« Benoît XVI entrera dans l’Histoire comme un grand docteur de l’Église »
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« Benoît XVI entrera dans l’Histoire comme un grand docteur de l’Église »
« Benoît XVI entrera dans l’Histoire comme un grand docteur de l’Église »
Théologien avant d’être pape, Joseph Ratzinger laisse derrière lui une œuvre intellectuelle immense. Le Frère Maximilian Heim, Père abbé de l’abbaye cistercienne de Stift Heiligenkreuz (Autriche) et lauréat du prix Ratzinger en 2011, résume les grandes lignes de sa pensée christocentrique.
Une photo prise en 1984 montre le cardinal allemand Joseph Ratzinger. Ratzinger avait été élu 265e pape de l'Église catholique romaine le 19 avril 2005 à la Cité du Vatican, devenant le pape Benoît XVI. - KNA-Bild / AFP
Théologien avant d’être pape, Joseph Ratzinger laisse derrière lui une œuvre intellectuelle immense. Le Frère Maximilian Heim, Père abbé de l’abbaye cistercienne de Stift Heiligenkreuz (Autriche) et lauréat du prix Ratzinger en 2011, résume les grandes lignes de sa pensée christocentrique.
Une photo prise en 1984 montre le cardinal allemand Joseph Ratzinger. Ratzinger avait été élu 265e pape de l'Église catholique romaine le 19 avril 2005 à la Cité du Vatican, devenant le pape Benoît XVI. - KNA-Bild / AFP
Est-il juste de considérer Joseph Ratzinger parmi les théologiens augustiniens ?
Joseph Ratzinger/Benoît XVI a été, sur le plan théologique, essentiellement influencé par les Pères de l’Église et les grands penseurs scolastiques, notamment saint Augustin et saint Bonaventure, mais aussi par des théologiens contemporains comme Henri de Lubac, Gottlieb Söhngen, Romano Guardini et Hans Urs von Balthasar. Dans sa thèse « Volk und Haus Gottes in Augustins Lehre von der Kirche » (« Peuple de Dieu et maison de Dieu dans l’enseignement augustinien sur l’Église »), rédigée sous la direction de Gerhard Söhngen, il a pu approfondir sa grande prédilection théologique pour saint Augustin. Une des questions décisives pour ce dernier est le rapport entre la foi et la raison. Avec lui, Ratzinger souligne partout dans son œuvre que la foi ne peut jamais renoncer à la raison, de même que la raison a besoin d’être éclairée par la foi. Cette corrélation entre foi et raison mène à la conclusion que Dieu est plus intérieur à l’homme que l’homme n’est intérieur à lui-même.
De même que le Christ habite l’endroit le plus intérieur à l’homme, de même Il est présent dans l’Église qui est son corps et qui, sans Lui, ne pourrait exister. Dans cette unité mystique, le Christ et l’Église restent inséparablement liés, ce qui pousse saint Augustin à résumer en toute conformité avec la théologie de saint Jean et de saint Paul : « Nous sommes devenus le Christ. Car s’Il est la tête et si nous sommes les membres, alors Il est l’homme entier et nous aussi sommes l’homme entier » (In Ioannis evangelium tractatus, 21, 8). Chez Joseph Ratzinger, cette identification débouche sur la formule : l’Église est « le peuple de Dieu qui vit du corps du Christ et qui, dans l’eucharistie, devient elle-même corps du Christ » (JRGS 8.1, 210).
Dans sa thèse d’habilitation sur saint Bonaventure – le Doctor seraphicus –, sa conception de la Révélation et sa théologie de l’histoire est devenu pour Joseph Ratzinger la seconde grande figure de sa pensée théologique. La notion centrale, chez saint Bonaventure, de Révélation ne doit pas être mise sur le même plan que l’Écriture sainte, puisqu’elle inclut la réception par l’Église du contenu de l’Écriture.
