ce qu'Elle lui avait promis, plus encore que de l'oeuvre elle-même, bien qu'elle soit d'une grande importance pour elle.
9 Je ne sais à quoi tient le prix que l'âme accorde à la vérité de ces paroles ; elle regretterait moins d'être prise en flagrant délit de mensonge, comme si elle y pouvait quelque chose, alors qu'elle ne répète que ce qui lui est dit. Certaine personne, à ce sujet, évoquait souvent Jonas, prophète, qui craignait que Ninive ne soit pas détruite. Enfin, puisque l'esprit est de Dieu, il est juste de désirer fidèlement qu'on ne lui attribue aucune fausseté, à Lui qui est là suprême vérité. L'allégresse est donc vive quand, après mille traverses, elle voit s'accomplir des choses d'une extrême difficulté ; même si de grandes épreuves doivent s'ensuivre pour cette personne, elle préfère de beaucoup les subir plutôt que d'admettre que ce que le Seigneur lui a dit, et qu'elle croit vrai, puisse ne pas s'accomplir. Tout le monde n'a peut-être pas cette faiblesse, si c'en est une, car je ne puis y voir du mal et la condamner.
10 Si les paroles entendues naissent de l'imagination, on ne remarque aucun de ces signes : ni certitude, ni paix, ni joie intérieure ; il pourrait advenir, et je connais quelques personnes dans ce cas, qu'étant fort absorbées dans l'oraison de quiétude et le sommeil spirituel (celles qui sont faibles de complexion, ou d'imagination, ou pour je ne sais quelle cause, sont vraiment si hors d'elles, dans ce grand recueillement, qu'elles perdent tout contrôle extérieur, tous les sens sont endormis, comme chez une personne qui dort, et peut-être même sont-elles ainsi, somnolentes), elles croient entendre parler comme en songe, elles croient même voir des choses, et elles pensent que cela vient de Dieu, et elles en négligent les effets, enfin, comme s'il s'agissait d'un songe. Il peut se faire aussi qu'alors qu'elles demandent quelque chose à Notre-Seigneur affectueusement, elles croient qu'on leur répond ce qu'elles voulaient ; cela se produit quelquefois. Quiconque aurait la grande expérience des paroles de Dieu ne pourrait, ce me semble, s'y tromper ; cela provient de l'imagination.
11 Le démon est plus redoutable. Mais les signes exposés peuvent assurer qu'il s'agit de Dieu ; toutefois, si la chose qu'on vous dit est grave et que vous deviez vous-même vous mettre à l'oeuvre, ou si les affaires d'une autre personne sont en cause, ne faites jamais rien sans l'avis d'un confesseur avisé, docte, et serviteur de Dieu ; cela ne doit pas vous effleurer l'esprit, même si de mieux en mieux informée, il vous paraît clair que cela vient de Dieu ; car c'est ce que veut Sa Majesté. Ainsi, vous ne vous refuserez pas à faire ce que Dieu ordonne, puisqu'il nous a dit de considérer le confesseur comme son représentant, et là on ne peut douter que ce soient ses paroles ; elles fortifieront notre courage, si l'affaire est difficile, Notre-Seigneur en donnera au confesseur, il lui fera admettre quand il le voudra que c'est son Esprit, sinon, nous ne sommes obliges à rien. Agir autrement, suivre moindrement notre propre sentiment, j'estime cela très dangereux ; je vous adjure donc, mes soeurs ; au nom du Seigneur : que cela ne vous arrive jamais.
12 Le Seigneur parle encore à l'âme d'une autre façon que j'estime pour ma part fort vraie, dans certaine vision intellectuelle que je décrirai plus loin. C'est au si intime de l'âme, on croit si clairement entendre ces paroles du Seigneur lui-même avec l'ouïe de l'âme, et si secrètement, que les effets mêmes de la vision rassurent, et assurent que le démon ne peut intervenir ici. Les grands effets qui s'ensuivent permettent de le croire ; du moins est-il certain que cela ne procède pas de l'imagination, et puis, tout bien considère, l'âme peut toujours avoir cette certitude, pour plusieurs raisons. La première, la clarté des paroles est bien différente ; elles sont si claires que s'il manquait une syllabe dans ce que l'âme a entendu, elle s'en souviendrait, et avec quel ton ce fut dit, même si la phrase était longue ; l'élocution ne serait pas aussi claire, ni les paroles aussi distinctes si cela venait de l'imagination, mais comme entendues dans une sorte de rêve.
13 La seconde : souvent, on était bien éloigné de penser à ce qu'on a entendu, c'est survenu à l'improviste, et même au milieu une conversation ; toutefois, c'est souvent la réponse à une idee qui traverse soudain notre pensée, ou à laquelle on a pensé naguère ; mais souvent aussi il s'agit de choses dont on ne se rappelle point qu'elles devaient être ni qu'elles seraient, l'imagination ne peut donc pas les avoir fabriquées pour que l'âme commette l'erreur de s'engouer de ce qu'elle n'a pas désiré, ni voulu, ni connu.
14 La troisième : lorsqu'il s'agit de Dieu, on est comme quelqu'un qui entend, et lorsqu'il s'agit de l'imagination, comme quelqu'un qui compose peu à peu ce qu'il veut lui-même qu'on lui dise.
15 La quatrième : les paroles sont fort différentes dans les deux cas ; une seule suffit à faire comprendre beaucoup de choses que notre entendement ne pourrait composer si rapidement.
16 La cinquième : ces paroles, souvent, par des moyens que je ne saurais expliquer, font comprendre beaucoup plus de choses que ne l'implique leur sens exact. Je m'étendrai ailleurs sur cette manière de comprendre, c'est chose très délicate, et qui incite à louer Notre-Seigneur. Cette manière-là, ces différences, ont troublé certaines personnes, (en particulier l'une d'elles qui en a l'expérience, et il doit y en avoir d'autres), elles ne parviennent pas a se ressaisir ; je sais que celle dont je parle a considéré attentivement cette situation, car le Seigneur lui fait très souvent cette faveur ; au début, elle se demandait si elle n'imaginait pas tout cela, et elle doutait. Car on a plus vite fait de déceler l'action du démon, malgré ses ruses qui savent bien contrefaire l'esprit de lumière ; il dit très clairement les paroles, ce me semble, on ne peut douter de les avoir entendues, tout comme lorsque c'est l'esprit de vérité qui intervient ; mais il ne peut contrefaire les effets que j'ai cités, ni laisser l'âme dans une telle paix, dans une telle lumière : il sème l'inquiétude et l'agitation. Il ne peut guère nuire et ne fait même aucun mal si l'âme est humble et si, comme je l'ai dit, elle ne fait pas un geste pour rien exécuter, quoi qu'elle ait entendu.
17 Si elle reçoit des faveurs et des régals du Seigneur, qu'elle observe attentivement si, de ce fait, elle se sent meilleure ; si elle n'est pas d'autant plus confuse que la parole est plus flatteuse, il lui faut croire qu'il ne s'agit pas de l'esprit de Dieu. Lorsque c'est Lui, il est très certain que plus la faveur est grande, plus l'âme se méprise, plus elle se rappelle ses péchés, plus elle oublie ses progrès, plus elle applique sa volonté et sa mémoire à ne vouloir que l'honneur de Dieu, sans songer à son profit personnel, plus elle redoute de se détourner moindrement de Sa volonté, et plus elle est sûre de n'avoir jamais mérité ces faveurs, mais l'enfer. Si toutes les choses et les grâces qu'elle reçoit dans l'oraison produisent ces effets, que l'âme ne s'effraie point, qu'elle ait confiance en la miséricorde du Seigneur, il est fidèle, et il ne permettra pas au démon de la tromper, bien qu'il soit toujours séant de garder des craintes.
18 Il est possible que celles que le Seigneur ne conduit pas par cette voix imaginent que ces âmes pourraient ne pas écouter ces paroles qui leur sont dites, et si les paroles sont intérieures, s'en distraire de manière à ne pas les entendre, dans l'espoir d'éviter ces dangers. Je réponds à cela que c'est impossible. Je ne parle pas des paroles que nous imaginons, le remède est alors de moins désirer certaines choses, et de refuser de tenir compte des idées que nous nous faisons. C'est inutile dans ce cas-ci, car l'esprit qui parle immobilise lui-même toutes les autres pensées, il oblige à prêter attention à ce qu'il dit, il serait plus facile à une personne qui entend fort bien de ne pas comprendre ce que dit quelqu'un qui parlerait à grands cris : elle pourrait ne pas y prendre garde, fixer sa pensée et son entendement sur autre chose, mais dans le cas qui nous occupe, ce n'est pas faisable. Elle n'a pas d'oreilles à boucher, ni de forces pour penser, sauf à ce qu'on lui dit, et sous aucun prétexte ; car celui qui à la demande de Josué (je crois que c'était lui), immobilisa le soleil, peut immobiliser les puissances et toutes nos facultés intérieures, et l'âme voit bien qu'un Seigneur plus grand qu'elle gouverne son château, et elle lui manifeste sa fort grande dévotion et son humilité. Il n'y a donc aucun moyen de l'éviter. Plaise à la divine Majesté de nous donner le moyen de ne chercher qu'à la contenter, dans l'oublie de nous-même, comme je l'ai dit. Amen. Plaise à Elle que je sois parvenue à faire comprendre ce que je souhaitais, et que cet avis soit utile aux âmes à qui cela arriverait.

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7 demeures - Les 7 demeures de l'ame de ste Thérese d'Avila Empty Re: Les 7 demeures de l'ame de ste Thérese d'Avila

Message par Francesco Lun 20 Déc 2010 - 2:05

6e Demeures:

SIXIEMES DEMEURES

CHAPITRE IV SUITE

De l'état d'oraison où Dieu suspend l'âme dans le ravissement, ou l'extase, ou le rapt, qui sont, à son avis, une seule et même chose. Du grand courage qui lui est nécessaire pour recevoir de hautes faveurs de Sa Majesté.

