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OÙ SE CACHENT LES JOURNALISTES FRANCS-MAÇONS ?

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Message par MichelT Jeu 1 Déc 2011 - 1:13

OÙ SE CACHENT LES JOURNALISTES FRANCS-MAÇONS ?
PAR EMMANUELLE DUVERGER ET ROBERT MÉNARD

Deux des meilleurs connaisseurs de la franc-maçonnerie, Sophie Coignard du Point et François Koch de L’Express, brisent ici un tabou en parlant de l’emprise des frères sur les médias. Pas une seule rédaction qui ne compte son lot de francs-maçons, parfois au sommet de la hiérarchie­. Bien placés pour promouvoir un frère, bloquer un papier, passer­ son silence une affaire gênante…Révélations.
Est-il plus difficile d’enquêter sur les journalistes francs-maçons que sur les « frères » des autres professions  ?

Sophie Coignard : Enquêter sur la franc-maçonnerie est plus difficile — mais aussi plus ludique — que de travailler sur n’importe quoi d’autre. Tout simplement parce que, à ma connaissance, c’est le seul réseau social régi par le secret d’appartenance. Les gens continuent à nier, même quand vous avez recoupé vos informations. C’est donc un peu compliqué. Ajoutez deux écueils supplémentaires quand vous travaillez sur les journalistes : d’abord, vous êtes vite accusé de manque de confraternité. Les journalistes appellent confraternité ce qu’ils nomment corporatisme chez les autres. Le second écueil est lié à la proximité : on évolue dans ce milieu, on en fait partie et, du coup, on y entend davantage de rumeurs qu’en circulant dans les couloirs d’EDF  ! D’une certaine manière, on a plus de matière première, mais elle est plus difficile à vérifier, à étayer par des preuves…

François Koch : Sans parler d’éventuels conflits d’intérêt. Malgré tout, les difficultés sont globalement les mêmes qu’ailleurs et, pour être tout à fait franc, si nous avons un peu moins enquêté sur les journalistes que sur les autres professions, c’est sans doute que nous avons pratiqué de l’autocensure. En 2006, lorsque j’ai réalisé l’enquête sur les fraternelles  [1], j’ai eu plus de mal à découvrir celles des médias. Comme si les secrets y étaient plus épais.

Comment se traduit cette autocensure  ?

S. C. : Dans une de ses enquêtes, François a publié le nom d’un journaliste, Éric Marquis, titulaire d’une carte de presse et qui travaillait à L’Express, son propre journal. Pas d’autocensure ce jour-là  !

F. K. : Effectivement, j’ai cité Éric Marquis dans mon article de février 2008, qui a révélé en couverture de L’Express l’appartenance du ministre UMP Xavier Bertrand au Grand Orient… C’était au moment où Nicolas Sarkozy faisait des déclarations sur la laïcité à Latran. Elles avaient suscité une forte réaction indignée au sein de cette obédience et de ses réseaux laïcs. Je me devais d’en décrire l’influence. Il existe plusieurs cercles œuvrant en faveur de la laïcité, parmi lesquels le CLR (Comité Laïcité République), dont le secrétaire national se trouve être le journaliste Éric Marquis. C’eût été un acte d’autocensure de ne pas le citer, puisqu’il a un rôle forcément important dans ce combat.

Vous êtes-vous fait couvrir par votre direction  ?

F. K. : Christophe Barbier a validé l’article, et il a souhaité, en tant que directeur de la rédaction, prévenir lui-même Éric Marquis. Pour la petite histoire, je l’avais déjà croisé, en 2003, au siège du Grand Orient. Très naturellement, dans les couloirs de la rédaction, je lui avais demandé : « Alors, tu es de la maison  ? » Il m’avait répondu : « Non, je venais rendre visite à un copain. » Je l’avais cru, même si j’avais remarqué qu’il franchissait les filtres  comme un maçon. Mais je m’étais dit : « Peut-être connaît-il assez bien la maison pour qu’on le laisse passer. » J’étais allé participer à une « TBO 3 » comme on dit dans le jargon. J’ai donc découvert deux ans plus tard qu’il m’avait menti.

