Méditations sur la Passion du Christ pendant le Carême selon Saint-Bonaventure - Italie - 13 eme siècle
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Méditations sur la Passion du Christ pendant le Carême selon Saint-Bonaventure - Italie - 13 eme siècle
Méditations sur la Passion du Christ pendant le Carême selon Saint-Bonaventure (Images)
source : Méditations sur la vie de Jésus-Christ par St-Bonaventure – 13 eme siècle. (Extraits)
Saint Bonaventure d`Albano (Italie-1217 à 1274) - Ministre-Général des Franciscains – Théologien et Docteur de l`Église
Lisez, ou faites-vous souvent lire l'histoire de leur vie, et considérez attentivement leurs saintes actions, mais ne vous contentez pas de les admirer, et de bénir leur mémoire, joignez l'imitation au respect, et que ce soit-là le principal fruit de cette pieuse, et agréable lecture. (Juan Vives – Espagne 16 eme siècle)
LE DIMANCHE DES RAMEAUX
C`est un roi de paix et de mansuétude qui s`avance. Oh! quelle entrée triomphale que celle du Christ à Jérusalem. Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur! Paix dans le ciel et gloire au plus haut des cieux! Hosannah au Fils de David!
CHAPITRE LXXI.
JÉSUS MONTÉ SUR UN ÂNON FAIT SON ENTRÉE A JÉRUSALEM. — MOTIFS POUR LESQUELS JÉSUS A TROIS FOIS RÉPANDU DES LARMES.
Les mystères se multipliaient ; Jésus accomplissait toutes les Écritures ; et, les temps approchants, il brûlait d'opérer le salut du monde, en livrant son corps à tous les tourments de la Passion. Dès le matin donc du jour suivant, c'est-à-dire le dimanche, il se prépara à faire le voyage de Jérusalem d'une manière nouvelle et extraordinaire, mais selon que les Prophètes l'avaient prédit longtemps d'avance. Et au moment où il allait se mettre en route, sa Mère, ne pouvant se défendre d'une tendre émotion, essayait de le retenir en lui disant : « Où voulez-vous aller, mon Fils ? Vous savez qu'ils ont conspiré contre vous ; pourquoi vous mettez-vous entre leurs mains? Restez ici, je vous en prie. » Les Disciples ne pouvaient non plus consentir à le laisser partir, et faisaient aussi tous leurs efforts pour l'en empêcher. « Maître, disait Madeleine, pour Dieu, ne nous quittez pas. Vous savez qu'ils veulent vous faire mourir. Si vous vous mettez entre leurs mains, ils vous saisiront aujourd'hui et auront ainsi ce qu'ils désirent.»
Le Christ a Béthanie avec ses disciples
0 mon Dieu ! combien ces cœurs aimaient Jésus ! Combien tout ce qui pouvait lui nuire leur était pénible ! Mais Celui qui était altéré du salut des hommes, ayant autrement disposé les choses, leur disait : « La volonté de mon Père est que je parte ; ne me retenez pas davantage, et soyez sans crainte, car il nous défendra et nous reviendrons ce soir sans qu'il nous soit arrivé aucun mal. » Il se mit donc en marche, et cette petite, mais fidèle compagnie le suivit. Arrivé à Betphagé, petit bourg situé à moitié chemin de Jérusalem, il envoya deux de ses Disciples dans un village voisin avec ordre de lui amener une ânesse et son ânon attachés dans un lieu public et consacrés à l'usage des pauvres. (1) Cela fait, Notre Seigneur Jésus-Christ monta humblement sur l'ânesse, puis sur l'ânon, que les Disciples avaient couverts de leurs vêtements. Tel était l'équipage du Maître de l'univers ; et , quoiqu'il méritât les plus grands honneurs , voilà de quelles montures et de quels caparaçons il se servit au jour de son triomphe.
(1) Matthieu, 21. — Marc, 11. — Luc, 10.
Considérez-le maintenant avec attention, et voyez comment, au milieu de sa gloire, il réprouve la pompe et les honneurs du monde. Car au lieu de rênes et de selles enrichies d'or, au lieu de caparaçons revêtus de soie, suivant les usages insensés du monde, des vêtements grossiers, deux petites cordes étaient les seuls ornements de ces deux animaux qui portaient le Roi des Rois, le Seigneur des Seigneurs. Aussitôt que le peuple fut instruit de son arrivée, il courut en foule au-devant de lui, et l'accueillit comme un Roi, faisant entendre des cris de joie et des acclamations, étendant avec ivresse sur la route des vêtements et des branches d'arbres.
L`entrée a Jérusalem le dimanche des Rameaux
Mais au milieu de cette joie universelle. Jésus éprouvait un sentiment pénible. (1) A la vue de Jérusalem, il pleura sur elle en disant : Ah! si tu savais, tu pleurerais aussi sur toi-même. Or, vous ne l'ignorez pas, on lit dans l'Évangile que Jésus a trois fois répandu des larmes. La première fois sur la mort de Lazare, c'est-à-dire sur la misère de l'homme ; la seconde fois dans cette circonstance, c'est-à-dire sur notre aveuglement et notre ignorance. Car ce qui faisait couler ses pleurs sur Jérusalem, c'est qu'elle ne connaissait point le temps où elle était visitée. La troisième fois, il pleura sur sa Passion, ou plutôt sur les péchés et sur la malice des hommes, parce qu'il prévoyait que ses souffrances; qui suffisaient au salut du genre humain, ne seraient pas utiles à tous les hommes, puisque les réprouvés, les cœurs endurcis et impénitents ne devaient point en profiter. Et c'est ce qui, dans l’Épître aux Hébreux, fait dire à l'Apôtre parlant de Jésus-Christ au temps de sa Passion : (2) Qu'ayant poussé un grand cri et répandu des larmes, il fut exaucé par son Père à cause de l'humble respect qu'il avait pour lui. Le texte évangélique dit expressément que Jésus a pleuré trois fois comme nous venons de le dire; mais l'Église croit qu'il a encore pleuré dans d'autres circonstances, notamment dans sa première enfance; ce qu'elle exprime ainsi dans son Cantique :(3) L'Enfant-Dieu, resserré dans l'étroite prison de sa crèche , pousse des cris plaintifs ; ce qu'il ne faisait, que pour cacher au Démon ( aux anges déchus) le mystère de l'Incarnation.
Luc, 19. — (2) Hébreux, 5. — (3) Hymne de la sainte Croix.
Considérez-le donc aujourd'hui pleurant sur les habitants de Jérusalem; car vous devriez unir vos larmes aux siennes; ses pleurs sont abondants et intarissables, parce que ce n'est point en apparence, mais en réalité qu'il s'afflige du sort qui les attend. C'était sur le danger où ils étaient de se perdre éternellement qu'il pleurait avec tant d'amertume. Il leur prédit aussi alors leur destruction prochaine ( Destruction de Jérusalem et du temple par les romains en 70 Ap J.C.). Observez encore ses Disciples qui s'approchent de lui par un sentiment de crainte respectueuse.
Voilà ses Barons et ses Comtes, ses Gentilshommes et ses Écuyers ; voyez enfin la Mère de Jésus qui le suit attentive avec Madeleine et les autres femmes. Vous pourrez aisément concevoir qu'en voyant couler les larmes de Jésus, sa Mère et tous ses autres amis ne purent retenir les leurs. Notre Seigneur Jésus-Christ entra donc à Jérusalem avec cette pompe triomphale et ces honneurs que le peuple lui décernait et dont la ville fut toute troublée. (1) Il alla aussi au Temple d'où il chassa, pour la seconde fois, les acheteurs et les vendeurs.
Jésus demeura publiquement dans le Temple presque jusqu'au soir, prêchant et répondant aux questions que lui faisaient les Princes des Prêtres et les Pharisiens. Et, quoiqu'on lui eût prodigué de si grands honneurs, il ne se trouva personne qui l'invitât à prendre chez lui quelques rafraîchissements. Jésus donc et ceux qui l'accompagnaient restèrent à jeun pendant tout le jour, et tous retournèrent le soir à Béthanie.
(1) Marc, 11.
Remarquez bien avec quelle petite escorte Jésus traverse humblement cette ville où il avait été si honorablement reçu le matin. Cette observation vous fera comprendre qu'il faut faire bien peu de cas des honneurs du monde, qui passent si promptement. Vous pouvez encore remarquer quelle fut la joie de Madeleine et des autres Disciples pendant que Jésus recevait les hommages du peuple et surtout lorsque, heureusement délivré de tous les dangers, ils rentrèrent tous ensemble à Béthanie.
CHAPITRE LXXII.
NOTRE SEIGNEUR ANNONCE A SA MÈRE QU'IL VA BIENTÔT MOURIR.
Nous pouvons placer ici une méditation fort intéressante sur un fait que l'Écriture n'a point rapporté. Le mercredi, Notre Seigneur soupait avec ses Disciples chez Marthe et Marie, tandis que sa Mère et les autres saintes femmes prenaient aussi leur repas dans une autre partie de la maison. Madeleine, qui les servait, s'adressant à Jésus, lui dit : « Maître, n'oubliez pas de faire la Pâque avec nous, ne rejetez point la prière que je vous adresse. » Mais comme Jésus, au lieu de se rendre à ses vœux, déclarait qu'il irait faire la Pâque à Jérusalem, Madeleine, désolée et tout en pleurs, se retire, va trouver Marie, lui raconte ce qui vient de se passer et la conjure de retenir son Fils à Béthanie le jour où l'on devait faire la Pâque.
Or, après le souper, Notre Seigneur va trouver sa Mère, s'assied et s'entretient avec elle à l'écart, la faisant jouir abondamment des douceurs de sa présence dont elle allait bientôt être privée. Maintenant considérez-les avec attention assis l'un près de l'autre; voyez quel respectueux accueil Marie fait à son Fils, quelle tendre affection la retient près de lui, et en même temps, observez quel respect Jésus montre pour elle. Pendant un si doux entretient, Madeleine vient les trouver et, s'étant assise à leurs pieds , elle dit à Marie : « J'avais engagé notre Maître à faire ici la Pâque avec nous, mais il paraît qu'il veut aller la célébrer à Jérusalem, au risque de s'y faire prendre par ses ennemis; de grâce , ne le souffrez pas. » Marie dit alors à Jésus : « Ne risquez pas, mon Fils, une telle démarche, je vous prie; faites plutôt ici la Pâque avec nous; car vous savez quels pièges vos ennemis ont tendus pour vous prendre.» « Ma très-chère Mère, dit Jésus, la volonté de mon Père est que je fasse la Pâque à Jérusalem, car le moment est venu où je dois racheter le monde; bientôt va s'accomplir tout ce qui a été dit à mon sujet dans les Écritures, bientôt mes ennemis feront de moi tout ce qu'ils voudront.» La Mère de Jésus et Madeleine ne purent entendre ces paroles sans une extrême douleur, parce qu'elles virent bien que Notre Seigneur parlait ici de sa mort.
Marie qui pouvait à peine prononcer quelques mots, dit alors : « Mon Fils , ce que je viens d'entendre a porté le trouble dans mon cœur , et je le sens défaillir. Je ne sais que dire; que votre Père vous protège; je ne veux pas m'opposer à sa volonté, mais priez-le de différer, s'il lui plait, l'accomplissement de ces desseins et de vous laisser faire ici la Pâque avec tous vos amis. Il peut assurément opérer le salut des hommes par un autre moyen que par votre mort; car rien ne lui est impossible. »
Oh ! si, pendant cet entretien, vous pouviez voir les larmes abondantes qui coulent avec tant de modestie des yeux de Marie et les torrents de pleurs que, dans l'excès d'amour dont elle est comme enivrée pour son divin Maître, Madeleine unit aux sanglots les plus lamentables, certes, vous ne pourriez vous-même vous défendre de pleurer avec elles ! Considérez dans quelle situation elles se trouvaient pendant ces explications. Enfin Jésus dit avec douceur pour les consoler : « Ne pleurez point, car vous savez que je dois l'obéissance à mon Père, mais croyez fermement que vous me reverrez bientôt et que, délivré de tous les maux, je ressusciterai le troisième jour. J'irai donc, selon la volonté de mon Père, faire la Pâque sur la montagne de Sion. » Madeleine dit alors : « Puisque nous ne pouvons l'empêcher de partir, allons aussi à Jérusalem dans la maison que nous y possédons. Mais je ne crois pas que nous y ayons jamais fait la Pâque avec tant d'amertume. » Jésus permit qu'elles allassent faire la Pâque dans cette maison.
LE JEUDI SAINT
CHAPITRE LXXIII.
DE LA CÈNE DE NOTRE SEIGNEUR ; PUIS DE LA TABLE ET DE LA MANIÈRE DONT IL S'Y MIT AVEC SES DISCIPLES. — DE CINQ EXEMPLES DE VERTUS DONNÉS PAR JÉSUS-CHRIST DANS LA CÈNE, ET DE CINQ CHOSES A MÉDITER DANS LE DISCOURS QUE NOTRE SEIGNEUR FIT APRÈS LA CÈNE.
Les jours de la clémence et de la miséricorde de Notre Seigneur Jésus-Christ étant proches, le moment étant enfin venu où il avait résolu de sauver son peuple et de le racheter, (1) « non avec un or et un argent corruptibles, mais au prix de son sang précieux, » il voulut, avant que la mort le séparât de ses Disciples, faire avec eux une grande Cène, pour leur laisser un signe commémoratif de cette mort, et aussi , pour achever les mystères qui lui restaient à accomplir. Cette Cène fut d'une extrême magnificence, et ce que Jésus y fit est digne de votre admiration.
(1) 1 Pierre, 1.
Contemplez, avec une extrême attention, toutes ces choses comme si elles se passaient sous vos yeux ; car, si vous assistez dignement et avec soin à ce festin, Notre Seigneur, dont la bonté est infinie, ne souffrira pas que vous en sortiez à jeun. Or, dans la Cène, vous avez particulièrement à méditer quatre choses extrêmement remarquables. La première, le souper et toutes les circonstances matérielles qui s'y rapportent; la seconde, le lavement des pieds des Disciples opéré par Notre Seigneur; la troisième, l'institution du Sacrement de son corps; la quatrième, enfin, l'admirable sermon qu'il fit en cette circonstance. Nous allons successivement les examiner.
Quant à la première, considérez que (1) Pierre et Jean allèrent, conformément à l'ordre que Notre Seigneur leur en avait donné, sur la montagne de Sion, préparer la Pâque dans la maison de l'un de ses amis où se trouvait une salle grande et bien ornée. Voyez aussi comment Notre Seigneur, accompagné des autres Disciples, entra dans la ville le jeudi vers la fin du jour et se rendit au lieu indiqué. Observez ensuite Jésus retiré dans un lieu écarté de la maison et adressant des paroles édifiantes à ses Disciples, pendant que quelques-uns des soixante-douze préparaient la Pâque dans le Cénacle. Car on lit dans une légende de saint Martial que ce saint, avec quelques-uns des soixante-douze, aidaient Notre Seigneur pendant que le soir de ce même jour il lavait les pieds à ses Disciples.
(1) Matthieu, 26
Lors donc que tout fut préparé dans le Cénacle, saint Jean, le Disciple bien-aimé, qui, dans sa sollicitude, ne cessait d'aller et de venir, soit pour présider, soit pour aider à cette préparation, vint dire à Jésus : « Seigneur, tout est prêt; maintenant vous pouvez vous mettre à table quand il vous plaira. » Examinez à présent avec soin et avec une sérieuse attention toutes les actions et toutes les paroles de Notre Seigneur, parce qu'elles sont fort touchantes; au lieu de les abréger, comme les autres faits de sa vie, vous devez plutôt ici les étendre et les développer; car c'est d'un tel examen que dépend toute l'efficacité des méditations que vous pouvez faire sur sa personne, et surtout sur cet amour qui lui fit opérer dans la Cène des prodiges si étonnants.
Notre Seigneur se leva donc ainsi que ses Disciples. Mais saint Jean se tint auprès de lui, pour ne plus s'en séparer dans la suite ; car personne ne lui fut plus fidèlement, plus tendrement attaché que saint Jean. En effet, lorsque Jésus fut arrêté, saint Jean entra avec lui dans la maison du Prince des Prêtres et ne le quitta plus, ni pendant qu'on le crucifiait, ni à sa mort, ni après sa mort, jusqu'au moment de sa sépulture. Mais dans la Cène, il s'assit tout près de lui, quoiqu'il fût le plus jeune de tous les Disciples. Alors tous entrent dans le Cénacle, se lavent les mains, et font, avec beaucoup de piété, la bénédiction de la table autour de laquelle ils se sont rangés.
Observez bien tout ce qui va suivre. Or, vous n'ignorez pas que la table était posée à terre et qu'à la manière des anciens, tous s'assirent à terre pour manger. Cette table, ainsi qu'on le croit, était carrée et composée de plusieurs planches ; je l'ai vue à Rome, dans l'Église de Latran, et j'en ai même mesuré les dimensions. La longueur de chaque côté est de deux bras et trois doigts, ou une palme environ ; de sorte que, suivant l'opinion générale, trois Disciples pouvaient s'asseoir un peu à l'étroit de chaque côté ; Notre Seigneur s'était placé humblement à l'un des coins, et ainsi , tout le monde pouvait manger au même plat ; cela fit que quand Jésus dit : Celui qui met la main au plat avec moi me trahira, ses Disciples ne comprirent pas ces paroles, parce que tous portaient la main au plat. Après que le divin Maître eut étendu la main pour bénir aussi la table, tous s'asseyent à l'entour, et saint Jean se place à côté de Notre Seigneur.
On apporte alors l'Agneau pascal. Mais remarquez que la méditation peut se faire ici de deux manières. La première, est de se représenter les Disciples assis comme je viens de le dire; la seconde, debout, un bâton à la main et mangeant l'Agneau avec des laitues sauvages, pour observer ce que prescrit la loi ; mais il faudra ensuite les considérer assis, prenant quelque nourriture, ainsi qu'on peut le conclure de plusieurs passages du texte, puisque saint Jean, s'il n'eût été assis, n'aurait pu se reposer sur le sein de Jésus. On apporte donc l'Agneau tout rôti, et Jésus, le véritable Agneau immaculé, placé au centre de la table comme celui qui y préside, le prend, le coupe en morceaux, et, plein de joie, le présente à ses Disciples en les excitant à en manger; ils en mangent, mais ils ne peuvent se livrer à la joie, parce qu'ils craignent quelque nouvel attentat contre leur divin Maître.
Pendant le souper, Jésus découvrit plus clairement ce qui devait lui arriver, et dit entre autres choses : (1) J'ai désiré avec ardeur de faire avec vous cette Pâque, avant que de souffrir; mais l'un d'entre-vous doit me trahir. Cette parole pénétra dans leurs cœurs comme le glaive le plus tranchant ; ils ne purent continuer de manger, se regardèrent l`un l'autre et dirent à Jésus : Est-ce moi, Seigneur? Considérez-les bien à ce moment, et ne refuser votre compassion, ni à eux, ni à Notre Seigneur; car ils sont tous accablés de tristesse.
(1) Luc, 22.
Quant au traître Judas, pour ne pas laisser croire que ces paroles le regardent, il n'interrompt point son repas. Mais saint Jean, sur les instances de saint Pierre, s'adressant à Jésus, lui dit : (1) Maître, quel est donc celui qui vous trahira? Et Notre Seigneur le lui fit connaître familièrement, parce qu'il avait pour lui une amitié toute particulière. Alors saint Jean, dans l'étonnement et la douleur où cette confidence l'avait jeté, se tourna vers lui et se coucha sur son sein. Mais Jésus ne dit pas à saint Pierre quel était le traître, parce que, comme l'observe saint Augustin , si Pierre l'eût connu , il l'eût indubitablement mis en pièces (2).
Saint Augustin, dans la même homélie sur l'Évangile qu'on lit à la fête de saint Jean, observe que saint Pierre est l'image de la vie active, comme saint Jean est la figure de la vie contemplative. D'où vous devez conclure que ceux qui se livrent à la contemplation ne s'immiscent jamais ni de juger les actes purement intérieurs, ni même de demander la punition des offenses faites à Notre Seigneur; mais qu'ils se bornent à gémir intérieurement, qu'ils s'adressent à Dieu par de ferventes prières, et qu'après s'être plus fortement rapprochés de Dieu par la contemplation et s'y être attachés plus étroitement, ils abandonnent tout à la disposition de sa providence. Car, ainsi que je l'ai amplement expliqué ci-dessus en parlant de la contemplation, le zèle de Dieu et le salut du prochain obligent quelquefois les âmes contemplatives à se répandre au-dehors. Vous pouvez aussi remarquer ici que saint Jean ne dit rien à Pierre de ce qu'il vient d'apprendre, quoique ce fût sur sa demande qu'il eût interrogé le Seigneur.
(1) Jean., 13. — (2) August. tract., 124, in Joan., tom. 9.
Vous pouvez inférer de là que ceux qui s'exercent à la vie contemplative ne doivent pas révéler les secrets de leur divin Maître. On voit, en effet, que saint François ne faisait connaître les choses que Dieu lui révélait intérieurement qu'autant qu'il y était poussé par le zèle du salut de ses frères, ou par l'instinct de l'inspiration divine. Mais admirez maintenant l'indulgente condescendance de Notre Seigneur qui retient avec tant de bonté son bien-aimé Disciple sur son cœur. 0 que l'amour qui les unissait l'un à l'autre était tendre ! Observez aussi les autres Disciples après qu'ils ont entendu ces paroles de leur divin Maître : Un d'entre vous me trahira; ils sont profondément affligés, ils ne peuvent plus manger, ils se regardent l'un l'autre et ne savent quel parti prendre. En voilà assez sur le premier article.
Mais le second n'est pas moins digne de toute votre attention. Car, après tous ces préliminaires, (1) Notre Seigneur se lève de table, et il est à l'instant suivi par ses Disciples qui ne savent où il veut aller. Or, Jésus descendit avec eux dans une pièce inférieure de la même maison ainsi que le rapportent ceux qui ont visité les lieux ; là il les fait tous asseoir, se fait apporter de l'eau, se dépouille de ses vêtements d'honneur, se ceint lui-même d'un linge et verse de l'eau dans un bassin de pierre pour leur laver les pieds. Pierre n'y veut pas consentir, et, tout stupéfait de l'abaissement de son divin Maître, se refuse à une action qui lui paraît si indigne d'une telle Majesté. Mais, dès qu'il eut entendu la menace de Jésus-Christ, il prit sagement un meilleur parti.
(1)Jean., 13.
Le Mandatum de la messe du Jeudi Saint
Le Roi de France Louis IX (Saint-Louis) effectuant le Mandatum (Lavement des pieds) le Jeudi-Saint au 13 eme siècle
Observez bien ici chaque action en particulier et contemplez avec admiration tout ce qui se passe. Le Dieu de Majesté, le Maître de l'humilité s'abaisse jusqu'aux pieds de pauvres pêcheurs, se tient tout courbé et agenouillé devant eux pendant qu'ils sont assis, lave de ses mains, essuie et baise les pieds de chacun d'eux. Et, ce qui met le comble à son humilité, c'est qu'il ne refuse pas de rendre un tel service au traître lui-même. Mais, ô cœur abominable ! n'est-tu pas plus dur que les rochers, puisqu'une telle humilité ne peut t'amollir, puisque tu crains si peu le Dieu de toute Majesté, puisque tu conspires la perte de Celui qui n'a cessé de te combler de bienfaits, de Celui qui est l'innocence même? Ah! malheur à toi misérable Apôtre ! Car tu t'endurciras encore, et le crime que tu as conçu, tu l'enfanteras; ce n'est point la perte de Jésus, c'est la tienne que tu vas consommer. Qu'il est donc juste d'admirer une si profonde humilité, une bonté si excessive, etc. Après le lavement des pieds, Jésus retourne au Cénacle, et, s'étant remis à table, il engage ses Disciples à l'imiter.
Or, vous pouvez remarquer que, dans cette soirée, Jésus-Christ nous a donné l'exemple de cinq grandes vertus. Premièrement, exemple d'humilité dans le lavement des pieds dont nous venons de parler. Secondement , exemple de charité dans l'institution du Sacrement de son corps et de son sang, ainsi que dans le Sermon après la Cène qu'il a rempli d'avis si charitables. Troisièmement, exemple de patience, en supportant la vue du Disciple qui le trahissait et tous les outrages dont on l'accabla lorsqu'il fut arrêté et conduit comme un voleur. Quatrièmement, exemple d'obéissance, en acceptant sa Passion et sa mort par soumission à la volonté de son Père. Cinquièmement, exemple de prière par sa triple oraison au Jardin des Oliviers. Efforçons-nous donc de l'imiter dans toutes ces vertus. Voilà ce que j'ai à dire sur le second article.
En méditant le troisième, soyez saisie d'étonnement à la vue de la condescendance charitable et de la charité condescendante avec lesquelles il se livre à nous tout entier et nous laisse son corps en nourriture. Lors donc qu'après avoir lavé les pieds de ses Disciples, il se fut remis à table, voulant mettre fin aux coutumes, aux sacrifices de l'ancienne loi et commencer un Nouveau Testament, il fait de sa personne sacrée, la victime du nouveau sacrifice, il prend le pain, lève les yeux vers son Père, il institue l'auguste Sacrement de son corps et le donne à ses Disciples en disant : (1) Ceci est mon corps qui sera livré pour vous. Puis, ayant pris de même le Calice , il dit : Ceci est mon sang qui sera répandu pour vous. Observez maintenant, au nom de Dieu , avec quel soin , quelle attention et quelle piété il fait toutes ces choses et communie de ses propres mains ces heureux Disciples qu'il traite comme des enfants bien-aimés ; et, pour perpétuer le souvenir de son amour, ajoute enfin : Faites ceci en mémoire de moi. Or, toutes les fois qu'une âme reconnaissante s'unit à Jésus-Christ, soit par la communion , soit par une fervente méditation , voilà le souvenir qui devrait l'enflammer, l'enivrer et la remplir d'un tel excès de charité et de dévotion qu'elle se transformât entièrement en Notre Seigneur Jésus-Christ. Car il ne pouvait nous laisser rien de plus grand, de plus cher, de plus doux et de plus précieux que lui-même.
(1) Matthieu, 26
En effet, ce que nous recevons dans le Sacrement, c'est Celui qui, dans sa merveilleuse Incarnation , étant né d'une Vierge, est mort pour nous, et, depuis sa Résurrection et sa glorieuse Ascension; est assis à la droite de Dieu; c'est Celui qui créa le Ciel , la terre et tout ce qu'ils contiennent , qui les gouverne et les conduit ; c'est Celui de qui dépend votre salut ; qui peut , suivant son bon plaisir, vous donner ou vous refuser la gloire du Paradis ; c'est Celui-là même , qui s'offre et se présente à vous sous de si faibles espèces; en un mot, c'est Notre Seigneur Jésus-Christ; car, c'est le Fils du Dieu vivant. Je n'en dis pas plus sur ce troisième article.
Mais dans le quatrième, où Jésus-Christ met le comble à toutes ses bontés pour nous, vous allez voir d'autres marques éclatantes de sa charité. Car il prononce (1) un discours admirable, plein de douceur et tout brûlant des flammes de la charité. En effet, après avoir communié tous ses Disciples et même l'infâme Judas, (2) selon ce que dit saint Augustin, quoique d'autres assurent qu'il n'a point été du nombre des communiants, Notre Seigneur dit à Judas : (3) Faites vite ce que vous avez à faire. Après quoi ce misérable, étant sorti, alla trouver les Princes des Prêtres, auxquels il avait la veille vendu son Maître pour trente deniers, et leur demanda une cohorte pour le prendre. Or, ce fut pendant l'absence de Judas que Notre Seigneur fit à ses Disciples le discours dont il s'agit. Entre toutes les choses intéressantes et dignes de vénération renfermées dans ce long discours, je m'arrête particulièrement à cinq que je vous engage à méditer profondément. Observez d'abord comment, annonçant à ses Disciples qu'il va bientôt les quitter, il les console et les encourage. Car il leur disait : (4) Je ne suis plus avec vous que pour quelque temps, mais je ne vous laisserai pas orphelins.
(1) Jean., 13. — (2) Aug. Enar. in psalm. 40. — (3) Jean.,13. — (4) Jean., 14.
Je m'en vais, mais je reviens à vous, je vous reverrai de nouveau et votre cœur sera rempli d'allégresse (1). Ces paroles et d'autres semblables que j'abrège, perçaient et pénétraient leurs cœurs. Car ils ne pouvaient supporter la pensée d'être séparés de leur divin Maître. En second lieu, remarquez, dans ne discours , avec quelle effusion de cœur Jésus parle à ses Disciples de la charité , comme il insiste sur la pratique de cette vertu , en disant : (2) Mon précepte, c'est que vous vous aimiez les uns les autres. On connaîtra que vous êtes mes Disciples à la charité que vous aurez les uns pour les autres, et autres avis du même genre que vous pourrez trouver abondamment dans l'Évangile. Troisièmement, considérez encore comment, dans ce discours, il leur recommande d'observer ses préceptes , en disant : (3) Si vous m'aimez, gardez mes commandements. (4) Si vous observez mes préceptes, vous demeurerez dans mon amour ; et autres choses semblables. En quatrième lieu, faites attention qu'en ce discours il les rassure contre les dangers des tribulations dont il leur annonce qu'ils seront bientôt assaillis, en leur disant : (5) Vous serez affligés dans ce monde, mais ayez confiance, j'ai vaincu le monde et encore : (6) Si le monde vous hait, sachez qu'il m'a haï le premier. (7) Le monde sera dans la joie et vous serez dans la tristesse, mais votre tristesse sera changée en joie. Cinquièmement, observez comment, au milieu de ce discours, Notre Seigneur, élevant ses yeux au Ciel, s'adresse à son Père et lui dit : (8) Mon Père, conservez ceux que vous m'avez donnés. Je les ai gardés, tant que j'ai été avec eux ; maintenant je retourne à vous. Père saint, je vous prie pour eux et non pour le monde ; je ne prie pas seulement pour eux, mais pour tous ceux qui doivent croire en moi, par leur ministère. Mon Père, je veux que là où je suis, ceux que vous m'avez donnés y soient avec moi, afin qu'ils contemplent ma gloire ; et autres semblables discours bien capables de leur déchirer le cœur. On a vraiment peine à comprendre comment les Disciples, qui avaient tant d'amour pour leur divin Maître, purent entendre de telles paroles.
(1) Jean., 16. — (2) Jean. , 14. — (3) Jean., 14. — (4) Jean., 13. — (5) Jean., 16. — (6) Jean., 13. — (7) Jean.,16. — (8) Jean., 17.
En effet, si vous examinez attentivement ce que renferme ce discours, si vous l'approfondissez dans une sérieuse méditation et si vous en savourez en paix toute la douceur, voire cœur sera certainement tout brûlant d'amour en contemplant tant de condescendance, de bonté, de prévoyance , d'indulgence, de charité et toutes les autres merveilles qui se sont passées dans cette soirée. Regardez Jésus pendant ce discours ; remarquez avec quelle force, quelle douceur , quel charme d'expressions il imprime tout ce qu'il dit dans l'âme de ses Disciples et repaît tout à la fois leurs yeux du bonheur de le voir, et leurs oreilles de celui de l'entendre.
Considérez ensuite les Disciples, tristes, la tête baissée ; ils pleurent , poussent de profonds soupirs , sont remplis d'une extrême affliction à laquelle Jésus, la Vérité même, rendait témoignage par ces paroles : (1) Parce que je vous ai dit ces choses , votre cœur est rempli de tristesse. Observez entr'autres saint Jean. Il se presse plus affectueusement contre le cœur de Jésus ; il arrête, sur celui qu'il aime , des regards inquiets et attentifs et recueille toutes ses paroles avec une tendre anxiété.
(1) Jean, 16.
Aussi n'y a-t-il que lui qui les ait écrites et nous les ait fidèlement transmises. Notre Seigneur dit entre autres choses à ses Disciples : (1) Levez-vous, sortons d'ici. Oh ! de quelle frayeur ne furent-ils pas alors remplis ! ils ne savaient ni en quel lieu , ni comment ils devaient se retirer, ils redoutaient extrêmement de se séparer de lui. Jésus continua de leur parler encore pendant qu'ils se rendaient ensemble en un autre lieu où il acheva son discours. Observez maintenant ses Disciples. Les uns le suivent, les autres l'accompagnent, chacun s'efforce de s'approcher de lui autant qu'il le peut ; ils se rassemblent autour de leur Maître comme des poussins autour de la poule. Jésus est pressé tantôt par l'un, tantôt par l'autre, à cause du désir qu'ils ont tous de s'approcher de lui et d'entendre ses paroles ; et Jésus les supporte avec bonté. Enfin tous ces mystères étant accomplis, il alla avec eux , au-delà du torrent de Cédron , dans un jardin, pour y attendre le traître Judas avec ses satellites.
(1) Marc, 14.
source : Méditations sur la vie de Jésus-Christ par St-Bonaventure – 13 eme siècle. (Extraits)
Saint Bonaventure d`Albano (Italie-1217 à 1274) - Ministre-Général des Franciscains – Théologien et Docteur de l`Église
Lisez, ou faites-vous souvent lire l'histoire de leur vie, et considérez attentivement leurs saintes actions, mais ne vous contentez pas de les admirer, et de bénir leur mémoire, joignez l'imitation au respect, et que ce soit-là le principal fruit de cette pieuse, et agréable lecture. (Juan Vives – Espagne 16 eme siècle)
LE DIMANCHE DES RAMEAUX
C`est un roi de paix et de mansuétude qui s`avance. Oh! quelle entrée triomphale que celle du Christ à Jérusalem. Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur! Paix dans le ciel et gloire au plus haut des cieux! Hosannah au Fils de David!
CHAPITRE LXXI.
JÉSUS MONTÉ SUR UN ÂNON FAIT SON ENTRÉE A JÉRUSALEM. — MOTIFS POUR LESQUELS JÉSUS A TROIS FOIS RÉPANDU DES LARMES.
Les mystères se multipliaient ; Jésus accomplissait toutes les Écritures ; et, les temps approchants, il brûlait d'opérer le salut du monde, en livrant son corps à tous les tourments de la Passion. Dès le matin donc du jour suivant, c'est-à-dire le dimanche, il se prépara à faire le voyage de Jérusalem d'une manière nouvelle et extraordinaire, mais selon que les Prophètes l'avaient prédit longtemps d'avance. Et au moment où il allait se mettre en route, sa Mère, ne pouvant se défendre d'une tendre émotion, essayait de le retenir en lui disant : « Où voulez-vous aller, mon Fils ? Vous savez qu'ils ont conspiré contre vous ; pourquoi vous mettez-vous entre leurs mains? Restez ici, je vous en prie. » Les Disciples ne pouvaient non plus consentir à le laisser partir, et faisaient aussi tous leurs efforts pour l'en empêcher. « Maître, disait Madeleine, pour Dieu, ne nous quittez pas. Vous savez qu'ils veulent vous faire mourir. Si vous vous mettez entre leurs mains, ils vous saisiront aujourd'hui et auront ainsi ce qu'ils désirent.»
Le Christ a Béthanie avec ses disciples
0 mon Dieu ! combien ces cœurs aimaient Jésus ! Combien tout ce qui pouvait lui nuire leur était pénible ! Mais Celui qui était altéré du salut des hommes, ayant autrement disposé les choses, leur disait : « La volonté de mon Père est que je parte ; ne me retenez pas davantage, et soyez sans crainte, car il nous défendra et nous reviendrons ce soir sans qu'il nous soit arrivé aucun mal. » Il se mit donc en marche, et cette petite, mais fidèle compagnie le suivit. Arrivé à Betphagé, petit bourg situé à moitié chemin de Jérusalem, il envoya deux de ses Disciples dans un village voisin avec ordre de lui amener une ânesse et son ânon attachés dans un lieu public et consacrés à l'usage des pauvres. (1) Cela fait, Notre Seigneur Jésus-Christ monta humblement sur l'ânesse, puis sur l'ânon, que les Disciples avaient couverts de leurs vêtements. Tel était l'équipage du Maître de l'univers ; et , quoiqu'il méritât les plus grands honneurs , voilà de quelles montures et de quels caparaçons il se servit au jour de son triomphe.
(1) Matthieu, 21. — Marc, 11. — Luc, 10.
Considérez-le maintenant avec attention, et voyez comment, au milieu de sa gloire, il réprouve la pompe et les honneurs du monde. Car au lieu de rênes et de selles enrichies d'or, au lieu de caparaçons revêtus de soie, suivant les usages insensés du monde, des vêtements grossiers, deux petites cordes étaient les seuls ornements de ces deux animaux qui portaient le Roi des Rois, le Seigneur des Seigneurs. Aussitôt que le peuple fut instruit de son arrivée, il courut en foule au-devant de lui, et l'accueillit comme un Roi, faisant entendre des cris de joie et des acclamations, étendant avec ivresse sur la route des vêtements et des branches d'arbres.
L`entrée a Jérusalem le dimanche des Rameaux
Mais au milieu de cette joie universelle. Jésus éprouvait un sentiment pénible. (1) A la vue de Jérusalem, il pleura sur elle en disant : Ah! si tu savais, tu pleurerais aussi sur toi-même. Or, vous ne l'ignorez pas, on lit dans l'Évangile que Jésus a trois fois répandu des larmes. La première fois sur la mort de Lazare, c'est-à-dire sur la misère de l'homme ; la seconde fois dans cette circonstance, c'est-à-dire sur notre aveuglement et notre ignorance. Car ce qui faisait couler ses pleurs sur Jérusalem, c'est qu'elle ne connaissait point le temps où elle était visitée. La troisième fois, il pleura sur sa Passion, ou plutôt sur les péchés et sur la malice des hommes, parce qu'il prévoyait que ses souffrances; qui suffisaient au salut du genre humain, ne seraient pas utiles à tous les hommes, puisque les réprouvés, les cœurs endurcis et impénitents ne devaient point en profiter. Et c'est ce qui, dans l’Épître aux Hébreux, fait dire à l'Apôtre parlant de Jésus-Christ au temps de sa Passion : (2) Qu'ayant poussé un grand cri et répandu des larmes, il fut exaucé par son Père à cause de l'humble respect qu'il avait pour lui. Le texte évangélique dit expressément que Jésus a pleuré trois fois comme nous venons de le dire; mais l'Église croit qu'il a encore pleuré dans d'autres circonstances, notamment dans sa première enfance; ce qu'elle exprime ainsi dans son Cantique :(3) L'Enfant-Dieu, resserré dans l'étroite prison de sa crèche , pousse des cris plaintifs ; ce qu'il ne faisait, que pour cacher au Démon ( aux anges déchus) le mystère de l'Incarnation.
Luc, 19. — (2) Hébreux, 5. — (3) Hymne de la sainte Croix.
Considérez-le donc aujourd'hui pleurant sur les habitants de Jérusalem; car vous devriez unir vos larmes aux siennes; ses pleurs sont abondants et intarissables, parce que ce n'est point en apparence, mais en réalité qu'il s'afflige du sort qui les attend. C'était sur le danger où ils étaient de se perdre éternellement qu'il pleurait avec tant d'amertume. Il leur prédit aussi alors leur destruction prochaine ( Destruction de Jérusalem et du temple par les romains en 70 Ap J.C.). Observez encore ses Disciples qui s'approchent de lui par un sentiment de crainte respectueuse.
Voilà ses Barons et ses Comtes, ses Gentilshommes et ses Écuyers ; voyez enfin la Mère de Jésus qui le suit attentive avec Madeleine et les autres femmes. Vous pourrez aisément concevoir qu'en voyant couler les larmes de Jésus, sa Mère et tous ses autres amis ne purent retenir les leurs. Notre Seigneur Jésus-Christ entra donc à Jérusalem avec cette pompe triomphale et ces honneurs que le peuple lui décernait et dont la ville fut toute troublée. (1) Il alla aussi au Temple d'où il chassa, pour la seconde fois, les acheteurs et les vendeurs.
Jésus demeura publiquement dans le Temple presque jusqu'au soir, prêchant et répondant aux questions que lui faisaient les Princes des Prêtres et les Pharisiens. Et, quoiqu'on lui eût prodigué de si grands honneurs, il ne se trouva personne qui l'invitât à prendre chez lui quelques rafraîchissements. Jésus donc et ceux qui l'accompagnaient restèrent à jeun pendant tout le jour, et tous retournèrent le soir à Béthanie.
(1) Marc, 11.
Remarquez bien avec quelle petite escorte Jésus traverse humblement cette ville où il avait été si honorablement reçu le matin. Cette observation vous fera comprendre qu'il faut faire bien peu de cas des honneurs du monde, qui passent si promptement. Vous pouvez encore remarquer quelle fut la joie de Madeleine et des autres Disciples pendant que Jésus recevait les hommages du peuple et surtout lorsque, heureusement délivré de tous les dangers, ils rentrèrent tous ensemble à Béthanie.
CHAPITRE LXXII.
NOTRE SEIGNEUR ANNONCE A SA MÈRE QU'IL VA BIENTÔT MOURIR.
Nous pouvons placer ici une méditation fort intéressante sur un fait que l'Écriture n'a point rapporté. Le mercredi, Notre Seigneur soupait avec ses Disciples chez Marthe et Marie, tandis que sa Mère et les autres saintes femmes prenaient aussi leur repas dans une autre partie de la maison. Madeleine, qui les servait, s'adressant à Jésus, lui dit : « Maître, n'oubliez pas de faire la Pâque avec nous, ne rejetez point la prière que je vous adresse. » Mais comme Jésus, au lieu de se rendre à ses vœux, déclarait qu'il irait faire la Pâque à Jérusalem, Madeleine, désolée et tout en pleurs, se retire, va trouver Marie, lui raconte ce qui vient de se passer et la conjure de retenir son Fils à Béthanie le jour où l'on devait faire la Pâque.
