Le Nef des Fous – de Sebastian Brant -
Page 1 sur 1
Le Nef des Fous – de Sebastian Brant -
Le Nef des Fous – Sebastian Brant
Das Narrenschiff – année 1494
La Nef des Fous - fantaisie musicale - diaporama
Spectacle musical à partir des textes de Sebastien Brant XVème siècle créé au théâtre de Sens dans le cadre de la résidence de l'ensemble Obsidienne à Sens.
(Extraits)
UNE INTRODUCTION A LA NEF DES FOUS
Ce livre fut un best-seller de la fin du XVe siècle : truffé de citations classiques et bibliques, illustré en partie par le jeune Albrecht Dürer, encore à Bâle en 1494. Dans chacun des cent douze chapitres du livre, orné chacun d’une gravure illustrant le vice dénoncé et comportant ensemble quelque 7 000 vers, l’auteur dénonce et ridiculise un certain aspect de la « folie humaine », y caricature des types de « fous » – entendez de pécheurs – qui défilent, amusent ou attristent le lecteur et se trouvent finalement regroupés dans une nef qui fait voile vers la « Narragonie », l’île de la folie.
Dans le prologue, la longue Vorred, il évoque la nef symbolique qu’il arme pour embarquer tous les « fous » qui s’agitent autour de lui ; il dit qu’il faudra recourir à toutes sortes d’embarcations pour les contenir tous. Son admirable ouvrage est l’amalgame de toutes ses connaissances et convictions mélangées dans le creuset de sa remarquable personnalité ; il a fondu ensemble nombre d’éléments divers empruntés à la mythologie, à la Bible, aux auteurs anciens et à la réalité quotidienne pour créer une variété de personnages fortement typés : les « fous de son temps ».
Ce sont des êtres affligés de vices, des insensés voués à la perdition parce que leur comportement est « contraire à la loi divine et à l’ordre social ». Brant veut leur faire comprendre qu’il ne faut pas succomber aux tentations, aux faiblesses, aux péchés qui, selon lui, engendrent les malheurs de l’humanité.
Il fustige impitoyablement aussi bien les égarements « véniels » que les aveuglements « mortels » : la passion des jeux et des livres, la manie de la mode et des voyages, l’abus des médicaments ou de l’alcool, la mendicité, l’ingratitude, l’orgueil, la jalousie, la médisance, l’avarice, la fraude, l’usure, l’adultère, le concubinage, l’impulsivité, la grossièreté, la brutalité, le blasphème, etc.
S’il condamne avec rigueur et vigueur tous les défauts des hommes, c’est dans l’espoir de pouvoir les aider à se corriger. Il veut que sa galerie de fous soit un « miroir » dans lequel tout un chacun pourra en partie se reconnaître et, dès lors, s’amender, se redresser. Le Narrenschiff présente un réel intérêt documentaire parce que Brant y a consigné nombre d’observations et de réflexions ayant trait à son temps et à son milieu. À travers les vices, il y décrit son entourage, notamment le monde universitaire et carnavalesque du Bâle de l’époque. N’oublions pas qu’il a publié son livre à bon escient à l’occasion du carnaval bâlois de l’an 1494.
La « folie » au sens de l’insanité, de l’extravagance, de la passion, de l’aveuglement ou de l’inconscience n ‘a pas été inventée comme thème littéraire par Brant, certes, mais c’est lui qui a su donner à ce sujet une nouvelle dimension, un retentissement insoupçonné, extraordinaire ; par là même il a de nouveau donné du relief à l’ancienne allégorie de la nef qui a beaucoup contribué au retentissement inouï de sa satire. Cet ouvrage marquant fut, un des livres plus lu au XVIe siècle, non seulement en Allemagne, mais dans l’Europe tout entière.
Ce livre – puisse son enseignement vous être utile et salutaire – est destiné à vous mettre en garde et à vous exhorter à la sagesse, a la raison et aux bonnes mœurs, ainsi qu`au mépris de la folie, de l`égarement aveugle et de la sottise en tous lieux de par le monde. Il est le fruit du labeur acharné de Sebastian Brant, docteur en les deux droits qui l`a composé a Bâle.
Table des Matières
Prologue
1- Des modes nouvelles
2 - De l`éducation des enfants
3 - Des noceurs et des buveurs
4 - Des richesses inutiles
5 - Servir deux maitres
6 - De critiquer autrui en péchant soi-même
7 - Des emprunteurs
8 - D`études vaines
9 - Du mauvais exemple des parents
10 - Ne pas admettre la critique
11 - De la médecine de charlatan
12 - De l`oubli de soi-même
13 - De lire dans les étoiles
14 - De l`imprévoyance
15 - Du mépris de la pauvreté
16 - Du respect des parents
17 - Des faussaires et trompeurs
PROLOGUE
Partout, en tous lieux, on trouve maintenant
des livres de piété : Les doctrines des Pères de l’Église,
des Bibles, et tant d’autres livres semblables
que je m’étonne de ne voir personne devenir meilleur.
Au contraire, on méprise les Écritures et la Doctrine.
Le monde demeure dans une nuit profonde
et persiste, aveuglé, dans le péché.
Les rues sont remplies de fous.
Ils mènent leur folie partout
mais ne veulent pas qu’on le dise.
C’est pourquoi j’ai étudié le projet
d’équiper pour eux :
Les nefs des fous !
Des fous et des insensés j’ai ici fait le portrait.
Et celui qui méprise le texte,
ou ne saurait le lire,
peut se reconnaître dans les images.
Il verra à quoi il ressemble,
qui il est en réalité
et ce qu’il devrait corriger en lui.