Comment a-t-il réagi  ?

F. K. : Il ne m’a rien dit…

Et au sein de la rédaction  ?

F. K. : Ceux qui sont venus m’en parler m’ont félicité. J’ai appris, indirectement, que des confrères avaient regretté le manque d’explications de Christophe Barbier. Au bout de huit jours, un droit de réponse — envoyé par un avocat — a été publié dans L’Express. Auquel Christophe Barbier et moi avons répondu séparément. Christophe Barbier raconte qu’il a annoncé lui-même cette révélation à Éric Marquis, qui l’aurait bien accueillie, et aurait même eu une réponse enjouée : ils auraient discuté ensemble de franc-maçonnerie sans qu’il s’oppose le moins du monde à la publication du papier. Huit jours plus tard, il aurait donc changé d’avis. Sous l’influence de ses frères  ? Son avocat, Jean-Paul Lévy 4, est connu comme avocat de Libération… C’était surtout l’avocat d’Alain Manville, ancien premier Grand Maître adjoint de la Grande Loge de France, qui nous poursuivait en diffamation L’Express et moi-même pour un article que j’avais écrit en 2006 sur les fraternelles. S’agit-il d’un conflit d’intérêts  ? Maître Lévy a utilisé des informations manifestement confiées par Marquis pour tenter de faire condamner L’Express et moi. Nous avons malgré tout été relaxés cette année : en vingt et un ans et onze procès en diffamation, c’est la première fois que la 17e chambre du TGI de Paris estime que mon article n’est pas diffamatoire. Habituellement, je suis relaxé, mais sur le bénéfice de la bonne foi. Et Manville n’a, singulièrement, pas fait appel.

S. C. : Je ne suis pas du tout d’accord avec l’idée que l’appartenance à la franc-maçonnerie relève de la sphère de l’intimité, de la vie privée. La Cour de cassation est d’ailleurs assez claire là-dessus.

F. K. : Et j’approuve totalement sa position  ! Elle a précisé, en 2005 et 2006, les deux éventualités dans lesquelles un journaliste peut révéler l’appartenance de quelqu’un à la franc-maçonnerie : s’il occupe des responsabilités importantes au niveau profane, notamment d’élu, ou s’il appartient à la hiérarchie d’une obédience, dès le rang de vénérable 5 (le plus bas). Hormis ces deux cas, la règle reste que l’appartenance à la franc-maçonnerie est protégée par le droit au respect de la vie privée.

S. C. : Prenons un exemple concret. Dans un hebdomadaire qui s’appellerait L’ExPoint, un franc-maçon installé à un poste de responsabilité intermédiaire réussit, au fil des ans, à faire entrer dans son journal trois ou quatre frères. Cet homme n’exerce pas de responsabilités nationales relevant des prescriptions de la Cour de cassation. Néan­moins, faire entrer des frères à L’ExPoint est-il un acte qui relève de l’intimité, de la vie privée  ? Ce n’est pas qu’un cas d’école : à force de cooptation, les francs-maçons ont fini, à certaines époques, par faire poids au sein de diverses rédactions.

F. K. : C’est limite, en effet, compte tenu de ses responsabilités dans un média national d’importance. Mais ça n’entre pas dans les cas définis par la Cour de cassation et je préfère m’en tenir à la jurisprudence, qui a tout de même bien évolué. Avant 2005, tout franc-maçon était protégé par l’article 9 du code civil qui régit la protection de la vie privée. Et ces deux jurisprudences nouvelles ont été obtenues par L’Express dans le cadre de deux de ses éditions régionales, niçoise et lilloise. À Nice, nous avions publié la liste des vénérables de la GLNF, et à Lille, nous avions révélé l’appartenance maçonnique d’élus municipaux. Les deux fois, nous avions été relaxés.