1 Au milieu des choses que j'évoque, épreuves et autres, comment le pauvre petit papillon pourrait-il rester en repos ? Tout l'incite à désirer plus vivement jouir de l'époux ; et Sa Majesté, qui connaît notre faiblesse, use de tout cela pour disposer son courage à s'unir à un si grand Seigneur et à le prendre pour Époux.
2 Vous allez rire de ce que je dis, et estimer que c'est folie ; n'importe laquelle d'entre vous jugera que ça n'est pas nécessaire, et qu'il n'est femme de basse origine qui n'ait le courage d'épouser le roi. Je suis de cet avis quant au roi de la terre, mais quant au roi du ciel, il en faut, je le répète, plus que vous ne le pensez ; car notre nature est bien timide et basse devant quelque chose d'aussi grand, et je tiens pour certain que si Dieu n'y pourvoyait, malgré tout ce que vous voyez, ou tous les avantages qui s'ensuivent, ce serait impossible. Vous allez donc voir ce que fait Sa Majesté pour conclure ces fiançailles, et j'entends que c'est dans ce but qu'Elle donne des ravissements qui font perdre le sens ; car sans être hors de sens, si l'âme se voyait si proche de cette haute Majesté, il lui serait d'aventure impossible de continuer à vivre. Cela s'entend des vrais ravissements, et non de ces faiblesses de femmes, comme nous en avons par ici, où tout nous semble ravissement et extase. Comme je crois l'avoir bien dit, il est des natures si faibles qu'elles se meurent d'une heure d'oraison. Je veux exposer ici plusieurs des formes de ravissement dont j'ai été informée, (j'ai eu des rapports avec tant de personnes spirituelles), sans être toutefois certaine d'y réussir, comme ce fut le cas lorsque j'ai écrit ailleurs sur ce sujet (Autobiographie, chap. 20) et pour certaines des choses dont je parle ici ; pour diverses raisons, il semble n'y avoir aucun inconvénient à en reparler, ne serait-ce que pour qu'on trouve ici, ensemble, toutes les Demeures.
3 Dans l'une de ces formes de ravissement, lorsque l'âme qui n'est peut-être pas en oraison, est touchée par une parole de Dieu qu'elle se rappelle ou qu'elle entend, il semble que Sa Majesté, de l'intérieur de l'âme, exalte l'étincelle que nous avons évoquée, émue de pitié d'avoir vu cette âme souffrir si longtemps de désir ; alors, embrasée tout entière comme l'oiseau Phénix elle est renouvelée, et on peut croire pieusement que ses fautes lui sont pardonnées : cela s'entend dans les dispositions voulues et avec les moyens à portée de cette âme, que l'Église enseigne Ainsi purifiée, le Seigneur l'unit à Lui, sans que personne ne s'en avise, sauf eux deux ; l'âme elle-même ne s'en avise point de manière à pouvoir en parler par la suite, bien qu'elle n'ait pas intérieurement perdu le sens ; cela ne saurait se comparer à un évanouissement, ni a une syncope, où tout sentiment intérieur ou extérieur est aboli.
4 Il m'apparaît que dans ces cas l'âme est plus éveillée que jamais aux choses de Dieu, plus éclairée dans la connaissance de Sa Majesté. Cela peut sembler impossible ; alors que les puissances et les sens sont si absorbés qu'on peut les dire morts comment peut-on entendre qu'ils comprennent ce secret ? Nul n'en sait rien, ni moi, ni peut-être aucune créature, le Créateur seul le sait, ainsi que bien d'autres choses qui se manifestent dans cet état, c'est-à-dire dans ces deux Demeures ; car on pourrait bien parler conjointement de ces deux Demeures, il n'y a pas entre l'une et l'autre de porte fermée. Mais puisqu'il se passe dans la dernière des choses qui ne se sont pas manifestées à ceux qui n'y sont pas encore parvenus, j'ai préféré les séparer.
5 Lorsque le Seigneur juge bon de communiquer à l'âme ravie certains secrets, ou certaines choses du ciel, ou des visions imaginaires (sur les vision imaginaire et intellectuelle, voir (Autobiographie, chap. 28), elle peut ensuite en faire le récit ; cela reste gravé dans sa mémoire de telle manière que jamais elle ne l'oublie. Mais quand ce sont des visions intellectuelles, elle est incapable de rien en dire ; à ce degré, certaines doivent être si élevées qu'il ne convient pas que ceux qui vivent sur terre les comprennent et en parlent ; toutefois, une personne qui a le sain usage de ses sens peut décrire ici-bas beaucoup de ces visions intellectuelles. J'en parlerai en temps voulu, puisque l'ordre m'en fut donné par quelqu'un qui a autorité pour cela ; bien qu'il paraisse présomptueux de le croire, ce sera peut-être utile à quelques âmes.
6 Mais, me direz-vous, si ces âmes ne gardent aucun souvenir des si hautes faveurs que le Seigneur leur accorde alors, quel profit y trouvent-elles ? Ô mes filles ! Il est si grand qu'on ne le dira jamais assez ; car bien qu'elles soient indescriptibles, elles se gravent fortement au plus intime de l'âme, on ne les oublie jamais. Mais si aucune image ne les accompagne et si les puissances ne les comprennent point, comment peut-on se les rappeler ? Je ne le comprends pas moi- même ; mais je comprends que certaines vérités sur la grandeur de Dieu sont si fortement fixées dans ces âmes que même si la foi ne leur disait qui il est, avec l'obligation d'y croire pour l'Amour de Dieu, elles adoreraient en lui cette grandeur à partir de cet instant, comme Jacob quand il vit l'échelle ; il dut saisir alors d'autres secrets qu'il ne sut répéter ; la vue d'une échelle par laquelle descendaient et montaient des anges n'eût pas suffi à lui faire comprendre de si grands mystères, sans un surcroît de lumières intérieures.
7 Je ne sais si je m'exprime bien, car bien que j'en aie entendu parler, j'ignore si mes souvenirs sont exacts. Moïse lui non plus n'a pas su dire tout ce qu'il avait vu dans le buisson, mais uniquement ce que Dieu lui permit de révéler. Mais si Dieu n'avait pas communiqué à son âme des secrets, s'il ne lui avait pas octroyé la certitude de voir et de croire que cela venait de Dieu, il n'aurait pas tant entrepris, au prix de si grandes épreuves ; il dut découvrir au milieu des épines de ce buisson de fort grandes choses qui lui donnèrent le courage de faire ce qu'il fit pour le peuple d'Israël. Donc, mes soeurs, nous n'avons pas à chercher des raisons de comprendre les choses cachées de Dieu, mais puisque nous croyons en sa puissance, nous devons croire, c'est clair, que le ver de terre que nous sommes, dont la puissance est si limitée, est incapable de concevoir ses grandeurs. Louons-le vivement de consentir à nous en faire comprendre quelques-unes.
8 Je désirerais trouver une comparaison qui éclaire un peu ce que je dis, je crains qu'il n'y en ait pas de bonne, mais donnons celle-ci : vous pénétrez dans l'appartement d'un roi ou d'un grand Seigneur, ce qu'on appelle, ce me semble, un salon, où on trouve en nombre infini, toutes sortes de verreries, de poteries et beaucoup de choses, disposées en si bel ordre qu'on les voit presque toutes en y entrant. On m'a introduite un jour dans l'une de ces salles chez la Duchesse d'Albe, (où sur les instances de cette dame, l'obéissance m'avait commandé de demeurer au cours d'un voyage) ; ébahie, en y pénétrant, je me demandais a quoi pouvait servir cette foule d'objets, tout en considérant qu'on pouvait louer le Seigneur de voir une telle variété de choses, et il est amusant de constater combien cela m'est utile pour ce que j écris ; j'y passai un moment, mais il y avait tant a voir que j'oubliai tout immédiatement et que je ne gardai le souvenir d'aucune de ces pièces ; je ne saurais pas plus décrire leur facture que si je ne les avais jamais vues. Il en est de même lorsque, introduite dans cet appartement du ciel empyrée que nous devons avoir à l'intérieur de nos âmes, l'âme ne fait qu'un, très intimement, avec Dieu, (puisque Dieu est dans l'âme, il est clair qu'il y a dans l'âme une de ces Demeures). Toutefois lorsque l'âme est ainsi, en extase, le Seigneur ne doit pas toujours lui permettre de pénétrer ces secrets, (elle est d'ailleurs si occupée à jouir de lui que ce bonheur lui suffit), mais il lui permet parfois de se ranimer, et de voir soudain ce qu'il y a dans cet appartement. Revenue à elle, elle garde donc l'image des grandeurs quelle a vues ; elle ne peut néanmoins en décrire aucune, sa nature ne se hausse pas au-delà de ce que Dieu a voulu lui montrer surnaturellement.
9 Suis-je donc en train de confesser ce qui a été vu, et qu'il s agit d'une vision imaginaire ? Je ne veux rien dire de semblable, cela n'est pas mon objet, mais la vision intellectuelle ; je manque d'instruction, mon ignorance est incapable de rien exprimer ; si je me suis bien expliquée à propos de cette oraison, je comprends clairement que ce n'est pas de mon propre chef. Pour moi, je suis d'avis que lorsque l'âme à qui Dieu accorde ces ravissements ne pénètre que certains de ces secrets, ce ne sont pas des ravissements, mais quelque faiblesse naturelle ; car il se peut que des personnes de faible complexion, et c'est notre cas à nous, femmes, surmontent la nature par une certaine force d'esprit, et restent absorbées, comme je crois l'avoir dit à propos de l'oraison de quiétude. Cela n'a rien de commun avec le ravissement ; lorsque c'en est un, croyez-le, Dieu dérobe l'âme tout entière, elle est sa propre chose, et en tant que telle, désormais, son Épouse, il lui montre peu à peu quelque petite parcelle du royaume qu'elle a mérité, en tant qu'épouse ; si petite soit-elle, tout est abondance dans ce grand Dieu, et il ne permet à personne de l'entraver, ni aux puissances, ni aux sens ; il donne l'ordre immédiat de fermer les portes de toutes ces Demeures, celle où il réside reste seule ouverte pour nous y introduire. Bénie soit une si grande miséricorde ; ceux qui ne voudraient pas en profiter, et qui perdraient ce Seigneur, seront maudits à juste titre.
10 Ô mes soeurs ! ce que nous quittons n'est rien, ni tout ce que nous faisons, ni tout ce que nous pourrions faire pour un Dieu qui consent ainsi à se donner à un ver de terre ! Puisque nous espérons jouir de ce bien dès cette vie même, que faisons-nous ? A quoi nous arrêtons-nous ? Est-il rien d'assez grand pour nous distraire un instant de chercher ce Seigneur, comme le faisait l'épouse, dans les rues et sur les places ? Oh ! tout au monde est moquerie qui ne nous rapproche de cela et ne nous aide pas à le rejoindre, même si délices, richesses, joies, tout ce qu'on peut imaginer, devaient durer toujours ! Tout est dégoût, ordure, en comparaison des trésors dont nous devons jouir à jamais ! Et cela même n'est rien, comparé au seul fait de posséder le Seigneur de tous les trésors, ceux du ciel et de la terre.
11 Ô aveuglement humain ! Jusques à quand, jusques à quand, attendrons-nous qu'on retire cette poussière de nos yeux ? Elle ne semble pas abonder parmi nous au point de nous aveugler tout à fait, mais je vois cependant de petits grains, de petits graviers, qui suffiront à nous faire grand tort, si nous les laissons s'accumuler ; pour l'amour de Dieu, mes soeurs, servons-nous de ces fautes pour connaître notre misère, qu'elles épurent notre vue, comme le fit la boue pour l'aveugle qu'a guéri notre Époux (Jn 9,6-7) ; à nous voir, donc, si imparfaites, supplions le d'autant plus vivement d'extraire le bien de nos misères, pour contenter Sa Majesté en toutes choses.
12 Je me suis beaucoup écartée de mon sujet par inadvertance. Pardonnez-moi, mes soeurs, et croyez que lorsque j'approche des grandeurs de Dieu, c'est-à- dire, lorsque j'en parle, je ne puis retenir de vives plaintes : je vois ce que nous perdons par notre faute. Car bien que le Seigneur donne ces choses à qui il veut, si nous aimions Sa Majesté comme Elle nous aime, Elle nous les donnerait à nous tous. C'est son unique désir, trouver à qui donner, et ses richesses ne diminuent pas pour autant.
13 Pour en revenir, donc, à ce que je disais, l'Époux ordonne la fermeture des portes des Demeures, et même celles du château et de l'enceinte ; car lorsqu'il veut enlever cette âme, et la ravir, elle perd la respiration, et même si elle garde un peu plus longtemps l'usage des sens, il lui est totalement impossible de parler ; mais parfois, aussi, tout s'interrompt soudain, les mains et le corps se refroidissent à tel point qu'elle croit être privée d'âme, et qu'il arrive même qu'on ne perçoive plus son souffle. C'est bref, et je le précise : cet état-là est bref ; car dés que ce grand ravissement se relâche, le corps semble se ressaisir un peu, il reprend haleine pour mourir à nouveau et donner à l'âme un supplément de vie ; et pourtant, cette grande extase ne dure pas longtemps.
14 Lorsqu'elle a cessé, il arrive néanmoins que la volonté reste si absorbée et l'entendement si égaré, pendant des jours et encore des jours, que cette âme semble incapable de rien comprendre de ce qui n'éveille pas la volonté et l'incite à aimer ; elle est toutefois fort éveillée à l'amour, mais endormie s'il s'agit d'affronter les créatures et de s'y attacher.
15 Quand l'âme revient tout à fait à elle, oh ! quelle confusion est la sienne, quel immense désir elle a de s'employer au service de Dieu, de quelque façon il veuille l'utiliser ! Si les effets des états d'oraison précédents sont comme je les ai décrits, que peut-il s'ensuivre d'une faveur aussi grande que celle-là ? Je voudrais vivre mille vies pour les vouer toutes au service de Dieu, et que toutes choses sur terre se transforment en langues pour le louer. Le désir de faire pénitence est immense : on n'y a guère de mérite, la force de l'amour est telle que l'âme ne se ressent guère de tout ce qu'elle fait, elle voit clairement que les tourments qu'enduraient les martyrs étaient peu de chose, car avec cette aide de Notre-Seigneur, tout devient facile ; ces âmes, donc, se plaignent à Sa Majesté quand elles n'ont pas l'occasion de souffrir.
16 Quand Sa Majesté leur fait cette faveur en secret, elles l'estiment à sa très haute valeur ; mais quand plusieurs personnes en sont témoin, elles sont si confuses, si honteuses, que leur âme, en quelque sorte, se vide du bonheur dont elle a joui, tant elle est soucieuse, affligée, de ce que les gens penseront de ce qu'ils ont vu. Elles connaissent la malice du monde, et comprennent que d'aventure on ne l'attribuera pas à qui de droit, et au lieu d'y trouver une occasion de louer le Seigneur, ce sera peut-être un sujet de médisances. Sous certains aspects, cette peine et cette confusion me semblent un manque d'humilité, mais cela ne dépend plus de leur volonté ; en effet, si cette personne souhaite le blâme, que lui importe ? Comme l'a dit Notre-Seigneur à quelqu'un qui s'affligeait ainsi : " Ne te mets pas en peine, puisqu'ils doivent soit me louer, Moi, soit médire de toi ; et quoi qu'on dise, tu y gagnes (Autobiographie, chap. 31). " J'ai su plus tard que ces paroles avaient beaucoup encouragé et soutenu cette personne ; je les rapporte ici, au cas où l'une de vous connaîtrait pareille affliction. Notre-Seigneur semble vouloir que tout le monde comprenne que cette âme est déjà sienne, et que personne n'a le droit d'y toucher. Qu'on s'attaque à son corps, à son honneur, à ses biens, à la bonne heure : tout contribuera à honorer Sa Majesté ; mais quant à l'âme, point ; si elle ne s'éloigne pas de son Époux par une outrecuidance fort coupable, il la protégera contre le monde entier, et même contre tout l'enfer.
17 Je ne sais si j'ai réussi à faire comprendre ce qu'est le ravissement ; tout dire est impossible, comme je l'ai signalé, mais je sens qu'on ne perd rien à s'y essayer, pour faire comprendre en quoi il consiste ; car il diffère beaucoup, par ses effets, des ravissements feints. Si j'emploie le mot " feints ", ce n'est pas que la personne qui les a veuille tromper, mais elle est trompée. Et lorsque les signes et les effets ne sont pas conformes à une si haute grâce, on la diffame à tel point qu'en conséquence, et avec juste raison, on ne croira plus celles à qui le Seigneur l'accorde. Qu'il soit à jamais béni et loué. Amen, amen.