C’est le Miroir des Fous
dans lequel chacun peut se reconnaître.
Celui qui s’y mire convenablement
comprendra qu’il aurait tort de se prendre pour un sage,
car il verra son vrai visage.
Nul n’est sans défaut
ou peut dire avec assurance :
« Je suis un sage et sans folie ! »
Celui qui reconnaît sa folie
s’en libérera facilement,
mais celui qui se vante d’être toujours sensé,
est un fou – mon compère.
Il gardera une profonde rancune contre moi
s’il rejette ce livret.
Ici on ne lésine pas sur les fous.
Chacun y trouve son portrait,
chacun avec sa particularité
et aussi, pourquoi il y a tant d’insensés.
Ici sont mis en balance –
la valeur de la sagesse
et l’état lamentable de l’insensé.
On y découvre la marche du monde,
c’est pourquoi il est bon de lire ce livret.
Celui qui introduit des modes nouvelles suscite le scandale et la honte et tient le fou par la main.
1 - Des modes nouvelles
Ce qui dans le passé fut chose honteuse
est aujourd’hui jugé avec beaucoup de clémence.
Autrefois on portait la barbe avec fierté
maintenant les hommes sont attifés comme des femmes.
Ils enduisent leur figure de pommade de singe
et suspendent autour de leur cou nu
de nombreuses chaînes et des anneaux,
comme s’ils devaient comparaître devant St. Léonard.*
Avec du souffre et de la résine,
on fait bouffer les cheveux,
et pour que se forment des frisettes
on ajoute du blanc d’œuf battu en neige.
L’un penche sa tête par la fenêtre,
l’autre blondit ses cheveux au feu ou au soleil.
Tant pis pour les poux,
ils trouveront bien à se reloger
dans les nombreux plis et replis des habits.
Redingote, manteau, chemise et écharpe,
pantoufles, bottes, pantalons et chaussures,
capuchon, cape avec leurs garnitures
tout est scrupuleusement assorti.
… Une mode en fait disparaître une autre,
cela témoigne de la frivolité de notre esprit,
comme il est scandaleusement versatile,
et combien le pays est victime des nouveautés !
Les robes sont courtes, honteusement taillées,
elles recouvrent à peine le nombril.
Fi donc à la Nation allemande,
qui découvre ainsi sans aucune pudeur
et montre même ce que la nature dissimule.
Voilà pourquoi le mal est si profond
et qu’il va probablement encore s’aggraver.
Malheur à celui qui provoque la honte !
Malheur à celui qui la tolère !
Un châtiment sévère lui est réservé.
* St. Léonard, patron des prisonniers
qui lui offraient leurs chaînes quand
ils étaient libérés.
Qui passe à ses enfants tous leurs caprices et néglige de les éduquer le payera cher un jour.
2 - De l’éducation des enfants
Il est complètement aveuglé par la folie,
celui qui ne soumet pas ses enfants
à une bonne et juste discipline,
et les laisse commettre toutes les sottises,
sans jamais les gronder ou les punir,
Comme iraient des moutons sans berger !
Il tolère leur insolence
Sans même songer à les en punir,
Il se dit qu’ils sont bien trop petits,
pour garder en souvenir la leçon.
Oh ! grand sot, réveille-toi et écoute:
À la jeunesse rien n’échappe,
Le moindre détail se grave dans sa mémoire.
… Une jeune branche, tu la dresses ou la plies,
mais si tu veux en recourber une vieille,
elle craque et se casse en deux.
Une juste correction ne fait pas crier.
La folie du cœur des enfants.*
On éduque rarement sans sévir,
le mal qu’on ne chasse pas grandit.
… Une bonne éducation est le berceau d’une vie droite et honnête.
Elle est le fil conducteur qui triomphe de toutes les épreuves.
Naître noble est certes louable,
mais tu n’y es pour rien, tes parents te l’ont donné.
La fortune est une chose agréable,
mais elle est le jeu du hasard,
comme une balle elle tombe ou rebondit.
La gloire est flatteuse,
mais fragile et chancelante.
Un beau corps est admirable,
mais il ne dure qu’une seule saison.
La santé est chose précieuse,
mais souvent elle se dérobe comme un voleur.
Grandeur et puissance qui sont tant convoitées,
s’envolent, emportées par la maladie et le temps.
C’est pourquoi j’affirme
que rien sur terre n’est plus important et moins éphémère
qu’une bonne éducation.
* Proverbes de Salomon 22, 15.
Celui qui passe sa vie avec les noceurs et les buveurs se retrouvera sûrement un jour pauvre.
3 - Des noceurs et buveurs
C’est chausser les souliers d’un fou
que de passer ses journées et ses nuits
à se remplir la panse et le ventre
et se transformer ainsi en une outre,
à croire que nous sommes nés
pour gâcher quotidiennement plus de vin que le gel.
Celui qui fait cela a sa place dans la Nef des Fous
car il détruit sa raison et son bon sens
il s’en apercevra quand il sera vieux
et que ses mains se mettront à trembler et sa tête à ballotter.
Il abrège sa vie et appelle sa fin.
Le vin est pernicieux :
celui qui y cherche son plaisir perd la sagesse.
Un homme ivre ne respecte personne.
Il perd tout sens de la mesure et tout discernement.
L’ivresse mène à la luxure
et bien d’autres maux en naissent.
Sage est celui qui sait boire modérément.
…Le fou ingurgite de grosses quantités
le sage boit avec modération.
Il s’en porte bien mieux
que s’il vidait des seaux.
Le vin se boit agréablement,
mais il mord comme un serpent
et répand son venin dans le sang
tout comme une vipère.