Et vous, Sophie Coignard, vous enquêtez sur les francs-maçons au Point  ?

S. C. : Nous avons publié, en 2005, un dossier sur les francs-maçons et les médias qui a fait la couverture du Point, et dans lequel Patrick Le Lay, alors président de TF1, confirmait son appartenance. Mais au-delà des cas particuliers — et il y a, sauf « accident », des frères dans toutes les rédactions —, la présence des francs-maçons au sein des médias pose bon nombre de problèmes. Sur le rapport aux sources, notamment : un journaliste franc-maçon va-t-il profiter de ses liens fraternels pour obtenir des informations particulières  ? Tant qu’il s’agit de fraternelles de journalistes, pourquoi pas ? Mais prenez la fraternelle du Ren­sei­gnement, par exemple. Elle compte des journalistes. Le lien entre ces derniers et ses éventuelles sources est-il de même nature que le lien profane de n’importe quel journaliste avec ses sources  ? On peut tout à fait considérer que tout cela n’a pas beaucoup d’importance  ; mais aussi que, dans un certain nombre de cas, ça peut être grave. Même chose pour les magistrats… Prenons un exemple concret : une affaire politico-financière, les HLM de la ville de Paris pour ne pas la nommer, où quasiment tous les protagonistes sont francs-maçons, sauf un ou deux qui y ont échappé par extraordinaire. Ces gens-là sont mis en examen. Qui appellent-ils dans les rédactions pour étouffer l’affaire  ? Leurs frères. Ça marche ou ça ne marche pas, mais comment ne pas s’en soucier  !

C’est déjà arrivé  ?

S. C. : Je n’ai pas de preuves. Mais vingt années d’expérience journalistique me rendent formelle : je sais que ça existe, que ça a existé dans plusieurs rédactions. La résistance par abstention est la chose la plus facile : il s’agit juste de ne pas ou de moins parler…

F. K. : C’est en cela qu’enquêter sur les journalistes francs-maçons est plus ardu. J’ai l’expérience d’investigations sur des sectes comme la Scientologie, les Témoins de Jéhovah, ou le Man­da­rom. Je me suis toujours demandé si je ne risquais pas de tomber sur un membre d’une secte dans ma rédaction qui finirait par m’ennuyer, me bloquer… À ma connaissance, ce n’est jamais arrivé. Le risque est bien plus élevé avec la franc-maçonnerie, car ils sont plus nombreux et pénètrent facilement et et discrètement les rédactions. Je les fréquente depuis sept ans et demi, et j’ai souvent entendu des rumeurs, plutôt inquiétantes, comme je le raconte dans mon livre 6. En 2005, des frères m’ont appelé à plusieurs reprises pour me dire : « Un frère d’une loge parisienne est journaliste à L’Express et te surveille : fais gaffe à tes dossiers… » Toujours en 2005, des « frangins » m’ont mis en garde, m’expliquant qu’à la suite d’un article, certains dignitaires voulaient me faire licencier. D’après eux, il suffirait qu’ils prennent langue avec Serge Das­sault — membre du Grand Orient et propriétaire de L’Express —, pour qu’ils obtiennent ma tête. C’était la première fois que j’entendais de telles menaces, ce qui ne s’était jamais produit après des articles sur des sectes dangereuses.

S. C. : Ce qu’a vécu François est scandaleux  ! Il s’agit ni plus ni moins de chantage, de méthodes mafieuses  ! Je n’ai jamais eu à subir de pressions aussi désagréables, voire insensées. Mais, au Point, par exemple, je me souviens d’un journaliste avec des responsabilités, qui jure ses grands dieux partout qu’il n’est pas franc-maçon — quitte à en faire des tonnes. Après que j’ai rencontré, pour un article sensible, un maçon un peu important, il est venu me voir et m’a demandé : « Alors, c’était bien avec machin  ? » Des petits signaux gentillets…

Les francs-maçons sont-ils puissants dans les médias  ? Pèsent-ils sur les embauches, les rédactions, les lignes éditoriales  ?