Or, après le souper, Notre Seigneur va trouver sa Mère, s'assied et s'entretient avec elle à l'écart, la faisant jouir abondamment des douceurs de sa présence dont elle allait bientôt être privée. Maintenant considérez-les avec attention assis l'un près de l'autre; voyez quel respectueux accueil Marie fait à son Fils, quelle tendre affection la retient près de lui, et en même temps, observez quel respect Jésus montre pour elle. Pendant un si doux entretient, Madeleine vient les trouver et, s'étant assise à leurs pieds , elle dit à Marie : « J'avais engagé notre Maître à faire ici la Pâque avec nous, mais il paraît qu'il veut aller la célébrer à Jérusalem, au risque de s'y faire prendre par ses ennemis; de grâce , ne le souffrez pas. » Marie dit alors à Jésus : « Ne risquez pas, mon Fils, une telle démarche, je vous prie; faites plutôt ici la Pâque avec nous; car vous savez quels pièges vos ennemis ont tendus pour vous prendre.» « Ma très-chère Mère, dit Jésus, la volonté de mon Père est que je fasse la Pâque à Jérusalem, car le moment est venu où je dois racheter le monde; bientôt va s'accomplir tout ce qui a été dit à mon sujet dans les Écritures, bientôt mes ennemis feront de moi tout ce qu'ils voudront.» La Mère de Jésus et Madeleine ne purent entendre ces paroles sans une extrême douleur, parce qu'elles virent bien que Notre Seigneur parlait ici de sa mort.
Marie qui pouvait à peine prononcer quelques mots, dit alors : « Mon Fils , ce que je viens d'entendre a porté le trouble dans mon cœur , et je le sens défaillir. Je ne sais que dire; que votre Père vous protège; je ne veux pas m'opposer à sa volonté, mais priez-le de différer, s'il lui plait, l'accomplissement de ces desseins et de vous laisser faire ici la Pâque avec tous vos amis. Il peut assurément opérer le salut des hommes par un autre moyen que par votre mort; car rien ne lui est impossible. »
Oh ! si, pendant cet entretien, vous pouviez voir les larmes abondantes qui coulent avec tant de modestie des yeux de Marie et les torrents de pleurs que, dans l'excès d'amour dont elle est comme enivrée pour son divin Maître, Madeleine unit aux sanglots les plus lamentables, certes, vous ne pourriez vous-même vous défendre de pleurer avec elles ! Considérez dans quelle situation elles se trouvaient pendant ces explications. Enfin Jésus dit avec douceur pour les consoler : « Ne pleurez point, car vous savez que je dois l'obéissance à mon Père, mais croyez fermement que vous me reverrez bientôt et que, délivré de tous les maux, je ressusciterai le troisième jour. J'irai donc, selon la volonté de mon Père, faire la Pâque sur la montagne de Sion. » Madeleine dit alors : « Puisque nous ne pouvons l'empêcher de partir, allons aussi à Jérusalem dans la maison que nous y possédons. Mais je ne crois pas que nous y ayons jamais fait la Pâque avec tant d'amertume. » Jésus permit qu'elles allassent faire la Pâque dans cette maison.
LE JEUDI SAINT
CHAPITRE LXXIII.
DE LA CÈNE DE NOTRE SEIGNEUR ; PUIS DE LA TABLE ET DE LA MANIÈRE DONT IL S'Y MIT AVEC SES DISCIPLES. — DE CINQ EXEMPLES DE VERTUS DONNÉS PAR JÉSUS-CHRIST DANS LA CÈNE, ET DE CINQ CHOSES A MÉDITER DANS LE DISCOURS QUE NOTRE SEIGNEUR FIT APRÈS LA CÈNE.
Les jours de la clémence et de la miséricorde de Notre Seigneur Jésus-Christ étant proches, le moment étant enfin venu où il avait résolu de sauver son peuple et de le racheter, (1) « non avec un or et un argent corruptibles, mais au prix de son sang précieux, » il voulut, avant que la mort le séparât de ses Disciples, faire avec eux une grande Cène, pour leur laisser un signe commémoratif de cette mort, et aussi , pour achever les mystères qui lui restaient à accomplir. Cette Cène fut d'une extrême magnificence, et ce que Jésus y fit est digne de votre admiration.
(1) 1 Pierre, 1.
Contemplez, avec une extrême attention, toutes ces choses comme si elles se passaient sous vos yeux ; car, si vous assistez dignement et avec soin à ce festin, Notre Seigneur, dont la bonté est infinie, ne souffrira pas que vous en sortiez à jeun. Or, dans la Cène, vous avez particulièrement à méditer quatre choses extrêmement remarquables. La première, le souper et toutes les circonstances matérielles qui s'y rapportent; la seconde, le lavement des pieds des Disciples opéré par Notre Seigneur; la troisième, l'institution du Sacrement de son corps; la quatrième, enfin, l'admirable sermon qu'il fit en cette circonstance. Nous allons successivement les examiner.
Quant à la première, considérez que (1) Pierre et Jean allèrent, conformément à l'ordre que Notre Seigneur leur en avait donné, sur la montagne de Sion, préparer la Pâque dans la maison de l'un de ses amis où se trouvait une salle grande et bien ornée. Voyez aussi comment Notre Seigneur, accompagné des autres Disciples, entra dans la ville le jeudi vers la fin du jour et se rendit au lieu indiqué. Observez ensuite Jésus retiré dans un lieu écarté de la maison et adressant des paroles édifiantes à ses Disciples, pendant que quelques-uns des soixante-douze préparaient la Pâque dans le Cénacle. Car on lit dans une légende de saint Martial que ce saint, avec quelques-uns des soixante-douze, aidaient Notre Seigneur pendant que le soir de ce même jour il lavait les pieds à ses Disciples.
(1) Matthieu, 26
Lors donc que tout fut préparé dans le Cénacle, saint Jean, le Disciple bien-aimé, qui, dans sa sollicitude, ne cessait d'aller et de venir, soit pour présider, soit pour aider à cette préparation, vint dire à Jésus : « Seigneur, tout est prêt; maintenant vous pouvez vous mettre à table quand il vous plaira. » Examinez à présent avec soin et avec une sérieuse attention toutes les actions et toutes les paroles de Notre Seigneur, parce qu'elles sont fort touchantes; au lieu de les abréger, comme les autres faits de sa vie, vous devez plutôt ici les étendre et les développer; car c'est d'un tel examen que dépend toute l'efficacité des méditations que vous pouvez faire sur sa personne, et surtout sur cet amour qui lui fit opérer dans la Cène des prodiges si étonnants.
Notre Seigneur se leva donc ainsi que ses Disciples. Mais saint Jean se tint auprès de lui, pour ne plus s'en séparer dans la suite ; car personne ne lui fut plus fidèlement, plus tendrement attaché que saint Jean. En effet, lorsque Jésus fut arrêté, saint Jean entra avec lui dans la maison du Prince des Prêtres et ne le quitta plus, ni pendant qu'on le crucifiait, ni à sa mort, ni après sa mort, jusqu'au moment de sa sépulture. Mais dans la Cène, il s'assit tout près de lui, quoiqu'il fût le plus jeune de tous les Disciples. Alors tous entrent dans le Cénacle, se lavent les mains, et font, avec beaucoup de piété, la bénédiction de la table autour de laquelle ils se sont rangés.
Observez bien tout ce qui va suivre. Or, vous n'ignorez pas que la table était posée à terre et qu'à la manière des anciens, tous s'assirent à terre pour manger. Cette table, ainsi qu'on le croit, était carrée et composée de plusieurs planches ; je l'ai vue à Rome, dans l'Église de Latran, et j'en ai même mesuré les dimensions. La longueur de chaque côté est de deux bras et trois doigts, ou une palme environ ; de sorte que, suivant l'opinion générale, trois Disciples pouvaient s'asseoir un peu à l'étroit de chaque côté ; Notre Seigneur s'était placé humblement à l'un des coins, et ainsi , tout le monde pouvait manger au même plat ; cela fit que quand Jésus dit : Celui qui met la main au plat avec moi me trahira, ses Disciples ne comprirent pas ces paroles, parce que tous portaient la main au plat. Après que le divin Maître eut étendu la main pour bénir aussi la table, tous s'asseyent à l'entour, et saint Jean se place à côté de Notre Seigneur.
On apporte alors l'Agneau pascal. Mais remarquez que la méditation peut se faire ici de deux manières. La première, est de se représenter les Disciples assis comme je viens de le dire; la seconde, debout, un bâton à la main et mangeant l'Agneau avec des laitues sauvages, pour observer ce que prescrit la loi ; mais il faudra ensuite les considérer assis, prenant quelque nourriture, ainsi qu'on peut le conclure de plusieurs passages du texte, puisque saint Jean, s'il n'eût été assis, n'aurait pu se reposer sur le sein de Jésus. On apporte donc l'Agneau tout rôti, et Jésus, le véritable Agneau immaculé, placé au centre de la table comme celui qui y préside, le prend, le coupe en morceaux, et, plein de joie, le présente à ses Disciples en les excitant à en manger; ils en mangent, mais ils ne peuvent se livrer à la joie, parce qu'ils craignent quelque nouvel attentat contre leur divin Maître.
Pendant le souper, Jésus découvrit plus clairement ce qui devait lui arriver, et dit entre autres choses : (1) J'ai désiré avec ardeur de faire avec vous cette Pâque, avant que de souffrir; mais l'un d'entre-vous doit me trahir. Cette parole pénétra dans leurs cœurs comme le glaive le plus tranchant ; ils ne purent continuer de manger, se regardèrent l`un l'autre et dirent à Jésus : Est-ce moi, Seigneur? Considérez-les bien à ce moment, et ne refuser votre compassion, ni à eux, ni à Notre Seigneur; car ils sont tous accablés de tristesse.
(1) Luc, 22.
Quant au traître Judas, pour ne pas laisser croire que ces paroles le regardent, il n'interrompt point son repas. Mais saint Jean, sur les instances de saint Pierre, s'adressant à Jésus, lui dit : (1) Maître, quel est donc celui qui vous trahira? Et Notre Seigneur le lui fit connaître familièrement, parce qu'il avait pour lui une amitié toute particulière. Alors saint Jean, dans l'étonnement et la douleur où cette confidence l'avait jeté, se tourna vers lui et se coucha sur son sein. Mais Jésus ne dit pas à saint Pierre quel était le traître, parce que, comme l'observe saint Augustin , si Pierre l'eût connu , il l'eût indubitablement mis en pièces (2).
Saint Augustin, dans la même homélie sur l'Évangile qu'on lit à la fête de saint Jean, observe que saint Pierre est l'image de la vie active, comme saint Jean est la figure de la vie contemplative. D'où vous devez conclure que ceux qui se livrent à la contemplation ne s'immiscent jamais ni de juger les actes purement intérieurs, ni même de demander la punition des offenses faites à Notre Seigneur; mais qu'ils se bornent à gémir intérieurement, qu'ils s'adressent à Dieu par de ferventes prières, et qu'après s'être plus fortement rapprochés de Dieu par la contemplation et s'y être attachés plus étroitement, ils abandonnent tout à la disposition de sa providence. Car, ainsi que je l'ai amplement expliqué ci-dessus en parlant de la contemplation, le zèle de Dieu et le salut du prochain obligent quelquefois les âmes contemplatives à se répandre au-dehors. Vous pouvez aussi remarquer ici que saint Jean ne dit rien à Pierre de ce qu'il vient d'apprendre, quoique ce fût sur sa demande qu'il eût interrogé le Seigneur.
(1) Jean., 13. — (2) August. tract., 124, in Joan., tom. 9.
Vous pouvez inférer de là que ceux qui s'exercent à la vie contemplative ne doivent pas révéler les secrets de leur divin Maître. On voit, en effet, que saint François ne faisait connaître les choses que Dieu lui révélait intérieurement qu'autant qu'il y était poussé par le zèle du salut de ses frères, ou par l'instinct de l'inspiration divine. Mais admirez maintenant l'indulgente condescendance de Notre Seigneur qui retient avec tant de bonté son bien-aimé Disciple sur son cœur. 0 que l'amour qui les unissait l'un à l'autre était tendre ! Observez aussi les autres Disciples après qu'ils ont entendu ces paroles de leur divin Maître : Un d'entre vous me trahira; ils sont profondément affligés, ils ne peuvent plus manger, ils se regardent l'un l'autre et ne savent quel parti prendre. En voilà assez sur le premier article.
Mais le second n'est pas moins digne de toute votre attention. Car, après tous ces préliminaires, (1) Notre Seigneur se lève de table, et il est à l'instant suivi par ses Disciples qui ne savent où il veut aller. Or, Jésus descendit avec eux dans une pièce inférieure de la même maison ainsi que le rapportent ceux qui ont visité les lieux ; là il les fait tous asseoir, se fait apporter de l'eau, se dépouille de ses vêtements d'honneur, se ceint lui-même d'un linge et verse de l'eau dans un bassin de pierre pour leur laver les pieds. Pierre n'y veut pas consentir, et, tout stupéfait de l'abaissement de son divin Maître, se refuse à une action qui lui paraît si indigne d'une telle Majesté. Mais, dès qu'il eut entendu la menace de Jésus-Christ, il prit sagement un meilleur parti.
(1)Jean., 13.
Le Mandatum de la messe du Jeudi Saint
Le Roi de France Louis IX (Saint-Louis) effectuant le Mandatum (Lavement des pieds) le Jeudi-Saint au 13 eme siècle
Observez bien ici chaque action en particulier et contemplez avec admiration tout ce qui se passe. Le Dieu de Majesté, le Maître de l'humilité s'abaisse jusqu'aux pieds de pauvres pêcheurs, se tient tout courbé et agenouillé devant eux pendant qu'ils sont assis, lave de ses mains, essuie et baise les pieds de chacun d'eux. Et, ce qui met le comble à son humilité, c'est qu'il ne refuse pas de rendre un tel service au traître lui-même. Mais, ô cœur abominable ! n'est-tu pas plus dur que les rochers, puisqu'une telle humilité ne peut t'amollir, puisque tu crains si peu le Dieu de toute Majesté, puisque tu conspires la perte de Celui qui n'a cessé de te combler de bienfaits, de Celui qui est l'innocence même? Ah! malheur à toi misérable Apôtre ! Car tu t'endurciras encore, et le crime que tu as conçu, tu l'enfanteras; ce n'est point la perte de Jésus, c'est la tienne que tu vas consommer. Qu'il est donc juste d'admirer une si profonde humilité, une bonté si excessive, etc. Après le lavement des pieds, Jésus retourne au Cénacle, et, s'étant remis à table, il engage ses Disciples à l'imiter.
Or, vous pouvez remarquer que, dans cette soirée, Jésus-Christ nous a donné l'exemple de cinq grandes vertus. Premièrement, exemple d'humilité dans le lavement des pieds dont nous venons de parler. Secondement , exemple de charité dans l'institution du Sacrement de son corps et de son sang, ainsi que dans le Sermon après la Cène qu'il a rempli d'avis si charitables. Troisièmement, exemple de patience, en supportant la vue du Disciple qui le trahissait et tous les outrages dont on l'accabla lorsqu'il fut arrêté et conduit comme un voleur. Quatrièmement, exemple d'obéissance, en acceptant sa Passion et sa mort par soumission à la volonté de son Père. Cinquièmement, exemple de prière par sa triple oraison au Jardin des Oliviers. Efforçons-nous donc de l'imiter dans toutes ces vertus. Voilà ce que j'ai à dire sur le second article.
En méditant le troisième, soyez saisie d'étonnement à la vue de la condescendance charitable et de la charité condescendante avec lesquelles il se livre à nous tout entier et nous laisse son corps en nourriture. Lors donc qu'après avoir lavé les pieds de ses Disciples, il se fut remis à table, voulant mettre fin aux coutumes, aux sacrifices de l'ancienne loi et commencer un Nouveau Testament, il fait de sa personne sacrée, la victime du nouveau sacrifice, il prend le pain, lève les yeux vers son Père, il institue l'auguste Sacrement de son corps et le donne à ses Disciples en disant : (1) Ceci est mon corps qui sera livré pour vous. Puis, ayant pris de même le Calice , il dit : Ceci est mon sang qui sera répandu pour vous. Observez maintenant, au nom de Dieu , avec quel soin , quelle attention et quelle piété il fait toutes ces choses et communie de ses propres mains ces heureux Disciples qu'il traite comme des enfants bien-aimés ; et, pour perpétuer le souvenir de son amour, ajoute enfin : Faites ceci en mémoire de moi. Or, toutes les fois qu'une âme reconnaissante s'unit à Jésus-Christ, soit par la communion , soit par une fervente méditation , voilà le souvenir qui devrait l'enflammer, l'enivrer et la remplir d'un tel excès de charité et de dévotion qu'elle se transformât entièrement en Notre Seigneur Jésus-Christ. Car il ne pouvait nous laisser rien de plus grand, de plus cher, de plus doux et de plus précieux que lui-même.
(1) Matthieu, 26
En effet, ce que nous recevons dans le Sacrement, c'est Celui qui, dans sa merveilleuse Incarnation , étant né d'une Vierge, est mort pour nous, et, depuis sa Résurrection et sa glorieuse Ascension; est assis à la droite de Dieu; c'est Celui qui créa le Ciel , la terre et tout ce qu'ils contiennent , qui les gouverne et les conduit ; c'est Celui de qui dépend votre salut ; qui peut , suivant son bon plaisir, vous donner ou vous refuser la gloire du Paradis ; c'est Celui-là même , qui s'offre et se présente à vous sous de si faibles espèces; en un mot, c'est Notre Seigneur Jésus-Christ; car, c'est le Fils du Dieu vivant. Je n'en dis pas plus sur ce troisième article.
Mais dans le quatrième, où Jésus-Christ met le comble à toutes ses bontés pour nous, vous allez voir d'autres marques éclatantes de sa charité. Car il prononce (1) un discours admirable, plein de douceur et tout brûlant des flammes de la charité. En effet, après avoir communié tous ses Disciples et même l'infâme Judas, (2) selon ce que dit saint Augustin, quoique d'autres assurent qu'il n'a point été du nombre des communiants, Notre Seigneur dit à Judas : (3) Faites vite ce que vous avez à faire. Après quoi ce misérable, étant sorti, alla trouver les Princes des Prêtres, auxquels il avait la veille vendu son Maître pour trente deniers, et leur demanda une cohorte pour le prendre. Or, ce fut pendant l'absence de Judas que Notre Seigneur fit à ses Disciples le discours dont il s'agit. Entre toutes les choses intéressantes et dignes de vénération renfermées dans ce long discours, je m'arrête particulièrement à cinq que je vous engage à méditer profondément. Observez d'abord comment, annonçant à ses Disciples qu'il va bientôt les quitter, il les console et les encourage. Car il leur disait : (4) Je ne suis plus avec vous que pour quelque temps, mais je ne vous laisserai pas orphelins.
(1) Jean., 13. — (2) Aug. Enar. in psalm. 40. — (3) Jean.,13. — (4) Jean., 14.
Je m'en vais, mais je reviens à vous, je vous reverrai de nouveau et votre cœur sera rempli d'allégresse (1). Ces paroles et d'autres semblables que j'abrège, perçaient et pénétraient leurs cœurs. Car ils ne pouvaient supporter la pensée d'être séparés de leur divin Maître. En second lieu, remarquez, dans ne discours , avec quelle effusion de cœur Jésus parle à ses Disciples de la charité , comme il insiste sur la pratique de cette vertu , en disant : (2) Mon précepte, c'est que vous vous aimiez les uns les autres. On connaîtra que vous êtes mes Disciples à la charité que vous aurez les uns pour les autres, et autres avis du même genre que vous pourrez trouver abondamment dans l'Évangile. Troisièmement, considérez encore comment, dans ce discours, il leur recommande d'observer ses préceptes , en disant : (3) Si vous m'aimez, gardez mes commandements. (4) Si vous observez mes préceptes, vous demeurerez dans mon amour ; et autres choses semblables. En quatrième lieu, faites attention qu'en ce discours il les rassure contre les dangers des tribulations dont il leur annonce qu'ils seront bientôt assaillis, en leur disant : (5) Vous serez affligés dans ce monde, mais ayez confiance, j'ai vaincu le monde et encore : (6) Si le monde vous hait, sachez qu'il m'a haï le premier. (7) Le monde sera dans la joie et vous serez dans la tristesse, mais votre tristesse sera changée en joie. Cinquièmement, observez comment, au milieu de ce discours, Notre Seigneur, élevant ses yeux au Ciel, s'adresse à son Père et lui dit : (8) Mon Père, conservez ceux que vous m'avez donnés. Je les ai gardés, tant que j'ai été avec eux ; maintenant je retourne à vous. Père saint, je vous prie pour eux et non pour le monde ; je ne prie pas seulement pour eux, mais pour tous ceux qui doivent croire en moi, par leur ministère. Mon Père, je veux que là où je suis, ceux que vous m'avez donnés y soient avec moi, afin qu'ils contemplent ma gloire ; et autres semblables discours bien capables de leur déchirer le cœur. On a vraiment peine à comprendre comment les Disciples, qui avaient tant d'amour pour leur divin Maître, purent entendre de telles paroles.
(1) Jean., 16. — (2) Jean. , 14. — (3) Jean., 14. — (4) Jean., 13. — (5) Jean., 16. — (6) Jean., 13. — (7) Jean.,16. — (8) Jean., 17.
En effet, si vous examinez attentivement ce que renferme ce discours, si vous l'approfondissez dans une sérieuse méditation et si vous en savourez en paix toute la douceur, voire cœur sera certainement tout brûlant d'amour en contemplant tant de condescendance, de bonté, de prévoyance , d'indulgence, de charité et toutes les autres merveilles qui se sont passées dans cette soirée. Regardez Jésus pendant ce discours ; remarquez avec quelle force, quelle douceur , quel charme d'expressions il imprime tout ce qu'il dit dans l'âme de ses Disciples et repaît tout à la fois leurs yeux du bonheur de le voir, et leurs oreilles de celui de l'entendre.
Considérez ensuite les Disciples, tristes, la tête baissée ; ils pleurent , poussent de profonds soupirs , sont remplis d'une extrême affliction à laquelle Jésus, la Vérité même, rendait témoignage par ces paroles : (1) Parce que je vous ai dit ces choses , votre cœur est rempli de tristesse. Observez entr'autres saint Jean. Il se presse plus affectueusement contre le cœur de Jésus ; il arrête, sur celui qu'il aime , des regards inquiets et attentifs et recueille toutes ses paroles avec une tendre anxiété.
(1) Jean, 16.
Aussi n'y a-t-il que lui qui les ait écrites et nous les ait fidèlement transmises. Notre Seigneur dit entre autres choses à ses Disciples : (1) Levez-vous, sortons d'ici. Oh ! de quelle frayeur ne furent-ils pas alors remplis ! ils ne savaient ni en quel lieu , ni comment ils devaient se retirer, ils redoutaient extrêmement de se séparer de lui. Jésus continua de leur parler encore pendant qu'ils se rendaient ensemble en un autre lieu où il acheva son discours. Observez maintenant ses Disciples. Les uns le suivent, les autres l'accompagnent, chacun s'efforce de s'approcher de lui autant qu'il le peut ; ils se rassemblent autour de leur Maître comme des poussins autour de la poule. Jésus est pressé tantôt par l'un, tantôt par l'autre, à cause du désir qu'ils ont tous de s'approcher de lui et d'entendre ses paroles ; et Jésus les supporte avec bonté. Enfin tous ces mystères étant accomplis, il alla avec eux , au-delà du torrent de Cédron , dans un jardin, pour y attendre le traître Judas avec ses satellites.
(1) Marc, 14.
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: Méditations sur la Passion du Christ pendant le Carême selon Saint-Bonaventure - Italie - 13 eme siècle
CHAPITRE LXXIV
MÉDITATIONS SUR LA PASSION DE NOTRE SEIGNEUR EN GÉNÉRAL.
VENDREDI SAINT
Nous allons maintenant approfondir la Passion de Notre Seigneur Jésus-Christ. Si l'on veut donc se glorifier dans la Passion et dans la Croix de Notre Seigneur, il faut, par une soigneuse et persévérante méditation, s'appliquer à ce mystère, dont les profondeurs et les circonstances, examinées avec tout le recueillement de l`esprit, sont indubitablement capables de nous renouveler entièrement. En effet, celui qui les examinerait avec une sérieuse attention et du fond du cœur verrait s'opérer dans ses affections des changements inespérés qui produiraient bientôt en lui une plus vive compassion, un plus ardent amour, de plus douces consolations, et par conséquent, une espèce de renouvellement que l'on pourrait regarder comme un présage et un avant-goût de la gloire éternelle. Pour moi qui ne suis qu'un ignorant et qui ne sais que balbutier sur un pareil sujet , il me semblerait que, pour parvenir à ce renouvellement, il faudrait, détournant ses regards de toutes les choses de la terre et tenant les yeux éclairés du cœur sans cesse ouverts sur ce mystère , appliquer à sa considération toute la pénétration de son esprit et considérer tout ce qui regarde la Croix , la Passion et la mort de Jésus-Christ avec autant d'intérêt , d'attention , d'amour et de persévérance que si nous étions réellement présents à ce spectacle.
Si donc vous avez fait une sérieuse attention à tout ce que nous avons précédemment dit sur la vie de Notre Seigneur, je vous engage à appliquer ici, avec encore plus de soin, tout votre esprit et toutes vos facultés, parce que c'est surtout dans sa Passion qu'éclate cette charité qui devrait entièrement enflammer notre cœur. Je me propose donc de mettre sous vos yeux toutes les circonstances de la Passion, en les modifiant comme je l'ai déjà fait, de manière que vous pourrez les méditer telles que je vais vous les raconter. Car, dans cet opuscule, je ne donnerai pour certain que ce qui est garanti par la sainte Écriture, justifié par le témoignage des saints, ou du moins par des opinions généralement approuvées.
Or on a, selon moi, bien raison de dire que la peine de mort infligée à Notre Seigneur sur la Croix et en même temps tous les tourments qui l'ont précédée sont bien propres à exciter en nous les plus vifs sentiments de compassion, d'amertume et de stupeur. Comment, en effet, rester froid et indifférent en pensant que Notre Seigneur, que le Dieu béni au-dessus de toutes choses eut, depuis l'heure de la nuit où on l'arrêta jusqu'à la sixième heure du jour suivant, à souffrir de continuelles attaques, d'excessives douleurs, des opprobres, des outrages et des tourments cruels ? Car on ne lui accorda pas le moindre repos ; et vous allez voir quel combat, quels assauts il eut à soutenir.
Le doux, l'aimable , le tendre Jésus est arrêté, garrotté; on s'élève, on fait entendre des clameurs, des imputations, des blasphèmes contre lui; l'un lui crache au visage , l'autre le maltraite ; un autre lui tend des pièges, un quatrième l'interroge ; quelques-uns subornent de faux témoins contre lui , d'autres rassemblent ses ennemis; celui-ci rend contre lui un faux témoignage , celui-là se fait son accusateur ; on se joue de lui , on couvre ses yeux d'un voile, on meurtrit son beau visage, on le soufflète; un bourreau le conduit à la colonne, un autre le dépouille de ses vêtements ; pendant sa marche , les uns le frappent, d'autres l'outragent ; l'un se saisit insolemment de lui pour le tourmenter, l'autre l'attache à la colonne ; ceux-ci se précipitent sur lui , ceux-là le flagellent; il est revêtu de pourpre par dérision, couronné d'épines; un soldat met entre ses mains un roseau dont un autre s'empare avec fureur, pour en frapper sa tête couronnée d'épines , un troisième fléchit le genou par moquerie , un quatrième se rit de cette génuflexion; enfin tous les genres d'opprobres lui sont prodigués. Il est conduit et reconduit , méprisé et rejeté ; il va, il vient d'un lieu dans un autre comme un insensé, le plus stupide de tous les hommes , et même comme un voleur et un infâme malfaiteur; il comparaît tantôt devant Anne , tantôt devant Caïphe , tantôt devant Pilate , tantôt devant Hérode , une seconde fois devant Pilate qui le fait aller et revenir alternativement de l'intérieur à l'extérieur de son Palais. Bon Dieu! qu'est-ce que tout cela !
N'est-ce pas là, ma Fille , à votre avis , un combat très-rude, très-insupportable, incessant et excessif? Mais attendez un peu et je vous montrerai des assauts plus terribles encore ; les Princes des Prêtres, les Pharisiens, les Anciens et une foule innombrable s'acharnent constamment contre lui. Tous n'ont qu'une voix pour demander qu'il soit crucifié. On charge sur ses épaules brisées et déchirées la Croix où l'on doit bientôt l'attacher. Citoyens, étrangers, grands, débauchés, intempérants, tous accourent de toutes parts, non pour compatir, mais pour insulter indignement à ses maux. Nul ne rend hommage à sa personne sacrée, mais tous le souillent, le couvrent brutalement de boue et d'ordures ; et pendant qu'il supporte cette ignominie, il réalise ce texte prophétique : (1) Ceux qui étaient assis à la porte déclamaient contre lui; et les hommes de plaisirs l'insultaient le verre à la main dans des chansons bachiques.
On le pousse, on le tourmente , on le traîne , on précipite sa marche , et, après l'avoir ainsi maltraité, harassé, tout-à-fait accablé et rassasié d'opprobres jusqu'à l'excès, on ne lui laisse aucune paix , aucun repos ; à peine lui permet-on de respirer jusqu'à ce qu'il soit parvenu à la montagne du Calvaire , lieu le plus dégoûtant , le plus infect de tous. Et tout cela se fait avec autant de violence que de fureur. Là se terminent et s'apaisent les violentes attaques dont nous venons de parler ; mais cette paix est plus cruelle que la guerre elle-même. On le crucifie, on l'étend sur un lit de douleur; voilà le repos qu'on lui accorde.
Vous voyez donc quel long et terrible combat Jésus eut à soutenir jusqu'à la sixième heure du jour. (2) Les eaux de la tribulation ont vraiment inondé son âme; (3) une meute nombreuse d'animaux terribles , hardis et cruels l'ont environné de toute part; (4) il a été assiégé par une foule d'hommes pervers dont les mains et les langues , semblables à un glaive à deux tranchants, se sont cruellement tournées contre lui.
(1) Psaume 68.— (2) Psaume 68. — (3) Psaume 21 . — (4) Psaume 36.
Il semblerait que ce que nous venons de dire pourrait suffire pour méditer sommairement la Passion de Notre Seigneur dans les trois heures qui précèdent Sexte, c'est-à-dire Matines, Prime et Tierce. Mais il ne faut pas nous en tenir là. Les douleurs excessives, les tourments cruels qu'endura Jésus, ne doivent pas être traités si légèrement; ainsi reportez vos regards en arrière, et recueillez-vous profondément; car il reste à vous présenter d'importantes et nombreuses considérations qui ne manqueront pas de vous toucher et de vous édifier, si, selon notre conseil, vous avez soin de vous rendre les circonstances de la Passion aussi présentes que si elles se passaient sous vos yeux. Nous vous les avons fait connaître dans une sorte de généralité; mais examinons-les maintenant l'une après l'autre, car nous ne devons pas nous lasser de penser à tout ce que Notre Seigneur ne s'est pas lassé de souffrir.
CHAPITRE LXXV.
MÉDITATION SUR LA PASSION DE JÉSUS-CHRIST AVANT MATINES.
Reprenez donc ces méditations depuis le commencement de la Passion, et continuez-les, par ordre , jusqu'à la fin. Il me semble que je dois me borner ici à esquisser légèrement ce sujet; mais, si cela vous convient, vous pourrez vous exercer à le développer selon que Notre Seigneur lui-même vous en fera la grâce. Observez donc chaque chose comme si elle se passait sous vos yeux; et considérez d'abord attentivement Jésus au moment où, sortant de la Cène et ayant terminé son discours, il se rend avec ses Disciples au jardin des Oliviers. Enfin entrez-y en même temps que lui et remarquez avec quelle affection, quelle amitié , quelle , familiarité il adresse la parole à ses Disciples et les invite à prier; voyez comment, après s'être un peu éloigné d'eux à la distance d'un jet de pierre , il s'agenouille et adresse à son Père une humble et respectueuse prière.
Arrêtez-vous ici quelque temps et repassez pieusement dans votre esprit toutes les merveilles du Seigneur votre Dieu. Jésus prie donc. Or on a vu précédemment qu'il avait souvent ainsi prié ; mais jusque-là il avait prié pour nous en qualité de médiateur, et maintenant c'était pour lui-même qu'il priait. Laissez-vous pénétrer tout à la fois de compassion et d'admiration à la vue d'une humilité si profonde. Car, bien qu'il soit Dieu, coéternel et égal en tout à son Père, il semble oublier sa divinité, il prie comme s'il n'était qu'un homme et se tient prosterné devant Dieu comme le ferait le dernier des mortels.
Considérez aussi sa parfaite obéissance. En effet, que demande-t-il? Il supplie son Père d'éloigner de lui l'heure de sa mort, il aimerait à prolonger ses jours, si tel était le bon plaisir de son Père, et ce désir n'est point exaucé, parce qu'il est contraire à une autre volonté qui était en lui. Car, comme je le dirai plus tard, il y avait en Jésus plusieurs volontés. Et ce qui doit exciter de nouveau votre compassion, c'est que son Père veut absolument qu'il meure, c'est qu'il n'a point épargné son propre Fils, son Fils unique; mais qu'il l'a livré, pour nous tous, à une si horrible mort. (1) Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné pour lui son Fils unique. Jésus obéit et se soumet respectueusement à la volonté de son Père. Voyez, en troisième lieu, combien l'ineffable miséricorde que le Père et le Fils ont eue pour nous est digne de compassion, d'admiration et de vénération.
(1) Jean., 3.
Une telle mort est commandée et soufferte pour nous, par un excès de la Charité du Père et du Fils. Notre Seigneur Jésus-Christ prie donc longtemps en ces termes : (1) « Dieu de clémence, ô mon Père! je vous en conjure, écoutez mon humble prière, ne rejetez pas mes supplications. Daignez m'entendre et m'exaucer, car mes tristes pensées font couler mes larmes; mon esprit est rempli d'inquiétudes, le trouble a pénétré jusqu'au fond de mon cœur. Prêtez donc l'oreille à ma prière et écoutez ma voix suppliante. Il vous a plu, mon Père, de m'envoyer en ce monde pour réparer l'outrage que l'homme a fait à votre divine Majesté, et aussitôt que votre volonté m'a été connue, j'ai dit : Me voici prêt à partir, prêt à faire votre volonté, ainsi qu'il est écrit de moi à la tête du livre. J'ai enseigné aux hommes la vérité et la voix du salut qui conduisent à vous. J'ai aimé, dès les jours de ma jeunesse, la pauvreté et le travail. J'ai fait votre volonté et j'ai obéi à tous vos commandements. Je suis prêt encore à accomplir ce qui me reste à faire. Cependant, mon Père, s'il est possible, éloignez de moi les maux affreux que mes ennemis me préparent. Car voyez, mon Père, combien d'imputations ils élèvent contre moi, de combien d'accusations horribles ils me chargent, pour lesquelles ils ont comploté de m' ôter la vie. (2) Père saint, si j'ai fait ce qu'on m'impute, si mes mains sont souillées par l'iniquité, si j'ai rendu le mal pour le mal, que je tombe sans défense devant mes ennemis; je l'ai mérité. (3) Mais je me suis toujours appliqué à faire ce qui vous est agréable.»
(1) Psaume 54. — (2) Psaume 7. — (2) Psaume 108.
«Et cependant ils m'ont rendu le mal pour le bien, et la haine pour l'amour; ils ont corrompu l'un de mes Disciples, et l'ont mis à leur tête pour me perdre ; trente deniers , voilà le salaire qu'ils lui ont promis et la valeur à laquelle ils m'ont apprécié. (1) Je vous supplie, ô mon Père, d'éloigner de moi ce calice; néanmoins, si vous en jugez autrement, que votre volonté soit faite et non la mienne. Mais, mon Père , (2) venez à mon aide , hâtez-vous de me secourir. Je le reconnais, ô mon tendre Père, ils ignoraient que j'étais votre Fils ; mais, après avoir vu l'innocence de ma vie et tous les bienfaits que j'ai répandus sur eux, ne devraient-ils pas être moins cruels envers moi? Car vous savez combien de fois je me suis présenté devant vous, pour vous implorer en leur faveur, pour détourner loin d'eux les traits de votre colère. (3) Mais hélas ! ne me rendent-ils pas le mal pour le bien ? N'ont-ils pas creusé sous mes pas une fosse pour m'y précipiter? Ne préparent-ils pas pour moi le supplice le plus ignominieux? Vous le voyez, Seigneur; ne m'abandonnez pas , ne vous éloignez pas de moi ; car le moment de la tribulation approche et personne ne vient à mon aide. Voici mes persécuteurs, c'est en votre présence qu'ils cherchent à m'ôter la vie ; mon cœur n'attend que des opprobres et des douleurs. »
(1) Matthieu, 20 et 27. — (2) Jérémie 18. — (3) Psaume 68.
Après cela, Notre Seigneur Jésus-Christ revient à ses Disciples, les excite et les encourage à prier. Puis il reprend une seconde et une troisième fois son oraison , mais en se mettant à trois places différentes , éloignées l'une de l'autre de la distance que parcourt une pierre , non quand elle est lancée avec toute la force du bras , mais quand elle est jetée sans faire un grand effort ; distance à-peu-près équivalente à celle qui sépare nos deux couvents , ainsi que je le tiens de l'un de nos Frères qui a visité les lieux mêmes où se trouvent encore les restes des Églises qui y furent élevées. Revenant donc, ainsi que je l'ai dit, une seconde et troisième fois à son oraison, Jésus répéta les mêmes paroles auxquelles il ajouta : « (1)Mon Père, s'il faut absolument subir le supplice de la Croix, si vous l'avez ainsi résolu, que votre volonté s'accomplisse. Mais je vous recommande ma tendre Mère et les Disciples que j'ai conservés jusqu'à ce jour. Mon Père, conservez-les désormais. »
Et, pendant ce combat intérieur qui le réduit à l'agonie, pendant qu'il prolonge sa prière, le sang très-sacré de Jésus s'échappe de toutes les parties de son corps comme des gouttes de sueur, et coule jusqu'à terre. Considérez donc Jésus en cet état ; voyez dans quelles mortelles angoisses son âme est plongée. Mais surtout remarquez ici combien, par sa conduite, il condamne notre impatience ordinaire ; car ce ne fut qu'après avoir trois fois prié son Père qu'il en fut écouté. Pendant que Notre Seigneur Jésus-Christ en proie à tant d'anxiétés, adresse pour la troisième fois une humble prière à son Père, voici qu'un Ange du Seigneur, saint Michel, le chef de la milice céleste , se présente à lui et le fortifie en ces termes : « Jésus , mon Dieu , je vous salue. Votre prière et votre sueur de sang ont été offertes par moi à votre Père en présence de toute la Cour céleste , et tous ensemble, prosternés aux pieds de sa divine Majesté, nous l'avons suppliée d'éloigner de vous ce Calice. Votre Père a répondu : «Mon bien-aimé Fils Jésus sait que la rédemption du genre humain, objet de tous nos désirs, ne peut s'opérer efficacement que par l'effusion de son sang; si donc il veut le salut des âmes, il faut qu'il meure pour elles. Que voulez-vous donc faire? »
(1) Jean., 17.
Le Jardin des Oliviers a Jérusalem
Notre Seigneur répondit à l'Ange : «Je veux avant tout le salut des hommes, et j'aime mieux mourir , en sauvant leurs âmes créées par mon Père à son image, que de vivre sans opérer leur rédemption. Ainsi, que la volonté de mon Père s'accomplisse. » L'Ange répondit : « Montrez-donc de la fermeté et faites preuve d'intrépidité, car les actions sublimes conviennent aux âmes élevées , et les grands cœurs savent supporter les grandes afflictions. La peine expiatrice du péché sera courte et passagère, elle sera suivie d'une gloire éternelle. Votre Père a dit qu'il serait toujours avec vous, qu'il conserverait votre Mère et vos Disciples, et qu'il vous les rendrait après les avoir préservés de tout péril. » L'humble Jésus reçut, avec autant de respect que d'humilité , ces paroles encourageantes, quoiqu'elles lui fussent adressées par l'une de ses créatures, n'oubliant pas qu'en descendant dans cette vallée de misères et de ténèbres , il s'était abaissé un peu au-dessous des Anges. Ainsi, c'est parce qu'il était homme qu'il ressentit la tristesse, qu'il salua l'Ange, qu'il fut fortifié par ses paroles et qu'il le pria de le recommander à son Père et à la Cour céleste.
Il quitte donc une troisième fois la prière, encore trempé de la sueur de sang qu'il vient de répandre. Imaginez que vous le voyez s'essuyant le visage, ou peut-être même le lavant dans les eaux du torrent; observez respectueusement toute son affliction et soyez-en profondément touchée, car c'est l'excès de sa douleur qui l'a mis dans un état si déplorable.
On peut remarquer qu'il y eut alors en Jésus-Christ quatre volontés distinctes , savoir : la volonté charnelle qui refusait entièrement de souffrir; la volonté sensuelle qui murmurait et s'alarmait ; la volonté raisonnable qui se soumettait et consentait ; car il est dit dans Isaïe : (1) Il a été offert en sacrifice, parce qu'il l'a voulu ; enfin , il y eut aussi la volonté divine qui dictait la sentence et en exigeait impérieusement l'exécution. Or, comme Jésus était véritablement homme, il se trouvait, en cette qualité, réduit à la plus fâcheuse extrémité. Compatissez donc à ses maux du fond du cœur; considérez et observez attentivement toutes les actions et tous les sentiments de votre Seigneur et de votre Dieu.
(1) Isaïe, 83.
Or, il va trouver ses Disciples et leur dit : Dormez maintenant et livrez-vous au repos. Là-dessus ils s'assoupirent quelques instants. Mais le bon pasteur veille à la garde de son petit troupeau. Oh ! il est bien vrai qu'il les a aimés d'un amour immense ! qu'il les a aimés jusqu'à la fin, puisqu'au milieu de sa douloureuse agonie, il prend encore soin de leur repos ! Jésus voyait de loin ses ennemis s'avancer avec des armes et des flambeaux ; mais ce ne fut que lorsqu'ils étaient tout-à-fait proche de ses Disciples qu'il les réveilla en leur disant : (1) C'est assez, levez-vous ; celui qui doit me trahir n 'est pas loin d'ici.
(1) Matthieu, 20.