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Message par Francesco Mar 21 Déc 2010 - 0:07

6e Demeures:

SIXIEMES DEMEURES

CHAPITRE V SUITE

Suite du même sujet. Comment Dieu élève l'âme, par un rapt de l'esprit différent de ce qui a été décrit. Pourquoi le courage est nécessaire. De cette savoureuse faveur qu'accorde le Seigneur. Enseignement fort profitable.

1 Il est une autre sorte de ravissement, ou vol de l'esprit dis-Je à ma façon ; car bien qu'en substance ce soit la même chose, le sentiment intérieur est fort différent. Parfois, on sent soudain un mouvement de l'âme si accéléré que l'esprit semble emporté à une vélocité qui fait grand peur, particulièrement dans les débuts ; c'est pourquoi je vous disais que ceux à qui Dieu accorde ces grâces doivent avoir beaucoup de courage, de la foi, de la confiance, et être pleinement résignés à laisser Notre-Seigneur faire de l'âme ce que bon lui semble. Croyez-vous que la personne, qui en pleine possession de ses sens, sent son âme emportée soudain, puisse n'être qu'à peine troublée ? Nous avons même lu que le corps suit parfois, sans savoir où il va, qui l'emporte, ni comment ; car au début de ce mouvement momentané, on n'est pas tellement certain qu'il vienne de Dieu.
2 N'y a-t-il aucun moyen d'y résister ? Aucun ; ce serait même pire. Certaine personne m'a dit que Dieu semble vouloir faire comprendre à l'âme qui s'est remise en ses mains et s'est donnée à Lui si souvent et si sincèrement tout entière avec une volonté totale, qu'elle ne s'appartient plus, et il la ravit dans un élan encore plus impétueux ; cette personne avait décidé d'être comme la paille que l'ambre soulève, comme vous l'aurez remarqué, et de s'abandonner dans les mains de Celui qui, dans sa toute-puissance, sait que la plus grande sagesse est de faire de nécessite vertu. Et parce que j'ai parlé de la paille, la vérité est qu'avec la même facilité qu'un géant peut ravir une paille, notre grand et puissant géant ravit l'esprit.
3 Cela évoque ce bassin dont nous avons parlé, dans la quatrième Demeure, ce me semble (Quatrième Demeures, chap. 2 et 3), qui avec une telle douceur sans aucun frémissement, s'emplissait ; mais ici, ce grand Dieu qui retient les sources des eaux et qui ne permet pas à la mer de sortir de ses limites, déchaîne les sources qui alimentent ce bassin ; dans un élan impétueux, une vague se soulève, si puissante qu'elle élève sur les hauteurs cette nacelle qu'est notre âme. Et de même qu'une nacelle ne peut lutter, que le pilote et tous ceux qui la gouvernent sont impuissants à la maintenir où ils le veulent au milieu des vagues en furie, l'âme peut encore moins arrêter où elle le veut son mouvement intérieur, ni obtenir que ses sens et ses puissances fassent autre chose que ce qui leur est commandé. Quant à l'extérieur, on n'en fait ici aucun cas.
4 Vraiment, mes soeurs, rien que d'écrire cela, je m'émerveille de voir se montrer la grande puissance de ce grand Roi et Empereur : que sera-ce de ceux qui le vivent ! M'est avis que si Sa Majesté se découvrait à ceux qui errent en ce monde et s'y perdent comme elle se découvre à ces âmes, par crainte, à défaut d'amour, elles n'oseraient plus l'offenser. Mais, oh ! que celles qui ont été instruites sur de si hauts chemins ont donc le devoir de chercher de toutes leurs forces à ne pas fâcher ce Seigneur ! Pour l'amour de Lui, je vous supplie, mes soeurs, vous, à qui Sa Majesté aurait accordé cette faveur ou des grâces semblables de veiller à ne pas vous contenter de recevoir. Considérez que quiconque doit beaucoup devra beaucoup payer.
5 Ici encore il faut un grand courage, car cela effraie vivement. L'âme à qui Notre-Seigneur n'en donnerait point vivrait dans une grande affliction ; la vue de ce que Sa Majesté fait d'elle, suivie d'un retour sur elle-même, lui prouverait qu'elle n'est guère capable de faire ce qu'elle doit, le peu qu'elle fait lui paraîtrait plein de fautes, de failles, de faiblesses ; pour ne pas penser aux imperfections de son oeuvre, si tant est qu'elle en fasse, elle préfère tâcher d'oublier, : et se cacher dans la miséricorde de Dieu ; puisqu'elle n'a pas de quoi payer, que Sa pitié et Sa miséricorde à l'égard des pécheurs y suppléent.
6 Peut-être lui répondra-t-il comme à une personne qui se tenait devant un crucifix, fort affliger, considérant qu'elle n'avait jamais rien eu à donner à Dieu, ni quoi que ce soit à quitter pour lui. Pour la consoler, le Crucifié lui-même lui dit qu'il lui donnait toutes les douleurs et toutes les épreuves qu'il avait souffertes dans sa passion ; elle pouvait se les approprier, pour les offrir à son père. (Sainte Thérèse reçut cette faveur à Séville en 1575 ou 76. Vois Faveur de Dieu.) Ce fut pour cette âme un tel réconfort, elle se vit si riche, m'a-t-elle dit, qu'elle n'a jamais pu l'oublier ; elle se le rappelle même chaque fois qu'elle voit sa misère, et se retrouve fortifiée, consoler. Je pourrais évoquer certaines choses comme celle-là, j'ai connu tant de personnes saintes et vouées à l'oraison que j'en sais un grand nombre ; j'y résiste pour que vous ne pensiez pas qu'il s'agit de moi. Ce que je viens de vous dire me semble fort propre à vous faire comprendre combien la connaissance que nous avons de nous-même est agréable à Notre Seigneur, ainsi que l'effort de toujours considérer et reconsidérer notre pauvreté, notre misère, certaines de ne rien posséder que nous n'ayons reçu. Donc, mes soeurs, pour cela et beaucoup d'autres choses qui se présentent à l'âme que le Seigneur a fait accéder à cet état, il faut du courage ; et, ce me semble, plus encore pour la dernière de ces faveurs que pour toutes les autres, si elle est humble. Plaise au Seigneur de nous en donner, il en a le pouvoir.
7 Pour revenir à ce brusque rapt de l'esprit, il est tel que l'esprit semble vraiment quitter le corps, et pourtant, c'est clair, cette personne n'est pas morte ; mais pendant quelques instants, elle ne peut dire si son esprit est dans son corps, oui ou non. Il lui semble avoir été tout entière dans une autre région, bien différente de celle où nous vivons ; là, on lui a montré une autre lumière, si différente de celle d'ici-bas qu'elle aurait pu passer sa vie entière à la fabriquer, ainsi que d'autres choses, sans y parvenir. Et en un instant, on lui montre tant de choses à la fois que si son imagination et sa pensée travaillaient des années à les agencer, elle n'y parviendrait pas pour une sur mille. Ce n'est pas une vision intellectuelle, mais imaginaire, on la voit des yeux de l'âme beaucoup mieux que nous ne voyons ici-bas des yeux du corps, et, sans paroles, on lui fait comprendre certaines choses ; ainsi, si elle voit des saints, elle les reconnaît comme si elle les avait beaucoup fréquentés.
8 D'autres fois, en même temps que les choses qu'elle voit des yeux de l'âme, d'autres lui sont montrées par une vision intellectuelle, en particulier une multitude d'anges, en compagnie de leur Seigneur ; et sans rien voir des yeux du corps ni de l'âme, par une connaissance admirable que je ne saurais expliquer, on lui présente ce que je dis, et beaucoup d'autres choses indicibles. Quelqu'un de plus habile que moi qui en aurait l'expérience pourrait peut-être le faire comprendre, mais cela me semble bien difficile. Je ne saurais dire si l'âme est unie au corps lorsque cela se produit ; du moins je ne jurerais pas qu'elle soit dans le corps, ni que le corps soit sans l'âme.
9 J'ai souvent pensé ceci : de même que le soleil immobile au ciel a des rayons d'une telle puissance qu'ils nous parviennent en un instant sans qu'il bouge de là-haut, l'âme et l'esprit ne font qu'un, comme ne font qu'un le soleil et ses rayons ; et ainsi, tout en restant à sa place, l'âme, par la puissance de la chaleur qui lui vient du vrai Soleil de Justice, peut projeter au-dessus d'elle-même ce qu'il y a de supérieur en elle. Enfin, je ne sais ce que je dis. Ce qui est vrai, c'est qu'à la vitesse d'une balle sortie d'une arquebuse à laquelle on a mis feu, il se produit intérieurement une envolée (je ne sais quel autre nom lui donner), dont le mouvement est si clair, bien que sans bruit, qu'on ne peut l'attribuer à l'imagination ; et voilà l'âme tout hors d'elle-même autant qu'elle peut le comprendre, et de grandes choses lui sont montrées ; quand elle revient à elle, elle a tant gagné, les choses de la terre lui semblent si peu de chose comparées à ce qu'elle a vu, qu'elle n'y voit qu'ordures ; dés lors elle vivra sur terre à dures peines, rien de ce qui lui plaisait naguère n'a pour elle le moindre intérêt. Le Seigneur semble avoir voulu lui faire entrevoir le pays où elle ira un jour, comme les envoyés du peuple d'Israël rapportèrent des signes de la Terre Promise, pour l'aider à supporter les épreuves de cette route si pénible, sachant où elle ira se reposer. Quelque chose qui passe si vite ne vous semblera peut-être pas devoir être très profitable, mais l'âme en tire de si grands bénéfices que nul ne saurait les apprécier à leur valeur, sauf ceux qui en ont fait l'expérience.
10 On voit bien par là que ce n'est pas chose du démon ; l'imagination n'y peut rien, et le démon serait impuissant à représenter des choses si efficaces, qui laissent dans l'âme tant de paix, de calme, et de bienfaits, trois, en particulier, à un très haut degré. Le premier est la connaissance de la grandeur de Dieu, car plus elle se découvre à nous, plus nous sommes admis à la comprendre. Le second : connaissance de soi, humilité de voir comment chose si basse comparée au Créateur de tant de grandeurs a osé l'offenser, et même le regarder. Le troisième ne guère priser toutes les choses de la terre, si ce n'est celles qui peuvent s'employer au service d'un si grand Dieu.
11 Tels sont les premiers joyaux que l'Époux donne ici à son épouse, ils sont d'une telle valeur qu'elle ne s'exposera pas au risque de les perdre ; ce qu'elle a vu reste si gravé dans sa mémoire qu'il lui est impossible, je crois, de l'oublier en attendant d'en jouir pour toujours, sous peine de subir un immense dommage ; mais l'Époux qui lui fait ce don a aussi le pouvoir de lui donner la grâce de ne pas le perdre.
12 Donc, pour en revenir au courage nécessaire, pensez-vous que ce soit peu de chose ? Car l'âme semble vraiment se séparer du corps, elle voit ses sens lui échapper et ne comprend pas pourquoi. Il faut que Celui qui lui donne tout le reste lui donne aussi du courage. Vous direz qu'elle est bien payée de ses craintes ; je suis du même avis. Loué soit à jamais Celui qui peut tant donner. Plaise à Sa Majesté de nous accorder de mériter de la servir. Amen.


SUITE


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Message par Francesco Mer 22 Déc 2010 - 0:24

7 Pour revenir à ce brusque rapt de l'esprit, il est tel que l'esprit semble vraiment quitter le corps, et pourtant, c'est clair, cette personne n'est pas morte ; mais pendant quelques instants, elle ne peut dire si son esprit est dans son corps, oui ou non. Il lui semble avoir été tout entière dans une autre région, bien différente de celle où nous vivons ; là, on lui a montré une autre lumière, si différente de celle d'ici-bas qu'elle aurait pu passer sa vie entière à la fabriquer, ainsi que d'autres choses, sans y parvenir. Et en un instant, on lui montre tant de choses à la fois que si son imagination et sa pensée travaillaient des années à les agencer, elle n'y parviendrait pas pour une sur mille. Ce n'est pas une vision intellectuelle, mais imaginaire, on la voit des yeux de l'âme beaucoup mieux que nous ne voyons ici-bas des yeux du corps, et, sans paroles, on lui fait comprendre certaines choses ; ainsi, si elle voit des saints, elle les reconnaît comme si elle les avait beaucoup fréquentés.