S. C. : Il y en a dans toutes les rédactions. Prenons ce que je connais le mieux : Le Point. Pendant très longtemps, comme dans d’autres journaux, on avait l’impression que la franc-maçonnerie n’existait pas. On nous expliquait que ce n’était pas un sujet digne d’intérêt. Évi­dem­ment — mais je ne l’ai su qu’après —, un haut responsable du Point était lui-même franc-maçon et fermait absolument toutes les vannes. Ensuite est arrivé Franz-Olivier Giesbert, qui m’a demandé de m’intéresser aux francs-maçons. À l’époque, en 2001-2002, c’était très lié aux affaires politico-financières. À partir de ce moment-là, je dois avouer que j’ai bénéficié d’une liberté totale. Je n’ai jamais eu le sentiment d’être obligée de me censurer parce que quelqu’un était franc-maçon chez nous. Pour autant, je ne peux pas vous assurer que les journalistes maçons qui sont au Point traitent les affaires dans lesquelles des frères sont impliqués de la même manière que les autres dossiers. J’aurais tendance à penser que c’est impossible : lorsque vous êtes membre d’un réseau électif, où l’engagement est aussi fort, le serment ne peut qu’exercer une influence sur votre comportement. Surtout dans le journalisme, par essence assez subjectif : pourquoi accorder du crédit à tel interlocuteur, à telle source  ? L’exercice est compliqué en temps normal  ; alors, quand vous êtes lié  !

F. K. : Ce qui me surprend le plus, c’est que certains médias ne parlent jamais de maçonnerie. Choix éditorial  ? Au point de considérer que l’existence de 160 000 maçons en France est accessoire, anodine, malgré l’incontestable goût du pouvoir propre à ce réseau  ? Je suis toujours surpris d’observer, y compris lors d’événements importants concernant la maçonnerie, que certains journaux n’en font guère état : pas une brève, pas une ligne  ! Je me demande donc s’il n’y a pas, dans la hiérarchie, des gens qui mettent leur veto. Comme le dit Sophie, le principal pouvoir d’un hiérarque au sein d’une rédaction est de bloquer les papiers…

Patrick Le Lay est franc-maçon. Avec des conséquences sur l’information de TF1 du temps où il en était le patron  ?

S. C. : Je sais, par des francs-maçons qui travaillaient à TF1 (et qui n’y sont plus aujourd’hui), que Patrick Le Lay organisait de temps en temps des déjeuners maçonniques à l’étage noble de la tour. Tous les maçons, à tous les échelons de la hiérarchie, recevaient leurs petits cartons : façon de répondre à votre question  ! À l’époque, il y avait énormément de francs-maçons dans la hiérarchie de TF1. Un rédacteur en chef, franc-maçon aussi, envoyait du papier bleu à tout journaliste qui posait la moindre question. Cela a été mon cas. J’ai d’ailleurs publié, sans le nommer, sa réponse parce qu’elle était très significative…

Le secret est là, expliquent les frères, pour les protéger des antimaçonniques…

S. C. : Indéfendable  ! Où se trouve aujourd’hui l’antimaçonnisme  ? Jamais personne n’a pu me répondre. Évidemment, sur 150 000 ou 160 000 francs-maçons, on arrive toujours à en trouver deux ou trois dont l’employeur « catho-tradi » les aurait persécutés. Il est consternant de faire référence à une période noire de l’histoire française pour se planquer derrière son petit tas de secrets. Confondre Vichy et Paris en 2009  ! Pour tout vous dire, je trouve ça honteux.

