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HOMÉLIE SUR LA PARABOLE DE L'ÉCONOME INFIDÈLE (Devoirs chrétiens sur la richesse et le luxe) - France - 19 ème siècle

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Message par MichelT Ven 9 Juil 2021 - 20:14

HOMÉLIE SUR LA PARABOLE DE L'ÉCONOME INFIDÈLE

Donnée a Montpellier (France) dans une assemblée de charité au 19 eme siècle

Source : Oeuvres du Père Ventura de Raulica -Conférences -Sermons et Homélies – (Italie et France -année 1865) - Nos devoirs chrétiens avec l`argent - les bons riches - les mauvais riches.

HOMÉLIE SUR LA PARABOLE DE L'ÉCONOME INFIDÈLE (Devoirs chrétiens sur la richesse et le luxe) - France - 19 ème siècle Canadian-money

Faites- vous des amis avec les richesses injustes, et lorsque vous viendrez à manquer , ils vous recevront dans les tabernacles éternels . (Luc 16,9)


C'est un spectacle bien douloureux aux yeux de la foi que de voir les sacrifices qu'on s'impose , les humiliations auxquelles on se soumet, les bassesses auxquelles on descend pour se ménager des protecteurs, des amis auprès des maîtres de la terre ; tandis qu'on ne fait rien , ou presque rien , pour se procurer des amis et des protecteurs auprès du grand monarque du ciel, du maître de l'univers . Ce fut donc pour nous prémunir contre ce grand scandale, et nous préserver de cette contradiction monstrueuse, que le Fils de Dieu adressa aux riches de ce monde ces paroles si douces et si touchantes, et en même temps si menaçantes et si sévères, pour quiconque sait les approfondir : « Convertissez en capital de vertu les gains et les épargnes, fruits de l'iniquité. Faites-vous des amis pour le ciel au moyen des biens de la terre ; et lorsque vous viendrez à mourir , ces amis vous accueilleront dans leurs bras et vous introduiront dans les tabernacles éternels .»

Afin de mieux imprimer dans nos cœurs cette importante doctrine, Jésus- Christ la présente comme la moralité de sa parabole sur l'économe infidèle , et l'en déduit comme une conséquence de son principe. Appelé que je suis en ce jour à plaider devant vous la cause des pauvres, je ne crois pas pouvoir faire mieux et je ne ferai pas autre chose que de vous expliquer cette doctrine et cette parabole. Je devrais craindre , ne possédant pas et ne parlant pas facilement votre belle langue , de compromettre plus que je ne servirais la cause qui m'est confiée. Mais deux choses me rassurent : votre indulgence accoutumée, et puis la conviction où vous serez qu'en plaidant la cause du pauvre c'est votre propre cause que je plaide, la cause de votre bonheur dans le temps et dans l'éternité. pour réussir sûrement, implorons le secours de Marie , mère de la miséricorde et de la charité ; de Marie consolatrice des affligés, espérance de ceux qui n'ont plus d'espoir ; de Marie qui, en nous donnant le pain vivant descendu des cieux, nous a donné le divin ferment, l'immortel aliment de toute œuvre et de toute institution charitable . Ave Maria .

Il y avait, nous dit Jésus-Christ dans l'Évangile, un puissant et riche Seigneur qui avait confié à un économe l'administration de tous ses biens (Luc 16,1 ). Or ce riche et puissant Seigneur , selon le célèbre interprète Alcuin , c'est Dieu lui-même; et nous chrétiens nous sommes ses économes, ayant tous contracté au baptême l'engagement solennel de bien user de notre vie pour notre véritable avantage et pour celui du prochain  Comprenez donc bien, vous dit saint Ambroise, que tout ce que vous avez d'avantages dus à la naissance ou à la fortune, tout ce que vous avez de qualités de l'âme et de dons corporels, de grâces spirituelles et de biens terrestres, tout ce que vous dites être à vous n'est pas à vous proprement, mais à Dieu , l'auteur, le dispensateur, le maître souverain de tous les biens, et qui vous en a confié seulement l'administration et l'usage, mais non la propriété