Le riche qui profite de ses biens sans en donner un peu au pauvre, quémandera un jour en vain.
4 - Des richesses inutiles
La plus grande folie ici-bas,
c’est d’admirer l’argent plus que la sagesse
et de donner la préférence à un homme riche,
portant bonnet de fou garni de grelots.
On l’élit conseiller
pour l’argent qu’il peut perdre.
Plus un homme a les poches bien pleines
plus on lui accorde de crédit.
Monsieur Pfennig ( monnaie) est toujours à l’avant.
…Les riches sont invités au festin,
on leur sert du gibier, des volailles et du poisson,
on leur fait mille courbettes,
tandis que le pauvre reste devant la porte,
transpire ou meurt de froid.
Au riche on dit : « Mangez, monsieur ! »
Argent, à toi l’honneur.
Que ne fait-on pas pour avoir ses faveurs.
Le riche a beaucoup d’amis,
chacun le salue et prétend être son parent.
Qu’un tel veuille se marier,
aussitôt on se renseigne : « Que possède-t-il ? »
Personne ne s’enquiert de son honorabilité,
son instruction, sa sagesse ou son esprit.
On préfère quelqu’un de la confrérie des fous
qui a du pain à mettre dans son lait,
peu importe qu’il soit maquereau.
Science, honneur, sagesse ne comptent pas
là où l’argent fait défaut.
Mais celui qui se bouche les oreilles devant le pauvre
ne sera pas non plus entendu par Dieu lorsqu’il l’appellera !
Das Narrenschiff – année 1494
La Nef des Fous - fantaisie musicale - diaporama
Spectacle musical à partir des textes de Sebastien Brant XVème siècle créé au théâtre de Sens dans le cadre de la résidence de l'ensemble Obsidienne à Sens.
(Extraits)
UNE INTRODUCTION A LA NEF DES FOUS
Ce livre fut un best-seller de la fin du XVe siècle : truffé de citations classiques et bibliques, illustré en partie par le jeune Albrecht Dürer, encore à Bâle en 1494. Dans chacun des cent douze chapitres du livre, orné chacun d’une gravure illustrant le vice dénoncé et comportant ensemble quelque 7 000 vers, l’auteur dénonce et ridiculise un certain aspect de la « folie humaine », y caricature des types de « fous » – entendez de pécheurs – qui défilent, amusent ou attristent le lecteur et se trouvent finalement regroupés dans une nef qui fait voile vers la « Narragonie », l’île de la folie.
Dans le prologue, la longue Vorred, il évoque la nef symbolique qu’il arme pour embarquer tous les « fous » qui s’agitent autour de lui ; il dit qu’il faudra recourir à toutes sortes d’embarcations pour les contenir tous. Son admirable ouvrage est l’amalgame de toutes ses connaissances et convictions mélangées dans le creuset de sa remarquable personnalité ; il a fondu ensemble nombre d’éléments divers empruntés à la mythologie, à la Bible, aux auteurs anciens et à la réalité quotidienne pour créer une variété de personnages fortement typés : les « fous de son temps ».
Ce sont des êtres affligés de vices, des insensés voués à la perdition parce que leur comportement est « contraire à la loi divine et à l’ordre social ». Brant veut leur faire comprendre qu’il ne faut pas succomber aux tentations, aux faiblesses, aux péchés qui, selon lui, engendrent les malheurs de l’humanité.
Il fustige impitoyablement aussi bien les égarements « véniels » que les aveuglements « mortels » : la passion des jeux et des livres, la manie de la mode et des voyages, l’abus des médicaments ou de l’alcool, la mendicité, l’ingratitude, l’orgueil, la jalousie, la médisance, l’avarice, la fraude, l’usure, l’adultère, le concubinage, l’impulsivité, la grossièreté, la brutalité, le blasphème, etc.
S’il condamne avec rigueur et vigueur tous les défauts des hommes, c’est dans l’espoir de pouvoir les aider à se corriger. Il veut que sa galerie de fous soit un « miroir » dans lequel tout un chacun pourra en partie se reconnaître et, dès lors, s’amender, se redresser. Le Narrenschiff présente un réel intérêt documentaire parce que Brant y a consigné nombre d’observations et de réflexions ayant trait à son temps et à son milieu. À travers les vices, il y décrit son entourage, notamment le monde universitaire et carnavalesque du Bâle de l’époque. N’oublions pas qu’il a publié son livre à bon escient à l’occasion du carnaval bâlois de l’an 1494.
La « folie » au sens de l’insanité, de l’extravagance, de la passion, de l’aveuglement ou de l’inconscience n ‘a pas été inventée comme thème littéraire par Brant, certes, mais c’est lui qui a su donner à ce sujet une nouvelle dimension, un retentissement insoupçonné, extraordinaire ; par là même il a de nouveau donné du relief à l’ancienne allégorie de la nef qui a beaucoup contribué au retentissement inouï de sa satire. Cet ouvrage marquant fut, un des livres plus lu au XVIe siècle, non seulement en Allemagne, mais dans l’Europe tout entière.
Ce livre – puisse son enseignement vous être utile et salutaire – est destiné à vous mettre en garde et à vous exhorter à la sagesse, a la raison et aux bonnes mœurs, ainsi qu`au mépris de la folie, de l`égarement aveugle et de la sottise en tous lieux de par le monde. Il est le fruit du labeur acharné de Sebastian Brant, docteur en les deux droits qui l`a composé a Bâle.