9 J'ai souvent pensé ceci : de même que le soleil immobile au ciel a des rayons d'une telle puissance qu'ils nous parviennent en un instant sans qu'il bouge de là-haut, l'âme et l'esprit ne font qu'un, comme ne font qu'un le soleil et ses rayons ; et ainsi, tout en restant à sa place, l'âme, par la puissance de la chaleur qui lui vient du vrai Soleil de Justice, peut projeter au-dessus d'elle-même ce qu'il y a de supérieur en elle. Enfin, je ne sais ce que je dis. Ce qui est vrai, c'est qu'à la vitesse d'une balle sortie d'une arquebuse à laquelle on a mis feu, il se produit intérieurement une envolée (je ne sais quel autre nom lui donner), dont le mouvement est si clair, bien que sans bruit, qu'on ne peut l'attribuer à l'imagination ; et voilà l'âme tout hors d'elle-même autant qu'elle peut le comprendre, et de grandes choses lui sont montrées ; quand elle revient à elle, elle a tant gagné, les choses de la terre lui semblent si peu de chose comparées à ce qu'elle a vu, qu'elle n'y voit qu'ordures ; dés lors elle vivra sur terre à dures peines, rien de ce qui lui plaisait naguère n'a pour elle le moindre intérêt. Le Seigneur semble avoir voulu lui faire entrevoir le pays où elle ira un jour, comme les envoyés du peuple d'Israël rapportèrent des signes de la Terre Promise, pour l'aider à supporter les épreuves de cette route si pénible, sachant où elle ira se reposer. Quelque chose qui passe si vite ne vous semblera peut-être pas devoir être très profitable, mais l'âme en tire de si grands bénéfices que nul ne saurait les apprécier à leur valeur, sauf ceux qui en ont fait l'expérience.
Le Seigneur l'a amené au ciel.....Que de grandeur....


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Message par Francesco Ven 24 Déc 2010 - 0:52

6e Demeures:

SIXIEMES DEMEURES

CHAPITRE VI SUITE

D'un autre effet de l'oraison évoquée dans le chapitre précèdent qui prouve que cet état est véritable, et pas un leurre. D'une autre faveur que le Seigneur accorde à l'âme pour l'inciter à le louer.

1 Ces hautes faveurs communiquent à l'âme un si vif désir de jouir pleinement de Celui qui les accorde qu'elle vit dans un fort grand tourment, savoureux toutefois : elle aspire ardemment à mourir, et toujours avec des larmes, elle demande à Dieu de la sortir de cet exil. Tout ce qu'elle voit ici-bas la fatigue ; la solitude lui apporte certain soulagement, mais le chagrin la reprend, sans lequel elle ne peut vivre. Enfin, ce petit papillon n'arrive pas à se stabiliser ; l'âme est si attendrie par l'amour que la première occasion d'activer cette flamme lui fait prendre son vol. Les ravissements sont donc très fréquents dans cette Demeure, sans qu'il soit possible de s'y dérober, même en public ; persécutions, médisances s'ensuivent, qui ne lui permettent pas de vivre sans crainte, comme elle le voudrait, car de nombreuses personnes l'effraient, en particulier les confesseurs.
2 Bien que la certitude habite une partie de son âme, spécialement quand elle est seule avec Dieu, elle est, d'autre part, fort affligée ; elle redoute que le démon, par ses tromperies, la pousse à offenser Celui qu'elle aime tant, car elle ne se met guère en peine des médisances, sauf lorsque son confesseur lui-même l'accable, comme si elle y pouvait quelque chose. Sans cesse, à tout un chacun, elle demande des prières, elle supplie Sa Majesté de la conduire par une autre voie, selon le conseil de ceux qui lui disent que ce chemin est fort dangereux. Mais elle y a fait de si grands progrès, tout ce qu'elle lit, tout ce qu'elle entend et sait, d'après les commandements de Dieu, montre si bien qu'il conduit au ciel, qu'il lui est impossible de renoncer à son désir de le suivre, malgré sa volonté ; elle s'abandonne donc entre les mains de Dieu. Toutefois, elle s'afflige de ne pouvoir désirer prendre une autre voie, il lui semble ne pas obéir à son confesseur, alors que l'obéissance et le refus d'offenser Notre-Seigneur sont, lui semble-t-il, les seuls remèdes contre l'illusion. Elle se juge incapable de consentir à commettre un péché véniel, dût-on la mettre en pièces, et s'afflige donc immensément de constater qu'elle ne peut éviter d'en commettre beaucoup sans s'en apercevoir.
3 Dieu donne à cette âme un si vif désir de ne le fâcher, si peu que ce soit, en rien, autant que possible, de ne rien faire d'imparfait, que dans ce seul but, sans présumer de tout le reste, elle voudrait fuir les gens, et elle envie beaucoup ceux qui vivent ou ont vécu au désert. Par ailleurs, elle voudrait se jeter au beau milieu du monde pour chercher à amener une seule âme à mieux louer Dieu ; elle s'afflige, si elle est femme, des entraves que lui oppose sa nature qui l'en empêche, et elle envie beaucoup ceux qui sont libres de proclamer à grands cris qui est ce grand Dieu des Chevaleries.
4 Oh ! pauvre petit papillon, lié par tant de chaînes, on ne te permet pas de voler comme tu le voudrais ! Ayez pitié de lui mon Dieu ; autorisez-le à réaliser quelques-uns de ses désirs pour votre honneur et votre gloire. Ne songez pas à son peu de mérite, à sa basse nature. Vous avez la puissance, Vous Seigneur, d'ordonner à la mer et au grand Jourdain de se retirer pour laisser passer les enfants d'Israël. Ne plaignez pas cette âme, puisque avec l'aide de votre force, elle peut supporter bien des peines ; elle y est résolue, et désire les subir. Étendez, Seigneur, votre bras tout-puissant afin qu'elle n'emploie pas sa vie à des choses aussi mesquines. Que votre grandeur se manifeste en un objet si féminin, si méprisé, pour que le monde comprenne qu'elle n'est rien par elle-même, et que Vous, il vous loue ; quoiqu'il puisse lui en coûter, c'est ce qu'elle veut, et eût-elle mille vies, les donner pour qu'une âme vous loue un peu mieux à cause d'elle ; ce sera, estime-t-elle, bien user de ses peines, elle comprend en toute sincérité qu'elle ne mérite pas de souffrir pour vous la moindre des épreuves, et encore moins de mourir.
5 Je ne sais à quel propos ni pourquoi j'ai dit cela, mes soeurs, ce fut par inadvertance. Comprenons que tels sont sans aucun doute les effets de ces suspensions ou extases ; il ne s'agit pas de désirs passagers, mais continuels, et quand se présente l'occasion de le prouver, on voit qu'ils n'étaient pas feints. Pourquoi dis-je qu'ils sont continuels ? L'âme se sent lâche, parfois, devant les choses les plus mesquines elle est craintive et si démunie de courage qu'il lui semble impossible d'en avoir pour quoi que ce soit. J'entends que le Seigneur l'abandonne à sa nature, pour son plus grand bien ; alors, avec une clarté qui l'anéantit, elle voit que le peu de vaillance qu'elle a montré fut un don de Sa Majesté, elle tire de là une plus grande connaissance de la miséricorde de Dieu et de la grandeur qu'il a consenti à montrer en quelqu'un d'aussi bas qu'elle. Mais elle est d'ordinaire dans l'état que nous avons décrit.
6 Mes soeurs, dans ces grands désirs de voir Notre-Seigneur, considérez ceci : ils sont parfois si oppressants qu'il ne vous est pas nécessaire de les exalter, mais de vous en distraire si vous le pouvez, dis-je ; mais c'est complètement impossible dans certains des cas dont je parlerai plus loin, vous le verrez. Vous pourrez parfois résister à ceux dont je parle ici, car la raison se remet tout entière à la volonté de Dieu ; elle dit ce que disait saint Martin (" Seigneur, si je suis nécessaire à votre peuple, je ne refuse pas le travail ; que votre volonté soit faite. ") ; l'âme pourra revenir à la considération, si ces désirs l'oppressent vivement, car ils sont, semble-t-il, le fait de personnes fort avancées et le démon pourrait les susciter pour nous faire croire que nous sommes dans ce cas ; il est donc toujours bon de garder des craintes. Mais je crois que le démon ne saurait donner à l'âme la quiétude et la paix qui accompagnent cette peine, la passion dont il l'agitera ressemble à la peine que causent les choses du siècle. Mais ceux qui n'auraient pas l'expérience de l'une et de l'autre ne le comprendront pas, ils penseront que c'est quelque chose de très grand, ils la fomenteront autant qu'ils le pourront, ce qui nuira gravement à leur santé ; car cette peine est continuelle, ou du moins très fréquente.
7 Notez aussi qu'une faible constitution peut fomenter ces peines-là, en particulier s'il s'agit de personnes tendres qui pleurent pour des vétilles ; mille fois on leur fera croire qu'elles pleurent pour Dieu, sans qu'il en soit rien. Il peut même leur arriver de verser à certains moments des torrents de larmes sans pouvoir y résister, au moindre mot de Dieu qu'elles entendent ou évoquent, mais certaine humeur rapprochée du coeur peut en être cause plutôt que l'amour de Dieu ; on croirait toutefois que jamais elles ne cesseront de pleurer. Comme elles ont compris que les larmes sont bonnes, elles ne les maîtrisent point, elles voudraient passer leur temps à pleurer, et font tout pour cela. Le démon cherche par ce moyen, à les affaiblir de manière qu'elles ne puissent plus faire oraison ni observer leur Règle.
8 Je crois vous entendre demander ce que vous pouvez faire, puisque je vois du danger partout et que lorsqu'il me semble qu'on peut étre abusé par quelque chose d'aussi bon que les larmes, l'abusée, c'est moi. Cela se peut, mais croyez que je ne parle pas sans l'avoir constaté chez certaines personnes, néanmoins pas en moi, car je ne suis nullement tendre, mon coeur est même si dur que j'en suis parfois peinée ; toutefois, quand la flamme intérieure est vive, pour dur que soit le coeur, il distille comme un alambic ; et vous constaterez bien que les larmes qui viennent de là sont réconfortantes, elles apaisent au lieu d'agiter, et il est rare qu'elles fassent du mal. Ce qu'il y a de bien dans ce leurre lorsque leurre il y a, c'est qu'il nuira au corps, mais pas à l'âme si elle est humble, je le précise ; au cas où l'humilité ferait défaut, il ne sera pas mauvais de garder cette méfiance.
9 Ne pensons pas que tout soit fait en pleurant beaucoup, mettons plutôt activement la main à l'ouvrage, et pratiquons les vertus, voilà ce qui nous convient ; viennent les larmes si Dieu nous les envoie sans que nous cherchions à les provoquer. Elles arroseront cette terre sèche, et aident beaucoup à produire des fruits, d'autant plus que nous y prêtons moins d'attention, car cette eau tombe du ciel ; on ne saurait la comparer avec celle que nous tirons en nous fatiguant à creuser, car nous creuserons souvent jusqu'à être fourbues sans trouver une flaque d'eau, et encore moins un puits ou une source. C'est pourquoi, mes soeurs, j'estime préférable de nous mettre en présence de Dieu, de considérer sa miséricorde, sa grandeur, ainsi que notre bassesse, afin qu'il nous donne ce qu'il veut, que ce soit l'eau, ou la sécheresse : il sait mieux que nous ce qui nous convient. Ainsi, nous vivrons en repos, et le démon aura moins d'occasions de nous attirer dans ses chausse-trappes.
10 En même temps que ces choses pénibles et savoureuses à la fois, il arrive que Notre-Seigneur accorde à l'âme une jubilation, une oraison étrange, que l'âme ne comprend pas. J'en parle ici pour que vous sachiez que cela peut vous arriver ; s'il vous fait cette faveur, rendez-lui d'abondantes grâces. C'est, ce me semble, une union profonde des puissances, mais Notre Seigneur les laisse, avec les sens, libres de jouir de cette joie ; ils ne comprennent toutefois ni ce dont ils jouissent ni comment ils en jouissent. J'ai l'air de parler arabe, mais cela se passe vraiment ainsi ; le bonheur de l'âme est si excessif qu'elle ne voudrait pas être seule à en jouir mais le dire à tout le monde pour qu'on l'aide à louer Notre-Seigneur, elle ne tend qu'à cela. Oh ! que de fêtes elle célébrerait, que de démonstrations, si elle le pouvait, pour que le monde entier conçoive sa joie ! Il lui semble s'être enfin trouvée, et comme le père de l'enfant prodigue, elle voudrait convier tout le monde à de grandes fêtes, pour montrer son âme établie en un lieu où, à n'en pas douter, elle est en sécurité, du moins à ce moment. M'est avis qu'elle a raison ; il est impossible au démon de donner tant de joie intérieure, au plus profond de l'âme, tant de paix, et ce contentement qui ne tend qu'à provoquer la louange de Dieu.
11 Dans cet élan d'allégresse, c'est déjà beaucoup de pouvoir se taire et dissimuler, non sans peine. C'est ce que dut ressentir saint François quand, marchant dans la campagne en poussant des clameurs, il rencontra les voleurs, et leur dit qu'il était le crieur public du grand Roi ; d'autres saints aussi vont au désert pour pouvoir publier, comme saint François, ces louanges de leur Dieu. J'en ai connu un, nommé Fr. Pierre d'Alcantara, je crois qu'il est de ceux-là, si on en juge par sa vie ; il faisait comme eux, et ceux qui eurent l'occasion de l'entendre le prenaient pour un fou. Oh ! la bonne folie, mes soeurs ! Plaise à Dieu de nous la donner à toutes ! Quelle grâce il vous a faite de vous amener en un lieu où même si le Seigneur vous donne cette folie et que vous la manifestiez, vous trouverez de l'aide, et point de médisances, comme ce serait le cas si vous étiez dans le monde où ces cris sont si rares qu'il n'est pas surprenant qu'on en médise.
12 Ô temps infortunés, vie misérable où nous vivons, et heureuses celles qui ont la bonne fortune d'en sortir ! Lorsque nous sommes toutes réunies, il m'arrive parfois d'éprouver une joie particulière à considérer ces soeurs dont la joie intérieure est si grande qu'elles rivalisent de louanges à Notre-Seigneur qui les a conduites dans ce monastère ; on voit très clairement que ces louanges jaillissent du profond de leur âme. Je voudrais, mes soeurs, que vous le fassiez souvent, car la première éveille les autres. Quel meilleur emploi de votre langue, quand vous êtes ensemble, si ce n'est louer Dieu, puisque nous avons tant de raisons de le faire ?
13 Plaise à Sa Majesté de nous accorder souvent cette oraison si sûre, et si avantageuse ; car nous ne pouvons l'acquérir, elle est toute surnaturelle. Il arrive qu'elle dure une journée, l'âme est alors comme quelqu'un qui a beaucoup bu sans toutefois que ses sens soient aliénés, ou comme un mélancolique qui n'a pas tout à fait perdu la tête mais dont l'imagination s'obstine dans une idée fixe que personne ne peut lui ôter. Ce sont des comparaisons bien grossières pour un sujet si précieux, mais je n'ai pas le talent de mieux faire, c'est ainsi ; dans sa joie, cette âme s'oublie si bien elle-même, et toutes choses, qu'elle ne remarque et n'exprime que de ce qui procède de sa joie, la louange de Dieu. Aidons cette âme, nous toutes, mes filles. Pourquoi voudrions-nous avoir plus de cervelle ? Qui pourrait nous donner de plus grandes joies ? Que toutes les créatures nous y aident, dans tous les siècles des siècles ! Amen, amen, amen.


