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« La guerre nous a volé notre existence » : en Arménie, le calvaire des orphelins et des réfugiés

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« La guerre nous a volé notre existence » : en Arménie, le calvaire des orphelins et des réfugiés Empty « La guerre nous a volé notre existence » : en Arménie, le calvaire des orphelins et des réfugiés

Message par Lumen Lun 10 Jan 2022 - 21:44

« La guerre nous a volé notre existence » : en Arménie, le calvaire des orphelins et des réfugiés Armenie

L’Arménie porte encore les stigmates de la guerre perdue contre l’Azerbaïdjan. Confrontés à l’hiver, les habitants doivent repartir de presque rien. Reportage à Gyumri, dans le nord-ouest du pays, où des chrétiens généreux se battent au quotidien pour les réfugiés du Haut-Karabakh et les orphelins.

Samuel Pruvot Église , 4/01/2022


La grande église octogonale ressemble à une météorite rougeoyante enfoncée dans le sol froid de la ville. C’est la cathédrale catholique des Saints-Martyrs à Gyumri (Arménie). À 1 400 mètres d’altitude, l’air est piquant au sortir de l’office dominical. Le son des qechotz, ces petites clochettes accrochées sur un disque doré et brandies par les servants de messe, résonne encore dans toutes les têtes. Située aux confins nord-ouest de l’Arménie, la seconde ville du pays accueille une minorité catholique. Les religieuses de l’Immaculée-Conception quittent d’un pas vif la cathédrale. Elles sont accompagnées, plus exactement encerclées, par une bonne trentaine de gosses qui en profitent pour gambader et sautiller après la divine liturgie. Le benjamin arbore son bonnet de laine comme un heaume blanc et bleu. Il a tout juste 2 ans. Emmanuel, comme tous les autres, est un petit orphelin.


A Gyumri, un malheur n’arrive jamais seul

À l’invitation des Sœurs, les enfants se dirigent prestement vers un étrange véhicule. Il s’agit d’un vieux bus couleur citrouille, plus vieux que tous les cognacs traditionnels du pays, dont la forme ronde et cabossée évoque celle des cucurbitacées. Cette relique de ferraille date de Mathusalem, plus exactement de la période soviétique. C’était avant l’indépendance de 1991, quand les bus roulaient encore au gaz. Celui des Sœurs porte d’ailleurs sur son dos plusieurs bouteilles immenses.

Les enfants s’entassent dans cette antiquité russe comme dans l’Arche de Noé. Le moteur vrombit de plaisir. Réfugiés bien au chaud à l’intérieur, ils sont un peu à l’image de cette nation arménienne qui s’est accrochée au bois de la croix depuis 301. Après la récitation d’une brève prière, le bus bringuebale vers l’orphelinat, dans le nouveau quartier d’Ani. Les constructions géométriques datent, elles aussi, de la période communiste. Les Russes ont fait construire ces logements à la hâte après le terrible tremblement de terre de 1988, qui a causé la mort de plus de 30 000 personnes. La cité est grise, recouverte d’un linceul couleur béton. Mais, dans le bus, l’atmosphère est euphorique. Les Sœurs font semblant de résister aux assauts désordonnés des plus jeunes. Certains se cachent dans les replis de leur ample habit noir en pouffant de rire, d’autres cherchent des câlins.



« La guerre nous a volé notre existence » : en Arménie, le calvaire des orphelins et des réfugiés Armenie_5
Sœurs et enfants du Centre éducatif Notre-Dame d'Arménie Boghossian, durant une messe en la Cathédrale des Saints Martyrs, à Gyumri, le 21 novembre 2021. Anush Babajanyan/VII-REA pour FC