Une seconde notion essentielle chez saint Bonaventure est sa théologie de l’histoire. Elle attire le regard sur l’action de l’Esprit Saint qui transforme l’événement Jésus-Christ dans l’aujourd’hui de l’histoire du Salut, laissant apparaître son importance pour chaque moment de l’histoire. En même temps, saint Bonaventure ouvre la perspective eschatologique de l’existence chrétienne, se démarquant par-là de l’abbé cistercien Joachim de Flore, qui, après le temps du Père (Ancien Testament) et le temps du Fils (Nouveau Testament), espérait le temps de l’Esprit Saint, à savoir un accomplissement de l’histoire en ce monde. Ainsi que le constate Joseph Ratzinger avec Henri de Lubac, la pensée de Joachim de Flore n’a pas été sans inspirer des systèmes totalitaires qui éveillaient et éveillent encore l’espoir utopique d’un accomplissement ici-bas, promettant le paradis sur terre.
Benoît XVI a écrit plusieurs livres sur la vie de Jésus. Est-il possible de dire que sa pensée est christo-centrée ?
Il n’y a pas seulement les catholiques, beaucoup de protestants et d’orthodoxes sont aussi très reconnaissants au pape émérite d’avoir présenté Jésus-Christ, vrai Fils de Dieu et vrai Fils de l’homme, de façon authentique et compréhensible en se conformant aux Évangiles. Le Christ dont témoigne la Bible est le Jésus de Nazareth confirmé par l’Histoire. D’autres constructions concernant la personne de Jésus ne cernent pas toujours le vrai centre de sa personne qui a déjà été solennellement proclamé par le concile de Chalcédoine (451) : Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme. Cette vérité de foi est la clé herméneutique pour la Révélation divine comme pour l’histoire de l’homme. Le Christ est « Alpha et Oméga, à Lui le temps et l’éternité ». Pour Benoît XVI, l’irruption historique du Fils de Dieu dans ce monde par l’Incarnation, est le fondement et le centre de la foi chrétienne ainsi que le noyau de sa théologie.
Pourquoi classons-nous Joseph Ratzinger parmi les réformateurs du concile Vatican II ? De quelle manière a-t-il considéré l’aggiornamento proposé par Jean XXIII ?
Contre l’opinion largement répandue que la pensée théologique de Ratzinger a évolué de la position d’un théologien conciliaire « ouvert au monde » à un « Panzerkardinal » rétrograde et un « gardien implacable » de la foi, contre cette caricature, on peut avancer et attester par une étude scientifique la cohérence et la consistance de la pensée de Joseph Ratzinger. Il considère qu’il n’y a pas obligatoirement opposition entre tradition et progrès : « Découvrir que le passé est à conserver n’est possible que là où le futur est considéré comme une tâche » (JRGS 9.1, 479). Ainsi il est d’avis qu’il n’est jamais possible de revenir simplement au passé, et qu’il est plutôt nécessaire de « chercher dans le changement des temps ce qui est vraiment porteur… et d’oser de gaieté de cœur et sans restriction la folie du vrai » (JRGS 7, 1059). Cette opinion de Benoît XVI correspond à celle de saint Jean XXIII et à son aggiornamento.
En ce qui concerne la réception du concile Vatican II, il considère « l’herméneutique de la réforme » comme une clé d’interprétation et exige à juste titre une relecture des textes conciliaires. Il a en face de lui les partisans d’une herméneutique de la discontinuité et de la rupture qui, eux, considèrent les décisions conciliaires comme point de départ d’une évolution sans respecter les textes adoptés au concile. De plus, les textes authentiques du concile sont souvent des compromis, avec beaucoup d’ambiguïtés, permettant des interprétations différentes, ce qui le pousse à adopter un schéma d’interprétation large qui se sait forcément lié au Credo de l’Église.