F. K. : Les francs-maçons qui justifient leurs secrets en raison des persécutions subies par les nazis ne sont pas crédibles. Je serai en revanche plus nuancé sur l’existence de mesures de rétorsions professionnelles. L’antima­çon­nisme catholique existe encore en France. Mais les maçons ont une part de responsabilité. S’ils avaient fait davantage le ménage en leur sein, s’ils étaient moins affairistes, s’ils respectaient mieux les lois de la République et les codes d’éthique ou déontologiques, leur image serait meilleure. « Révélés », ils seraient moins exposés sur le plan professionnel. Même si, là encore, tout est relatif. Dans le secteur public, au sein des professions libérales, chez les chefs d’entreprise — où ils sont plus nombreux que parmi les manœuvres, les employés ou les ouvriers —, ils ne risquent pas grand-chose.

S. C. : J’ai toujours dit à mes interlocuteurs maçons : le jour où il n’y aura plus de secret d’appartenance, il n’y aura plus de problème, donc plus de sujet. Parce que le soupçon se nourrit du secret, le secret engendre le fantasme, le fantasme entretient la suspicion. Mais si vous dites que vous êtes franc-maçon comme vous seriez membre d’un cercle d’échecs ou footballeur du dimanche, ça devient anodin. Fin des fantasmes  !

Y a-t-il, dans les médias, des bastions francs-maçons  ?

S. C. : La télévision. C’était évident hier pour TF1, avec Patrick Le Lay. Au­jour­d’hui, c’est moins flagrant. Une anecdote quand même. Pour la sortie de mon livre 7, j’ai fait un duplex avec le journal de 20 h de France 2. Les techniciens étaient chez Albin Michel, mon éditeur, avec le camion-régie. Quand je suis arrivée, ils étaient déjà installés. Leur chef lisait mon bouquin. Très concerné. Un type assez sympa. Juste avant le duplex, il me dit : « Bon ben, j’ai regardé : c’est bien, y’a pas de conneries. » J’ai pensé : « Il ne va pas couper le câble pendant l’interview, c’est épatant  ! » Après l’entretien, il m’a raconté qu’il était lui-même initié et que, chez les techniciens, à France 2 comme à France 3, la proportion des francs-maçons était de un sur trois. Je vous avoue que je n’avais jamais imaginé une telle concentration… Je n’ai évidemment pas le moyen de vérifier ce chiffre. Je sais seulement qu’à France Télévisions, des déjeuners maçonniques sont organisés tous les mois.

Même chose qu’à TF1  ?

S. C. : Pas tout à fait. À TF1, c’était le président-directeur général qui, en son infinie bonté, invitait tous les maçons. Chez France Télévisions, c’est plutôt le côté « fraternelles internes », vieille survivance du service public et de l’ORTF. Voilà pour les bastions. Il y en a d’autres. France Ô, par exemple. Vous pouvez y être embauché si vous n’êtes pas franc-maçon, mais c’est quand même nettement plus dur  ! Avec, en plus, une confusion entre les francs-maçons et le syndicat FO, vivier maçonnique. Autre exemple  ? Tout le monde sait, dans le petit milieu, que le président honoraire de la Fédération communication de la CFTC, personnage influent, est membre de la Grande Loge nationale française. Qui parle lorsqu’il s’exprime  ? Le syndicaliste  ? Le franc-maçon  ? On ne sait plus trop…

F. K. : Les francs-maçons entretiennent une vraie confusion intellectuelle entre pouvoir et parodie de pouvoir. Au sein des obédiences, ils reproduisent un gouvernement de la République : le grand maître est le président  ; le grand secrétaire aux affaires extérieures, le ministre des Affaires étrangères  ; le grand secrétaire aux affaires intérieures, le ministre de l’Intérieur. Ils finissent par se prendre à leur propre jeu. Leur goût du pouvoir est tel qu’il leur arrive de le fantasmer, de le magnifier. Du coup, quand on recueille une information, on doit toujours se demander si elle n’est pas « surjouée » ou amplifiée… C’est particulièrement vrai au Grand Orient : ils se targuent régulièrement d’avoir des relations avec le président de la République, ses ministres… Rien ne leur fait davantage plaisir que d’être appelés, reçus, consultés, choyés, récompensés, décorés…

Quand on évoque médias et francs-maçons, on pense « Spartacus ». De quoi s’agit-il exactement  ?