Il parlait encore lorsque l'infâme Judas qui l'avait si indignement vendu, se présente et lui donne un baiser. On assure que Notre Seigneur avait coutume de se laisser embrasser par ses Disciples, lorsqu'ils revenaient près de lui après s'en être éloignés; et voilà pourquoi ce traître, revenu près de son Maître, lui donna un baiser qui le livrait à ses ennemis en le leur signalant , et qui , étant donné avant l'arrivée de ceux-ci, semblait dire à Jésus : Je ne fais point partie de cette troupe armée, mais , suivant l'usage, en revenant près de vous, je vous embrasse et vous dis : Maître , je vous salue.
Observez donc bien ce qui se passe ici; fixez vos regards sur Notre Seigneur et voyez avec quelle patience et quelle bonté il reçoit les embrassements et le baiser du perfide et malheureux Apôtre auquel il venait de laver les pieds et de donner une si excellente nourriture ; voyez avec quelle patience il se laisse prendre, lier, frapper et brutalement conduire comme un malfaiteur et un homme tout-à-fait impuissant à se défendre ; voyez enfin quelle compassion il montre pour ses Disciples qui fuient et s'égarent loin de lui. Vous pouvez aussi remarquer l'extrême douleur de ceux-ci qui ne pouvant retenir leurs larmes et leurs soupirs, se retiraient comme des orphelins et des hommes frappés de terreur ; remarquez encore que leur douleur s'accroît à chaque instant lorsqu'ils voient ces misérables traiter si indignement et traîner comme une victime leur divin Maître qui, semblable à un doux agneau, les suit sans aucune résistance.
Le Christ devant Caiphe
Considérez avec quelle inquiète précipitation Jésus est conduit par ces scélérats du torrent de Cédron à Jérusalem ; il a les mains liées derrière le dos, il est sans tunique, ses vêtements sont en désordre, sa tête est découverte, et, quoiqu'excédé de fatigues, on le contraint violemment d'accélérer sa marche. On le fait comparaître devant Anne et Caïphe, Princes des Prêtres, et devant les autres Sénateurs assemblés. Ils tressaillent de joie comme le lion qui a saisi sa proie; ils l'interrogent, produisent contre lui de faux témoins et le condamnent; quelques-uns couvrent de crachats sa face très-sacrée, mettent sur ses yeux un bandeau, le frappent à coups de poing et le soufflètent en disant :Prophétise-nous qui est celui qui t'a frappé? On lui prodigue les outrages et sa patience est inaltérable. Contemplez Jésus dans chacune de ces circonstances et laissez- vous toucher de compassion.
Enfin les principaux Sénateurs sortirent pour le mettre dans un cachot souterrain qui subsiste encore, ou dont on peut du moins retrouver quelques vestiges; ils l'attachèrent à une colonne de pierre brisée en partie dans la suite, mais qui pourtant se distingue encore, comme je l'ai appris de l'un de nos frères, témoin oculaire. Cependant, pour plus de sûreté , ils le confièrent à la garde de quelques satellites qui, pendant tout le reste de la nuit, le tourmentèrent en l'abreuvant de dérisions et d'outrages. Considérez donc avec quelle audace ces misérables l'insultent en lui disant : « Tu te croyais donc meilleur et plus sage que nos Princes! Quelle était ta folie ? Tu ne devais pas parler contre eux ; comment as-tu osé le faire ? Mais maintenant ta sagesse éclate à tous les yeux, puisque te voilà logé où il convient d'être à tes pareils, et que tu ne peux échapper à la mort que tu mérites indubitablement.»
Et c'est ainsi que, pendant toute la nuit, il fut en butte aux paroles et aux actions outrageantes que tantôt l'un , tantôt l'autre crut pouvoir se permettre contre lui. Or, concevez-vous tout ce qu'ont pu dire et faire ces misérables. Sans égards et sans respect, ils l'accablent des plus vils outrages. Maintenant tournez vos regards sur Notre Seigneur qui, les yeux baissés, toujours modeste et patient , souffre tout en silence comme s'il eût été surpris dans quelque faute , et ne lui refusez pas une vive compassion. O Seigneur ! en quelles mains êtes-vous tombé ? Que votre patience est grande! C'est vraiment là l'heure des ténèbres.
Ce fut ainsi que, jusqu'au matin, Jésus demeura debout et garrotté à cette colonne. Mais pendant ce temps, saint Jean va chez Madeleine trouver Marie et ses compagnes qui s'y étaient réunies pour faire la Pâque, et il leur raconte tout ce qui était arrivé à Jésus et à ses Disciples. D'inexprimables gémissements, des lamentations, des clameurs se font entendre alors de toutes parts. Considérez ces saintes femmes, ayez-en compassion, car c'est leur amour pour Jésus qui les plonge dans une si grande affliction et leur cause une si vive douleur ; elles comprennent maintenant et sont convaincues que leur Maître chéri ne peut échapper à la mort.
Enfin , Marie s' écartant un peu, recourut à la prière, et dit : Mon adorable Père , mon tendre Père , Père des miséricordes , je vous recommande mon Fils bien-aimé. Ne soyez pas impitoyable pour lui, puisque vous répandez sur tous les effets de votre bonté :«Père éternel, mon Fils Jésus n'a fait aucun mal. Faut-il qu'il périsse? Père juste, si vous voulez la Rédemption de tous les hommes, je vous prie de l'opérer par un autre moyen, car tout vous est possible. Père saint , je vous en conjure , ne livrez pas , s'il vous plaît , mon Fils à la mort , délivrez-le des mains des pécheurs et rendez-le à ma tendresse. Par obéissance et par respect pour vous , il n'oppose aucune résistance à ses ennemis , et s'abandonne à eux, comme un homme faible et impuissant. Daignez donc, Seigneur, venir à son secours. » Ce fut ainsi , ou à-peu-près en ces termes , que, dans la profonde douleur de son âme , Marie adressait à Dieu des prières accompagnées des plus ardents désirs et des plus vives instances. En la voyant si affligée, ne lui refusez pas votre compassion.
MÉDITATIONS SUR LA PASSION DE NOTRE SEIGNEUR EN GÉNÉRAL.
VENDREDI SAINT
Nous allons maintenant approfondir la Passion de Notre Seigneur Jésus-Christ. Si l'on veut donc se glorifier dans la Passion et dans la Croix de Notre Seigneur, il faut, par une soigneuse et persévérante méditation, s'appliquer à ce mystère, dont les profondeurs et les circonstances, examinées avec tout le recueillement de l`esprit, sont indubitablement capables de nous renouveler entièrement. En effet, celui qui les examinerait avec une sérieuse attention et du fond du cœur verrait s'opérer dans ses affections des changements inespérés qui produiraient bientôt en lui une plus vive compassion, un plus ardent amour, de plus douces consolations, et par conséquent, une espèce de renouvellement que l'on pourrait regarder comme un présage et un avant-goût de la gloire éternelle. Pour moi qui ne suis qu'un ignorant et qui ne sais que balbutier sur un pareil sujet , il me semblerait que, pour parvenir à ce renouvellement, il faudrait, détournant ses regards de toutes les choses de la terre et tenant les yeux éclairés du cœur sans cesse ouverts sur ce mystère , appliquer à sa considération toute la pénétration de son esprit et considérer tout ce qui regarde la Croix , la Passion et la mort de Jésus-Christ avec autant d'intérêt , d'attention , d'amour et de persévérance que si nous étions réellement présents à ce spectacle.
Si donc vous avez fait une sérieuse attention à tout ce que nous avons précédemment dit sur la vie de Notre Seigneur, je vous engage à appliquer ici, avec encore plus de soin, tout votre esprit et toutes vos facultés, parce que c'est surtout dans sa Passion qu'éclate cette charité qui devrait entièrement enflammer notre cœur. Je me propose donc de mettre sous vos yeux toutes les circonstances de la Passion, en les modifiant comme je l'ai déjà fait, de manière que vous pourrez les méditer telles que je vais vous les raconter. Car, dans cet opuscule, je ne donnerai pour certain que ce qui est garanti par la sainte Écriture, justifié par le témoignage des saints, ou du moins par des opinions généralement approuvées.
Or on a, selon moi, bien raison de dire que la peine de mort infligée à Notre Seigneur sur la Croix et en même temps tous les tourments qui l'ont précédée sont bien propres à exciter en nous les plus vifs sentiments de compassion, d'amertume et de stupeur. Comment, en effet, rester froid et indifférent en pensant que Notre Seigneur, que le Dieu béni au-dessus de toutes choses eut, depuis l'heure de la nuit où on l'arrêta jusqu'à la sixième heure du jour suivant, à souffrir de continuelles attaques, d'excessives douleurs, des opprobres, des outrages et des tourments cruels ? Car on ne lui accorda pas le moindre repos ; et vous allez voir quel combat, quels assauts il eut à soutenir.
Le doux, l'aimable , le tendre Jésus est arrêté, garrotté; on s'élève, on fait entendre des clameurs, des imputations, des blasphèmes contre lui; l'un lui crache au visage , l'autre le maltraite ; un autre lui tend des pièges, un quatrième l'interroge ; quelques-uns subornent de faux témoins contre lui , d'autres rassemblent ses ennemis; celui-ci rend contre lui un faux témoignage , celui-là se fait son accusateur ; on se joue de lui , on couvre ses yeux d'un voile, on meurtrit son beau visage, on le soufflète; un bourreau le conduit à la colonne, un autre le dépouille de ses vêtements ; pendant sa marche , les uns le frappent, d'autres l'outragent ; l'un se saisit insolemment de lui pour le tourmenter, l'autre l'attache à la colonne ; ceux-ci se précipitent sur lui , ceux-là le flagellent; il est revêtu de pourpre par dérision, couronné d'épines; un soldat met entre ses mains un roseau dont un autre s'empare avec fureur, pour en frapper sa tête couronnée d'épines , un troisième fléchit le genou par moquerie , un quatrième se rit de cette génuflexion; enfin tous les genres d'opprobres lui sont prodigués. Il est conduit et reconduit , méprisé et rejeté ; il va, il vient d'un lieu dans un autre comme un insensé, le plus stupide de tous les hommes , et même comme un voleur et un infâme malfaiteur; il comparaît tantôt devant Anne , tantôt devant Caïphe , tantôt devant Pilate , tantôt devant Hérode , une seconde fois devant Pilate qui le fait aller et revenir alternativement de l'intérieur à l'extérieur de son Palais. Bon Dieu! qu'est-ce que tout cela !
N'est-ce pas là, ma Fille , à votre avis , un combat très-rude, très-insupportable, incessant et excessif? Mais attendez un peu et je vous montrerai des assauts plus terribles encore ; les Princes des Prêtres, les Pharisiens, les Anciens et une foule innombrable s'acharnent constamment contre lui. Tous n'ont qu'une voix pour demander qu'il soit crucifié. On charge sur ses épaules brisées et déchirées la Croix où l'on doit bientôt l'attacher. Citoyens, étrangers, grands, débauchés, intempérants, tous accourent de toutes parts, non pour compatir, mais pour insulter indignement à ses maux. Nul ne rend hommage à sa personne sacrée, mais tous le souillent, le couvrent brutalement de boue et d'ordures ; et pendant qu'il supporte cette ignominie, il réalise ce texte prophétique : (1) Ceux qui étaient assis à la porte déclamaient contre lui; et les hommes de plaisirs l'insultaient le verre à la main dans des chansons bachiques.
On le pousse, on le tourmente , on le traîne , on précipite sa marche , et, après l'avoir ainsi maltraité, harassé, tout-à-fait accablé et rassasié d'opprobres jusqu'à l'excès, on ne lui laisse aucune paix , aucun repos ; à peine lui permet-on de respirer jusqu'à ce qu'il soit parvenu à la montagne du Calvaire , lieu le plus dégoûtant , le plus infect de tous. Et tout cela se fait avec autant de violence que de fureur. Là se terminent et s'apaisent les violentes attaques dont nous venons de parler ; mais cette paix est plus cruelle que la guerre elle-même. On le crucifie, on l'étend sur un lit de douleur; voilà le repos qu'on lui accorde.
Vous voyez donc quel long et terrible combat Jésus eut à soutenir jusqu'à la sixième heure du jour. (2) Les eaux de la tribulation ont vraiment inondé son âme; (3) une meute nombreuse d'animaux terribles , hardis et cruels l'ont environné de toute part; (4) il a été assiégé par une foule d'hommes pervers dont les mains et les langues , semblables à un glaive à deux tranchants, se sont cruellement tournées contre lui.
(1) Psaume 68.— (2) Psaume 68. — (3) Psaume 21 . — (4) Psaume 36.
Il semblerait que ce que nous venons de dire pourrait suffire pour méditer sommairement la Passion de Notre Seigneur dans les trois heures qui précèdent Sexte, c'est-à-dire Matines, Prime et Tierce. Mais il ne faut pas nous en tenir là. Les douleurs excessives, les tourments cruels qu'endura Jésus, ne doivent pas être traités si légèrement; ainsi reportez vos regards en arrière, et recueillez-vous profondément; car il reste à vous présenter d'importantes et nombreuses considérations qui ne manqueront pas de vous toucher et de vous édifier, si, selon notre conseil, vous avez soin de vous rendre les circonstances de la Passion aussi présentes que si elles se passaient sous vos yeux. Nous vous les avons fait connaître dans une sorte de généralité; mais examinons-les maintenant l'une après l'autre, car nous ne devons pas nous lasser de penser à tout ce que Notre Seigneur ne s'est pas lassé de souffrir.
CHAPITRE LXXV.
MÉDITATION SUR LA PASSION DE JÉSUS-CHRIST AVANT MATINES.
Reprenez donc ces méditations depuis le commencement de la Passion, et continuez-les, par ordre , jusqu'à la fin. Il me semble que je dois me borner ici à esquisser légèrement ce sujet; mais, si cela vous convient, vous pourrez vous exercer à le développer selon que Notre Seigneur lui-même vous en fera la grâce. Observez donc chaque chose comme si elle se passait sous vos yeux; et considérez d'abord attentivement Jésus au moment où, sortant de la Cène et ayant terminé son discours, il se rend avec ses Disciples au jardin des Oliviers. Enfin entrez-y en même temps que lui et remarquez avec quelle affection, quelle amitié , quelle , familiarité il adresse la parole à ses Disciples et les invite à prier; voyez comment, après s'être un peu éloigné d'eux à la distance d'un jet de pierre , il s'agenouille et adresse à son Père une humble et respectueuse prière.
Arrêtez-vous ici quelque temps et repassez pieusement dans votre esprit toutes les merveilles du Seigneur votre Dieu. Jésus prie donc. Or on a vu précédemment qu'il avait souvent ainsi prié ; mais jusque-là il avait prié pour nous en qualité de médiateur, et maintenant c'était pour lui-même qu'il priait. Laissez-vous pénétrer tout à la fois de compassion et d'admiration à la vue d'une humilité si profonde. Car, bien qu'il soit Dieu, coéternel et égal en tout à son Père, il semble oublier sa divinité, il prie comme s'il n'était qu'un homme et se tient prosterné devant Dieu comme le ferait le dernier des mortels.
Considérez aussi sa parfaite obéissance. En effet, que demande-t-il? Il supplie son Père d'éloigner de lui l'heure de sa mort, il aimerait à prolonger ses jours, si tel était le bon plaisir de son Père, et ce désir n'est point exaucé, parce qu'il est contraire à une autre volonté qui était en lui. Car, comme je le dirai plus tard, il y avait en Jésus plusieurs volontés. Et ce qui doit exciter de nouveau votre compassion, c'est que son Père veut absolument qu'il meure, c'est qu'il n'a point épargné son propre Fils, son Fils unique; mais qu'il l'a livré, pour nous tous, à une si horrible mort. (1) Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné pour lui son Fils unique. Jésus obéit et se soumet respectueusement à la volonté de son Père. Voyez, en troisième lieu, combien l'ineffable miséricorde que le Père et le Fils ont eue pour nous est digne de compassion, d'admiration et de vénération.
(1) Jean., 3.
Une telle mort est commandée et soufferte pour nous, par un excès de la Charité du Père et du Fils. Notre Seigneur Jésus-Christ prie donc longtemps en ces termes : (1) « Dieu de clémence, ô mon Père! je vous en conjure, écoutez mon humble prière, ne rejetez pas mes supplications. Daignez m'entendre et m'exaucer, car mes tristes pensées font couler mes larmes; mon esprit est rempli d'inquiétudes, le trouble a pénétré jusqu'au fond de mon cœur. Prêtez donc l'oreille à ma prière et écoutez ma voix suppliante. Il vous a plu, mon Père, de m'envoyer en ce monde pour réparer l'outrage que l'homme a fait à votre divine Majesté, et aussitôt que votre volonté m'a été connue, j'ai dit : Me voici prêt à partir, prêt à faire votre volonté, ainsi qu'il est écrit de moi à la tête du livre. J'ai enseigné aux hommes la vérité et la voix du salut qui conduisent à vous. J'ai aimé, dès les jours de ma jeunesse, la pauvreté et le travail. J'ai fait votre volonté et j'ai obéi à tous vos commandements. Je suis prêt encore à accomplir ce qui me reste à faire. Cependant, mon Père, s'il est possible, éloignez de moi les maux affreux que mes ennemis me préparent. Car voyez, mon Père, combien d'imputations ils élèvent contre moi, de combien d'accusations horribles ils me chargent, pour lesquelles ils ont comploté de m' ôter la vie. (2) Père saint, si j'ai fait ce qu'on m'impute, si mes mains sont souillées par l'iniquité, si j'ai rendu le mal pour le mal, que je tombe sans défense devant mes ennemis; je l'ai mérité. (3) Mais je me suis toujours appliqué à faire ce qui vous est agréable.»
(1) Psaume 54. — (2) Psaume 7. — (2) Psaume 108.
«Et cependant ils m'ont rendu le mal pour le bien, et la haine pour l'amour; ils ont corrompu l'un de mes Disciples, et l'ont mis à leur tête pour me perdre ; trente deniers , voilà le salaire qu'ils lui ont promis et la valeur à laquelle ils m'ont apprécié. (1) Je vous supplie, ô mon Père, d'éloigner de moi ce calice; néanmoins, si vous en jugez autrement, que votre volonté soit faite et non la mienne. Mais, mon Père , (2) venez à mon aide , hâtez-vous de me secourir. Je le reconnais, ô mon tendre Père, ils ignoraient que j'étais votre Fils ; mais, après avoir vu l'innocence de ma vie et tous les bienfaits que j'ai répandus sur eux, ne devraient-ils pas être moins cruels envers moi? Car vous savez combien de fois je me suis présenté devant vous, pour vous implorer en leur faveur, pour détourner loin d'eux les traits de votre colère. (3) Mais hélas ! ne me rendent-ils pas le mal pour le bien ? N'ont-ils pas creusé sous mes pas une fosse pour m'y précipiter? Ne préparent-ils pas pour moi le supplice le plus ignominieux? Vous le voyez, Seigneur; ne m'abandonnez pas , ne vous éloignez pas de moi ; car le moment de la tribulation approche et personne ne vient à mon aide. Voici mes persécuteurs, c'est en votre présence qu'ils cherchent à m'ôter la vie ; mon cœur n'attend que des opprobres et des douleurs. »
(1) Matthieu, 20 et 27. — (2) Jérémie 18. — (3) Psaume 68.
Après cela, Notre Seigneur Jésus-Christ revient à ses Disciples, les excite et les encourage à prier. Puis il reprend une seconde et une troisième fois son oraison , mais en se mettant à trois places différentes , éloignées l'une de l'autre de la distance que parcourt une pierre , non quand elle est lancée avec toute la force du bras , mais quand elle est jetée sans faire un grand effort ; distance à-peu-près équivalente à celle qui sépare nos deux couvents , ainsi que je le tiens de l'un de nos Frères qui a visité les lieux mêmes où se trouvent encore les restes des Églises qui y furent élevées. Revenant donc, ainsi que je l'ai dit, une seconde et troisième fois à son oraison, Jésus répéta les mêmes paroles auxquelles il ajouta : « (1)Mon Père, s'il faut absolument subir le supplice de la Croix, si vous l'avez ainsi résolu, que votre volonté s'accomplisse. Mais je vous recommande ma tendre Mère et les Disciples que j'ai conservés jusqu'à ce jour. Mon Père, conservez-les désormais. »
Et, pendant ce combat intérieur qui le réduit à l'agonie, pendant qu'il prolonge sa prière, le sang très-sacré de Jésus s'échappe de toutes les parties de son corps comme des gouttes de sueur, et coule jusqu'à terre. Considérez donc Jésus en cet état ; voyez dans quelles mortelles angoisses son âme est plongée. Mais surtout remarquez ici combien, par sa conduite, il condamne notre impatience ordinaire ; car ce ne fut qu'après avoir trois fois prié son Père qu'il en fut écouté. Pendant que Notre Seigneur Jésus-Christ en proie à tant d'anxiétés, adresse pour la troisième fois une humble prière à son Père, voici qu'un Ange du Seigneur, saint Michel, le chef de la milice céleste , se présente à lui et le fortifie en ces termes : « Jésus , mon Dieu , je vous salue. Votre prière et votre sueur de sang ont été offertes par moi à votre Père en présence de toute la Cour céleste , et tous ensemble, prosternés aux pieds de sa divine Majesté, nous l'avons suppliée d'éloigner de vous ce Calice. Votre Père a répondu : «Mon bien-aimé Fils Jésus sait que la rédemption du genre humain, objet de tous nos désirs, ne peut s'opérer efficacement que par l'effusion de son sang; si donc il veut le salut des âmes, il faut qu'il meure pour elles. Que voulez-vous donc faire? »
(1) Jean., 17.
Le Jardin des Oliviers a Jérusalem
Notre Seigneur répondit à l'Ange : «Je veux avant tout le salut des hommes, et j'aime mieux mourir , en sauvant leurs âmes créées par mon Père à son image, que de vivre sans opérer leur rédemption. Ainsi, que la volonté de mon Père s'accomplisse. » L'Ange répondit : « Montrez-donc de la fermeté et faites preuve d'intrépidité, car les actions sublimes conviennent aux âmes élevées , et les grands cœurs savent supporter les grandes afflictions. La peine expiatrice du péché sera courte et passagère, elle sera suivie d'une gloire éternelle. Votre Père a dit qu'il serait toujours avec vous, qu'il conserverait votre Mère et vos Disciples, et qu'il vous les rendrait après les avoir préservés de tout péril. » L'humble Jésus reçut, avec autant de respect que d'humilité , ces paroles encourageantes, quoiqu'elles lui fussent adressées par l'une de ses créatures, n'oubliant pas qu'en descendant dans cette vallée de misères et de ténèbres , il s'était abaissé un peu au-dessous des Anges. Ainsi, c'est parce qu'il était homme qu'il ressentit la tristesse, qu'il salua l'Ange, qu'il fut fortifié par ses paroles et qu'il le pria de le recommander à son Père et à la Cour céleste.
Il quitte donc une troisième fois la prière, encore trempé de la sueur de sang qu'il vient de répandre. Imaginez que vous le voyez s'essuyant le visage, ou peut-être même le lavant dans les eaux du torrent; observez respectueusement toute son affliction et soyez-en profondément touchée, car c'est l'excès de sa douleur qui l'a mis dans un état si déplorable.
On peut remarquer qu'il y eut alors en Jésus-Christ quatre volontés distinctes , savoir : la volonté charnelle qui refusait entièrement de souffrir; la volonté sensuelle qui murmurait et s'alarmait ; la volonté raisonnable qui se soumettait et consentait ; car il est dit dans Isaïe : (1) Il a été offert en sacrifice, parce qu'il l'a voulu ; enfin , il y eut aussi la volonté divine qui dictait la sentence et en exigeait impérieusement l'exécution. Or, comme Jésus était véritablement homme, il se trouvait, en cette qualité, réduit à la plus fâcheuse extrémité. Compatissez donc à ses maux du fond du cœur; considérez et observez attentivement toutes les actions et tous les sentiments de votre Seigneur et de votre Dieu.
(1) Isaïe, 83.
Or, il va trouver ses Disciples et leur dit : Dormez maintenant et livrez-vous au repos. Là-dessus ils s'assoupirent quelques instants. Mais le bon pasteur veille à la garde de son petit troupeau. Oh ! il est bien vrai qu'il les a aimés d'un amour immense ! qu'il les a aimés jusqu'à la fin, puisqu'au milieu de sa douloureuse agonie, il prend encore soin de leur repos ! Jésus voyait de loin ses ennemis s'avancer avec des armes et des flambeaux ; mais ce ne fut que lorsqu'ils étaient tout-à-fait proche de ses Disciples qu'il les réveilla en leur disant : (1) C'est assez, levez-vous ; celui qui doit me trahir n 'est pas loin d'ici.
(1) Matthieu, 20.
Il parlait encore lorsque l'infâme Judas qui l'avait si indignement vendu, se présente et lui donne un baiser. On assure que Notre Seigneur avait coutume de se laisser embrasser par ses Disciples, lorsqu'ils revenaient près de lui après s'en être éloignés; et voilà pourquoi ce traître, revenu près de son Maître, lui donna un baiser qui le livrait à ses ennemis en le leur signalant , et qui , étant donné avant l'arrivée de ceux-ci, semblait dire à Jésus : Je ne fais point partie de cette troupe armée, mais , suivant l'usage, en revenant près de vous, je vous embrasse et vous dis : Maître , je vous salue.
Observez donc bien ce qui se passe ici; fixez vos regards sur Notre Seigneur et voyez avec quelle patience et quelle bonté il reçoit les embrassements et le baiser du perfide et malheureux Apôtre auquel il venait de laver les pieds et de donner une si excellente nourriture ; voyez avec quelle patience il se laisse prendre, lier, frapper et brutalement conduire comme un malfaiteur et un homme tout-à-fait impuissant à se défendre ; voyez enfin quelle compassion il montre pour ses Disciples qui fuient et s'égarent loin de lui. Vous pouvez aussi remarquer l'extrême douleur de ceux-ci qui ne pouvant retenir leurs larmes et leurs soupirs, se retiraient comme des orphelins et des hommes frappés de terreur ; remarquez encore que leur douleur s'accroît à chaque instant lorsqu'ils voient ces misérables traiter si indignement et traîner comme une victime leur divin Maître qui, semblable à un doux agneau, les suit sans aucune résistance.
Le Christ devant Caiphe
Considérez avec quelle inquiète précipitation Jésus est conduit par ces scélérats du torrent de Cédron à Jérusalem ; il a les mains liées derrière le dos, il est sans tunique, ses vêtements sont en désordre, sa tête est découverte, et, quoiqu'excédé de fatigues, on le contraint violemment d'accélérer sa marche. On le fait comparaître devant Anne et Caïphe, Princes des Prêtres, et devant les autres Sénateurs assemblés. Ils tressaillent de joie comme le lion qui a saisi sa proie; ils l'interrogent, produisent contre lui de faux témoins et le condamnent; quelques-uns couvrent de crachats sa face très-sacrée, mettent sur ses yeux un bandeau, le frappent à coups de poing et le soufflètent en disant :Prophétise-nous qui est celui qui t'a frappé? On lui prodigue les outrages et sa patience est inaltérable. Contemplez Jésus dans chacune de ces circonstances et laissez- vous toucher de compassion.
Enfin les principaux Sénateurs sortirent pour le mettre dans un cachot souterrain qui subsiste encore, ou dont on peut du moins retrouver quelques vestiges; ils l'attachèrent à une colonne de pierre brisée en partie dans la suite, mais qui pourtant se distingue encore, comme je l'ai appris de l'un de nos frères, témoin oculaire. Cependant, pour plus de sûreté , ils le confièrent à la garde de quelques satellites qui, pendant tout le reste de la nuit, le tourmentèrent en l'abreuvant de dérisions et d'outrages. Considérez donc avec quelle audace ces misérables l'insultent en lui disant : « Tu te croyais donc meilleur et plus sage que nos Princes! Quelle était ta folie ? Tu ne devais pas parler contre eux ; comment as-tu osé le faire ? Mais maintenant ta sagesse éclate à tous les yeux, puisque te voilà logé où il convient d'être à tes pareils, et que tu ne peux échapper à la mort que tu mérites indubitablement.»
Et c'est ainsi que, pendant toute la nuit, il fut en butte aux paroles et aux actions outrageantes que tantôt l'un , tantôt l'autre crut pouvoir se permettre contre lui. Or, concevez-vous tout ce qu'ont pu dire et faire ces misérables. Sans égards et sans respect, ils l'accablent des plus vils outrages. Maintenant tournez vos regards sur Notre Seigneur qui, les yeux baissés, toujours modeste et patient , souffre tout en silence comme s'il eût été surpris dans quelque faute , et ne lui refusez pas une vive compassion. O Seigneur ! en quelles mains êtes-vous tombé ? Que votre patience est grande! C'est vraiment là l'heure des ténèbres.
Ce fut ainsi que, jusqu'au matin, Jésus demeura debout et garrotté à cette colonne. Mais pendant ce temps, saint Jean va chez Madeleine trouver Marie et ses compagnes qui s'y étaient réunies pour faire la Pâque, et il leur raconte tout ce qui était arrivé à Jésus et à ses Disciples. D'inexprimables gémissements, des lamentations, des clameurs se font entendre alors de toutes parts. Considérez ces saintes femmes, ayez-en compassion, car c'est leur amour pour Jésus qui les plonge dans une si grande affliction et leur cause une si vive douleur ; elles comprennent maintenant et sont convaincues que leur Maître chéri ne peut échapper à la mort.
Enfin , Marie s' écartant un peu, recourut à la prière, et dit : Mon adorable Père , mon tendre Père , Père des miséricordes , je vous recommande mon Fils bien-aimé. Ne soyez pas impitoyable pour lui, puisque vous répandez sur tous les effets de votre bonté :«Père éternel, mon Fils Jésus n'a fait aucun mal. Faut-il qu'il périsse? Père juste, si vous voulez la Rédemption de tous les hommes, je vous prie de l'opérer par un autre moyen, car tout vous est possible. Père saint , je vous en conjure , ne livrez pas , s'il vous plaît , mon Fils à la mort , délivrez-le des mains des pécheurs et rendez-le à ma tendresse. Par obéissance et par respect pour vous , il n'oppose aucune résistance à ses ennemis , et s'abandonne à eux, comme un homme faible et impuissant. Daignez donc, Seigneur, venir à son secours. » Ce fut ainsi , ou à-peu-près en ces termes , que, dans la profonde douleur de son âme , Marie adressait à Dieu des prières accompagnées des plus ardents désirs et des plus vives instances. En la voyant si affligée, ne lui refusez pas votre compassion.
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: Méditations sur la Passion du Christ pendant le Carême selon Saint-Bonaventure - Italie - 13 eme siècle
CHAPITRE LXXVI.
MÉDITATIONS SUR LA PASSION DE JÉSUS-CHRIST A l'HEURE DE PRIME.
VENDREDI SAINT - LE MATIN
Dans la matinée, les Princes des Prêtres et les Anciens du peuple revinrent à Jésus et lui firent lier les mains derrière le dos, en lui disant : «Viens avec nous, brigand, viens écouter ta sentence ; on va mettre un terme à tes crimes, on va voir de quoi tu es capable. » Puis ils le conduisirent à Pilate, et Jésus les suivait comme un criminel, lui qui avait l'innocence d'un Agneau. Or, sa Mère, saint Jean et les saintes Femmes, qui étaient partis de grand matin pour le trouver, le rencontrèrent à la jonction de deux routes, et il serait impossible d'exprimer la douleur dont ils furent tous remplis, lorsqu'ils virent une si grande multitude le conduire avec tant d'indignité et d'injustice. Dans cette rencontre, la douleur fut excessive de part et d'autre. Car Notre Seigneur ne pût se défendre de compatir très-douloureusement à l'affliction dont ses amis, et surtout sa Mère, étaient accablés.
Il savait bien, en effet, que c'était à cause de lui que leurs âmes étaient remplies d'une douleur qui pouvait leur donner la mort. Considérez donc tout avec attention, ne négligez aucun détail, car tout ici est digne d'une grande et même d'une extrême compassion. On conduit Jésus à Pilate, et les saintes Femmes le suivent de loin parce qu'elles ne peuvent s'en approcher davantage. On porte alors contre lui plusieurs accusations et (1) Pilate l'envoie à Hérode.
Hérode en eut une grande joie, parce qu'il souhaitait de lui voir faire quelques prodiges, mais il n'en put obtenir aucun miracle, pas même une seule parole. Il en conclut donc que c'était un insensé, le fit, par dérision, revêtir d'une robe blanche et le renvoya à Pilate. Ainsi, vous le voyez, il passa , aux yeux de toute cette Cour, non-seulement pour un malfaiteur , mais pour un insensé ; et Jésus souffrait tout cela avec patience. Appliquez-vous encore à le considérer ici. Pendant qu'on le mène et qu'on le ramène, il marche modestement et les yeux baissés, il entend les cris , les insultes, les huées de la multitude, et il reçoit les coups de pierres et les souillures infectes des diverses immondices que peut-être on lance contre lui. Portez ensuite vos regards sur sa Mère et sur ses Disciples qui, après s'être arrêtés loin de lui , dans l'accablement d'une indicible douleur , se remettent en marche à sa suite.
(1) Luc, 23.
Le Christ devant Hérode
Or, après l'avoir ramené à Pilate, la canaille qui l'accompagnait, continue à l'accuser avec une infatigable insolence; mais Pilate , qui ne trouvait en lui aucune cause de condamnation , cherchait tous les moyens de le délivrer. Il dit donc aux Juifs : Je vais le renvoyer après l'avoir fait châtier. Quoi! Pilate, vous osez infliger un châtiment à votre souverain Seigneur! Vous ne savez ce que vous faites, car il ne mérite ni la flagellation ni la mort vous feriez bien mieux de travailler, comme il le désire, à vous corriger vous-même !
Or, Pilate fit cruellement flageller Jésus. On dépouille donc Notre Seigneur de ses vêtements, on l'attache à la colonne, on le flagelle de différentes manières. Un jeune homme plein de grâces, de modestie , (1) le plus beau des enfants des hommes est exposé à tous les regards dans un état de nudité; les fouets cruels destinés aux plus vils scélérats tombent sur la chair la plus innocente et la plus délicate , sur le corps le plus pur et le plus parfait. Ce corps modèle, la gloire de la nature humaine, est couvert de meurtrissures et de plaies. Un sang royal coule de toutes parts, on ajoute des meurtrissures a des meurtrissures, des plaies à des plaies, on les renouvelle, on les redouble jusqu'à ce que les bourreaux et leurs surveillants fatigués, aient reçu l'ordre de délier la victime.
La flagellation
Mais la colonne à laquelle elle fut attachée offre encore des traces de sang, suivant tous les récits historiques. Arrêtez-vous longtemps à contempler ce spectacle, et s'il ne vous émeut pas, il faut que vous ayez un cœur de pierre. Ce fut alors que s'accomplirent ces paroles du Prophète Isaïe : (2) Nous l'avons vu et il était méconnaissable, et nous l'avons considéré comme un lépreux , comme un homme que Dieu humilie pour ses péchés.
(1) Psaume 44. — (2) Isaïe, 83.
O Seigneur Jésus ! quelles mains téméraires ont osé vous dépouiller ainsi ? Quelles mains plus hardies vous ont attaché à la colonne ? Enfin quelles mains plus audacieuses encore ont mis le comble au sacrilège en vous infligeant une flagellation si cruelle ? Mais , ô Soleil de justice, vous vous êtes couvert d'un nuage, et par la soustraction de votre lumière, vous avez produit les ténèbres et la puissance des ténèbres. Tous vos ennemis deviennent plus forts que vous-même. C'est votre amour , ce sont nos crimes qui vous réduisent à cette impuissance.
Maudits soient les péchés qui vous ont coûté si cher ! Dès que Notre Seigneur est détaché de la colonne, on le conduit tout nu, tout déchiré des coups de la flagellation, pour chercher dans la maison les vêtements que les bourreaux y avaient jetés ça et là. Considérez-le dans un tel état d'affliction et tout tremblant, car il faisait froid, ainsi que le remarque l'Évangile (1). Au moment où il allait reprendre ses vêtements, quelques-uns des plus impies parmi ses gardes s'y opposent , et disent à Pilate : « Seigneur , il s'est fait passer pour Roi, nous allons lui donner les vêtements et la couronne dus à une si haute Majesté. » Et, ayant pris un vieil et ignoble manteau de soie rouge, ils l'en revêtirent et lui mirent sur la tête une couronne d'épines. Observez-le donc dans tous ses mouvements et au milieu de ses douleurs, car il fait et supporte tout ce qu'on exige de lui. Il se laisse revêtir de pourpre, il porte sur la tête une couronne d'épines , il tient à la main un roseau , et lorsque , fléchissant le genou devant lui , on rend hommage à sa royauté , il garde le silence et souffre tout sans se plaindre. Voyez surtout avec une vive compassion comment, à chaque instant, on frappe avec le roseau sa tête toute couverte d'épines ; voyez son cou douloureusement affaissé sous le poids de ces affreuses violences.
(1) Jean., 18.
La couronne d`épines
Car ces cruelles épines pénétraient profondément dans sa tête et la rendaient toute dégoûtante de sang. O misérables! qu'elle vous paraîtra terrible un jour, cette tête du Roi des Rois que vous osez maintenant maltraiter ! Car ils se moquaient alors de Jésus comme d'un homme qui a la prétention et non le pouvoir de régner sur les autres. Or, Jésus supporte tout, quoique la cruauté de ses ennemis soit extrême. Car ils ne se contentèrent pas de l'excès d'opprobres qu'il reçut lorsqu'ils l'exposèrent aux dérisions de la cohorte réunie tout entière autour de lui ; mais, après l'avoir ainsi bafoué, ils le firent sortir portant la couronne d'épines, revêtu du manteau d'écarlate pour le présenter publiquement à Pilate et à tout le peuple. Pour Dieu, voyez aussi comment Jésus se tient maintenant la tête baissée devant une foule immense qui vocifère et demande avec fureur qu'on le crucifie, et qui , se croyant plus sage que lui , met le comble à toutes les dérisions et à toutes les insultes qui lui ont été prodiguées. Voyez combien leur paraît extravagante sa conduite envers les Princes des Prêtres et les Pharisiens qui, après lui avoir fait subir un tel traitement, le conduisirent à une fin si misérable. Et c'est ainsi que Jésus était accablé tout à la fois de tourments, de douleurs et d'opprobres.
CHAPITRE LXXVII.
MÉDITATION SUR LA PASSION A L'HEURE DE TIERCE.
Toute la multitude présente demande donc que Jésus soit crucifié, et Pilate ce misérable Juge, prononce une si injuste condamnation. Ils ne se souviennent ni de ses bienfaits ni de ses miracles, ils ne sont pas touchés de son innocence, et, les Princes des Prêtres, les Anciens, à la vue des tourments qu'ils lui ont déjà fait éprouver, loin de désavouer leur cruauté , s'applaudissent d'avoir si parfaitement accompli leurs mauvais desseins contre lui. Ils se moquent, ils se raillent de Celui qui est le Dieu véritable et éternel, ils hâtent sa mort avec impatience.
La condamnation
On le fait rentrer, ou lui ôte le manteau de pourpre, il reste tout nu devant eux, et on lui permet de reprendre ses vêtements. Arrêtez-vous ici ; considérez attentivement chacune des parties de son corps , et pour exciter en vous une compassion plus profonde , pour vous édifier aussi davantage, oubliez sa divinité et ne considérez que son humanité. Vous verrez un beau jeune homme , d'une haute distinction , plein d'innocence et des sentiments les plus affectueux qui, tout couvert de plaies, de sang et de meurtrissures , recueille çà et là ses vêtements étendus de tous côtés sur la terre , et , sous les yeux de ses ennemis qui le raillent, s'empresse, en rougissant par pudeur et par modestie, de s'en revêtir lui-même, comme s'il était le dernier des hommes, abandonné de Dieu , privé de tout secours.
Observez tout avec soin et votre cœur sera pénétré des sentiments de la plus tendre compassion ; car il ramasse tantôt une chose, tantôt une autre et s'en couvre devant eux. Revenez ensuite à sa divinité et considérez le Dieu éternel, immense, incompréhensible, la Majesté suprême revêtue de notre chair, se courbant, s'inclinant humblement vers la terre pour y ramasser des vêtements, et s'en couvrant enfin comme s'il était le dernier des hommes, ou plutôt, comme si, acheté à prix d'argent par les misérables qui le regardent, il était leur esclave , soumis à leur autorité , corrigé et châtié par eux pour quelque faute.
Contemplez-le encore avec la même attention pour admirer son humilité, et, après avoir de nouveau excité votre compassion par les mêmes considérations, vous pourrez le voir attaché à la colonne où il fut si horriblement flagellé. Aussitôt qu'il a repris ses vêtements, on le fait sortir pour ne pas différer sa mort davantage. Alors on charge ses épaules du bois sacré de la Croix que, malgré sa longueur, sa grosseur et son poids, le doux Agneau accepte et porte avec patience. On pense, d'après des récits historiques, que la Croix de Notre Seigneur avait quinze pieds de haut. Alors on le conduit, on presse sa marche, on le rassasie d'opprobres, ainsi que nous l'avons déjà dit à l'heure de Matines. Or, on fit sortir Jésus accompagné de deux voleurs. Voilà la société qu'on lui donne. O bon Jésus, de quel opprobre on vous couvre ! vos ennemis ne se contentent pas de vous assimiler à deux voleurs, ils veulent vous faire passer pour le plus coupable, puisqu'ils vous obligent à porter votre Croix, ce qu'ils n'exigent point de vos deux compagnons.
Le Chemin de Croix
Ainsi non-seulement, comme le dit Isaïe : (1) Il a été mis au rang des scélérats, mais il a passé pour être le plus coupable entre les scélérats. Seigneur, votre patience est ineffable. Voyez donc ici Jésus, marchant tout courbé et tout essoufflé sous le poids de la Croix. Compatissez le plus qu'il vous sera possible à son sort, en le voyant réduit à une telle extrémité et exposé à de nouveaux outrages.
(1) Isaïe 53.
