Géopolitique : Le dangereux mirage du Qatar

par Lumen Mer 16 Nov 2022 - 20:31

Géopolitique : Le dangereux mirage du Qatar

Les questions ne manquent pas concernant la prochaine Coupe du monde de football au Qatar. Le grand reporter Christian Chesnot nous offre ici une belle leçon de géopolitique.

Géopolitique : Le dangereux mirage du Qatar Qatar

Avec son « Oasis », un atrium de 30 mètres de haut, The Mall, à Doha, est le plus grand
centre commercial du Qatar, à l’image de la démesure du pays. - K.JEBREILI - AP - SIPA

C’est une météorite apparue en 2006 lors des Jeux asiatiques. À Doha, 8 000 athlètes représentant quarante-cinq délégations se pressaient sous le ciel qatarien. Depuis, ce pays lilliputien n’a de cesse d’attirer à lui la lumière internationale, ainsi que les polémiques.

« Un pays avec 300 000 nationaux qui décroche une Coupe du monde de football qui va être suivie par 4 milliards d’habitants sur la planète, c’est quand même surréaliste, explique à Famille Chrétienne Christian Chesnot. D’autant plus que le Qatar n’a aucune tradition footballistique… Le sport traditionnel, c’est plutôt la course au dromadaire ! » Pour en savoir plus, on se reportera aux « 100 questions » sur le Qatar que ce spécialiste reconnu du Moyen-Orient vient de publier (1).

L’auteur, qui n’est jamais manichéen, oscille entre l’indignation et la fascination : « Jamais un pays n’a atteint un tel niveau d’inﬂuence aussi rapidement. Plus vite que Venise au XVIe siècle ! » De fait, l’ascension fulgurante du Qatar s’est opérée en quelques années sur les ailes puissantes du gaz naturel. « Le Qatar fonctionne comme une multinationale, explique Christian Chesnot, avec 100 000 actifs tout au plus et près de 2,5 millions d’émigrés ! C’est une marque où l’émir est le patron de la compagnie, la famille royale le conseil d’administration et les actionnaires, gavés de gaz et de pétrole, les Qataris. » Le malaise qui entoure la prochaine Coupe du monde de football remonte à 2010.

« Le péché originel, c’est la Fifa ! Les pays hôtes ne sont pas choisis en vertu de projets sportifs. Ce qui compte, c’est le travail intense de lobbying et … la corruption. » Le grand reporter à Radio France s’interroge sur le choix ubuesque du Qatar. Pourquoi aucun cahier des charges sur le droit des travailleurs ou l’environnement ?
« Après avoir donné son accord, la Fifa s’est aperçue qu’il allait faire 50 °C l’été ! Si les ONG n’avaient pas mis la pression, rien n’aurait été fait. »

Des efforts continus jusqu’à ce jour qui n’ont pas empêché une véritable hécatombe lors de la construction, 24 h sur 24, d’infrastructures pharaoniques. « Selon The Guardian, près de 6 500 ouvriers sont morts à la tâche. En réalité, c’est sans doute le double ou le triple ! » La France a également sa part de responsabilité dans cette ascension fulgurante. « Avec Sarkozy, ce fut la lune de miel, rappelle Christian Chesnot. Il a découvert un petit pays hyper réactif avec qui on pouvait faire plein d’affaires. Quand Sarkozy “libère” les inﬁrmières bulgares en 2007, qui fait le chèque d’après vous ? C’est le Qatar ! Aujourd’hui, le Qatar en France, c’est 25 milliards d’euros d’actifs. » On a beau dire que l’argent n’a pas d’odeur, les gazodollars dégagent un intolérable parfum d’islamisme.

« La famille régnante est connectée avec les Frères musulmans depuis que Nasser les a chassés d’Égypte. Lors des Printemps arabes, le Qatar a pris le parti de la rue contre les vieux dictateurs, et donc celui des Frères. Ils se sont acoquinés avec des mouvements terroristes. » Ce cocktail explosif d’hydro-carbures et de fanatisme religieux n’empêche pas le Qatar de vouloir à tout prix s’offrir une respectabilité internationale.

À l’image du père du miracle qatarien, le cheikh Hamad bin Khalifa Al-Thani. « C’est une personnalité visionnaire, anticonformiste. Pendant son règne (1995-2013), il a littéralement changé la face du Qatar grâce à la manne gazière, transformant un émirat assoupi et inconnu en un pays rayonnant sur la carte du monde. » Le Qatar n’est pas à un paradoxe près. C’est Hamad qui a permis la construction de la première église dans l’émirat.

« À la différence de l’Arabie saoudite qui considère que l’ensemble de son territoire sacré et interdit toute pratique religieuse autre que celle de l’islam, le Qatar fait preuve d’ouverture. L’émirat a établi des relations diplomatiques avec le Vatican en 1993. Notre-Dame-du-Rosaire, premier lieu de culte chrétien construit en terre wahhabite, a été inaugurée en 2008 sur un terrain offert dans la banlieue sud de Doha par Hamad. Avant cela, les chrétiens au Qatar pratiquaient leur foi dans la clandestinité de maisons privées, vivant dans l’inquiétude d’éventuelles descentes de police. »

Une chose est sûre, les vieux Qataris voient d’un mauvais œil l’arrivée de la Coupe du monde, les fans avec leurs bouteilles d’alcool et tous les débordements qui vont avec. Certains se résignent, paraît-il, en se disant que c’est pour eux le prix à payer de la mondialisation. Mais devons-nous aussi payer l’addition ?

(1) Qatar : les secrets d’une inﬂuence planétaire. En 100 questions, par Christian Chesnot, Tallandier, 327 p., 19,90 €.

Samuel Pruvot
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