Comme un des derniers participants actifs vivants du concile, Benoît XVI souligne dans sa rétrospective : « Les Pères conciliaires ne pouvaient ni ne voulaient créer une autre Église. Ils n’en avaient ni le pouvoir ni la mission. Pères du concile, dotés du droit de vote et du pouvoir de décision, ils ne l’étaient que comme évêques, c’est-à-dire sur la base du sacrement et dans l’Église du sacrement. Voilà pourquoi ils ne pouvaient ni ne voulaient créer une autre foi ou une autre Église, mais seulement comprendre plus profondément et ainsi vraiment “renouveler” cette foi et cette Église. Et c’est la raison pour laquelle une herméneutique de la rupture est absurde et contre l’esprit et la volonté des pères conciliaires » (JRGS 7, 8f). Cette voix d’un témoin authentique, on aura sans doute quelque mal à la réfuter.
Quelle est sa vision de l’Église au sens ecclésiologique ?
« … une Église qui fait trop parler d’elle, ne parle pas de ce dont elle doit parler » (JRGS 12, 167). Benoît XVI considère que l’Église n’est jamais une fin en soi. Dans le Christ et par le Christ, elle est – selon la constitution Lumen gentium – « en quelque sorte le sacrement, c’est-à-dire le signe et l’instrument de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain » (LG 1). C’est grâce à elle que tous les hommes doivent entrer en communion avec Dieu et entre eux. Dans la perspective eschatologique du peuple de Dieu, cette union comprend aussi la purification. Cette réunion verticale avec Dieu et horizontale avec les hommes, les Pères de l’Église l’ont vue comme communio : « L’Église est communion ; elle est communion du Verbe et du Corps du Christ et, par-là, communion des hommes entre eux, qui deviennent, par cette communion les rassemblant d’en haut comme du dedans, un peuple, voire, un corps » (JRGS 8/1, 520).
Cette ecclésiologie eucharistique qui voit l’Église peuple de Dieu toujours à partir du corps du Christ est origine et source de la pensée de Joseph Ratzinger qui, en tant que théologien, se sait toujours responsable de son Église.
Pourquoi cette importance de la vérité dans sa pensée ?
Pour Benoît XVI, la foi en Jésus-Christ « Chemin, Vérité et Vie » est décisive pour transporter concrètement le primat de la vérité du niveau factuel au niveau personnel. Ce qui veut dire : Pour lui, la question de Pilate n’aurait pas dû être : « Qu’est-ce que la vérité ? » mais « Qui est la vérité ? » Aussi, a-t-il dit à Heiligen-kreuz : « Notre lumière, notre vérité, notre but, notre accomplissement, notre vie – tout cela n’est pas un enseignement religieux, mais une personne : Jésus-Christ… Le regard des hommes de tous les temps et de tous les peuples, de toutes les philosophies, religions et cultures rencontre en dernière instance les yeux largement ouverts du fils de Dieu crucifié et ressuscité ; son cœur ouvert est l’accomplissement de l’amour » (AAS 99 (2007 :10) 854).
Dans le monde actuel, marqué par le relativisme, nombreux sont ceux qui n’osent prétendre à une vérité objective absolue, pour ne pas passer pour intolérants. Dans le pluralisme religieux actuel, on sacrifie à une tolérance mal comprise la confession d’un Dieu s’étant révélé dans son fils comme la vérité définitive et indépassable. Néanmoins il est vrai que personne ne peut dire : « J’ai la vérité » ; aussi Benoît XVI souligne : « Personne ne peut posséder la vérité, la vérité nous possède, elle est quelque chose de vivant ! Nous n’en sommes pas les propriétaires, nous en sommes saisis » (Benoît XVI, homélie du 2 septembre 2012).
Pourquoi, selon Benoît XVI, la liturgie est-elle au centre de la vie de l’Église ?
Le fondement et le but de notre existence est Dieu. D’après saint Benoît, dont le Saint-Père a choisi le nom, « il ne faut rien préférer au service divin » (Regula Benedicti 43,3). Conformément à cette consigne de celui qui est à l’origine de tous les bénédictins et cisterciens, et en suivant le concile, Benoît XVI a consacré à la liturgie le volume d’ouverture de ses Œuvres complètes (JRGS 11). Il voit dans la liturgie la boussole intérieure de toute théologie, conformément à l’axiome lex orandi lex credendi (la loi de la prière est la loi de la croyance) ; pour lui, la prière et la foi se correspondent.