Table des Matières
Prologue
1- Des modes nouvelles
2 - De l`éducation des enfants
3 - Des noceurs et des buveurs
4 - Des richesses inutiles
5 - Servir deux maitres
6 - De critiquer autrui en péchant soi-même
7 - Des emprunteurs
8 - D`études vaines
9 - Du mauvais exemple des parents
10 - Ne pas admettre la critique
11 - De la médecine de charlatan
12 - De l`oubli de soi-même
13 - De lire dans les étoiles
14 - De l`imprévoyance
15 - Du mépris de la pauvreté
16 - Du respect des parents
17 - Des faussaires et trompeurs
PROLOGUE
Partout, en tous lieux, on trouve maintenant
des livres de piété : Les doctrines des Pères de l’Église,
des Bibles, et tant d’autres livres semblables
que je m’étonne de ne voir personne devenir meilleur.
Au contraire, on méprise les Écritures et la Doctrine.
Le monde demeure dans une nuit profonde
et persiste, aveuglé, dans le péché.
Les rues sont remplies de fous.
Ils mènent leur folie partout
mais ne veulent pas qu’on le dise.
C’est pourquoi j’ai étudié le projet
d’équiper pour eux :
Les nefs des fous !
Des fous et des insensés j’ai ici fait le portrait.
Et celui qui méprise le texte,
ou ne saurait le lire,
peut se reconnaître dans les images.
Il verra à quoi il ressemble,
qui il est en réalité
et ce qu’il devrait corriger en lui.
C’est le Miroir des Fous
dans lequel chacun peut se reconnaître.
Celui qui s’y mire convenablement
comprendra qu’il aurait tort de se prendre pour un sage,
car il verra son vrai visage.
Nul n’est sans défaut
ou peut dire avec assurance :
« Je suis un sage et sans folie ! »
Celui qui reconnaît sa folie
s’en libérera facilement,
mais celui qui se vante d’être toujours sensé,
est un fou – mon compère.
Il gardera une profonde rancune contre moi
s’il rejette ce livret.
Ici on ne lésine pas sur les fous.
Chacun y trouve son portrait,
chacun avec sa particularité
et aussi, pourquoi il y a tant d’insensés.
Ici sont mis en balance –
la valeur de la sagesse
et l’état lamentable de l’insensé.
On y découvre la marche du monde,
c’est pourquoi il est bon de lire ce livret.
Celui qui introduit des modes nouvelles suscite le scandale et la honte et tient le fou par la main.
1 - Des modes nouvelles
Ce qui dans le passé fut chose honteuse
est aujourd’hui jugé avec beaucoup de clémence.
Autrefois on portait la barbe avec fierté
maintenant les hommes sont attifés comme des femmes.
Ils enduisent leur figure de pommade de singe
et suspendent autour de leur cou nu
de nombreuses chaînes et des anneaux,
comme s’ils devaient comparaître devant St. Léonard.*
Avec du souffre et de la résine,
on fait bouffer les cheveux,
et pour que se forment des frisettes
on ajoute du blanc d’œuf battu en neige.
L’un penche sa tête par la fenêtre,
l’autre blondit ses cheveux au feu ou au soleil.
Tant pis pour les poux,
ils trouveront bien à se reloger
dans les nombreux plis et replis des habits.
Redingote, manteau, chemise et écharpe,
pantoufles, bottes, pantalons et chaussures,
capuchon, cape avec leurs garnitures
tout est scrupuleusement assorti.
… Une mode en fait disparaître une autre,
cela témoigne de la frivolité de notre esprit,
comme il est scandaleusement versatile,
et combien le pays est victime des nouveautés !
Les robes sont courtes, honteusement taillées,
elles recouvrent à peine le nombril.
Fi donc à la Nation allemande,
qui découvre ainsi sans aucune pudeur
et montre même ce que la nature dissimule.
Voilà pourquoi le mal est si profond
et qu’il va probablement encore s’aggraver.
Malheur à celui qui provoque la honte !
Malheur à celui qui la tolère !
Un châtiment sévère lui est réservé.
* St. Léonard, patron des prisonniers
qui lui offraient leurs chaînes quand
ils étaient libérés.
Qui passe à ses enfants tous leurs caprices et néglige de les éduquer le payera cher un jour.
2 - De l’éducation des enfants
Il est complètement aveuglé par la folie,
celui qui ne soumet pas ses enfants
à une bonne et juste discipline,
et les laisse commettre toutes les sottises,
sans jamais les gronder ou les punir,
Comme iraient des moutons sans berger !
Il tolère leur insolence
Sans même songer à les en punir,
Il se dit qu’ils sont bien trop petits,
pour garder en souvenir la leçon.
Oh ! grand sot, réveille-toi et écoute:
À la jeunesse rien n’échappe,
Le moindre détail se grave dans sa mémoire.
… Une jeune branche, tu la dresses ou la plies,
mais si tu veux en recourber une vieille,
elle craque et se casse en deux.
Une juste correction ne fait pas crier.
La folie du cœur des enfants.*
On éduque rarement sans sévir,
le mal qu’on ne chasse pas grandit.
… Une bonne éducation est le berceau d’une vie droite et honnête.
Elle est le fil conducteur qui triomphe de toutes les épreuves.
Naître noble est certes louable,
mais tu n’y es pour rien, tes parents te l’ont donné.
La fortune est une chose agréable,
mais elle est le jeu du hasard,
comme une balle elle tombe ou rebondit.
La gloire est flatteuse,
mais fragile et chancelante.
Un beau corps est admirable,
mais il ne dure qu’une seule saison.
La santé est chose précieuse,
mais souvent elle se dérobe comme un voleur.
Grandeur et puissance qui sont tant convoitées,
s’envolent, emportées par la maladie et le temps.
C’est pourquoi j’affirme
que rien sur terre n’est plus important et moins éphémère
qu’une bonne éducation.