Mais qu'est- ce donc à dire ? l'Évangile aurait-il donc condamné le droit de propriété ? Non, mes frères, l'Évangile, loin de condamner , consacre la propriété, et, mieux que toute loi, la garantit par une sanction divine. La même loi évangélique qui, sous la menace d'un malheur éternel, défend de tuer l'homme; qui défend de déshonorer la femme; qui défend d'attenter à la réputation d'autrui; cette même loi défend, sous la même menace , de s'approprier la plus petite portion du bien d'autrui; et elle pousse la sévérité jusqu'au point de condamner non -seulement le vol, mais encore tout injuste désir de la fortune d'autrui; vous ne convoiterez pas. Cependant prenons garde : par là Dieu a voulu régler les rapports de l'homme avec l'homme; rapports impossibles si nos droits respectifs n'étaient bien définis et n'étaient vis -à vis de nos semblables des droits absolus. Mais dans les rapports de l'homme avec Dieu , il en va bien autrement. Dieu , sans cesser d'être Dieu , ne peut, en nous investissant de certains droits, abdiquer le droit souverain qu'il a sur toute personne et sur toute chose . Aussi voyons-nous, par la parabole de l'économe, que Dieu , en nous accordant de l'aisance, de la richesse , ne nous donne pas le droit d'en jouir sans réserve et sans restriction.

C'est une donation , il est vrai, mais une donation à titre onéreux . Or, comment à titre onéreux ? le voici : à condition que nous serons pour le pauvre ce que Dieu a été pour nous ; à condition que chacun de nous soit le bienfaiteur, le père , la providence, le Dieu du pauvre , comme Dieu a été si éminemment pour nous notre Bienfaiteur, notre Père, notre Providence , notre Dieu ; à condition que nous ferons part au pauvre des biens que Dieu nous a confiés, que nous consacrerons au moins le superflu de nos revenus au soulagement du pauvre (Luc 11,41) ; ainsi nos biens ne sont pas libres de toute redevance; Dieu a hypothéqué sur ces biens la subsistance du pauvre. On peut dire même que, vis -à - vis de Dieu , nous n'en avons qu'une sorte d'usufruit et non pas une possession perpétuelle et indépendante. J'ai donc eu raison de dire que Dieu est ce maître riche et puissant dont parle la parabole; maître plus puissant et plus riche que tout autre, puisqu'il est le souverain maître du ciel et de la terre, et qu'il nous a tous constitués ses administrateurs et ses économes auprès des pauvres . Mais par les mêmes paroles qui proclament les devoirs du riche envers le pauvre , Jésus-Christ a su aussi prévenir les injustes prétentions du pauvre; il lui a interdit toute action sur le bien du riche . En effet, l'administrateur, l'économe, ne doit rendre compte de son administration qu'à son maître. A -t-il mal administré ? c'est au maître à le destituer , à exiger la reddition de ses comptes. Mais personne n'a le droit d'intervenir.

Ainsi Jésus- Christ, par cela même qu'il a déclaré le riche son administrateur et son économe, l'a soustrait à tout contrôle humain , quant à l'usage des biens qu'il lui a confiés. Le pauvre lui-même, en faveur duquel Dieu a créé un droit sur le superflu des riches (Luc 11,41), ne peut pas faire valoir ce droit en justice par-devant les tribunaux humains. Moins encore peut-il se faire justice par lui-même et se venger par le pillage et par le vol de la dureté du riche. Le pauvre qui vole le riche est aussi coupable devant Dieu que le riche qui refuse tout secours au pauvre . Mais la cause du pauvre contre le riche est une affaire entre l'homme et Dieu , et les autres hommes n'ont rien à y voir. Ce n'est, après tout, qu'une affaire entre l'administrateur et son maître. Or voulez -vous savoir quel est, au tribunal de Dieu, le sort du riche que Dieu même avait rendu indépendant et non justiciable des tribunaux de la terre? La suite de la parabole vous l'apprendra. L'économe de l'Évangile, ne gardant plus ni discrétion, ni mesure dans les malversations et les gaspillages de toute sorte, fut dénoncé par la clameur publique auprès de son maître, comme dissipateur et administrateur infidèle (Luc 16,1). Oh ! la terrible vérité que Jésus-Christ nous a révélée par cette circonstance de sa parabole !