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Message par Francesco Mer 29 Déc 2010 - 0:30

6e Demeures:

SIXIEMES DEMEURES

CHAPITRE VII SUITE

De la peine que les âmes à qui Dieu accorde lesdites grâces ressentent le leurs péchés. De la grande erreur que ce serait de ne pas chercher à évoquer l'humanité de Notre-Seigneur et Sauveur Jésus-Christ, sa Sainte Passion, sa vie, sa glorieuse Mère et ses saints, si grande que soit notre spiritualité. Chapitre fort profitable.

1 Vous allez croire, mes soeurs, - surtout celles d'entre vous qui n'ont pas reçu ces faveurs, car celles qui ont joui de grâces venues de Dieu comprendront ce que je vais dire, - que les âmes à qui le Seigneur se communique si particulièrement sont sans doute tellement certaines de jouir de Lui pour l'éternité qu'elles n'ont plus rien à craindre, ni à pleurer leurs péchés ; ce serait une bien grande erreur, car plus Dieu nous donne, plus s'accroît notre douleur d'avoir péché. Je pense à part moi que tant que nous n'aurons pas atteint le lieu où plus rien ne pourra nous causer de la peine, nous ne serons pas soulagés de celle-là.
2 Il est vrai que, selon les circonstances, elle pèse sur nous plus ou moins, et varie ; l'âme oublie le châtiment qu'elle encourt pour ne considérer que son ingratitude à l'égard de Celui à qui elle doit tant, et qui mérite d'être si bien servi ; l'un des effets des grandeurs qui lui sont communiquées est de mieux lui faire comprendre la grandeur de Dieu. Elle s'épouvante de sa hardiesse ; elle pleure son irrespect ; sa folie lui semble si folle que ses regrets sont sans fin quand elle se souvient de la bassesse des choses pour lesquelles elle a négligé une si grande Majesté. Ils sont plus présents à son souvenir que les faveurs qu'elle reçoit, si grandes que soient celles déjà évoquées et celles dont il reste à parler. Un fleuve tumultueux semble emporter les faveurs et les ramener en temps voulu ; mais les péchés sont comme une boue, ils semblent s'aviver sans cesse dans la mémoire, et c'est une fort grande croix.
3 Je connais une personne qui voulait mourir pour voir Dieu, mais elle le désirait en outre pour ne pas endurer le chagrin constant d'avoir été ingrate envers Celui à qui elle avait dû et devrait toujours tant ; ainsi, elle imaginait que personne ne l'égalait en malignité, puisque à ce qu'elle comprenait, jamais Dieu n'avait accordé plus de faveurs qu'à elle, ni montré plus de clémence envers quiconque. Quant à la peur de l'enfer, ces âmes n'en ont aucune. L'idée de perdre Dieu les oppresse parfois durement, mais rarement. Leur plus grande crainte est d'offenser Dieu au cas où il cesserait de les tenir par la main, et de se retrouver dans le misérable état où elles ont vécu naguère ; mais elles ne se soucient ni de leur propre peine ni de leur propre gloire ; si elles souhaitent ne pas rester longtemps au purgatoire, c'est pour ne pas être privées de Dieu le temps qu'elles y passeraient, bien plus que par crainte des peines qu'elles devront y subir.
4 L'âme la plus favorisée par Dieu ne serait pas, ce me semble, en sûreté, si elle oubliait le temps où elle a vécu dans ce misérable état ; c'est pénible, mais profitable pour beaucoup d'entre elles. J'ai été si vile que telle est peut-être la cause pour laquelle cela me revient sans cesse en mémoire ; celles qui ont bien vécu n'ont sans doute pas de regrets, quoi qu'il y ait toujours des défaillances tant que nous sommes dans notre corps mortel. La pensée que Notre-Seigneur nous a déjà pardonné et qu'il a oublié nos péchés n'allège nullement cette peine ; tant de bonté l'aggrave plutôt, et de le voir accorder des faveurs à quelqu'un qui ne mériterait que l'enfer. Tel fut, ce me semble, le grand martyr de saint Pierre et de la Madeleine ; leur amour était si grand, ils avaient reçu tant de grâces, ils avaient si bien la notion de la grandeur et de la majesté de Dieu, que leur souffrance dut être fort rude, et mêlée de bien tendres regrets.
5 Vous allez croire encore que la personne qui jouit de choses aussi hautes ne méditera pas sur les mystères de l'Humanité très sacrée de Notre-Seigneur Jésus- Christ, puisque tout entière consacrée à l'amour. J'ai longuement écrit ailleurs sur ce sujets (Autobiographie, chp. 22), bien qu'on m'ait opposé que je n'y comprenais rien, que ce sont-là des chemins par lesquels Notre-Seigneur nous conduit, et qu'une fois faits les premiers pas, mieux vaut s'occuper des choses de la Divinité et fuir les choses corporelles, on ne me fera pas confesser que tel soit le bon chemin. Il se peut que je me trompe, et que nous disions tous la même chose ; mais j'ai vu le démon chercher à me tromper par ce moyen, je suis donc si bien échaudée que malgré que j'en aie parlé souvent (Autobiographie, chap. 23 et 24), je crois bon de le répéter ici pour que vous vous teniez sur vos gardes ; et considérez que j'ose vous dire de ne pas croire ceux qui parleraient autrement. Je vais tâcher de me faire mieux comprendre que je ne l'ai fait jusqu'ici, car si quelqu'un, d'aventure, a écrit sur ce sujet, il s'est peut-être d'autant mieux exprimé qu'il l'a fait plus longuement ; tout nous dire à la fois, brièvement, à nous qui ne comprenons pas grand-chose, peut faire grand mal.
6 Certaines âmes croiront peut-être aussi qu'il leur est impossible de penser à la Passion ; dans ce cas, elles pourront moins encore penser à la Très Sainte Vierge, ni à la vie des Saints, dont la mémoire nous est si profitable et si encourageante. Je ne puis imaginer à quoi elles songent, car l'éloignement de toute chose corporelle est le fait d'esprits angéliques toujours enflammés d'amour, alors que nous, qui vivons dans un corps mortel, nous avons besoin du commerce, de la pensée, de la société de ceux qui, dans ce corps, ont réalisé pour Dieu de si hauts faits ; nous devons d'autant moins travailler à nous écarter de notre plus grand bien, de notre remède le plus efficace, qui est l'Humanité sacrée de Notre-Seigneur Jésus-Christ. J'imagine que ces âmes ne se comportent ainsi que par ignorance, car elles se nuiront et nuiront aux autres. Je leur certifie, du moins, qu'elles ne pénétreront pas dans les deux dernières Demeures, car si elles s'éloignent du guide, qui est le bon Jésus, elles n'en trouveront pas le chemin ; ce sera déjà beaucoup si elles sont assurées de se maintenir dans les Demeures précédentes. Le Seigneur dit lui-même qu'il est " le chemin " (Jn 14,6) ; Il dit aussi qu'il est " la lumière " et que nul ne peut aller au Père que par luit ; et " si vous me connaissez, vous connaîtrez aussi mon Père ". On prétendra qu'on donne un autre sens à ces paroles. J'ignore ces autres sens ; je me suis toujours bien trouver de celui-là, et mon âme sent que telle est la vérité.
7 Certaines âmes - et nombreuses sont celles qui s'en sont ouvertes à moi - dès que Notre-Seigneur leur accorde la contemplation parfaite, voudraient y demeurer toujours, et ce n'est pas possible ; mais cette faveur du Seigneur les rend inaptes à réfléchir aux mystères de la Passion et de la vie du Christ comme elles le faisaient auparavant. J'ignore pourquoi, mais il est très fréquent que l'entendement soit alors moins habile à la méditation. Cela, à ce que je crois, doit venir de ce que l'âme, sachant que la méditation consiste à chercher Dieu, ne veut plus fatiguer son entendement une fois qu'elle l'a trouve, et qu'elle s'est accoutumée, par un acte de volonté, à le chercher à nouveau. Il m'apparaît aussi que lorsque la volonté est ardente, cette puissance généreuse ne veut plus, autant que possible, se servir de l'entendement ; elle n'a pas tort, mais n'y parviendra pas, du moins jusqu'à ce qu'elle ait atteint ces dernières Demeures, et elle perdra du temps ; car l'aide de l'entendement est souvent nécessaire pour enflammer la volonté.
8 Remarquez ce point, mes soeurs, il est d'importance, c'est pourquoi je veux l'expliquer plus à fond. L'âme voudrait se vouer tout entière à l'amour, elle voudrait ne s'occuper de rien d'autre, mais elle a beau le vouloir, elle ne le pourra pas ; car bien que la volonté ne soit pas morte, le feu qui l'enflamme parfois est mourant, il faut que quelqu'un souffle dessus pour qu'il projette sa chaleur. Serait-il bon pour l'âme de rester dans cette sécheresse, en attendant, comme notre P. Élie, que le feu du ciel brûle ce sacrifice qu'elle fait d'elle-même à Dieu ? Non, certes ; il ne sied pas d'attendre des miracles. Le Seigneur en fait pour cette âme quand il veut, comme je l'ai dit et le dirai ; mais Sa Majesté veut que nous nous jugions assez vils pour ne pas les mériter, et que nous nous aidions nous-mêmes autant que nous le pouvons. Je crois, quant à moi, que cela nous est nécessaire jusqu'à notre mort, si haute que soit notre oraison.
9 A la vérité, l'âme que le Seigneur introduit dans la septième Demeure n'aura besoin que rarement, ou presque jamais, de faire de telles démarches, pour les raisons que je donnerai en temps utile, si j'y pense ; elle se fait une habitude de ne pas s'éloigner du Christ Notre-Seigneur, elle s'attache à ses pas selon un mode admirable par lequel, humain et divin à la fois, il demeure en sa compagnie. Donc, quand le feu dont nous avons parlé n'est pas allumé dans la volonté et qu'on ne sent pas la présence de Dieu, il nous est nécessaire de la chercher ; Sa Majesté veut que nous suivions l'exemple de l'épouse des Cantiques, et, comme le dit saint Augustin dans ses Méditations ou ses Confessions, que nous demandions aux créatures qui les a faites, au lieu de perdre notre temps à attendre, tout hébétés, ce qui nous a été donné une fois. Car, au début, il est possible qu'un an ou même plusieurs années se passent sans que le Seigneur ne nous accorde rien ; Sa Majesté sait pourquoi ; nous n'avons pas à chercher à le savoir, c'est sans objet. Puisque les commandements et les conseils nous montrent par quelles voies nous pouvons contenter Dieu, suivons les fort diligemment, pensons à sa vie, à sa mort, à tout ce que nous lui devons ; et vienne le reste quand le Seigneur le voudra.
10 C'est alors que ces personnes me répondent qu'elles ne peuvent s'arrêter à ces choses-là, et d'après ce que j'ai déjà dit, elles ont peut-être raison sous certains aspects. Vous savez que réfléchir à l'aide de l'entendement est une chose, et que la représentation de vérités que la mémoire fait à l'entendement en est une autre. Vous vous dites, peut-être, que vous ne me comprenez pas, et il est probablement vrai que je ne sais pas m'expliquer, faute de comprendre moi-même ; mais j'en parlerai comme je le pourrai. J'appelle méditation les nombreuses réflexions à l'aide de l'entendement de la manière suivante : nous commençons par penser à la grâce que Dieu nous fit en nous donnant son Fils unique, et nous n'en resterons pas là, nous irons jusqu'aux mystères de toute sa glorieuse vie ; ou commençant par la prière au Jardin des Oliviers, notre entendement ne s'arrêtera point jusqu'à la mise en croix ; ou, choisissant une scène de la passion, disons l'arrestation, nous suivons ce mystère en considérant par le menu tout ce qu'on peut en penser et sentir, la trahison de Judas aussi bien que la fuite des Apôtres, et tout le reste ; c'est une admirable et très méritoire oraison.
11 Telle est celle que l'âme amenée par Dieu aux choses surnaturelles et à la contemplation parfaite prétend impraticable, peut-être avec raison ; j'ignore pourquoi, comme je l'ai dit, mais, d'ordinaire, elle en est incapable. Elle n'a néanmoins pas raison lorsqu'elle dit qu'elle ne s'arrête pas à ces mystères, qu'ils ne sont pas fort souvent présents à son esprit, en particulier lorsque l'Église Catholique les célèbre ; il est également impossible que l'âme qui a tant reçu de Dieu oublie des témoignages d'amour si précieux, ces vives étincelles qui l'enflammeront pour Notre-Seigneur d'un amour grandissant ; elle ne se comprend pas elle- même, mais l'âme comprend plus parfaitement ces mystères. L'entendement les lui montre, et ils se gravent dans la mémoire de telle façon que de voir le Seigneur prostré au Jardin des Oliviers, couvert de cette effroyable sueur, lui suffit non seulement pour une heure de considération, mais pour de longs jours ; l'âme voit, d'un seul regard, qui il est, elle mesure l'ampleur de notre ingratitude devant de si grandes souffrances ; la volonté intervient, et même si elle ne s'attendrit point, elle désire apporter son tribut à une si grande grâce, souffrir pour celui qui a tant souffert, et autres choses semblables, qui occupent la mémoire et l'entendement. Telle est, ce me semble, la raison pour laquelle elle ne peut méditer plus longuement sur la Passion, ce qui l'incline à croire qu'elle ne peut y penser.
12 Mais si elle ne le fait pas, il est bon qu'elle cherche à le faire, et je sais que la très haute oraison ne l'en empêchera pas ; je n'approuve point qu'elle ne s'y applique pas très souvent. Si, partant de là, le Seigneur la ravit en extase, à la bonne heure car, même malgré elle, il l'obligera à abandonner ce qui l'occupait. Je tiens pour certain que ce procédé n'est pas une gêne pour l'âme, il l'aide à atteindre la plénitude de ses biens ; mais l'effort de réflexion dont j'ai parlé au début en serait une ; à mon avis, celle qui a déjà obtenu de plus hautes faveurs en est incapable. C'est pourtant possible, car Dieu conduit les âmes par bien des chemins, mais qu'on ne condamne pas celles qui ne pourraient suivre celui-là, qu'on ne les juge pas inaptes à jouir des si grands bienfaits qu'enferment les mystères de Jésus- Christ, notre bien ; et personne ne me fera admettre, si spirituel soit-il, qu'il avancera bien sur cette voie.
13 Il est des âmes qui ont pour principe, lorsqu'elles arrivent a l'oraison de quiétude et à goûter les régals et délices qu'accorde le Seigneur, de croire que c'est une grande chose que de ne rien faire d'autre que de les savourer, et que c'est même le moyen d'y parvenir. Mais croyez-moi, ne vous laissez pas inhiber à ce point comme je l'ai déjà dit ailleurs, la vie est longue, les épreuves nombreuses, et nous devons considérer comment notre modèle le Christ les a endurées, et même ses Apôtres, ses Saints, afin de les supporter avec perfection. C'est une bonne compagnie que celle du bon Jésus, ne nous en écartons pas, ni de sa très sainte Mère, il aime beaucoup que nous compatissions à ses peines, même si cela nous oblige parfois à renoncer à nos satisfactions et à notre bon plaisir. D'autant plus, mes filles, que les délices dans l'oraison ne sont pas si fréquentes qu'il n'y ait du temps pour tout ; celle qui prétendrait que c'est permanent et qu'elle ne peut jamais faire ce qui fut dit me semblerait suspecte ; faites-le donc, tâchez de ne pas persévérer dans cette erreur, et cherchez de toutes vos forces à sortir de l'inhibition ; si vous n'y arrivez pas de vous-même, il faut le dire à la prieure pour qu'elle vous donne un Office assez absorbant pour écarter ce danger ; car le danger serait grand, du moins pour le cerveau et la tête, si cet état se prolongeait.
14 Je crois avoir fait comprendre combien il importe, si spirituel qu'on soit, de ne pas fuir les choses corporelles au point d'imaginer que la Très Sainte Humanité elle-même nous fait du mal. On allègue que le Seigneur a dit à ses disciples qu'il valait mieux qu'il parte (Jn 16,7). Je ne puis souffrir cela. Tant et si bien qu'il ne l'a pas dit à sa Mère très sainte car elle était ferme dans sa foi, le sachant Dieu et homme ; et quoiqu'elle l'aimât plus qu'eux, cette idée l'y aidait, si parfait était son amour. Les Apôtres n'étaient sans doute pas aussi affermis dans la foi qu'ils le furent plus tard et que nous avons raison de l'être aujourd'hui. Je vous le dis, mes filles, j'estime que c'est un chemin dangereux, le démon pourrait ainsi en arriver à vous faire perdre la dévotion au Très Saint-Sacrement.
15 L'erreur dans laquelle je crois m'être trouvée n'alla pas jusque-là, mais je n'aimais pas à penser longuement à Notre Seigneur, je préférais l'inhibition dans laquelle j'attendais ce régal. Et je vis clairement que j'étais dans la mauvaise voie ; dans l'impossibilité de passer toute ma vie dans ces délices, ma pensée allait de-ci de-là, mon âme, ce me semble, voletait comme un oiseau qui ne sait où se poser et perdait beaucoup de temps, sans progresser dans la vertu ni avancer dans l'oraison. Je n'en voyais pas la cause, et j'eusse été, à ce que je crois, incapable de la comprendre, puisque cela me semblait très juste, jusqu'au jour où je parlai de mon mode d'oraison à une personne servante de Dieu, qui m'avertit. Je vis clairement par la suite combien je me trompais, et je ne regretterai jamais assez qu'il y ait eu un temps où j'ai omis de comprendre ce dont une si grande perte pouvait me priver ; et quand même de grands biens seraient à ma portée, je n'en veux aucun, sauf ceux que je puis acquérir de celui dont nous sont venus tous les biens. Qu'il soit loué à jamais. Amen.