Mais qui consolera les Arméniens des drames à répétition de leur histoire sanglante ? On dirait que les catastrophes se sont donné rendez-vous dans ces montagnes fières pour venir à bout de ces habitants. À Gyumri, un malheur n’arrive jamais seul. « Quand j’étais petite, nous avons survécu au tremblement de terre », se souvient Rosa, une mère de famille qui peine à retenir ses larmes. « Mes parents ont été un exemple dans l’épreuve. Grâce à leur courage, nous avons pu refaire notre vie dans le Haut-Karabakh. Mais la guerre nous a volé tout le labeur de notre existence. En fuyant notre village, en octobre dernier, nous avons perdu notre belle maison, notre grand jardin avec ses arbres fruitiers, nos bêtes. Il a fallu repartir de zéro... » Rosa n’est malheureusement pas la seule dans cette situation. Plusieurs centaines de réfugiés arméniens survivent à Gyumri et ses environs. Ils n’ont jamais pu retourner chez eux après les quarante-quatre jours de guerre contre l’Azerbaïdjan durant l’automne 2020. La mémoire des 3 500 jeunes soldats qui seraient morts au combat est omniprésente.


Une morale évangélique en pointillé

Parmi les orphelins de Gyumri, plusieurs sont des victimes collatérales de la guerre. Mais la plupart n’a pas attendu la défaite militaire de l’Arménie pour souffrir... Une autre guerre, plus insidieuse, ronge depuis longtemps le pays. Les Sœurs dénoncent une dislocation morale : « L’Arménie se vante d’avoir été la première nation à embrasser le christianisme, explique Sœur Nariné, la responsable de l’orphelinat. Mais il ne faut pas oublier que les valeurs de l’Évangile ont été rabotées pendant soixante-dix ans par le communisme. En particulier, la famille. » La réalité bouscule l’image romantique d’une nation arménienne confite dans l’âge d’or de son baptême. Si le patriotisme est aussi viscéral que le christianisme dans cette région du Chirak, la morale évangélique s’écrit souvent en pointillé. À Gyumri, il est courant que les enfants d’un premier mariage soient abandonnés après un divorce. Pour échapper au chômage, nombre de pères de famille vont chercher fortune en Russie. Ils trouvent une nouvelle compagne qui refuse en général de garder avec elle les enfants de la première union.

Cette histoire tragique est celle du petit Emmanuel. Les Sœurs de l’Immaculée-Conception ont bien connu sa mère quand elle était vivante. Elles ont tout fait pour l’accompagner pendant sa grossesse ; elles ont même suggéré le nom de l’enfant à naître : « Emmanuel », « Dieu parmi nous », Dieu consolateur malgré le mal omniprésent. Emmanuel, il faut le voir descendre avec entrain les marches immenses du bus ! Un sourire radieux illumine sa petite frimousse et fait courir dans ses cheveux courts une onde électrique. Normal qu’il soit devenu la mascotte de l’orphelinat. Qui pourrait imaginer, en le voyant faire le pitre, que sa maman est décédée d’un cancer et que son père a pris la poudre d’escampette ? Lusine, sa grande sœur de 14 ans, le pousse à l’intérieur du bâtiment. Tigrane, son grand frère qui approche l’âge de raison, reste dehors pour s’égailler avec ses congénères. Non sans avoir confié, avec quelques mots simples, sa colère contre un père absent qui ne donne jamais signe de vie...


« Nous ne sommes pas capables de porter secours à tous les enfants »

« L’Église est un peu comme une mère pour tous ces enfants », confie Sœur Serbouhi, alors que le petit Emmanuel se colle à elle en murmurant « Maman ». Derrière le visage en apparence sévère de cette femme, se cache un cœur très tendre. « Lorsque les enfants tombent malades, je pleure. Qui, mieux qu’une mère, est capable de prendre soin d’eux ? J’essaie de faire de mon mieux. Quand j’étais jeune, poursuit-elle, je rêvais de me marier et d’avoir trois enfants. Dieu a voulu me confier une famille encore plus nombreuse ! » Elle ajoute avec un air grave : « Nous ne sommes pas capables de porter secours à tous les enfants. Jésus Lui-même n’a pas guéri tous les malades en Palestine. Nous ne sommes pas capables de sauver le monde ! Mais tout ce qui est à notre portée, nous le faisons ! » Sœur Nariné ajoute : « Je ne comprends toujours pas comment une mère peut faire souffrir son propre enfant. Aucun abandon ne peut se justifier... » Abandon relatif, puisque les mères gardent souvent le contact avec leur enfant par le biais du téléphone ou des visites. Aujourd’hui, la petite Angela est impatiente de revoir sa grand-mère qui lui apporte un paquet de bonbons au parloir. Elle sait qu’elle pourra aussi échanger par téléphone avec sa mère, installée en Russie.


