Comment l’évangile a mis le feu au monde : enquête sur les premiers chrétiens
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Comment l’évangile a mis le feu au monde : enquête sur les premiers chrétiens
Comment l’évangile a mis le feu au monde : enquête sur les premiers chrétiens
Le christianisme a essaimé très rapidement, au Ier siècle, depuis Jérusalem vers la Syrie, la Turquie, la Grèce... et jusqu’à Rome. Que sait-on de cet essor impulsé par les premiers chrétiens, comment le comprendre et peut-il nous inspirer ? Enquête.
Une photo montre un crâne humain dans les catacombes de Sainte
Priscille à Rome. - AFP PHOTO / Filippo MONTEFORTE
Le christianisme a essaimé très rapidement, au Ier siècle, depuis Jérusalem vers la Syrie, la Turquie, la Grèce... et jusqu’à Rome. Que sait-on de cet essor impulsé par les premiers chrétiens, comment le comprendre et peut-il nous inspirer ? Enquête.
Une photo montre un crâne humain dans les catacombes de Sainte
Priscille à Rome. - AFP PHOTO / Filippo MONTEFORTE
Publié le 31/12/2021 à 08:00
Nous sommes en l’an 64 après Jésus-Christ. Trente-quatre ans après la crucifixion à Jérusalem, la présence du christianisme est attestée dans ce que sont aujourd’hui Israël, la Palestine, le Liban, la Syrie, la Turquie, Chypre, Malte, la Macédoine, la Grèce et l’Italie. Saint Paul a déjà envoyé plusieurs lettres aux chrétiens des villes de Thessalonique, Corinthe (Grèce) et Philippe (Macédoine), qu’il a visitées dix ans plus tôt. À Rome, où il se trouve, les chrétiens sont suffisamment connus pour que Néron choisisse, pour calmer la colère du peuple, d’en faire le bouc émissaire de l’incendie qu’il aurait allumé. Cet essor remarquable du christianisme, en une trentaine d’années, interroge. Quelle fut son ampleur exacte ? Comment expliquer un tel succès ?
Des sources peu abondantes
Enquêter sur les chrétiens du Ier siècle pose, en premier lieu, la question des sources. Sur quels éléments fiables s’appuyer pour retracer leur histoire ? « Les sources ne sont pas très abondantes », remarque l’historien Paul Mattéi (1), qui souligne l’absence de traces archéologiques connues du christianisme (inscriptions, signes chrétiens sur des sarcophages...) qui remonteraient avec certitude au Ier siècle. Les sources sont donc exclusivement écrites. La première, ce sont les écrits du Nouveau Testament, en particulier les Actes des Apôtres. Rédigés vers 80 par l’évangéliste et médecin saint Luc, ils forment le récit des faits et gestes de la toute première communauté chrétienne, et de la diffusion de l’Évangile auprès des juifs et des païens.
« C’est une source précoce, explique Paul Mattéi, mais qui ne couvre qu’une partie de la période puisque le récit s’arrête dans les années 60 (lors de l’arrivée de saint Paul à Rome), et partielle, car, à partir d’un certain moment, ce texte rédigé par l’apôtre Luc se concentre sur saint Paul et ses voyages missionnaires et ne dit plus rien du reste. » D’autres sources les complètent en partie : la première épître de Clément (évêque de Rome), écrite dans les années 90 ; la Didachè, document fournissant des indications disciplinaires et liturgiques et remontant à la fin du Ier siècle ; et certains écrits d’historiens comme Suétone, qui évoque dans sa Vie des douze Césars l’expulsion de chrétiens hors de Rome dans les années 40, ou Tacite, qui raconte la persécution des chrétiens à Rome dans les années 60.