Comme sa Mère , dont la douleur était extrême , ne pouvait ni s'approcher de lui, ni le voir à cause de la foule qui l'en séparait , elle prit , avec ses compagnes et avec saint Jean , un chemin plus court pour s'avancer près de lui en devançant la multitude. Mais lorsque, au-delà de la porte de la ville , elle le rencontra à la jonction des deux routes, en voyant la Croix énorme dont il était chargé et qu'elle n'avait point d'abord aperçue , elle faillit mourir de douleur et resta muette devant son Fils qui , de son côté , ne put lui adresser une parole, parce qu'il était pressé d'avancer par ceux qui le conduisaient pour le crucifier.
Or, Notre Seigneur ayant continué sa marche se tourna peu après vers des femmes qui fondaient en larmes, et leur dit : (2) Filles de Jérusalem ne pleurez pas sur moi, mais pleurez sur vous-mêmes , et le reste comme il est dit dans l'Évangile. On voit encore à ces deux endroits les restes des Églises qui y ont été élevées pour conserver le souvenir de ces deux évènements, ainsi que je l'ai appris de l'un de nos frères qui a visité les saints lieux , et qui m'a dit encore que la montagne du Calvaire, où Jésus fut crucifié, était aussi éloignée de la porte de la ville que notre couvent l'est de la porte Saint-Germain. D'où il faut conclure que Jésus eut à porter longtemps sa Croix. Après donc qu`il eut fait encore quelques pas, il se sentit si fatigué et si accablé que , ne pouvant porter la Croix plus loin , il fut forcé de déposer ce fardeau.
(1) Luc, 23.
Mais les monstres qui l'accompagnaient, ne voulant point différer sa mort de peur que Pilate , qui avait manifesté l'intention de le renvoyer , ne révoquât sa sentence, forcèrent un passant de porter la Croix de Jésus , et , l'en ayant ainsi déchargé , le conduisirent à la montagne du Calvaire, garotté comme un voleur. Après tout ce que Jésus avait souffert pendant les heures de Matines , de Prime et de Tierce , ne vous semble- t-il pas que ses douleurs étaient assez cruelles , assez excessives sans ajouter le crucifiement à ces horreurs monstrueuses ? Certes, il y avait là, selon moi, de quoi exciter leur compassion; que dis-je? de quoi les pénétrer de la plus vive douleur. Je crois avoir épuisé maintenant tout ce qu'il y a à dire sur les trois heures dont je viens de parler. Voyons donc ce qui s'est passé au crucifiement et à la mort de Jésus-Christ, c'est-à-dire aux heures de Sexte et de None, puis nous nous occuperons de ce qui eut lieu après sa mort ou pendant les heures de Vêpres et de Complies.
MÉDITATIONS SUR LA PASSION DE JÉSUS-CHRIST A l'HEURE DE PRIME.
VENDREDI SAINT - LE MATIN
Dans la matinée, les Princes des Prêtres et les Anciens du peuple revinrent à Jésus et lui firent lier les mains derrière le dos, en lui disant : «Viens avec nous, brigand, viens écouter ta sentence ; on va mettre un terme à tes crimes, on va voir de quoi tu es capable. » Puis ils le conduisirent à Pilate, et Jésus les suivait comme un criminel, lui qui avait l'innocence d'un Agneau. Or, sa Mère, saint Jean et les saintes Femmes, qui étaient partis de grand matin pour le trouver, le rencontrèrent à la jonction de deux routes, et il serait impossible d'exprimer la douleur dont ils furent tous remplis, lorsqu'ils virent une si grande multitude le conduire avec tant d'indignité et d'injustice. Dans cette rencontre, la douleur fut excessive de part et d'autre. Car Notre Seigneur ne pût se défendre de compatir très-douloureusement à l'affliction dont ses amis, et surtout sa Mère, étaient accablés.
Il savait bien, en effet, que c'était à cause de lui que leurs âmes étaient remplies d'une douleur qui pouvait leur donner la mort. Considérez donc tout avec attention, ne négligez aucun détail, car tout ici est digne d'une grande et même d'une extrême compassion. On conduit Jésus à Pilate, et les saintes Femmes le suivent de loin parce qu'elles ne peuvent s'en approcher davantage. On porte alors contre lui plusieurs accusations et (1) Pilate l'envoie à Hérode.
Hérode en eut une grande joie, parce qu'il souhaitait de lui voir faire quelques prodiges, mais il n'en put obtenir aucun miracle, pas même une seule parole. Il en conclut donc que c'était un insensé, le fit, par dérision, revêtir d'une robe blanche et le renvoya à Pilate. Ainsi, vous le voyez, il passa , aux yeux de toute cette Cour, non-seulement pour un malfaiteur , mais pour un insensé ; et Jésus souffrait tout cela avec patience. Appliquez-vous encore à le considérer ici. Pendant qu'on le mène et qu'on le ramène, il marche modestement et les yeux baissés, il entend les cris , les insultes, les huées de la multitude, et il reçoit les coups de pierres et les souillures infectes des diverses immondices que peut-être on lance contre lui. Portez ensuite vos regards sur sa Mère et sur ses Disciples qui, après s'être arrêtés loin de lui , dans l'accablement d'une indicible douleur , se remettent en marche à sa suite.
(1) Luc, 23.
Le Christ devant Hérode
Or, après l'avoir ramené à Pilate, la canaille qui l'accompagnait, continue à l'accuser avec une infatigable insolence; mais Pilate , qui ne trouvait en lui aucune cause de condamnation , cherchait tous les moyens de le délivrer. Il dit donc aux Juifs : Je vais le renvoyer après l'avoir fait châtier. Quoi! Pilate, vous osez infliger un châtiment à votre souverain Seigneur! Vous ne savez ce que vous faites, car il ne mérite ni la flagellation ni la mort vous feriez bien mieux de travailler, comme il le désire, à vous corriger vous-même !
Or, Pilate fit cruellement flageller Jésus. On dépouille donc Notre Seigneur de ses vêtements, on l'attache à la colonne, on le flagelle de différentes manières. Un jeune homme plein de grâces, de modestie , (1) le plus beau des enfants des hommes est exposé à tous les regards dans un état de nudité; les fouets cruels destinés aux plus vils scélérats tombent sur la chair la plus innocente et la plus délicate , sur le corps le plus pur et le plus parfait. Ce corps modèle, la gloire de la nature humaine, est couvert de meurtrissures et de plaies. Un sang royal coule de toutes parts, on ajoute des meurtrissures a des meurtrissures, des plaies à des plaies, on les renouvelle, on les redouble jusqu'à ce que les bourreaux et leurs surveillants fatigués, aient reçu l'ordre de délier la victime.
La flagellation
Mais la colonne à laquelle elle fut attachée offre encore des traces de sang, suivant tous les récits historiques. Arrêtez-vous longtemps à contempler ce spectacle, et s'il ne vous émeut pas, il faut que vous ayez un cœur de pierre. Ce fut alors que s'accomplirent ces paroles du Prophète Isaïe : (2) Nous l'avons vu et il était méconnaissable, et nous l'avons considéré comme un lépreux , comme un homme que Dieu humilie pour ses péchés.
(1) Psaume 44. — (2) Isaïe, 83.
O Seigneur Jésus ! quelles mains téméraires ont osé vous dépouiller ainsi ? Quelles mains plus hardies vous ont attaché à la colonne ? Enfin quelles mains plus audacieuses encore ont mis le comble au sacrilège en vous infligeant une flagellation si cruelle ? Mais , ô Soleil de justice, vous vous êtes couvert d'un nuage, et par la soustraction de votre lumière, vous avez produit les ténèbres et la puissance des ténèbres. Tous vos ennemis deviennent plus forts que vous-même. C'est votre amour , ce sont nos crimes qui vous réduisent à cette impuissance.
Maudits soient les péchés qui vous ont coûté si cher ! Dès que Notre Seigneur est détaché de la colonne, on le conduit tout nu, tout déchiré des coups de la flagellation, pour chercher dans la maison les vêtements que les bourreaux y avaient jetés ça et là. Considérez-le dans un tel état d'affliction et tout tremblant, car il faisait froid, ainsi que le remarque l'Évangile (1). Au moment où il allait reprendre ses vêtements, quelques-uns des plus impies parmi ses gardes s'y opposent , et disent à Pilate : « Seigneur , il s'est fait passer pour Roi, nous allons lui donner les vêtements et la couronne dus à une si haute Majesté. » Et, ayant pris un vieil et ignoble manteau de soie rouge, ils l'en revêtirent et lui mirent sur la tête une couronne d'épines. Observez-le donc dans tous ses mouvements et au milieu de ses douleurs, car il fait et supporte tout ce qu'on exige de lui. Il se laisse revêtir de pourpre, il porte sur la tête une couronne d'épines , il tient à la main un roseau , et lorsque , fléchissant le genou devant lui , on rend hommage à sa royauté , il garde le silence et souffre tout sans se plaindre. Voyez surtout avec une vive compassion comment, à chaque instant, on frappe avec le roseau sa tête toute couverte d'épines ; voyez son cou douloureusement affaissé sous le poids de ces affreuses violences.
(1) Jean., 18.
La couronne d`épines
Car ces cruelles épines pénétraient profondément dans sa tête et la rendaient toute dégoûtante de sang. O misérables! qu'elle vous paraîtra terrible un jour, cette tête du Roi des Rois que vous osez maintenant maltraiter ! Car ils se moquaient alors de Jésus comme d'un homme qui a la prétention et non le pouvoir de régner sur les autres. Or, Jésus supporte tout, quoique la cruauté de ses ennemis soit extrême. Car ils ne se contentèrent pas de l'excès d'opprobres qu'il reçut lorsqu'ils l'exposèrent aux dérisions de la cohorte réunie tout entière autour de lui ; mais, après l'avoir ainsi bafoué, ils le firent sortir portant la couronne d'épines, revêtu du manteau d'écarlate pour le présenter publiquement à Pilate et à tout le peuple. Pour Dieu, voyez aussi comment Jésus se tient maintenant la tête baissée devant une foule immense qui vocifère et demande avec fureur qu'on le crucifie, et qui , se croyant plus sage que lui , met le comble à toutes les dérisions et à toutes les insultes qui lui ont été prodiguées. Voyez combien leur paraît extravagante sa conduite envers les Princes des Prêtres et les Pharisiens qui, après lui avoir fait subir un tel traitement, le conduisirent à une fin si misérable. Et c'est ainsi que Jésus était accablé tout à la fois de tourments, de douleurs et d'opprobres.
CHAPITRE LXXVII.
MÉDITATION SUR LA PASSION A L'HEURE DE TIERCE.
Toute la multitude présente demande donc que Jésus soit crucifié, et Pilate ce misérable Juge, prononce une si injuste condamnation. Ils ne se souviennent ni de ses bienfaits ni de ses miracles, ils ne sont pas touchés de son innocence, et, les Princes des Prêtres, les Anciens, à la vue des tourments qu'ils lui ont déjà fait éprouver, loin de désavouer leur cruauté , s'applaudissent d'avoir si parfaitement accompli leurs mauvais desseins contre lui. Ils se moquent, ils se raillent de Celui qui est le Dieu véritable et éternel, ils hâtent sa mort avec impatience.
La condamnation
On le fait rentrer, ou lui ôte le manteau de pourpre, il reste tout nu devant eux, et on lui permet de reprendre ses vêtements. Arrêtez-vous ici ; considérez attentivement chacune des parties de son corps , et pour exciter en vous une compassion plus profonde , pour vous édifier aussi davantage, oubliez sa divinité et ne considérez que son humanité. Vous verrez un beau jeune homme , d'une haute distinction , plein d'innocence et des sentiments les plus affectueux qui, tout couvert de plaies, de sang et de meurtrissures , recueille çà et là ses vêtements étendus de tous côtés sur la terre , et , sous les yeux de ses ennemis qui le raillent, s'empresse, en rougissant par pudeur et par modestie, de s'en revêtir lui-même, comme s'il était le dernier des hommes, abandonné de Dieu , privé de tout secours.
Observez tout avec soin et votre cœur sera pénétré des sentiments de la plus tendre compassion ; car il ramasse tantôt une chose, tantôt une autre et s'en couvre devant eux. Revenez ensuite à sa divinité et considérez le Dieu éternel, immense, incompréhensible, la Majesté suprême revêtue de notre chair, se courbant, s'inclinant humblement vers la terre pour y ramasser des vêtements, et s'en couvrant enfin comme s'il était le dernier des hommes, ou plutôt, comme si, acheté à prix d'argent par les misérables qui le regardent, il était leur esclave , soumis à leur autorité , corrigé et châtié par eux pour quelque faute.
Contemplez-le encore avec la même attention pour admirer son humilité, et, après avoir de nouveau excité votre compassion par les mêmes considérations, vous pourrez le voir attaché à la colonne où il fut si horriblement flagellé. Aussitôt qu'il a repris ses vêtements, on le fait sortir pour ne pas différer sa mort davantage. Alors on charge ses épaules du bois sacré de la Croix que, malgré sa longueur, sa grosseur et son poids, le doux Agneau accepte et porte avec patience. On pense, d'après des récits historiques, que la Croix de Notre Seigneur avait quinze pieds de haut. Alors on le conduit, on presse sa marche, on le rassasie d'opprobres, ainsi que nous l'avons déjà dit à l'heure de Matines. Or, on fit sortir Jésus accompagné de deux voleurs. Voilà la société qu'on lui donne. O bon Jésus, de quel opprobre on vous couvre ! vos ennemis ne se contentent pas de vous assimiler à deux voleurs, ils veulent vous faire passer pour le plus coupable, puisqu'ils vous obligent à porter votre Croix, ce qu'ils n'exigent point de vos deux compagnons.
Le Chemin de Croix
Ainsi non-seulement, comme le dit Isaïe : (1) Il a été mis au rang des scélérats, mais il a passé pour être le plus coupable entre les scélérats. Seigneur, votre patience est ineffable. Voyez donc ici Jésus, marchant tout courbé et tout essoufflé sous le poids de la Croix. Compatissez le plus qu'il vous sera possible à son sort, en le voyant réduit à une telle extrémité et exposé à de nouveaux outrages.
(1) Isaïe 53.
Comme sa Mère , dont la douleur était extrême , ne pouvait ni s'approcher de lui, ni le voir à cause de la foule qui l'en séparait , elle prit , avec ses compagnes et avec saint Jean , un chemin plus court pour s'avancer près de lui en devançant la multitude. Mais lorsque, au-delà de la porte de la ville , elle le rencontra à la jonction des deux routes, en voyant la Croix énorme dont il était chargé et qu'elle n'avait point d'abord aperçue , elle faillit mourir de douleur et resta muette devant son Fils qui , de son côté , ne put lui adresser une parole, parce qu'il était pressé d'avancer par ceux qui le conduisaient pour le crucifier.
Or, Notre Seigneur ayant continué sa marche se tourna peu après vers des femmes qui fondaient en larmes, et leur dit : (2) Filles de Jérusalem ne pleurez pas sur moi, mais pleurez sur vous-mêmes , et le reste comme il est dit dans l'Évangile. On voit encore à ces deux endroits les restes des Églises qui y ont été élevées pour conserver le souvenir de ces deux évènements, ainsi que je l'ai appris de l'un de nos frères qui a visité les saints lieux , et qui m'a dit encore que la montagne du Calvaire, où Jésus fut crucifié, était aussi éloignée de la porte de la ville que notre couvent l'est de la porte Saint-Germain. D'où il faut conclure que Jésus eut à porter longtemps sa Croix. Après donc qu`il eut fait encore quelques pas, il se sentit si fatigué et si accablé que , ne pouvant porter la Croix plus loin , il fut forcé de déposer ce fardeau.
(1) Luc, 23.
Mais les monstres qui l'accompagnaient, ne voulant point différer sa mort de peur que Pilate , qui avait manifesté l'intention de le renvoyer , ne révoquât sa sentence, forcèrent un passant de porter la Croix de Jésus , et , l'en ayant ainsi déchargé , le conduisirent à la montagne du Calvaire, garotté comme un voleur. Après tout ce que Jésus avait souffert pendant les heures de Matines , de Prime et de Tierce , ne vous semble- t-il pas que ses douleurs étaient assez cruelles , assez excessives sans ajouter le crucifiement à ces horreurs monstrueuses ? Certes, il y avait là, selon moi, de quoi exciter leur compassion; que dis-je? de quoi les pénétrer de la plus vive douleur. Je crois avoir épuisé maintenant tout ce qu'il y a à dire sur les trois heures dont je viens de parler. Voyons donc ce qui s'est passé au crucifiement et à la mort de Jésus-Christ, c'est-à-dire aux heures de Sexte et de None, puis nous nous occuperons de ce qui eut lieu après sa mort ou pendant les heures de Vêpres et de Complies.
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: Méditations sur la Passion du Christ pendant le Carême selon Saint-Bonaventure - Italie - 13 eme siècle
CHAPITRE LXXVIII.
MÉDITATION SUR LA PASSION DE JÉSUS-CHRIST A L'HEURE DE SEXTE.
Jésus, toujours conduit par ces scélérats , arriva enfin au Calvaire , lieu infect où vous pourrez voir d'atroces ouvriers s'occupant de toutes parts à d'horribles préparatifs. Or, représentez-vous vivement à l'esprit ces misérables, et considérez avec soin leurs dispositions contre votre souverain Maître, tout ce qui se dit , tout ce qui se fait , soit par lui , soit pour lui. Voyez donc en esprit les uns fixer la Croix dans la terre, les autres préparer les clous et les marteaux, ceux-ci apprêter l'échelle et les autres instruments, ceux-là régler tout ce que l'on doit faire, d'autres enfin ôter à Jésus ses vêtements. Le voilà encore une fois dépouillé, le voilà pour la troisième fois exposé aux regards de la multitude ; toutes les plaies sont rouvertes par ses vêtements collés à la chair. Ce fut alors que, pour la première fois, la Mère de Jésus put contempler son Fils que l'on préparait comme un esclave à subir la mort la plus cruelle. Elle est profondément affligée et couverte de confusion en le voyant dans une entière nudité; car on ne lui avait pas même laissé les vêtements les plus indispensables à la pudeur.
Elle se hâte donc et s'approche de son Fils, elle le prend dans ses bras et lui fait une ceinture du voile qu'elle portait sur la tête. Oh! dans l'amertume dont son âme était alors remplie , je ne crois pas qu'elle ait pu adresser une seule parole à Jésus. S'il lui eût été possible de faire pour lui davantage , elle n'eût certainement point hésité; mais elle ne put rendre aucun autre service à son Fils ; car à l'instant même on l'arrache avec fureur de ses bras pour le traîner au pied de la Croix.
Jésus fut crucifié, voyez avec quelle insolence les bourreaux saisissent Jésus comme s'il était le dernier des scélérats , le renversent brutalement à terre sur la Croix , s'emparent de ses bras, et, après les y avoir violemment étendus, les y clouent impitoyablement. Remarquez qu'on en fit autant de ses pieds qui furent tirés aussi fortement que possible.
Notre Seigneur est donc- crucifié et son corps est sur la Croix dans une tension si violente que (1) l'on pourrait compter tous ses os , comme il s'en plaint par la bouche du Prophète. De tous côtés son sang adorable coule en longs ruisseaux des profondes plaies dont son corps est couvert. Et tous ses membres sont dans un tel état de gêne et de contrainte qu'il ne peut mouvoir que la tête. Trois clous supportent tout le poids de son corps; il souffre des douleurs excessives et les maux qu'il endure sont au-dessus de tout ce que l'on peut dire ou penser.
(1) Psaume 21.
Il est suspendu entre deux voleurs. De toutes parts les souffrances , de toutes parts des opprobres , de toutes parts des reproches cruels ; car on ne les lui épargne pas quelque horrible que soit sa situation. On le blasphème ; les uns disent : (1) Va! toi qui détruis le Temple de Dieu! d'autres : Il ne peut se sauver lui-même. On lui fait encore d'autres provocations : S'il est le Fils de Dieu qu'il descende de la Croix et nous croirons en lui. Les soldats qui le crucifièrent firent entre eux et sous ses yeux le partage de ses vêtements. Et tout se fait, tout se dit en présence de sa Mère désolée dont la vive compassion augmente infiniment les tourments de son Fils et réciproquement. Marie était attachée avec son Fils à la Croix, elle aurait préféré y mourir avec lui plutôt que de lui survivre. Ce ne sont partout qu'angoisses et que tourments; il était possible de les partager, il est impossible de les décrire.
Marie se tenait debout entre la Croix de Jésus et celle du bon larron; ses yeux étaient fixés sur son Fils; elle ressentait toutes ses douleurs et adressait à Dieu le Père cette ardente prière : « Dieu éternel, ô mon Père, vous avez voulu que mon Fils fût attaché à la Croix , il n'est plus temps de vous le redemander. Mais vous voyez à quelles extrémités il est maintenant réduit ; adoucissez , s'il vous plaît , ses tourments, j'ose vous en supplier. O mon Père, je vous recommande mon Fils.» Jésus de son côté priait tacitement son Père pour Marie et lui disait intérieurement : « Mon Père, vous voyez l'affliction de celle qui m'a porté dans son sein maternel. C'est moi qui dois être crucifié et non pas elle; cependant elle est avec moi sur la Croix. Je dois mourir sur la Croix, parce que je me suis chargé des péchés de tout mon peuple; mais ma mort doit suffire et ma Mère n'a rien à expier. Vous voyez sa désolation, elle est depuis hier accablée de douleur. Je vous supplie , ô mon Père, de lui en rendre le poids supportable . »
(2) Matthieu, 27.
Cependant avec la Mère de Jésus on voyait au pied de la Croix, saint Jean , Madeleine, la Mère de Jacques et Marie de Salomé toutes deux sœurs de Marie , et peut-être aussi d'autres saintes femmes qui, tous ensemble et spécialement Madeleine, répandaient des larmes abondantes sur la mort de leur Seigneur et de leur Maître bien-aimé dont rien ne pouvait les consoler. Ils pleuraient avec une vive compassion sur Jésus , sur Marie , sur eux-mêmes ; et leur douleur se ranimait avec leur compassion toutes les fois que de nouveaux outrages ou de nouveaux tourments étaient ajoutés à ceux qu'éprouvait déjà leur divin Maître.
CHAPITRE LXXIX.
MÉDITATION SUR LA PASSION DE JÉSUS-CHRIST A L'HEURE DE NONE.
Depuis le moment où Jésus-Christ fut suspendu à la Croix jusqu'à celui où il rendit l'esprit, il ne demeura point oisif, mais ses actions comme ses paroles étaient pour nous de salutaires instructions. Aussi fit-il entendre sept paroles mémorables que l'Évangile nous a conservées. La première fut une prière que, pendant l'acte même de son crucifiement, il fit en ces termes pour ses bourreaux : (1) Mon Père, pardonnez leur, car ils ne savent ce qu'ils font; paroles d'une prodigieuse patience, d'un amour excessif, d'une charité inexprimable! La seconde fut pour sa Mère quand il dit : (2) Femme, voilà votre Fils ; et à saint Jean : Voilà votre Mère, il ne l'appela pas sa Mère , de peur que cette expression n'augmentât sa douleur en excitant trop vivement sa tendresse.
(1) Luc, 23. — (2) Jean., 19.
La troisième fut adressée au voleur pénitent : (1) Vous serez, lui dit-il, aujourd'hui avec moi dans le Paradis. Voici la quatrième parole : Eli, Eli, lamma sabacthani? C'est-à-dire, mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous abandonné? Comme s'il eût dit : Mon Père, vous avez tant aimé le monde que, pour lui, vous semblez m' abandonner entièrement. La cinquième parole fut celle-ci : (2) J'ai soif. Cette parole qui excita toute la compassion de sa Mère , des saintes femmes et de saint Jean, fut, au contraire, pour les ennemis de Jésus, le sujet d'une joie cruelle. Car, bien que cette parole pourrait s'entendre de la soif que Jésus avait du salut des âmes, cependant il est indubitable que Notre Seigneur ressentit réellement la soif, parce que l'effusion de son sang , en l'épuisant intérieurement, avait dû lui occasionner une extrême altération.
Et comme ses bourreaux ne savaient quels moyens employer pour le faire souffrir, ils saisirent avec empressement l'occasion d'un nouveau supplice. (3) Ils lui donnèrent donc à boire du vinaigre mêlé de fiel. Malheureuse obstination de la fureur qui les porta à faire tout le mal possible à leur victime ! La sixième parole fut : Tout est consommé; ce qui signifie : « Mon Père , mon obéissance à vos ordres a été complète. Si vous voulez quelque chose de plus , commandez à votre Fils; me voici prêt à faire ce que vous pourriez exiger encore ; (4) car mon cœur est préparé à tous les supplices. Mais tout ce qu'on a écrit de moi étant consommé , rappelez-moi maintenant à vous, mon Père , si cela vous est agréable. »
(1) Luc, 23. — (2) Jean., 19. — (3) Jean 19 — (4) Psaume 37.
Le Père céleste lui dit alors : « Venez, mon Fils bien-aimé , vous avez bien fait toutes choses, je veux mettre un terme à vos souffrances; venez, mon cœur et mes bras sont ouverts pour vous recevoir. » Et dès-lors Jésus commença à ressentir la défaillance ordinaire aux agonisants , ouvrant les yeux et bientôt les refermant, inclinant la tête tantôt d'un côté, tantôt d'un autre par l'affaiblissement progressif de toutes ses forces. Enfin Jésus pour la septième parole, dit en versant des larmes et jetant un grand cri : (1) Mon Père , je remets mon âme entre vos mains. Ayant dit ces mots et baissant la tête devant son Père comme pour le remercier de ce qu'il le rappelait à lui, il expira. Le Centurion qui était devant la Croix, entendant ce cri de Jésus mourant , se convertit et dit : (2) Cet homme était véritablement le Fils de Dieu. Il crut en lui parce qu'en effet les autres hommes ne peuvent crier en rendant le dernier soupir. Or ce cri fut si grand qu'il pénétra jusqu'au fond de l'enfer. Oh ! que devint alors l'âme de Marie ! qu'éprouva cette tendre Mère en voyant si péniblement Jésus défaillir, verser des pleurs et mourir? Pour moi , je crois que tant de douleurs et d'angoisses la firent tomber alors dans un état d'insensibilité, d'anéantissement , ou peut-être même d'agonie beaucoup plus cruel que celui où elle se trouva lorsqu'elle rencontra son Fils portant sa Croix.
(1) Luc, 23. — (2) Matthieu , 27.
La confession du centurion Longinus
Que faisaient en ce moment Madeleine , cette femme fidèle et chérie , saint Jean , le Disciple bien-aimé , et les deux autres sœurs de Marie? Mais, dans un tel état d'affliction , de douleur et d'amertume , que pouvaient-ils faire? D'intarissables larmes coulaient de leurs yeux. Jésus mort reste donc suspendu à la Croix. La foule s'écoule ; Marie abîmée de douleur, saint Jean et les autres femmes restent seuls. Ils vont s'asseoir au pied de la Croix, ils contemplent leur bien-aimé et demandent à Dieu de les aider à recouvrer le Corps de Jésus, afin de pouvoir l'ensevelir. Et vous , si vous avez bien examiné le Corps de Notre Seigneur, il vous est facile de reconnaître que , depuis la plante des pieds jusqu'au sommet de la tête, il n'y a rien de sain en lui , et que tous les membres de son Corps et tous ses sens ont eu leur douleur et leur supplice. Voilà donc, eu égard à mon incapacité et votre peu de savoir, tout ce que, pour le moment, il semble possible de dire sur ce qui se passa au crucifiement et à la mort de Jésus-Christ , pendant les heures de Sexte et de None. Quant à vous , ne négligez rien pour vous attacher à toutes ces choses avec la dévotion, l'exactitude et le soin dont vous êtes capable. Parlons maintenant de ce qui se passa après la Mort.
MÉDITATION SUR LA PASSION DE JÉSUS-CHRIST A L'HEURE DE SEXTE.
Jésus, toujours conduit par ces scélérats , arriva enfin au Calvaire , lieu infect où vous pourrez voir d'atroces ouvriers s'occupant de toutes parts à d'horribles préparatifs. Or, représentez-vous vivement à l'esprit ces misérables, et considérez avec soin leurs dispositions contre votre souverain Maître, tout ce qui se dit , tout ce qui se fait , soit par lui , soit pour lui. Voyez donc en esprit les uns fixer la Croix dans la terre, les autres préparer les clous et les marteaux, ceux-ci apprêter l'échelle et les autres instruments, ceux-là régler tout ce que l'on doit faire, d'autres enfin ôter à Jésus ses vêtements. Le voilà encore une fois dépouillé, le voilà pour la troisième fois exposé aux regards de la multitude ; toutes les plaies sont rouvertes par ses vêtements collés à la chair. Ce fut alors que, pour la première fois, la Mère de Jésus put contempler son Fils que l'on préparait comme un esclave à subir la mort la plus cruelle. Elle est profondément affligée et couverte de confusion en le voyant dans une entière nudité; car on ne lui avait pas même laissé les vêtements les plus indispensables à la pudeur.
Elle se hâte donc et s'approche de son Fils, elle le prend dans ses bras et lui fait une ceinture du voile qu'elle portait sur la tête. Oh! dans l'amertume dont son âme était alors remplie , je ne crois pas qu'elle ait pu adresser une seule parole à Jésus. S'il lui eût été possible de faire pour lui davantage , elle n'eût certainement point hésité; mais elle ne put rendre aucun autre service à son Fils ; car à l'instant même on l'arrache avec fureur de ses bras pour le traîner au pied de la Croix.
Jésus fut crucifié, voyez avec quelle insolence les bourreaux saisissent Jésus comme s'il était le dernier des scélérats , le renversent brutalement à terre sur la Croix , s'emparent de ses bras, et, après les y avoir violemment étendus, les y clouent impitoyablement. Remarquez qu'on en fit autant de ses pieds qui furent tirés aussi fortement que possible.
Notre Seigneur est donc- crucifié et son corps est sur la Croix dans une tension si violente que (1) l'on pourrait compter tous ses os , comme il s'en plaint par la bouche du Prophète. De tous côtés son sang adorable coule en longs ruisseaux des profondes plaies dont son corps est couvert. Et tous ses membres sont dans un tel état de gêne et de contrainte qu'il ne peut mouvoir que la tête. Trois clous supportent tout le poids de son corps; il souffre des douleurs excessives et les maux qu'il endure sont au-dessus de tout ce que l'on peut dire ou penser.
(1) Psaume 21.
Il est suspendu entre deux voleurs. De toutes parts les souffrances , de toutes parts des opprobres , de toutes parts des reproches cruels ; car on ne les lui épargne pas quelque horrible que soit sa situation. On le blasphème ; les uns disent : (1) Va! toi qui détruis le Temple de Dieu! d'autres : Il ne peut se sauver lui-même. On lui fait encore d'autres provocations : S'il est le Fils de Dieu qu'il descende de la Croix et nous croirons en lui. Les soldats qui le crucifièrent firent entre eux et sous ses yeux le partage de ses vêtements. Et tout se fait, tout se dit en présence de sa Mère désolée dont la vive compassion augmente infiniment les tourments de son Fils et réciproquement. Marie était attachée avec son Fils à la Croix, elle aurait préféré y mourir avec lui plutôt que de lui survivre. Ce ne sont partout qu'angoisses et que tourments; il était possible de les partager, il est impossible de les décrire.
Marie se tenait debout entre la Croix de Jésus et celle du bon larron; ses yeux étaient fixés sur son Fils; elle ressentait toutes ses douleurs et adressait à Dieu le Père cette ardente prière : « Dieu éternel, ô mon Père, vous avez voulu que mon Fils fût attaché à la Croix , il n'est plus temps de vous le redemander. Mais vous voyez à quelles extrémités il est maintenant réduit ; adoucissez , s'il vous plaît , ses tourments, j'ose vous en supplier. O mon Père, je vous recommande mon Fils.» Jésus de son côté priait tacitement son Père pour Marie et lui disait intérieurement : « Mon Père, vous voyez l'affliction de celle qui m'a porté dans son sein maternel. C'est moi qui dois être crucifié et non pas elle; cependant elle est avec moi sur la Croix. Je dois mourir sur la Croix, parce que je me suis chargé des péchés de tout mon peuple; mais ma mort doit suffire et ma Mère n'a rien à expier. Vous voyez sa désolation, elle est depuis hier accablée de douleur. Je vous supplie , ô mon Père, de lui en rendre le poids supportable . »
(2) Matthieu, 27.
Cependant avec la Mère de Jésus on voyait au pied de la Croix, saint Jean , Madeleine, la Mère de Jacques et Marie de Salomé toutes deux sœurs de Marie , et peut-être aussi d'autres saintes femmes qui, tous ensemble et spécialement Madeleine, répandaient des larmes abondantes sur la mort de leur Seigneur et de leur Maître bien-aimé dont rien ne pouvait les consoler. Ils pleuraient avec une vive compassion sur Jésus , sur Marie , sur eux-mêmes ; et leur douleur se ranimait avec leur compassion toutes les fois que de nouveaux outrages ou de nouveaux tourments étaient ajoutés à ceux qu'éprouvait déjà leur divin Maître.
CHAPITRE LXXIX.
MÉDITATION SUR LA PASSION DE JÉSUS-CHRIST A L'HEURE DE NONE.
Depuis le moment où Jésus-Christ fut suspendu à la Croix jusqu'à celui où il rendit l'esprit, il ne demeura point oisif, mais ses actions comme ses paroles étaient pour nous de salutaires instructions. Aussi fit-il entendre sept paroles mémorables que l'Évangile nous a conservées. La première fut une prière que, pendant l'acte même de son crucifiement, il fit en ces termes pour ses bourreaux : (1) Mon Père, pardonnez leur, car ils ne savent ce qu'ils font; paroles d'une prodigieuse patience, d'un amour excessif, d'une charité inexprimable! La seconde fut pour sa Mère quand il dit : (2) Femme, voilà votre Fils ; et à saint Jean : Voilà votre Mère, il ne l'appela pas sa Mère , de peur que cette expression n'augmentât sa douleur en excitant trop vivement sa tendresse.
(1) Luc, 23. — (2) Jean., 19.
La troisième fut adressée au voleur pénitent : (1) Vous serez, lui dit-il, aujourd'hui avec moi dans le Paradis. Voici la quatrième parole : Eli, Eli, lamma sabacthani? C'est-à-dire, mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous abandonné? Comme s'il eût dit : Mon Père, vous avez tant aimé le monde que, pour lui, vous semblez m' abandonner entièrement. La cinquième parole fut celle-ci : (2) J'ai soif. Cette parole qui excita toute la compassion de sa Mère , des saintes femmes et de saint Jean, fut, au contraire, pour les ennemis de Jésus, le sujet d'une joie cruelle. Car, bien que cette parole pourrait s'entendre de la soif que Jésus avait du salut des âmes, cependant il est indubitable que Notre Seigneur ressentit réellement la soif, parce que l'effusion de son sang , en l'épuisant intérieurement, avait dû lui occasionner une extrême altération.
Et comme ses bourreaux ne savaient quels moyens employer pour le faire souffrir, ils saisirent avec empressement l'occasion d'un nouveau supplice. (3) Ils lui donnèrent donc à boire du vinaigre mêlé de fiel. Malheureuse obstination de la fureur qui les porta à faire tout le mal possible à leur victime ! La sixième parole fut : Tout est consommé; ce qui signifie : « Mon Père , mon obéissance à vos ordres a été complète. Si vous voulez quelque chose de plus , commandez à votre Fils; me voici prêt à faire ce que vous pourriez exiger encore ; (4) car mon cœur est préparé à tous les supplices. Mais tout ce qu'on a écrit de moi étant consommé , rappelez-moi maintenant à vous, mon Père , si cela vous est agréable. »
(1) Luc, 23. — (2) Jean., 19. — (3) Jean 19 — (4) Psaume 37.
Le Père céleste lui dit alors : « Venez, mon Fils bien-aimé , vous avez bien fait toutes choses, je veux mettre un terme à vos souffrances; venez, mon cœur et mes bras sont ouverts pour vous recevoir. » Et dès-lors Jésus commença à ressentir la défaillance ordinaire aux agonisants , ouvrant les yeux et bientôt les refermant, inclinant la tête tantôt d'un côté, tantôt d'un autre par l'affaiblissement progressif de toutes ses forces. Enfin Jésus pour la septième parole, dit en versant des larmes et jetant un grand cri : (1) Mon Père , je remets mon âme entre vos mains. Ayant dit ces mots et baissant la tête devant son Père comme pour le remercier de ce qu'il le rappelait à lui, il expira. Le Centurion qui était devant la Croix, entendant ce cri de Jésus mourant , se convertit et dit : (2) Cet homme était véritablement le Fils de Dieu. Il crut en lui parce qu'en effet les autres hommes ne peuvent crier en rendant le dernier soupir. Or ce cri fut si grand qu'il pénétra jusqu'au fond de l'enfer. Oh ! que devint alors l'âme de Marie ! qu'éprouva cette tendre Mère en voyant si péniblement Jésus défaillir, verser des pleurs et mourir? Pour moi , je crois que tant de douleurs et d'angoisses la firent tomber alors dans un état d'insensibilité, d'anéantissement , ou peut-être même d'agonie beaucoup plus cruel que celui où elle se trouva lorsqu'elle rencontra son Fils portant sa Croix.
(1) Luc, 23. — (2) Matthieu , 27.
La confession du centurion Longinus
Que faisaient en ce moment Madeleine , cette femme fidèle et chérie , saint Jean , le Disciple bien-aimé , et les deux autres sœurs de Marie? Mais, dans un tel état d'affliction , de douleur et d'amertume , que pouvaient-ils faire? D'intarissables larmes coulaient de leurs yeux. Jésus mort reste donc suspendu à la Croix. La foule s'écoule ; Marie abîmée de douleur, saint Jean et les autres femmes restent seuls. Ils vont s'asseoir au pied de la Croix, ils contemplent leur bien-aimé et demandent à Dieu de les aider à recouvrer le Corps de Jésus, afin de pouvoir l'ensevelir. Et vous , si vous avez bien examiné le Corps de Notre Seigneur, il vous est facile de reconnaître que , depuis la plante des pieds jusqu'au sommet de la tête, il n'y a rien de sain en lui , et que tous les membres de son Corps et tous ses sens ont eu leur douleur et leur supplice. Voilà donc, eu égard à mon incapacité et votre peu de savoir, tout ce que, pour le moment, il semble possible de dire sur ce qui se passa au crucifiement et à la mort de Jésus-Christ , pendant les heures de Sexte et de None. Quant à vous , ne négligez rien pour vous attacher à toutes ces choses avec la dévotion, l'exactitude et le soin dont vous êtes capable. Parlons maintenant de ce qui se passa après la Mort.
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: Méditations sur la Passion du Christ pendant le Carême selon Saint-Bonaventure - Italie - 13 eme siècle
CHAPITRE LXXX.
LE COEUR DE JÉSUS EST OUVERT PAR LA LANCE.
Pendant que la Mère de Jésus, notre digne Souveraine, saint Jean , Madeleine et les deux sœurs de Marie restaient assis à l'un des côtés de la Croix , les yeux presque continuellement fixés sur Notre Seigneur ainsi suspendu entre deux voleurs, dans un état si affreux de nudité, d'affaissement, de mort et d'abandon universel, voilà que plusieurs soldats armés se dirigeant de la ville vers ceux qui gardaient la Croix , venaient rompre les jambes aux trois crucifiés, pour leur donner la mort et les ensevelir, de peur que ces corps ne restassent attachés à la Croix le jour du Sabbat qui était une grande Fête.
Alors Marie et ceux qui étaient avec elle se lèvent , regardent , aperçoivent ces hommes armés et, ne sachant ce que cela peut être , leur douleur se renouvelle, leur crainte et leur terreur s'augmentent. Marie surtout est très effrayée, elle ne sait quel parti prendre, elle se tourne vers le corps inanimé de son Fils , et lui adresse ces paroles : « Mon Fils, mon cher Fils, pourquoi ces soldats reviennent-ils ici? que veulent-ils donc vous faire encore? Ne vous ont-ils pas ôté la vie? Mon Fils, je croyais que leur fureur était satisfaite ; mais je vois qu'ils veulent vous persécuter même après votre mort. Mon Fils, je ne sais que faire. Je n'ai pu vous préserver de la mort ; mais je vais me mettre à vos pieds et m' attacher à votre Croix. Priez, mon Fils, suppliez votre Père de leur inspirer pour vous quelque pitié; je ferai de mon côté tout ce qui sera en mon pouvoir. » Au même instant, Marie et les quatre autres allèrent en pleurant se placer devant la Croix de Jésus.
