DU COMPTE QUE NOUS DEVRONS RENDRE A DIEU DE NOS BIENS - L`Enseignement catholique - 19 eme siècle

DU COMPTE QUE NOUS DEVRONS RENDRE A DIEU DE NOS BIENS

Par M. l'abbé GAUREL .

Source: L`Enseignement catholique de 1863

Rendez compte de votre administration . ( St Luc 16,2 )


Chrétiens, Chrétiennes,  comme l'économe infidèle dont il est parlé dans l’Évangile, il nous faudra rendre un jour compte à Dieu de notre administration . Nous avons été préposés, comme lui , à la gestion de beaucoup de biens : les biens du corps, les biens de l'âme. Ces biens ne doivent pas dépérir dans nos mains, mais fructifier . Lorsque notre gestion se terminera à la fin de cette vie si courte , nous paraîtrons devant le souverain Maître qui voudra savoir ce qu'il en est : Redde rationem villicationis tuæ - Rendez compte de votre administration. Tâchons, pendant qu'il en est temps , de bien connaître et d'aimer les devoirs que cette gestion nous impose, afin de pouvoir répondre au souverain Maître : j'ai fait valoir votre bien de mon mieux, sauf les erreurs inséparables de la faiblesse de ma nature . J'ai dit que nous tenions de Dieu deux sortes de biens : les biens temporels et les biens spirituels. Je ne parlerai aujourd'hui que des premiers. Les biens temporels sont en très-grand nombre. On peut ranger parmi eux tout ce qui se rapporte au corps : la force, la beauté, ainsi que ces sens admirables qui sont comme cinq portes ouvertes à l'âme sur le monde extérieur, et parmi lesquels les plus riches sont l'ouïe qui nous fait jouir des sons, et la vue qui nous fait jouir de la lumière. Nous aurons à revenir, dans quelque autre circonstance, sur ces divers biens dont nous devons faire aussi un juste usage et qui sont une si magnifique preuve de la munificence de Dieu envers nous ; je me contenterai pour aujourd'hui de vous parler de ceux qu'il a destinés à la subsistance de l'homme.

Ceux qui parmi nous posséderaient ces derniers biens sont dans une étrange erreur s'ils s'imaginent qu'ils ne les ont reçus que pour eux- mêmes. Nous ne sommes ici- bas que des administrateurs, des économes, et penser autrement ce serait accuser la Providence divine. L’Écriture nous enseigne que primitivement Dieu donna la terre à tous les hommes, à défaut de l’Écriture, la lumière naturelle suffirait pour établir que le Père céleste, en donnant la vie à ses créatures a dû mettre en même temps sous leurs mains les éléments réparateurs qui en sont la condition. Nous ne sommes donc pas, a proprement parler les propriétaires des biens que nous possédons, Dieu s`en est réservé le Haut-Domaine et nous les administrons pour Lui. Il nous assigne sur ces biens  ce qui nous est nécessaire pour une modeste subsistance, le reste appartient a ceux que le monde ou la force des choses a déshérité.

Entendez-moi bien!

L`homme, au regard de la loi humaine est propriétaire de ce qu`il possède et il peut en user et en abuser. Mais devant Dieu il en est tout autrement, ce qui est très légal socialement parlant peut-être très inique a Ses yeux. Le riche peut ici-bas aller de fêtes en fêtes, passer sa vie dans les plaisirs, dépenser des sommes folles aux exigences d`un luxe insensé et oublier pendant ce temps là le pauvre qui manque de tout et la loi humaine de trouve rien a y redire; mais il y a quelqu`un là-haut qui l`attend et qui lui dira a sa mort : «Rendez-moi compte de votre administration.» On sera peut-être tenté de répondre ? Mais je n'ai fait qu`abuser de ce qui m`appartenait, les hommes et la loi me l` autorisait également; je n`ai fait que suivre les us et coutumes de mon époque? Pensez-vous Chrétiens, Chrétiennes, que Dieu se contentera de cette réponse? Il opposera a cette complaisance des hommes, la Loi de Son Fils Bien-Aimé (L`Évangile). Ce luxe extravagant que nous admirons se fera honte a lui-même et surtout a la charité.