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Message par Francesco Mer 29 Déc 2010 - 0:43

Ces hautes faveurs communiquent à l'âme un si vif désir de jouir pleinement de Celui qui les accorde qu'elle vit dans un fort grand tourment, savoureux toutefois : elle aspire ardemment à mourir, et toujours avec des larmes, elle demande à Dieu de la sortir de cet exil. Tout ce qu'elle voit ici-bas la fatigue ; la solitude lui apporte certain soulagement, mais le chagrin la reprend, sans lequel elle ne peut vivre. Enfin, ce petit papillon n'arrive pas à se stabiliser ; l'âme est si attendrie par l'amour que la première occasion d'activer cette flamme lui fait prendre son vol. Les ravissements sont donc très fréquents dans cette Demeure, sans qu'il soit possible de s'y dérober, même en public ; persécutions, médisances s'ensuivent, qui ne lui permettent pas de vivre sans crainte, comme elle le voudrait, car de nombreuses personnes l'effraient, en particulier les confesseurs.

11 Telle est celle que l'âme amenée par Dieu aux choses surnaturelles et à la contemplation parfaite prétend impraticable, peut-être avec raison ; j'ignore pourquoi, comme je l'ai dit, mais, d'ordinaire, elle en est incapable. Elle n'a néanmoins pas raison lorsqu'elle dit qu'elle ne s'arrête pas à ces mystères, qu'ils ne sont pas fort souvent présents à son esprit, en particulier lorsque l'Église Catholique les célèbre ; il est également impossible que l'âme qui a tant reçu de Dieu oublie des témoignages d'amour si précieux, ces vives étincelles qui l'enflammeront pour Notre-Seigneur d'un amour grandissant ; elle ne se comprend pas elle- même, mais l'âme comprend plus parfaitement ces mystères. L'entendement les lui montre, et ils se gravent dans la mémoire de telle façon que de voir le Seigneur prostré au Jardin des Oliviers, couvert de cette effroyable sueur, lui suffit non seulement pour une heure de considération, mais pour de longs jours ; l'âme voit, d'un seul regard, qui il est, elle mesure l'ampleur de notre ingratitude devant de si grandes souffrances ; la volonté intervient, et même si elle ne s'attendrit point, elle désire apporter son tribut à une si grande grâce, souffrir pour celui qui a tant souffert, et autres choses semblables, qui occupent la mémoire et l'entendement. Telle est, ce me semble, la raison pour laquelle elle ne peut méditer plus longuement sur la Passion, ce qui l'incline à croire qu'elle ne peut y penser.


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Message par Francesco Mer 29 Déc 2010 - 21:32

6e Demeures:

SIXIEMES DEMEURES

CHAPITRE VIII SUITE

Comment Dieu se communique à l'âme par la vision intellectuelle, et donne quelques avis. Des effets de cette vision quand elle est vraie, et du secret qu'il faut garder sur ces faveurs.