S. C. : C’est une loge du Grand Orient. Il y a trois ou quatre ans, Spartacus était composée de journalistes, de patrons de médias, de patrons de l’audiovisuel (surtout version TDF, câbles et faisceaux), et de producteurs. Que font-ils ensemble  ? J’ai recueilli le témoignage d’un ancien membre, qui a exercé de hautes responsabilités dans l’audiovisuel public. Il en était parti parce que, pardonnez la trivialité, c’était « vraiment trop chiant »  ! Pour lui, l’effet réseau ne valait plus le coup. Probablement parce qu’il n’en avait plus besoin — même si cela l’avait probablement servi auparavant. Ne restait plus que le côté ennuyeux : au troisième exposé sur la symbolique du carrelage noir et blanc, on fatigue. Tout n’est pas d’une qualité intellectuelle supérieure  !

F. K. : Je suis convaincu que le pouvoir médiatico-maçonnique se situe ailleurs. De nombreux réseaux informels ne résident ni dans les loges, ni dans les fraternelles. C’est évident au sein du Grand Orient, l’obédience la plus transparente. On sait qu’elle est parcourue de clans, d’écuries de pouvoir où chacun cherche à avoir, peut-être pas ses médias, mais ses journalistes. Si vous saviez le nombre de fois où l’on m’a proposé d’entrer en maçonnerie, vous seriez surpris : des dizaines  ! Un jour, pour y mettre un terme, j’ai dit : « Tant que j’écrirai sur la franc-maçonnerie pour L’Express, je ne serai pas franc-maçon. Et si je rentre un jour en maçonnerie, ce sera en mixité. » Une boutade  ! Trois jours plus tard, je reçois un appel d’un vénérable de la GLMF, la Grande Loge mixte de France : « J’ai entendu dire par un ami frère que vous souhaitiez me rencontrer… » Si je ne crois pas vraiment aux bastions, je suis en revanche convaincu que des réseaux cherchent à mettre la main sur des journalistes (de préférence bien placés) pour obtenir de l’information en avant-première, une des clés du pouvoir. Les outils les plus utilisés par les francs-maçons ne sont pas l’équerre et le compas, mais le téléphone et Internet, les SMS et les mails.

Ils sont nombreux les journalistes qui, comme Serge Moati, expliquent pourquoi ils ont été francs-maçons  ?

S. C. : Quand j’ai contacté Serge Moati, il a très gentiment accepté de jouer le jeu. Il m’a raconté son expérience dans le détail, et c’était très intéressant. D’un homme de gauche comme lui, pouvait s’attendre qu’il soit au Grand Orient. Or, il fait partie de la minorité la plus ritualiste de la Grande Loge nationale française (GLNF). Il s’en explique de manière assez décontractée. Probablement parce qu’il va y chercher autre chose que le pouvoir. Lorsque le simple fait d’en parler crispe quelqu’un, un signal d’alarme me fait m’interroger sur ses mobiles réels.

D’autres en parlent plus facilement  ?

S. C. : Non. Même Patrick Le Lay, qui avait, dans une interview, révélé son appartenance, en parle avec moins de décontraction que Moati. Pour une couverture du Point, j’avais demandé un entretien à Yves de Chaise­mar­tin, à l’époque patron du Figaro. Il n’a jamais voulu m’en parler. Or, Le Figaro a toujours été traversé par la maçonnerie. Prenez Jean Miot, par exemple, franc-maçon militant… Lorsque l’Arc et Crozemarie ont été démasqués 8, le dernier à les soutenir dans un édito du Figaro fut Jean Miot  ! Je n’ai pas d’autre explication à ce soutien de dernière heure que les liens maçonniques qui les unissaient.

