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« Sans repos, il n’y a pas de vie intérieure »

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« Sans repos, il n’y a pas de vie intérieure » Empty « Sans repos, il n’y a pas de vie intérieure »

Message par Lumen Mer 6 Juil 2022 - 22:21

« Sans repos, il n’y a pas de vie intérieure »

Pris dans les mailles de nos vies trépidantes et le piège de l’efficacité permanente, nous perdons de vue l’essentiel. Pour y remédier, le Père Maximilien Lefébure du Bus, chanoine à l’abbaye de Lagrasse et auteur du livre Eloge spirituel du repos (Artège), nous fait redécouvrir la vertu du repos chrétien.

« Sans repos, il n’y a pas de vie intérieure » Pere_maximilien_lefebure_du_bus
Dans un livre profond et accessible, Eloge spirituel du repos (Artège), le Père Maximilien remet à l’honneur le repos authentique comme voie qui mène à Dieu. - T.LOUAPRE - DIVERGENCE pour FC


Pourquoi réhabilitez-vous le repos ?

Notre époque nous y invite fortement ! De façon évidente, nous vivons dans une société dont le rythme s’accélère, où la multiplication des activités et la surinformation ruinent l’unité de la personne. À mon sens, seul le repos permet un vrai retour à l’unité de l’homme, unité avec la réalité et unité avec soi-même.

Dans l’Évangile, le Christ ne s’interdit pas le repos et Il commande à ses Apôtres de se reposer. Dieu Lui-même se repose le septième jour. Et la perfection du Ciel, la béatitude, n’est-elle pas le repos éternel ? Il y a là une convergence largement oubliée qui va à contre-courant d’une certaine conception de la vie chrétienne, idéalisant le travail et culpabilisant les gens osant se reposer.


Prenez le temps

« Prenez le temps de vous préparer à l’Eucharistie et de rendre grâce pour ce bienfait sans prix. Prenez le temps du silence pour écouter le Seigneur vous adresser par son évangile une parole cordiale dont Il a le secret ; vous cultiverez ainsi les germinations spirituelles. Prenez le temps de bien faire ce travail qui vous est confié, jusqu’au menu détail qui l’embellit. [...] Prenez le temps que Dieu vous donne, jour après jour, mais sans vouloir le retenir, car, s’il vous quitte aussi vite, c’est pour mieux vous conduire vers Celui qui le dispense, si vous savez vous-même le donner à qui vous le demande. Le temps qui passe, ne serait-ce pas Dieu qui nous visite, comme une grâce discrète et légère ? » Servais-Théodore Pinckaers, o.p.

Extrait de A l'école de l'admiration, Editions Saint-Paul, 2001.

Comment se caractérise cette perte d’unité de la personne ?

L’homme moderne est de plus en plus dispersé et superficiel. Vivant à la surface de lui-même « dans la banlieue de son âme », disait le Père Caffarel , il éprouve de grandes difficultés à développer sa vie intérieure, à s’émerveiller, à écouter les autres. Impatient, il veut gagner toujours plus de temps, remplir son agenda au maximum.

Il privilégie la quantité sur la qualité et estime qu’il se réalise dans l’efficacité et le rendement. Cela se décline de multiples façons : « Le temps, c’est de l’argent » ; ce qui compte, c’est l’audience, les « likes », etc. Bref, l’essentiel se perd. Comme Saint-Exupéry nous y convie, revenons à l’émerveillement et à la simplicité de l’enfance. Les enfants ont le sens des choses importantes et sont capables de perdre du temps sur un caillou ou un bout de coloriage. Relisons le Petit Prince !

N’est-ce pas justement par le travail que l’homme s’accomplit ?

Le travail a, bien sûr, sa dignité et il humanise l’homme. Mais nous constatons aujourd’hui une sorte d’inversion des valeurs : beaucoup idolâtrent le travail et considèrent que le repos ne sert qu’à le rendre plus efficace. Leurs journées sont pleines comme des œufs !