Or les soldats furieux s'approchent avec fracas et, voyant que les voleurs respirent encore, ils leur rompent les jambes , leur donnent ainsi la mort , les descendent de la Croix et se hâtent de les jeter dans une fosse préparée à cet effet. Puis comme ils s'avançaient vers Jésus, Marie, qui craignait qu'ils ne traitassent son Fils de la même manière, dans la douleur dont son âme était intérieurement percée , imagina de recourir à ses armes ordinaires , c'est-à-dire à l'humilité qui lui était si naturelle; alors.se prosternant à leurs pieds, les bras en croix, les yeux baignés de larmes, la voix entrecoupée par ses sanglots, elle leur adresse ces paroles : « Mes frères , je vous conjure , par le Dieu Très-Haut , de m'épargner en épargnant mon cher Fils. Car je suis la plus affligée des Mères; et vous savez, mes frères, que je ne vous ai jamais fait aucune peine, que je ne vous ai jamais offensés en aucune chose ; si mon Fils vous a paru un objet de contradiction, vous lui avez ôté la vie, et moi je suis prête à vous pardonner vos injures , vos offenses et jusqu'à la mort de mon Fils. Mais, du moins, accordez-moi une grâce, ne le touchez pas, afin que je puisse le déposer dans le tombeau, sans qu'aucun de ses os aient été brisés. Il est inutile de lui rompre les jambes, car vous voyez qu'il est déjà mort; en effet il y a une heure qu'il a rendu le dernier soupir. »
Saint Jean , Madeleine et les deux sœurs de Marie étaient à genoux avec elle et pleuraient très amèrement. Que faites-vous, ô Marie! vous vous jetez au pied de ces monstres, vous voulez attendrir ces cœurs de bronze, vous comptez sur la pitié de ces impitoyables, sur la piété de ces impies, sur l'humilité de ces orgueilleux? Ces hommes superbes abhorrent l'humilité ; vos efforts sont superflus. Cependant, insensible à ces prières et à ces supplications, l'un des soldats, nommé Longin, alors rempli d'orgueil et d'impiété, mais qui plus tard se convertit, fut martyr et devint un saint, brandissant de loin sa lance, ouvrit, par une large plaie, le côté droit de Jésus et il en coula du sang et de l'eau. En ce moment la Mère de Jésus tomba à demi-morte entre les bras de Madeleine. Mais saint Jean exalté par l'excès de sa douleur, se pose hardiment devant eux et leur dit : « Hommes abominables, pourquoi cette infamie sacrilège; ne voyez-vous pas qu'il est mort? Voulez- vous aussi ôter la vie à sa malheureuse Mère? Retirez-vous, afin que nous puissions l'ensevelir. »
A ces mots ils s'éloignèrent, Dieu l'ayant ainsi permis. Or Marie, reprenant ses sens, se relève comme si elle fût sortie d'un profond sommeil et demande ce qu'on a fait du corps de son Fils bien-aimé. On lui répond qu'il est encore là. Ensuite elle soupire profondément , demeure dans une grande anxiété d'esprit, et, voyant la nouvelle blessure de son Fils , elle succombe sous le poids d'une douleur mortelle. Voyez combien de morts elle a souffertes aujourd'hui. Elle en a senti les atteintes tout autant de fois qu'un nouveau supplice était enduré par son Fils. Ainsi s'est bien accompli en elle ce que Siméon lui avait annoncé, lorsqu'il lui dit : (1) Votre âme sera percée d'un glaive de douleur. Mais en ce moment , la pointe de la lance a vraiment déchiré le corps du Fils et le cœur de la Mère. Or tous les amis de Jésus s'assoient de nouveau auprès de la Croix , ne sachant ce qu'ils doivent faire ; car il leur est impossible de descendre le Corps de la Croix et de lui donner la sépulture , les forces et les instruments nécessaires à ces opérations leur manquent à la fois.
(1) Luc, 2.
Ils n'osent se retirer en laissant le saint Corps dans cet état, et l'approche de la nuit ne leur permet pas de rester là plus longtemps. Vous voyez dans quelle perplexité ils se trouvent. O Dieu infiniment bon ! comment avez-vous permis à la tribulation d'accabler ainsi celle qui était votre bien aimée choisie entre mille , le miroir sans tache et la consolation des affligés? Ah ! le temps paraissait pourtant venu de la laisser un peu respirer.
LE COEUR DE JÉSUS EST OUVERT PAR LA LANCE.
Pendant que la Mère de Jésus, notre digne Souveraine, saint Jean , Madeleine et les deux sœurs de Marie restaient assis à l'un des côtés de la Croix , les yeux presque continuellement fixés sur Notre Seigneur ainsi suspendu entre deux voleurs, dans un état si affreux de nudité, d'affaissement, de mort et d'abandon universel, voilà que plusieurs soldats armés se dirigeant de la ville vers ceux qui gardaient la Croix , venaient rompre les jambes aux trois crucifiés, pour leur donner la mort et les ensevelir, de peur que ces corps ne restassent attachés à la Croix le jour du Sabbat qui était une grande Fête.
Alors Marie et ceux qui étaient avec elle se lèvent , regardent , aperçoivent ces hommes armés et, ne sachant ce que cela peut être , leur douleur se renouvelle, leur crainte et leur terreur s'augmentent. Marie surtout est très effrayée, elle ne sait quel parti prendre, elle se tourne vers le corps inanimé de son Fils , et lui adresse ces paroles : « Mon Fils, mon cher Fils, pourquoi ces soldats reviennent-ils ici? que veulent-ils donc vous faire encore? Ne vous ont-ils pas ôté la vie? Mon Fils, je croyais que leur fureur était satisfaite ; mais je vois qu'ils veulent vous persécuter même après votre mort. Mon Fils, je ne sais que faire. Je n'ai pu vous préserver de la mort ; mais je vais me mettre à vos pieds et m' attacher à votre Croix. Priez, mon Fils, suppliez votre Père de leur inspirer pour vous quelque pitié; je ferai de mon côté tout ce qui sera en mon pouvoir. » Au même instant, Marie et les quatre autres allèrent en pleurant se placer devant la Croix de Jésus.
Or les soldats furieux s'approchent avec fracas et, voyant que les voleurs respirent encore, ils leur rompent les jambes , leur donnent ainsi la mort , les descendent de la Croix et se hâtent de les jeter dans une fosse préparée à cet effet. Puis comme ils s'avançaient vers Jésus, Marie, qui craignait qu'ils ne traitassent son Fils de la même manière, dans la douleur dont son âme était intérieurement percée , imagina de recourir à ses armes ordinaires , c'est-à-dire à l'humilité qui lui était si naturelle; alors.se prosternant à leurs pieds, les bras en croix, les yeux baignés de larmes, la voix entrecoupée par ses sanglots, elle leur adresse ces paroles : « Mes frères , je vous conjure , par le Dieu Très-Haut , de m'épargner en épargnant mon cher Fils. Car je suis la plus affligée des Mères; et vous savez, mes frères, que je ne vous ai jamais fait aucune peine, que je ne vous ai jamais offensés en aucune chose ; si mon Fils vous a paru un objet de contradiction, vous lui avez ôté la vie, et moi je suis prête à vous pardonner vos injures , vos offenses et jusqu'à la mort de mon Fils. Mais, du moins, accordez-moi une grâce, ne le touchez pas, afin que je puisse le déposer dans le tombeau, sans qu'aucun de ses os aient été brisés. Il est inutile de lui rompre les jambes, car vous voyez qu'il est déjà mort; en effet il y a une heure qu'il a rendu le dernier soupir. »
Saint Jean , Madeleine et les deux sœurs de Marie étaient à genoux avec elle et pleuraient très amèrement. Que faites-vous, ô Marie! vous vous jetez au pied de ces monstres, vous voulez attendrir ces cœurs de bronze, vous comptez sur la pitié de ces impitoyables, sur la piété de ces impies, sur l'humilité de ces orgueilleux? Ces hommes superbes abhorrent l'humilité ; vos efforts sont superflus. Cependant, insensible à ces prières et à ces supplications, l'un des soldats, nommé Longin, alors rempli d'orgueil et d'impiété, mais qui plus tard se convertit, fut martyr et devint un saint, brandissant de loin sa lance, ouvrit, par une large plaie, le côté droit de Jésus et il en coula du sang et de l'eau. En ce moment la Mère de Jésus tomba à demi-morte entre les bras de Madeleine. Mais saint Jean exalté par l'excès de sa douleur, se pose hardiment devant eux et leur dit : « Hommes abominables, pourquoi cette infamie sacrilège; ne voyez-vous pas qu'il est mort? Voulez- vous aussi ôter la vie à sa malheureuse Mère? Retirez-vous, afin que nous puissions l'ensevelir. »
A ces mots ils s'éloignèrent, Dieu l'ayant ainsi permis. Or Marie, reprenant ses sens, se relève comme si elle fût sortie d'un profond sommeil et demande ce qu'on a fait du corps de son Fils bien-aimé. On lui répond qu'il est encore là. Ensuite elle soupire profondément , demeure dans une grande anxiété d'esprit, et, voyant la nouvelle blessure de son Fils , elle succombe sous le poids d'une douleur mortelle. Voyez combien de morts elle a souffertes aujourd'hui. Elle en a senti les atteintes tout autant de fois qu'un nouveau supplice était enduré par son Fils. Ainsi s'est bien accompli en elle ce que Siméon lui avait annoncé, lorsqu'il lui dit : (1) Votre âme sera percée d'un glaive de douleur. Mais en ce moment , la pointe de la lance a vraiment déchiré le corps du Fils et le cœur de la Mère. Or tous les amis de Jésus s'assoient de nouveau auprès de la Croix , ne sachant ce qu'ils doivent faire ; car il leur est impossible de descendre le Corps de la Croix et de lui donner la sépulture , les forces et les instruments nécessaires à ces opérations leur manquent à la fois.
(1) Luc, 2.
Ils n'osent se retirer en laissant le saint Corps dans cet état, et l'approche de la nuit ne leur permet pas de rester là plus longtemps. Vous voyez dans quelle perplexité ils se trouvent. O Dieu infiniment bon ! comment avez-vous permis à la tribulation d'accabler ainsi celle qui était votre bien aimée choisie entre mille , le miroir sans tache et la consolation des affligés? Ah ! le temps paraissait pourtant venu de la laisser un peu respirer.
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: Méditations sur la Passion du Christ pendant le Carême selon Saint-Bonaventure - Italie - 13 eme siècle
CHAPITRE LXXXI.
MÉDITATION A L'HEURE DE VÊPRES.
Or voici qu'ils voient encore venir à eux sur la route plusieurs hommes. C'étaient Joseph d'Arimathie et Nicodème qui, conduisant avec eux quelques autres personnes chargées des instruments nécessaires pour descendre le Corps de la Croix, venaient avec environ cent livres de myrrhe et d'aloès ensevelir le Corps du Seigneur. Marie et ceux qui étaient avec elle se lèvent aussitôt pleins d'une extrême frayeur. O Dieu, que d'afflictions dans un seul jour! Mais saint Jean dit après avoir promené ses regards sur ceux qui s'avançaient: « Je reconnais Joseph et Nicodème. » A ces mots Marie se ranime et s'écrie : Béni soit notre Dieu qui nous envoie ce secours; il s'est souvenu de nous et ne nous a point abandonnés. Mon Fils, allez au-devant d'eux. Saint Jean courut donc en toute hâte à leur rencontre et, dès qu'ils furent réunis , ils s'embrassèrent tous en pleurant , et ne purent pendant une grande heure s'entretenir ensemble à cause de leur tendre compassion, de leurs larmes abondantes et de leur excessive douleur.
Ensuite ils se dirigent vers la Croix. Joseph demande quels sont ceux qui sont avec Marie et ce que sont devenus les autres Disciples? Jean lui fait connaître les femmes qui sont près de Marie. Quant aux Disciples, il répond qu'il ne sait ce qu'ils sont devenus, parce qu'il n'en a vu là aucun aujourd'hui. Joseph s'informe aussi de ce qui s'est passé à l'égard du Seigneur; saint Jean lui en fait un récit circonstancié. Dès qu'ils furent près d'arriver, ils s'agenouillèrent et adorèrent le Seigneur en pleurant. Puis ils s'approchèrent de Marie et de ses compagnes qui les reçurent avec respect, fléchissant le genou et s'inclinant profondément devant eux. Ils se prosternèrent aussi tout en pleurs devant ces saintes femmes et restèrent dans cet état pendant une heure entière. Enfin Marie leur dit : « Vous faites bien de ne pas oublier votre Maître, car il vous a beaucoup aimés, et j'avoue qu'à votre arrivée, j'ai cru voir briller une nouvelle lumière. Nous ne savions quel parti prendre; que Dieu vous récompense de votre charité. » Ils répondirent : «Nous gémissons de tout notre cœur sur les horribles outrages qui lui ont été faits. Car les impies ont prévalu contre le Juste ; nous l'eussions de grand cœur arraché à leur iniquité si cela nous eût été possible. Nous venons du moins rendre à Notre Seigneur et à notre Maître un bien faible service.»
S'étant relevés à ces mots, ils se préparent à descendre de la Croix le Corps de Jésus. Quant à vous, comme je vous l'ai déjà plusieurs foi? conseillé, observez avec beaucoup d'attention et de soin comment ils procédèrent à cette opération. Deux échelles sont placées à l'opposite, de l'un et de l'autre côté de la Croix. Joseph monte sur l'échelle à droite; il s'empresse de détacher le clou de la main du même côté. Mais cela est difficile, car ce clou gros et long est fortement fixé à la Croix , et il semble impossible de l'en détacher sans faire éprouver à la main de Notre Seigneur une forte compression. Mais on ne peut voir ici aucune violence, car c'est l'action d'un serviteur fidèle, et Jésus l'accepte tout entière. Dès que le clou est arraché, saint Jean fait signe à Joseph de le lui remettre pour ne pas le laisser voir à Marie. Ensuite Nicodème extrait le clou de la main gauche, et le donne pareillement à saint Jean. Puis il descend pour ôter le clou des pieds. Pendant ce temps Joseph soutenait le corps du Seigneur. Heureux Joseph qui mérita la faveur de presser ainsi entre ses bras le corps de son divin Maître!
Alors Marie prend respectueusement la main pendante de son Fils et l'applique contre son visage. Elle la considère, la baise en répandant beaucoup de larmes accompagnées de soupirs douloureux. Dès que ses pieds furent détachés, Joseph descend un peu, et tous ceux qui étaient au bas de la Croix reçoivent le corps de Jésus et le déposent à terre. Marie soutient sur son sein la tête et les épaules ; Madeleine s'empare des pieds où tant de grâces lui avaient autrefois été accordées ; les autres se rangent autour du Corps; tous expriment leurs douleurs par des cris et des gémissements ; car leur affliction est aussi amère que celle qu'on éprouve à la mort d'un fils unique.
MÉDITATION A L'HEURE DE VÊPRES.
Or voici qu'ils voient encore venir à eux sur la route plusieurs hommes. C'étaient Joseph d'Arimathie et Nicodème qui, conduisant avec eux quelques autres personnes chargées des instruments nécessaires pour descendre le Corps de la Croix, venaient avec environ cent livres de myrrhe et d'aloès ensevelir le Corps du Seigneur. Marie et ceux qui étaient avec elle se lèvent aussitôt pleins d'une extrême frayeur. O Dieu, que d'afflictions dans un seul jour! Mais saint Jean dit après avoir promené ses regards sur ceux qui s'avançaient: « Je reconnais Joseph et Nicodème. » A ces mots Marie se ranime et s'écrie : Béni soit notre Dieu qui nous envoie ce secours; il s'est souvenu de nous et ne nous a point abandonnés. Mon Fils, allez au-devant d'eux. Saint Jean courut donc en toute hâte à leur rencontre et, dès qu'ils furent réunis , ils s'embrassèrent tous en pleurant , et ne purent pendant une grande heure s'entretenir ensemble à cause de leur tendre compassion, de leurs larmes abondantes et de leur excessive douleur.
Ensuite ils se dirigent vers la Croix. Joseph demande quels sont ceux qui sont avec Marie et ce que sont devenus les autres Disciples? Jean lui fait connaître les femmes qui sont près de Marie. Quant aux Disciples, il répond qu'il ne sait ce qu'ils sont devenus, parce qu'il n'en a vu là aucun aujourd'hui. Joseph s'informe aussi de ce qui s'est passé à l'égard du Seigneur; saint Jean lui en fait un récit circonstancié. Dès qu'ils furent près d'arriver, ils s'agenouillèrent et adorèrent le Seigneur en pleurant. Puis ils s'approchèrent de Marie et de ses compagnes qui les reçurent avec respect, fléchissant le genou et s'inclinant profondément devant eux. Ils se prosternèrent aussi tout en pleurs devant ces saintes femmes et restèrent dans cet état pendant une heure entière. Enfin Marie leur dit : « Vous faites bien de ne pas oublier votre Maître, car il vous a beaucoup aimés, et j'avoue qu'à votre arrivée, j'ai cru voir briller une nouvelle lumière. Nous ne savions quel parti prendre; que Dieu vous récompense de votre charité. » Ils répondirent : «Nous gémissons de tout notre cœur sur les horribles outrages qui lui ont été faits. Car les impies ont prévalu contre le Juste ; nous l'eussions de grand cœur arraché à leur iniquité si cela nous eût été possible. Nous venons du moins rendre à Notre Seigneur et à notre Maître un bien faible service.»
S'étant relevés à ces mots, ils se préparent à descendre de la Croix le Corps de Jésus. Quant à vous, comme je vous l'ai déjà plusieurs foi? conseillé, observez avec beaucoup d'attention et de soin comment ils procédèrent à cette opération. Deux échelles sont placées à l'opposite, de l'un et de l'autre côté de la Croix. Joseph monte sur l'échelle à droite; il s'empresse de détacher le clou de la main du même côté. Mais cela est difficile, car ce clou gros et long est fortement fixé à la Croix , et il semble impossible de l'en détacher sans faire éprouver à la main de Notre Seigneur une forte compression. Mais on ne peut voir ici aucune violence, car c'est l'action d'un serviteur fidèle, et Jésus l'accepte tout entière. Dès que le clou est arraché, saint Jean fait signe à Joseph de le lui remettre pour ne pas le laisser voir à Marie. Ensuite Nicodème extrait le clou de la main gauche, et le donne pareillement à saint Jean. Puis il descend pour ôter le clou des pieds. Pendant ce temps Joseph soutenait le corps du Seigneur. Heureux Joseph qui mérita la faveur de presser ainsi entre ses bras le corps de son divin Maître!
Alors Marie prend respectueusement la main pendante de son Fils et l'applique contre son visage. Elle la considère, la baise en répandant beaucoup de larmes accompagnées de soupirs douloureux. Dès que ses pieds furent détachés, Joseph descend un peu, et tous ceux qui étaient au bas de la Croix reçoivent le corps de Jésus et le déposent à terre. Marie soutient sur son sein la tête et les épaules ; Madeleine s'empare des pieds où tant de grâces lui avaient autrefois été accordées ; les autres se rangent autour du Corps; tous expriment leurs douleurs par des cris et des gémissements ; car leur affliction est aussi amère que celle qu'on éprouve à la mort d'un fils unique.
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: Méditations sur la Passion du Christ pendant le Carême selon Saint-Bonaventure - Italie - 13 eme siècle
CHAPITRE LXXXII.
Méditations à l'heure de complies.
Peu après, la nuit s'approchant, Joseph prie Marie de lui permettre d'ensevelir le corps de Jésus et de le déposer dans le tombeau. Marie n'y pouvait consentir. « Mes amis, disait-elle, ne me privez pas sitôt de mon Fils, ou bien mettez-moi avec lui dans le même tombeau. » Alors d'intarissables larmes coulaient de ses yeux; elle considérait les plaies des mains et du côté de Jésus, s'arrêtant tantôt à l'une, tantôt à l'autre; elle portait ses regards sur le visage et sur la tête ; elle observait les nombreuses piqûres de la Couronne d'Épines, la dépilation de la barbe, cette face souillée de crachats et de sang, cette tête dépouillée de cheveux, et elle ne pouvait ni en détourner les yeux, ni suspendre ses pleurs.
On lit quelque part que Notre Seigneur, ainsi qu'il l'a révélé à une sainte Religieuse, fut dépouillé de ses cheveux et de sa barbe; mais les Évangélistes, en parlant de sa Passion, ne sont pas entrés dans tous les détails. Aussi je ne saurais constater par l'Écriture ni la réalité de ce dépouillement, ni la manière dont il s'opéra; quant à la dépilation de la barbe on ne peut en douter, car le Prophète Isaïe fait dire à Notre Seigneur : (1) J'ai abandonne mon corps à ceux qui le frappaient, et mes joues à ceux qui m'arrachaient la barbe. Et voilà pourquoi Marie était si attentive à observer ces circonstances et voulait les constater si exactement. Mais comme l'heure s'avançait, saint Jean dit à Marie: «Ma Mère, laissons faire Joseph et Nicodème, laissons-les ensevelir et déposer dans le tombeau le corps de Notre Seigneur; car un plus long retard pourrait les exposer aux calomnies.»
(1) Isaïe, 50.
A ces mots, craignant de manquer de reconnaissance et de discrétion, se souvenant d'ailleurs qu'elle avait été confiée à saint Jean par son Fils, Marie ne résista pas plus longtemps, bénit le corps de Jésus et consentit à ce qu'on lui demandait. Alors Jean, Nicodème et quelques autres se mirent à l'ensevelir et à le ceindre de bandelettes, selon la coutume des Juifs. Marie, qui s'était réservé le soin d'envelopper la tête de son Fils, la tenait toujours appuyée sur son cœur ; Madeleine n'avait pas quitté ses pieds. Et dès qu'on eut tout disposé jusqu'à l'extrémité des jambes : « Je vous en prie, dit-elle, permettez-moi d'envelopper les pieds, car c'est là que j'ai obtenu miséricorde. » On la laissa faire et elle ne quitta plus les pieds de son divin Maître. La douleur paraissait l'accabler, et ces pieds qu'elle avait autrefois arrosés des pleurs du repentir, elle les inonda alors d'une bien plus grande abondance de larmes de douleur et de compassion.
En voyant ces pieds si horriblement blessés, si douloureusement percés, si amaigris et si ensanglantés, elle ne cessait de pleurer avec beaucoup d'amertume. Car, suivant le témoignage de Celui qui est la Vérité, (1) elle a beaucoup aimé, et voilà pourquoi elle a beaucoup pleuré, surtout en rendant ce dernier service à son Maître et à son Seigneur, qu'elle voyait réduit à un tel anéantissement après tant de maux, une si cruelle flagellation, de si profondes blessures et une telle mort. Son âme était prête à se séparer de son corps, tant sa douleur était grande ; et il est facile de comprendre que, si cela lui eût été possible, elle eût bien volontiers rendu le dernier soupir aux pieds de son divin Maître. Rien ne pouvait la consoler; elle n'était point accoutumée à rendre à Jésus de pareils services ; celui-là est tout nouveau pour elle, c'est un dernier devoir dont elle s'acquitte , en gémissant au fond du cœur de ne pouvoir faire comme elle souhaiterait et comme il conviendrait. Car elle aurait voulu laver tout le corps, l'embaumer et l'envelopper.
(1) Luc, 7.
Mais le temps et le lieu ne le lui permettaient pas. En effet, elle ne pouvait faire plus, elle ne pouvait faire autre chose; elle fait tout ce qui lui est possible. Du moins, elle lave de ses larmes les pieds de Jésus, elle les essuie, les presse sur son cœur, les baise avec piété, les enveloppe, les entoure de bandelettes avec tout le soin , toutes les précautions dont elle est capable. Après ces préparatifs, tous les regards se tournent sur Marie qui doit les compléter, et tous recommencent leurs lamentations. Comprenant qu'on ne peut différer plus longtemps, Notre-Dame colle alors son visage sur celui de son bien- aimé Fils en disant : « O mon Fils ! c'est donc votre corps inanimé que je presse entre mes bras ; qu'il est cruel de me voir séparée de vous par la mort ! Notre union était si douce et si délicieuse! Nous n'avons manqué ni d'indulgence, ni de charité envers personne, et pourtant, O mon cher Fils, on vous a ôté la vie comme au plus coupable de tous les hommes? Je vous ai fidèlement servi et vous m'avez rendu services pour services; mais dans la lutte douloureuse qui a terminé vos jours, votre Père n'a voulu et moi je n'ai pu vous donner aucun secours. Vous vous êtes abandonné vous-même parce que vous aimiez les hommes et que vous vouliez les racheter. Quelque dure, quelque pénible que soit cette Rédemption, je m'en réjouis pourtant, puisqu'elle opère le salut du monde. Mais une mort si douloureuse me plonge dans une extrême affliction; car je sais qu'il n'y a en vous aucun péché et que c'est sans motifs que vous avez été livré à un supplice si cruel et si ignominieux. Les voilà donc rompus, ô mon Fils, les liens qui nous unissaient! il faut maintenant que je me sépare de vous. C'est donc moi, moi votre malheureuse Mère, qui aurai la douleur de vous conduire au tombeau. Mais, ensuite, que deviendrai-je? où porterai-je mes pas? comment pourrai-je vivre sans vous? je voudrais m'ensevelir avec vous, afin d'être partout où vous serez. Mais si je ne le puis de corps, je le ferai du moins en esprit; mon âme s'ensevelira avec vous dans le même tombeau, je vous l'abandonne et la remets entre vos mains. 0 mon Fils ! que cette séparation est amère ! »
Et elle baigne pour la seconde fois le visage de Jésus de larmes plus abondantes que celles dont Madeleine avait arrosé ses pieds. Ensuite elle essuie le visage de son Fils, dépose un baiser de Mère sur sa bouche et sur ses yeux, couvre sa tête d'un suaire, l'en enveloppe avec soin et le bénit une seconde fois. Alors tous ceux qui étaient présents se prosternent, l'adorent, baisent ses pieds , le prennent et le portent au sépulcre. Marie soutenait la tête et les épaules, Madeleine les pieds, les autres placés au milieu, portaient le corps.
Tout près du lieu où Jésus avait été crucifié, à une distance environ égale à la longueur de notre Église, il y avait un sépulcre. C'est là qu'à genoux, avec beaucoup de larmes, de sanglots et de soupirs, on le déposa respectueusement. Après quoi sa Mère le bénit encore, l'embrasse et reste étendue sur son Fils bien-aimé. Mais on la relève, et une grosse pierre ferme l'entrée du sépulcre. Bède nous apprend que ce sépulcre était rond, creusé dans un rocher, et d'une élévation telle, qu'un homme, en étendant la main, ne pourrait en toucher la voûte; l'entrée est située à l'Orient; au Nord, on voit, taillée dans la même pierre, sur une longueur de sept pieds, la place où fut mis le corps de Notre Seigneur.
Méditations à l'heure de complies.
Peu après, la nuit s'approchant, Joseph prie Marie de lui permettre d'ensevelir le corps de Jésus et de le déposer dans le tombeau. Marie n'y pouvait consentir. « Mes amis, disait-elle, ne me privez pas sitôt de mon Fils, ou bien mettez-moi avec lui dans le même tombeau. » Alors d'intarissables larmes coulaient de ses yeux; elle considérait les plaies des mains et du côté de Jésus, s'arrêtant tantôt à l'une, tantôt à l'autre; elle portait ses regards sur le visage et sur la tête ; elle observait les nombreuses piqûres de la Couronne d'Épines, la dépilation de la barbe, cette face souillée de crachats et de sang, cette tête dépouillée de cheveux, et elle ne pouvait ni en détourner les yeux, ni suspendre ses pleurs.
On lit quelque part que Notre Seigneur, ainsi qu'il l'a révélé à une sainte Religieuse, fut dépouillé de ses cheveux et de sa barbe; mais les Évangélistes, en parlant de sa Passion, ne sont pas entrés dans tous les détails. Aussi je ne saurais constater par l'Écriture ni la réalité de ce dépouillement, ni la manière dont il s'opéra; quant à la dépilation de la barbe on ne peut en douter, car le Prophète Isaïe fait dire à Notre Seigneur : (1) J'ai abandonne mon corps à ceux qui le frappaient, et mes joues à ceux qui m'arrachaient la barbe. Et voilà pourquoi Marie était si attentive à observer ces circonstances et voulait les constater si exactement. Mais comme l'heure s'avançait, saint Jean dit à Marie: «Ma Mère, laissons faire Joseph et Nicodème, laissons-les ensevelir et déposer dans le tombeau le corps de Notre Seigneur; car un plus long retard pourrait les exposer aux calomnies.»
(1) Isaïe, 50.
A ces mots, craignant de manquer de reconnaissance et de discrétion, se souvenant d'ailleurs qu'elle avait été confiée à saint Jean par son Fils, Marie ne résista pas plus longtemps, bénit le corps de Jésus et consentit à ce qu'on lui demandait. Alors Jean, Nicodème et quelques autres se mirent à l'ensevelir et à le ceindre de bandelettes, selon la coutume des Juifs. Marie, qui s'était réservé le soin d'envelopper la tête de son Fils, la tenait toujours appuyée sur son cœur ; Madeleine n'avait pas quitté ses pieds. Et dès qu'on eut tout disposé jusqu'à l'extrémité des jambes : « Je vous en prie, dit-elle, permettez-moi d'envelopper les pieds, car c'est là que j'ai obtenu miséricorde. » On la laissa faire et elle ne quitta plus les pieds de son divin Maître. La douleur paraissait l'accabler, et ces pieds qu'elle avait autrefois arrosés des pleurs du repentir, elle les inonda alors d'une bien plus grande abondance de larmes de douleur et de compassion.
En voyant ces pieds si horriblement blessés, si douloureusement percés, si amaigris et si ensanglantés, elle ne cessait de pleurer avec beaucoup d'amertume. Car, suivant le témoignage de Celui qui est la Vérité, (1) elle a beaucoup aimé, et voilà pourquoi elle a beaucoup pleuré, surtout en rendant ce dernier service à son Maître et à son Seigneur, qu'elle voyait réduit à un tel anéantissement après tant de maux, une si cruelle flagellation, de si profondes blessures et une telle mort. Son âme était prête à se séparer de son corps, tant sa douleur était grande ; et il est facile de comprendre que, si cela lui eût été possible, elle eût bien volontiers rendu le dernier soupir aux pieds de son divin Maître. Rien ne pouvait la consoler; elle n'était point accoutumée à rendre à Jésus de pareils services ; celui-là est tout nouveau pour elle, c'est un dernier devoir dont elle s'acquitte , en gémissant au fond du cœur de ne pouvoir faire comme elle souhaiterait et comme il conviendrait. Car elle aurait voulu laver tout le corps, l'embaumer et l'envelopper.
(1) Luc, 7.
Mais le temps et le lieu ne le lui permettaient pas. En effet, elle ne pouvait faire plus, elle ne pouvait faire autre chose; elle fait tout ce qui lui est possible. Du moins, elle lave de ses larmes les pieds de Jésus, elle les essuie, les presse sur son cœur, les baise avec piété, les enveloppe, les entoure de bandelettes avec tout le soin , toutes les précautions dont elle est capable. Après ces préparatifs, tous les regards se tournent sur Marie qui doit les compléter, et tous recommencent leurs lamentations. Comprenant qu'on ne peut différer plus longtemps, Notre-Dame colle alors son visage sur celui de son bien- aimé Fils en disant : « O mon Fils ! c'est donc votre corps inanimé que je presse entre mes bras ; qu'il est cruel de me voir séparée de vous par la mort ! Notre union était si douce et si délicieuse! Nous n'avons manqué ni d'indulgence, ni de charité envers personne, et pourtant, O mon cher Fils, on vous a ôté la vie comme au plus coupable de tous les hommes? Je vous ai fidèlement servi et vous m'avez rendu services pour services; mais dans la lutte douloureuse qui a terminé vos jours, votre Père n'a voulu et moi je n'ai pu vous donner aucun secours. Vous vous êtes abandonné vous-même parce que vous aimiez les hommes et que vous vouliez les racheter. Quelque dure, quelque pénible que soit cette Rédemption, je m'en réjouis pourtant, puisqu'elle opère le salut du monde. Mais une mort si douloureuse me plonge dans une extrême affliction; car je sais qu'il n'y a en vous aucun péché et que c'est sans motifs que vous avez été livré à un supplice si cruel et si ignominieux. Les voilà donc rompus, ô mon Fils, les liens qui nous unissaient! il faut maintenant que je me sépare de vous. C'est donc moi, moi votre malheureuse Mère, qui aurai la douleur de vous conduire au tombeau. Mais, ensuite, que deviendrai-je? où porterai-je mes pas? comment pourrai-je vivre sans vous? je voudrais m'ensevelir avec vous, afin d'être partout où vous serez. Mais si je ne le puis de corps, je le ferai du moins en esprit; mon âme s'ensevelira avec vous dans le même tombeau, je vous l'abandonne et la remets entre vos mains. 0 mon Fils ! que cette séparation est amère ! »
Et elle baigne pour la seconde fois le visage de Jésus de larmes plus abondantes que celles dont Madeleine avait arrosé ses pieds. Ensuite elle essuie le visage de son Fils, dépose un baiser de Mère sur sa bouche et sur ses yeux, couvre sa tête d'un suaire, l'en enveloppe avec soin et le bénit une seconde fois. Alors tous ceux qui étaient présents se prosternent, l'adorent, baisent ses pieds , le prennent et le portent au sépulcre. Marie soutenait la tête et les épaules, Madeleine les pieds, les autres placés au milieu, portaient le corps.
Tout près du lieu où Jésus avait été crucifié, à une distance environ égale à la longueur de notre Église, il y avait un sépulcre. C'est là qu'à genoux, avec beaucoup de larmes, de sanglots et de soupirs, on le déposa respectueusement. Après quoi sa Mère le bénit encore, l'embrasse et reste étendue sur son Fils bien-aimé. Mais on la relève, et une grosse pierre ferme l'entrée du sépulcre. Bède nous apprend que ce sépulcre était rond, creusé dans un rocher, et d'une élévation telle, qu'un homme, en étendant la main, ne pourrait en toucher la voûte; l'entrée est située à l'Orient; au Nord, on voit, taillée dans la même pierre, sur une longueur de sept pieds, la place où fut mis le corps de Notre Seigneur.
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: Méditations sur la Passion du Christ pendant le Carême selon Saint-Bonaventure - Italie - 13 eme siècle
CHAPITRE LXXXIII.
MÉDITATION APRÈS COMPLIES.
Après que Joseph eut ainsi achevé de rendre les derniers devoirs au Seigneur, voulant retourner à la ville, il dit à Marie : « Mon auguste Souveraine, je vous supplie, au nom de Dieu et par l'amour de Jésus votre Fils et mon divin Maître, de vouloir bien venir loger chez moi , car je sais que vous ne possédez pas de maison ; servez-vous donc de la mienne, comme si c'était la vôtre, parce que tout ce qui est à moi est à vous. » Nicodème fit aussi les mêmes offres.
Oh ! qui ne serait ici pénétré de la plus vive compassion ! La Reine du Ciel n'a pas où reposer sa tête, et les tristes jours de son veuvage, il faudra qu'elle les passe sous un toit étranger. Je dis les jours de son veuvage, car Notre Seigneur Jésus-Christ était pour elle un Fils, un époux, un père, une mère, tout son bien, et en le perdant, elle perdit à la fois ce qu'elle avait de plus cher au monde. Elle est véritablement veuve, abandonnée, sans asile. Elle s'incline alors humblement, remercie et répond que son Fils l'a confiée à saint Jean. Joseph et Nicodème renouvelant leurs instances, saint Jean leur dit qu'il se proposait de la conduire sur la montagne de Sion, dans la maison où Notre Seigneur avait le soir précédent fait la Cène avec ses Disciples, et que son intention était d`y fixer avec elle son domicile. Joseph et Nicodème saluèrent Marie et se retirèrent après avoir adoré Jésus dans son tombeau. L'Évangile (1) nous apprend que tous les autres demeurèrent assis auprès du sépulcre.
(1) Matthieu 17.
La nuit approchait ; saint Jean dit à Marie : «II ne convient ni de rester plus longtemps ici, ni de retourner de nuit dans la ville ; si donc vous le permettez, ma Mère, nous allons nous retirer. » Marie se lève aussitôt, se jette à genoux, embrasse le sépulcre et dit en bénissant Jésus : « Mon Fils, je ne puis rester plus longtemps avec vous , je vous recommande à votre Père.» Puis, élevant ses regards vers le Ciel, elle dit avec une profonde émotion et en versant beaucoup de larmes : « Père éternel, je vous recommande mon Fils, ainsi que mon âme que je vous abandonne. »
Après quoi ils commencèrent à se retirer. Mais, lorsqu'on passa près de la Croix, Marie s'y agenouilla et l'adora en disant : « C'est là que mon Fils est mort, là que son précieux sang a été répandu. » Tous ceux qui accompagnaient Marie suivirent son exemple. Car vous pouvez bien penser qu'elle fut la première adoratrice de la Croix. Ensuite on s'achemina vers la ville. Marie se retournait souvent en chemin pour regarder derrière elle ; et quand on fut parvenu au point où l'on ne pouvait plus voir ni le sépulcre, ni la Croix, elle se retourna encore , les salua et s'agenouilla pour les adorer avec beaucoup de dévotion et de piété. Tout le monde en fit autant.
Quand on fut près de la ville, les sœurs de Marie lui mirent, ainsi qu'on le fait aux veuves, un voile qui lui couvrait presque tout le visage. Elles ouvraient la marche, puis Marie, couverte de son voile, s'avançait tristement entre Jean et Madeleine. Celle-ci qui avait le projet de prendre à l'entrée de la ville la route de sa maison et d'y amener tous ceux qui étaient avec elle prépara les choses en disant à Marie : « Venez, je vous en prie, dans notre maison , nous y serons mieux qu'ailleurs ; venez-y par amour pour mon divin Maître , car vous savez avec quel plaisir il y venait lui-même; regardez cette maison comme la vôtre; toute que je possède est à vous. »
Alors les larmes recommencèrent à couler. Mais comme Marie ne répondait rien et s'était tournée vers saint Jean , Madeleine invite aussi ce dernier qui lui répond : « Venez plutôt vous-même avec notre Mère, car il vaut mieux que nous allions à la montagne de Sion , et surtout après les refus que nous avons déjà fait à nos amis. »
Madeleine répartit :« Vous savez bien que je suis disposée à la suivre partout où elle ira et à ne jamais l'abandonner. » On entre dans la ville, et alors toutes les filles et les femmes pieuses , dès qu'elles aperçoivent Marie , accourent à elle de toutes parts, l'accompagnent et la consolent en chemin en unissant des larmes abondantes à celles que répand la Mère de Jésus. Quelques hommes de bien touchés de compassion, ne pouvaient retenir leurs larmes et disaient en la voyant passer au milieu d'eux : « Il faut le reconnaître, une grande injustice a été commise aujourd'hui par nos Chefs contre le Fils de cette femme infortunée, et Dieu a fait en sa faveur des prodiges étonnants. Quel sujet de crainte pour les auteurs de ce crime. »
Arrivée à la maison qu'elle allait habiter, Marie, se tournant vers les femmes qui l'accompagnaient , les remercia et les salua avec beaucoup de gratitude. Celles-ci s'inclinèrent aussi, fléchirent les genoux et toutes commencèrent à donner des signes d'une profonde douleur. Marie entra dans la maison avec ses deux sœurs et Madeleine. Alors saint Jean, se tenant à la porte, invita toutes les personnes qui avaient suivi Marie à se retirer dans leur maison, parce qu'il était déjà tard, et, après les avoir remerciées, il ferma la porte. Alors la Mère de Jésus disait en promenant de tous côtés ses regards dans la maison : « Où êtes-vous, mon cher Fils? pourquoi ne vous vois-je point ici ? Jean, où est donc mon Fils ? Madeleine, où est donc le Père dont vous étiez si tendrement aimée? Et vous, mes sœurs, où est le Fils qui nous avait été donné ? Il est mort Celui qui était toute notre joie , notre douceur et la lumière de nos yeux ; il est mort au milieu des plus affreux tourments , vous le savez , et ce qui met le comble à ma douleur, c'est que, mourant tout couvert de plaies, dans les plus affreuses anxiétés , torturé par la soif, la contrainte, l'oppression et la violence, nous n'avons pu lui procurer le moindre soulagement; c'est qu'il a été universellement abandonné, et que son Père, le Dieu tout-puissant, n'a pas voulu le secourir; et vous avez vu avec quelle rapidité tant de maux sont tombés sur lui. Quel homme, même parmi les plus scélérats, fut jamais condamné d'une manière si prompte et si foudroyante? 0 mon Fils, c'est hier soir qu'un perfide vous a livré, hier soir qu'on vous a arrêté ; c'est à la troisième heure de ce jour que l'on vous a condamné ; c'est à la sixième que l'on vous a attaché à la Croix où vous avez perdu la vie. 0 mon Fils, qu'il m'est pénible d'être séparée de vous et que le souvenir de votre mort ignominieuse est amer pour moi ! »
Enfin saint Jean la supplia de mettre fin à ses gémissements et essaya de la consoler. Pour vous , ma fille, si vous écoutez votre zèle, il vous suggèrera les moyens de soulager, de servir, de consoler ces cœurs affligés, et d'encourager Marie à prendre quelque nourriture afin d'exciter les autres à suivre son exemple , car ils sont encore tous à jeun . Vous les quitterez ensuite après que Marie et tous ceux qui sont avec elle vous auront donné leurs bénédictions.
MÉDITATION APRÈS COMPLIES.
Après que Joseph eut ainsi achevé de rendre les derniers devoirs au Seigneur, voulant retourner à la ville, il dit à Marie : « Mon auguste Souveraine, je vous supplie, au nom de Dieu et par l'amour de Jésus votre Fils et mon divin Maître, de vouloir bien venir loger chez moi , car je sais que vous ne possédez pas de maison ; servez-vous donc de la mienne, comme si c'était la vôtre, parce que tout ce qui est à moi est à vous. » Nicodème fit aussi les mêmes offres.
Oh ! qui ne serait ici pénétré de la plus vive compassion ! La Reine du Ciel n'a pas où reposer sa tête, et les tristes jours de son veuvage, il faudra qu'elle les passe sous un toit étranger. Je dis les jours de son veuvage, car Notre Seigneur Jésus-Christ était pour elle un Fils, un époux, un père, une mère, tout son bien, et en le perdant, elle perdit à la fois ce qu'elle avait de plus cher au monde. Elle est véritablement veuve, abandonnée, sans asile. Elle s'incline alors humblement, remercie et répond que son Fils l'a confiée à saint Jean. Joseph et Nicodème renouvelant leurs instances, saint Jean leur dit qu'il se proposait de la conduire sur la montagne de Sion, dans la maison où Notre Seigneur avait le soir précédent fait la Cène avec ses Disciples, et que son intention était d`y fixer avec elle son domicile. Joseph et Nicodème saluèrent Marie et se retirèrent après avoir adoré Jésus dans son tombeau. L'Évangile (1) nous apprend que tous les autres demeurèrent assis auprès du sépulcre.
(1) Matthieu 17.