C'est- à -dire que toutes les fois que le chrétien se sert de ses talents pour s'enorgueillir, de son autorité pour opprimer le faible, de son crédit et de sa fortune ou pour séduire l'innocence ou pour corrompre la justice, au lieu de mettre crédit, puissance , richesse, au service du pauvre et de la vertu délaissée , alors un cri redoutable s'élève contre lui vers le tribunal de Dieu ; alors de toutes parts on entend des voix accusatrices qui dénoncent l'abus qu'il fait des dons de Dieu contre Dieu même. Dieu ne doit pas, ne peut pas souffrir toujours et se taire en présence d'un pareil abus de ses dons. Sa patience s'épuise , sa miséricorde se lasse, et un jour vient où il fait justice de ces accusations et des cris du pauvre (Psaume 9,13) . Hâtons-nous donc, nous dit saint Pierre Chrysostome, d'empêcher que de pareilles accusations ne nous préviennent auprès du Juge suprême. Hâtons-nous d'étouffer par l'exercice de la miséricorde ces cris accusateurs de notre injustice et de notre peu de charité; autrement nous n'éviterons pas le sort de l'économe infidèle . En effet, le maître de cet économe ayant constaté ses malversations et ses méfaits , tout d'un coup , à l'improviste , et lorsqu'il s'y attendait le moins, le fait venir devant lui, le somme de rendre compte des infidélités passées , et lui enlève, avant le terme fixé , toute administration pour l'avenir (Luc 16,2). C'est aussi ce qui, à la longue, arrive à tout chrétien qui ne fait pas un usage légitime et charitable des biens temporels qu'il a reçus : « Dieu le destitue, dit saint-Grégoire ; Dieu lui enlève la richesse, au moyen de ces revers imprévus, qui souvent, en peu de jours, réduisent à néant les plus grandes fortunes , ou bien , par une mort prématurée et soudaine, le cite à son tribunal éternel pour y être jugé avec rigueur , condamné sans miséricorde.»

Quelle sera donc alors notre consternation et notre épouvante ? L'économe de l'Évangile , entendant la signification de l'ordre qui le privait de son emploi : « Malheureux que je suis ! s'écriait-il ; voilà que mon maître me chasse de sa maison , me prive de toute ressource pour vivre. Que vais -je devenir , et que puis-je faire maintenant? Travailler à la terre ? je n'en ai pas la force; mendier? je n'en ai pas le courage ( Luc 16,3). »  Entendons bien, nous dit Eusébe d'Émèse , l'importante vérité que nous révèlent ces tristes paroles de l'économe infidèle. «Pendant cette vie , nous avons, pour cultiver le terrain stérile de notre cœur, la bêche de la componction et de la pénitence ; et ainsi nous pouvons obtenir des produits qui seront notre ressource pour la vie éternelle. Pendant cette vie, nous pouvons mendier avec succès l'intercession des saints et des anges, et surtout de l'auguste Vierge , auprès de Dieu. Mais, hélas ! à l'heure de la mort, dans les derniers instants de la dernière maladie , ne conservant plus assez de force, assez de présence d'esprit, nous ne pourrons travailler à remuer, à remettre en ordre notre cœur».

Nous n'aurons peut-être plus assez d'assurance pour solliciter ,assez de confiance pour espérer le secours de la Mère de Dieu , que nous aurons oubliée ; des anges , que nous aurons méconnus; des saints , dont nous nous serons moqués. Hélas ! il est bien tard pour s'exciter à la contrition lorsque le cœur s'est endurci ! il est bien difficile de faire un pénitent d'un homme qui n'est presque plus qu'un cadavre ! Osera -t- on se tourner vers Dieu pour lui demander sa miséricorde dont on a tant abusé un pardon que l'on désespère d'obtenir ? Prévenons, maintenant qu'il en est temps encore, les suites d'une fin si déplorable. Hâtons- nous d'imiter l'économe de l'Évangile . Que fait- il? il profite des moments où la procuration et la signature de son maître ne lui ont pas encore été retirées. Il réunit ses débiteurs; il leur remet, au moyen d'une quittance en règle , une portion de ce qu'ils devaient à son maître .