Les francs-maçons sont-ils plus ou moins importants dans les médias qu’il y a vingt ans  ?

S. C. : Difficile à dire. Mais il existe quand même une règle de base : plus on est proche du service public et de l’État, plus la densité maçonnique est élevée. La télévision publique, l’AFP sont de grandes pépinières maçonniques…

F. K. : Je ne suis certain que d’une chose : les francs-maçons sont plus nombreux aujourd’hui dans les médias qu’hier. Pour des raisons statistiques évidentes : il y a quarante ans, on comptait 40 000 maçons. Aujourd’hui, ils sont quatre fois plus. Il n’y a pas de raison que cela ne se répercute pas dans les médias. Et puis, si on veut avoir de l’influence, il me semble plus intéressant de recruter parmi les journalistes que chez les ouvriers du bâtiment  !

S. C. : L’obsession des francs-maçons est de s’introduire dans les lieux de pouvoir. Or, au cours des quarante dernières années, le pouvoir s’étant déplacé du côté de l’information, la tentation d’investir les médias est grande.

La franc-maçonnerie est une bonne carte pour faire carrière  ? S. C. : Je ne connais pas de cas où l’appartenance à la franc-maçonnerie ait nui à la carrière d’un journaliste. En revanche, certaines personnes ont accès à des postes de responsabilité dans les rédactions grâce à ce qu’un de mes confrères profane appelle l’« assurance trois points ». La seule explication valable à leur ascension étant l’appartenance à la franc-maçonnerie…

F. K. : Encore une fois, je m’interroge toujours sur les rédactions où ne sort jamais aucun article sur la maçonnerie : ne sont-elles pas tenues par des frères  ?

Qui sont ces médias qui ne parlent jamais des frères  ?

F. K. : Le Canard enchaîné, il me semble. Peut-être parce que ses responsables considèrent que c’est un sujet sans intérêt, un marronnier uniquement commercial, tout juste bon pour Le Point et L’Express, qui ne leur inspirent que mépris  ? Je n’ai pas de réponse à la question. Le bruit court que les têtes sont tombées au Parisien parce que Madame Amaury en avait marre des francs-maçons…

S. C. : C’est Emmanuel Berretta, notre spécialiste médias au Point, qui a publié l’information. Il explique que Madame Amaury, en remerciant Noël Coüedel et Dominique de Montvalon, a décidé de couper la filière maçonnique. Dans le numéro suivant, messieurs Coüedel et de Mont­valon ont publié un démenti, prétendant qu’ils n’ont jamais été francs-maçons. C’est l’illustration parfaite et contemporaine de la principale difficulté du sujet. Ils ont démenti et on va en rester à ce flou…

Comment obtenir des assurances, des preuves  ?

S. C. : Le maçon déçu par la maçonnerie ou par son obédience est la meilleure source. La GLNF, par exemple, quoique très fermée, ou peut-être pour cette raison, est une aubaine pour le journaliste : chaque année, des gens la quittent  ; ils n’en peuvent plus…

Et vous leur sautez dessus  !

S. C. : J’essaie de rester convenable  ! Pour la plupart d’entre eux, claquer la porte est une réelle souffrance, un vrai cas de conscience. C’est se couper d’un lien avec des gens qui étaient, pour certains, des amis, avec lesquels ils ont passé de nombreuses soirées. Une seconde famille en quelque sorte…

Il peut y avoir des représailles  ?

S. C. : Alain Bauer 9 dit souvent que la franc-maçonnerie est le contraire d’une secte : dans une secte, il est facile d’entrer et difficile d’en sortir. La maçonnerie, c’est l’inverse.

Il a raison  ?