« La guerre nous a volé notre existence » : en Arménie, le calvaire des orphelins et des réfugiés Armenie_2
La famille Sultanyan a fui sa maison Kumayri, dans le Haut-Karabakh pendant la guerre de 2020, et s'est maintenant installée à Gyumri. Anush Babajanyan/VII-REA pour FC

S’exiler en Russie ou aux États-Unis ? Cette perspective mirobolante a toujours été impossible aux yeux d’Arthur et de son épouse Knarik. Au lendemain du tremblement de terre, l’usine dans laquelle ils travaillaient a fermé. Lui était ingénieur, et elle, informaticienne. On leur a fait miroiter des postes à Moscou, bien loin des ruines glacées de Gyumri. Mais les deux fiancés étaient amoureux de leur terre. Dans le quartier d’Ani, après bien des tâtonnements, ils ont décidé de fonder une école gratuite pour les enfants nécessiteux. « Nous avons le christianisme dans le sang, confie Knarik. Pour nous, la base de la famille, c’est l’amour chrétien ! Ceux qui suivent l’Évangile ne peuvent avoir un comportement négatif. »

Force est de constater que leur manière de positiver a raison de tous les barrages, y compris ceux du ministère de l’Éducation. Posé sur une étagère, un petit portrait discret des jeunes fiancés les montre en train de sourire, sur fond de drapeau arménien. Patriotisme et amour conjugal se marie, chez eux, à merveille. Depuis le tremblement de terre, leur couple généreux a porté beaucoup de fruit. Leur école s’est forgée au fil des années, grâce à des mécènes issus de la diaspora arménienne ou à des organisations comme l’Œuvre d’Orient. Un aménagement empirique, à partir des murs nus d’une école maternelle donnée par l’État. Arthur rêve maintenant de pouvoir financer le ravalement de la façade, car elle laisse toujours apparaître un « affreux béton russe » traversé de tiges de fer. « Au moins, c’est du solide », blague-t-il en montrant des plans d’architecte. Il veut orner Endanik « famille », en arménien avec des murs en pierre rose du pays ; « Du touf, une super pierre isolante. »



Le centre Endanik reçoit environ 120 enfants

Ce couple à la créativité insatiable a déjà réussi à isoler une partie de la jeunesse de Gyumri des rigueurs économiques. Aujourd’hui, le centre Endanik fait partie des meilleures écoles du pays. Près de 1 600 élèves de 5 à 18 ans fréquentent cette structure pas comme les autres. Parmi eux, près de 300 jeunes suivent une formation professionnelle avec des apprentissages de pointe : panneaux solaires ou électroniques, mais aussi arts traditionnels arméniens comme la tapisserie, la joaillerie ou encore l’ébénisterie.

Les jeunes menuisiers font vivre les motifs séculaires de la culture arménienne. Et l’histoire cruelle continue à sculpter dans le bois innocent des citoyens arméniens. On pense évidemment au traumatisme indélébile du génocide de 1915, qui se transmet de génération en génération comme un trésor douloureux. Arthur et Knarik ne se lassent pas de porter secours à la jeunesse dans l’impasse. Depuis la guerre, le centre Endanik reçoit environ 120 enfants de réfugiés. Les élèves spécialisés dans la gastronomie préparent pour eux des repas chauds servis sur place. Dans la cuisine, des jeunes s’affairent comme dans une ruche sous l’œil des professeurs en toque blanche. Les uns cuisent des gatas des feuilletés au fromage, et d’autres préparent du dolma de la viande de bœuf cuite dans des feuilles de chou. D’autres encore empilent des denrées dans de gros sacs jaunes en plastique numérotés. De l’huile, de la viande, des légumes, de la farine, des boîtes de conserve, etc. Ces colis alimentaires sont destinés à une quarantaine de familles de réfugiés du Haut-Karabakh, qui ne reçoivent quasiment aucune aide de l’État.