Certes, Dieu travaille six jours et se repose le septième, mais saint Augustin explique bien que le sommet de la Création est le jour du repos. Celui-ci n’est pas une non-activité, mais une activité suréminente. Pendant six jours, Dieu crée en dehors de Lui-même. Le septième jour, Il se repose en Lui-même. C’est là qu’Il trouve son bonheur : « Dieu se complaît en soi avant de se complaire dans les choses qu’Il a faites », dit saint Augustin. C’est une invitation à nous reposer en Dieu. Le repos est ainsi notre terme, notre but. Après le repos physique légitime, nous visons à nous reposer en Dieu. C’est une véritable ascension.

Mais n’a-t-on pas l’Éternité pour se reposer ?

Oui... mais il faut commencer dès ici-bas ! « Avoir l’Éternité pour se reposer » est l’adage classique des chrétiens bourreaux de travail. Connaissez-vous l’américanisme ? Un mouvement d’idées venu d’Outre-Atlantique qui méprisait la vie contemplative, aux vertus passives, comme l’humilité ou l’obéissance et mettait en avant les uniques vertus actives comme l’audace ou la ténacité. Condamné par Léon XIII, l’américanisme sévit encore...

Les meilleures de nos mamans peuvent avoir un sens du devoir se mutant en hyperactivité. Pour elles, le repos est presque coupable et devient un péché. J’aime ces mots de Benoît XVI invitant à « réviser un tant soit peu le catalogue des vertus tel qu’il a fini par s’imposer dans le monde occidental, où seuls comptent l’action et le travail. La contemplation, l’étonnement, le recueillement, le silence y sont devenus des postures indéfendables ou tout au moins nous nous sentons obligés de les justifier. C’est ainsi que périssent les aspects essentiels du potentiel humain ». Oui, sans repos, il n’y a pas de vie intérieure. Pour édifier l’Église, il faut des pasteurs, des actions caritatives et des patronages, mais il faut surtout un surcroît de vie intérieure, de vie contemplative. L’Église se construit à travers l’union à Dieu, l’union avec le Christ Eucharistie, l’adoration et l’oraison.

A-t-on vraiment le temps de se reposer lorsque l’on doit s’occuper de sa famille, travailler et s’engager dans l’Église ?

Tout est affaire de discernement. Chacun doit faire son examen de conscience et relire sa « carte d’identité chrétienne ». En premier, j’y lis mon prénom de baptême : je suis fils ou fille de Dieu. Que je sois laïc, prêtre ou religieux, ma vie intérieure est donc première. C’est elle qui rend mes actions fécondes pour moi et pour
les autres. Si je suis marié, vient ensuite mon nom de famille ; je suis époux ou épouse, puis père ou mère, et ensuite j’exerce une profession. Ma « carte d’identité » revisitée me permet de hiérarchiser mes devoirs : remplir d’abord mon rôle conjugal, ma place de parent et ensuite mon activité professionnelle.

C’est la vertu de prudence éclairée par le don de conseil qui m’indiquera si je dois m’investir dans le catéchuménat, le catéchisme ou l’évangélisation. Elle me permettra de ménager des espaces de repos. Voici ce que dit le pape François dans Laudato si : « L’être humain tend à réduire le repos contemplatif au domaine de l’improductif ou de l’inutile. Nous sommes appelés à inclure dans notre agir une dimension réceptive et gratuite, qui est différente d’une simple inactivité. Il s’agit d’une autre manière d’agir qui fait partie de notre essence. »

Comment distinguer le repos de la paresse ?

La paresse, cela n’est pas ne rien faire, c’est mal faire ! Le paresseux le fait-néant ne fuit pas toute activité, mais seulement celle qu’il devrait faire, hic et nunc, pour s’humaniser, grandir et se sanctifier. Il existe des paresseux très actifs : un papa rangeant avec ardeur ses livres dans sa bibliothèque... pour éviter, par procrastination, de remplir sa déclaration d’impôt ! Répétons-le, le repos est une activité à part entière dont les signes sont l’accomplissement et la joie.

En quoi consiste le vrai repos ?