* Proverbes de Salomon 22, 15.
Celui qui passe sa vie avec les noceurs et les buveurs se retrouvera sûrement un jour pauvre.
3 - Des noceurs et buveurs
C’est chausser les souliers d’un fou
que de passer ses journées et ses nuits
à se remplir la panse et le ventre
et se transformer ainsi en une outre,
à croire que nous sommes nés
pour gâcher quotidiennement plus de vin que le gel.
Celui qui fait cela a sa place dans la Nef des Fous
car il détruit sa raison et son bon sens
il s’en apercevra quand il sera vieux
et que ses mains se mettront à trembler et sa tête à ballotter.
Il abrège sa vie et appelle sa fin.
Le vin est pernicieux :
celui qui y cherche son plaisir perd la sagesse.
Un homme ivre ne respecte personne.
Il perd tout sens de la mesure et tout discernement.
L’ivresse mène à la luxure
et bien d’autres maux en naissent.
Sage est celui qui sait boire modérément.
…Le fou ingurgite de grosses quantités
le sage boit avec modération.
Il s’en porte bien mieux
que s’il vidait des seaux.
Le vin se boit agréablement,
mais il mord comme un serpent
et répand son venin dans le sang
tout comme une vipère.
Le riche qui profite de ses biens sans en donner un peu au pauvre, quémandera un jour en vain.
4 - Des richesses inutiles
La plus grande folie ici-bas,
c’est d’admirer l’argent plus que la sagesse
et de donner la préférence à un homme riche,
portant bonnet de fou garni de grelots.
On l’élit conseiller
pour l’argent qu’il peut perdre.
Plus un homme a les poches bien pleines
plus on lui accorde de crédit.
Monsieur Pfennig ( monnaie) est toujours à l’avant.
…Les riches sont invités au festin,
on leur sert du gibier, des volailles et du poisson,
on leur fait mille courbettes,
tandis que le pauvre reste devant la porte,
transpire ou meurt de froid.
Au riche on dit : « Mangez, monsieur ! »
Argent, à toi l’honneur.
Que ne fait-on pas pour avoir ses faveurs.
Le riche a beaucoup d’amis,
chacun le salue et prétend être son parent.
Qu’un tel veuille se marier,
aussitôt on se renseigne : « Que possède-t-il ? »
Personne ne s’enquiert de son honorabilité,
son instruction, sa sagesse ou son esprit.
On préfère quelqu’un de la confrérie des fous
qui a du pain à mettre dans son lait,
peu importe qu’il soit maquereau.
Science, honneur, sagesse ne comptent pas
là où l’argent fait défaut.
Mais celui qui se bouche les oreilles devant le pauvre
ne sera pas non plus entendu par Dieu lorsqu’il l’appellera !
Dernière édition par MichelT le Mar 18 Fév 2020 - 23:44, édité 11 fois
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: Le Nef des Fous – de Sebastian Brant -
C’est courir deux lièvres à la fois que de vouloir servir deux maîtres.
La charge est trop lourde
5 - Servir deux maîtres
Celui est un fou qui veut en même temps
servir Dieu et les hommes.
Car le valet qui a deux maîtres
n’en servira aucun correctement.
Souvent un artisan s’est ruiné
pour avoir exercé à la fois deux métiers.
Celui qui veut chasser deux lièvres
avec un seul chien et à la même heure
rentrera bredouille, malgré son adresse.
Celui qui tend plusieurs arcs en même temps
touche rarement le but.
Et celui qui accepte plusieurs charges
ne s’acquittera convenablement d’aucune.
Celui qui au même instant
veut être ici et là-bas
ne sera nulle part à sa bonne place.
Et celui qui veut contenter tout le monde
doit savoir souffler le chaud et le froid par la même narine.
Il devra s’adapter à toutes les circonstances
et avaler bien des couleuvres,
car l’un voudra un coussin pour soutenir son bras,
l’autre de la crème étalée sur son front,
et surtout, il ne faudra vexer personne.
Avoir plusieurs fonctions est peut-être rentable,
on se réchauffe vite auprès d’un grand feu,
Pourtant, goûter des vins différents
ne veut pas dire qu’on les apprécie tous.
Une parure discrète est vite apprêtée.
Le sage aime la simplicité.
Celui qui sert un seul maître et le satisfait
est considéré comme un valet fidèle.
Un âne mourut affamé qui changea chaque jour de maître !
Celui qui indique le bon chemin aux autres et patauge lui-même dans la fange et la boue,
n’a ni esprit ni sagesse.
6 - De critiquer autrui en péchant soi-même
Est fou celui qui reproche aux autres
ce que lui-même ne fait pas mieux.
Est fou et méprisable
celui qui voit le mal partout,
qui blâme chaque action,
sans remarquer ses propres défauts.
À chaque carrefour la main indique
une direction qu’elle ne prend jamais.
Celui qui a une poutre dans l’œil
ferait bien de l’enlever avant de s’écrier :
« Frère, méfie-toi, je vois une brindille chez toi
qui me déplaît ! »
Est mal placé celui qui voit ainsi les vices des autres
et qui ne corrige pas les siens.
… Fais d’abord tes propres preuves,
alors seulement tu donneras des leçons,
si tu veux qu’on te respecte et qu’on t’honore.
Celui qui emprunte facilement n’évitera nullement les échéances.
L’âne le frappera quand il veut !
7 - Des emprunteurs
Est le fou des fous,
celui qui acquiert tout par emprunt.
Il se moque du dicton qui avertit :
« Les loups ne mangent pas les échéances ! »
Ainsi se comportent également tous ces fous
à qui Dieu laisse un temps infini pour se corriger
et qui augmentent jour après jour
la somme de leurs péchés.