La nuit approchait ; saint Jean dit à Marie : «II ne convient ni de rester plus longtemps ici, ni de retourner de nuit dans la ville ; si donc vous le permettez, ma Mère, nous allons nous retirer. » Marie se lève aussitôt, se jette à genoux, embrasse le sépulcre et dit en bénissant Jésus : « Mon Fils, je ne puis rester plus longtemps avec vous , je vous recommande à votre Père.» Puis, élevant ses regards vers le Ciel, elle dit avec une profonde émotion et en versant beaucoup de larmes : « Père éternel, je vous recommande mon Fils, ainsi que mon âme que je vous abandonne. »
Après quoi ils commencèrent à se retirer. Mais, lorsqu'on passa près de la Croix, Marie s'y agenouilla et l'adora en disant : « C'est là que mon Fils est mort, là que son précieux sang a été répandu. » Tous ceux qui accompagnaient Marie suivirent son exemple. Car vous pouvez bien penser qu'elle fut la première adoratrice de la Croix. Ensuite on s'achemina vers la ville. Marie se retournait souvent en chemin pour regarder derrière elle ; et quand on fut parvenu au point où l'on ne pouvait plus voir ni le sépulcre, ni la Croix, elle se retourna encore , les salua et s'agenouilla pour les adorer avec beaucoup de dévotion et de piété. Tout le monde en fit autant.
Quand on fut près de la ville, les sœurs de Marie lui mirent, ainsi qu'on le fait aux veuves, un voile qui lui couvrait presque tout le visage. Elles ouvraient la marche, puis Marie, couverte de son voile, s'avançait tristement entre Jean et Madeleine. Celle-ci qui avait le projet de prendre à l'entrée de la ville la route de sa maison et d'y amener tous ceux qui étaient avec elle prépara les choses en disant à Marie : « Venez, je vous en prie, dans notre maison , nous y serons mieux qu'ailleurs ; venez-y par amour pour mon divin Maître , car vous savez avec quel plaisir il y venait lui-même; regardez cette maison comme la vôtre; toute que je possède est à vous. »
Alors les larmes recommencèrent à couler. Mais comme Marie ne répondait rien et s'était tournée vers saint Jean , Madeleine invite aussi ce dernier qui lui répond : « Venez plutôt vous-même avec notre Mère, car il vaut mieux que nous allions à la montagne de Sion , et surtout après les refus que nous avons déjà fait à nos amis. »
Madeleine répartit :« Vous savez bien que je suis disposée à la suivre partout où elle ira et à ne jamais l'abandonner. » On entre dans la ville, et alors toutes les filles et les femmes pieuses , dès qu'elles aperçoivent Marie , accourent à elle de toutes parts, l'accompagnent et la consolent en chemin en unissant des larmes abondantes à celles que répand la Mère de Jésus. Quelques hommes de bien touchés de compassion, ne pouvaient retenir leurs larmes et disaient en la voyant passer au milieu d'eux : « Il faut le reconnaître, une grande injustice a été commise aujourd'hui par nos Chefs contre le Fils de cette femme infortunée, et Dieu a fait en sa faveur des prodiges étonnants. Quel sujet de crainte pour les auteurs de ce crime. »
Arrivée à la maison qu'elle allait habiter, Marie, se tournant vers les femmes qui l'accompagnaient , les remercia et les salua avec beaucoup de gratitude. Celles-ci s'inclinèrent aussi, fléchirent les genoux et toutes commencèrent à donner des signes d'une profonde douleur. Marie entra dans la maison avec ses deux sœurs et Madeleine. Alors saint Jean, se tenant à la porte, invita toutes les personnes qui avaient suivi Marie à se retirer dans leur maison, parce qu'il était déjà tard, et, après les avoir remerciées, il ferma la porte. Alors la Mère de Jésus disait en promenant de tous côtés ses regards dans la maison : « Où êtes-vous, mon cher Fils? pourquoi ne vous vois-je point ici ? Jean, où est donc mon Fils ? Madeleine, où est donc le Père dont vous étiez si tendrement aimée? Et vous, mes sœurs, où est le Fils qui nous avait été donné ? Il est mort Celui qui était toute notre joie , notre douceur et la lumière de nos yeux ; il est mort au milieu des plus affreux tourments , vous le savez , et ce qui met le comble à ma douleur, c'est que, mourant tout couvert de plaies, dans les plus affreuses anxiétés , torturé par la soif, la contrainte, l'oppression et la violence, nous n'avons pu lui procurer le moindre soulagement; c'est qu'il a été universellement abandonné, et que son Père, le Dieu tout-puissant, n'a pas voulu le secourir; et vous avez vu avec quelle rapidité tant de maux sont tombés sur lui. Quel homme, même parmi les plus scélérats, fut jamais condamné d'une manière si prompte et si foudroyante? 0 mon Fils, c'est hier soir qu'un perfide vous a livré, hier soir qu'on vous a arrêté ; c'est à la troisième heure de ce jour que l'on vous a condamné ; c'est à la sixième que l'on vous a attaché à la Croix où vous avez perdu la vie. 0 mon Fils, qu'il m'est pénible d'être séparée de vous et que le souvenir de votre mort ignominieuse est amer pour moi ! »
Enfin saint Jean la supplia de mettre fin à ses gémissements et essaya de la consoler. Pour vous , ma fille, si vous écoutez votre zèle, il vous suggèrera les moyens de soulager, de servir, de consoler ces cœurs affligés, et d'encourager Marie à prendre quelque nourriture afin d'exciter les autres à suivre son exemple , car ils sont encore tous à jeun . Vous les quitterez ensuite après que Marie et tous ceux qui sont avec elle vous auront donné leurs bénédictions.
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: Méditations sur la Passion du Christ pendant le Carême selon Saint-Bonaventure - Italie - 13 eme siècle
SAMEDI SAINT
CHAPITRE LXXXIV.
MÉDITATIONS SUR CE QUE FIRENT MARIE ET SES COMPAGNES LE SAMEDI SAINT
Or, pendant toute la matinée du Sabbat, Marie et ses compagnes, aussi tristes, aussi affligées, aussi désolées que des enfants qui ont perdu leur père, demeurent avec saint Jean à la maison dont les portes sont exactement fermées. Elles s'y tenaient assises toutes ensemble, en silence et dans le recueillement, jetant l'une sur l'autre quelques regards à la dérobée, comme ont coutume de le faire des personnes accablées par des peines et des calamités excessives. Mais tout-à-coup on frappe à la porte et la crainte les saisit, parce qu'elles avaient perdu Celui qui faisait toute leur sûreté. Cependant saint Jean va à la porte, et ayant regardé qui était là, il reconnaît Simon et dit : Pierre entre, les yeux baissés, poussant de profonds soupirs et répandant des larmes. Alors ils se mirent tous à pleurer avec lui, et ils ne pouvaient lui adresser une parole, tant leur peine était grande. Ensuite arrivent successivement les autres Disciples versant aussi des pleurs. Enfin ils suspendent un moment leur douleur et commencent à s'entretenir de leur divin Maître. Pierre dit alors : « Je suis tout couvert de confusion , et je ne devrais ni ouvrir la bouche devant vous, ni me montrer aux yeux des hommes, après avoir abandonné et renié, comme je l'ai fait, le Maître qui m'avait tant aimé. » Les autres Disciples, les yeux pleins de larmes, joignant les mains, se reprochaient également d'avoir aussi abandonné un si aimable Maître.
Alors Marie prit la parole et dit : « Notre bon Maître , notre fidèle Pasteur n'est plus et nous laisse orphelins, mais j'ai la ferme espérance que nous le reverrons bientôt au milieu de nous; car vous connaissez tous la bonté de mon Fils et vous savez combien il vous aimait. Ne doutez donc pas qu'il ne vous accorde la grâce d'une parfaite réconciliation, et qu'il ne vous pardonne du fond du cœur toutes les offenses et toutes les fautes que vous vous reprochez. Au reste le Père céleste a permis à la fureur d'aller si loin, et à l'audace des méchants de tant prévaloir contre lui que , quand même vous ne l'eussiez point abandonné, il vous eût été impossible de le secourir; bannissez donc toute inquiétude. »
Pierre répondit à Marie : « Ce que vous dites est bien vrai ; car moi qui n'ai vu que les premières scènes de la Passion, j'en ai été si vivement touché dans la cour de Caïphe , qu'il m'eût été impossible de penser que je pusse jamais l'abandonner ; et cependant je l'ai renié et je ne me suis souvenu de ce qu'il m'avait prédit qu'au moment où il daigna jeter un regard sur moi. — Que vous avait-il donc prédit , demanda Madeleine? — Que je le renierais, répondit Pierre ; » et il rapporta tout ce qui s'était passé à ce sujet, ajoutant que Notre Seigneur, pendant la Cène ,leur avait encore annoncé plusieurs autres choses relatives à sa Passion. Alors Marie dit : « Je voudrais bien connaître tout ce qu'il a dit et fait pendant la Cène. » Pierre fait un signe à Jean pour l'engager à répondre à cette question. Jean commence et rapporte tout ce qu'il sait à ce sujet.
Ce récit conduisit les autres Disciples à se raconter mutuellement tout ce qu'ils savaient tant sur ce qui s'était passé dans la Cène que sur les autres actions de la vie de Jésus-Christ dont ils avaient été les témoins ; et c'est en s'entretenant ainsi de leur divin Maître qu'ils passent tout ce jour. Avec quelle attention ces intéressants détails étaient recueillis par Madeleine et surtout par Marie !
Combien de fois, en les entendant, la digne Mère de Jésus s'écria-t-elle pendant ce jour: Béni soit mon Fils Jésus! Considérez attentivement ces saints personnages, et compatissez à la vive douleur, disons mieux, à l'extrême affliction dans laquelle ils restèrent plongés pendant toute cette journée. Quel spectacle, en effet, que de voir la Reine du Ciel et de la terre, les Princes de toutes les Églises et de tous les peuples, les Chefs de toute l'armée céleste renfermés ainsi tout tremblants dans une pauvre maison, ne voyant rien de mieux à faire pour se fortifier dans cette épreuve que de s'entretenir des paroles et des actions de leur Maître bien-aimé. Observez cependant que Marie conservait la paix et la tranquillité du cœur parce qu'elle avait une ferme espérance de la Résurrection de son Fils et qu'elle y persévéra inébranlablement, même pendant le jour du Sabbat; et c'est pour cela que ce jour lui est particulièrement consacré. Toutefois Marie ne pouvait goûter aucune consolation à cause de la mort de son cher Fils Jésus.
Or, vers le soir, après le coucher du soleil, moment auquel il était permis de travailler, Marie-Madeleine et l'autre Marie allèrent acheter des aromates pour en composer des parfums. Dès la fin du jour précédent, après la sépulture de Notre Seigneur, elles s'étaient déjà occupées de ces préparatifs depuis leur retour jusqu'au coucher du soleil, ensuite elles demeurèrent en repos. Car on devait garder le Sabbat depuis le coucher du soleil du vendredi jusqu'à celui du jour suivant. Elles vont donc alors acheter des aromates. Considérez-les avec soin. Elles marchent tristement à la manière des veuves, elles entrent dans le magasin de quelque serviteur dévoué du Seigneur qui compatit à leur peine et satisfait de bon cœur à leur désir; elles demandent des aromates, choisissent les meilleurs autant qu'elles le peuvent, en paient le prix et reviennent préparer tout ce qu'il faut pour embaumer le corps de leur divin Maître.
Voyez donc attentivement avec quelle humilité, quelle dévotion, quel dévouement, quelle abondance de larmes et quels profonds soupirs elles s'occupent de ces soins. Elles les prennent sous les yeux de Marie et des Apôtres qui peut-être les partagent avec elles ; cela fait, on passa la nuit en silence. Voilà donc ce que l'on peut méditer le jour du Sabbat sur Marie, ses compagnes et les Disciples.
CHAPITRE LXXXIV.
MÉDITATIONS SUR CE QUE FIRENT MARIE ET SES COMPAGNES LE SAMEDI SAINT
Or, pendant toute la matinée du Sabbat, Marie et ses compagnes, aussi tristes, aussi affligées, aussi désolées que des enfants qui ont perdu leur père, demeurent avec saint Jean à la maison dont les portes sont exactement fermées. Elles s'y tenaient assises toutes ensemble, en silence et dans le recueillement, jetant l'une sur l'autre quelques regards à la dérobée, comme ont coutume de le faire des personnes accablées par des peines et des calamités excessives. Mais tout-à-coup on frappe à la porte et la crainte les saisit, parce qu'elles avaient perdu Celui qui faisait toute leur sûreté. Cependant saint Jean va à la porte, et ayant regardé qui était là, il reconnaît Simon et dit : Pierre entre, les yeux baissés, poussant de profonds soupirs et répandant des larmes. Alors ils se mirent tous à pleurer avec lui, et ils ne pouvaient lui adresser une parole, tant leur peine était grande. Ensuite arrivent successivement les autres Disciples versant aussi des pleurs. Enfin ils suspendent un moment leur douleur et commencent à s'entretenir de leur divin Maître. Pierre dit alors : « Je suis tout couvert de confusion , et je ne devrais ni ouvrir la bouche devant vous, ni me montrer aux yeux des hommes, après avoir abandonné et renié, comme je l'ai fait, le Maître qui m'avait tant aimé. » Les autres Disciples, les yeux pleins de larmes, joignant les mains, se reprochaient également d'avoir aussi abandonné un si aimable Maître.
Alors Marie prit la parole et dit : « Notre bon Maître , notre fidèle Pasteur n'est plus et nous laisse orphelins, mais j'ai la ferme espérance que nous le reverrons bientôt au milieu de nous; car vous connaissez tous la bonté de mon Fils et vous savez combien il vous aimait. Ne doutez donc pas qu'il ne vous accorde la grâce d'une parfaite réconciliation, et qu'il ne vous pardonne du fond du cœur toutes les offenses et toutes les fautes que vous vous reprochez. Au reste le Père céleste a permis à la fureur d'aller si loin, et à l'audace des méchants de tant prévaloir contre lui que , quand même vous ne l'eussiez point abandonné, il vous eût été impossible de le secourir; bannissez donc toute inquiétude. »
Pierre répondit à Marie : « Ce que vous dites est bien vrai ; car moi qui n'ai vu que les premières scènes de la Passion, j'en ai été si vivement touché dans la cour de Caïphe , qu'il m'eût été impossible de penser que je pusse jamais l'abandonner ; et cependant je l'ai renié et je ne me suis souvenu de ce qu'il m'avait prédit qu'au moment où il daigna jeter un regard sur moi. — Que vous avait-il donc prédit , demanda Madeleine? — Que je le renierais, répondit Pierre ; » et il rapporta tout ce qui s'était passé à ce sujet, ajoutant que Notre Seigneur, pendant la Cène ,leur avait encore annoncé plusieurs autres choses relatives à sa Passion. Alors Marie dit : « Je voudrais bien connaître tout ce qu'il a dit et fait pendant la Cène. » Pierre fait un signe à Jean pour l'engager à répondre à cette question. Jean commence et rapporte tout ce qu'il sait à ce sujet.
Ce récit conduisit les autres Disciples à se raconter mutuellement tout ce qu'ils savaient tant sur ce qui s'était passé dans la Cène que sur les autres actions de la vie de Jésus-Christ dont ils avaient été les témoins ; et c'est en s'entretenant ainsi de leur divin Maître qu'ils passent tout ce jour. Avec quelle attention ces intéressants détails étaient recueillis par Madeleine et surtout par Marie !
Combien de fois, en les entendant, la digne Mère de Jésus s'écria-t-elle pendant ce jour: Béni soit mon Fils Jésus! Considérez attentivement ces saints personnages, et compatissez à la vive douleur, disons mieux, à l'extrême affliction dans laquelle ils restèrent plongés pendant toute cette journée. Quel spectacle, en effet, que de voir la Reine du Ciel et de la terre, les Princes de toutes les Églises et de tous les peuples, les Chefs de toute l'armée céleste renfermés ainsi tout tremblants dans une pauvre maison, ne voyant rien de mieux à faire pour se fortifier dans cette épreuve que de s'entretenir des paroles et des actions de leur Maître bien-aimé. Observez cependant que Marie conservait la paix et la tranquillité du cœur parce qu'elle avait une ferme espérance de la Résurrection de son Fils et qu'elle y persévéra inébranlablement, même pendant le jour du Sabbat; et c'est pour cela que ce jour lui est particulièrement consacré. Toutefois Marie ne pouvait goûter aucune consolation à cause de la mort de son cher Fils Jésus.
Or, vers le soir, après le coucher du soleil, moment auquel il était permis de travailler, Marie-Madeleine et l'autre Marie allèrent acheter des aromates pour en composer des parfums. Dès la fin du jour précédent, après la sépulture de Notre Seigneur, elles s'étaient déjà occupées de ces préparatifs depuis leur retour jusqu'au coucher du soleil, ensuite elles demeurèrent en repos. Car on devait garder le Sabbat depuis le coucher du soleil du vendredi jusqu'à celui du jour suivant. Elles vont donc alors acheter des aromates. Considérez-les avec soin. Elles marchent tristement à la manière des veuves, elles entrent dans le magasin de quelque serviteur dévoué du Seigneur qui compatit à leur peine et satisfait de bon cœur à leur désir; elles demandent des aromates, choisissent les meilleurs autant qu'elles le peuvent, en paient le prix et reviennent préparer tout ce qu'il faut pour embaumer le corps de leur divin Maître.
Voyez donc attentivement avec quelle humilité, quelle dévotion, quel dévouement, quelle abondance de larmes et quels profonds soupirs elles s'occupent de ces soins. Elles les prennent sous les yeux de Marie et des Apôtres qui peut-être les partagent avec elles ; cela fait, on passa la nuit en silence. Voilà donc ce que l'on peut méditer le jour du Sabbat sur Marie, ses compagnes et les Disciples.
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: Méditations sur la Passion du Christ pendant le Carême selon Saint-Bonaventure - Italie - 13 eme siècle
CHAPITRE LXXXV.
MÉDITATION SUR LA DESCENTE DE NOTRE SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST AUX ENFERS LE JOUR DU SAMEDI SAINT.
Nous avons maintenant à considérer ce que Notre Seigneur a fait le jour du Sabbat. Aussitôt après sa mort, il descendit aux Enfers pour y visiter les saints Patriarches ( Abraham, Moise, ect) qui furent alors comblés de gloire ; car la gloire parfaite consiste à voir le Seigneur. Arrêtez-vous donc ici à contempler quel excès de bonté, de charité et d'humilité porta Jésus à descendre aux Enfers. Il pouvait , en effet , se contenter d'envoyer un Ange pour délivrer tous ses serviteurs et les lui présenter où il aurait voulu ; mais cela n'aurait satisfait ni son amour infini , ni son humilité. Aussi ce Roi de l'univers alla-t-il en personne les visiter non comme des sujets, mais comme des amis; et il demeura avec eux jusqu'au Dimanche un peu avant l'aurore. Réfléchissez sérieusement à toutes ces choses, admirez-les et tâchez de les imiter.
Or, à l'arrivée de Notre Seigneur, les saints Patriarches furent comblés de joie, remplis d'ineffables consolations , délivrés de toutes leurs peines, et ils entonnèrent en sa présence des Cantiques de louanges que vous pouvez méditer de la manière suivante.
Représentez-vous les saints Personnages revêtus de leurs corps comme ils le seront après leur résurrection; représentez-vous de même l'âme très-parfaite de Notre Seigneur. Dès que leurs pressentiments les eurent avertis de son bienheureux avènement, ils coururent avec joie au-devant de lui , s'encourageant réciproquement par ces paroles : Béni soit le Seigneur , le Dieu d'Israël , qui a daigné visiter et racheter son peuple , etc. — Levez la tête, car votre Rédempteur approche. — Levez-vous , levez-vous Jérusalem, rompez les liens de votre captivité; voilà le Sauveur qui vient briser vos chaînes. — Élevez-vous, portes éternelles, et laissez entrer le Roi de gloire.
Nous vous adorons , ô Christ, et nous vous bénissons , O Dieu qui nous avez tant aimés. Et se prosternant devant lui , ils l'adorèrent dans les transports de la joie et de l'allégresse. Mais considérez avec quels respects, quelle vive satisfaction et quel air de ravissement ils se tiennent devant lui, et font entendre en sa présence les paroles que nous venons de rapporter, et comment , jusqu'au point du jour du Dimanche , ils ne cessèrent de répéter dans les limbes ces Cantiques de louanges et de jubilation auxquels s'unissaient les joyeux concerts d'une multitude innombrable d'Anges qui habitaient avec eux ce séjour.
Alors Notre Seigneur sortant plein de joie des Enfers avec cette brillante escorte qu'il précède en triomphateur, les fait entrer dans le Paradis de délices. Mais après avoir agréablement passé quelque temps avec eux , avec Elie et Énoch qui le reconnurent, il leur dit : « Voici le moment de ressusciter mon corps, je retourne sur la terre, pour m'en revêtir de nouveau. » Tous alors se prosternent devant lui en disant : « Allez, O Roi de gloire, et revenez bientôt parmi nous, s'il vous plait, car nous désirons ardemment de contempler votre corps glorieux. »
Voilà donc ce qui, le jour du Sabbat, peut-être la matière des méditations que vous ferez sur Notre Seigneur Jésus-Christ , sur sa sainte Mère, ses Disciples et les St. Patriarches. Mais comme, pour fixer uniquement votre esprit sur la Passion de Notre Seigneur, je vous en ai rapidement fait parcourir toutes les circonstances sans mêler à mon récit aucune citation, j'ai pensé qu'il convenait d'en produire maintenant quelques-unes, afin que la lecture de ces passages vous excitât à méditer avec plus de ferveur et de piété sur les sujets que je vous ai proposés. Voici donc quelques pensées que, suivant mon habitude, j'emprunte à saint Bernard. « (1) Vous devez consacrer toute votre vie à Jésus-Christ, parce qu'il a donné sa vie pour vous, et qu'il a supporté les plus affreux tourments, afin de vous arracher aux supplices éternels.»
Serm. 11 , sup. cant.
En effet, quand même il me serait donné de compter autant de jours qu'en obtiendront ensemble tous les enfants d'Adam , autant qu'il s'en écoulera jusqu'à la fin du monde, de pouvoir exécuter les travaux de tous les hommes qui ont vécu , qui vivent et qui vivront sur la terre, tout cela ne serait rien en comparaison de ce Corps qui est, même aux yeux des vertus célestes , si merveilleux et si admirable , soit par sa Conception du Saint-Esprit et sa Naissance de la Vierge Marie , soit par l'innocence de sa vie, la multitude de ses enseignements, l'éclat de ses miracles et la révélation des mystères renfermés dans ses Sacrements. Autant donc les Cieux sont élevés au-dessus de la terre, autant la vie de Jésus-Christ est supérieure à la nôtre ; et cette vie , il l'a donnée pour nous. Et comme il n'y a aucune comparaison à faire entre le néant et l'être, il n'y a aussi aucune proportion entre notre vie et la sienne, puisqu'on ne peut rien ajouter ni à la dignité de l'une, ni à la misère de l'autre. Lors donc que je lui donne tout ce qui est en mon pouvoir, mon offrande n'est-elle pas, par rapport à lui, comme l'étoile est au soleil, la goutte d'eau à la mer, une petite pierre à une montagne , un simple grain à un énorme monceau de blé. »....
« (1) L'anéantissement de Jésus-Christ n'a point été ordinaire et limité; car il s'est anéanti jusqu'à la chair, jusqu'à la mort et la mort de la Croix. O abîme d'humilité, de bonté et de condescendance ! qui pourra jamais sonder ta profondeur ?
(1) Serm. 11, sup. cant.
Qui pourra concevoir que le Dieu de Majesté ait voulu être revêtu de notre chair , condamné à la mort et déshonoré par le supplice de la Croix ? Mais, pourrait-on dire, le Créateur n'a-t-il pu réparer son ouvrage sans recourir à de tels extrémités ? Il l'a pu sans doute, mais il a préféré prendre le moyen qui lui coûtait davantage , afin de ne laisser à l'homme aucune occasion de tomber dans le détestable et abominable vice de l'ingratitude. En effet, s'il s'est lassé dans les plus rudes travaux, c'était pour obliger l'homme à l'aimer davantage et pour que la difficulté de la Rédemption excitât la reconnaissance dans un cœur qu'une condition primitivement plus heureuse avait rendu moins dévoué à son bienfaiteur. Car, que disait l'homme ingrat après sa création? Mon existence est, je l'avoue, un don purement gratuit, mais elle n'a coûté ni peine ni travail à l'auteur de mon être; (1) Dieu a dit une parole, et je suis sorti du néant comme les autres créatures. (2) Mais l'iniquité a été réduite au silence. O homme, n'est-il pas plus clair que le jour que Dieu s'est prodigué pour toi de toutes les manières ?
Maitre souverain, il s'est fait esclave ; riche, il s'est fait pauvre; Verbe éternel, il s'est fait chair; Fils de Dieu, il n'a pas dédaigné de se faire Fils de l'homme. Pour vous, n'oubliez pas que si vous avez été fait de rien, vous n'avez pas été racheté pour rien. Dieu en six jours a créé toutes choses, et vous êtes l'une de ces créatures. Mais il a passé trente années entières sur la terre pour opérer notre salut ! 0 combien il lui en a coûté pour supporter les nécessités de la chair et les tentations de l'ennemi du salut! N'a-t-il pas ajouté à ces maux , n'y a-t-il pas mis le comble par les horreurs de sa mort ? (3) Bon Jésus ! l'œuvre de ma Rédemption, calice amer que vous avez bu jusqu'à la lie, vous rend à mes yeux plus aimable que tout ce qu'il y a dans le monde.
(1) Psaume 140. — (2) Psaume 62. — (3) Serm. 20, sup. cant.
Ce bienfait vous donne à juste titre tous les droits à notre amour. Oui, voilà ce qui attire plus doucement notre dévotion, ce qui la commande plus impérieusement, ce qui en serre plus étroitement les liens, ce qui en imprime plus profondément en nous les sentiments. Car c'est par les plus rudes travaux que notre Sauveur a opéré notre Rédemption, et il en a beaucoup moins coûté à l'auteur de la nature pour la création de tout l'univers. Quand il a créé le monde, (1) il a dit et tout a été fait; il a commandé et tout a été créé : mais quand il a racheté l'homme, il a été contredit dans toutes ses paroles, censuré dans toutes ses actions, moqué dans tous ses tourments, outragé jusque dans sa mort. »
(2) Pour comble de sa charité, Jésus-Christ s'est livré à la mort, il a tiré de la plaie de son côté de quoi satisfaire à la justice de son Père irrité ; et c'est ainsi qu'on a pu lui appliquer ce verset : (3) Le Seigneur est plein de miséricorde et la Rédemption qu'il nous a préparée est très-abondante. Oui , vraiment abondante, car ce ne sont point quelques gouttes , ce sont des torrents de sang qui ont coulé des cinq plaies de son corps. Qu'a-t-il dû faire pour vous qu'il n'ait pas fait réellement? Vous étiez aveugle, il vous a éclairé ; esclave, il a brisé vos fers; égaré, il vous a ramené dans la voie; coupable, il vous a réconcilié avec son Père. Qui de nous refuserait de courir de bon cœur et avec joie après celui qui nous délivre du péché, dissimule nos égarements, n'a vécu que pour nous enrichir de mérites, et n'est mort que pour nous obtenir les récompenses éternelles ? Qui peut s'excuser de ne pas courir à l'odeur de ses parfums, si ce n'est celui qui n'en a jamais senti la suavité ? Cependant cette » odeur de vie s'est répandue sur toute la terre ; car, dit le Psalmiste : (1)
(1) Ps. 32. — (2) Serm. 22, sup. cant. — (3) Ps. 129.
Les miséricordes du Seigneur ont rempli toute la terre, et elles sont au-dessus de toutes ses œuvres. Celui donc qui ne sent point cette odeur de vie répandue en tout lieu et qui ne court point après ses parfums , est déjà mort ou du moins atteint de corruption.
Saint Bernard dit encore : « (2) L'Épouse ne rougit point d'avoir le teint noir, quand elle sait que cette couleur a précédemment été celle de son Époux. En effet, quelle gloire pour elle de lui ressembler en quelque chose. II n'y a donc rien de plus glorieux que d'avoir part aux opprobres de Jésus-Christ. Ce qui a fait dire à l'Apôtre dans un saint transport : (3) A Dieu ne plaise que je me glorifie en autre chose qu'en la Croix de Notre Seigneur Jésus-Christ. L'ignominie de la Croix est délicieuse pour celui qui, par reconnaissance, met ses délices en Jésus crucifié. C'est-là ce qu'il faut entendre par la noirceur du teint; mais c'est là aussi l'image et la ressemblance de Jésus-Christ. Interrogez Isaïe, et il vous tracera son portrait tel qu'il l'a vu en esprit ; car de quel autre a-t-il pu dire : Que (4) c'est un homme de douleur, qu'il sait ce que c'est que de souffrir; qu'il est sans éclat et sans beauté.
« De quel autre entend-il parler quand il ajoute : Nous l'avons considéré comme un lépreux , comme un homme frappé de Dieu et humilié pour ses propres péchés; il a été couvert de plaies, il a été brisé, pour nos crimes et nous avons été guéris par ses meurtrissures ?
(1) Psaume 32. — (2) Serm. 25., sup cant. — (3) Galates, 6. — (4) Isaïe, 33.
Enfin puis-je craindre de dire que Jésus est noir quand saint Paul a dit : Qu'il s'était fait le péché même. En effet , considérez-le indignement revêtu de pauvres haillons , meurtri de coups , souillé de crachats, couvert des ombres de la mort. Y avait-il donc au monde quelque chose de plus noir et de plus affreux que ce qui s'offrit aux yeux des spectateurs au moment où Jésus-Christ cloué sur la Croix, entre deux scélérats, provoquait la dérision des méchants et tout à la fois les larmes des fidèles , de sorte que l'unique objet des railleries et des insultes était précisément celui qui pouvait seul inspirer la terreur, qui seul méritait d'être honoré.
(1) Le rocher offre un asile au hérisson; et où les infirmes peuvent-ils trouver un lieu de repos plus sûr et plus inviolable que dans les plaies du Sauveur? Je m'y réfugie avec une sécurité proportionnée au pouvoir qu'il a de me sauver. Le monde frémit de rage, la chair me presse de son aiguillon, le démon me tend des pièges, mais je demeure inébranlable ; car je suis solidement établi sur la pierre ferme. J'ai commis une faute énorme; ma conscience en sera troublée, mais non pas désespérée, parce que je me souviendrai des plaies de mon Sauveur; car il a été blessé pour nos iniquités. Y a-t-il donc un pécheur si exposé à périr que ne puisse sauver la mort de Jésus-Christ? Ces clous, ces plaies nous crient que Dieu est vraiment dans Jésus-Christ se réconciliant le monde. La lance a transpercé son âme, pénétré jusqu'à son cœur, afin qu'il sache toujours compatir à toutes nos infirmités.
Les plaies de ce corps adorable nous découvrent les plus intimes secrets de son cœur, le profond mystère et (2) les entrailles de la miséricorde de notre Dieu par lesquelles ce Soleil levant est venu d'en haut nous visiter. Et, en effet , que peut-on voir à travers ses blessures, si ce n'est ses miséricordieuses entrailles? Et par quelles preuves plus éclatantes pouvez-vous, Seigneur, nous convaincre que vous êtes plein de bonté , de douceur et d'une miséricorde infinie? Car nul ne peut se montrer plus miséricordieux que Celui qui donne sa vie pour des coupables condamnés à la mort. »
Sermon 61 , super cant. — (2) Cant. Zach. Luc.
Saint Bernard dit encore autre part : Méditez les douleurs de Jésus crucifié et voyez si toutes les parties de son corps ne plaident pas en votre faveur auprès de son Père. C'est pour vous que cette tête sacrée, hérissée d'un si grand nombre d'épines , est percée jusqu'au crâne , pendant qu'une pointe plus cruelle a pénétré jusqu'au cœur ; car, dit le Seigneur par un Prophète : Ce peuple m'a fait, de ses péchés, une couronne d'épines , pour épargner des douleurs à votre tête et des souvenirs trop pénibles à votre esprit ; les yeux de Jésus se sont obscurcis à sa mort , et ces deux luminaires qui éclairent le monde entier se sont éteints à ce moment suprême. Le voile de ténèbres qui couvrit alors ses yeux ne s'étendit-il pas aussi sur toute la terre , et ces deux luminaires ne s'éteignirent-ils point avec ceux de la nature? Or tout cela se fit afin que vos yeux se détournent des choses vaines pour ne pas les voir, et que, s'ils les voient , ils ne s'y attachent pas. Les oreilles de Jésus qui entendent répéter dans le Ciel : Saint, saint, saint est le Dieu des armées , entendent dire sur la terre: (1) Vous êtes possédé du démon; et vociférer : (2) Crucifiez-le, crucifiez-le.
(1) Jean, 7. — (2) Jean, 19.
Et pourquoi tout cela? Afin que vos oreilles ne soient jamais fermées aux cris de l'indigence, qu'elles ne s'ouvrent point aux discours inutiles, et qu'elles ne reçoivent jamais le poison de la détraction. Cette face adorable (1), cette face du plus beau des enfants des hommes est couverte de crachats, meurtrie de soufflets, condamnée à tous les outrages. Car voici ce qui est écrit au sujet de Jésus : (2) Ils se mirent à lui cracher au visage, à lui donner des soufflets et à se moquer de lui en disant : Prophétise et dis-nous qui t'a frappé? Pourquoi ces horribles traitements? Pour obtenir que la lumière céleste brille sur votre front, qu'en y éclatant elle y établisse une sainte assurance et qu'on puisse alors dire de vous : (3) Son visage est inaltérable.
Cette bouche sacrée organe de tant d'enseignements pour les Anges, de tant d'instructions pour les hommes, dont la parole puissante a opéré tant de prodiges , cette bouche est abreuvée de fiel et de vinaigre pour que la vôtre devienne l'organe de la vérité et de la justice , et publie les louanges de son Dieu. Ces mains puissantes qui ont fondé les Cieux, sont attachées à la Croix et cruellement percées de clous pour que les vôtres, en s'étendant vers l'indigent, vous autorisent à dire avec le Psalmiste : (4) Je tiens toujours mon âme entre mes mains. Or, ce que l'on tient dans les mains ne s'oublie pas aisément. Ainsi celui qui applique son âme à quelques bonnes œuvres ne l'a certainement pas mise en oubli.
(1) Psaume 44. — (2) Matthieu,26. — (3) 1 Rois., 1. — (4) Psaume 118.
Ce Cœur adorable dans lequel sont cachés tous les trésors de la sagesse et de la science de Dieu est ouvert par la lance du soldat pour que le vôtre se purifie de ses coupables affections , qu` en se purifiant il se sanctifie et qu'en se sanctifiant il se conserve pour la vie éternelle. Ces saints pieds dont l'escabeau mérite nos adorations, parce qu'il est saint lui-même, sont cruellement percés et cloués à la Croix afin que les vôtres ne se précipitent pas dans la voie de l'iniquité, mais qu'ils courent dans celle des commandements du Seigneur. Que dirai-je encore? (1) Ils ont percé mes pieds et mes mains, ils ont compté tous mes os.
(1) Psaume 28.
Jésus a livré pour vous son corps et son âme, afin d'acheter et votre corps et votre âme ; en un mot , il s'est donné tout entier pour vous recouvrer tout entier. Sortez donc maintenant, O mon âme, de votre assoupissement et secouez la poussière dont vous êtes couverte, pour contempler cet homme admirable dont tous les traits se réfléchissent dans le Miroir du récit évangélique, comme s'il était réellement présent à vos yeux. Considérez, ô mon âme, quel est celui qui vient à vous avec la Majesté d'un Roi , et néanmoins tout couvert de l'ignominie due au dernier des esclaves. Il s'avance le front couronné, mais son diadème est un supplice et sa noble tête est déchirée de milles pointes aiguës. Il est couvert de la pourpre des Rois, mais elle lui attire plus de mépris que d'honneurs. Un sceptre est dans ses mains, mais il ne sert qu'à porter à cette tête auguste les coups les plus douloureux. Des soldats se prosternent devant lui pour l'adorer, ils proclament sa Royauté, et au même instant ils se relèvent pour couvrir de crachats le visage du plus aimable des enfants des hommes. Ils déchargent sur ses joues d'horribles soufflets et couvrent d'infamie ses épaules sacrées. Voyez, ô mon âme, combien de violences et d'insultes on prodigue, et de toutes les manières, à un tel personnage ! On lui commande de se courber sous le pesant fardeau de la Croix et de porter les insignes de son déshonneur. Parvenu au lieu du supplice, on l'abreuve de fiel et de vinaigre. On l'élève en Croix, et il s'écrie : (1) Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font. Quel est donc Celui qui , au milieu de traitements si horribles, n'ouvre pas une seule fois la bouche pour adresser à ces tigres furieux quelques plaintes , quelques excuses , quelques menaces ou quelques malédictions, mais qui, après tant d'indignités , répand sur ses injustes persécuteurs des paroles de bénédictions que nul avant lui n'avait fait entendre?
(1) Luc, 23.
Connaissez-vous , O mon âme, quelqu'un de plus doux, de meilleur que cet homme admirable? Mais considérez-le a plus attentivement encore , et il vous paraîtra digne de la plus grande admiration et de la compassion la plus tendre. Voyez-le nu et déchiré, entre deux voleurs , ignominieusement fixé à la Croix par des clous , abreuvé de vinaigre sur ce lit de douleur, percé par la lance après sa mort et répandant à grands flots son sang par les cinq plaies de ses mains , de ses pieds et de son côté. Pleurez, mes yeux; et vous, 0 mon âme , laissez-vous attendrir de compassion sur les maux affreux dont est accablé le plus aimable des enfants des hommes , qui supporte tant de douleurs avec une si admirable mansuétude.
« Seigneur très-saint , Père tout-puissant , du fond de votre sanctuaire et du haut du trône que vous occupez dans les Cieux , daignez abaisser vos regards sur la sainte et adorable victime que le grand Pontife de la loi nouvelle, Jésus-Christ votre Fils et Notre Seigneur, vous offre pour les péchés de ses frères et pardonnez-nous la multitude de nos offenses. Voici que la voix du sang de notre Frère Jésus est montée vers vous de la Croix en criant : J'ai été couronné de gloire et d'honneur. Assis à la droite de votre Majesté , il s'offre sans cesse devant vous en notre faveur, car il est notre frère et nous sommes une même chair avec lui. »
«Regardez, Seigneur, la face de votre Christ qui s'est montré obéissant jusqu'à la mort , et ne détournez jamais vos yeux des cicatrices de ses plaies , afin de vous souvenir sans cesse de la satisfaction surabondante qu'il vous a offerte pour nos péchés. Plaise à votre bonté, Seigneur, que le poids des iniquités par lesquelles nous avons provoqué votre indignation soit, dans la balance de votre justice, comparé à celui des maux affreux que votre Fils innocent a soufferts pour nous ! Oh ! alors , en considération de tant de souffrances, il vous paraîtra sûrement plus convenable et plus digne de vous de répandre sur nous les flots de vos miséricordes que d'en retenir l'abondante effusion en vue des péchés qui ont excité votre colère. Seigneur, notre Père, que toute langue vous bénisse de la bonté infinie qui vous a porté à ne pas épargner votre Fils unique- et bien-aimé , mais à le livrer pour nous à la mort , afin que nous eussions auprès de vous dans le Ciel un si digne et si fidèle avocat. »
Et vous , Seigneur Jésus , généreux zélateur de mon âme, quelle reconnaissance, quelles actions de grâces proportionnées à vos bienfaits puis-je vous offrir, moi qui ne suis qu'un homme , cendre , poussière et la plus indigne de vos créatures. En effet qu'avez-vous dû faire pour mon salut que vous n'ayez réellement opéré? Pour me retirer entièrement de l'abîme de tous les maux, vous vous êtes vous-même plongé tout entier dans une mer de douleurs dont les eaux amères ont pénétré jusqu'à votre âme. En vous livrant à la mort, vous avez perdu votre âme pour me rendre la mienne que j'avais perdue par le péché. J'ai contracté avec vous une double dette; car je vous suis redevable et de ce que j'ai reçu de vous et de ce que vous avez sacrifié pour moi; la vie même que je tiens de vous, vous me l'avez donnée deux fois, l'une par ma création, l'autre par ma rédemption.
Le sacrifice de cette même vie est le seul moyen que j'aie de m'acquitter exactement envers vous. Mais je ne sais ce que l'homme peut convenablement vous rendre pour le prix inestimable de votre âme livrée à tant de trouble et d'angoisse. En effet, quand il me serait possible de vous offrir le ciel , la terre et toutes leurs magnificences , tout cela n'aurait certainement aucune proportion avec ce que je vous dois. Mais c'est à vous, Seigneur, à me donner de quoi m'acquitter envers vous autant que je le dois et qu'il m'est possible. Je dois vous aimer de tout mon cœur, de tout mon esprit, de toute mon âme, de toutes mes forces. Je dois marcher sur vos traces , ô vous qui avez daigné mourir pour moi ; or , comment , sans votre secours , puis-je remplir ces obligations? Mon âme s'attache entièrement à vous , car elle ne peut absolument rien sans vous. » Tout ceci est de saint Bernard.
Vous connaissez maintenant tout ce que saint Bernard a , dans un style enchanteur qui lui est si familier, laisse échapper de plus suave et de plus touchant sur la Passion de Notre Seigneur. Ne recevez pas en vain cette grâce; mais plutôt, que ces paroles vous excitent à méditer fréquemment de tout votre cœur et de toutes ses affections la Passion de Notre Seigneur, parce qu'il est reconnu que cette méditation est bien préférable à toutes celles que l'on peut faire sur sa vie. Mais occupons-nous maintenant de sa Résurrection.
MÉDITATION SUR LA DESCENTE DE NOTRE SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST AUX ENFERS LE JOUR DU SAMEDI SAINT.
Nous avons maintenant à considérer ce que Notre Seigneur a fait le jour du Sabbat. Aussitôt après sa mort, il descendit aux Enfers pour y visiter les saints Patriarches ( Abraham, Moise, ect) qui furent alors comblés de gloire ; car la gloire parfaite consiste à voir le Seigneur. Arrêtez-vous donc ici à contempler quel excès de bonté, de charité et d'humilité porta Jésus à descendre aux Enfers. Il pouvait , en effet , se contenter d'envoyer un Ange pour délivrer tous ses serviteurs et les lui présenter où il aurait voulu ; mais cela n'aurait satisfait ni son amour infini , ni son humilité. Aussi ce Roi de l'univers alla-t-il en personne les visiter non comme des sujets, mais comme des amis; et il demeura avec eux jusqu'au Dimanche un peu avant l'aurore. Réfléchissez sérieusement à toutes ces choses, admirez-les et tâchez de les imiter.