Car , disait- il , « ces débiteurs se souviendront un jour de l'indulgence dont j'ai usé à leur égard aujourd'hui, et ils m'accorderont un asile chez eux , lorsque je serai chassé de la maison de mon maître (Luc 16,4). » Or, ce qui paraît d'abord bien surprenant, le maître, loin de blâmer son économe de ce nouvel acte d'infidélité , n'a que des éloges pour son astucieuse prévoyance. Que peut signifier une indulgence aussi étrange? Est- ce par hasard que l'approbation divine nous est assurée , si, à l'exemple du mandataire frauduleux , nous usurpons, nous dérobons le bien d'autrui? Comprenons mieux la parabole : cette parabole met en relief non pas les rapports d'intérêts d'homme à homme, mais les rapports de l'homme avec Dieu ; et elle renferme toute la législation de la charité. Le maître de l'Évangile n'avait certainement pas confié ses biens à son économe pour qu'il lui fût loisible de les employer à se faire des amis. Dieu pouvait sans doute procéder de la même manière avec nous. C'est de Dieu que nous tenons nos biens, même ceux que nous possédons par des voies légitimes . C'est  lui qui nous les a donnés en bénissant nos travaux , nos industries , la culture de nos terres. Il en est le propriétaire véritable , le véritable maître . Il pouvait donc nous imposer la condition de les partager avec les pauvres , à titre de justice , et en qualité d'économes et de payeurs du divin Maître.

(Note: Dieu fait pousser les arbres et le bois avec lequel est construit nos maisons -  Il fait pousser les fruits, les légumes, les récoltes. Il donne vie aux animaux qui servent de nourriture et a nos animaux de compagnie, Il donne l`eau que nous buvons. Il donne nos enfants. Il donne les pluies qui fertilise les champs de culture. Il donne le métal et la pierre. L`homme travaille seulement les matériaux donnés par Dieu. Dieu a construit la beauté des paysages, ect - Nous devons donc remercier Dieu a la Messe et dans nos prières pour ses bontés.- Actions de Grâces - TE DEUM )

Dans cette hypothèse, nous n'aurions fait que remettre aux pauvres ce que Dieu leur a destiné ; et en faisant l'aumône nous n'aurions eu aucun mérite devant Dieu , aucun droit à la reconnaissance des hommes. Mais le Dieu de bonté a voulu agir tout autrement avec nous. Il impose à l'homme de respecter toujours le bien d'autrui, comme s'il en était autant le véritable propriétaire devant Dieu qu'il l'est devant les hommes. En matière de charité, il nous a affranchis de toute contrainte imposée de par la loi civile . Il nous a laissés parfaitement libres de faire ou refuser l'aumône. Ainsi , comme nous l'avons déjà fait comprendre , ce n'est pas le gouvernement, mais l'Église ; ce n'est pas le code, mais l'Évangile ; ce ne sont pas les tribunaux , mais la conscience , que Dieu a chargés de nous rappeler à l'accomplissement des devoirs de la charité . Il ne s'en est pas tenu là . Lorsque nous donnons quelque chose aux pauvres , Dieu daigne considérer cette donation comme un acte de générosité de notre part ; tandis qu'elle n'est que l'accomplissement d'un devoir de justice .

Il nous traite et nous considère comme si nous avions donné ce qui est à nous. Il loue notre adresse à nous faire des amis avec son propre bien ; il promet de récompenser une charité exercée avec des ressources qui ne sont pas les nôtres. Voilà ce que figure cette étonnante louange donnée dans la parabole à l'économe infidèle. Ainsi Dieu , par une adorable condescendance , veut nous amener à nous faire des amis avec ses propres biens ; et voilà pourquoi Jésus- Christ conclut sa parabole par cette grave exhortation : « Faites- vous , avec l'argent de l'iniquité , des amis qui, après votre mort , vous accueilleront dans les demeures éternelles .»

Jésus- Christ appelle les richesses « l'argent de l'iniquité». Et cela d'abord , dit saint Jérôme, « parce qu'il est rare que le riche ne soit ou l'héritier d'un injuste ou un injuste lui-même.» « Et cela , dit Eusébe d'Émèse , parce que les richesses, même quand elles ne doivent rien à l'usure et aux friponneries de toute sorte, même quand elles n'ont pas à rougir de leur origine ni de leur accroissement, ne sont que trop souvent l’aliment du faste et de la volupté; et trop souvent aussi un instrument de tyrannie et d'oppression. » Il y a, d'ailleurs, injustice dans la propension que nous avons à nous regarder comme maîtres absolus et indépendants de nos richesses ; Dieu , comme nous l'avons vu , ne nous en ayant confié que l'administration.

Et toutefois, telle est la bonté de Dieu , que non -seulement il nous permet ,mais il nous exhorte et nous oblige à nous ménager des amis avec ces mêmes biens qui ont presque toujours quelque tache d'injustice ou dans leur origine, ou dans leur gestion , ou dans leur usage. Il promet de louer lui-même de sa bouche divine nos aumônes, et de les récompenser comme des actes de générosité exquise , tandis qu'ils n'auront été , par rapport à Dieu , que des actes de justice et de stricte équité. Il nous présente , au terme de la vie, la belle perspective des pauvres secourus par nous venant à notre rencontre au moment de notre mort, pour nous accompagner et nous introduire dans les demeures éternelles. Mais, direz -vous peut-être , si les pauvres ne vont pas au ciel , s'ils ne nous précèdent pas dans le chemin de l'éternité , comment expliquer qu'ils viendront à notre rencontre à l'heure de la mort ? Tranquillisez-vous, Jésus- Christ n'a -t-il pas déclaré lui-même que tout ce que nous donnons aux pauvres ,c'est à lui-même que nous le donnons ? En effet , Jésus- Christ étant , comme fils de Dieu , infiniment riche, s'est fait pauvre pour nous, comme fils de l'homme, a vécu pauvre , est mort pauvre. Maintenant qu'il s'est retiré dans le ciel, il n'en continue pas moins à être pauvre , à vivre pauvre sur la terre dans la personne des pauvres, par lesquels il déclare être représenté ; de sorte que les prières des pauvres sont ses prières , les larmes des pauvres sont ses larmes, les souffrances des pauvres sont ses souffrances ; c'est donc lui-même, et en lui les anges et les saints, que nous nous rendons favorables et dont nous nous faisons des amis en secourant les pauvres .

Ainsi,de même que le pauvre représente Jésus- Christ sur la terre , Jésus -Christ , pareillement, représente le pauvre dans le ciel. Ainsi, à défaut du pauvre que vous aurez secouru , Jésus- Christ et ses saints seront toujours prêts à vous accueillir sur le seuil de l'éternité. Eh quoi! les riches charitables , mais oublieux des autres préceptes, pourront donc se sauver sans repentir, sans pénitence , sans observation de la loi tout entière ? Non sans doute, mes frères, mais telle est la bonté de Dieu, tel est à ses yeux le mérite de la charité, que les actes de cette vertu obtiendront sûrement et le temps, et la grâce , et l'esprit de la vraie pénitence aux plus grands pécheurs . Ceci nous ne l'inventons point, nous ne le disons pas de nous-mêmes. L'Écriture sainte elle-même nous révèle la puissance de l'aumône.

Nous pouvons en effet, d'après l'Écriture même, nous représenter la charité comme une tendre mère qui couvre de son manteau toutes les misères de l'âme et les dérobe, pour ainsi dire, à l'oeil de la justice (1 Pierre 4,8). L'aumône, d'après l’Écriture, est une sorte de rédemption , qui décharge l'homme de toutes les suites de son péché (Daniel 4,14). L'aumône est l'ange thaumaturge qui nous arrache à la mort éternelle et nous est un sûr garant de la miséricorde divine. Ainsi, dit Saint-Grégoire, ces pauvres que nous rencontrons, qui nous importunent de leurs prières, qui nous attristent par le spectacle de leurs haillons et de leurs infirmités, ces pauvres, aujourd'hui rebut du monde, ce sont, aux yeux de la foi, des êtres privilégiés. Ils nous demandent aide et secours aujourd'hui; un jour ils seront nos patrons et nos intercesseurs , si nous le voulons bien. Oui, ces pauvres peuvent promettre avec certitude de tenir plus qu'ils ne demandent; ils obtiennent pour leurs bienfaiteurs plus qu'ils ne reçoivent. Ils reçoivent ici-bas les soulagements du corps, et ils nous obtiennent au ciel le salut de l'âme; ils nous demandent quelques pièces de monnaie pour le temps; et ils nous procurent les richesses du paradis pour l'éternité. Voyez , s'il est possible de refuser , lorsque ceux qui nous présentent leur requête, vont devenir pour nous de si puissants intercesseurs.

Mais il y a encore une circonstance dans la parabole que je n'ai pas expliquée et qui mérite bien de fixer toute votre attention . C'est qu'après nous avoir parlé de l'astucieuse habileté du ministre infidèle, après nous avoir dit comment il sut s'y prendre pour s'assurer des ressources dans l'avenir aux dépens de son maître , Jésus -Christ, avec le ton d'une sainte tristesse et l'accent d'une divine douleur s'écrie en terminant : « Hélas ! les fils du siècle , au milieu de leur génération , sont plus clairvoyants et plus habiles que les fils de la lumière (Luc 16,8). C'est en effet ce qu'on ne voit que trop, ce qu'on a trop souvent à déplorer au sein des populations catholiques. Hélas ! si, pour se sauver, l'on faisait seulement la centième partie de ce que l'on fait pour se perdre..... !

Il n'est sorte de sacrifice auquel on ne souscrive pour s'assurer les biens de ce monde; et on recule devant tout sacrifice, devant tout effort, quand il s'agit des biens de l'éternité ! Remarquez ici avec quelle précision Jésus -Christ partage le genre humain tout entier comme en deux familles , en deux nations. Tandis qu'aux yeux du monde il y a dans le genre humain des distinctions infinies de nations, de familles, de castes, de dynasties , de conditions diverses ; Jésus- Christ, de son regard divin ,mesurant toutes les générations et toutes les variétés de conditions différentes, les classe toutes sous deux divisions : d'un côté les fils des ténèbres, de l'autre les fils de la lumière ; d'une part ceux qui, d'après l'Évangile, sont nés de la chair, «vous êtes du diable votre père.» (Jean 8,44), d'autre part ceux qui sont nés de Dieu (Jean 8,47 ) ; ou si vous voulez encore, les enfants du siècle présent et les enfants du siècle futur.

Voulez -vous maintenant savoir, quant au sujet qui nous occupe, quelle est cette illustre génération , cette noble famille des enfants de Dieu ? Ce sont ces riches que vous voyez au milieu de vous, aussi nobles par le cœur que par la naissance, aussi illustres par la piété que par le nom , qui ne trouvent d'autre avantage dans les richesses que de pouvoir faire des heureux ; qui s'estiment plus heureux eux -mêmes de donner que les pauvres de recevoir ; auprès desquels on n'invoque jamais en vain assistance et secours ; et dont la générosité inépuisable soutient et fait prospérer tant d'oeuvres de charité et de religion , au sein de cette ville si noble et si chrétienne. Ce sont ces héroïques filles de la charité, ces admirables soeurs de la miséricorde , en qui l'esprit toujours vivant de saint-Vincent de Paul réalise des prodiges toujours nouveaux de dévouement. Ce sont aussi ces personnes vertueuses, qui, quoique dénuées des biens de la fortune, trouvent encore moyen d'être bienfaisantes à leur manière ; qui regrettent d'être pauvres, seulement parce qu'elles ne peuvent, selon leurs désirs, soulager les pauvres ; mais qui, par l'exemple de leur résignation , par leurs conseils, par mille services ingénieusement rendus, trouvent moyen d'exercer une charité féconde et précieuse à l'Église de Jésus- Christ.

Oui, voilà les chrétiens qui forment la véritable génération , la véritable famille des enfants de Dieu, précisément parce qu'ils ne cherchent que Dieu ; ils ne voient que Dieu dans la personne du pauvre et dans toutes leurs saintes entreprises . Le prophète les voyait en esprit, quand il s'écriait : C'est ici la génération de ceux qui cherchent le Seigneur, qui cherchent la face du Dieu de Jacob (Psaume 23,6). Génération vraiment heureuse et aimée du ciel, parce que Dieu est avec elle et en elle : Le Seigneur, dit encore le prophète , est dans la génération sainte. (Psaume 13,6) Oui, âmes charitables, Dieu est avec vous, pour surveiller , protéger, pour bénir vos personnes, vos familles, vos biens (Psaume 111,2). Quelquefois le monde pourra insulter à votre vertu et à votre charité, ainsi que faisait la femme de Tobie, quand elle ne comprenait encore rien aux épreuves du juste. Mais tous ces mépris sont passagers, et la récompense de la vertu sera éternelle . Or , en attendant que nous obtenions le bonheur de l'éternité , Dieu réalise assez souvent, dès ici-bas, la prospérité des familles charitables, pour confondre les détracteurs de la Providence et de la vertu (Psaume 11,3).

Le mauvais riche

Voulons-nous maintenant savoir quelle est cette génération des fils de Satan qui se croit si habile, qui se croit seule sage et éclairée dans le choix du vrai bonheur ? Ce sont ces riches incrédules , dont l'insatiable avarice, selon saint Augustin , foule aux pieds avec la même insolence et la crainte de Dieu et le respect de l'homme. Ce sont ces hommes à l'âme de bête immonde, selon l'expression de saint Basile, lesquels , à l'exemple du mauvais riche de l'Évangile, ne se servent des richesses que pour se plonger dans tous les excès du luxe et de la volupté. Ce sont ces idoles dorées , tour à tour si encensées et si enviées du monde ; et qui en même temps cachent sous des habits brodés, sous un vernis de politesse, sous des manières distinguées, une âme ignoble , un détestable naturel. Ce sont ces riches , égoïstes à la fois et vaniteux , voluptueux et cruels, ambitieux et avares, à la poitrine sans cœur, à l'âme de fer, qui non -seulement ne donnent jamais rien aux pauvres, mais qui ne se croyant pas assez sûrs de la dureté de leur naturel se fortifient contre toutes les surprises de la sensibilité , et prennent toute espèce de précautions, afin que le pauvre n'approche pas de leur porte , que les gémissements du malheur ne parviennent jamais à leurs oreilles, et que le spectacle de la misère ne tombe jamais sous leurs yeux . Ce sont ces égoïstes hypocrites qui, pour se justifier de prodiguer aux chiens et aux chevaux ce qu'ils refusent aux premiers besoins de l'homme, traitent les pauvres de fripons et de fainéants ; comme si ce n'était pas assez de méconnaître , en les délaissant, le caractère sacré que Jésus-Christ a imprimé sur les pauvres; comme si ce n'était pas assez de les frustrer des bienfaits préparés  pour eux dans le plan de la Providence, sans venir encore, par un double sacrilège, après les avoir délaissés, les calomnier et les vouer à l'infamie .

Oh ! que cette génération méchante et adultère (Matthieu 12,39) est infâme et maudite aux yeux de Dieu ! Je n'entreprendrai pas de le dire aujourd'hui. Aussi bien nulle expression, nulle image ne pourrait y suffire. Une seule parole saura et les démasquer et les flétrir comme ils le méritent ; ce sera la parole du Juge suprême prononcée au dernier jour du monde : Retirez-vous de moi ! Je ne vous ferai pas l'injure de vous demander maintenant à laquelle de ces deux générations vous voulez appartenir. Ne serait- ce pas, en effet, insulter tout ensemble et votre patriotisme et votre foi, que de vous demander si vous voulez fermer votre cœur et vos oreilles à la voix du malheur, aux supplications de la misère et de la souffrance ?

Chrétiens et Français, vous n'aurez pas oublié que la compatissance pour la misère est la première loi du christianisme et l'un des caractères propres de votre nation . Non , non, je ne crains pas d'avoir pu compromettre aujourd'hui la cause que j'ai entrepris de plaider devant cet auditoire . Après tout, ce n'est pas un étranger peu exercé dans votre langue, et qui n'ose se flatter d'avoir crédit et autorité auprès de vous tous, qui peut nuire au triomphe d'une si noble cause . En effet, ce n'est pas moi, c'est Jésus Christ lui-même qui vous convie à vous faire des protecteurs et des amis avec les richesses toujours entachées d'injustice. Ce n'est pas moi, c'est Jésus-Christ lui- même qui vous exhorte à purifier vos dons en les faisant passer par les mains pures et virginales des héroïques filles de Saint- Vincent de Paul. Oui, la collecte sera large et magnifique, elle répondra à la multiplicité des besoins que doit soulager cette œuvre si excellente ; elle justifiera l'idée que je conçus des sentiments de cette noble cité, lorsque en y entrant la première fois je vis le sanctuaire de la charité surgir majestueux à côté des célèbres établissements de la science , comme pour les embellir et les couronner. Et Dieu dans le temps vous rendra, en échange d'un or sujet à la rouille, l'or pur de sa grâce et de la sainteté. En attendant qu'il vous donne avec profusion dans l'éternité les seules richesses incommutables, les seules richesses qui ne sont pas un instrument et un moyen , mais le terme de tous les désirs et de tous les voeux; et ces richesses, ce sont les pauvres, jadis banquiers de Jésus- Christ sur la terre, qui, devenus les gardiens et les plénipotentiaires de Jésus-Christ à la porte des cieux , vous en mettront pour jamais en possession . Ainsi soit- il

MichelT

Date d'inscription : 06/02/2010

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