« Ma vie au prix de sa vie »

Robert, l’actuel responsable de la cantine, est un jeune blessé de guerre. À 21 ans, il a failli perdre l’usage d’un pied après une explosion. « Le troisième jour de la guerre, nous avons été attaqués par des soldats azerbaïdjanais, se souvient-il le cœur serré. Six d’entre nous ont été blessés sur le chemin. Mon meilleur ami s’est porté à mon secours malgré le danger... J’ai été soigné à l’hôpital grâce à lui... Et j’ai appris, quelques jours plus tard, qu’il était mort au combat. » Robert montre un tatouage sur son avant-bras droit qui représente la scène de son sauvetage. Une phrase gravée dans sa chair résume le drame : « Ma vie au prix de sa vie. » Robert espère un jour pouvoir remarcher normalement sans ces broches qui le font souffrir le martyre.


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Robert Mkrtchyan, 21 ans, blessé lors de la guerre du Haut-Karabakh en 2020, au Centre de jeunesse Endanik, à Gyumri (Arménie). Anush Babajanyan/VII-REA pour FC

Le martyre concerne aussi les jeunes en deuil comme Narek. Cet élève de 17 ans apprend ici à confectionner des panneaux solaires. Il a perdu son père, militaire de profession, le 2 octobre 2021. Ce dernier avait juste eu le temps de prévenir sa famille de fuir leur ville de Martakerte vers Gyumri. « Maintenant, je suis chef de famille, explique-t-il la gorge nouée. Je ressens une lourde responsabilité vis-à-vis de ma mère et de ma sœur. Sans la foi, je crois que je ne serais pas capable de surmonter ce malheur. »

Mais la faim et le désespoir n’auront pas le dernier mot cet hiver. Plusieurs voitures quittent le centre Endanik pour distribuer les colis alimentaires. Direction le village d’Akhuryan, à une dizaine de kilomètres au sud-est de la ville. Des réfugiés du Haut-Karabakh vivent à l’étage, dans une maison mal isolée. Un homme regarde par la fenêtre. Devant lui, un champ caressé par le soleil du Caucase et, au-dessus, des avions militaires qui survolent la campagne vide. Ce père de famille a perdu la vue pendant la première guerre du Karabakh en 1993. Comble de malheur, son fils aîné Armen vient d’être amputé d’une jambe à Erevan, à la suite d’une mauvaise blessure reçue au front. Dans l’unique pièce chauffée avec un poêle à bois, l’horloge s’est arrêtée.



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La famille Mirzoyan a reçu le soutien de la Fondation Endanik pendant un an. Le père de famille a perdu la vue pendant la première guerre du Karabakh en 1993, et son fils aîné Armen vient d’être amputé d’une jambe à Erevan. Anush Babajanyan/VII-REA pour FC

La matriarche range soigneusement les denrées alimentaires du centre Endanik : « Au fond de moi, je suis en colère, car mon fils et mon mari ont été démolis par la guerre. Tout ça pourquoi ? La guerre est pour l’instant terminée et nous avons perdu le Karabakh ! » Elle regarde vers son autre fils avec un air inquiet : « Il a 17 ans et doit bientôt partir au service militaire... » Le père, toujours silencieux comme une pierre, est assis en dessous du minuscule coin prière où se dressent deux bougies noircies. Plus rien ne brûle dans cette maison, hormis les cœurs et le poêle rouillé.



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