L' eau bénite, le Notre Père et les Béatitudes

L'eau bénite est un sacramental à redécouvrir tant d'un point de vue théologique que pratique. Mais seul son usage quotidien permet d'en mesurer son exceptionnelle efficacité pour nous aider à progresser dans notre vie spirituelle et arriver, avec le temps, à vivre authentiquement l'Évangile.

Il ne s'agit donc pas de dissocier son usage de l'ensemble des moyens de sanctification mais de l'utiliser avec dévotion et humilité concomitamment aux sacrements, aux sacramentaux, aux exercices de piété et à la pratique des vertus, à commencer par l'espérance chrétienne.

L'usage de l'eau bénite doit donc retrouver sa juste place dans l'ensemble de la vie chrétienne. Mais en quoi consiste-t-elle exactement? En quoi se différencie-t-elle d'une vie humaine non chrétienne? Pour répondre à cette question, il importe de revenir au Sermon sur la Montagne et plus particulièrement aux béatitudes, où Notre Seigneur montre le Chemin à prendre pour accéder à la Vérité et entrer dans la Vie.

Des Pères de l'Église, comme Saint Augustin, tel que Saint Thomas d'Aquin, ont découvert qu'il y a une étroite correspondance entre les sept béatitudes du Sermon sur la Montagne dans l'ordre donné dans la Bible, les sept demandes du Notre Père, les sept dons du Saint-Esprit et les sept principales vertus.

Cette concordance permet de comprendre que la vie chrétienne consiste à prier Dieu de nous accorder les dons du Saint-Esprit pour nous permettre de vivre les vertus et d'agir en conformité avec les dix commandements, dans l'espoir d'entrer dans la logique des béatitudes. Visualiser la concordance entre les demandes du Notre Père, les dons, les vertus et les béatitudes permet d'avoir une vision globale de notre vie chrétienne.

CONCORDANCES:
NOTRE PÈRE/DONS/VERTUS/BÉATITUDES

Notre Père qui est aux cieux

I. La fin: Que ton nom soit sanctifié
Don: Crainte
Vertu: Espérance
Béatitude des pauvres

Que ton règne vienne
Don: Piété
Vertu: Justice
Béatitude des doux

II. Les moyens: Que ta volonté soit faite
Don: Science
Vertu: Tempérance
Béatitude des larmes

Donne-nous notre pain
Don: force
Vertu: force
Béatitude des affamés de justice

III. Les obstacles: Pardonne-nous nos offenses
Don: Conseil
Vertu: Prudence
Béatitude des miséricordieux

Ne nous soumets pas à la tentation
Don: Intelligence
Vertu: Foi
Béatitude des coeurs purs

Mais délivre-nous du mal
Don: Sagesse
Vertu: Charité
Béatitude des artisans de paix

Pour Saint-Thomas, la prière du Notre Père commence par une petite introduction, "Notre Père qui est aux cieux" où le fidèle est appelé à reconnaître le Père comme le Créateur et lui-même comme simple créature créé à l'image et à la ressemblance de Dieu, que sauve la Passion et la Résurrection de notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ. Avant de commencer sa prière, il se met dans une démarche d'humilité.

Saint-Thomas distingue deux grandes parties dans les sept demandes du Notre Père; les deux premières concernent la fin de la vie humaine, tandis que les suivantes touchent aux moyens à mettre en oeuvre pour atteindre cette fin. La première demande résume la finalité de la vie chrétienne, à savoir que le nom de Dieu soit sanctifié concrètement dans tous les détails de notre vie: "Que votre nom soit sanctifié en moi et par moi pour que l'humanité ait la joie de vous connaître, de vous servir et de vous aimer".

Pour ce faire, il est indispensable de demander dans la prière le don de crainte, don infiniment précieux qui permet d'aimer Dieu; se tourner vers le Père, c'est pratiquer la vertu théologale d'espérance. Cette espérance nous permet de vivre la béatitude des pauvres en esprit, c'est-à-dire l'humilité.