Or, à l'arrivée de Notre Seigneur, les saints Patriarches furent comblés de joie, remplis d'ineffables consolations , délivrés de toutes leurs peines, et ils entonnèrent en sa présence des Cantiques de louanges que vous pouvez méditer de la manière suivante.
Représentez-vous les saints Personnages revêtus de leurs corps comme ils le seront après leur résurrection; représentez-vous de même l'âme très-parfaite de Notre Seigneur. Dès que leurs pressentiments les eurent avertis de son bienheureux avènement, ils coururent avec joie au-devant de lui , s'encourageant réciproquement par ces paroles : Béni soit le Seigneur , le Dieu d'Israël , qui a daigné visiter et racheter son peuple , etc. — Levez la tête, car votre Rédempteur approche. — Levez-vous , levez-vous Jérusalem, rompez les liens de votre captivité; voilà le Sauveur qui vient briser vos chaînes. — Élevez-vous, portes éternelles, et laissez entrer le Roi de gloire.
Nous vous adorons , ô Christ, et nous vous bénissons , O Dieu qui nous avez tant aimés. Et se prosternant devant lui , ils l'adorèrent dans les transports de la joie et de l'allégresse. Mais considérez avec quels respects, quelle vive satisfaction et quel air de ravissement ils se tiennent devant lui, et font entendre en sa présence les paroles que nous venons de rapporter, et comment , jusqu'au point du jour du Dimanche , ils ne cessèrent de répéter dans les limbes ces Cantiques de louanges et de jubilation auxquels s'unissaient les joyeux concerts d'une multitude innombrable d'Anges qui habitaient avec eux ce séjour.
Alors Notre Seigneur sortant plein de joie des Enfers avec cette brillante escorte qu'il précède en triomphateur, les fait entrer dans le Paradis de délices. Mais après avoir agréablement passé quelque temps avec eux , avec Elie et Énoch qui le reconnurent, il leur dit : « Voici le moment de ressusciter mon corps, je retourne sur la terre, pour m'en revêtir de nouveau. » Tous alors se prosternent devant lui en disant : « Allez, O Roi de gloire, et revenez bientôt parmi nous, s'il vous plait, car nous désirons ardemment de contempler votre corps glorieux. »
Voilà donc ce qui, le jour du Sabbat, peut-être la matière des méditations que vous ferez sur Notre Seigneur Jésus-Christ , sur sa sainte Mère, ses Disciples et les St. Patriarches. Mais comme, pour fixer uniquement votre esprit sur la Passion de Notre Seigneur, je vous en ai rapidement fait parcourir toutes les circonstances sans mêler à mon récit aucune citation, j'ai pensé qu'il convenait d'en produire maintenant quelques-unes, afin que la lecture de ces passages vous excitât à méditer avec plus de ferveur et de piété sur les sujets que je vous ai proposés. Voici donc quelques pensées que, suivant mon habitude, j'emprunte à saint Bernard. « (1) Vous devez consacrer toute votre vie à Jésus-Christ, parce qu'il a donné sa vie pour vous, et qu'il a supporté les plus affreux tourments, afin de vous arracher aux supplices éternels.»
Serm. 11 , sup. cant.
En effet, quand même il me serait donné de compter autant de jours qu'en obtiendront ensemble tous les enfants d'Adam , autant qu'il s'en écoulera jusqu'à la fin du monde, de pouvoir exécuter les travaux de tous les hommes qui ont vécu , qui vivent et qui vivront sur la terre, tout cela ne serait rien en comparaison de ce Corps qui est, même aux yeux des vertus célestes , si merveilleux et si admirable , soit par sa Conception du Saint-Esprit et sa Naissance de la Vierge Marie , soit par l'innocence de sa vie, la multitude de ses enseignements, l'éclat de ses miracles et la révélation des mystères renfermés dans ses Sacrements. Autant donc les Cieux sont élevés au-dessus de la terre, autant la vie de Jésus-Christ est supérieure à la nôtre ; et cette vie , il l'a donnée pour nous. Et comme il n'y a aucune comparaison à faire entre le néant et l'être, il n'y a aussi aucune proportion entre notre vie et la sienne, puisqu'on ne peut rien ajouter ni à la dignité de l'une, ni à la misère de l'autre. Lors donc que je lui donne tout ce qui est en mon pouvoir, mon offrande n'est-elle pas, par rapport à lui, comme l'étoile est au soleil, la goutte d'eau à la mer, une petite pierre à une montagne , un simple grain à un énorme monceau de blé. »....
« (1) L'anéantissement de Jésus-Christ n'a point été ordinaire et limité; car il s'est anéanti jusqu'à la chair, jusqu'à la mort et la mort de la Croix. O abîme d'humilité, de bonté et de condescendance ! qui pourra jamais sonder ta profondeur ?
(1) Serm. 11, sup. cant.
Qui pourra concevoir que le Dieu de Majesté ait voulu être revêtu de notre chair , condamné à la mort et déshonoré par le supplice de la Croix ? Mais, pourrait-on dire, le Créateur n'a-t-il pu réparer son ouvrage sans recourir à de tels extrémités ? Il l'a pu sans doute, mais il a préféré prendre le moyen qui lui coûtait davantage , afin de ne laisser à l'homme aucune occasion de tomber dans le détestable et abominable vice de l'ingratitude. En effet, s'il s'est lassé dans les plus rudes travaux, c'était pour obliger l'homme à l'aimer davantage et pour que la difficulté de la Rédemption excitât la reconnaissance dans un cœur qu'une condition primitivement plus heureuse avait rendu moins dévoué à son bienfaiteur. Car, que disait l'homme ingrat après sa création? Mon existence est, je l'avoue, un don purement gratuit, mais elle n'a coûté ni peine ni travail à l'auteur de mon être; (1) Dieu a dit une parole, et je suis sorti du néant comme les autres créatures. (2) Mais l'iniquité a été réduite au silence. O homme, n'est-il pas plus clair que le jour que Dieu s'est prodigué pour toi de toutes les manières ?
Maitre souverain, il s'est fait esclave ; riche, il s'est fait pauvre; Verbe éternel, il s'est fait chair; Fils de Dieu, il n'a pas dédaigné de se faire Fils de l'homme. Pour vous, n'oubliez pas que si vous avez été fait de rien, vous n'avez pas été racheté pour rien. Dieu en six jours a créé toutes choses, et vous êtes l'une de ces créatures. Mais il a passé trente années entières sur la terre pour opérer notre salut ! 0 combien il lui en a coûté pour supporter les nécessités de la chair et les tentations de l'ennemi du salut! N'a-t-il pas ajouté à ces maux , n'y a-t-il pas mis le comble par les horreurs de sa mort ? (3) Bon Jésus ! l'œuvre de ma Rédemption, calice amer que vous avez bu jusqu'à la lie, vous rend à mes yeux plus aimable que tout ce qu'il y a dans le monde.
(1) Psaume 140. — (2) Psaume 62. — (3) Serm. 20, sup. cant.
Ce bienfait vous donne à juste titre tous les droits à notre amour. Oui, voilà ce qui attire plus doucement notre dévotion, ce qui la commande plus impérieusement, ce qui en serre plus étroitement les liens, ce qui en imprime plus profondément en nous les sentiments. Car c'est par les plus rudes travaux que notre Sauveur a opéré notre Rédemption, et il en a beaucoup moins coûté à l'auteur de la nature pour la création de tout l'univers. Quand il a créé le monde, (1) il a dit et tout a été fait; il a commandé et tout a été créé : mais quand il a racheté l'homme, il a été contredit dans toutes ses paroles, censuré dans toutes ses actions, moqué dans tous ses tourments, outragé jusque dans sa mort. »
(2) Pour comble de sa charité, Jésus-Christ s'est livré à la mort, il a tiré de la plaie de son côté de quoi satisfaire à la justice de son Père irrité ; et c'est ainsi qu'on a pu lui appliquer ce verset : (3) Le Seigneur est plein de miséricorde et la Rédemption qu'il nous a préparée est très-abondante. Oui , vraiment abondante, car ce ne sont point quelques gouttes , ce sont des torrents de sang qui ont coulé des cinq plaies de son corps. Qu'a-t-il dû faire pour vous qu'il n'ait pas fait réellement? Vous étiez aveugle, il vous a éclairé ; esclave, il a brisé vos fers; égaré, il vous a ramené dans la voie; coupable, il vous a réconcilié avec son Père. Qui de nous refuserait de courir de bon cœur et avec joie après celui qui nous délivre du péché, dissimule nos égarements, n'a vécu que pour nous enrichir de mérites, et n'est mort que pour nous obtenir les récompenses éternelles ? Qui peut s'excuser de ne pas courir à l'odeur de ses parfums, si ce n'est celui qui n'en a jamais senti la suavité ? Cependant cette » odeur de vie s'est répandue sur toute la terre ; car, dit le Psalmiste : (1)
(1) Ps. 32. — (2) Serm. 22, sup. cant. — (3) Ps. 129.
Les miséricordes du Seigneur ont rempli toute la terre, et elles sont au-dessus de toutes ses œuvres. Celui donc qui ne sent point cette odeur de vie répandue en tout lieu et qui ne court point après ses parfums , est déjà mort ou du moins atteint de corruption.
Saint Bernard dit encore : « (2) L'Épouse ne rougit point d'avoir le teint noir, quand elle sait que cette couleur a précédemment été celle de son Époux. En effet, quelle gloire pour elle de lui ressembler en quelque chose. II n'y a donc rien de plus glorieux que d'avoir part aux opprobres de Jésus-Christ. Ce qui a fait dire à l'Apôtre dans un saint transport : (3) A Dieu ne plaise que je me glorifie en autre chose qu'en la Croix de Notre Seigneur Jésus-Christ. L'ignominie de la Croix est délicieuse pour celui qui, par reconnaissance, met ses délices en Jésus crucifié. C'est-là ce qu'il faut entendre par la noirceur du teint; mais c'est là aussi l'image et la ressemblance de Jésus-Christ. Interrogez Isaïe, et il vous tracera son portrait tel qu'il l'a vu en esprit ; car de quel autre a-t-il pu dire : Que (4) c'est un homme de douleur, qu'il sait ce que c'est que de souffrir; qu'il est sans éclat et sans beauté.
« De quel autre entend-il parler quand il ajoute : Nous l'avons considéré comme un lépreux , comme un homme frappé de Dieu et humilié pour ses propres péchés; il a été couvert de plaies, il a été brisé, pour nos crimes et nous avons été guéris par ses meurtrissures ?
(1) Psaume 32. — (2) Serm. 25., sup cant. — (3) Galates, 6. — (4) Isaïe, 33.
Enfin puis-je craindre de dire que Jésus est noir quand saint Paul a dit : Qu'il s'était fait le péché même. En effet , considérez-le indignement revêtu de pauvres haillons , meurtri de coups , souillé de crachats, couvert des ombres de la mort. Y avait-il donc au monde quelque chose de plus noir et de plus affreux que ce qui s'offrit aux yeux des spectateurs au moment où Jésus-Christ cloué sur la Croix, entre deux scélérats, provoquait la dérision des méchants et tout à la fois les larmes des fidèles , de sorte que l'unique objet des railleries et des insultes était précisément celui qui pouvait seul inspirer la terreur, qui seul méritait d'être honoré.
(1) Le rocher offre un asile au hérisson; et où les infirmes peuvent-ils trouver un lieu de repos plus sûr et plus inviolable que dans les plaies du Sauveur? Je m'y réfugie avec une sécurité proportionnée au pouvoir qu'il a de me sauver. Le monde frémit de rage, la chair me presse de son aiguillon, le démon me tend des pièges, mais je demeure inébranlable ; car je suis solidement établi sur la pierre ferme. J'ai commis une faute énorme; ma conscience en sera troublée, mais non pas désespérée, parce que je me souviendrai des plaies de mon Sauveur; car il a été blessé pour nos iniquités. Y a-t-il donc un pécheur si exposé à périr que ne puisse sauver la mort de Jésus-Christ? Ces clous, ces plaies nous crient que Dieu est vraiment dans Jésus-Christ se réconciliant le monde. La lance a transpercé son âme, pénétré jusqu'à son cœur, afin qu'il sache toujours compatir à toutes nos infirmités.
Les plaies de ce corps adorable nous découvrent les plus intimes secrets de son cœur, le profond mystère et (2) les entrailles de la miséricorde de notre Dieu par lesquelles ce Soleil levant est venu d'en haut nous visiter. Et, en effet , que peut-on voir à travers ses blessures, si ce n'est ses miséricordieuses entrailles? Et par quelles preuves plus éclatantes pouvez-vous, Seigneur, nous convaincre que vous êtes plein de bonté , de douceur et d'une miséricorde infinie? Car nul ne peut se montrer plus miséricordieux que Celui qui donne sa vie pour des coupables condamnés à la mort. »
Sermon 61 , super cant. — (2) Cant. Zach. Luc.
Saint Bernard dit encore autre part : Méditez les douleurs de Jésus crucifié et voyez si toutes les parties de son corps ne plaident pas en votre faveur auprès de son Père. C'est pour vous que cette tête sacrée, hérissée d'un si grand nombre d'épines , est percée jusqu'au crâne , pendant qu'une pointe plus cruelle a pénétré jusqu'au cœur ; car, dit le Seigneur par un Prophète : Ce peuple m'a fait, de ses péchés, une couronne d'épines , pour épargner des douleurs à votre tête et des souvenirs trop pénibles à votre esprit ; les yeux de Jésus se sont obscurcis à sa mort , et ces deux luminaires qui éclairent le monde entier se sont éteints à ce moment suprême. Le voile de ténèbres qui couvrit alors ses yeux ne s'étendit-il pas aussi sur toute la terre , et ces deux luminaires ne s'éteignirent-ils point avec ceux de la nature? Or tout cela se fit afin que vos yeux se détournent des choses vaines pour ne pas les voir, et que, s'ils les voient , ils ne s'y attachent pas. Les oreilles de Jésus qui entendent répéter dans le Ciel : Saint, saint, saint est le Dieu des armées , entendent dire sur la terre: (1) Vous êtes possédé du démon; et vociférer : (2) Crucifiez-le, crucifiez-le.
(1) Jean, 7. — (2) Jean, 19.
Et pourquoi tout cela? Afin que vos oreilles ne soient jamais fermées aux cris de l'indigence, qu'elles ne s'ouvrent point aux discours inutiles, et qu'elles ne reçoivent jamais le poison de la détraction. Cette face adorable (1), cette face du plus beau des enfants des hommes est couverte de crachats, meurtrie de soufflets, condamnée à tous les outrages. Car voici ce qui est écrit au sujet de Jésus : (2) Ils se mirent à lui cracher au visage, à lui donner des soufflets et à se moquer de lui en disant : Prophétise et dis-nous qui t'a frappé? Pourquoi ces horribles traitements? Pour obtenir que la lumière céleste brille sur votre front, qu'en y éclatant elle y établisse une sainte assurance et qu'on puisse alors dire de vous : (3) Son visage est inaltérable.
Cette bouche sacrée organe de tant d'enseignements pour les Anges, de tant d'instructions pour les hommes, dont la parole puissante a opéré tant de prodiges , cette bouche est abreuvée de fiel et de vinaigre pour que la vôtre devienne l'organe de la vérité et de la justice , et publie les louanges de son Dieu. Ces mains puissantes qui ont fondé les Cieux, sont attachées à la Croix et cruellement percées de clous pour que les vôtres, en s'étendant vers l'indigent, vous autorisent à dire avec le Psalmiste : (4) Je tiens toujours mon âme entre mes mains. Or, ce que l'on tient dans les mains ne s'oublie pas aisément. Ainsi celui qui applique son âme à quelques bonnes œuvres ne l'a certainement pas mise en oubli.
(1) Psaume 44. — (2) Matthieu,26. — (3) 1 Rois., 1. — (4) Psaume 118.
Ce Cœur adorable dans lequel sont cachés tous les trésors de la sagesse et de la science de Dieu est ouvert par la lance du soldat pour que le vôtre se purifie de ses coupables affections , qu` en se purifiant il se sanctifie et qu'en se sanctifiant il se conserve pour la vie éternelle. Ces saints pieds dont l'escabeau mérite nos adorations, parce qu'il est saint lui-même, sont cruellement percés et cloués à la Croix afin que les vôtres ne se précipitent pas dans la voie de l'iniquité, mais qu'ils courent dans celle des commandements du Seigneur. Que dirai-je encore? (1) Ils ont percé mes pieds et mes mains, ils ont compté tous mes os.
(1) Psaume 28.
Jésus a livré pour vous son corps et son âme, afin d'acheter et votre corps et votre âme ; en un mot , il s'est donné tout entier pour vous recouvrer tout entier. Sortez donc maintenant, O mon âme, de votre assoupissement et secouez la poussière dont vous êtes couverte, pour contempler cet homme admirable dont tous les traits se réfléchissent dans le Miroir du récit évangélique, comme s'il était réellement présent à vos yeux. Considérez, ô mon âme, quel est celui qui vient à vous avec la Majesté d'un Roi , et néanmoins tout couvert de l'ignominie due au dernier des esclaves. Il s'avance le front couronné, mais son diadème est un supplice et sa noble tête est déchirée de milles pointes aiguës. Il est couvert de la pourpre des Rois, mais elle lui attire plus de mépris que d'honneurs. Un sceptre est dans ses mains, mais il ne sert qu'à porter à cette tête auguste les coups les plus douloureux. Des soldats se prosternent devant lui pour l'adorer, ils proclament sa Royauté, et au même instant ils se relèvent pour couvrir de crachats le visage du plus aimable des enfants des hommes. Ils déchargent sur ses joues d'horribles soufflets et couvrent d'infamie ses épaules sacrées. Voyez, ô mon âme, combien de violences et d'insultes on prodigue, et de toutes les manières, à un tel personnage ! On lui commande de se courber sous le pesant fardeau de la Croix et de porter les insignes de son déshonneur. Parvenu au lieu du supplice, on l'abreuve de fiel et de vinaigre. On l'élève en Croix, et il s'écrie : (1) Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font. Quel est donc Celui qui , au milieu de traitements si horribles, n'ouvre pas une seule fois la bouche pour adresser à ces tigres furieux quelques plaintes , quelques excuses , quelques menaces ou quelques malédictions, mais qui, après tant d'indignités , répand sur ses injustes persécuteurs des paroles de bénédictions que nul avant lui n'avait fait entendre?
(1) Luc, 23.
Connaissez-vous , O mon âme, quelqu'un de plus doux, de meilleur que cet homme admirable? Mais considérez-le a plus attentivement encore , et il vous paraîtra digne de la plus grande admiration et de la compassion la plus tendre. Voyez-le nu et déchiré, entre deux voleurs , ignominieusement fixé à la Croix par des clous , abreuvé de vinaigre sur ce lit de douleur, percé par la lance après sa mort et répandant à grands flots son sang par les cinq plaies de ses mains , de ses pieds et de son côté. Pleurez, mes yeux; et vous, 0 mon âme , laissez-vous attendrir de compassion sur les maux affreux dont est accablé le plus aimable des enfants des hommes , qui supporte tant de douleurs avec une si admirable mansuétude.
« Seigneur très-saint , Père tout-puissant , du fond de votre sanctuaire et du haut du trône que vous occupez dans les Cieux , daignez abaisser vos regards sur la sainte et adorable victime que le grand Pontife de la loi nouvelle, Jésus-Christ votre Fils et Notre Seigneur, vous offre pour les péchés de ses frères et pardonnez-nous la multitude de nos offenses. Voici que la voix du sang de notre Frère Jésus est montée vers vous de la Croix en criant : J'ai été couronné de gloire et d'honneur. Assis à la droite de votre Majesté , il s'offre sans cesse devant vous en notre faveur, car il est notre frère et nous sommes une même chair avec lui. »
«Regardez, Seigneur, la face de votre Christ qui s'est montré obéissant jusqu'à la mort , et ne détournez jamais vos yeux des cicatrices de ses plaies , afin de vous souvenir sans cesse de la satisfaction surabondante qu'il vous a offerte pour nos péchés. Plaise à votre bonté, Seigneur, que le poids des iniquités par lesquelles nous avons provoqué votre indignation soit, dans la balance de votre justice, comparé à celui des maux affreux que votre Fils innocent a soufferts pour nous ! Oh ! alors , en considération de tant de souffrances, il vous paraîtra sûrement plus convenable et plus digne de vous de répandre sur nous les flots de vos miséricordes que d'en retenir l'abondante effusion en vue des péchés qui ont excité votre colère. Seigneur, notre Père, que toute langue vous bénisse de la bonté infinie qui vous a porté à ne pas épargner votre Fils unique- et bien-aimé , mais à le livrer pour nous à la mort , afin que nous eussions auprès de vous dans le Ciel un si digne et si fidèle avocat. »
Et vous , Seigneur Jésus , généreux zélateur de mon âme, quelle reconnaissance, quelles actions de grâces proportionnées à vos bienfaits puis-je vous offrir, moi qui ne suis qu'un homme , cendre , poussière et la plus indigne de vos créatures. En effet qu'avez-vous dû faire pour mon salut que vous n'ayez réellement opéré? Pour me retirer entièrement de l'abîme de tous les maux, vous vous êtes vous-même plongé tout entier dans une mer de douleurs dont les eaux amères ont pénétré jusqu'à votre âme. En vous livrant à la mort, vous avez perdu votre âme pour me rendre la mienne que j'avais perdue par le péché. J'ai contracté avec vous une double dette; car je vous suis redevable et de ce que j'ai reçu de vous et de ce que vous avez sacrifié pour moi; la vie même que je tiens de vous, vous me l'avez donnée deux fois, l'une par ma création, l'autre par ma rédemption.
Le sacrifice de cette même vie est le seul moyen que j'aie de m'acquitter exactement envers vous. Mais je ne sais ce que l'homme peut convenablement vous rendre pour le prix inestimable de votre âme livrée à tant de trouble et d'angoisse. En effet, quand il me serait possible de vous offrir le ciel , la terre et toutes leurs magnificences , tout cela n'aurait certainement aucune proportion avec ce que je vous dois. Mais c'est à vous, Seigneur, à me donner de quoi m'acquitter envers vous autant que je le dois et qu'il m'est possible. Je dois vous aimer de tout mon cœur, de tout mon esprit, de toute mon âme, de toutes mes forces. Je dois marcher sur vos traces , ô vous qui avez daigné mourir pour moi ; or , comment , sans votre secours , puis-je remplir ces obligations? Mon âme s'attache entièrement à vous , car elle ne peut absolument rien sans vous. » Tout ceci est de saint Bernard.
Vous connaissez maintenant tout ce que saint Bernard a , dans un style enchanteur qui lui est si familier, laisse échapper de plus suave et de plus touchant sur la Passion de Notre Seigneur. Ne recevez pas en vain cette grâce; mais plutôt, que ces paroles vous excitent à méditer fréquemment de tout votre cœur et de toutes ses affections la Passion de Notre Seigneur, parce qu'il est reconnu que cette méditation est bien préférable à toutes celles que l'on peut faire sur sa vie. Mais occupons-nous maintenant de sa Résurrection.
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: Méditations sur la Passion du Christ pendant le Carême selon Saint-Bonaventure - Italie - 13 eme siècle
DIMANCHE DE PÂQUES
CHAPITRE LXXXVI.
DE LA RÉSURRECTION DE NOTRE SEIGNEUR, ET COMMENT IL APPARUT D'ABORD A SA MÈRE LE JOUR DU DIMANCHE.
Notre Seigneur Jésus-Christ, accompagné d'une glorieuse multitude d'Esprits célestes, étant venu le Dimanche de grand matin au sépulcre, y reprit son corps très-saint ressuscité par sa propre puissance et sortit à l'instant du monument qu'il laissa fermé. Au même moment, c'est-à-dire à la pointe du jour, Marie-Madeleine, Marie mère de Jacques et Salomé, après en avoir demandé la permission à la sainte Vierge , partirent avec des aromates pour aller au sépulcre. Mais Notre-Dame demeura à la maison et fit cette prière : « Dieu de clémence, Père plein de bonté, vous le savez, mon Fils est mort, il a été attaché à la Croix entre deux voleurs, je l'ai enseveli de mes propres mains; mais, Seigneur, vous pouvez le ressusciter, et je supplie votre Majesté de le rendre à ma tendresse. Pourquoi tarde-t-il tant à venir me trouver? Rendez-le moi, je vous en conjure ; car, si je ne le vois, je ne puis goûter aucun repos. O mon cher Fils, qu'êtes-vous devenu? Que faites-vous? Qui vous retient loin de moi? Ne différez pas plus longtemps votre retour, je vous prie, car vous l'avez dit : (1) Je ressusciterai le troisième jour. Mon Fils , n'est-ce donc pas aujourd'hui ce troisième jour?»
(1) Matthieu 27.
«Ce ne fut pas hier, mais avant-hier que se leva ce grand jour, ce jour plein d'amertume, ce jour de malheur et de mortelles angoisses, ce jour de ténèbres et d'obscurités, ce jour où votre mort nous sépara l'un de l'autre : c'est donc , mon Fils , aujourd'hui le troisième jour. Sortez du tombeau, ô vous qui êtes ma gloire et mon trésor, et revenez à moi. Tout mon désir est de vous revoir. Consolez par votre retour celle que votre éloignement a si douloureusement affligée. Revenez donc, mon bien-aimé. Venez, Seigneur Jésus, venez mon unique espérance , venez à moi , mon cher Fils ! »
Or, pendant qu'elle faisait cette prière que le charme de ses pleurs rendait encore plus touchante, voilà qu'apparaît tout-à-coup Notre Seigneur Jésus-Christ revêtu de vêtements d'une éclatante blancheur; la sérénité, une beauté ravissante, la gloire de sa résurrection, une douce joie éclatent sur son front, et il lui dit en se mettant tout près d'elle : « Je vous salue, ô ma sainte Mère. » Marie se retournant à l'instant : « Est-ce vous, lui dit-elle, mon Fils Jésus? » Et elle se prosterna pour l'adorer, « C'est moi-même, ô ma tendre Mère, dit Jésus; je suis ressuscité et me voici encore avec vous. » Tous deux alors se relèvent , et Marie , en répandant des larmes de joie, l'embrasse, colle son visage sur le sien, le presse fortement sur son cœur, s'abandonne entièrement entre les bras de son Fils , et Jésus la soutient avec joie.
Puis le Fils et la Mère s'étant assis, Marie observe avec attention le visage de Jésus et les cicatrices de ses mains, cherchant à s'assurer si toutes les parties de son corps n'avaient plus rien à souffrir. Jésus lui dit alors : « Ma respectable Mère, toutes les douleurs se sont éloignées de moi; j'ai vaincu la mort, la souffrance et tous les maux ; je suis désormais à l'abri de tous leurs traits. » Marie répondit : « Béni soit à jamais votre Père qui vous a rendu à mes vœux; que son nom soit loué , exalté et glorifié dans tous les siècles. » Ils prolongent un si doux et si consolant entretien, et font ensemble leur Pâque dans les transports de l'amour le plus délicieux. Jésus apprend alors à sa Mère comment il vient d'arracher son peuple à l'Enfer et tout ce qu'il a fait pendant ces trois jours. Voilà donc maintenant la Pâque par excellence.
CHAPITRE LXXXVII.
MARIE-MADELEINE ET LES DEUX AUTRES MARIE VIENNENT AU SÉPULCRE ; PIERRE ET JEAN Y ACCOURENT.
Marie-Madeleine et les deux autres Marie allaient, comme je l'ai dit, au sépulcre avec des parfums. Dès qu'elles sont hors des portes de la ville, elles rappellent à leur souvenir toutes les afflictions, toutes les souffrances de leur divin Maître, et à chaque endroit témoin de quelque action importante dont Jésus avait été la victime ou le héros, elles s'arrêtent quelques moments, fléchissent le genou, baisent la terre, puis exhalant quelques soupirs et quelques gémissements , elles disent : «C'est là que nous l'avons rencontré portant sa Croix, et qu'en le voyant sa Mère a failli mourir de douleur; ici il a adressé la parole aux femmes de Jérusalem ; là , dans son accablement , il a laissé tomber sa Croix et s'est un moment appuyé sur cette pierre; c'est ici que pour accélérer sa marche, ses bourreaux l'ont pressé avec tant d'inhumanité, tant de violence, et l'ont presque obligé de courir ; c'est là qu'on l'a dépouillé de ses vêtements et réduit à une entière nudité; c'est eu ce lieu qu'on l'a attaché à la Croix. » Et alors, poussant de grands cris et baignées de larmes, les trois Marie tombent la face contre terre, adorent et baisent la Croix encore toute rougie du sang précieux de Notre Seigneur.
Puis s'étant relevées et se dirigeant vers le sépulcre, elles se disaient entre elles : (1) Qui nous ôtera la pierre de l'entrée du sépulcre ? et levant les yeux elles virent la pierre renversée et dessus un Ange du Seigneur assis qui leur dit : Ne craignez point, et le reste ainsi qu'il est rapporté dans l'Évangile. Mais ces femmes, qui croyaient trouver là le corps de Notre Seigneur, se voyant trompées dans leur espérance et ne faisant aucune attention aux paroles de l'Ange, revinrent tout effrayées trouver les Disciples et leur dirent qu'on avait enlevé le corps de Jésus. Aussitôt Pierre et Jean courent au sépulcre. Considérez-les tous attentivement. Ces deux Apôtres courent au sépulcre; Madeleine et ses compagnes les suivent en courant ; tous courent avec empressement pour chercher leur Maître bien-aimé, l'ami de leur cœur, la vie de leur âme ; ils courent ; la fidélité, la ferveur, l'anxiété semblent leur donner des ailes. Ils arrivent au sépulcre, regardent attentivement et ne voyant au lieu du corps de Jésus que des linceuls et un suaire, ils se retirèrent. Ne leur refusez point votre compassion, car ils sont plongés dans une profonde douleur. Ils cherchent leur Maître et leurs recherches sont vaines ; et comme ils ne savent en quel lieu ils pourront le trouver, ils se retirent fort affligés et répandant des larmes.
(1) Matthieu 28.
CHAPITRE LXXXVIII.
APPARITION DE JÉSUS AUX TROIS MARIE.
Or, les trois Marie qui étaient restées près du sépulcre, ayant regardé dans l'intérieur, y aperçurent deux Anges vêtus de blanc qui leur dirent : (1) Pourquoi cherchez-vous parmi les morts celui qui est vivant? Mais elles ne firent alors aucune attention à ces paroles et n'éprouvèrent aucune consolation de cette vision, parce que ce n'était pas des Anges, mais le Seigneur des Anges qu'elles cherchaient. Deux d'entre elles, effrayées et comme anéanties, s'éloignèrent un peu du sépulcre et s'assirent en pleurant. Quant à Madeleine, qui ne savait quel parti prendre, qui ne pouvait se passer de son bon Maître, ne le voyant point où elle avait espéré de le trouver et ignorant où elle irait le chercher, elle se tint hors du sépulcre en répandant des larmes. Et comme elle conservait toujours l'espoir de revoir Celui qui lui était si cher au lieu même où elle l'avait enseveli, elle regarda une seconde fois dans l'intérieur du sépulcre et vit les deux mêmes Anges assis qui lui dirent : (2) Femme, pourquoi pleurez-vous ? Qui cherchez-vous ? Elle répondit : C'est qu'ils ont enlevé mon Seigneur, et je ne sais où ils l'ont mis.
(1) Luc, 24. — (2) Jean., 20.
Remarquez un admirable effet de l'amour. Il n'y a pas longtemps qu'un Ange lui a annoncé que Jésus était ressuscité ; deux Anges lui ont dit ensuite qu'il était vivant, elle a tout oublié et répond : Je ne sais ce qu'il est devenu. C'est son amour qui lui fait tout oublier, parce que, dit Origène, (1) son âme n 'était plus où elle était elle-même, mais uniquement où était son Maître. Elle ne savait s'occuper, s'entretenir et parler que de lui. Mais pendant que, sans faire aucune attention aux Anges, Madeleine s'abandonnait ainsi à la douleur, son divin Maître ne pouvait retenir les transports de son amour pour elle. Aussi Notre Seigneur raconte tout cela à sa Mère et lui annonce qu'il veut aller consoler Madeleine.
Marie l'approuve beaucoup et lui dit : « Mon cher Fils, allez en paix lui donner des consolations, car elle a beaucoup d'amour pour vous et votre mort lui a fait verser bien des larmes ; mais n'oubliez pas de revenir bientôt près de moi. » Puis l'avant embrassé, elle le laissa partir. Il, alla donc au sépulcre, et trouvant Marie dans le jardin, il lui dit : Qui cherchez-vous ? pourquoi pleurez-vous ? Madeleine, qui ne le reconnaissait pas encore, répondit comme une personne dont la raison est troublée : Seigneur, si c'est vous qui l'avez enlevé, dites-moi où vous l'avez mis et je l'emporterai.
Apparition à Marie-Madeleine
Observez bien avec quel air affligé, suppliant et religieux elle le conjure de lui dire où est Celui qu'elle cherche; car elle avait toujours l'espérance d'apprendre quelque chose de nouveau sur son bien-aimé. Alors Notre Seigneur lui dit : Marie ! Et Madeleine qui, en reconnaissant sa voix, semblait renaître à la vie, s'écrie avec une joie inexprimable: «Rabboni! c'est-à-dire, mon Maître ; c'est vous, Seigneur, que je cherchais; pourquoi vous êtes-vous si longtemps dérobé à mes regards? » Et elle se précipita à ses pieds qu'elle voulait embrasser. Mais Notre Seigneur, pour l'élever à la pensée des choses célestes et l'empêcher ainsi de le chercher sur la terre, lui dit : (2) Ne me touchez pas ; je ne suis pas encore monté vers mon Père , mais dites à mes frères : Je monte vers mon Père et votre Père, etc.
(4) Orig., in divers, nom., 10. — (2) Jean, 20.
Puis il ajouta : « Ne vous ai-je pas prédit que je ressusciterais le troisième jour ? Pourquoi donc me cherchiez- vous encore dans le sépulcre? — Maître , répondit Marie , je vous dirai que votre Passion et votre mort si affreuses avaient rempli mon âme d'une telle douleur qu'ayant tout oublié , votre corps glacé par la mort et le lieu où je l'avais enseveli étaient les seules choses dont j'eusse conservé le souvenir, et c'est pour cela que dès le matin j'avais apporté ici ce parfum. Bénie soit votre miséricorde qui vous a porté à vous ressusciter et à revenir parmi nous.»
Jésus et Madeleine dont les cœurs étaient si unis goûtent ainsi pendant quelque temps la joie et le bonheur de se retrouver ensemble. Pourtant Madeleine examine attentivement Jésus , l'interroge sur tous les points et reçoit de lui les réponses les plus consolantes. Et c'est encore ici une grande Pâque (ou un grand passage de la douleur à la joie. )
Toutefois je ne puis me persuader que Madeleine, avant de quitter Jésus , ne lui ait pas familièrement baisé les pieds et les mains, quoiqu'il lui eût d'abord défendu de le toucher. Et si, dans sa sagesse, il crut devoir commencer par cette défense, ce fut ou parce qu'en même temps il découvrait à Madeleine les sentiments de son cœur à son égard , comme on l'explique ordinairement , ou parce qu'il voulait élever son esprit à la contemplation des choses du Ciel , ainsi que je l'ai déjà dit et que saint Bernard semble l'insinuer. En effet on peut croire pieusement qu'en la visitant avec tant d'amour et avant tous ceux dont il est parlé dans l'Évangile , Jésus lui accordait cette grâce privilégiée pour la consoler et non pour la jeter dans le trouble. La défense de le toucher ne fut donc point absolue, c'était un mystère d'amour. Car Notre Seigneur n'a point d'inflexibilité, point de sévérité , surtout pour ceux qui l'aiment. Peu de temps après le Seigneur la quitta, en disant qu'il fallait qu'il allât visiter d'autres personnes.
Presqu'attérée à ces mots, Madeleine, qui ne voulait plus se séparer de Jésus, lui dit : « Seigneur, à ce qu'il paraît, ce n'est plus avec nous que vous voulez désormais habiter comme par le passé. Du moins, je vous en conjure, ne m'oubliez pas ; souvenez-vous , Seigneur, de toutes les grâces dont vous m'avez favorisée ; souvenez-vous enfin, mon Dieu , de la familiarité et de la tendre affection dont vous m'avez honorée. Souvenez-vous de moi, Seigneur mon Dieu ! »
Et Jésus lui répondit : « Ne craignez rien, soyez confiante et fidèle ; car je serai toujours avec vous. » Puis, après que Notre Seigneur, en se retirant, lui eût donné sa bénédiction, Madeleine alla retrouver ses compagnes et leur raconta ce qui venait de se passer. Celles-ci joyeuses d'apprendre la Résurrection de Jésus-Christ, mais affligées de ne l'avoir pas encore vu , se retirent avec Madeleine. Pendant que ces trois femmes retournaient en semble à la ville , Jésus leur apparut et leur dit : Je vous salue. Elles furent alors remplies d'une joie inexprimable et se prosternèrent à ses pieds pour les embrasser. Ici donc, comme dans l'apparition à Madeleine, ces femmes cherchent Jésus , le voient , en reçoivent des paroles consolantes et font une grande Pâque. Jésus leur dit encore : Allez dire à mes frères qu'ils aillent en Galilée; c'est là qu'ils me verront, comme je le leur ai prédit.
Remarquez que Jésus donne à ses Disciples le nom de frère ; le Maître de l'humilité pouvait-il cesser de pratiquer cette vertu ? Quant à vous, si vous voulez avoir l'intelligence de ces mystères et en recevoir quelque consolation , souvenez-vous , ainsi que je vous l'ai dit plus haut, de vous représenter à l'esprit tous les lieux et tous les faits, comme si vous les voyiez réellement des yeux du corps; faites de même pour tout ce qui me reste encore à vous dire.
CHAPITRE LXXXVI.
DE LA RÉSURRECTION DE NOTRE SEIGNEUR, ET COMMENT IL APPARUT D'ABORD A SA MÈRE LE JOUR DU DIMANCHE.
Notre Seigneur Jésus-Christ, accompagné d'une glorieuse multitude d'Esprits célestes, étant venu le Dimanche de grand matin au sépulcre, y reprit son corps très-saint ressuscité par sa propre puissance et sortit à l'instant du monument qu'il laissa fermé. Au même moment, c'est-à-dire à la pointe du jour, Marie-Madeleine, Marie mère de Jacques et Salomé, après en avoir demandé la permission à la sainte Vierge , partirent avec des aromates pour aller au sépulcre. Mais Notre-Dame demeura à la maison et fit cette prière : « Dieu de clémence, Père plein de bonté, vous le savez, mon Fils est mort, il a été attaché à la Croix entre deux voleurs, je l'ai enseveli de mes propres mains; mais, Seigneur, vous pouvez le ressusciter, et je supplie votre Majesté de le rendre à ma tendresse. Pourquoi tarde-t-il tant à venir me trouver? Rendez-le moi, je vous en conjure ; car, si je ne le vois, je ne puis goûter aucun repos. O mon cher Fils, qu'êtes-vous devenu? Que faites-vous? Qui vous retient loin de moi? Ne différez pas plus longtemps votre retour, je vous prie, car vous l'avez dit : (1) Je ressusciterai le troisième jour. Mon Fils , n'est-ce donc pas aujourd'hui ce troisième jour?»
(1) Matthieu 27.
«Ce ne fut pas hier, mais avant-hier que se leva ce grand jour, ce jour plein d'amertume, ce jour de malheur et de mortelles angoisses, ce jour de ténèbres et d'obscurités, ce jour où votre mort nous sépara l'un de l'autre : c'est donc , mon Fils , aujourd'hui le troisième jour. Sortez du tombeau, ô vous qui êtes ma gloire et mon trésor, et revenez à moi. Tout mon désir est de vous revoir. Consolez par votre retour celle que votre éloignement a si douloureusement affligée. Revenez donc, mon bien-aimé. Venez, Seigneur Jésus, venez mon unique espérance , venez à moi , mon cher Fils ! »
Or, pendant qu'elle faisait cette prière que le charme de ses pleurs rendait encore plus touchante, voilà qu'apparaît tout-à-coup Notre Seigneur Jésus-Christ revêtu de vêtements d'une éclatante blancheur; la sérénité, une beauté ravissante, la gloire de sa résurrection, une douce joie éclatent sur son front, et il lui dit en se mettant tout près d'elle : « Je vous salue, ô ma sainte Mère. » Marie se retournant à l'instant : « Est-ce vous, lui dit-elle, mon Fils Jésus? » Et elle se prosterna pour l'adorer, « C'est moi-même, ô ma tendre Mère, dit Jésus; je suis ressuscité et me voici encore avec vous. » Tous deux alors se relèvent , et Marie , en répandant des larmes de joie, l'embrasse, colle son visage sur le sien, le presse fortement sur son cœur, s'abandonne entièrement entre les bras de son Fils , et Jésus la soutient avec joie.
Puis le Fils et la Mère s'étant assis, Marie observe avec attention le visage de Jésus et les cicatrices de ses mains, cherchant à s'assurer si toutes les parties de son corps n'avaient plus rien à souffrir. Jésus lui dit alors : « Ma respectable Mère, toutes les douleurs se sont éloignées de moi; j'ai vaincu la mort, la souffrance et tous les maux ; je suis désormais à l'abri de tous leurs traits. » Marie répondit : « Béni soit à jamais votre Père qui vous a rendu à mes vœux; que son nom soit loué , exalté et glorifié dans tous les siècles. » Ils prolongent un si doux et si consolant entretien, et font ensemble leur Pâque dans les transports de l'amour le plus délicieux. Jésus apprend alors à sa Mère comment il vient d'arracher son peuple à l'Enfer et tout ce qu'il a fait pendant ces trois jours. Voilà donc maintenant la Pâque par excellence.
CHAPITRE LXXXVII.
MARIE-MADELEINE ET LES DEUX AUTRES MARIE VIENNENT AU SÉPULCRE ; PIERRE ET JEAN Y ACCOURENT.