1 Pour que vous vous voyez plus clairement, mes soeurs, la vérité de ce que je vous ai dit, et que plus une âme progresse, plus elle vit dans la compagnie de ce bon Jésus, il conviendra de dire comment, lorsque Sa Majesté le veut, il nous est impossible de suivre notre chemin autrement qu'avec Elle : on le voit claire-
ment d'après les façons et manières qu'emploie Sa Majesté pour se communiquer à nous et nous témoigner l'amour qu'Elle nous porte par quelques admirables apparitions et visions. Au cas où Dieu vous accorderait l'une de ces faveurs, n'en soyez pas effrayées ; je vais vous résumer quelques-unes de ces choses, si le Seigneur consent à ce que j'y réussisse, afin que même s'il ne nous les accorde pas personnellement, nous le louions très haut de bien vouloir se communiquer ainsi à l'une de ses créatures, Lui qui a tant de majesté et de puissance.
2 Alors que l'âme ne songe pas qu'on puisse lui accorder cette faveur que jamais elle n'a pensé mériter, il lui arrive de sentir près d'elle Jésus-Christ Notre- Seigneur, sans toutefois le voir ni des yeux du corps ni de ceux de l'âme. On appelle cela une vision intellectuelle, je ne sais pourquoi. La personne à qui Dieu fit cette faveur, ainsi que d'autres dont je parlerai plus avant, je l'ai vue fort ennuyée au début ; elle ne comprenait pas ce qu'il en était parce qu'elle ne voyait rien, mais elle était si certaine que Jésus-Christ Notre-Seigneur se montrait affectueusement à elle de cette façon qu'elle ne pouvait en douter, je dis bien qu'elle ne pouvait douter de cette vision. Elle se demandait si elle venait de Dieu ou non, et malgré les grands effets qui l'accompagnaient et lui faisaient comprendre qu'il s'agissait de Dieu, elle avait encore peur ; jamais elle n'avait entendu parler de vision intellectuelle ni songé que cela existât ; mais il était très clair pour elle que c'est ce Seigneur qui lui parlait fort souvent, de la manière que j'ai dite ; jusqu'au jour où il lui fit cette faveur elle n'avait jamais su qui lui parlait, bien qu'elle comprît les paroles.
3 Je sais qu'effrayée par cette vision (qui se prolonge plusieurs jours, et même parfois pendant plus d'un an, contrairement à la vision imaginaire qui s'évanouit vite), elle alla trouver son confesseur, fort inquiète. Il l'interrogea : puisqu'elle ne voyait rien, comment pouvait-elle savoir que c'était Notre-Seigneur ? Et il lui demanda quel visage il avait. Elle lui dit qu'elle n'en savait rien, qu'elle ne voyait pas de visage, qu'elle ne pouvait rien ajouter, qu'elle savait seulement qu'il lui parlait, et que ce n'était pas une idée qu'elle se faisait. Bien qu'on l'effrayât fort, il était encore très fréquent qu'elle ne puisse avoir de doutes, surtout quand il lui disait : " N'aie pas peur, c'est moi ". Telle était la puissance de ces paroles qu'aucun doute ne pouvait alors subsister, elle restait vaillante et joyeuse, en si bonne compagnie ; elle voyait clairement combien cela l'aidait à vivre dans l'habituelle pensée de Dieu et la grande préoccupation de ne rien faire qui Lui déplaise, car il lui semblait qu'il la regardait sans cesse. Et toujours, quand elle voulait s'adresser à Sa Majesté dans l'oraison, et même sans cela, Dieu lui semblait si proche qu'elle ne pouvait manquer de l'entendre ; toutefois elle n'entendait pas de paroles quand elle le voulait, mais inopinément, quand c'était nécessaire. Elle sentait la présence du Seigneur à sa droite, pas à l'aide des sens qui nous font percevoir quelqu'un à côté de nous, mais par une voie plus subtile, qu'on ne doit pas pouvoir définir, aussi certaine, et qui apporte même une bien plus grande certitude ; car on pourrait, ici-bas, se forger des idées, mais point en ce qui nous apporte des gains et effets intérieurs qui seraient inconcevables s'il s'agissait de mélancolie ; le démon lui non plus ne ferait pas tant de bien, l'âme ne vivrait pas dans une telle paix, dans le si constant désir de contenter Dieu, avec tant de mépris pour tout ce qui ne la rapproche pas de lui. On comprit plus tard qu'il ne s'agissait pas du démon, ce fut démontré de plus en plus clairement.
4 Malgré tout, je sais qu'elle était par moments fort craintive, ou dans une immense confusion, puisqu'elle ne savait pas d'où pouvait lui venir tout ce bien (Autobiographie, chap. 27). Comme nous ne faisons qu'une, elle et moi, rien ne se passait dans son âme que je puisse ignorer, je puis donc être un bon témoin et vous pouvez croire que tout ce que je dis à ce propos est vrai. Cette faveur du Seigneur apporte avec elle une confusion et une humilité infinies. Si elle venait du démon, ce serait tout le contraire. Et comme, notoirement, cela vient de Dieu, nul effort humain ne pourrait nous la faire éprouver ; l'âme qui la reçoit ne peut absolument pas penser que cette faveur lui appartient en propre, mais qu'elle lui est donnée par la main de Dieu. Et bien qu'à mon avis certaines des faveurs dont j'ai parlé soient plus importantes, celle-ci apporte une connaissance particulière de Dieu, il naît de cette compagnie constante un amour infiniment tendre pour Sa Majesté, et, comparé à ce que j'ai déjà dit, le désir encore plus vif de se consacrer tout entière à la servir, joint à une grande limpidité de conscience ; cette présence auprès d'elle rend l'âme attentive. Car bien que nous sachions que Dieu voit tout ce que nous faisons, notre nature est telle que nous négligeons d'y penser : l'âme dont nous parlons ne peut le négliger, le Seigneur qui est auprès d'elle la tient en éveil. Et les faveurs dont nous avons parlé sont même beaucoup plus fréquentes, puisque l'âme vit à peu près constamment dans l'amour actuel de celui qu'elle voit ou sent auprès d'elle.
5 Enfin, l'âme reconnaît aux profits qu'elle obtient l'immensité de cette grâce et son très grand prix, elle est reconnaissante au Seigneur qui la lui accorde alors qu'elle ne la mérite point, et elle ne l'échangerait contre aucun trésor ni délice du monde. Donc, quand il plaît au Seigneur de la lui retirer, elle se sent fort seule, mais toute la diligence qu'elle pourrait déployer pour retrouver cette compagnie ne lui sert guère ; le Seigneur l'accorde quand Il veut, on ne peut l'acquérir. Parfois, aussi, c'est la compagnie d'un saint, qui lui est également fort profitable.
6 Vous demanderez comment on comprend quand c'est le Christ, sa Mère très glorieuse, ou un saint, puisqu'on ne voit rien. L'âme ne saurait le dire, elle ne peut comprendre comment elle le comprend, mais elle en a l'immense certitude. Cela semble déjà plus facile lorsque le Seigneur parle ; mais le saint qui ne parle pas, et qui paraît avoir été placé là par le Seigneur pour aider cette âme, est plus surprenant. Il en est ainsi d'autres choses spirituelles qu'on ne saurait exprimer, mais qui nous montrent combien notre nature est basse quand il s'agit de comprendre les grandes grandeurs de Dieu, puisque ses faveurs mêmes nous sont incompréhensibles ; reste à qui les reçoit de vivre dans l'admiration de Sa Majesté et sa louange ; que cette âme remercie particulièrement Dieu de ces grâces, il ne les accorde pas à tout le monde, elle doit les estimer hautement et chercher à mieux servir Dieu, qui l'y aide de tant de façons. C'est pourquoi cette âme ne s'en prisera pas davantage, elle se jugera même la personne du monde la moins utile au service de Dieu ; il lui semblera toutefois qu'elle y est plus obligée que quiconque, la moindre de ses fautes lui transperce les entrailles, à bien juste titre.
7 Ces effets produits sur l'âme dont je viens de parler pourront aider n'importe laquelle d'entre vous que le Seigneur conduirait par cette voie à comprendre qu'il ne s'agit pas d'un leurre ni d'une idée qu'elle se forgerait ; car, comme je l'ai dit, je ne crois pas qu'il soit possible que cette faveur se prolonge ainsi si elle vient du démon, qu'elle soit si notoirement profitable à l'âme et qu'elle l'amène à vivre dans une telle paix intérieure ; ça n'est pas dans ses habitudes, et même s'il le voulait quelqu'un de si mauvais ne peut faire tant de bien ; il y aurait bientôt des fumées d'amour-propre, cette âme se croirait meilleure que les autres. Tandis que la vue d'une âme toujours si fortement attachée à Dieu qu'il occupe seul sa pensée causerait au démon une telle rage que même s'il essayait, il ne recommencerait pas souvent ; et Dieu est si fidèle qu'il ne lui permettrait pas d'en user si librement avec l'âme qui ne prétend à rien d'autre qu'à plaire à Sa Majesté, à exposer sa vie pour son honneur et sa gloire, mais Elle ordonnerait bientôt de la détromper.
8 Ma marotte est et sera de dire qu'à condition que l'âme, comme je l'ai marqué ici, : se conforme aux effets que ces faveurs de Dieu produisent en elle, même si Sa Majesté permettait parfois au démon de l'assaillir, Elle lui donnera la victoire, et il sera confondu. Donc, mes filles, si l'une d'entre vous suivait ce chemin, ne vivez pas dans l'épouvante. Il est bon d'avoir des craintes, et de mieux nous tenir sur nos gardes ; ne soyez pas trop confiantes, car favorisées comme vous l'êtes, vous risqueriez d'être négligentes : ce serait le signe que les faveurs ne viennent pas de Dieu, si vous ne voyiez pas en vous les effets dont j'ai parlé. Il est bon que vous vous en ouvriez au début en confession à un fort bon théologien, ce sont eux qui doivent nous éclairer, ou, à défaut, à une personne de grande spiritualité ; au cas où elle ne le serait point, le très bon théologien est préférable ; si vous le pouvez, parlez en à l'un et à l'autre. Et s'ils vous disaient que vous vous faites des idées, ne vous inquiétez pas, les idées ne peuvent guère faire de bien ou de mal à votre âme, recommandez-vous à la divine Majesté, demandez-lui de ne pas permettre qu'on vous trompe. S'ils vous disaient que cela vient du démon, votre épreuve sera plus grave ; un bon théologien ne vous le dira pas, si les effets indiqués existent ; s'il le disait, je sais que le Seigneur lui-même, qui vous accompagne, vous consolera et vous rassurera, et il donnera ses lumières au théologien pour qu'il vous les transmette.
9 S'il s'agit de quelqu'un qui, bien qu'homme d'oraison, n'est pas conduit par le Seigneur par la même voie que vous, il s'en étonnera et la condamnera. C'est pourquoi je conseille de le choisir très docte, en même temps, si possible, que d'une grande spiritualité ; la prieure devra vous y autoriser, car bien qu'une vie excellente montre que l'âme est en sûreté, la prieure est obligée de lui permettre de s'ouvrir à quelqu'un, pour qu'elles soient rassurées toutes les deux. Quand elle aura vu ces personnes, qu'elle s'apaise et cesse de faire part de ce qui lui advient ; car il arrive que sans qu'il y ait lieu d'avoir peur, le démon inspire des craintes si excessives que l'âme est persécutée et tourmentée (Autobiographie, chap. 28). Elle croit que tout a été tenu secret, et découvre que c'est public ; il s'ensuit pour elle de pénibles épreuves qui pourraient atteindre l'Ordre, étant donné les temps que nous vivons. Il faut donc être fort avisée, je le recommande vivement aux prieures.
10 Mais la prieure ne doit pas imaginer que la soeur qui reçoit ces choses vaut mieux que les autres : le Seigneur conduit chacune d'elles de la manière qui lui semble utile. Elles la prédisposent à devenir une grande servante de Dieu, si elle s'aide elle-même, mais il arrive que Dieu conduise les plus faibles dans cette voie. Il n'y a donc nul motif d'approuver ni de condamner, mais de considérer les vertus ; la plus sainte de toutes sera celle qui servira Notre-Seigneur avec le plus de pénitence, d'humilité et de pureté de conscience, mais on ne peut guère s'en assurer ici-bas, jusqu'à ce que le véritable Juge donne à chacun selon ses mérites. Nous nous étonnerons alors de voir combien son jugement diffère de nos opinions d'ici-bas. Qu'il soit loué à jamais. Amen.


SUITE


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7 demeures - Les 7 demeures de l'ame de ste Thérese d'Avila Empty Re: Les 7 demeures de l'ame de ste Thérese d'Avila

Message par Francesco Sam 1 Jan 2011 - 1:20

6e Demeures:

SIXIEMES DEMEURES

CHAPITRE IX SUITE

De la façon dont le Seigneur se communique à l'âme dans la vision imaginaire. Mise en garde, appuyée de raisons, contre le désir d'emprunter cette voie. Chapitre fort profitable.