Choisi, le repos authentique est donc le fruit d’un acte libre. Je choisis de me reposer non pas parce que je suis fatigué ou parce que je me prépare à une activité intense, mais de façon gratuite, sans arrière-pensée. Dieu Lui-même se repose gratuitement. Ce n’est pas par besoin qu’Il se repose mais parce que le repos est le lieu de sa béatitude. Quand je me repose, je cesse de faire et de transformer le monde. Je m’applique à être moi-même et donc à l’image de Dieu.

Se reposer consiste aussi à redécouvrir l’amitié avec le Seigneur. Saint Augustin l’explique fort bien dans ses Confessions : « Mon cœur est sans repos tant qu’il ne repose pas en Toi. » Cela peut se traduire de la sorte : « Mon cœur est insatisfait tant qu’il ne repose pas en Toi. » Encore une fois, au Ciel, nous nous reposerons ! Et cela ne sera pas ennuyeux. Nous vivrons un repos dynamique, fait d’émerveillement et de louange. À nous de préparer ce repos éternel par des pauses choisies, au cœur de nos vies trépidantes.

Un tel repos s’apprend-il ?

Bien sûr ! L’apprentissage du repos est un processus respectueux de notre nature. Celui qui ne fait pas attention à sa santé, à son corps, à son sommeil, aura bien du mal à s’abandonner au Seigneur et à accéder à l’oraison. Car, pour arriver à ce repos contemplatif qui est l’authentique repos chrétien, chacun doit passer par la relâche volontaire de ses activités. Par exemple, se coucher à 23 h et prendre son comptant de sommeil. Péguy l’exprime fort bien : « Le sommeil est l’ami de l’homme. Le sommeil est l’ami de Dieu. On me dit qu’il y a des hommes qui travaillent bien et qui dorment mal. Ceux-ci ont le courage de travailler. Ils n’ont pas le courage de
ne rien faire. De se détendre. De se reposer. De dormir. Les malheureux, ils ne savent pas ce qui est bon. Ils gouvernent très bien leurs affaires pendant le jour. Mais ils ne veulent pas m’en confier le gouvernement pendant la nuit. » Dormir, c’est finalement dire au Seigneur : « Je m’abandonne, je ne suis plus le maître. »

Et où nous mène cet apprentissage ?

Perdre son temps en écoutant de la musique, en contemplant un tableau ou en lisant une BD, c’est déjà une éducation au lâcher-prise, un renoncement à l’efficacité. Dès que je cherche à cesser de réaliser, de construire, de raisonner, je me mets alors en situation d’accueil. Je peux alors accéder aux premiers repos naturels physique et psychologique. Je m’oriente alors vers l’oraison contemplative.

Durant les temps de cœur à cœur avec Dieu, j’arrête de produire et de raisonner. C’est le temps de l’écoute, de l’accueil. Je Lui dis que je L’aime. Je crois qu’Il est présent et je Lui suis présent. Le vrai repos, c’est cela : au seuil du repos éternel, il est un échange d’amitié avec Dieu. À nous de le goûter dès maintenant. « Aujourd’hui, il faut que je demeure dans ta maison », dit Jésus à Zachée. Cet « aujourd’hui de Dieu », c’est l’Éternité commencée dès maintenant par l’amitié avec le Seigneur. À chaque oraison, à chaque communion, je suis Zachée accueillant Jésus dans ma maison.

Mais pourquoi avons-nous tant de mal à nous reposer ?

Dans un monde où règne l’efficacité, il faut du courage et de l’humilité pour oser se reposer ! Cela nécessite une remise en ordre totale de nos vies. Si le monde récuse tant le repos authentique, c’est qu’il pressent que celui-ci mène à Dieu. Le prince de ce monde redoute toute émergence de la contemplation. La citation de Bernanos est toujours d’actualité : « Notre civilisation moderne est une conspiration universelle contre toute espèce de vie intérieure. »

Quels conseils donneriez-vous aux lecteurs qui veulent profiter des vacances pour se réconcilier avec le repos ?

Perdez du temps gratuitement, ne cherchez pas à tout gérer, à tout planifier, à tout occuper. Laissez-vous surprendre par Dieu, la Création, la littérature, les autres. Faites les choses plus lentement, les unes après les autres. Et dormez davantage !





Élisabeth Caillemer
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