Mais, quand arrivera le moment ultime,
le Seigneur leur fera payer jusqu’au dernier liard
le montant de leur dette.
Quand l’échéance eut sonné
pour les péchés de Sodome et de Gomorrhe :
femmes, bêtes et enfants durent périr.
Dieu avait patienté de longues années
avant de faire chuter Jérusalem.
Quand les gens de Ninive eurent fait pénitence
ils recommencèrent aussitôt leur vie de débauche,
mais aucun Jonas ne vint plus alors pour les avertir.
À toute chose Dieu a tracé
son temps, son but et son chemin.
Celui qui emprunte trop facilement
ne se soucie pas du remboursement.
Méfie-toi de celui qui est toujours prêt
à t’offrir son cautionnement.
Car, dès que tu n’auras plus de quoi le payer,
il t’enlèvera jusqu’à ton oreiller.
Celui qui n’apprend pas la science véritable
Coiffe la marotte du fou
Et la folie le mène en laisse.
8 - D’études vaines
Je ne veux pas ménager les étudiants,
le bonnet leur revient de droit,
et, s’ils le touchent seulement du bout des doigts,
la pointe leur tombe aussitôt dans le dos.
Car, au lieu d’étudier sérieusement,
ils recherchent plutôt leur amusement.
La jeunesse méprise les sciences.
Elle préfère s’instruire au hasard
de choses inutiles et stériles.
Aussi faut-il en faire le reproche aux Maîtres
qui ne savent plus enseigner la vraie culture
et qui se perdent en polémiques stériles :
– le jour fut-il avant la nuit ?
– l’âne descend-il d’un homme ?
– Socrate vaut-il plus que Platon ?
Voilà le savoir qui se vend actuellement
dans nos écoles !
Ne sont-ils pas fous et bourrés de stupidité,
ceux qui sont préoccupés jour et nuit par ces questions ?
S’en martyrisent et en tourmentent les autres,
mais la vraie science, elle, ne les touche pas.
… Ainsi va la jeunesse :
Elle part étudier à Leipzig, à Erfurt et à Vienne,
à Heidelberg, à Mayence et à Bâle,
pour rentrer finalement, tête basse,
quand tout l’argent est dépensé, dévoré.
Alors on s’estime heureux si on trouve un emploi
dans une imprimerie ou comme garçon de café.
Jean devient Petit-Jean !
L’argent fut ainsi bien placé.
Bonnet d’étudiant porte souvent clochettes.
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: Le Nef des Fous – de Sebastian Brant -
L’enfant imite toujours ses parents
Surtout si on ne se gêne pas devant lui
de casser la vaisselle du ménage.
9 - Du mauvais exemple des parents
Celui qui, devant les femmes et devant les enfants,
parle sans pudeur, d’amour et de choses frivoles,
aura un jour à justifier son inconduite.
Vertu et honneur ont disparu de ce monde :
Femmes et enfants apprennent à pécher en gestes
et en paroles : la femme l’apprend de son mari
et les enfants imitent leurs parents.
Si le père abbé prête les dés,
les moines sont prêts à jouer.
Le mauvais exemple a envahi le monde.
Il n’y a plus ni vertu ni honneur.
Les pères en sont les responsables :
La femme le voit chez son mari,
le fils imite le père,
et la fille tient avec sa mère.
Que personne ne s’étonne plus
si le monde est tant rempli de fous.
Le crabe marche comme son père, à reculons.
Le loup n’a jamais engendré de douce brebis.
C’est pourquoi je vous dis : soyons attentifs,
mesurons nos faits et gestes devant les enfants.
L’habitude – seconde nature –
entraîne l’enfant sur le chemin du vice.
Que chacun se comporte dignement dans sa maison
afin de ne pas y semer le scandale !
Celui qui choisit le cornemuse
et se moque de la harpe et du luth
se promènera dans le traîneau des fous.
10 - Ne pas admettre la critique
On voit que folie loge dans son cœur
quand un fou ne peut supporter
ou écouter avec patience
qu’on parle de choses sérieuses.
Le sage aime entendre parler sagesse,
il enrichit sans cesse la sienne.
La cornemuse est l’instrument du fou,
la harpe ne lui convient guère.
Rien ne plaît davantage au fou
que sa marotte et son fifre.
Le fou n’accepte aucune critique.
Leur nombre est infini !
Oh fou ! n’oublie pas que tu es mortel !
Tu n’es que cendre, argile et pourriture.
De toutes les créatures qui possèdent la raison,
tu es la plus petite, une écume,
un sac vide, un bâtard.
Tu vantes ta puissance, ton rang,
ta jeunesse, ton argent et ta beauté,
alors que tout, sous le soleil, est inutile
s’il lui manque la sagesse.
Mieux vaut être corrigé par un sage
que flatté par un sot.
Le rire du fou craque comme le chardon
lorsqu’il brûle (1).
Bienheureux celui qui a dans son cœur
le respect du Seigneur à toute heure.
Le sage tient compte du malheur,
le fou ne connaît que son fifre (2).
On a beau le conseiller,
ou le supplier de renoncer à sa folie,
il n’entend’ ni conseil, ni reproche.
1) « Car comme le rire des épines sous la chaudière, ainsi est le rire des insensés. C`est encore la une vanité. (Ecclésiaste 7, 6-7.)
2) «Mieux vaut entendre la réprimande du sage que d`entendre le chant des insensés. (Ecclésiaste 7, 5.)
Celui qui exerce l`art de la médecine mais ne sait guérir
aucune maladie n`est qu`un charlatan.