Examinons la question des biens temporels, au jour de la lumière divine.

Vous êtes tous Chrétiens, et par conséquent enseignement de Jésus-Christ doit faire loi pour vous. Il enseignait la simplicité de la vie, le mépris du luxe, la modération des désirs. Sa doctrine avait aussi pour but d`établir un certain équilibre des biens. Il condamnait donc un luxe insensé parce que l`extravagance porte un coup mortel aux nécessités des autres. Si je faisais  intervenir dans cette querelle les Père de l’Église, vous seriez surpris. Ils sont unanimes à dire que lorsque nous avons pris sur nos biens, ce qui est nécessaire a notre subsistance le surplus ne nous appartient pas, qu`il est la part des pauvres et que la lui ravir, c`est un vol, nous dit saint-Augustin.

lls regardent uniquement le riche, comme économe et dispensateur. Ils le comparent à une nuée que Dieu ne met au dessus des champs que pour les fertiliser en s'épanchant sur eux en bienfaisante rosée. Ah! cette époque  ou  nous vivons aura beaucoup de comptes à rendre! Si le monde suivait plus la doctrine du divin Maître, on ne verrait point, sans doute , tous ces raffinements, toutes ces élégances, ces splendides voitures, ces fastueux édifices ; mais on verrait , en revanche, plus de visages contents, plus d'aisance générale, plus de bonheur réel . C'est l'administration chrétienne des biens temporels qui ferait ce travail .

Il me semble que le malheur de ce temps vient surtout d'une erreur de jugement. On met sa vie dans le luxe, dans la matière en sortirait - il quelque chose pour le cœur ? Il demeure vide au milieu de ces splendeurs, parce que le foyer de sa vie est en lui- même, non dans les yeux. Jésus enseignait que le bonheur consiste à nous aimer les uns les autres. L'amour! voilà la vie . Une obole donnée au pauvre fera plus pour le bonheur d'une de vos journées que les divertissements les plus coûteux. Encore une fois, les hommes d'aujourd'hui se trompent, et ce qu'il faut leur prêcher, c'est de revenir à des idées saines. Gérer ses biens chrétiennement, c'est en tirer le meilleur profit. Gérer ses biens chrétiennement, c'est le retour à la simplicité vantée même par les païens, c'est l'abaissement de la matière et la glorification de l'esprit, c'est notre frère secouru , c'est l'aisance répandue, c'est l'âme élargissant sa vie, c'est la joie et la paix .

Pour moi, je crois plus heureux cet homme qui use chrétiennement de ses biens, qui en fait une large part aux misères d'autrui, qui n'a que des habitudes simples et modestes, qui vit autant dans les autres qu'en lui-même, je le crois plus heureux, dis-je , que ces milliers d'hommes que j'ai vus sous les piliers de la Bourse attendre fiévreusement ... la cote de la bourse !  On se pique d'être chrétiens, et l'on porte la frénésie de l'or et de l'argent plus loin que l'on ne l'a jamais fait, on se pique d'être chrétiens, et l'on se livre sans remords à toutes ses convoitises. On se pique d'être chrétiens, et l'on sacrifie à mille fantaisies ruineuses qui diminuent d'autant le nécessaire des misérables. On se pique d'être chrétiens, et l'on ne s’aperçoit pas qu'on scandaliserait les païens mêmes ! Revenons à Jésus-Christ ; imitons sa vie ; il n'était pas venu pour être servi, mais pour servir ; il était doux et humble de cœur; toute sa vie se passa à faire du bien ; il guérissait les malades, consolait les affligés, nourrissait les malheureux; il est mort pour tous. Proposons - nous un si beau modèle. Sortons de ce cercle étroit de nous-mêmes, où notre égoïsme voudrait nous retenir. Élargissons notre vie en l'étendant sur nos frères . Rendons notre pain plus sain et notre vin meilleur, en leur en faisant part. Voilà la vie vraiment chrétienne, la vie vraiment noble et j'ajoute la vie heureuse. Elle sera un commencement, un germe de cette vie céleste où Dieu sera tout en tous et où tous nous serons en lui. - Ainsi soit- il.