En 2007, notre abbaye Stift Heiligenkreuz a eu la chance d’accueillir le pape. Son allocution programmatique est une orientation pour nous, les moines, comme pour tous ceux qui se savent liés à la constitution sur la sainte liturgie du concile Vatican II. Elle postule que la liturgie est « le sommet vers lequel tend l’action de l’Église et en même temps la source d’où découle toute sa vertu » (SC 10). Tout comme dans sa préface au volume sur la liturgie des Œuvres complètes, il soulignait que c’est le regard sur Dieu qui doit déterminer la liturgie : « Nous sommes face à Dieu – Il nous parle, nous Lui parlons. Partout où les réflexions sur la liturgie se contentent de se demander comment rendre la liturgie attractive, intéressante, belle, la liturgie est déjà morte. Ou bien elle est opus Dei avec Dieu comme vrai sujet ou bien elle n’est pas. C’est ici que je vous demande : Élaborez la sainte liturgie le regard tourné vers Dieu, dans la communauté des saints et de l’Église vivante de tous les temps et lieux, de telle sorte qu’elle devienne expression de la beauté et de la majesté du Dieu ami des hommes ! » (AAS 99 (2007 :10) 855). Ce conseil nous est un legs et une mission.
En conclusion, que retiendrons-nous de sa pensée ?
Joseph Ratzinger/Benoît XVI entrera dans l’Histoire comme un grand docteur de l’Église de l’époque actuelle. Le large spectre de sa pensée va de la foi et de la raison à l’ecclésiologie et la liturgie, en passant par la question de Dieu et la Révélation. Mais il aborde aussi les questions actuelles de l’Église dans le monde d’aujourd’hui, à savoir l’œcuménisme, le rapport de l’Église aux religions non chrétiennes, sans oublier la liberté religieuse, questions traitées par le concile Vatican II et qui sont à ses yeux une passerelle indispensable pour dialoguer avec la modernité. C’est pour l’Église la seule façon de remplir sa mission d’être le sel de la Terre et la lumière du monde et de promouvoir la Nouvelle Évangélisation, en regardant le Christ crucifié, lequel restera toujours un signe qui provoquera la contradiction (cf. Luc 2,34).
Dans cette optique, il rappelle à l’Église qu’elle n’a pas, dans une sorte de contentement de soi, à s’adapter aux critères de ce monde. « Le témoignage missionnaire de l’Église démondanisée se manifeste plus clairement. Une Église libérée des charges et privilèges matériels et politiques peut mieux et de façon vraiment chrétienne se tourner vers le monde entier, être vraiment ouverte sur le monde. Elle peut enfin vivre de manière plus libre sa vocation à servir l’adoration de Dieu et à servir son prochain. […] Seul le profond ancrage à Dieu permet de se consacrer entièrement à son prochain, de même que sans amour du prochain la relation à Dieu ne peut que dépérir » (AAS 103 (2011 :10) 677). Ces paroles, prononcées à la salle de concert de Fribourg (Allemagne) en septembre 2011, sont pour nous un avertissement durable et une orientation claire. Dans ce désintéressement vécu de manière authentique, Benoît XVI et son successeur François se rejoignent, j’en suis convaincu, de la façon la plus intime, car ce n’est pas la sécurité matérielle qui donne à l’Église un avenir et un soutien, mais la conversion au Christ, qui, en devenant homme, s’est dépouillé par obéissance jusqu’à mourir sur la croix (cf. Ph 2).
Entré en 1983, à 22 ans, au monastère cistercien de Heiligenkreuz (Autriche), le Frère Maximilian Heim en est l’abbé depuis 2011, et donc grand chancelier de l’Université philosophique et théologique Benoît-XVI. Il est président de la Congrégation cistercienne autrichienne depuis 2016.
Antoine Pasquier
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Lumen- Date d'inscription : 09/11/2021
Localisation : France
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