11 - De la médecine de charlatan
Est l’ami de tous les autres fous
celui qui examine les urines d’un mourant
et qui dit :
« Attends, je reviens dans une heure,
je m’en vais consulter mes livres
pour savoir ce qu’ils en disent. »
Entre-temps le malade passe de vie à trépas.
Beaucoup se font passer pour des médecins,
mais ils ne savent rien
que ce qu’ils peuvent lire dans le livre des plantes
ou ce que racontent les vieilles bonnes femmes
qui savent guérir tous les maux,
sans distinction des cas,
qu’on soit homme, femme ou enfant,
jeune, adulte ou vieux,
qu’il fasse humide, sec, chaud ou froid.
Une herbe a autant de vertus
que la pommade que le barbier tire
de son mortier d’albâtre pour en faire des emplâtres
qui guérissent toutes les maladies,
que ce soit un furoncle ou une piqûre,
une fracture ou une coupure.
Maître Kukulus (1) s’y fie entièrement.
Celui qui ne connaît qu’un seul onguent,
pour soigner les yeux – qu’ils soient aveugles,
enflammés ou larmoyants,
Celui qui veut purger sans clystère
est un fou, autant que Zuohsta (2) le fut.
Il est semblable à un avocat qui ne sait donner aucun
conseil. À cause des charlatans plus d’un malade
périt avant même de s’en rendre compte.
1) Latin : cumulus : imbécile, fou.
2) Charlatan célèbre de l’époque.
Celui qui éteint l’incendie chez son voisin
et laisse brûler sa propre maison
joue du mirliton des fous.
12 - De l’oubli de soi-même
Celui qui se soucie du sort des autres,
celui qui veille aux intérêts de son voisin
et néglige en même temps les siens
est un singe – plus que n’importe qui –
s’il ne veille jalousement à ses propres affaires.
Il s’inspire du livret des fous !
Celui qui veut qu’on l’aime vraiment
doit s’aimer lui-même d’abord.
Comme le rappelle Térence :
« Je suis mon plus proche parent ».
Que chacun s’occupe de sa propre chance
avant de veiller à celle du voisin.
Car celui qui récolte pour les autres
ne tardera pas à tomber dans la misère.
Celui qui n’ensème pas son propre champ,
n’aura pas de moisson.
Celui qui nettoie la robe de son voisin
risque de souiller la sienne.
Défend mal ses intérêts
celui qui court éteindre le feu à côté
tandis que sa propre maison est en flammes.
Ou celui qui entrave son chemin
en poussant la charrette d’un autre.
Celui qui dépanne un maladroit
et se met lui-même en retard
est vraiment un fou, tant pis pour lui !
Celui qui se laisse entraîner dans une affaire
qui ne le concerne pas
et néglige les siennes subira grand dommage.
Dernière édition par MichelT le Ven 15 Déc 2017 - 23:41, édité 1 fois
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: Le Nef des Fous – de Sebastian Brant -
Que de superstition dans ce monde.
On lit l’avenir dans le cours des étoiles.
Chaque fou y croit avec ferveur.
13 - De lire dans les étoiles
L’avenir préoccupe tous les esprits.
Chacun veut savoir ce que préconise
le firmament, les astres et le cours des planètes.
Le conseil de Dieu y serait affiché !
On croit devoir connaître les desseins de Dieu,
comme si les astres dirigeaient les choses,
à la place de Dieu, qui est le Maître et Seigneur.
Lui peut, s’il le veut, faciliter une cause
ou en compliquer une autre.
Il peut faire qu’un enfant de Saturne (1)
soit pieux, juste et bon.
Et qu’un autre, de Jupiter ou du Soleil (2),
devienne très méchant.
Il ne convient pas à un bon chrétien
de pratiquer un art païen !
De décider, d’après le cours des étoiles,
si ce jour est propice à ses affaires.
S’il doit construire aujourd’hui sa maison,
faire la guerre, ou se marier.
Chacune de nos paroles,
nos actes et notre comportement
doivent être dirigés par Dieu
et par Lui seul.
Rien n’est sérieux dans ce genre de prophéties.
C’est comme si on voulait forcer Dieu
de tout arranger comme on le veut.
1) Les Chaldéens prêtaient à Saturne une influence maléfique.
2) Jupiter et le Soleil étaient supposés exercer une influence
bénéfique.
Fais tourner la fourche en été
si tu ne veux pas crier famine en hiver…
14 - De l’imprévoyance
Ici on rencontre plus d’un fou,
tellement noyé dans sa négligence,
qu’il ne fait jamais rien au bon moment.
Il entreprend tout avec retard
et abandonne tout d’un moment à l’autre.
Son insouciance est telle
qu’il ne prévoit même pas ce dont il aura absolument besoin.
Seul celui qui récolte en été
pour être en hiver à l’abri
est appelé par moi un homme sage.
Mais celui qui se repose durant la belle saison
et dort tranquillement au soleil
doit avoir fait ses provisions
s’il ne veut pas grelotter en hiver
et sucer son orteil pour calmer sa faim.
Celui qui ne fauche pas l’herbe en été
se lamentera amèrement quand il fera froid.
Il se traînera de porte en porte
pour supplier qu’on lui donne un peu de foin.
Le paresseux ne laboure pas son champ en hiver,
en été il ira mendier.
Il supportera honte et tristesse,
demandera beaucoup, obtiendra peu.
Fou, va chez la fourmi et apprends !
Fais tes réserves au bon moment
afin que tu ne sois pas dans la misère
quand les autres vont danser.
Beaucoup de fous ne s’intéressent à rien
s’il ne s’agit pas d’argent.
