Mgr Gobilliard et le pasteur Joël Thibault : « Pourquoi nous boycotterons la Coupe du monde au Qatar »
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Mgr Gobilliard et le pasteur Joël Thibault : « Pourquoi nous boycotterons la Coupe du monde au Qatar »
Mgr Gobilliard et le pasteur Joël Thibault : « Pourquoi nous boycotterons la Coupe du monde au Qatar »
L’un est évêque catholique, l’autre pasteur évangélique. S’ils ne jouent pas dans le même « club », Mgr Emmanuel Gobilliard et le pasteur Joël Thibault portent un regard critique identique sur la prochaine Coupe du monde.
Le pasteur Joël Thibault et Mgr Emmanuel Robilliard sont des sportifs engagés et
partagent un même regard critique sur la Coupe du monde au Qatar. - A.MERLET POUR FC
L’un est évêque catholique, l’autre pasteur évangélique. S’ils ne jouent pas dans le même « club », Mgr Emmanuel Gobilliard et le pasteur Joël Thibault portent un regard critique identique sur la prochaine Coupe du monde.
Le pasteur Joël Thibault et Mgr Emmanuel Robilliard sont des sportifs engagés et
partagent un même regard critique sur la Coupe du monde au Qatar. - A.MERLET POUR FC
Mgr Emmanuel Gobilliard et le pasteur Joël Thibault se sont rencontrés à Rome lors d’un colloque sur le sport qui s’est tenu au Vatican en septembre dernier. Y participaient notamment le pape François et Thomas Bach, président du Comité international olympique (CIO). Un mois plus tard, réunis à Lyon par Famille Chrétienne, il s’agit donc de retrouvailles entre l’évêque nouvellement nommé à Digne et le pasteur évangélique, connu notamment pour sa proximité avec l’international français de football Olivier Giroud. Si le premier finalise son déménagement du Rhône vers les Alpes-de-Haute-Provence, le second était en transit depuis la Bretagne – où il vit – vers un camp pour jeunes qu’il animait dans la Drôme pendant les vacances de la Toussaint.
En matière de sport, les deux hommes sont croyants et pratiquants : parachutisme pour l’évêque ; football pour le pasteur. Ce qui explique pourquoi Mgr Gobilliard s’est retrouvé propulsé évêque référent du groupe de travail Église et Sport (1).
La 22ème édition
• La Coupe du monde de football débutera au Qatar le 20 novembre et s’achèvera le 18 décembre. Elle opposera trente-deux nations dont la France, tenante du titre depuis sa victoire en Russie il y a quatre ans.
• Comme en 2018, les joueurs de Didier Deschamps commenceront la compétition contre l’Australie le 22 novembre (20h heure française).
De son côté, Joël Thibault accompagne spirituellement des sportifs de haut niveau, en France et à l’étranger (2). À la veille du lancement de la Coupe du monde de football, nous les avons interrogés sur cette compétition qui suscite la polémique : nombreux morts sur les chantiers des stades, aberration écologique et suspicion têtue de corruption lors de l’attribution de la Coupe au Qatar en 2010. L’évêque et le pasteur partagent une même position : ils boycotteront la compétition.
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L’un et l’autre, allez-vous suivre cette Coupe du monde qui débute au Qatar le 20 novembre ?
Mgr Emmanuel Gobilliard – Je vais boycotter cette compétition. Matériellement, j’aurais du mal à la suivre, puisque je serai en plein déménagement de Lyon à Digne, où j’ai été nommé.
Je trouve le choix du Qatar pour accueillir cette compétition scandaleux. Vraiment. Je ne connais pas les dessous de ce choix, je ne sais s’il y a eu corruption ou pas, mais la mise en œuvre de cette Coupe m’apparaît totalement hors-sol, symbolisée par un coût financier disproportionné. Ainsi, comme simple spectateur, je me sens responsable de ne pas la cautionner en la regardant.
Néanmoins, une fois mon choix personnel posé, je veux me souvenir que des hommes et des femmes vont vivre de l’organisation de cet événement : je ne pense pas nécessairement aux joueurs, mais plutôt aux médecins, aux journalistes, etc. Je ne veux pas faire peser sur les autres mon propre choix moral.
Joël Thibault – Comme Mgr Gobilliard, je ne vais pas regarder cette compétition. J’ai récemment lu dans la presse un sondage expliquant que 40 % des Français s’apprêtaient à faire de même. Mon boycott est une manière de dire stop. Si un vendeur de glaces fait pression pour que la prochaine Coupe du monde se tienne au Groenland, dirons-nous « oui » ? À ceux qui dénoncent l’hypocrisie d’une réaction tardive, il faut rappeler que certains médias ont très vite parlé de scandale comme l’hebdomadaire France Football qui, dès 2013, titrait en une, le « Qatargate ». J’invite les gens à la réflexion. Il faut comprendre qu’en regardant les matchs nous aurons sous les yeux les 6 500 cercueils des ouvriers ayant perdu la vie sur les chantiers au Qatar [chiffre avancé par le quotidien britannique The Guardian mais contesté par le Qatar et la Fédération internationale de football, Ndlr].
Dans ce contexte, un chrétien peut-il regarder l’esprit tranquille cette Coupe du monde qui a lieu au Qatar ?
Mgr G. – L’époque où l’Église catholique disait aux gens à travers ses pasteurs comment ils devaient s’habiller, élever leurs enfants ou voter est révolue. Le rôle du pasteur est de faire rencontrer le Christ et de proposer des points de réflexion sur des sujets particuliers. Ayons en tête que l’Esprit Saint parle à chacun. À nous de Lui faire confiance ainsi qu’au discernement de chacun. Rappelons aussi que l’importance des événements pour les uns n’est pas forcément la même pour les autres. Et que nous n’avons pas tous les mêmes devoirs. Ainsi, j’ai envie de dire au vieux monsieur amateur de foot dans son Ehpad de regarder sans arrière-pensée cette Coupe du monde. Et que je me réjouis que cette compétition puisse lui apporter un peu de distraction.
J. T. – On peut lui conseiller en revanche d’éteindre sa télé pendant la mi-temps [rires] !
Mgr G. – J’aime dire que la voie n’est pas droite. Pendant longtemps, j’ai cru qu’il fallait que je suive la route que le Christ avait tracée pour moi de toute éternité. Or, il se trouve que je change de route à chaque fois que je pêche. À force de dire aux gens : « Revenez sur le droit chemin », nous les mettons dans des situations intenables, car leur réalité est différente. Nous empruntons tous des chemins de vie tortueux. Malgré cela, Jésus continue de marcher inlassablement à nos côtés. Le devoir du chrétien est de se demander ce que Jésus aurait fait à sa place. La réponse du Christ sera différente pour chacun. Dans l’Évangile, Jésus Lui-même change d’attitude, s’adapte à la situation et aux personnes qu’Il rencontre. Lorsqu’Il rencontre le jeune homme riche, celui-ci se précipite vers Lui. Le Christ lui demande de vendre tous ses biens. À Zachée, qui se cache dans son sycomore, Jésus ne demande rien.
J. T. – Il y a une question de maturité spirituelle. En 2014, au Brésil, dans un contexte également limite, je ne me suis pas posé la question de regarder ou non la Coupe du monde. De même, je ne peux qu’éveiller la conscience de mon fils de 13 ans qui ne comprend pas pourquoi je ne veux pas la regarder cette année. En revanche, je ne lui interdirai pas de le faire. Par ailleurs, nous pouvons avoir des convictions personnelles, mais il faut rester humble devant Dieu qui permet que cette Coupe du monde ait lieu au Qatar. Je prie pour qu’Il y envoie des ambassadeurs de sa Parole qui puisse dénoncer sur place les injustices. Nous pouvons aussi prier pour que certains joueurs se lèvent dans une perspective de recherche de justice et de paix.
Mgr G. – Oui, personne ne sait ce qui va se passer durant cette Coupe du monde. Peut-être va-t-il y avoir un événement incroyable qui va entraîner une prise de conscience et des changements profonds ?
Est-il légitime cependant de poser un regard moral sur cette compétition ?
J. T. – Je pense qu’il faut prendre de la hauteur. En 1978, la Coupe du monde s’est déroulée sous une dictature [celle du général Jorge Rafael Videla, Ndlr]. Des voix s’étaient élevées à l’époque. Sans parler des JO de 1936 à Berlin avec Hitler. Dès que des nations s’affrontent, il y a toujours la tentation pour l’une d’entre elles de vouloir dominer les autres. Parfois à n’importe quel prix. Ainsi, pour la Coupe du monde de handball organisée déjà par le Qatar en 2015, les dirigeants locaux ont accordé la nationalité qatarie aux meilleurs joueurs africains et européens pour constituer leur équipe « nationale » ! Ce sont les absurdités auxquelles nous sommes confrontées aujourd’hui.
Mgr G. – Quand je lis Laudato si et Fratelli tutti, cette Coupe incarne tout ce que le pape François dénonce. Le sport doit être envisagé comme un moyen en vue de favoriser la fraternité et la rencontre. En ce sens, j’aime regarder le point de départ des Jeux olympiques. Le dominicain Henri Didon voit s’opposer à la fi n du XIXe siècle les tenants de l’école catholique et ceux de l’école laïque. Il va organiser des compétitions sportives pour les rapprocher. Et cela fonctionne ! Il va s’en ouvrir à Pierre de Coubertin pour l’élargir aux nations. Mais quand le sport devient un but en soi, il rate son objectif et devient une idole. Ainsi au Qatar où l’on s’assoit sur la dimension sociale, sur le respect de la Création et où les pauvres ont été bafoués. Ce qui devrait primer devient secondaire, voire disparaît.
J. T. – Le Christ nous dit dans l’Évangile de Matthieu : « Cherchez d’abord le royaume de Dieu et sa justice, tout le reste vous sera donné par surcroît. » Est-ce que notre plaisir peut aller au détriment des valeurs de Dieu ? Ce qui a été fait au Qatar est-il juste ? Ces questions sont posées.
Joël Thibault, vous êtes en relation avec des joueurs. Dans quel état d’esprit sont-ils par rapport à cette compétition ?
J. T. – Je ne peux pas répondre à cette question, car tout cela est confidentiel. À ma connaissance, seul Raphaël Varane s’est exprimé sur le Qatar [interrogé par L’Équipe, le défenseur des Bleus a expliqué : « Il faut savoir rester à notre place, mais cela ne nous empêche pas d’être actifs comme citoyens. On n’est pas aveugles », Ndlr.]
Quels sont les points d’attention que vous leur donnez alors ?
J. T. – La question de comment vivre en chrétien dans le sport de haut niveau ne se pose pas seulement autour de cette Coupe du monde aux sportifs professionnels. Elle se pose également lorsqu’ils sont confrontés au dopage et aux multiples sollicitations dont ils sont en permanence l’objet. S’ils me sollicitent, mon rôle est de les amener à réfléchir. Je ne suis pas là pour imposer un point de vue.
Par ailleurs, je n’ai pas le maillot de l’équipe de France sur les épaules et ne supporte pas la pression de représenter mon pays dans une compétition suivie partout sur la planète. À leur place, que ferais-je ?
Les joueurs de l’équipe d’Australie ont fait paraître sur les réseaux sociaux une vidéo dénonçant les conditions de travail des migrants au Qatar. Ils appellent aussi l’Émirat à décriminaliser les relations homosexuelles. En hommage aux ouvriers ayant trouvé la mort en construisant les stades, le Danemark arborera un maillot noir. Que vous inspirent ces démarches ?
Mgr G. – À nouveau me vient à l’esprit une phrase de l’Évangile : « Que ton oui soit oui et que ton non soit non. » À force de vouloir cocher toutes les cases de la bien-pensance, certains se retrouvent dans des positions difficilement tenables.
J. T. – Il aurait fallu qu’une équipe dise il y a quatre ans qu’elle ne prendrait pas part aux qualifications. Elle aurait pu avoir un réel impact… tout en s’exposant à des sanctions de la part de la Fifa. La Norvège s’était engagée dans une démarche de boycott de cette Coupe du monde. Elle a fini par faire machine arrière et ne s’est par ailleurs pas qualifiée pour la phase finale de la compétition. Dans une vie de footballeur, jouer une Coupe du monde est une opportunité unique. Il n’est pas simple d’y renoncer. Mais, récemment, dans d’autres disciplines, des sportifs ont su poser des choix forts motivés par leur éthique personnelle. Son opposition à la vaccination contre le Covid-19 a ainsi poussé le tennisman Novak Djokovic à renoncer à certains tournois.
Mgr G. – Précisons, néanmoins, que dans le cadre d’une équipe et d’un sport collectif, il est normal que les convictions personnelles soient moins apparentes.
Quand le sport ne rassemble plus mais qu’il divise, est-ce encore du sport ?
Mgr G. – Je n’ai jamais fait l’expérience du sport comme d’un spectacle. Lorsque j’étais au Puy-en-Velay, je suis allé voir des matchs au stade Geoffroy-Guichard à Saint-Étienne. Nommé à Lyon, je suis allé voir l’Olympique lyonnais. Et quand j’arriverai à Digne, j’irai rendre visite aux licenciés amateurs du CAD, le Club athlétique dignois. Plus que par le football, je suis passionné par les Jeux olympiques. Les JO se sont dotés d’une charte. La trêve olympique existe et invite à des cessez-le-feu durant le temps des Jeux. C’est très fort ! De même, il y a un rapport de plus en plus étroit entre sport valide et handisport. À la devise des Jeux, « Plus vite, plus haut, plus fort », Thomas Bach, le président du CIO, a fait ajouter « Ensemble » avant les JO de Tokyo pour manifester la solidarité entre tous.
J. T. – De manière plus prosaïque, un indicateur va nous permettre de voir si nous sommes toujours dans un cadre sportif ou si nous avons basculé vers du spectacle : il suffira de compter le nombre de joueurs blessés durant la compétition. En effet, la tenue inhabituelle en hiver de cette Coupe du monde a contraint de ramasser le calendrier des championnats nationaux et autres compétitions qui suivent leur cours durant l’année. Les joueurs sont confrontés à une accumulation de matchs. Ainsi, selon moi et sans faire abstraction des salaires considérables qu’ils touchent, les joueurs de football ne sont pas plus respectés que les ouvriers qui ont bâti les stades au Qatar. S’ils se blessent plus qu’habituellement, cela sera un signe que leur statut a changé et que le spectacle prime désormais sur leur intégrité physique. Nous serons alors revenus aux temps du cirque et des « gladiateurs » descendus dans l’arène.
Benjamin Coste
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Lumen- Date d'inscription : 09/11/2021
Localisation : France
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