1 Venons-en maintenant aux visions imaginaires, dont on dit que le démon peut davantage s'y immiscer que dans celles dont nous avons parlé, ce qui doit être vrai ; mais quand elles viennent de Notre-Seigneur, elles me semblent sous certains aspects plus profitables, parce que plus conformes à notre nature ; à l'exception de celles que le Seigneur nous fait connaître dans la dernière Demeure, aucune ne peut leur être comparer.
2 Considérons donc, comme je vous l'ai dit dans le chapitre précèdent, qu'il en est de ce Seigneur comme d'un objet en or dans lequel nous garderions une pierre précieuse d'immense valeur et douée de toutes sortes de vertus, sans l'avoir jamais vue ; nous avons toutefois l'absolue certitude qu'elle est là, car les vertus de la pierre ne manquent pas d'agir efficacement, si nous la portons sur nous. Sans l'avoir jamais vue, nous ne manquons pas de l'apprécier, l'expérience nous a montré qu'elle a la propriété de nous guérir de certaines maladies. Mais nous n'osons pas la regarder, nous ne pouvons pas non plus ouvrir le reliquaire celui à qui appartient le joyau est seul à savoir comment il s'ouvre, nous l'a prêté pour que nous en usions, mais il en a gardé la clef ; il ouvrira le coffret qui lui appartient quand il voudra nous montrer la pierre, il la reprendra même quand il le jugera bon, es ce qu'il fait.
3 Disons tout de suite qu'il lui plaît parfois de l'ouvrir soudain pour le plus grand bien de la personne à qui il l'a prêté. Il est clair que sa joie sera bien plus grande lorsqu'elle se rappellera la splendeur de la pierre, mieux gravée ainsi dans sa mémoire. Il en est de même ici : quand Notre-Seigneur consent à mieux choyer cette âme, il lui montre clairement son Humanité Sacrée sous un aspect de son choix, soit tel qu'il fut dans le monde, ou après sa résurrection. Et bien que cela se produise à une vitesse que nous pourrions comparer à celle de l'éclair, cette image suprêmement glorieuse se grave si profondément dans l'imagination que j'estime impossible qu'elle s'efface, jusqu'à ce que cette âme la voie dans le séjour où elle pourra en jouir a jamais.
4 Je dis image, mais il s'entend que la personne qui la voit n'a pas le sentiment qu'elle est peinte, mais vraiment vivante ; et parfois, elle parle à l'âme, elle lui révèle même de grands secrets. Mais vous devez comprendre que bien que cela dure quelques instants, on ne peut pas plus regarder cette vision qu'on peut regarder le soleil, elle passe donc très rapidement. Toutefois, son éclat, comme l'éclat du soleil, ne blesse pas la vue intérieure, qui voit tout cela ; (je ne saurais rien dire de la vision perçue par la vue extérieure, la personne que j'évoque et dont je puis parler si particulièrement n'est pas passée par là, et il est difficile de rendre compte exactement de ce dont on n'a pas l'expérience), cet éclat est comme une lumière infuse, celle d'un soleil couvert de quelque chose d'extrêmement subtil, comme un diamant, si on pouvait le tailler. Son vêtement semble de toile de Hollande, et presque toujours, lorsque Dieu fait cette faveur à l'âme, elle tombe en extase, car sa bassesse ne peut souffrir une vision aussi effrayante.
5 Je dis effrayante, car bien qu'elle soit la plus belle et la plus délectable qu'on puisse imaginer, même si on s'employait à y penser pendant mille années d'existence, (elle dépasse de beaucoup tout ce que conçoivent notre imagination et notre entendement), cette présence est d'une majesté si grandiose que l'effroi s'empare de l'âme. Nul besoin n'est de demander ici comment elle sait qui se montre à elle sans qu'on le lui ait dit, elle reconnaît bien Celui qui est le Seigneur du Ciel et de la terre, tandis que les rois de ce monde sembleraient bien peu de chose par eux-mêmes, si leur suite ne les accompagnait, s'ils ne disaient qui ils sont.
6 Ô Seigneur ! comme nous vous méconnaissons, nous, chrétiens ! Que sera-ce le jour où vous viendrez nous juger ; puisque lorsque vous venez avec tant d'amitié visiter votre épouse, votre vue cause tant de crainte ? Ô mes filles, que sera-ce quand d'une voix si rigoureuse il dira :
Allez, maudits de mon Père ! " (Mt 25,41)
7 Gardons dès maintenant en mémoire que cette faveur que Dieu fait à l'âme n'est pas le moindre des bienfaits ; saint Jérôme, si saint qu'il fut, n'en éloignait jamais le souvenir, et si nous faisons de même, tout ce que nous pouvons souffrir ici des rigueurs de notre Ordre ne nous pèsera point ; même si cela dure longtemps, ce n'est qu'un moment, comparé à l'éternité. Je vous dis en vérité que si vile que je sois, je n'ai jamais eu peur des tourments de l'enfer ; songeant que les damnés doivent voir pleins de colère les yeux si beaux, si paisibles, si bénins du Seigneur, il me semblait que mon coeur ne pourrait le supporter, en comparaison les tourments ne m'étaient rien ; il en fut ainsi toute ma vie. Combien plus grande encore doit être la crainte de la personne à qui il s'est montré ainsi, et qui éprouve un sentiment si vif qu'elle en perd le sens ! Telle doit être la cause de la suspension des puissances ; le Seigneur vient en aide à sa faiblesse en l'unissant à Sa grandeur dans cette si haute communication avec Dieu.
8 Lorsque l'âme peut regarder longuement ce Seigneur, je ne crois pas qu'il s'agisse d'une vision, mais d'une sorte de véhémente considération de certaine figure forgée par l'imagination ; une chose morte, en comparaison avec cette autre vision.
9 Il est des personnes, et je sais que c'est vrai car nombreuses, sont celles qui m'en ont parlé, pas seulement trois ou quatre, dont l'imagination est si faible, l'entendement si efficace, ou je ne sais quoi, qu'elles s'abandonnent totalement à l'imagination, et croient voir clairement tout ce qu'elles pensent ; si elles avaient vu la vraie vision, elles comprendraient, sans aucun doute possible, qu'elles se leurrent ; car elles composent elles-mêmes ce que leur imagination évoque sans que nul effet ne s'ensuive ; elles restent froides, bien plus que si elles voyaient une image pieuse. Il est bien entendu qu'il ne s'agit pas d'en faire cas, on l'oublié donc beaucoup plus vite qu'un rêve.
10 Il n'en est pas ainsi de la vision dont nous parlons, l'âme est trés éloignée de l'idée de voir quelque chose, cela ne lui vient pas à l'esprit, et soudain la vision se présente tout entière, une grande crainte, une grande agitation bouleversent toutes les puissances et les sens mais elle les installe aussitôt dans cette paix bienheureuse. De même que lorsque saint Paul fut terrassé (Ac 9,3-4) il y eut tempête et agitation au ciel, ici, dans le monde intérieur, un grand mouvement se produit ; et immédiatement, comme je l'ai dit, tout s'apaise, et cette âme est instruite de si grandes vérités qu'elle n'a plus besoin d'un autre maître ; la vraie sagesse, sans travail de sa part, l'a tirée de son ignorance ; et l'âme garde un certain temps la certitude que cette faveur vient de Dieu ; plus on lui dirait le contraire, moins on pourrait la persuader de craindre d'avoir été trompée. Plus tard, si le confesseur lui fait peur, Dieu la livre à elle-même et la laisse dans l'hésitation, ce serait possible, vu ses péchés, mais elle ne peut toutefois le croire, comme dans les tentations contre la foi où le démon peut agiter l'âme, qui n'en reste pas moins ferme dans sa croyance. Plus on la combat, donc, plus elle garde la certitude que le démon ne pourrait lui donner tous ces biens : et il en est ainsi, il n'a pas une telle puissance sur l'intérieur de l'âme ; il peut susciter une représentation, mais jamais avec cette vérité, cette majesté, ni ces effets.
11 Comme les confesseurs ne peuvent voir cela, ils ont peur, à juste titre, d'autant plus qu'il se peut, d'aventure, que ceux à qui Dieu accorde cette faveur ne sachent pas en parler. Ils doivent être donc sur leurs gardes jusqu'à ce que, avec le temps, ces apparitions montrent leurs fruits, observer peu à peu ce que l'âme y gagne en humilité et en force dans la vertu ; car s'il s'agit du démon, il se montrera bientôt à des signes évidents, on le surprendra en mille mensonges. Si le confesseur a de l'expérience, s'il est passé par là, il aura tôt fait de tout comprendre ; au récit qu'on lui fera, il comprendra immédiatement si c'est Dieu, ou l'imagination, ou le démon ; en particulier si Sa Majesté lui a accordé de connaître les esprits ; s'il a ce don, et s'il est docte, même s'il n'a pas d'expérience il le verra très bien.
12 Ce qui vous est fort nécessaire, mes soeurs, c'est beaucoup de simplicité et de sincérité envers votre confesseur ; je ne parle pas des péchés, cela va de soi, mais du récit que vous lui faites de votre oraison. A défaut, je n'affirmerais point que vous soyez en bonne voie, ni que c'est Dieu qui vous instruit ; car il aime beaucoup qu'envers celui qui le représente vous soyez aussi franche et aussi claire qu'envers lui-même, que vous ayez le même désir de lui faire comprendre toutes vos pensées, et d'autant plus vos oeuvres, si petites soient-elles ! Cela fait, ne soyez ni troublées, ni inquiètes, car même si ces visions ne venaient pas de Dieu, si vous avez de l'humilité et une bonne conscience, elles ne vous nuiront point ; Sa Majesté sait tirer le bien du mal et les voies par lesquelles le démon voudrait vous perdre aboutirons à vous faire beaucoup gagner. En évoquant les grandes faveurs que Dieu vous accorde, vous chercherez à mieux le contenter et à garder son image présente à votre mémoire ; le démon, comme le disait un homme fort docte, est un grand peintre, s'il lui montrait une image du Seigneur d'une vive ressemblance, au lieu de s'en affliger, il s'en servirait pour aviver sa dévotion et ferait la guerre au démon en retournant contre lui sa propre malignité ; car même si un peintre est un mauvais homme, ça n'est pas une raison pour manquer de révérer l'image qu'il a peinte, si elle représente notre souverain Bien.
13 Il jugeait fort sévèrement le conseil de faire les cornes que donnent certains ; il disait que partout où nous voyons notre Roi, nous devons le révérer (Autobiographie, chap. 29) ; je vois qu'il a raison, nous le regretterions nous-mêmes. Si une personne qui en aime bien une autre savait qu'elle outrage ainsi son portrait, cela ne lui plairait point. A plus forte raison, ne devons-nous pas toujours témoigner notre respect au crucifix quand nous le voyons, ou a n'importe quel portrait de notre Empereur ? Bien que j'aie déjà écrit cela ailleurs, je suis heureuse de le répéter ici, car j'ai été témoin de l'affliction d'une personne à qui on ordonnait d'employer ce moyen. Je ne sais qui l'a inventé pour tourmenter celle qui ne peut qu'obéir si un confesseur lui donne ce conseil, et qui croirait se perdre si elle ne le suivait pas. Si on vous le donnait, le mien serait que vous fassiez humblement part de ces raisons et que vous le repoussiez. Les bonnes raisons que quelqu'un m'a données m'ont parfaitement convenu dans ce cas.
14 L'âme gagne beaucoup à cette faveur du Seigneur ; quand elle pense à lui, ou à sa vie et Passion, elle se rappelle son très paisible et beau visage, c'est une immense consolation ; de même nous aurions ici-bas une plus grande joie à voir une personne qui nous fait bien que si nous ne l'avions jamais connue. Je vous le dis, un si savoureux souvenir est fort consolant et profitable. Il apporte encore d'autres et nombreux bienfaits, mais j'ai déjà tant parlé des effets de ces choses, j'en parlerai encore si souvent, que je ne veux ni me lasser ni vous lasser ; toutefois, si vous savez, ou si vous entendez dire, que Dieu accorde ces faveurs aux âmes, je vous recommande de ne jamais le supplier de vous conduire par ce chemin, et de ne point le désirer, si bon qu'il vous paraisse ; il sied de l'apprécier et de le révérer hautement, mais il ne convient pas de le souhaiter, pour plusieurs raisons.
15 Premièrement, c'est un manque d'humilité de vouloir qu'on vous donne ce que jamais vous n'avez mérité, je crois donc que celle qui le désirerait prouve qu'elle n'en a guère ; l'humilité est aussi éloignée de choses semblables qu'un simple laboureur l'est du désir d'être roi, jugeant que c'est impossible et qu'il ne le mérite point ; je crois que jamais cette âme ne les obtiendrait, car le Seigneur commence par donner une grande connaissance de soi à celle qui reçoit cette faveur. Comprendra-t-elle qu'en vérité, avec de telles pensées, le fait qu'elle ne soit pas en enfer est déjà une très grande faveur ? Deuxièmement, elle est bien certaine d'être leurrée, ou en grand danger de l'être, car il suffit au démon de voir une petite porte ouverte pour nous tendre mille pièges. Troisièmement, lorsqu'une personne a un désir très vif, l'imagination lui suggère qu'elle voit ce qu'elle désire, et elle l'écoute, comme ceux qui ont envie de quelque chose y pensent tellement le jour qu'il leur arrive d'en rêver. Quatrièmement, c'est de ma part une grande témérité que de vouloir choisir moi-même le chemin sans savoir quel est celui qui me convient le mieux, au lieu de laisser le Seigneur, qui me connaît, me conduire par celui qui convient, et où je ferai sa volonté en toutes choses. Cinquièmement, pensez-vous que ceux qui reçoivent ces faveurs du Seigneur n'ont guère à subir d'épreuves ? Non, au contraire, elles sont immenses, et de tous genres. Que savez- vous de votre aptitude à les endurer ? Sixièmement, vous pourriez perdre ainsi ce que vous aviez cru gagner, comme ce fut le cas pour Saül quand il devint roi.
16 Enfin, mes soeurs, il y a d'autres raisons que celles-là ; et croyez-moi, le plus sûr est de ne vouloir que ce que Dieu veut, il nous connaît mieux que nous ne nous connaissons nous-mêmes, et il nous aime. Remettons-nous entre ses mains pour que sa volonté s'accomplisse en nous ; nous ne pourrons errer, si nous nous en tenons toujours là avec une volonté bien déterminée. Vous devez remarquer que du fait de recevoir un grand nombre de ces faveurs on n'en mérite pas mieux le ciel, on est plutôt obligé à servir d'autant plus qu'on reçoit davantage. Quant à mieux acquérir des mérites, le Seigneur ne nous en empêche point, cela reste en nos mains ; beaucoup de saintes personnes, donc, n'ont jamais su ce que c'est que de recevoir l'une de ces faveurs, et d'autres, qui les reçoivent, ne sont pas des saintes. Ne pensez pas non plus que ces faveurs soient continuelles, mais des épreuves excessives les accompagnent, le Seigneur ne les accorderait-il qu'une seule fois ; l'âme oublie donc qu'elle pourrait en recevoir d'autres pour ne songer qu'à s'acquitter.
17 Il est vrai que ces faveurs doivent aider immensément à rehausser la perfection des vertus ; mais celui qui les a gagnées au prix de son travail acquiert beaucoup plus de mérites. Je connais une personne à qui le Seigneur avait fait quelques-unes de ces faveurs, j'en connais même deux (l'une était un homme) ; elles étaient si désireuses de servir Sa Majesté à leurs dépens, sans ces grands régals, et si avides de souffrir qu'elles se plaignaient à Notre Seigneur qui les leur accordait, et si elles l'avaient pu, elles les auraient refusées. Je précise qu'elles auraient refusé les régals que le Seigneur donne dans la contemplation, mais pas ces visions, dont elles estimaient enfin les grands avantages.
18 Ces désirs, il est vrai, aussi, sont surnaturels, me semble-t-il, et le fait d'âmes trés amoureuses, qui voudraient que le Seigneur voie qu'elles ne le servent pas pour la solde ; et comme je l'ai dit, jamais elles ne songent qu'elles doivent recevoir le ciel en échange de quoi que ce soit, ce n'est pas dans ce but qu'elles s'efforcent de mieux servir, mais pour satisfaire l'amour, dont la nature est d'agir toujours de mille manières. Si elles le pouvaient, elles chercherait à inventer comment y consumer leur âme ; et s'il leur fallait s'anéantir à jamais pour le plus grand honneur de Dieu, elles le feraient de bon coeur. Qu'il soit loué à jamais, amen, Lui, qui en s'abaissant pour communiquer avec de si misérables créatures, veut montrer sa grandeur.


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