« L’Esprit Saint est à l’œuvre partout »
Aussi limitées soient-elles, ces sources permettent d’apporter de nombreux éléments sur les toutes premières années du christianisme, et d’éclairer le mystère de sa diffusion rapide. Le premier élément explicatif qui s’impose, lorsque l’on parcourt les Actes des Apôtres, est la force surnaturelle à laquelle se réfèrent constamment les Apôtres : l’Esprit Saint. « On s’interroge sur la place des synagogues, sur celle des réseaux sur lesquels s’appuyaient les disciples de Jésus », souligne Roselyne Dupont-Roc, professeur d’exégèse à l’Institut catholique de Paris et coauteur d’un dictionnaire collectif sur le christianisme primitif (2). « Mais je pense que tout cela ne serait pas arrivé s’il n’y avait pas eu une force contenue dans ce message, celle de l’Esprit Saint. Regardez le nombre de fois où Il intervient dans les Actes des Apôtres ! On voit qu’Il est à l’œuvre partout. » Concrètement, Il permet aux Apôtres et aux disciples de parler avec un courage désarmant et sans crainte de l’hostilité ; leur donnant inspiration et clairvoyance, Il les conduit à évangéliser hors de Jérusalem et à ouvrir progressivement leur prédication et les baptêmes aux non-juifs.
Reste que les réseaux personnels et professionnels auxquels appartiennent les disciples de Jésus soutiennent leur élan et favorisent leurs déplacements. Le premier d’entre eux est de nature religieuse. Depuis près d’un siècle, les juifs sont dispersés dans de vastes parties du monde romain (diaspora). « On pense qu’ils constituaient 5 à 10 % de la population de l’Empire romain, ce qui est énorme », explique Roselyne Dupont-Roc. « C’étaient des marchands. Leur présence était associée à celle des synagogues, il y en avait partout dans l’Empire. Les Actes des Apôtres racontent que, quand saint Paul arrive quelque part, il commence par aller dans la synagogue, annoncer Jésus-Christ le Ressuscité. »
Premiers débats dans les communautés chrétiennes
À Jérusalem, les premiers convertis (« trois mille âmes ») après la prédication de saint Pierre au lendemain de la Pentecôte, sont des juifs de la diaspora, « de toutes les nations qui sont sous le ciel », venus en pèlerinage dans la Ville sainte pour Chavouot. « La diaspora est un facteur d’explication important de cette diffusion très rapide et remarquable », affirme dans le même sens Giovanni Maria Vian, spécialiste du christianisme antique et auteur des Livres de Dieu (Salvator). Il est d’ailleurs possible que, du temps même de Jésus, des juifs de la diaspora ou des païens proches du judaïsme (les « craignant Dieu ») aient pu être touchés par son message. « Dans l’Évangile selon saint Jean, explique encore Giovanni Maria Vian, on entend ainsi parler de Grecs, venus à Jérusalem pour prier, qui s’adressent à l’apôtre Philippe et lui demandent avec insistance s’ils peuvent voir Jésus. »
Dès les premières heures, la prédication des Apôtres auprès des juifs suscite à la fois l’intérêt et l’hostilité, comme avec Jésus. Cette hostilité, et l’intérêt inattendu que manifestent les non-juifs, les poussent rapidement à élargir leur auditoire. « Puisque vous repoussez la parole de Dieu, nous nous tournons vers les païens », déclarent Paul et Barnabé à une foule de juifs venus les écouter à Antioche de Pisidie (en pleine Turquie actuelle). « Cette ouverture de l’annonce aux païens s’est faite très vite, analyse Roselyne Dupont-Roc, tout en suscitant un débat au sein de la communauté chrétienne. » De retour à Jérusalem après avoir baptisé les premiers païens à Césarée de Palestine, saint Pierre est « pris à partie » par des chrétiens circoncis qui ne comprennent pas sa bienveillance à l’égard des incirconcis ; mais ses explications et la vision qu’il raconte avoir eue les convainquent, et ils comprennent que les païens, comme les juifs, sont appelés à recevoir la « Bonne Nouvelle ».
La question de l’évangélisation des païens et de ses conditions revient toutefois par la suite ; elle est au cœur de la réunion des chefs de la communauté chrétienne primitive qui se tient à Jérusalem autour de l’an 50 (« concile de Jérusalem »). Au terme de celle-ci, « les Apôtres et les anciens, d’accord avec l’Église tout entière », envoient une « lettre apostolique », portée par des émissaires, « aux frères de la gentilité qui sont à Antioche, en Syrie et en Silicie », pour les encourager et leur dire que la circoncision n’est pas nécessaire pour devenir chrétiens.
La maison, cadre habituel des rassemblements
À Corinthe (ouest d’Athènes), saint Paul, mal accueilli à la synagogue, trouve refuge « chez un certain Justus, homme adorant Dieu, dont la maison était contiguë à la synagogue ». Ce passage des Actes des Apôtres évoque un autre lieu majeur pour la diffusion du christianisme au premier siècle, outre les synagogues et les places publiques où les Apôtres prennent la parole : les maisons. Longtemps, les premiers chrétiens se réuniront dans des maisons, y compris pour prier. Ce n’est que bien plus tard que seront construites des églises (la première chapelle connue, située à Doura-Europos dans l’actuelle Syrie, remonterait au milieu du IIIe siècle et serait elle-même intégrée à une maison). La maison est le cadre habituel du rassemblement des communautés chrétiennes primitives. À qui sont ces maisons ? « Essentiellement aux chrétiens aisés qui avaient de la place et pouvaient réunir les assemblées (ekklêsia), explique Roselyne Dupont-Roc. On avait donc un réseau de maisons. On le voit bien à Corinthe, ou bien avec la maison de Lydie, commerçante en pourpre, une femme certainement riche et aisée qui réunit l’Église dans sa maison. » Sur ces lieux, les femmes disposent d’un large pouvoir, qui leur donne une place importante dans les premières communautés.
Que dire de la prière des premiers chrétiens rassemblés dans ces maisons ? On peut déduire des Actes des Apôtres qu’on y priait les psaumes, qu’on y célébrait l’eucharistie (selon un rituel qu’on ne connaît pas précisément), qu’on y échangeait autour de l’enseignement de Jésus, qu’on y recevait celui des Apôtres et que s’y manifestaient une bienveillance et une solidarité qui étonnaient. Les maisons garantiront par ailleurs aussi une certaine discrétion, utile notamment lorsque l’hostilité des autorités romaines se développera.
« Un nombre considérable de chrétiens »
À Antioche de Syrie, la grande capitale orientale de l’Empire (actuelle Turquie), où les disciples reçurent pour la première fois le nom de chrétiens vers l’an 40, Paul et Barnabé restèrent « toute une année dans l’Église et y instruisirent un nombre considérable de chrétiens », racontent les Actes des Apôtres. Une soixantaine d’années plus tard, au tournant du Ier et du IIe siècle, Pline le jeune, gouverneur impérial de la province romaine de Bithynie et Pont (nord de la Turquie actuelle), écrit à l’empereur Trajan pour lui demander conseil face au « mal contagieux qui n’a pas seulement infecté les villes mais aussi gagné les villages et les campagnes », le « très grand nombre de chrétiens ». S’il est difficile de prendre la mesure de l’ampleur des communautés chrétiennes au Ier siècle qui restèrent vraisemblablement en général d’assez petite taille, on ne peut que s’étonner et s’enthousiasmer, deux mille ans plus tard, de leur remarquable force d’attraction, enracinée dans des fondements très simples de petites communautés domestiques centrées sur la prière, l’eucharistie et les enseignements du Christ et des Apôtres , et que rien, pas même les persécutions, ne semble avoir pu entraver.
(1) Le Christianisme antique de Jésus à Constantin, Armand Colin, 320 p., 32 €.
(2) Après Jésus, Albin Michel, 700 p., 49 €.
Jean-Marie Dumont
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Lumen- Date d'inscription : 09/11/2021
Localisation : France
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