Marie-Madeleine et les deux autres Marie allaient, comme je l'ai dit, au sépulcre avec des parfums. Dès qu'elles sont hors des portes de la ville, elles rappellent à leur souvenir toutes les afflictions, toutes les souffrances de leur divin Maître, et à chaque endroit témoin de quelque action importante dont Jésus avait été la victime ou le héros, elles s'arrêtent quelques moments, fléchissent le genou, baisent la terre, puis exhalant quelques soupirs et quelques gémissements , elles disent : «C'est là que nous l'avons rencontré portant sa Croix, et qu'en le voyant sa Mère a failli mourir de douleur; ici il a adressé la parole aux femmes de Jérusalem ; là , dans son accablement , il a laissé tomber sa Croix et s'est un moment appuyé sur cette pierre; c'est ici que pour accélérer sa marche, ses bourreaux l'ont pressé avec tant d'inhumanité, tant de violence, et l'ont presque obligé de courir ; c'est là qu'on l'a dépouillé de ses vêtements et réduit à une entière nudité; c'est eu ce lieu qu'on l'a attaché à la Croix. » Et alors, poussant de grands cris et baignées de larmes, les trois Marie tombent la face contre terre, adorent et baisent la Croix encore toute rougie du sang précieux de Notre Seigneur.
Puis s'étant relevées et se dirigeant vers le sépulcre, elles se disaient entre elles : (1) Qui nous ôtera la pierre de l'entrée du sépulcre ? et levant les yeux elles virent la pierre renversée et dessus un Ange du Seigneur assis qui leur dit : Ne craignez point, et le reste ainsi qu'il est rapporté dans l'Évangile. Mais ces femmes, qui croyaient trouver là le corps de Notre Seigneur, se voyant trompées dans leur espérance et ne faisant aucune attention aux paroles de l'Ange, revinrent tout effrayées trouver les Disciples et leur dirent qu'on avait enlevé le corps de Jésus. Aussitôt Pierre et Jean courent au sépulcre. Considérez-les tous attentivement. Ces deux Apôtres courent au sépulcre; Madeleine et ses compagnes les suivent en courant ; tous courent avec empressement pour chercher leur Maître bien-aimé, l'ami de leur cœur, la vie de leur âme ; ils courent ; la fidélité, la ferveur, l'anxiété semblent leur donner des ailes. Ils arrivent au sépulcre, regardent attentivement et ne voyant au lieu du corps de Jésus que des linceuls et un suaire, ils se retirèrent. Ne leur refusez point votre compassion, car ils sont plongés dans une profonde douleur. Ils cherchent leur Maître et leurs recherches sont vaines ; et comme ils ne savent en quel lieu ils pourront le trouver, ils se retirent fort affligés et répandant des larmes.
(1) Matthieu 28.
CHAPITRE LXXXVIII.
APPARITION DE JÉSUS AUX TROIS MARIE.
Or, les trois Marie qui étaient restées près du sépulcre, ayant regardé dans l'intérieur, y aperçurent deux Anges vêtus de blanc qui leur dirent : (1) Pourquoi cherchez-vous parmi les morts celui qui est vivant? Mais elles ne firent alors aucune attention à ces paroles et n'éprouvèrent aucune consolation de cette vision, parce que ce n'était pas des Anges, mais le Seigneur des Anges qu'elles cherchaient. Deux d'entre elles, effrayées et comme anéanties, s'éloignèrent un peu du sépulcre et s'assirent en pleurant. Quant à Madeleine, qui ne savait quel parti prendre, qui ne pouvait se passer de son bon Maître, ne le voyant point où elle avait espéré de le trouver et ignorant où elle irait le chercher, elle se tint hors du sépulcre en répandant des larmes. Et comme elle conservait toujours l'espoir de revoir Celui qui lui était si cher au lieu même où elle l'avait enseveli, elle regarda une seconde fois dans l'intérieur du sépulcre et vit les deux mêmes Anges assis qui lui dirent : (2) Femme, pourquoi pleurez-vous ? Qui cherchez-vous ? Elle répondit : C'est qu'ils ont enlevé mon Seigneur, et je ne sais où ils l'ont mis.
(1) Luc, 24. — (2) Jean., 20.
Remarquez un admirable effet de l'amour. Il n'y a pas longtemps qu'un Ange lui a annoncé que Jésus était ressuscité ; deux Anges lui ont dit ensuite qu'il était vivant, elle a tout oublié et répond : Je ne sais ce qu'il est devenu. C'est son amour qui lui fait tout oublier, parce que, dit Origène, (1) son âme n 'était plus où elle était elle-même, mais uniquement où était son Maître. Elle ne savait s'occuper, s'entretenir et parler que de lui. Mais pendant que, sans faire aucune attention aux Anges, Madeleine s'abandonnait ainsi à la douleur, son divin Maître ne pouvait retenir les transports de son amour pour elle. Aussi Notre Seigneur raconte tout cela à sa Mère et lui annonce qu'il veut aller consoler Madeleine.
Marie l'approuve beaucoup et lui dit : « Mon cher Fils, allez en paix lui donner des consolations, car elle a beaucoup d'amour pour vous et votre mort lui a fait verser bien des larmes ; mais n'oubliez pas de revenir bientôt près de moi. » Puis l'avant embrassé, elle le laissa partir. Il, alla donc au sépulcre, et trouvant Marie dans le jardin, il lui dit : Qui cherchez-vous ? pourquoi pleurez-vous ? Madeleine, qui ne le reconnaissait pas encore, répondit comme une personne dont la raison est troublée : Seigneur, si c'est vous qui l'avez enlevé, dites-moi où vous l'avez mis et je l'emporterai.
Apparition à Marie-Madeleine
Observez bien avec quel air affligé, suppliant et religieux elle le conjure de lui dire où est Celui qu'elle cherche; car elle avait toujours l'espérance d'apprendre quelque chose de nouveau sur son bien-aimé. Alors Notre Seigneur lui dit : Marie ! Et Madeleine qui, en reconnaissant sa voix, semblait renaître à la vie, s'écrie avec une joie inexprimable: «Rabboni! c'est-à-dire, mon Maître ; c'est vous, Seigneur, que je cherchais; pourquoi vous êtes-vous si longtemps dérobé à mes regards? » Et elle se précipita à ses pieds qu'elle voulait embrasser. Mais Notre Seigneur, pour l'élever à la pensée des choses célestes et l'empêcher ainsi de le chercher sur la terre, lui dit : (2) Ne me touchez pas ; je ne suis pas encore monté vers mon Père , mais dites à mes frères : Je monte vers mon Père et votre Père, etc.
(4) Orig., in divers, nom., 10. — (2) Jean, 20.
Puis il ajouta : « Ne vous ai-je pas prédit que je ressusciterais le troisième jour ? Pourquoi donc me cherchiez- vous encore dans le sépulcre? — Maître , répondit Marie , je vous dirai que votre Passion et votre mort si affreuses avaient rempli mon âme d'une telle douleur qu'ayant tout oublié , votre corps glacé par la mort et le lieu où je l'avais enseveli étaient les seules choses dont j'eusse conservé le souvenir, et c'est pour cela que dès le matin j'avais apporté ici ce parfum. Bénie soit votre miséricorde qui vous a porté à vous ressusciter et à revenir parmi nous.»
Jésus et Madeleine dont les cœurs étaient si unis goûtent ainsi pendant quelque temps la joie et le bonheur de se retrouver ensemble. Pourtant Madeleine examine attentivement Jésus , l'interroge sur tous les points et reçoit de lui les réponses les plus consolantes. Et c'est encore ici une grande Pâque (ou un grand passage de la douleur à la joie. )
Toutefois je ne puis me persuader que Madeleine, avant de quitter Jésus , ne lui ait pas familièrement baisé les pieds et les mains, quoiqu'il lui eût d'abord défendu de le toucher. Et si, dans sa sagesse, il crut devoir commencer par cette défense, ce fut ou parce qu'en même temps il découvrait à Madeleine les sentiments de son cœur à son égard , comme on l'explique ordinairement , ou parce qu'il voulait élever son esprit à la contemplation des choses du Ciel , ainsi que je l'ai déjà dit et que saint Bernard semble l'insinuer. En effet on peut croire pieusement qu'en la visitant avec tant d'amour et avant tous ceux dont il est parlé dans l'Évangile , Jésus lui accordait cette grâce privilégiée pour la consoler et non pour la jeter dans le trouble. La défense de le toucher ne fut donc point absolue, c'était un mystère d'amour. Car Notre Seigneur n'a point d'inflexibilité, point de sévérité , surtout pour ceux qui l'aiment. Peu de temps après le Seigneur la quitta, en disant qu'il fallait qu'il allât visiter d'autres personnes.
Presqu'attérée à ces mots, Madeleine, qui ne voulait plus se séparer de Jésus, lui dit : « Seigneur, à ce qu'il paraît, ce n'est plus avec nous que vous voulez désormais habiter comme par le passé. Du moins, je vous en conjure, ne m'oubliez pas ; souvenez-vous , Seigneur, de toutes les grâces dont vous m'avez favorisée ; souvenez-vous enfin, mon Dieu , de la familiarité et de la tendre affection dont vous m'avez honorée. Souvenez-vous de moi, Seigneur mon Dieu ! »
Et Jésus lui répondit : « Ne craignez rien, soyez confiante et fidèle ; car je serai toujours avec vous. » Puis, après que Notre Seigneur, en se retirant, lui eût donné sa bénédiction, Madeleine alla retrouver ses compagnes et leur raconta ce qui venait de se passer. Celles-ci joyeuses d'apprendre la Résurrection de Jésus-Christ, mais affligées de ne l'avoir pas encore vu , se retirent avec Madeleine. Pendant que ces trois femmes retournaient en semble à la ville , Jésus leur apparut et leur dit : Je vous salue. Elles furent alors remplies d'une joie inexprimable et se prosternèrent à ses pieds pour les embrasser. Ici donc, comme dans l'apparition à Madeleine, ces femmes cherchent Jésus , le voient , en reçoivent des paroles consolantes et font une grande Pâque. Jésus leur dit encore : Allez dire à mes frères qu'ils aillent en Galilée; c'est là qu'ils me verront, comme je le leur ai prédit.
Remarquez que Jésus donne à ses Disciples le nom de frère ; le Maître de l'humilité pouvait-il cesser de pratiquer cette vertu ? Quant à vous, si vous voulez avoir l'intelligence de ces mystères et en recevoir quelque consolation , souvenez-vous , ainsi que je vous l'ai dit plus haut, de vous représenter à l'esprit tous les lieux et tous les faits, comme si vous les voyiez réellement des yeux du corps; faites de même pour tout ce qui me reste encore à vous dire.
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: Méditations sur la Passion du Christ pendant le Carême selon Saint-Bonaventure - Italie - 13 eme siècle
CHAPITRE LXXXIX.
JÉSUS APPARAÎT A JOSEPH d'ARIMATHIE, A SAINT JACQUES LE MINEUR ET A PIERRE.
Ayant quitté les trois Marie, Notre Seigneur Jésus- Christ apparut à Joseph , par les soins duquel il avait été enseveli. C'était pour cela que les Juifs l'avait arrêté et renfermé dans une petite chambre bien scellée. Ils se proposaient même de le mettre à mort après le jour du Sabbat. Notre Seigneur se montra donc à lui, lui essuya, lui baisa le visage ; puis, sans briser les scellés , il le reporta chez lui. Jésus apparut aussi à saint Jacques le mineur qui avait fait vœu de ne pas manger avant d'avoir vu Notre Seigneur ressuscité. Jésus s'adressant à cet Apôtre et à ceux qui étaient avec lui , leur dit : Dressez la table. Ensuite prenant du pain, il le bénit et le donna à saint Jacques en disant : « Mangez maintenant , mon cher frère , car le Fils de l'homme est ressuscité. » Ce fait est rapporté par saint Jérôme (1).
(1) Hier. Lib. de Scrip. ecc, in Jac.
Or, au moment où Madeleine et ses compagnes, rentrées à la maison, disent aux Disciples que le Seigneur est ressuscité, Pierre affligé de ne pas encore avoir vu son divin Maître et ne pouvant modérer la vivacité de son amour, quitte à l'instant ces femmes et retourne seul au sépulcre, ne voyant pas d'autre lieu où il pût aller chercher Jésus. Pendant qu'il poursuivait son chemin , Notre Seigneur lui apparut et lui dit : « Simon , la paix soit avec vous. » Aussitôt Pierre , frappant sa poitrine , se jette tout en pleurs aux pieds de Jésus et lui dit : «Je suis bien coupable, je l'avoue; car je vous ai abandonné et renié plusieurs fois. » Puis il lui baisa les pieds. Mais Notre Seigneur le relève, l'embrasse et lui dit: « Allez en paix, ne craignez rien, tous vos péchés vous sont remis; j'avais prévu votre faute et je vous l'ai prédite. Allez donc maintenant, affermissez vos frères et ayez vous-même confiance, car j'ai vaincu la mort, tous vos ennemis et tous vos adversaires.»
Ce fut donc encore une grande Pâque pour saint Pierre. Pendant que Notre Seigneur demeure et s'entretient ainsi avec son Apôtre, Pierre l'examine et observe tout avec attention. Puis, ayant reçu la bénédiction de son divin Maître, il retourne et raconte à Marie et aux autres Disciples tout ce qui vient de se passer. Or vous devez savoir que l'Évangile ne parle point de l'apparition que Notre Seigneur fit à sa Mère ; mais je l'ai rapportée et je l'ai même placée avant toutes les autres apparitions parce que l'Église la regarde comme certaine, ainsi que le prouve clairement une légende sur la résurrection de Notre Seigneur.
CHAPITRE LXXXX.
NOTRE SEIGNEUR APRÈS SA RÉSURRECTION VA RETROUVER LES SAINTS PÈRES.
Comme Notre Seigneur Jésus-Christ, après avoir quitté Simon-Pierre, n'avait pas encore, depuis sa Résurrection , visité les Saints Pères qu'il avait laissés dans le Paradis de délices, il vint les retrouver et s'avança vers eux revêtu d'une robe blanche et environné d'une multitude d'Anges. Le voyant de loin s'approcher d'eux dans cet appareil de gloire, les Saints Pères furent remplis d'une joie inexprimable et le reçurent au bruit des acclamations, des cantiques de bénédictions et de louanges , s'écriant tous ensemble : Voici notre Roi; venez, courons tous au-devant de notre Sauveur, son règne commence et n'aura jamais de fin. Le jour éternel des Saints luit enfin pour nous ; venez tous, adorons ensemble le Seigneur. Et se prosternant à ses pieds, ils l'adorèrent.
Puis, s'étant relevés et l'environnant avec une respectueuse allégresse, ils mirent le comble à leurs louanges en disant : Il est vainqueur le Lion de la tribu de Juda; notre chair brille déjà de l'éclat d'une jeunesse éternelle. En vous voyant, nous sommes remplis d'une sainte joie, vous répandez sur nous d'intarissables délices. Vous êtes ressuscité; nous nous réjouirons, nous tressaillerons de joie en vous qui êtes la gloire de votre peuple. Vous régnerez dans tous les siècles et votre empire s'étendra de génération en génération. Rien ne pourra nous séparer de vous, vous nous ressusciterez aussi, et nous exalterons le nom du Seigneur. Notre Précurseur est entré pour nous dans les Cieux, où il réside en qualité de Pontife éternel. Voici le jour que le Seigneur a fait, passons-le dans les transports d'une sainte joie. Voici le jour de notre Rédemption, le jour si longtemps attendu de notre réparation et de notre bonheur éternel. Aujourd'hui une douce rosée est descendue des deux, parce que, du haut de sa Croix , le Seigneur règne sur tout l'univers. Le Seigneur est monté sur son trône; la gloire est son vêtement, la force est la ceinture de ses reins. Chantez à l'Éternel un Cantique nouveau, parce qu'il a opéré des merveilles. C'est sa droite, c'est son bras saint qui nous ont sauvés pour sa gloire. Nous sommes maintenant son peuple et les brebis de son pâturage. Venez, adorons-le .
Vers le soir, Notre Seigneur dit aux saints Pères: « J'ai compassion de mes frères, parce qu'affligés et effrayés par ma mort, ils sont dispersés comme des brebis errantes et désirent ardemment de me revoir. Je vais donc m 'offrir à leurs regards pour les fortifier et les consoler ; après quoi je reviendrai au milieu de vous. » A ces mots les Saints Pères se prosternent en disant :« Qu'il nous soit fait selon votre parole.
CHAPITRE LXXXXI.
APPARITION DE NOTRE SEIGNEUR A DEUX DISCIPLES QUI ALLAIENT A EMMAÛS.
Pendant que deux des Disciples de Notre Seigneur , qui avaient presque perdu l'espérance de sa Résurrection, s'avançaient fort affligés vers le bourg d'Emmaüs, s'entretenant en chemin de ce qui venait de se passer, Jésus vint les joindre sous la figure d'un voyageur et se mit à marcher avec eux , les interrogeant, leur répondant et leur donnant les plus utiles instructions rapportées dans l'Évangile. Enfin cédant à leurs instances , il entra avec eux et se manifesta à leurs yeux.
Or, arrêtez-vous ici pour considérer attentivement la bonté et l'indulgence de votre adorable Maître. Remarquez d'abord que son ardente charité ne peut consentir à laisser ainsi ses frères dans l'erreur et dans l'affliction. Ami sûr, compagnon fidèle, excellent Maître, il se joint à eux , leur demande la cause de leur tristesse et leur explique les Écritures, embrasant leurs cœurs comme le fer dans la fournaise , pour en extirper toute la rouille.
Le Christ avec les disciples d`Emmaüs
Et, c'est ainsi qu'il en agit spirituellement avec nous tous les jours. En effet si, dans nos irrésolutions, dans nos découragements, il nous arrive de parler de Jésus, aussitôt il vient à nous, il affermit, il éclaire notre cœur et l'embrase même du feu de son amour ; car, parler de Dieu est le meilleur remède contre de semblables maladies de l'âme. Ce qui fait dire au Prophète : (1) Vos paroles, Seigneur , sont plus douces à mon cœur que le miel ne l'est à ma bouche. Et encore : (2) Seigneur, vos paroles sont un feu consumant; elles ont embrasé d'amour le cœur de votre serviteur. Penser à Dieu produit aussi de semblables effets; ce qui fait dire au même Prophète : (3) Mon cœur s'est échauffé au-dedans de moi ; des flammes ardentes l'ont embrasé dans la méditation.
Jugez en second lieu de la bonté de Jésus, non pas seulement, comme je viens de le dire , par l'excès de son amour, mais encore par son profond abaissement. En effet voyez avec quelle humilité il daigne marcher eu leur compagnie; le Souverain de l'univers chemine avec ses serviteurs, comme aurait fait un de leurs égaux. Ne dirait-on pas qu'il s'est remis à la pratique élémentaire de l'humilité ? C'est un exemple que nous devons imiter. Mais une autre preuve de son humilité , c'est qu'il ne dédaigne pas des Disciples d'un ordre inférieur.
(1) Psaume 108. — (2) Ibid. — (3) Psaume 38.
Car ce n'étaient pas des Apôtres, mais quelques-uns des derniers Disciples de Jésus, et cependant il se joint familièrement à eux , voyage et s'entretient avec eux. Ce n'est pas ainsi qu'en agissent les orgueilleux; ce n'est qu'avec des hommes distingués par leur rang ou par leur fortune qu'ils consentent à s'entretenir et à voyager. On peut encore remarquer ici une troisième preuve de l'humilité de Jésus. Observez en effet la conduite des orgueilleux et vous verrez que ce n'est pas devant un petit nombre d'auditeurs qu'ils débitent leurs phrases ampoulées, tandis que c'est devant deux Disciples seulement que Notre Seigneur explique ses plus profonds mystères; il ne dédaigne point de parler devant un si petit auditoire, pas même devant une seule personne, comme on l'a vu précédemment dans son entretien avec la Samaritaine.
En troisième lieu, voyez comment, dans cette circonstance , Jésus fait éclater sa bonté en donnant à ses Disciples une leçon pratique de morale, en les ranimant et les consolant. Observez donc comment il feint de vouloir aller plus loin, afin qu'en leur donnant un plus grand désir de le conserver, ils l'invitent à demeurer et le retiennent parmi eux. Voyez ensuite avec quelle bonté il entre avec eux, prend du pain, et après l'avoir béni de ses mains très-saintes, le rompt, le leur présente, et se révèle à eux. Et tous les jours il en agit invisiblement de la même manière avec nous, car il veut que nous nous efforcions de le retenir par nos désirs, nos prières et de saintes méditations.
C'est pourquoi (1) Il faut toujours prier et ne jamais se lasser, comme il nous l'a recommandé et enseigné par son propre exemple , et cela afin de nous porter à nous acquitter avec soin des devoirs de la piété et de l'hospitalité, et de nous faire comprendre qu'il ne suffît pas de lire , ou d'écouler la parole de Dieu , mais qu'il faut la mettre en pratique. Vous pourrez trouver à ce sujet de plus amples instructions dans l'homélie que saint Grégoire a faite (2) sur l'Évangile que nous méditons.
(1) Luc, 17. — (2) S. Greg. hom. 23. In Evang.
Or, Notre Seigneur ne laissa pas longtemps les deux Disciples d'Emmaüs jouir du bonheur de sa présence, mais aussitôt qu'il leur eût présenté le pain, il s'évanouit à leurs yeux. Car il voulait faire goûter à ses autres Disciples une consolation que partagèrent en même temps les Disciples d'Emmaüs.
CHAPITRE LXXXXII.
NOTRE SEIGNEUR APPARAÎT LE JOUR DE LA RÉSURRECTION A TOUS LES DISCIPLES ASSEMBLÉS.
Les deux Disciples dont nous venons de parler, revinrent donc sans délai à Jérusalem, et à l'exception de Thomas , qui était absent, ils trouvèrent tous les autres Disciples réunis , auxquels ils racontèrent ce qui venait de leur arriver. Ils apprirent en même temps que le Seigneur était ressuscité et qu'il était apparu à Simon.
Alors (1) Jésus se présente à eux, les portes étant fermées et leur dit : La paix soit avec vous. Aussitôt les Disciples se prosternent devant lui et , après s'être accusés de l'avoir si indignement abandonné , ils l'accueillent avec une grande joie. Le Seigneur leur dit alors :« Levez-vous, mes frères, tous vos péchés vous sont remis. » Il demeure donc familièrement au milieu d'eux, leur montre ses mains et son côté , leur ouvre l'esprit pour leur faire comprendre les Écritures et les convaincre de sa Résurrection. Il leur demande s'ils ont là quelque chose à manger, et mange devant eux un morceau de poisson rôti et un rayon de miel. Enfin (2) il souffle sur eux en disant: Recevez le Saint-Esprit.
(1) Luc, 24. — Jean., 20. — (2) Jean., 20.
Le Christ apparaît à ses disciples
Vous le voyez, toutes ces circonstances sont pleines de charme et de consolations. Aussi les Disciples, si effrayés naguères, sont-ils , en revoyant leur Maître, transportés d'une joie qui éclate en sa présence. Oh! qu'ils sont heureux de lui présenter ce poisson, ce rayon de miel ! Avec quel soin ils le servent, avec quel plaisir ils le contemplent ! Remarquez aussi que Marie était là , car les Disciples s'étaient réunis à elle. Voyez-la, contemplant toutes ces choses avec une inexprimable joie , s'asseyant familièrement auprès de son Fils, et lui prodiguant autant qu'elle le peut les soins les plus empressés . Notre Seigneur reçoit aussi volontiers tous les services qui lui viennent d'une main si chère et , devant ses Disciples, il rend à sa Mère les hommages les plus respectueux.
N'oubliez pas non plus Madeleine, l'Élève bien-aimée de Jésus, l'Apôtre des Apôtres. Considérez-la assise, suivant sa coutume, aux pieds de son Maître; voyez avec quelle attention elle écoute ses paroles , avec quelle joie , quelle profonde affection elle lui rend elle-même tous les services qui sont en son pouvoir. Oh ! quelle idée devons-nous concevoir de cette petite maison ! et qu'il nous serait doux d'y fixer notre demeure ! Pour peu que vous ayez de piété, ne trouvez- vous pas qu'il y eut encore là une grande Pâque ? Pour moi , je n'en puis douter. Mais Notre Seigneur resta alors peu de temps avec eux , parce que la nuit approchait. Néanmoins il est probable que pour l'obliger à prolonger un peu sa visite, ils le prièrent de ne pas se retirer si tôt. Ne pensez-vous pas que Madeleine, toujours assise à ses pieds , osait, avec une respectueuse confiance, l'empêcher de s'éloigner si vite en le retenant par ses vêtements ? Car Jésus était revêtu d'une robe éclatante de blancheur, ornement de sa gloire. En agissant ainsi , Madeleine n'était pas téméraire. Elle aimait tant! elle était si aimée ! Cela lui inspirait de la confiance, et cette confiance ne déplaisait pas au divin Maître. Notre Seigneur aime qu'on le retienne, comme nous l'avons vu ci-dessus dans l'apparition aux deux Disciples qui allaient à Emmaüs. Enfin Jésus , après avoir rendu ses devoirs à sa Mère et pris congé d'elle , les bénit tous et se retira.
Tous alors se prosternèrent à ses pieds et le supplièrent de revenir bientôt. Car, accoutumés par le passé à jouir si abondamment de la présence de leur divin Maître , ils avaient une faim et une soif ardente de le revoir et le rappelaient souvent par leurs désirs et par leurs soupirs. Vous venez de voir combien de fois aujourd'hui vous avez pu faire la Pâque; car toutes ces apparitions eurent lieu le jour de Pâques. Mais si vous n'avez pas assez compati aux douleurs de Jésus dans sa Passion , tout ce que je viens de rapporter aura peut-être plus frappé votre esprit que touché votre cœur ; car il me semble que si , en méditant les douleurs de la Passion , vous saviez y compatir et garder le recueillement de votre esprit au lieu de le partager en l'occupant aux inutilités, aux curiosités de ce monde , vous sentiriez à chaque fois les consolations de ces Pâques ou de ces apparitions de Jésus-Christ. Et cela pourrait même vous arriver tous les dimanches si , les vendredis et samedis, vous vous prépariez à recevoir ces grâces , en appliquant tout votre esprit à la Passion de Notre Seigneur; puisque, selon l'Apôtre : (1) Nous ne serons associés aux consolations de Jésus qu'autant que nous aurons pris part à ses souffrances.
(1) 2. Corinthiens 1
Fin de la Méditation
JÉSUS APPARAÎT A JOSEPH d'ARIMATHIE, A SAINT JACQUES LE MINEUR ET A PIERRE.
Ayant quitté les trois Marie, Notre Seigneur Jésus- Christ apparut à Joseph , par les soins duquel il avait été enseveli. C'était pour cela que les Juifs l'avait arrêté et renfermé dans une petite chambre bien scellée. Ils se proposaient même de le mettre à mort après le jour du Sabbat. Notre Seigneur se montra donc à lui, lui essuya, lui baisa le visage ; puis, sans briser les scellés , il le reporta chez lui. Jésus apparut aussi à saint Jacques le mineur qui avait fait vœu de ne pas manger avant d'avoir vu Notre Seigneur ressuscité. Jésus s'adressant à cet Apôtre et à ceux qui étaient avec lui , leur dit : Dressez la table. Ensuite prenant du pain, il le bénit et le donna à saint Jacques en disant : « Mangez maintenant , mon cher frère , car le Fils de l'homme est ressuscité. » Ce fait est rapporté par saint Jérôme (1).
(1) Hier. Lib. de Scrip. ecc, in Jac.
Or, au moment où Madeleine et ses compagnes, rentrées à la maison, disent aux Disciples que le Seigneur est ressuscité, Pierre affligé de ne pas encore avoir vu son divin Maître et ne pouvant modérer la vivacité de son amour, quitte à l'instant ces femmes et retourne seul au sépulcre, ne voyant pas d'autre lieu où il pût aller chercher Jésus. Pendant qu'il poursuivait son chemin , Notre Seigneur lui apparut et lui dit : « Simon , la paix soit avec vous. » Aussitôt Pierre , frappant sa poitrine , se jette tout en pleurs aux pieds de Jésus et lui dit : «Je suis bien coupable, je l'avoue; car je vous ai abandonné et renié plusieurs fois. » Puis il lui baisa les pieds. Mais Notre Seigneur le relève, l'embrasse et lui dit: « Allez en paix, ne craignez rien, tous vos péchés vous sont remis; j'avais prévu votre faute et je vous l'ai prédite. Allez donc maintenant, affermissez vos frères et ayez vous-même confiance, car j'ai vaincu la mort, tous vos ennemis et tous vos adversaires.»
Ce fut donc encore une grande Pâque pour saint Pierre. Pendant que Notre Seigneur demeure et s'entretient ainsi avec son Apôtre, Pierre l'examine et observe tout avec attention. Puis, ayant reçu la bénédiction de son divin Maître, il retourne et raconte à Marie et aux autres Disciples tout ce qui vient de se passer. Or vous devez savoir que l'Évangile ne parle point de l'apparition que Notre Seigneur fit à sa Mère ; mais je l'ai rapportée et je l'ai même placée avant toutes les autres apparitions parce que l'Église la regarde comme certaine, ainsi que le prouve clairement une légende sur la résurrection de Notre Seigneur.
CHAPITRE LXXXX.
NOTRE SEIGNEUR APRÈS SA RÉSURRECTION VA RETROUVER LES SAINTS PÈRES.
Comme Notre Seigneur Jésus-Christ, après avoir quitté Simon-Pierre, n'avait pas encore, depuis sa Résurrection , visité les Saints Pères qu'il avait laissés dans le Paradis de délices, il vint les retrouver et s'avança vers eux revêtu d'une robe blanche et environné d'une multitude d'Anges. Le voyant de loin s'approcher d'eux dans cet appareil de gloire, les Saints Pères furent remplis d'une joie inexprimable et le reçurent au bruit des acclamations, des cantiques de bénédictions et de louanges , s'écriant tous ensemble : Voici notre Roi; venez, courons tous au-devant de notre Sauveur, son règne commence et n'aura jamais de fin. Le jour éternel des Saints luit enfin pour nous ; venez tous, adorons ensemble le Seigneur. Et se prosternant à ses pieds, ils l'adorèrent.
Puis, s'étant relevés et l'environnant avec une respectueuse allégresse, ils mirent le comble à leurs louanges en disant : Il est vainqueur le Lion de la tribu de Juda; notre chair brille déjà de l'éclat d'une jeunesse éternelle. En vous voyant, nous sommes remplis d'une sainte joie, vous répandez sur nous d'intarissables délices. Vous êtes ressuscité; nous nous réjouirons, nous tressaillerons de joie en vous qui êtes la gloire de votre peuple. Vous régnerez dans tous les siècles et votre empire s'étendra de génération en génération. Rien ne pourra nous séparer de vous, vous nous ressusciterez aussi, et nous exalterons le nom du Seigneur. Notre Précurseur est entré pour nous dans les Cieux, où il réside en qualité de Pontife éternel. Voici le jour que le Seigneur a fait, passons-le dans les transports d'une sainte joie. Voici le jour de notre Rédemption, le jour si longtemps attendu de notre réparation et de notre bonheur éternel. Aujourd'hui une douce rosée est descendue des deux, parce que, du haut de sa Croix , le Seigneur règne sur tout l'univers. Le Seigneur est monté sur son trône; la gloire est son vêtement, la force est la ceinture de ses reins. Chantez à l'Éternel un Cantique nouveau, parce qu'il a opéré des merveilles. C'est sa droite, c'est son bras saint qui nous ont sauvés pour sa gloire. Nous sommes maintenant son peuple et les brebis de son pâturage. Venez, adorons-le .
Vers le soir, Notre Seigneur dit aux saints Pères: « J'ai compassion de mes frères, parce qu'affligés et effrayés par ma mort, ils sont dispersés comme des brebis errantes et désirent ardemment de me revoir. Je vais donc m 'offrir à leurs regards pour les fortifier et les consoler ; après quoi je reviendrai au milieu de vous. » A ces mots les Saints Pères se prosternent en disant :« Qu'il nous soit fait selon votre parole.
CHAPITRE LXXXXI.
APPARITION DE NOTRE SEIGNEUR A DEUX DISCIPLES QUI ALLAIENT A EMMAÛS.
Pendant que deux des Disciples de Notre Seigneur , qui avaient presque perdu l'espérance de sa Résurrection, s'avançaient fort affligés vers le bourg d'Emmaüs, s'entretenant en chemin de ce qui venait de se passer, Jésus vint les joindre sous la figure d'un voyageur et se mit à marcher avec eux , les interrogeant, leur répondant et leur donnant les plus utiles instructions rapportées dans l'Évangile. Enfin cédant à leurs instances , il entra avec eux et se manifesta à leurs yeux.
Or, arrêtez-vous ici pour considérer attentivement la bonté et l'indulgence de votre adorable Maître. Remarquez d'abord que son ardente charité ne peut consentir à laisser ainsi ses frères dans l'erreur et dans l'affliction. Ami sûr, compagnon fidèle, excellent Maître, il se joint à eux , leur demande la cause de leur tristesse et leur explique les Écritures, embrasant leurs cœurs comme le fer dans la fournaise , pour en extirper toute la rouille.
Le Christ avec les disciples d`Emmaüs
Et, c'est ainsi qu'il en agit spirituellement avec nous tous les jours. En effet si, dans nos irrésolutions, dans nos découragements, il nous arrive de parler de Jésus, aussitôt il vient à nous, il affermit, il éclaire notre cœur et l'embrase même du feu de son amour ; car, parler de Dieu est le meilleur remède contre de semblables maladies de l'âme. Ce qui fait dire au Prophète : (1) Vos paroles, Seigneur , sont plus douces à mon cœur que le miel ne l'est à ma bouche. Et encore : (2) Seigneur, vos paroles sont un feu consumant; elles ont embrasé d'amour le cœur de votre serviteur. Penser à Dieu produit aussi de semblables effets; ce qui fait dire au même Prophète : (3) Mon cœur s'est échauffé au-dedans de moi ; des flammes ardentes l'ont embrasé dans la méditation.
Jugez en second lieu de la bonté de Jésus, non pas seulement, comme je viens de le dire , par l'excès de son amour, mais encore par son profond abaissement. En effet voyez avec quelle humilité il daigne marcher eu leur compagnie; le Souverain de l'univers chemine avec ses serviteurs, comme aurait fait un de leurs égaux. Ne dirait-on pas qu'il s'est remis à la pratique élémentaire de l'humilité ? C'est un exemple que nous devons imiter. Mais une autre preuve de son humilité , c'est qu'il ne dédaigne pas des Disciples d'un ordre inférieur.
(1) Psaume 108. — (2) Ibid. — (3) Psaume 38.
Car ce n'étaient pas des Apôtres, mais quelques-uns des derniers Disciples de Jésus, et cependant il se joint familièrement à eux , voyage et s'entretient avec eux. Ce n'est pas ainsi qu'en agissent les orgueilleux; ce n'est qu'avec des hommes distingués par leur rang ou par leur fortune qu'ils consentent à s'entretenir et à voyager. On peut encore remarquer ici une troisième preuve de l'humilité de Jésus. Observez en effet la conduite des orgueilleux et vous verrez que ce n'est pas devant un petit nombre d'auditeurs qu'ils débitent leurs phrases ampoulées, tandis que c'est devant deux Disciples seulement que Notre Seigneur explique ses plus profonds mystères; il ne dédaigne point de parler devant un si petit auditoire, pas même devant une seule personne, comme on l'a vu précédemment dans son entretien avec la Samaritaine.
En troisième lieu, voyez comment, dans cette circonstance , Jésus fait éclater sa bonté en donnant à ses Disciples une leçon pratique de morale, en les ranimant et les consolant. Observez donc comment il feint de vouloir aller plus loin, afin qu'en leur donnant un plus grand désir de le conserver, ils l'invitent à demeurer et le retiennent parmi eux. Voyez ensuite avec quelle bonté il entre avec eux, prend du pain, et après l'avoir béni de ses mains très-saintes, le rompt, le leur présente, et se révèle à eux. Et tous les jours il en agit invisiblement de la même manière avec nous, car il veut que nous nous efforcions de le retenir par nos désirs, nos prières et de saintes méditations.
C'est pourquoi (1) Il faut toujours prier et ne jamais se lasser, comme il nous l'a recommandé et enseigné par son propre exemple , et cela afin de nous porter à nous acquitter avec soin des devoirs de la piété et de l'hospitalité, et de nous faire comprendre qu'il ne suffît pas de lire , ou d'écouler la parole de Dieu , mais qu'il faut la mettre en pratique. Vous pourrez trouver à ce sujet de plus amples instructions dans l'homélie que saint Grégoire a faite (2) sur l'Évangile que nous méditons.
(1) Luc, 17. — (2) S. Greg. hom. 23. In Evang.
Or, Notre Seigneur ne laissa pas longtemps les deux Disciples d'Emmaüs jouir du bonheur de sa présence, mais aussitôt qu'il leur eût présenté le pain, il s'évanouit à leurs yeux. Car il voulait faire goûter à ses autres Disciples une consolation que partagèrent en même temps les Disciples d'Emmaüs.
CHAPITRE LXXXXII.
NOTRE SEIGNEUR APPARAÎT LE JOUR DE LA RÉSURRECTION A TOUS LES DISCIPLES ASSEMBLÉS.
Les deux Disciples dont nous venons de parler, revinrent donc sans délai à Jérusalem, et à l'exception de Thomas , qui était absent, ils trouvèrent tous les autres Disciples réunis , auxquels ils racontèrent ce qui venait de leur arriver. Ils apprirent en même temps que le Seigneur était ressuscité et qu'il était apparu à Simon.
Alors (1) Jésus se présente à eux, les portes étant fermées et leur dit : La paix soit avec vous. Aussitôt les Disciples se prosternent devant lui et , après s'être accusés de l'avoir si indignement abandonné , ils l'accueillent avec une grande joie. Le Seigneur leur dit alors :« Levez-vous, mes frères, tous vos péchés vous sont remis. » Il demeure donc familièrement au milieu d'eux, leur montre ses mains et son côté , leur ouvre l'esprit pour leur faire comprendre les Écritures et les convaincre de sa Résurrection. Il leur demande s'ils ont là quelque chose à manger, et mange devant eux un morceau de poisson rôti et un rayon de miel. Enfin (2) il souffle sur eux en disant: Recevez le Saint-Esprit.
(1) Luc, 24. — Jean., 20. — (2) Jean., 20.
Le Christ apparaît à ses disciples
Vous le voyez, toutes ces circonstances sont pleines de charme et de consolations. Aussi les Disciples, si effrayés naguères, sont-ils , en revoyant leur Maître, transportés d'une joie qui éclate en sa présence. Oh! qu'ils sont heureux de lui présenter ce poisson, ce rayon de miel ! Avec quel soin ils le servent, avec quel plaisir ils le contemplent ! Remarquez aussi que Marie était là , car les Disciples s'étaient réunis à elle. Voyez-la, contemplant toutes ces choses avec une inexprimable joie , s'asseyant familièrement auprès de son Fils, et lui prodiguant autant qu'elle le peut les soins les plus empressés . Notre Seigneur reçoit aussi volontiers tous les services qui lui viennent d'une main si chère et , devant ses Disciples, il rend à sa Mère les hommages les plus respectueux.
N'oubliez pas non plus Madeleine, l'Élève bien-aimée de Jésus, l'Apôtre des Apôtres. Considérez-la assise, suivant sa coutume, aux pieds de son Maître; voyez avec quelle attention elle écoute ses paroles , avec quelle joie , quelle profonde affection elle lui rend elle-même tous les services qui sont en son pouvoir. Oh ! quelle idée devons-nous concevoir de cette petite maison ! et qu'il nous serait doux d'y fixer notre demeure ! Pour peu que vous ayez de piété, ne trouvez- vous pas qu'il y eut encore là une grande Pâque ? Pour moi , je n'en puis douter. Mais Notre Seigneur resta alors peu de temps avec eux , parce que la nuit approchait. Néanmoins il est probable que pour l'obliger à prolonger un peu sa visite, ils le prièrent de ne pas se retirer si tôt. Ne pensez-vous pas que Madeleine, toujours assise à ses pieds , osait, avec une respectueuse confiance, l'empêcher de s'éloigner si vite en le retenant par ses vêtements ? Car Jésus était revêtu d'une robe éclatante de blancheur, ornement de sa gloire. En agissant ainsi , Madeleine n'était pas téméraire. Elle aimait tant! elle était si aimée ! Cela lui inspirait de la confiance, et cette confiance ne déplaisait pas au divin Maître. Notre Seigneur aime qu'on le retienne, comme nous l'avons vu ci-dessus dans l'apparition aux deux Disciples qui allaient à Emmaüs. Enfin Jésus , après avoir rendu ses devoirs à sa Mère et pris congé d'elle , les bénit tous et se retira.
Tous alors se prosternèrent à ses pieds et le supplièrent de revenir bientôt. Car, accoutumés par le passé à jouir si abondamment de la présence de leur divin Maître , ils avaient une faim et une soif ardente de le revoir et le rappelaient souvent par leurs désirs et par leurs soupirs. Vous venez de voir combien de fois aujourd'hui vous avez pu faire la Pâque; car toutes ces apparitions eurent lieu le jour de Pâques. Mais si vous n'avez pas assez compati aux douleurs de Jésus dans sa Passion , tout ce que je viens de rapporter aura peut-être plus frappé votre esprit que touché votre cœur ; car il me semble que si , en méditant les douleurs de la Passion , vous saviez y compatir et garder le recueillement de votre esprit au lieu de le partager en l'occupant aux inutilités, aux curiosités de ce monde , vous sentiriez à chaque fois les consolations de ces Pâques ou de ces apparitions de Jésus-Christ. Et cela pourrait même vous arriver tous les dimanches si , les vendredis et samedis, vous vous prépariez à recevoir ces grâces , en appliquant tout votre esprit à la Passion de Notre Seigneur; puisque, selon l'Apôtre : (1) Nous ne serons associés aux consolations de Jésus qu'autant que nous aurons pris part à ses souffrances.
(1) 2. Corinthiens 1
Fin de la Méditation
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
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