S. C. : Sur la seconde partie, oui. C’est très facile d’en sortir. En revanche, on ne peut pas dire qu’il soit difficile d’y entrer. Évi­dem­ment, si vous êtes éboueur, c’est un peu compliqué, mais un journaliste est toujours bienvenu et sa promotion accélérée. Pour enquêter, j’ai donc recours aux francs-maçons déçus, à quelques personnes de l’intérieur un peu plus libres que les autres. Ce qui m’a toujours beaucoup aidée, ce sont les francs-maçons qui considèrent que le secret d’appartenance est un truc de dingo qui va les mener à leur perte.

F. K. : Ceux-là sont une espèce rare  ! Certains en revanche — des chevaliers blancs  ! — m’aident parce qu’ils considèrent que les médias ont un rôle à jouer pour faire le ménage, pour promouvoir des mœurs plus conformes aux lois de la République. Mais le secret d’appartenance reste tenace. Ils acceptent d’indiquer des pistes mais donner un nom heurte un interdit puissant. En 2005, je m’apprête à publier dans L’Express un papier de deux pages sur le grand maître du Grand Orient, à l’époque Bernard Brand­meyer, dans lequel je souligne sa mauvaise gestion. Je mets mon article dans le circuit de la rédaction un mercredi à 15 heures. Dès le jeudi, les rumeurs vont bon train : mon papier circule rue Cadet à l’étage du Conseil de l’Ordre. Le vendredi matin, j’appelle moi-même des amis au Grand Orient pour en savoir un peu plus. Un frère finit par me lâcher : « Écoute, déjà trois membres du Conseil de l’Ordre connaissent le contenu de ton article et l’un d’eux en détient une copie. » Puisqu’il n’était pas encore parvenu à l’imprimerie, la fuite ne pouvait venir que de la rédaction  ! Ça m’énerve, j’enquête et un frère me confie : « Je sais qui a fait le coup, c’est un journaliste de L’Express. Je le connais, mais je ne te dirai pas son nom. Pas question. La seule chose que je puisse te donner, si tu insistes, ce sont ses initiales. » Mais à L’Express, quatre journalistes avaient ces initiales  ! Je lui ai donc demandé de me le décrire un peu physiquement, ce qui m’a permis de savoir qui il désignait…

Les francs-maçons, « un marronnier, uniquement pour faire vendre »…

S. C. : Évidemment, c’est un marronnier. Mais qu’est-ce qu’un marronnier  ? Un sujet qui intéresse régulièrement les lecteurs  ? Moi, je n’ai aucune réticence à enquêter sur un sujet qui intéresse régulièrement les lecteurs… Et qui fait une des cinq meilleures ventes du Point chaque année  !

Pourquoi les francs-maçons intéressent-ils autant le public  ?

S. C. : C’est très curieux. Une année, on a sorti une couverture sur « Francs-maçons et Templiers », sujet historique, au centre d’une controverse sur laquelle des maçons extraordinairement érudits s’écharpent depuis des années. Il n’y avait aucun nom, aucune révélation. Eh bien, ça a marché comme d’habitude. Le mot clé est évidemment « secret ». Ajoutez « rituel », « initiation » et leur lot de mystères (faux mystères, d’ailleurs, car à part le secret d’appartenance, les francs-maçons ne sont pas avares d’informations), ça peut difficilement ne pas intéresser.

F. K. : À L’Express, on ne fait pas de couverture systématique tous les ans à la même période. Mais, aucune raison de se cacher derrière son petit doigt : ça fait vendre  ! Même si certains thèmes marchent mieux que d’autres. En 2003, par exemple, les francs-maçonnes ont eu moins de succès… Manifestement, le machisme des francs-maçons est tel que l’élément féminin, si minoritaire, intéresse peu le lecteur  !


Notes
[1] Publiée dans L’Express du 5 octobre 2006.
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MichelT

Date d'inscription : 06/02/2010

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