La seconde demande réclame la venue du règne de Dieu pour pratiquer l'amour de Dieu recherché dans la première demande: l'amour n'est pas un vague sentiment exprimé verbalement. L'amour, s'il est réel, s'exprime avant tout par des actes. Avec la première demande, on confesse notre amour pour Dieu; avec la seconde, on demande à participer concrètement à la mise en oeuvre du Royaume de Dieu: "Que ton règne vienne en moi et par moi; donnez-moi la grâce de participer à l'oeuvre du Christ, à la venue, ici et maintenant, de son règne de paix et de justice". Le don de piété filiale nous permet de pratiquer la vertu de justice et d'entrer dans la logique de la béatitude des doux. De fait, la vie chrétienne commence par l'espérance de la miséricorde de Dieu et par l'humilité et permet d'exercer la vertu de justice. Il est intéressant de noter que l'action du démon commence généralement par une opposition à la vertu d'espérance. Cette vertu attaquée, le reste de la vie chrétienne devient fragilisée. D'où l'importance de savoir faire bon usage des sacramentaux tel que l'eau bénite pour affermir notre foi et lutter efficacement contre le Malin.

Quant aux cinq demandes suivantes, Saint Thomas distingue les deux premières attachées à la glorification du Nom de Dieu et à l'avènement de son Règne, des trois suivantes priant Dieu d'écarter les obstacles à la recherche de la vie bienheureuse et de l'union à Notre Seigneur. Ainsi, la troisième demande implore Dieu de faire sa volonté: "Que votre volonté soit faite en moi et par moi pour que votre Saint Nom soit glorifié à jamais". Il nous faut donc le don de science pour discerner comment user de la création, propre à la vertu de tempérance. Pratiquer cette vertu c'est accéder à la béatitude des larmes, où on déplore le mauvais usage de la création et le manque d'amour de Dieu.

La quatrième demande, donne-nous aujourd'hui notre pain de ce jour, recherche l'obtention des biens nécessaires à la vie présente. Le don de force permet à la personne un bon usage de ces biens en évitant les pièges du matérialisme et de l'égoïsme, fruit de la pratique de la vertu de la force. Cet usage conduit à la béatitude des affamés de justice, de la justice de Dieu.

Les trois dernières demandes cherchent à extirper de notre âme les obstacles à la mise en oeuvre des moyens pour atteindre notre fin surnaturelle. Le premier obstacle n'est autre que le refus d'octroyer le pardon tant à soi-même qu'aux autres: on demande à Dieu le pardon des offenses et la force de pardonner aux autres. Pour ce faire, il faut le don de conseil qui permet d'exercer la vertu de prudence. Pour obtenir le pardon, il est indispensable préalablement de savoir pardonner pour obtenir ce que l'on concède volontiers aux autres et entrer dans la logique de la béatitude des miséricordieux.

La demande suivante concerne les tentations: il est réclamé à Dieu le don d'intelligence pour discerner les causes, la logique interne de la tentation et les moyens d'y résister par la vertu de la foi, vertu qui opère la purification des coeurs. Enfin, la dernière demande concerne la délivrance de toutes sortes de maux à commencer par le démon: le don de sagesse nous fait comprendre que la vertu de charité permet de vaincre tous ces maux et d'être un artisan de paix.

L'exacte correspondance entre l'oraison dominicale, les dons, les vertus et les béatitudes reste peut-être approximative, mais riche d'enseignements. Elle permet, en effet, de lier l'unité de toute l'activité humaine à la quête de la vie bienheureuse et de l'union à Dieu: La dévotion, l'humilité et l'espérance conduisent à la charité et à la paix de Dieu.

L'eau bénite fait donc partie de ses sacramentaux qui nous permettent au quotidien d'entrer toujours plus dans cette logique de la vie chrétienne, dans l'humilité et l'esprit d'enfance si cher à Sainte Thérèse-de-l'Enfant-Jésus. Par ce petit moyen, par un simple signe de croix avec un peu d'eau bénite, nous demandons à Dieu la grâce de vivre chrétiennement pour entrer dans la Béatitude éternelle.

(extrait du livre: l'eau bénite, Histoire et spiritualité, pp 85 à 91))