Eux aussi ont leur place dans la Nef des Fous.
15 - Du mépris de la pauvreté
À l’Âge d’Or, la pauvreté, tant méprisée de nos jours,
était aimée et honorée.
Alors personne ne se souciait de l’argent.
Personne ne possédait de biens particuliers.
Tout appartenait à chacun
et on se contentait de ce que chaque pays
pouvait produire,
de ce que la nature donnait,
sans travail et sans peine.
Mais depuis que l’homme a inventé la charrue,
il est devenu avide, et se dit :
« Ce qui est à toi, pourrait être à moi. »
Toutes les vertus seraient encore de ce monde,
si on ne convoitait que le nécessaire.
La pauvreté est une grâce de Dieu
même si le monde la méprise…
Le Seigneur a dit :
« Malheur à vous, les riches,
vous avez vos plaisirs ici-bas, profitez-en,
car les pauvres seront les élus. »
… Ne convoite pas la fortune
qui sans cesse fuit devant toi.
Comme à l’aigle, il lui pousse des plumes
et elle s’envole, emportée par le vent.
S’il était bon d’être riche sur cette terre,
le Christ aurait-il choisi la pauvreté ?
Respecte père et mère
afin que Dieu t’accorde longue vie
et que tu gardes ta dignité.
16 - Du respect des parents
Fou est sans conteste celui
qui donne tout à ses enfants,
qui se dépouille même de l’indispensable
dans l’illusion que le fils lui viendrait en aide
le jour où il aurait besoin de lui.
Bientôt on souhaitera sa mort,
il deviendra un hôte importun,
une charge pour ses enfants.
Mais il n’a que ce qu’il mérite,
puisqu’il était assez sot
pour se laisser griser de douces paroles.
Il mérite, en plus, le fouet !
Pourtant, ne vivra longtemps sur terre
celui qui ne respecte ni son père, ni sa mère.
La lumière se transformera en ténèbres
pour celui qui n’honore pas ses parents.
C’est à cause du père que le jeune Absalon (1)
dut périr, accroché dans un chêne.
Par contre, Tobie (2) apprit à
son fils à respecter et honorer sa mère.
Le grand roi Salomon (3) se levait toujours de son trône
pour saluer sa mère.
Dieu le Seigneur a dit :
« Respecte père et mère
et tu vivras longtemps
et comblé sur terre ! »
1) La révolte du prince Absalon contre son Père, le Roi David, roi d`Israël. (2 Samuel 15, et suivant)
2) « Honorez votre mère tous les jours de votre vie.» (Tobie 4, 3.)
3) «Bath Shéda se rendit auprès du roi Salomon pour lui parler en faveur d`Adonija. Le roi se leva pour aller a sa rencontre. Il se prosterna devant elle. (1 Rois 2, 19.)
Dernière édition par MichelT le Ven 15 Déc 2017 - 23:38, édité 2 fois
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: Le Nef des Fous – de Sebastian Brant -
On voit déjà dans l’alchimie
et dans la façon de traiter les vins,
combien supercherie et mensonge
dominent le monde.
17 - Des faussaires et trompeurs
Fraudeurs et faussaires foisonnent,
ils font partie de la ronde des fous.
Faux amours, faux conseils,
faux amis, fausses monnaies,
le monde est rempli d’infidélités.
La fraternité est morte, ou aveugle.
On ne cherche qu’à tricher et à éblouir.
On veut s’enrichir sans perte,
même si cent autres devaient en périr.
L’honnêteté n’a plus aucune valeur !
Pourvu qu’une affaire se réalise,
avec l’âme, on s’arrangera toujours.
Et si on meurt entre-temps,
Dieu sera clément !
Tous les vins sont frelatés,
à aucun on ne laisse sa pureté.
On réduit le poids, on réduit la mesure,
les coudées sont devenues très petites.
La boutique doit être bien obscure
afin qu’on ne voie pas le lustre des tissus.
Et pendant que le client admire
les fous exposés sur le comptoir,
on donne un petit coup à la balance
pour qu’elle descende jusqu’au plancher.
Au poids de viande qu’achète le client,
on ajoute celui du pouce.
On sait maintenant teindre toutes les fourrures,
en les tannant si mal
qu’elles perdent leur poil,
à peine les met-on pendant trois mois.
Avec du rat, on fabrique du vison,
on le sent venir de loin !
Chacun triche à sa façon,
aucune marchandise n’a plus aucun prix fixe,
c’est à qui volera l’autre tant qu’il pourra,
que ce soit du toc, ou rempli de vermine,
pourvu que cela se vende.
Heureux, pour sûr, celui qui sait se protéger
contre tant de malhonnête.
Source: Das Narrenschiff - académie de Strasbourg
Un lien pour imprimer une partie de La Nef des Fous
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Sujets similaires
» * Message Lumière * : Soyons des fous de l'Amour, des fous de Dieu, des saints !
» Espagne – Mgr Sebastian sous la pression du lobby homosexuel
» Fous et sages...
» Le jeune chancelier autrichien Sebastian Kurz a annoncé, le 8 juin 2018, son intention de fermer sept mosquées jugées pr
» *Avec les Sœurs et Frères de Don Bosco, les Ami(es) *: Donne-nous d’être assez fous
» Espagne – Mgr Sebastian sous la pression du lobby homosexuel
» Fous et sages...
» Le jeune chancelier autrichien Sebastian Kurz a annoncé, le 8 juin 2018, son intention de fermer sept mosquées jugées pr
» *Avec les Sœurs et Frères de Don Bosco, les Ami(es) *: Donne-nous d’être assez fous
Page 1 sur 1
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum