MÉDITATIONS SUR LA VIE JESUS-CHRIST TRADUITES DE SAINT BONAVENTURE - 14 eme siecle
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MÉDITATIONS SUR LA VIE JESUS-CHRIST TRADUITES DE SAINT BONAVENTURE - 14 eme siecle
TABLE DES CHAPITRES
Avant-Propos de S. Bonaventure
PREMIÈRE PARTIE.
Pressante intercession des Anges en notre faveur.
Débat élevé entre la Miséricorde et la Justice , la Vérité et la Paix .
De la vie de la sainte Vierge et des sept demandes qu'elle adressait à Dieu.
De l'Incarnation de Jésus-Christ.
Comment la sainte Vierge visita sainte Élisabeth. — Origine des cantiques Magnificat
et Benedictus.
Comment Joseph forma le dessein de quitter Marie ; et comment Dieu permet
quelquefois que ses plus fidèles serviteurs soient éprouvés par la tribulation.
DEUXIÈME PARTIE
Naissance de Jésus-Christ, et autres choses relatives.
Circoncision et larmes de Jésus-Christ.
De l'Épiphanie ou de la Manifestation du Seigneur.
Séjour de Marie dans l'étable.
Purification de la sainte Vierge.
TROISIÈME PARTIE.
Fuite de Notre Seigneur en Égypte.
Notre Seigneur revient de l'Égypte.
Jésus demeure à Jérusalem.
De ce que fit Jésus depuis douze jusqu'à trente ans.
Baptême de Notre Seigneur Jésus-Christ.
Jeûne et tentations de Jésus-Christ. Son retour près de sa Mère. — Quatre
moyens pour obtenir la pureté du cœur. — Plusieurs avantages de l'oraison.
Nécessité de combattre la gourmandise. — Pourquoi et pour qui Dieu fait des miracles.
QUATRIÈME PARTIE
Jésus ouvre dans la Synagogue le livre du prophète Isaïe.
De la vocation des Disciples.
L'eau changée en vin aux noces de Cana.
Sermon de Notre Seigneur sur la montagne. — Il parle d'abord de la pauvreté.
Jésus guérit le serviteur d'un centurion et le fils d'un officier.
Du paralytique descendu par le toit aux pieds de Jésus qui le guérit.
Guérison de la belle-mère de Simon .
Sommeil de Jésus dans la barque.
Le Seigneur ressuscite le Fils d'une veuve.
Résurrection d'une jeune fille et guérison de Marthe.
Conversion de Madeleine , et réflexions à ce sujet.
Saint Jean envoie ses Disciples à Jésus.
Mort de Jean-Baptiste.
Entretien de Jésus avec la Samaritaine.
On veut précipiter Jésus -Christ du haut d'une montagne.
Jésus guérit un homme dont la main était desséchée.
De la multiplication des pains , et comment Jésus pourvoit aux besoins de ceux qui l'aiment.
Notre Seigneur fuit lorsqu'on veut le faire roi. — Réflexions contre les honneurs du monde.
Comment Notre Seigneur pria sut la montagne , et après en être descendu et marcha sur la mer. Considérations sur la prière .
La Chananéenne.—Avec quelle fidélité nous sommes servis par nos Anges. Gardiens. — Citation remarquable.
Comment quelques-uns se scandalisèrent des paroles de Notre Seigneur.
Récompenses promises à ceux qui quittent tout.
Notre Seigneur demande à ses Disciples ce que l'on disait de lui.
Transfiguration de Notre Seigneur sur la montagne du Thabor.
Jésus chasse du Temple les vendeurs et les acheteurs.
De la piscine probatique, et en outre qu'il ne faut pas juger témérairement
ses frères.
Les Disciples de Jésus arrachent quelques épis ; et à cette occasion considérations sur la pauvreté.
CINQUIÈME PARTIE
Des différentes fonctions de Marthe et de Marie ; et en même temps de la contemplation , laquelle se divise en deux parties.
La vie active doit précéder la vie contemplative.
De la prédication ; puis de sept choses auxquelles il faut s'exercer avant que d'enseigner les autres.
Des exercices de la vie active. ( Non inclus)
Des exercices de la vie contemplative. (Non inclus)
Qu'il y a trois espèces de contemplation. ( Non inclus)
De la contemplation de l'humanité de Jésus-Christ. ( Non inclus)
De la contemplation de la Cour céleste. ( Non Inclus)
De la contemplation de la divine Majesté , et de quatre manières de faire
cette contemplation. ( Non Inclus)
De quelle manière on doit se conduire dans la vie active. — Citation importante de saint Bernard. ( Non inclus)
De quelle manière il faut se conduire dans la vie contemplative. ( Non inclus)
De quatre obstacles à la contemplation. ( Non Inclus)
La vie contemplative l'emporte sur la vie active. (Non Inclus)
Trois motifs déterminent à revenir de la vie contemplative à la vie active. ( Non Inclus)
On prouve ensuite que la foi sans les œuvres est morte. ( Non Inclus)
Comment Notre Seigneur, sous la parabole des vignerons qui mettent à mort le fils de leur maître, annonce aux Juifs que l'Église sera transférée aux Gentils.
Comment les Pharisiens essayèrent de surprendre Jésus dans ses discours.
Guérison de l'aveugle de Jéricho ; diverses réflexions à ce sujet.
Comment Notre Seigneur entra dans la maison de Zachée.
Guérison de l'aveugle né.
Comment Notre Seigneur s'enfuit du Temple et se cacha lorsque les Juifs
voulurent le lapider.
Comment on voulut une seconde fois lapider Jésus.
Résurrection de Lazare.
Jésus maudit un figuier.
De la femme surprise en adultère.
Conspiration des Prêtres et des Pharisiens contre Jésus et sa fuite dans la ville d'Ephrem.
Retour de Jésus à Béthanie où Marie- Madeleine lui oignit les pieds.
Jésus monté sur un ânon fait son entrée à Jérusalem. — Motifs pour lesquels Jésus a trois fois répandu des larmes.
Notre Seigneur annonce à sa mère qu'il va bientôt mourir.
La cène de Notre Seigneur; puis de la table et de la manière dont il s'y mit avec ses Disciples. — De cinq
exemples de vertus donnés par Jésus-Christ dans la cène , et de cinq choses à méditer dans le discours
que Notre Seigneur fit après la cène.
SIXIÈME PARTIE
Méditations sur la Passion de Notre- Seigneur en général.
Méditation sur la Passion de Jésus-Christ avant matines.
Méditations sur la Passion de Jésus-Christ à l'heure de prime.
Méditation sur la Passion à l'heure de tierce.
Méditation sur la Passion de Jésus-Christ à l'heure de sexte.
Méditation sur la Passion de Jésus-Christ à l'heure de none.
Le cœur de Jésus est ouvert par la lance.
Méditation à l'heure de vêpres.
A l'heure de complies.
Méditation après complies.
SEPTIÈME PARTIE
Méditation sur ce que firent Marie et ses compagnes le jour du sabbat.
Méditation sur la descente de Notre- Seigneur Jésus-Christ aux enfers le jour du sabbat.
HUITIÈME PARTIE
De la Résurrection de Notre Seigneur, et comment il apparut d'abord à sa Mère le jour du Dimanche.
Marie-Madeleine et les deux autres Marie viennent au sépulcre ; Pierre et Jean y accourent.
Apparition de Jésus aux trois Marie.
Jésus apparaît à Joseph, d'Arimathie, à St Jacques le Mineur et à Pierre.
Notre Seigneur après sa Résurrection va retrouver les saints Pères.
Apparition de Notre Seigneur à deux Disciples qui allaient à Emmaüs.
Notre Seigneur apparaît le jour de la Résurrection à tous les Disciples assemblés.
Huit jours après la Résurrection, Jésus apparaît à ses Disciples , Thomas étant avec eux.
Notre Seigneur apparaît à ses Disciples en Galilée.
Jésus apparaît à ses Disciples au bord de la mer de Tibériade.
De l'apparition de Notre Seigneur à plus de cinq cents frères réunis , et de quelques autres apparitions.
De l'Ascension de Notre Seigneur.
De l'envoi du Saint-Esprit. — Désir de la patrie céleste et de la mort qui peut nous y conduire.
Deux manières de méditer la vie de Jésus-Christ , l'une selon la chair, l'autre selon l'esprit.
De quelle manière il faut méditer la vie de Jésus-Christ, et conclusion de cet ouvrage.
MÉDITATIONS SUR LA VIE JESUS-CHRIST TRADUITES DE SAINT BONAVENTURE
PAR M. LEMAIRE-ESMANGARD,
ANCIEN ÉLÈVE DE L'ÉCOLE POLYTECHNIQUE. Vers l`année 1300 en latin – traduction en français - Année 1851
AVANT-PROPOS DE SAINT BONAVENTURE,
Dans les panégyriques qui ont été faits des vertus et des mérites de sainte Cécile, on lit qu'elle portait constamment caché dans son sein l'Évangile de Jésus-Christ. Ce qui semble signifier qu'elle avait choisi dans l'Évangile quelques traits de la vie de Notre Seigneur plus propres à exciter sa piété, qu'elle les méditait nuit et jour avec une grande pureté et une grande droiture de cœur, avec une singulière et fervente attention, et que, reprenant et recommençant sans cesse ces Méditations, les ruminant doucement et les savourant avec délices en elle-même, elle les déposait au fond de son cœur. Je vous conseille d'en faire autant. Car je crois que , de tous les exercices de la vie spirituelle , cette pratique est la plus nécessaire , la plus utile et la plus capable de nous élever au plus haut degré de la perfection. En effet vous ne trouverez nulle part , aussi bien que dans la vie si pure et si parfaite de Jésus-Christ , les enseignements dont vous avez besoin pour vous prémunir contre les attraits des choses vaines et périssables, contre les tribulations (malheurs) et les adversités , et contre les dangers auxquels vous exposent les tentations de vos ennemis et vos propres passions.
Il est évident que la Méditation fréquente et habituelle de la vie de Jésus-Christ donne à notre âme une telle familiarité, une si grande confiance, un si parfait amour, qu'elle n'éprouve plus pour le reste que dégoûts et que mépris. Elle y puise en outre les lumières et les forces qui lui sont nécessaires pour faire ce qui lui est commandé et pour éviter ce qui lui est défendu. Je dis d'abord que la Méditation continuelle de la vie de Notre Seigneur fortifie et affermit notre âme contre l'attrait des choses vaines et périssables , comme on le voit dans ce que nous rapportions ci-dessus de sainte Cécile dont le cœur était si rempli des exemples de la vie de Jésus-Christ, qu'aucune chose vaine n'y pouvait pénétrer; ce qui fit qu'assistant un jour à l'une de ces cérémonies nuptiales où se trouvent tant de pompeuses vanités , le bruit des instruments ne put l'empêcher de rester constamment occupée de Dieu auquel elle adressait ces paroles : « Seigneur , conservez-moi la pureté du corps et du cœur, afin que je ne sois pas éternellement confondue. »
Secondement, la Méditation de la vie de Jésus-Christ fortifie contre les tribulations et les adversités , comme on le voit dans les Martyrs. Ce qui fait dire à saint Bernard : « C'est en pensant avec beaucoup de dévotion aux plaies de Jésus-Christ , c'est en s'y fixant par une continuelle Méditation que l'on puise la force de supporter les supplices. Là, le corps tout couvert de plaies, les entrailles déchirées par le fer , le Martyr tressaille d'allégresse comme sur un char de triomphe. Et où est donc l'âme de ce Martyr ? Dans les plaies de Jésus- Christ; oui, dans ses plaies ouvertes pour le recevoir. Si elle demeurait en elle-même, pensant à elle-même, assurément elle sentirait l'atteinte du fer , elle ne pourrait supporter la douleur, elle succomberait et trahirait sa foi. » Telles sont les paroles de saint Bernard.
Voilà pourquoi non-seulement les Martyrs , mais aussi les Confesseurs ont eu et ont encore tous les jours tant de patience dans leurs tribulations et leurs infirmités. Lisez la vie de saint François et celle de la vierge sainte Claire , votre Mère et votre guide , et vous pourrez voir comment , au milieu des tribulations , des peines et des infirmités les plus multipliées , ils se montrèrent non seulement patients, mais pleins de joie.
Les personnes qui vivent saintement vous offrent tous les jours le même spectacle ; ce qui vient de ce que leurs âmes n'étaient et ne sont , pour ainsi dire, pas unies à leur corps , mais à Jésus-Christ, par une pieuse méditation de sa vie. Je dis en troisième lieu que cette Méditation nous instruit si parfaitement de ce que nous devons faire, que nous n'avons à craindre ni les attaques de nos ennemis , ni les égarements de nos passions , et cela parce que cette pratique nous élève à la perfection de toutes les vertus.
Car où trouverait-on , aussi bien que dans la vie du Maître de toutes les vertus , des exemples et des leçons d'extrême pauvreté, de parfaite humilité , de profonde sagesse, d'oraison, de douceur, de patience, d'obéissance et de toutes les autres vertus ? Sur quoi saint Bernard dit ces courtes paroles : « C'est donc en vain que l'on travaille à acquérir les vertus , si l'on se flatte de les trouver autre part qu'en Celui qui en est le Maître. Sa doctrine est la source féconde de la sagesse , sa miséricorde le fondement de la Justice , sa vie le miroir de la tempérance et sa mort le signe glorieux de la force et du courage. »
Concluons donc de ce que dit saint Bernard que celui qui suit Jésus- Christ ne peut ni être trompé, ni s'égarer. En méditant souvent ses vertus, le désir ardent de les imiter et de les acquérir s'allume dans le cœur; bientôt la vertu brille en nous d'un si vif éclat que l'on semble revêtu de sa lumière et que l'on sait discerner la vérité de l'erreur. De là vient que plusieurs, quoiqu' ignorants et sans instruction, ont pénétré les plus grands mystères de Dieu.
Où pensez-vous que saint François ait puisé toutes les vertus qui abondaient en lui , une intelligence si éclairée des saintes Écritures, une si parfaite connaissance des ruses de nos ennemis et de celles de nos passions , sinon dans le commerce habituel qu'il entretenait par la méditation avec Jésus-Christ son divin Maître ? C'est parce qu'il s'était appliqué, avec tant d'ardeur, à se rendre semblable à Lui qu'il en devint comme la copie la plus vivante. Car il l'imitait le plus parfaitement qu'il le pouvait dans toutes les vertus. Et Jésus ayant enfin complété et perfectionné cette ressemblance par l'impression de ses sacrés stigmates, le transforma entièrement en lui-même.
Vous voyez donc à quelle élévation peut conduire la Méditation de la vie de Jésus-Christ; ajoutez encore qu'elle est comme un échelon qui nous aide à monter jusqu'aux degrés les plus sublimes de la contemplation , parce qu'on y trouve une onction qui, purifiant et élevant peu à peu notre âme, lui communique sur toute chose une science dont nous nous occuperons plus tard. Maintenant j'ai pensé à vous offrir ce traité comme une espèce d'introduction à la méditation de la vie de Jésus-Christ.
Mais j'aurais voulu que ce travail vous fût offert par une main plus habile et plus expérimentée ; car je reconnais mon incapacité, surtout en pareille matière. Toutefois pensant que, sur ce sujet , je ferais mieux de dire , bien ou mal, quelque chose que de garder entièrement le silence, je vais, quelle que soit mon impuissance, essayer de m'entretenir familièrement avec vous dans un langage simple et sans recherche, tant pour que vous puissiez mieux saisir ce que je vous dirai que pour vous porter à y chercher plutôt ce qui nourrit l'âme que ce qui charme l'oreille. Car ce n'est point à de belles phrases , mais à la méditation de la vie de Jésus-Christ qu'il faut ici s'attacher. Et je me sens encouragé par l'opinion de saint Jérôme dont voici les paroles : « Un langage simple et commun pénètre jusqu'au cœur; un discours élégant ne sert qu'à repaître l'oreille. »
Au reste , j'espère que , malgré ma faiblesse et votre inexpérience, je ne vous serai pas tout-à-fait inutile, et ce qui fortifie cette espérance , c'est que , si vous voulez vous appliquer assidument à ces méditations , Celui qui en est l'objet , Notre Seigneur, vous apprendra lui-même à les faire. Mais ne pensez pas que l'on puisse méditer ou que l'on ait écrit toutes les paroles ou toutes les actions de Jésus telles qu'il les a réellement dites ou faites. Toutefois je me propose, pour vous toucher davantage, de vous présenter
les choses comme si elles se passaient actuellement sous vos yeux, comme on peut croire qu'elles sont réellement arrivées ou qu'elles ont pu arriver , en se les figurant à l'aide de quelques représentations imaginaires que l'esprit conçoit de diverses manières.
Car il nous est permis de recourir aux différents moyens qui nous semblent les plus propres à faciliter la méditation, l'exposition et l'intelligence des saintes Écritures , pourvu cependant qu'il n'y ait rien de contraire à la vérité des faits , à la justice, à l'enseignement de l'Église, à la foi et aux bonnes mœurs. Lors donc que je vous dirai : « Jésus a ainsi parlé , Jésus a fait cela, » ou que j'entrerai dans quelqu'autres détails, si cela n'est pas dans l'Évangile, ne donnez pas plus de foi à mes paroles que n'en exige une pieuse méditation , c'est-à-dire recevez-les comme si je vous disais : « Pensez que Jésus a fait et dit cela , » et ainsi dans tous les cas semblables. Si donc vous voulez retirer quelque fruit de ces méditations, imaginez-vous que vous êtes aussi présente à ce qu'on vous rapporte avoir été dit ou fait par Notre Seigneur Jésus- Christ que si vous l'entendiez de vos oreilles et le voyiez de vos yeux, c'est-à-dire avec tous les sentiments affectueux, avec l'attention , la délicieuse émotion et le recueillement dont vous êtes capable, éloignant de vous tout autre soin , toute autre sollicitude. Je vous prie donc , ma chère Fille , de recevoir avec joie et de méditer avec encore plus de joie, de dévotion et d'empressement, ce travail que j'ai entrepris pour la gloire de Jésus-Christ , votre profit spirituel et ma propre utilité.
Il faudrait parler d'abord de l'Incarnation ; mais il m'a semblé que nous pouvions méditer quelques évènements qui se sont passés avant l'Incarnation , soit dans le Ciel à l'égard de Dieu et de ses saints Anges, soit sur la terre à l'égard de la très-glorieuse Vierge; et c'est aussi par-là que nous allons commencer.
LES MÉDITATIONS de la Vie DE JÉSUS-CHRIST.
(dimanche)
CHAPITRE I.
PRESSANTE INTERCESSION DES ANGES EN NOTRE FAVEUR.
Depuis très-longtemps , plus de cinq mille ans , le genre humain demeurait enseveli dans un abîme de misère; nul homme, à cause du péché d'Adam, ne pouvait s'élever à la céleste patrie. Touchés d'un si grand malheur et désirant réparer leurs propres désastres, les bienheureux Esprits angéliques, à l'approche de la plénitude des temps , rassemblés tous et prosternés devant le trône de l'Éternel , renouvelèrent avec plus de ferveur les instances que, tant de fois, ils avaient déjà faites et lui adressèrent les supplications suivantes : « Seigneur , votre Majesté sainte , pour manifester son infinie bonté, daigna former l'homme créature raisonnable dans le dessein de l'élever avec nous au séjour de votre gloire , et de réparer ainsi les pertes que nous ont fait éprouver la chute des mauvais Anges; mais, vous le voyez, voilà que tous périssent; nul ne peut se sauver, et, dans le cours de tant de siècles, tous les enfants d'Adam sont devenus la proie de nos ennemis. Ainsi, ce ne sont point nos légions ravagées , ce sont les abîmes de l'enfer qu'ils vont combler en foule. Pourquoi donc, Seigneur , les avez-vous créés ? Pourquoi livrer à la fureur des esprits immondes des âmes qui confessent votre nom (1)?
Et si jusqu'à présent votre justice l'a ainsi voulu , les jours de votre miséricorde ne sont-ils pas arrivés ? Si l'imprudence des premiers humains leur a fait transgresser votre sainte loi , votre miséricorde ne peut-elle pas tout réparer? Souvenez-vous que vous avez créé les hommes à votre image. Ouvrez avec bonté votre main et comblez-les de vos miséricordes. Comme les yeux des serviteurs fidèles s'attachent aux mains de leurs maîtres (2), ainsi les regards de vos enfants restent fixes sur vous jusqu'à ce que, touché de compassion , vous apportiez aux misères du genre humain un remède salutaire. »
(1) Psaume 73. — (2) Psaume 122.
CHAPITRE II.
DÉBAT ÉLEVÉ ENTRE LA MISÉRICORDE ET LA JUSTICE, LA VÉRITÉ ET LA PAIX.
Après cette prière , la Miséricorde et la Paix réunies pressaient le cœur du Père céleste de soulager tant de maux ; mais la Vérité et la Justice le poussaient en sens inverse. Aussi s'engagea-t-il entr'elles un grand débat que saint Bernard rapporte dans un long et admirable discours dont,' autant que je le pourrai, je vais brièvement retracer les principaux traits. Car j'ai dessein de citer fréquemment dans cet opuscule les délicieuses paroles de ce grand saint, en les abrégeant , pour l'ordinaire , afin d'éviter les longueurs. Or voici le sommaire de ce qu'il dit à ce sujet(l) :
La Miséricorde disait donc à Dieu : « Rejetterez- vous , Seigneur, vos enfants pour jamais, ou plutôt oublierez vous toujours de leur pardonner (2) ? » Et ces paroles, elle ne cessait de les répéter. Le Seigneur répondit :«Appelez vos sœurs qui, vous le savez, sont disposées à vous contredire et entendons-les à leur tour. » On les appela, et la Miséricorde commença ainsi : « Votre créature intelligente, l'homme est malheureux , et sa misère est si grande , qu'elle ne peut se passer de la bonté compatissante de son Dieu ; le jour du pardon est arrivé, bientôt il va passer. » La Vérité répliqua : « Seigneur , il faut accomplir la sentence que vous avez prononcée : qu'Adam meure tout entier avec tous ceux qu'il renfermait en lui-même au moment où sa main coupable osa toucher au fruit défendu. » La Miséricorde insista : « Seigneur , pourquoi m'avez-vous faite ? et la Vérité ignore-t-elle que vous m'anéantissez si vous ne pardonnez jamais ? » La Vérité dit au contraire : « Si le coupable échappe à votre sentence, votre Vérité périt aussi et cesse d'être éternelle. »
(I) Discours Ier. De Annuntiatione. — (2) Ps. 76.
La décision de la question fut alors remise au Fils de Dieu. La Vérité et la Miséricorde répétèrent devant lui les mêmes arguments, et la Vérité ajoutait : « Je confesse Seigneur, que la Miséricorde est animée d'un zèle louable , mais ce zèle n'est pas selon la justice, puisqu'elle aime mieux épargner le coupable que sa propre sœur. — Et vous, dit la Miséricorde, vous n'épargnez ni l'une ni l'autre, car l'excès de votre indignation contre le coupable vous conduit à sacrifier votre sœur avec lui ». Mais la Vérité alléguait avec non moins de force : « Seigneur, cet argument se tourne contre vous-même, et s'il triomphe , il est à craindre qu'il n'ait pour résultat d'anéantir la parole de votre Père. » La Paix dit à son tour : « Mettez fin à ces débats , ils sont peu convenables entre les Vertus. »
C'était là une grave discussion, solidement et fortement motivée de part et d'autre. On ne voyait pas comment la Miséricorde et la Vérité pourraient subsister à la fois à l'égard de l'homme. Le Roi traça son jugement qu'il donna à lire à la Paix alors plus rapprochée de lui; il était conçu en ces termes : « L'une de vous dit : Je suis anéantie si Adam n'est livré à la mort ; l'autre s'écrie : Je péris, s'il n'obtient grâce. Pour contenter l'une et l'autre , que la mort soit désormais un bien. » A ces paroles de la Sagesse suprême, on s'étonne et l'on consent universellement à ce qu'Adam subisse la mort en obtenant miséricorde.
Mais on demande comment cette mort, dont le seul nom fait frémir, pourra devenir un bien. Le roi répond, (1) : « La mort des pécheurs est très-mauvaise, mais la mort des saints est précieuse, et la porte de la vie (2). Que l'on me trouve un juste qui , sans être sujet à la mort, consente à mourir par charité pour ses frères, et alors ce juste triomphera de la puissance de la mort et ouvrira par elle un passage à ceux qu'il aura délivrés. »
(1) Ps.33. — (2) Ps. 113.
Cette décision satisfit les Vertus. « Mais, dirent-elles , où trouver un juste si charitable? » Alors la Vérité descendit de nouveau sur la terre, et la Miséricorde demeura dans le ciel ; car, dit le prophète, votre Miséricorde, Seigneur, remplit les Cieux et votre Vérité s'élève jusqu'aux nues (1).
La Vérité parcourt donc l'univers et n'y peut trouver un seul homme sans tache , pas même l'enfant qui vient de naître (2). De son côté, la Miséricorde explore soigneusement l'immensité des cieux , et n'y découvre personne qui eût assez de charité pour faire un si grand sacrifice; car nous sommes tous des serviteurs de Dieu, et lorsque nous faisons quelque bien, nous devons dire avec saint Luc : Nous ne sommes que des serviteurs inutiles (3) . Or, n'ayant pu trouver personne qui fût assez charitable pour donner sa vie afin de sauver des serviteurs inutiles (4), les deux Vertus se réunirent, au jour marqué devant le roi , plus inquiètes encore qu'elles ne l'étaient avant leur séparation. Voyant qu'elles n'avaient pas trouvé ce qu'elles désiraient, la Paix leur dit : Vous ne savez rien, vous ne pensez à rien (5). Il n'est pas d'homme qui fasse le bien , il n'y en a pas même un seul. Mais que celui qui nous propose une telle difficulté nous aide à la résoudre. Le Roi comprit ce vœu et dit : « Je me repens d'avoir fait l'homme (6); mais c'est moi qui expierai le crime de ma créature rebelle. Puis , ayant appelé l'archange Gabriel , il lui dit : Allez , dites à la fille de Sion : Voici que votre Roi vient à vous plein de douceur et de miséricorde (7). » Là finit le récit de saint Bernard.
(1) Ps. 35. — (2) Joh., 23. — {3) Saint Luc, 18. —
(4) Saint Jean., 18. — (5) Ps. 13. — (6) Genèse, 7. —
(7) Zach., 9.
Comprenez donc à quel danger nous a exposé et nous expose encore le péché, et combien il est difficile de trouver un remède à un si grand mal. Pour sortir d'embarras, les Vertus s'accordèrent à choisir spécialement la personne du Fils. Car d'un côté la Miséricorde et la Paix n'osaient en quelque sorte s'adresser à la personne du Père, dont la puissance leur paraissait trop redoutable; d'autre part, la Justice et la Vérité hésitaient de recourir au Saint-Esprit, à cause de sa bonté infinie ; la personne du Fils fut donc acceptée comme terme moyen entre ces deux extrêmes. Ce que je dis ici ne doit pas être pris au pied de la lettre, mais comme une approximation de ce qui s'est passé. Alors s'accomplirent ces paroles du prophète : La Miséricorde et la Vérité se sont rencontrées , la Justice et la Paix se sont embrassées (1). Et c'est ainsi que nous pouvons méditer ce qui s'est alors passé dans le ciel.
(1) Ps. 84
CHAPITRE III.
DE LA VIE DE LA SAINTE VIERGE ET DES SEPT DEMANDES QU'ELLE ADRESSAIT A DIEU.
Quant à la sainte Vierge , en qui s'opéra le mystère de l'Incarnation , nous pouvons méditer sa vie. Vous y verrez qu'à l'âge de trois ans , Marie fut, par ses parents, consacrée au temple, où elle demeura jusqu'à sa quatorzième année ; et si nous voulons savoir ce qu'elle y fit, nous pouvons l'apprendre par les révélations qu'elle en fit elle-même à l'une de ses plus fidèles servantes que l'on croit être Sainte Élisabeth (1), dont nous célébrons la fête avec tant de solennité. Entre autres détails, on y trouve ce qui suit : «Aussitôt, dit Marie, que mes parents m'eurent laissée dans le temple, je résolus intérieurement de considérer désormais Dieu comme mon père. Dans ma pieuse sollicitude , je cherchais souvent par quel moyen je pourrais plaire au Seigneur, et mériter ainsi qu'il daignât m'accorder sa grâce. A cet effet, je me fis instruire de la loi sainte de mon Dieu.
Mais , de tous les préceptes de la loi divine , mon cœur s'appliqua à garder particulièrement les trois suivants : 1° Vous aimerez le Seigneur votre Dieu de tout votre cœur, de toute votre âme, de tout votre esprit et de toutes vos forces. 2° Vous aimerez votre prochain comme vous-même. 3° Vous haïrez le démon , ( l`ange déchu) votre ennemi. J'eus toujours , dit Marie , ces trois préceptes présents à l'esprit, et avec eux, en même temps, l'intelligence des vertus qu'ils prescrivent. C'est ainsi, ma fille, que vous devez faire vous-même; car on ne peut avoir aucune vertu , si l'on n'aime Dieu de tout son cœur. Cet amour, en effet, est la source féconde de la grâce sans laquelle aucune vertu ne peut germer ni se conserver dans une âme, mais s'échappe bientôt comme une vapeur légère , si l'on ne hait souverainement ses ennemis , je veux dire les vices et les péchés. Ainsi, que celui qui veut obtenir et conserver la grâce , règle en lui, comme il convient, et cet amour et cette haine. Je veux donc que vous fassiez exactement ce que je faisais moi-même.
(1) Sainte Élisabeth de Hongrie. — Lisez la vie de cette grande sainte, si admirablement écrite par M. le comte de Montalembert.
Or , j'avais l'habitude de me lever au milieu de la nuit et d'aller me prosterner devant l'autel du temple; et là, avec tous les désirs, toute la volonté, toute l'ardeur dont j'étais capable , je demandais à celui qui peut tout, la grâce d'observer ces trois préceptes et tous les autres commandements de la loi , et , me tenant toujours au pied de l'autel , j'adressais au Seigneur les sept demandes suivantes. 1° Je lui demandais la grâce dont j'avais besoin pour accomplir ce précepte de charité qui consiste à l'aimer de tout son cœur, et le reste; 2° la grâce d'aimer le prochain comme Dieu le veut et l'entend, et de m'affectionner à tout ce qui lui plaît et qu'il aime; 3° je le conjurais de me faire détester et fuir tout ce qui lui déplaît; 4° je lui demandais l'humilité, la patience, la bonté, la douceur et toutes les vertus qui pourraient me rendre agréable à ses yeux ; 5° je le suppliais de me faire connaître le moment où viendrait cette Vierge bienheureuse qui devait engendrer le Fils de Dieu, de me conserver des yeux pour la voir, une langue pour la louer, des mains pour la servir, des pieds pour exécuter ses ordres, des genoux pour adorer le Fils de Dieu incarné dans son sein virginal ; 6° je lui demandais la grâce de me conformer aux ordres et aux dispositions du Grand-Prêtre préposé à la garde du temple; 7° enfin, je le priais de conserver, pour son service , le temple et tout son peuple. »
Ainsi parla Marie à la servante du Seigneur. Élisabeth lui dit : « 0 mon aimable souveraine, n'étiez-vous donc pas pleine de grâces et de vertus.» — «Sois convaincue , répondit la bienheureuse Vierge , que je me regardais comme aussi coupable, aussi méprisable et aussi indigne de la grâce de Dieu que toi-même; voilà pourquoi je sollicitais avec tant d'instance la grâce et les vertus. »
Marie me dit encore : « Tu crois peut-être , ma fille, que j'ai obtenu sans peine toutes les grâces dont j'ai été favorisée ; mais il n'en est pas ainsi. Je t'assure , au contraire, qu'à l'exception de la sanctification dont je fus prévenue dès ma Conception, je n'ai reçu de Dieu aucunes grâces, faveurs ou vertus sans les avoir sollicitées par de vives instances , de continuelles prières , d'ardents désirs, une profonde piété, des larmes m abondantes et de grandes mortifications , m'appliquant sans cesse, selon mes lumières et mon pouvoir, à ne dire ou penser que ce qui pouvait plaire au Seigneur. Sois assurée , ajouta-t-elle , que sans la prière et la mortification des sens , l'âme ne peut recevoir aucun écoulement de la grâce; mais quand nous avons offert à Dieu tout ce dont nous sommes capables dans notre indigence, il vient lui-même en notre âme, et l'enrichit de ses dons suréminents. L'âme semble alors défaillir en elle-même; elle oublie tout le passé , et ne se souvenant plus d'avoir fait ou dit rien qui puisse plaire au Seigneur, elle se croit encore plus vile et plus méprisable qu'elle ne le fut jamais. »
Là finissent les révélations de Marie sur sa vie. Mais saint Jérôme écrit sur le même sujet : « La bienheureuse Vierge avait ainsi réglé l'emploi de son temps ; depuis le matin jusqu'à la troisième heure elle vaquait uniquement à la prière ; elle s'occupait d'un travail extérieur depuis la troisième jusqu'à la neuvième heure ; puis elle reprenait l'exercice de la prière qu'elle n'interrompait qu'à l'apparition de l'Ange, de la main duquel elle avait coutume de recevoir sa nourriture, et elle croissait en piété et en amour de Dieu. Aussi était-elle la première dans les saintes veilles , la plus instruite dans la connaissance de la Loi divine , la plus humble entre les humbles, la plus habile au chant des psaumes , la plus éminente en charité , la plus éclatante en pureté et la plus parfaite en toutes sortes de vertus : car sa constance était imperturbable, et quoiqu'elle s'efforçât tous les jours de s'élever à une plus haute perfection, la moindre agitation de l'âme ne parut jamais dans sou air ou dans ses paroles ; sa conversation était pleine de tant de grâces , qu'il était facile de connaître que Dieu réglait tous ses discours. Elle persévérait dans l'oraison et la méditation de la Loi de Dieu. Dans sa sollicitude pour ses compagnes , elle veillait à ce qu'aucune d'elles n'offensât Dieu dans ses paroles , à ce qu'aucune ne se livrât à une joie trop bruyante , à ce qu'aucune n'adressât à une autre des paroles de mépris ou d'orgueil. Elle bénissait Dieu en toute chose; et, pour ne point cesser de le faire, elle répondait aux salutations qu'on lui adressait : Rendons grâces à Dieu. Ainsi c'est à elle que remonte l'usage où sont tous les saints personnages de répondre, Deo gratias, à ceux qui les saluent. La nourriture qu'elle recevait de la main de l'Ange suffisait pour réparer ses forces , et elle distribuait aux pauvres les aliments que lui donnaient les Prêtres du Temple. Tous les jours, on voyait l'Ange du Seigneur s'entretenir avec elle avec autant de déférence qu'on en a à l'égard de la plus tendre sœur ou de la mère la plus chérie.»
Voilà tout ce que dit saint Jérôme. A l'âge de quatorze ans , la sainte Vierge Marie fut fiancée à Joseph , par l'inspiration de Dieu , puis elle revint à Nazareth ; vous trouverez les détails de ces circonstances dans la légende de sa Nativité. Voilà ce que nous pouvons méditer sur les évènements antérieurs à l'Incarnation de Notre Seigneur Jésus-Christ: repassez-les souvent dans votre esprit et mettez-y vos délices, les gravant avec amour dans votre mémoire et les réduisant en pratique, car ils sont très-édifiants. Maintenant passons à l'Incarnation.
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: MÉDITATIONS SUR LA VIE JESUS-CHRIST TRADUITES DE SAINT BONAVENTURE - 14 eme siecle
CHAPITRE IV.
DE L'INCARNATION DE JÉSUS-CHRIST.
Lors donc que le temps fut pleinement accompli , ou plutôt lorsque , cédant à l'amour qu'elle portait aux hommes , pressée par sa miséricorde et par les instances des saints, l'adorable Trinité eût résolu, après la retour de la sainte Vierge à Nazareth , de mettre à exécution le dessein qu'elle avait formé d'opérer le salut du genre humain par l'Incarnation du Verbe, le Tout-Puissant appela l'Archange Gabriel et lui donna cet ordre : « Va trouver Marie, notre fille bien-aimée, fiancée à Joseph, et dis-lui que, ravi du charme de ses vertus, mon Fils l'a choisie pour sa Mère. Demande-lui de consentir avec joie à le recevoir dans son sein ; car j'ai résolu d'opérer par son entremise le salut du monde et de pardonner l'outrage que m'a fait le premier homme. »
Arrêtez-vous ici et souvenez-vous de ce que je vous ai dit précédemment, afin de pouvoir assister en esprit à tout ce qui se dit et se fait en ce moment. Représentez-vous donc le Seigneur et considérez-le, autant qu'il est possible de voir un être incorporel; contemplez-le comme un grand roi , assis sur un trône élevé , prononçant ces paroles d'un air doux, tendre et paternel, comme prêt à se réconcilier ou comme déjà réconcilié avec ses enfants ; figurez-vous aussi l'Archange Gabriel , qui , d'un air gracieux et satisfait, fléchissant les genoux, baissant les yeux avec une crainte respectueuse , écoute attentivement les ordres du Seigneur son Dieu. Plein d'une douce allégresse, l'Archange se lève à l'instant, et d'un vol rapide , il se précipite du haut des cieux , et le voici en un moment, sous une forme humaine, en présence de la Vierge Marie qu'il trouve retirée dans la chambre de sa petite maison de Nazareth. Mais quelle que fût la vitesse de sa course , Dieu le devança près de Marie , et il trouva la sainte Trinité prévenant ainsi l'ambassadeur céleste.
Car remarquez bien que, quoique le Fils de Dieu se soit seul revêtu de notre nature , la Trinité tout entière coopéra à la grande œuvre de l'Incarnation, à-peu-près comme si deux personnes placées aux côtés d'une autre, tenaient les manches de sa robe pour l'aider à s'en vêtir.
Maintenant, considérez avec attention, et, comme si vous étiez vous-même témoin de ce prodige , tâchez de bien comprendre tout ce qui va se dire et se faire. Oh ! qu'elle fut grande alors, et qu'elle doit l'être encore aujourd'hui dans votre méditation, cette humble petite maison où se sont réunis de tels personnages , où se sont accomplis de tels évènements ! Car quoique la sainte Trinité soit partout présente, vous comprenez qu'elle était en quelque sorte spécialement alors en ce lieu , à cause de l'œuvre particulière qu'elle y exerçait. Gabriel s'étant, en fidèle serviteur, approché de Marie, lui dit : « Je vous salue, ô pleine de grâce ; le Seigneur est avec vous , vous êtes bénie entre toutes les femmes.»
Troublée de cette salutation, Marie garda le silence. Son trouble n'était pas causé par le péché , il ne l'était pas non plus par la vue d'un Ange, car elle était accoutumée aux fréquentes apparitions de ces esprits célestes ; mais, comme l'observe l'Évangile , elle se troubla à cause du discours de l'Ange , pensant à la nouveauté de cette salutation si différente de celles qu'elle avait coutume d'entendre ; et , observant que trois éloges y étaient contenus , il était impossible que l'humble Vierge n'en fût pas alarmée. On la louait, en effet, de ce qu'elle était pleine de grâce, de ce que le Seigneur était avec elle, enfin, de ce qu'elle était bénie au-dessus de toutes les femmes.
Or, une personne humble ne peut s'entendre louer sans rougir et sans s'émouvoir. Une honnête et vertueuse pudeur causa donc le trouble de Marie ; elle sentait aussi s'élever dans son cœur quelque doute sur la vérité des louanges qui lui étaient adressées , non par défiance de la sincérité de l'Ange, mais par une disposition particulière aux humbles , qui les portent à oublier leurs mérites et à ne faire attention qu'à leurs défauts. Et c'est ainsi que la considération des uns et des autres contribue à leur avancement , leurs plus sublimes vertus leurs paraissant médiocres et leurs moindres imperfections des vices énormes.
Sagement prudente, modestement timide, elle ne fit donc aucune réponse. Que pouvait-elle en effet répondre ! — Apprenez d'elle à vous taire et à aimer le silence ; c`est une grande et précieuse vertu dont elle vous a donné l'exemple; car ce ne fut qu'après avoir deux fois entendu l'Ange qu'elle fit sa première réponse. Rien en effet n'est plus insupportable dans une Vierge que l'intempérance des paroles.
Or l'Ange , pénétrant le motif de son hésitation , lui dit : « Ne craignez rien, Marie, et ne vous troublez point de mes louanges, car elles vous sont dues ; puisque, non seulement vous avez en vous-même la grâce dans sa plénitude , mais que vous avez recouvré de Dieu ce don précieux et l'avez restitué à tout le genre humain. Voici donc que vous concevrez et que vous enfanterez le Fils du Très-Haut. Celui qui vous a choisie pour sa Mère sera le Sauveur de tous ceux qui espèrent en lui . » Alors, sans accepter, sans rejeter les louanges qui lui étaient adressées ; mais beaucoup plus préoccupée de la manière dont s'opérerait ce prodige , et désirant surtout savoir si sa virginité n'en souffrirait aucune atteinte , elle interrogea l'Ange sur le mode de sa conception , et lui dit : « Comment se fera ce que vous m'annoncez ? car j'ai irrévocablement consacré à Dieu ma virginité , avec la résolution de ne jamais connaître d'homme.»
L'Ange répondit : « Cela s'accomplira par l'opération du Saint-Esprit ; vous en serez remplie d'une manière particulière , et vous concevrez par sa vertu sans perdre votre virginité. C'est pourquoi celui que vous enfanterez sera appelé le Fils de Dieu , auquel d'ailleurs rien n'est impossible ; car voici qu'Élisabeth , votre cousine , quoique stérile et avancée en âge, porte dans son sein , depuis six mois , un fils qu'elle a conçu par la vertu de Dieu. »
Arrêtez-vous, de grâce, et contemplez avec une profonde attention comment la sainte Trinité, présente à cette scène , fixe ses augustes regards sur cette Vierge , sa fille privilégiée, et , dans l'attente de sa réponse et de son consentement , observe avec une affectueuse complaisance sa pudeur, ses dispositions et ses paroles; considérez aussi l'Ange, employant pour la déterminer, le langage circonspect de la prudence et du zèle , s'inclinant respectueusement devant sa souveraine : son air est calme et serein , il l'emplit son message avec une exacte fidélité , il observe attentivement les paroles de Marie , afin d'y répondre avec convenance et d'accomplir dans cette œuvre admirable la volonté du Seigneur. Observez encore la posture humble et timide de la sainte Vierge ; une douce pudeur couvre son front à l'apparition de l'Ange qui la prévient , ses louanges inattendues ne l'élèvent point , ne lui donnent pas meilleure opinion d'elle-même, et lorsqu'elle apprend qu'il va s'opérer en elle des choses si merveilleuses qu'on n'en a jamais annoncé de pareilles à personne, elle les attribue uniquement à la grâce de Dieu.
Apprenez à son exemple à pratiquer la pudeur et l'humilité; car, sans ces vertus, la virginité elle-même est bien peu de chose. La Vierge très-prudente, satisfaite de ce qu'elle vient d'entendre, consent aux propositions de l'Ange et, comme on le voit dans les révélations qu'elle en a faites , elle s'incline avec une profonde soumission , et dit en joignant les mains : Voici la servante du Seigneur; qu'il me soit fait selon votre parole. A l'instant même, le Fils de Dieu se précipite dans le sein de la Vierge bénie, y prend un corps et y demeure tout entier , sans cesser d'être tout entier dans le sein de son Père.
Votre piété peut ici se figurer comment le Fils de Dieu, en acceptant cet acte d'obéissance, ce pénible ministère, s'inclina devant son Père et se recommanda à lui; comment son âme, créée au même instant et unie à son corps, fit de lui un homme parfait, possédant dans une extrême petitesse tous les caractères de l'humanité ; de sorte que , comme les autres enfants, il prenait naturellement de continuels accroissements dans le sein de sa Mère; mais, par une exception particulière, du moment de la conception et sans aucun intervalle de temps , l'âme se trouva unie au corps et les membres parfaitement distingués les uns des autres. C'était donc un homme parfait, un Dieu parfait; et par conséquent, dès lors, tout aussi sage, tout aussi puissant qu'il l'est maintenant.
Alors Gabriel se prosterna avec Marie; bientôt, se relevant comme elle , après s'être profondément incliné, ainsi qu'il l'avait déjà fait , il prit congé d'elle , disparut , et de retour dans la patrie céleste, il raconta toutes ces choses , qui furent pour ses heureux habitants le sujet d'une joie nouvelle, d'une fête nouvelle et d'une allégresse infinie.
Pour Marie, plus enflammée, plus embrasée que jamais de l'amour de Dieu, ayant la conscience de sa conception miraculeuse, elle s'agenouilla et rendit grâces à Dieu d'un si grand bienfait, le suppliant avec une pieuse humilité de daigner lui donner les lumières nécessaires, afin de pouvoir s'acquitter parfaitement de tout ce qu'elle aurait à faire à l'égard de son Fils. Quant à vous, considérez combien ce jour est solennel; qu'il remplisse votre cœur d'une sainte allégresse et qu'il soit toujours pour vous un jour de joie et de bonheur; car rien de semblable ne s'était vu dans les siècles précédents et ne s'est vu jusqu'à présent.
Cette fête, en effet, est le jour solennel où Dieu le Père célébra les noces de son Fils, s'unissant pour toujours à la nature humaine ; c'est le jour des noces du Fils de Dieu, le jour de sa naissance dans le sein de Marie, présage de celui où il en sortira pour naître dans le monde; c'est le jour de la gloire de l' Esprit-Saint à cause de l'opération unique et admirable de l'Incarnation du Verbe qui lui est attribuée ; c'est en ce jour qu'il commença à manifester sa bonté singulière pour les hommes ; c'est le jour des grandeurs de notre Reine , jour auquel le père la reconnut et l'adopta pour sa Fille, le Fils pour sa Mère, et le Saint-Esprit pour son Épouse ; c'est le jour de la fête solennelle de tous les habitants du ciel , puisqu'il commence la réparation de leurs pertes; mais bien plutôt , c'est le jour de fête de la nature humaine , puisque c'est l'origine de son salut, de sa rédemption , de sa réconciliation ; puisque ce jour la relève et la déifie en quelque sorte; c'est le jour où Dieu le Père commanda de nouveau à son Fils d'achever l'œuvre de notre salut; c'est le jour où le Verbe se précipitant des hauteurs du ciel , s'élança comme un géant pour parcourir sa carrière (1) , et se renferma, comme en un jardin délicieux, dans le sein virginal de Marie ; c'est le jour encore où il daigna se faire l'un d'entre nous , notre frère et le compagnon de notre pèlerinage ; c'est le jour où la lumière véritable est descendue du ciel pour éclairer et dissiper nos ténèbres ; aujourd'hui le pain vivant qui donne la vie au monde est préparé dans le sein de la Sainte-Vierge ; aujourd'hui le Verbe se fait chair afin d'habiter parmi nous (2); aujourd'hui sont enfin entendus et exaucés les cris et les vœux exprimés par les Patriarches et les Prophètes, lorsque dans leurs ineffables désirs ils disaient : Seigneur, envoyez l'Agneau dominateur de la terre , etc. (3) ; et encore : 0 deux, donnez votre rosée (4); et encore : Que ne bridez-vous, Seigneur, les voûtes du firmament pour descendre enfin parmi nous (5); et encore : Seigneur, abaissez la hauteur des Cieux cl descendez sur la terre (6); et encore : Seigneur, montrez-nous votre visage et nous serons sauvés (7) ; et les autres semblables textes des Patriarches et des Prophètes dont l'Écriture est toute remplie , car ce jour fut constamment l'objet de leur attente et de leurs plus ardents désirs.
Ce jour est aussi le principe et le fondement de toutes les solennités, et la source de tout notre bonheur. Car jusque-là le Seigneur, à cause de la désobéissance de nos premiers parents, ne jetait plus sur le genre humain que des regards d'indignation ; mais désormais la vue de son Fils incarné pour les hommes désarmera pour toujours sa colère. Ce jour enfin est considéré comme étant la plénitude des temps. Voyez donc combien cette œuvre est admirable et combien cette fête est solennelle : tout en est délicieux , ravissant, désirable; tout y doit exciter notre dévotion , notre allégresse et les transports de notre joie ; tout y est digne de nos respects et de notre vénération. Méditez donc assidûment ce mystère, prenez-y vos délices, vous y trouverez toujours de nouveaux charmes , et, peut-être, le Seigneur vous en donnera une plus parfaite intelligence.
(1) Ps. 18. — (2) Saint Jean , 1. — (3)Isaï,16. —
(4) Isaï,45. - (5) Isaï,64. — (6) Ps. 143. — (7) Ps.79.
CHAPITRE V.
COMMENT LA SAINTE VIERGE VISITA SAINTE ELISABETH.
origine des cantiques Magnificat et Benedictus.
Après le départ de l'Ange, Marie se rappelant ce qu'il lui avait appris au sujet de sa cousine Élisabeth, se proposa de la visiter pour lui offrir tout à la fois ses félicitations et ses services. Elle partit donc de Nazareth avec Joseph son époux , pour se rendre au domicile d'Élisabeth , éloigné de Jérusalem d'environ quatorze à quinze milles. La difficulté, la longueur de la route ne la retardent pas , elle marche en toute hâte , parce qu'elle ne voulait pas s'exposer trop longtemps au regard du public : d'où l'on voit que sa grossesse n'appesantissait pas sa marche , comme il arrive aux autres femmes , car Jésus ne fut jamais à charge à sa Mère. Considérez donc ici comment la reine du ciel et de la terre voyage seule avec son époux , sans monture , mais à pied ; elle n'est point suivie d'une multitude de barons ou de soldats, elle n'est point entourée d'une foule de dames d'honneur ou de filles de service ; là , elle s'avance escortée de pauvreté, d'humilité, de pudeur et de l'honorable assemblage de toutes les vertus ; le Seigneur est aussi avec elle , accompagné d'une nombreuse escorte d'honneur, bien différente de la vaine pompe des mondains.
En entrant chez sa cousine, elle la prévient en disant : « Je vous salue, ma sœur Élisabeth ». Pleine de joie et d'allégresse, embrasée de l'Esprit-Saint, Élisabeth se lève, l'embrasse avec une extrême tendresse, et s'écrie dans son ravissement : Vous êtes bénie entre toutes les femmes, et le fruit de vos entrailles est béni; et d'où me vient ce bonheur que la mère de mon Dieu daigne me visiter, etc (1).
Au moment où Marie saluait Élisabeth , l'enfant qu'elle portait dans son sein, saint Jean, fut rempli du Saint-Esprit, Élisabeth en fut aussi remplie; toutefois elle ne le fut pas avant son fils, mais celui-ci lui communiqua de sa plénitude. Ce ne fut pas , à la vérité , par une opération propre du fils sur l'âme de la mère, mais saint Jean , ayant reçu le premier et avec plus d'abondance la grâce du Saint-Esprit , mérita par là que cette brillante effusion s'étendit jusqu'à sa mère, et de même qu'Élisabeth reconnut en Marie son auguste qualité de Mère de Dieu , de même Jean sentit la présence de son Seigneur : voilà pourquoi l'un tressaillit d'allégresse, et l'autre prophétisa. Observée quelle est la puissance des paroles de Marie, puisqu'en les prononçant elle communique à ceux qui les entendent la grâce du Saint-Esprit.
(1) Luc.,1.
Elle était, en effet, si remplie de cette grâce que, par ses mérites, le même esprit remplissait aussi tous ceux qui l'approchaient. Marie, répondit à Élisabeth , en s'écriant : Mon âme glorifie le Seigneur, etc., achevant dans le même moment ce cantique sublime de ravissement et de louange.
Ensuite , se disposant à s'asseoir, l'humble Marie se place à l'endroit le plus bas aux pieds d'Élisabeth ; mais celle-ci se levant à l'instant et ne pouvant souffrir cette déférence, la releva aussitôt et la fit asseoir près d'elle. Alors Marie interroge sa cousine sur le prodige de sa conception , et Élisabeth demande aussi à Marie comment elle est devenue mère. Elles se donnent réciproquement et avec joie des détails sur ces deux conceptions , elles en bénissent le Seigneur, et emploient à lui en rendre grâce plusieurs jours qu'elles passèrent dans une sainte allégresse.
La Sainte Vierge demeura près de trois mois chez sa cousine , lui prodiguant avec humilité et une pieuse révérence tous les secours et tes services qu'elle pouvait lui rendre , comme si elle eût oublié qu'elle était la Mère de Dieu et la Reine de tout l'univers. Qu'elle est sacrée la maison , qu'elles sont saintes la chambre et la modeste couche qu'habitent et où reposent en commun de telles mères , enceintes de tels fils , Marie et Élisabeth , Jésus et saint Jean! Là se trouvent aussi deux vénérables vieillards, Zacharie et Joseph.
Élisabeth étant parvenue au terme de sa grossesse, mit au monde son fils; Marie le prit entre ses bras et s'empressa de lui donner tous les secours que réclamait sa situation. L'enfant la regardait affectueusement comme s'il eût compris ce qu'elle était, et lorsqu'elle le présentait à sa mère , ses yeux se tournaient vers Marie , et il semblait n'avoir de bonheur que dans cette douce contemplation; Marie lui souriait gracieusement, le pressait contre son cœur et le couvrait de ses délicieux baisers.
Voyez quelle fut la gloire de Jean-Baptiste : nul enfant ne fut jamais si honorablement porté. Je pourrais encore citer ici plusieurs autres privilèges considérables dont il fut favorisé; je n'y insiste pas pour le moment. Le huitième jour, l'enfant fut circoncis et reçut le nom de Jean. En ce moment , Zacharie recouvra la parole et prophétisa en ces termes : Que le Seigneur, le Dieu d'Israël , soit à jamais béni, etc., et ce fut ainsi que les deux admirables cantiques Magnificat et Benedictus eurent leur origine dans la maison de Zacharie.
La sainte Vierge qui , dans le dessein de se dérober aux regards des hommes réunis pour la circoncision de saint Jean , se tenait cachée derrière un rideau , écoutait avec une vive attention ce cantique où il était si admirablement parlé de son fils , et toutes ces paroles, elle les déposait soigneusement dans son cœur. Enfin après avoir pris congé d'Élisabeth et de Zacharie , et béni saint Jean, elle retourna à la petite maison qu'elle habitait à Nazareth. Et durant ce voyage, rappelez-vous de nouveau son extrême indigence.
Observez que dans le pauvre asile où elle va rentrer, elle ne trouvera ni pain , ni boisson, ni aucune des choses nécessaires à la vie; car elle n'avait ni argent , ni propriété. Elle vient de passer trois mois chez des parents peut-être fort à l'aise , et elle retourne à sa première pauvreté : la voilà de nouveau réduite à pourvoir à sa subsistance par le travail des mains. Soyez touchée de sa misère et que l'amour de la pauvreté embrase votre cœur.
DE L'INCARNATION DE JÉSUS-CHRIST.
Lors donc que le temps fut pleinement accompli , ou plutôt lorsque , cédant à l'amour qu'elle portait aux hommes , pressée par sa miséricorde et par les instances des saints, l'adorable Trinité eût résolu, après la retour de la sainte Vierge à Nazareth , de mettre à exécution le dessein qu'elle avait formé d'opérer le salut du genre humain par l'Incarnation du Verbe, le Tout-Puissant appela l'Archange Gabriel et lui donna cet ordre : « Va trouver Marie, notre fille bien-aimée, fiancée à Joseph, et dis-lui que, ravi du charme de ses vertus, mon Fils l'a choisie pour sa Mère. Demande-lui de consentir avec joie à le recevoir dans son sein ; car j'ai résolu d'opérer par son entremise le salut du monde et de pardonner l'outrage que m'a fait le premier homme. »
Arrêtez-vous ici et souvenez-vous de ce que je vous ai dit précédemment, afin de pouvoir assister en esprit à tout ce qui se dit et se fait en ce moment. Représentez-vous donc le Seigneur et considérez-le, autant qu'il est possible de voir un être incorporel; contemplez-le comme un grand roi , assis sur un trône élevé , prononçant ces paroles d'un air doux, tendre et paternel, comme prêt à se réconcilier ou comme déjà réconcilié avec ses enfants ; figurez-vous aussi l'Archange Gabriel , qui , d'un air gracieux et satisfait, fléchissant les genoux, baissant les yeux avec une crainte respectueuse , écoute attentivement les ordres du Seigneur son Dieu. Plein d'une douce allégresse, l'Archange se lève à l'instant, et d'un vol rapide , il se précipite du haut des cieux , et le voici en un moment, sous une forme humaine, en présence de la Vierge Marie qu'il trouve retirée dans la chambre de sa petite maison de Nazareth. Mais quelle que fût la vitesse de sa course , Dieu le devança près de Marie , et il trouva la sainte Trinité prévenant ainsi l'ambassadeur céleste.
Car remarquez bien que, quoique le Fils de Dieu se soit seul revêtu de notre nature , la Trinité tout entière coopéra à la grande œuvre de l'Incarnation, à-peu-près comme si deux personnes placées aux côtés d'une autre, tenaient les manches de sa robe pour l'aider à s'en vêtir.
Maintenant, considérez avec attention, et, comme si vous étiez vous-même témoin de ce prodige , tâchez de bien comprendre tout ce qui va se dire et se faire. Oh ! qu'elle fut grande alors, et qu'elle doit l'être encore aujourd'hui dans votre méditation, cette humble petite maison où se sont réunis de tels personnages , où se sont accomplis de tels évènements ! Car quoique la sainte Trinité soit partout présente, vous comprenez qu'elle était en quelque sorte spécialement alors en ce lieu , à cause de l'œuvre particulière qu'elle y exerçait. Gabriel s'étant, en fidèle serviteur, approché de Marie, lui dit : « Je vous salue, ô pleine de grâce ; le Seigneur est avec vous , vous êtes bénie entre toutes les femmes.»
Troublée de cette salutation, Marie garda le silence. Son trouble n'était pas causé par le péché , il ne l'était pas non plus par la vue d'un Ange, car elle était accoutumée aux fréquentes apparitions de ces esprits célestes ; mais, comme l'observe l'Évangile , elle se troubla à cause du discours de l'Ange , pensant à la nouveauté de cette salutation si différente de celles qu'elle avait coutume d'entendre ; et , observant que trois éloges y étaient contenus , il était impossible que l'humble Vierge n'en fût pas alarmée. On la louait, en effet, de ce qu'elle était pleine de grâce, de ce que le Seigneur était avec elle, enfin, de ce qu'elle était bénie au-dessus de toutes les femmes.
Or, une personne humble ne peut s'entendre louer sans rougir et sans s'émouvoir. Une honnête et vertueuse pudeur causa donc le trouble de Marie ; elle sentait aussi s'élever dans son cœur quelque doute sur la vérité des louanges qui lui étaient adressées , non par défiance de la sincérité de l'Ange, mais par une disposition particulière aux humbles , qui les portent à oublier leurs mérites et à ne faire attention qu'à leurs défauts. Et c'est ainsi que la considération des uns et des autres contribue à leur avancement , leurs plus sublimes vertus leurs paraissant médiocres et leurs moindres imperfections des vices énormes.
Sagement prudente, modestement timide, elle ne fit donc aucune réponse. Que pouvait-elle en effet répondre ! — Apprenez d'elle à vous taire et à aimer le silence ; c`est une grande et précieuse vertu dont elle vous a donné l'exemple; car ce ne fut qu'après avoir deux fois entendu l'Ange qu'elle fit sa première réponse. Rien en effet n'est plus insupportable dans une Vierge que l'intempérance des paroles.
Or l'Ange , pénétrant le motif de son hésitation , lui dit : « Ne craignez rien, Marie, et ne vous troublez point de mes louanges, car elles vous sont dues ; puisque, non seulement vous avez en vous-même la grâce dans sa plénitude , mais que vous avez recouvré de Dieu ce don précieux et l'avez restitué à tout le genre humain. Voici donc que vous concevrez et que vous enfanterez le Fils du Très-Haut. Celui qui vous a choisie pour sa Mère sera le Sauveur de tous ceux qui espèrent en lui . » Alors, sans accepter, sans rejeter les louanges qui lui étaient adressées ; mais beaucoup plus préoccupée de la manière dont s'opérerait ce prodige , et désirant surtout savoir si sa virginité n'en souffrirait aucune atteinte , elle interrogea l'Ange sur le mode de sa conception , et lui dit : « Comment se fera ce que vous m'annoncez ? car j'ai irrévocablement consacré à Dieu ma virginité , avec la résolution de ne jamais connaître d'homme.»
L'Ange répondit : « Cela s'accomplira par l'opération du Saint-Esprit ; vous en serez remplie d'une manière particulière , et vous concevrez par sa vertu sans perdre votre virginité. C'est pourquoi celui que vous enfanterez sera appelé le Fils de Dieu , auquel d'ailleurs rien n'est impossible ; car voici qu'Élisabeth , votre cousine , quoique stérile et avancée en âge, porte dans son sein , depuis six mois , un fils qu'elle a conçu par la vertu de Dieu. »
Arrêtez-vous, de grâce, et contemplez avec une profonde attention comment la sainte Trinité, présente à cette scène , fixe ses augustes regards sur cette Vierge , sa fille privilégiée, et , dans l'attente de sa réponse et de son consentement , observe avec une affectueuse complaisance sa pudeur, ses dispositions et ses paroles; considérez aussi l'Ange, employant pour la déterminer, le langage circonspect de la prudence et du zèle , s'inclinant respectueusement devant sa souveraine : son air est calme et serein , il l'emplit son message avec une exacte fidélité , il observe attentivement les paroles de Marie , afin d'y répondre avec convenance et d'accomplir dans cette œuvre admirable la volonté du Seigneur. Observez encore la posture humble et timide de la sainte Vierge ; une douce pudeur couvre son front à l'apparition de l'Ange qui la prévient , ses louanges inattendues ne l'élèvent point , ne lui donnent pas meilleure opinion d'elle-même, et lorsqu'elle apprend qu'il va s'opérer en elle des choses si merveilleuses qu'on n'en a jamais annoncé de pareilles à personne, elle les attribue uniquement à la grâce de Dieu.
Apprenez à son exemple à pratiquer la pudeur et l'humilité; car, sans ces vertus, la virginité elle-même est bien peu de chose. La Vierge très-prudente, satisfaite de ce qu'elle vient d'entendre, consent aux propositions de l'Ange et, comme on le voit dans les révélations qu'elle en a faites , elle s'incline avec une profonde soumission , et dit en joignant les mains : Voici la servante du Seigneur; qu'il me soit fait selon votre parole. A l'instant même, le Fils de Dieu se précipite dans le sein de la Vierge bénie, y prend un corps et y demeure tout entier , sans cesser d'être tout entier dans le sein de son Père.
Votre piété peut ici se figurer comment le Fils de Dieu, en acceptant cet acte d'obéissance, ce pénible ministère, s'inclina devant son Père et se recommanda à lui; comment son âme, créée au même instant et unie à son corps, fit de lui un homme parfait, possédant dans une extrême petitesse tous les caractères de l'humanité ; de sorte que , comme les autres enfants, il prenait naturellement de continuels accroissements dans le sein de sa Mère; mais, par une exception particulière, du moment de la conception et sans aucun intervalle de temps , l'âme se trouva unie au corps et les membres parfaitement distingués les uns des autres. C'était donc un homme parfait, un Dieu parfait; et par conséquent, dès lors, tout aussi sage, tout aussi puissant qu'il l'est maintenant.
Alors Gabriel se prosterna avec Marie; bientôt, se relevant comme elle , après s'être profondément incliné, ainsi qu'il l'avait déjà fait , il prit congé d'elle , disparut , et de retour dans la patrie céleste, il raconta toutes ces choses , qui furent pour ses heureux habitants le sujet d'une joie nouvelle, d'une fête nouvelle et d'une allégresse infinie.
Pour Marie, plus enflammée, plus embrasée que jamais de l'amour de Dieu, ayant la conscience de sa conception miraculeuse, elle s'agenouilla et rendit grâces à Dieu d'un si grand bienfait, le suppliant avec une pieuse humilité de daigner lui donner les lumières nécessaires, afin de pouvoir s'acquitter parfaitement de tout ce qu'elle aurait à faire à l'égard de son Fils. Quant à vous, considérez combien ce jour est solennel; qu'il remplisse votre cœur d'une sainte allégresse et qu'il soit toujours pour vous un jour de joie et de bonheur; car rien de semblable ne s'était vu dans les siècles précédents et ne s'est vu jusqu'à présent.
Cette fête, en effet, est le jour solennel où Dieu le Père célébra les noces de son Fils, s'unissant pour toujours à la nature humaine ; c'est le jour des noces du Fils de Dieu, le jour de sa naissance dans le sein de Marie, présage de celui où il en sortira pour naître dans le monde; c'est le jour de la gloire de l' Esprit-Saint à cause de l'opération unique et admirable de l'Incarnation du Verbe qui lui est attribuée ; c'est en ce jour qu'il commença à manifester sa bonté singulière pour les hommes ; c'est le jour des grandeurs de notre Reine , jour auquel le père la reconnut et l'adopta pour sa Fille, le Fils pour sa Mère, et le Saint-Esprit pour son Épouse ; c'est le jour de la fête solennelle de tous les habitants du ciel , puisqu'il commence la réparation de leurs pertes; mais bien plutôt , c'est le jour de fête de la nature humaine , puisque c'est l'origine de son salut, de sa rédemption , de sa réconciliation ; puisque ce jour la relève et la déifie en quelque sorte; c'est le jour où Dieu le Père commanda de nouveau à son Fils d'achever l'œuvre de notre salut; c'est le jour où le Verbe se précipitant des hauteurs du ciel , s'élança comme un géant pour parcourir sa carrière (1) , et se renferma, comme en un jardin délicieux, dans le sein virginal de Marie ; c'est le jour encore où il daigna se faire l'un d'entre nous , notre frère et le compagnon de notre pèlerinage ; c'est le jour où la lumière véritable est descendue du ciel pour éclairer et dissiper nos ténèbres ; aujourd'hui le pain vivant qui donne la vie au monde est préparé dans le sein de la Sainte-Vierge ; aujourd'hui le Verbe se fait chair afin d'habiter parmi nous (2); aujourd'hui sont enfin entendus et exaucés les cris et les vœux exprimés par les Patriarches et les Prophètes, lorsque dans leurs ineffables désirs ils disaient : Seigneur, envoyez l'Agneau dominateur de la terre , etc. (3) ; et encore : 0 deux, donnez votre rosée (4); et encore : Que ne bridez-vous, Seigneur, les voûtes du firmament pour descendre enfin parmi nous (5); et encore : Seigneur, abaissez la hauteur des Cieux cl descendez sur la terre (6); et encore : Seigneur, montrez-nous votre visage et nous serons sauvés (7) ; et les autres semblables textes des Patriarches et des Prophètes dont l'Écriture est toute remplie , car ce jour fut constamment l'objet de leur attente et de leurs plus ardents désirs.
Ce jour est aussi le principe et le fondement de toutes les solennités, et la source de tout notre bonheur. Car jusque-là le Seigneur, à cause de la désobéissance de nos premiers parents, ne jetait plus sur le genre humain que des regards d'indignation ; mais désormais la vue de son Fils incarné pour les hommes désarmera pour toujours sa colère. Ce jour enfin est considéré comme étant la plénitude des temps. Voyez donc combien cette œuvre est admirable et combien cette fête est solennelle : tout en est délicieux , ravissant, désirable; tout y doit exciter notre dévotion , notre allégresse et les transports de notre joie ; tout y est digne de nos respects et de notre vénération. Méditez donc assidûment ce mystère, prenez-y vos délices, vous y trouverez toujours de nouveaux charmes , et, peut-être, le Seigneur vous en donnera une plus parfaite intelligence.
(1) Ps. 18. — (2) Saint Jean , 1. — (3)Isaï,16. —
(4) Isaï,45. - (5) Isaï,64. — (6) Ps. 143. — (7) Ps.79.
CHAPITRE V.
COMMENT LA SAINTE VIERGE VISITA SAINTE ELISABETH.
origine des cantiques Magnificat et Benedictus.
Après le départ de l'Ange, Marie se rappelant ce qu'il lui avait appris au sujet de sa cousine Élisabeth, se proposa de la visiter pour lui offrir tout à la fois ses félicitations et ses services. Elle partit donc de Nazareth avec Joseph son époux , pour se rendre au domicile d'Élisabeth , éloigné de Jérusalem d'environ quatorze à quinze milles. La difficulté, la longueur de la route ne la retardent pas , elle marche en toute hâte , parce qu'elle ne voulait pas s'exposer trop longtemps au regard du public : d'où l'on voit que sa grossesse n'appesantissait pas sa marche , comme il arrive aux autres femmes , car Jésus ne fut jamais à charge à sa Mère. Considérez donc ici comment la reine du ciel et de la terre voyage seule avec son époux , sans monture , mais à pied ; elle n'est point suivie d'une multitude de barons ou de soldats, elle n'est point entourée d'une foule de dames d'honneur ou de filles de service ; là , elle s'avance escortée de pauvreté, d'humilité, de pudeur et de l'honorable assemblage de toutes les vertus ; le Seigneur est aussi avec elle , accompagné d'une nombreuse escorte d'honneur, bien différente de la vaine pompe des mondains.
En entrant chez sa cousine, elle la prévient en disant : « Je vous salue, ma sœur Élisabeth ». Pleine de joie et d'allégresse, embrasée de l'Esprit-Saint, Élisabeth se lève, l'embrasse avec une extrême tendresse, et s'écrie dans son ravissement : Vous êtes bénie entre toutes les femmes, et le fruit de vos entrailles est béni; et d'où me vient ce bonheur que la mère de mon Dieu daigne me visiter, etc (1).
Au moment où Marie saluait Élisabeth , l'enfant qu'elle portait dans son sein, saint Jean, fut rempli du Saint-Esprit, Élisabeth en fut aussi remplie; toutefois elle ne le fut pas avant son fils, mais celui-ci lui communiqua de sa plénitude. Ce ne fut pas , à la vérité , par une opération propre du fils sur l'âme de la mère, mais saint Jean , ayant reçu le premier et avec plus d'abondance la grâce du Saint-Esprit , mérita par là que cette brillante effusion s'étendit jusqu'à sa mère, et de même qu'Élisabeth reconnut en Marie son auguste qualité de Mère de Dieu , de même Jean sentit la présence de son Seigneur : voilà pourquoi l'un tressaillit d'allégresse, et l'autre prophétisa. Observée quelle est la puissance des paroles de Marie, puisqu'en les prononçant elle communique à ceux qui les entendent la grâce du Saint-Esprit.
(1) Luc.,1.
Elle était, en effet, si remplie de cette grâce que, par ses mérites, le même esprit remplissait aussi tous ceux qui l'approchaient. Marie, répondit à Élisabeth , en s'écriant : Mon âme glorifie le Seigneur, etc., achevant dans le même moment ce cantique sublime de ravissement et de louange.
Ensuite , se disposant à s'asseoir, l'humble Marie se place à l'endroit le plus bas aux pieds d'Élisabeth ; mais celle-ci se levant à l'instant et ne pouvant souffrir cette déférence, la releva aussitôt et la fit asseoir près d'elle. Alors Marie interroge sa cousine sur le prodige de sa conception , et Élisabeth demande aussi à Marie comment elle est devenue mère. Elles se donnent réciproquement et avec joie des détails sur ces deux conceptions , elles en bénissent le Seigneur, et emploient à lui en rendre grâce plusieurs jours qu'elles passèrent dans une sainte allégresse.
La Sainte Vierge demeura près de trois mois chez sa cousine , lui prodiguant avec humilité et une pieuse révérence tous les secours et tes services qu'elle pouvait lui rendre , comme si elle eût oublié qu'elle était la Mère de Dieu et la Reine de tout l'univers. Qu'elle est sacrée la maison , qu'elles sont saintes la chambre et la modeste couche qu'habitent et où reposent en commun de telles mères , enceintes de tels fils , Marie et Élisabeth , Jésus et saint Jean! Là se trouvent aussi deux vénérables vieillards, Zacharie et Joseph.
Élisabeth étant parvenue au terme de sa grossesse, mit au monde son fils; Marie le prit entre ses bras et s'empressa de lui donner tous les secours que réclamait sa situation. L'enfant la regardait affectueusement comme s'il eût compris ce qu'elle était, et lorsqu'elle le présentait à sa mère , ses yeux se tournaient vers Marie , et il semblait n'avoir de bonheur que dans cette douce contemplation; Marie lui souriait gracieusement, le pressait contre son cœur et le couvrait de ses délicieux baisers.
Voyez quelle fut la gloire de Jean-Baptiste : nul enfant ne fut jamais si honorablement porté. Je pourrais encore citer ici plusieurs autres privilèges considérables dont il fut favorisé; je n'y insiste pas pour le moment. Le huitième jour, l'enfant fut circoncis et reçut le nom de Jean. En ce moment , Zacharie recouvra la parole et prophétisa en ces termes : Que le Seigneur, le Dieu d'Israël , soit à jamais béni, etc., et ce fut ainsi que les deux admirables cantiques Magnificat et Benedictus eurent leur origine dans la maison de Zacharie.
La sainte Vierge qui , dans le dessein de se dérober aux regards des hommes réunis pour la circoncision de saint Jean , se tenait cachée derrière un rideau , écoutait avec une vive attention ce cantique où il était si admirablement parlé de son fils , et toutes ces paroles, elle les déposait soigneusement dans son cœur. Enfin après avoir pris congé d'Élisabeth et de Zacharie , et béni saint Jean, elle retourna à la petite maison qu'elle habitait à Nazareth. Et durant ce voyage, rappelez-vous de nouveau son extrême indigence.
Observez que dans le pauvre asile où elle va rentrer, elle ne trouvera ni pain , ni boisson, ni aucune des choses nécessaires à la vie; car elle n'avait ni argent , ni propriété. Elle vient de passer trois mois chez des parents peut-être fort à l'aise , et elle retourne à sa première pauvreté : la voilà de nouveau réduite à pourvoir à sa subsistance par le travail des mains. Soyez touchée de sa misère et que l'amour de la pauvreté embrase votre cœur.
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: MÉDITATIONS SUR LA VIE JESUS-CHRIST TRADUITES DE SAINT BONAVENTURE - 14 eme siecle
CHAPITRE VI.
COMMENT JOSEPH FORMA LE DESSEIN DE QUITTER MARIE; ET COMMENT DIEU PERMET QUELQUEFOIS QUE SES PLUS FIDÈLES SERVITEURS SOIENT ÉPROUVÉS PAR LA TRIBULATION.
Or, comme Marie habitait en commun avec Joseph , comme L'enfant Jésus croissait de jour en jour dans le sein de sa Mère , Joseph s' apercevant que son épouse était enceinte , en fut excessivement affligé. Redoublez ici d'attention , car vous y pourrez recevoir plusieurs leçons intéressantes. Si vous ne pouvez comprendre pourquoi le Seigneur voulut que sa Mère eût un époux mortel , et pourtant qu'elle restât toujours vierge , on vous dira que ce fût pour trois raisons : pour que sa grossesse ne la déshonorât pas ; pour la faire soutenir de l'appui et de la société d'un époux; et, enfin, pour cacher au démon ( anges déchus) l'incarnation du Fils de Dieu.
Joseph donc considérait son épouse , et la considérait encore ; son affliction et son trouble étaient grands , et ce trouble qui éclatait dans toute sa personne, il ne pouvait le dissimuler à Marie, et, dans ses soupçons, il détournait d'elle ses regards comme si elle eût été coupable d'adultère. Observez comment Dieu éprouve par la tribulation ses serviteurs fidèles , et les tente pour embellir leur couronne (1). Or , Joseph pensait à quitter secrètement Marie.
(1) Corinth.,8.
Pourtant on ne peut nier que son éloge ne soit dans l'Évangile, puisqu'on y lit : que c’était un homme juste (1) ; et , en effet, il avait une grande vertu. Car, bien que l'adultère de la femme soit ordinairement considéré par l'époux , comme le comble de l'humiliation et le sujet de la plus violente douleur , Joseph cependant avait la force de se modérer, n'accusait personne, supportait un tel affront avec une invincible patience. Vaincu par la charité et non par la vengeance, il résolut, pour conserver la paix , de quitter secrètement son épouse.
De son côté, Marie n'était pas sans tourments; elle voyait et remarquait les agitations de Joseph, et en était troublée elle-même. Cependant, par humilité, elle gardait le silence , et n'osait révéler la faveur que le Seigneur lui avait accordée , aimant mieux laisser soupçonner sa vertu que de divulguer les mystères de Dieu , et de dire pour sa justification une seule parole qui pût paraître inspirée par la vanité. Elle se contentait de demander à Dieu qu'il daignât appliquer lui-même le remède convenable et la délivrer, ainsi que son époux, d'une telle tribulation. Vous concevez combien cette épreuve et ces anxiétés étaient pénibles aux deux époux.
Mais le Seigneur consola l'un et l'autre. A cet effet, pendant que Joseph se livrait au sommeil , il lui fit dire par son Ange de rester sans défiance et sans peine près de son épouse, parce qu'elle avait conçu par l'opération du Saint-Esprit. Cet avertissement mit fin à ses angoisses et le remplit de consolation. Dieu nous traiterait comme Joseph, si, dans nos tribulations , nous savions comme lui conserver la patience ; car le Seigneur fait toujours succéder le calme à la tempête , et vous devez être convaincu que , s'il per met quelquefois aux afflictions d'atteindre ses plus fidèles serviteurs, c'est toujours pour leur avantage.
(1) Math., 1
Joseph ayant interrogé Marie sur sa conception miraculeuse , elle lui en fit connaître avec exactitude toutes les circonstances. Plein de joie et de bonheur, Joseph demeura donc près de sa sainte Épouse ; et il est impossible d'exprimer de quel chaste amour il la chérissait , de quels soins fidèles il l'entourait, dans quelle confiante sécurité Marie habitait avec lui , avec quelles délices ils vivaient ensemble dans leur pauvreté.
Le Seigneur Jésus reste donc , comme les autres enfants , renfermé neuf mois dans le sein de sa Mère ; il y reste avec une inexprimable bonté, attendant patiemment le terme prescrit par la nature. Soyez ému de compassion en le voyant s'abaisser pour vous à une humilité si profonde. Que cette vertu devrait vous être chère! Combien nous devrions craindre de nous enorgueillir de notre rang ou de notre réputation , lorsque le Dieu de toute majesté se réduit à de tels abaissements ! et cette captivité à laquelle il a daigné si longtemps se condamner pour nous dans le sein de sa Mère est un nouveau bienfait pour lequel nous ne pourrions jamais lui montrer assez de reconnaissance.
Mais du moins sentons-en tout le prix au fond du cœur , et , avec tout l'amour dont nous sommes capables , rendons-lui grâce de ce qu'il a daigné nous séparer du monde pour acquitter cette faible partie de la dette et nous consacrer à son service dans une volontaire et perpétuelle réclusion. C'est en effet une faveur purement gratuite que nous n'avions en rien méritée , un bienfait infini , immense , inappréciable et digne de toute notre vénération. Car ce n'est pas pour notre malheur, mais pour notre sûreté, que nous sommes renfermés et placés dans les murs de nos maisons religieuses comme dans une forteresse inexpugnable.
Là, ni les flèches empoisonnées du siècle, ni la fureur des tempêtes de la mer du monde , ne pourront jamais nous atteindre , si nous n'avons la témérité de nous y exposer. Efforçons-nous donc, autant que nous en sommes capables, par le recueillement de l'esprit et par le renoncement à toutes les choses vaines , de nous attacher par la pureté du cœur à notre sainte réclusion , puisque , sans celle de l'esprit , celle du corps est inutile ou peu avantageuse. Partagez aussi la douleur que Notre Seigneur Jésus-Christ eut dès sa naissance et conserva continuellement jusqu'à sa mort, en voyant d'une part que son Père, pour lequel il avait un amour infini, était déshonoré par le culte de préférence que les pécheurs rendaient aux idoles; et de plus en prévoyant , avec une vive compassion , que des âmes créées à sa ressemblance seraient misérablement et presqu'universellement condamnées à la réprobation : et ce supplice du cœur lui paraissait incomparablement plus grand que celui de son corps dans sa Passion ; car il ne s'était livré à l'un que pour échapper à l'autre. Vous voyez quel festin délicieux vous est ici présenté ; si vous voulez en savourer toute la douceur, ruminez souvent et avec soin toutes ces choses dans votre esprit.
CHAPITRE VII.
NAISSANCE DE JÉSUS-CHRIST, ET AUTRES CHOSES RELATIVES.
Vers la fin du neuvième mois de la grossesse de Marie, parut un édit de l'empereur romain (1) ordonnant le dénombrement des habitants de toute la terre, et à chacun de se faire inscrire dans sa ville natale. Joseph, ayant l'intention d'aller à Bethléem, lieu de sa naissance , s'y rendit avec son épouse, parce qu'il savait que l'époque de son enfantement approchait. Voilà donc Marie qui fait encore une fois ce long voyage ; car Bethléem est éloigné de Jérusalem d'environ cinq à six milles. Ils amènent avec eux un âne et un bœuf , et voyagent comme de pauvres marchands de bestiaux. — Arrivés à Bethléem , ils ne purent y trouver de logement, parce qu'ils étaient pauvres, et que, pour obéir à l'édit , il y avait un grand concours d'étrangers. Considérez ici, avec une tendre compassion, cette Vierge délicate, à peine âgée de quinze ans , fatiguée d'une longue route, rougissant de paraître en public, et pour tant réduite à chercher un logement qu'elle ne peut se procurer.
(1) Luc, 2.
Tout le monde la rebute , ainsi que son époux, ce qui les oblige à se retirer dans une rue couverte , où l'on allait s'abriter dans le temps de la pluie. Il paraîtrait que Joseph , qui était maître charpentier, s'y construisit une espèce de clôture. Maintenant , observez toutes les choses que je vais rapporter, avec d'autant plus d'attention qu'elles ont été révélées et découvertes par la Sainte Vierge elle-même , ainsi que je l'ai appris d'un saint religieux de notre ordre, digne de toute confiance, à qui je pense que ces révélations ont été faites.
« L'heure de l'enfantement étant venue ( c'était un dimanche au milieu de la nuit ) , Marie se leva et se plaça contre une espèce de pilier qui était près d'elle; Joseph était assis, fort affligé, peut-être à cause de l'impossibilité où il se trouvait de se procurer toutes les choses nécessaires dans de telles circonstances. Se levant à l'instant et prenant un peu de foin de la crèche , il le mit aux pieds de Marie et se tourna d'un autre côté. Ce fut alors que le Fils de l'Éternel , sortant du sein de la Vierge , sans rompre le sceau de la virginité , sans lui occasionner aucune douleur, fut en un moment déposé sur le foin, aux pieds de sa Mère, au même état où il était dans ses entrailles sacrées.
Marie se baissant aussitôt, le recueillant et l'embrassant tendrement , le plaça sur son cœur, et, par une inspiration du Saint-Esprit, se mit à oindre ou à laver tout son corps avec le lait dont la bonté céleste avait miraculeusement rempli son sein; cela fait, elle l'enveloppa du voile dont sa tête était couverte, et le coucha dans la crèche. Au même moment, le bœuf et l'âne fléchissant le genou , mettent leur tête au-dessus de la crèche , y dirigent leur haleine , comme s'ils eussent compris qu'un enfant si pauvrement vêtu , dans la saison rigoureuse, avait besoin de cette douce chaleur. Marie se prosterne et l'adore, et, rendant grâces, elle s'écrie : «Soyez béni, Seigneur, Père saint, qui avez daigné me donner votre Fils; Dieu éternel, je vous adore; je vous adore aussi , Fils du Dieu vivant, qui êtes devenu le mien. »
Joseph adressa à Dieu de semblables adorations, et, détachant; de la selle de l'âne un coussin de laine ou de bourre , il le plaça près de la crèche pour servir de siège à Marie ; elle s'y assit donc, appuya son coude sur la selle : et ce fut dans un tel état que la souveraine de l'univers, la tête tournée vers la crèche, attachait tendrement ses regards et son cœur sur son Fils bien-aimé. Là finit la révélation.
Après avoir fait connaître toutes ces choses , Marie disparut, et un Ange, qui lui succéda, raconta à celui de qui je tiens ces détails des circonstances fort honorables à Marie ; elles m'ont aussi été rapportées , mais je n'ai su ni les retenir, ni les écrire. Vous avez vu la naissance temporelle du Dieu de toute sainteté , vous avez également vu l'enfantement de la Reine du ciel , et dans l'un comme dans l'autre vous avez pu remarquer une extrême pauvreté, réduite à manquer des choses les plus indispensables. Cette précieuse vertu était perdue sur la terre, le Seigneur l'a retrouvée; voilà cette perle dont parle l'Évangile pour l'acquisition de laquelle il faut tout sacrifier (1 ) ; voilà la pierre fondamentale de tout l'édifice spirituel , car le fardeau des biens temporels empêche l'âme de s'élever jusqu'à Dieu.
C'est ce qui faisait dire à Saint François : « Sachez ,mes frères , que la pauvreté est la voie spirituelle qui conduit au salut ; elle est le ferment de l'humilité et la racine de la perfection ; ses fruits sont abondants, mais ils sont cachés. » Quelle honte donc pour nous de nous surcharger de tant de superfluités, et de ne pas embrasser de toutes nos forces une vertu que le Maître du monde et sa sainte Mère ont pratiquée avec tant d'amour et d'exactitude ! Saint Bernard dit à ce sujet (1) : « Le trésor de la pauvreté était répandu sur la terre avec abondance, et l'homme n'en comprenait pas le prix ; mais il excita tous les désirs du Fils de Dieu qui descendit du ciel pour s'en emparer et nous apprendre à l'estimer à son exemple. Parez votre couche d'humilité et de pauvreté : Jésus aime à s'envelopper de ces langes, c'est Marie qui nous en assure ; il met ses délices à être revêtu de ces riches ornements : immolez donc à votre Dieu les abominations de l'Égypte. »
Saint Bernard dit encore, dans un sermon sur la Nativité, qui commence ainsi : Béni soit, le Seigneur et le Père (2). « Dieu console enfin son peuple. Voulez-vous y savoir quel est son peuple? C'est à vous, Seigneur, que le pauvre a été confié, s'écrie l'homme selon le cœur de Dieu (3). Mais Jésus-Christ lui-même dit dans l'Évangile : Malheur à vous, riches, qui avez ici-bas votre consolation (4) En effet , qu'est-ce qui y consolera ceux qui ont leur consolation?
L'enfance silencieuse de Jésus ne peut consoler les grands parleurs ; les larmes de Jésus ne peuvent consoler ceux qui sont dans la joie ; ses langes ne peuvent consoler ceux qui aiment à étaler la magnificence de leurs vêtements; l'étable et la crèche ne consolent point ceux qui aiment à occuper les premières places dans les Synagogues.
(1) S. Bernard , Serm. 1, in. Vig. Nat. Dom. — (2) S. Bernard , Serm. 5, in. Vig. Nat. Dom. — (3) Ps. 9. — (4) Luc 6.
C'est aux yeux des vigilants Pasteurs que brille la lumière qui vient réjouir le monde; c'est à eux que l'on dit un Sauveur vous est né ; c'est aux pauvres et à ceux qui sont affligés que cette bonne nouvelle est apportée , et non à vous, riches, qui avez votre consolation et vos domaines. Là finit Saint-Bernard. Vous avez pu remarquer aussi dans la naissance de Jésus sa profonde humilité et celle de sa Mère ; car ils n'ont dédaigné ni l`étable , ni de vils animaux , ni le foin , ni tant d'autres choses rebutantes. Toutes les actions de Notre Seigneur, toutes celles de sa sainte Mère, dans lesquelles l'un et l'autre se montrent si fidèles observateurs de cette vertu, nous la recommandent puissamment.
Appliquons-nous donc, avec tout le zèle dont nous sommes capables , à la pratiquer ; car il n'y a point de salut à espérer sans elle, puisqu'aucune action, si elle a l'orgueil pour principe , ne peut être agréable à Dieu. En effet, au sentiment de saint Augustin (1), «l'orgueil transforme les anges en démons, et l'humilité rend les hommes semblables aux Anges. » Et Saint Bernard dit (2): «Quel homme, selon vous, méritera d'être choisi pour occuper dans le ciel la place de l'ange réprouvé? Une seule fois l'orgueil mit le trouble dans ce royaume ; il en ébranla les colonnes , et en renversa non-seulement quelques-unes , mais même la plus grande partie. Qu'en conclure , sinon qu'aux yeux de la sainte cité, l'orgueil est un objet d'horreur et d'abomination ? Soyez donc convaincus , mes frères , que celui qui n'a point épargné l'Ange superbe, n'épargnera pas davantage l'homme orgueilleux. Dieu n'est jamais contraire à lui-même. » Voilà comme s'exprime saint Bernard.
(1) Lih.desing. doc, ch. 18. — (2) Serm. 2., de verh. Isa., 6.
Vous avez pu aussi observer, en Jésus et en Marie, mais particulièrement en Jésus , une assez grande affliction de cœur, dont l'extrait suivant de saint Bernard vous donnera une idée (1) : « Le Fils de Dieu , qui, pour venir au monde, pouvait choisir à son gré le temps qui lui conviendrait , préféra la saison la plus pénible pour un enfant et surtout pour l'enfant d'une femme indigente , qui avait à peine des langes pour l'envelopper, une crèche pour le coucher ; et pourtant , dans une nécessité si pressante, il n'est mention d'aucune fourrure. »
Saint Bernard ajoute : «Jésus-Christ, qui, certes, ne peut se tromper, a choisi ce qui crucifie davantage la chair ; voilà donc ce qu'il y a de meilleur , de plus utile, ce qu'il faut préférer en tout; si quelqu'un enseigne ou conseille autre chose , je le regarde comme un séducteur dont il faut se défier. » Et plus bas, il dit : « Et cependant , mes frères , c'est là cet enfant qui suivant les anciennes promesses d'Isaïe, sait choisir le bien et rejeter le mal (2) ; donc le mal c'est la satisfaction des sens, et le bien c'est la mortification, puisque la sagesse incarnée , le Verbe enfant a choisi l'une et réprouvé l'autre. » Ainsi parle saint Bernard.
Allez donc et suivez cet exemple ; toutefois , soyez discrète et mesurez vos forces. Mais comme nous pourrons parler ailleurs de ces vertus , revenons à l'étable. Aussitôt la naissance de Jésus, une multitude d'anges, qui y assistaient, après avoir adoré leur Dieu, allèrent promptement trouver des pasteurs, qui étaient à environ un mille de là , pour leur annoncer cette naissance et le lieu où était l'enfant. Puis ils remontèrent au ciel au milieu des cantiques et des acclamations , annonçant les mêmes prodiges à tous les habitants de cet heureux séjour.
(1) Serm. 3., Natlv. Dom. — (2) Isaï. 9.
Cette nouvelle fut, pour toute la Cour céleste, l'occasion d'une vive allégresse et d'une fêle magnifique ; et après avoir adressé à Dieu le Père des louanges et des actions de grâces, tous les citoyens du ciel vinrent successivement et suivant l'ordre de leur hiérarchie, contempler la face du Seigneur leur Dieu, et, s'étant prosternés avec un profond respect devant lui et devant sa Mère, ils chantaient à l'envi des cantiques de louanges et de bénédictions. Et, en effet, qui d'entre eux, en apprenant ces prodiges inouïs, eût préféré demeurer au ciel plutôt que d'aller rendre hommage à son Seigneur, réduit sur la terre à un état si humiliant?
Aucun d'eux n'était capable d'un tel excès d'orgueil. De là, ces paroles de l'Apôtre (1) : «Lorsque Dieu envoya sur la terre son Fils unique, il dit : Que tous les anges l'adorent.» Quelle que soit, au reste , la manière dont ces choses se passèrent , je pense que ces considérations sur la conduite des Anges vous paraîtront pleines de charmes. Les pasteurs viennent à leur tour, adorent l'Enfant, et s'empressent de raconter ce que les Anges leur ont annoncé. La Vierge très-prudente conservait dans son cœur tout ce qu'elle entendait dire de son Fils ; quant aux pasteurs, ils s'en retournèrent pleins de joie.
Et vous , qui venez si tard à l'étable , fléchissez aussi le genou , rendez vos hommages au Fils ; puis , rendez-les aussi à la Mère, et saluez respectueusement le saint vieillard Joseph. Baisez ensuite les pieds de l'enfant Jésus reposant dans la crèche , et priez Marie de vous le présenter ou de vous permettre de le prendre vous-même ; portez-le entre vos bras, conservez-le, contemplez ses traits enchanteurs avec une tendre piété , donnez-lui de respectueux baisers , et mettez en lui toutes vos délices ; ne craignez rien , tout vous est permis , car c'est pour le salut des pécheurs qu'il est venu à eux, qu'il a conversé avec eux , et qu'enfin il s'est donné à eux en nourriture.
(1) Heb. 1.
Touchez-le tout à votre aise , sa bonté vous laissera patiemment prendre cette familiarité qu'elle n'attribuera point à une présomption téméraire , mais à votre amour. Néanmoins , dans tout cela , agissez toujours avec crainte et avec respect , car c'est le Saint des Saints lui-même. Rendez-le ensuite à sa Mère , et considérez attentivement avec quel soin et quelle sagesse elle le gouverne , l'allaite et lui rend tous les autres services dont il a besoin. Et vous aussi, partagez, autant que vous le pourrez , ses soins maternels, mettez-y votre bonheur et vos délices, pensez-y continuellement ; rendez à Marie et à l'Enfant
Jésus tous les bons offices dont vous êtes capable , et fixez souvent de tendres regards sur cette face adorable que les Anges ne se lassent pas de contempler. Mais comme je vous l'ai dit , si vous ne voulez point que vos empressements soient rebutés, accompagnez-les d'une crainte respectueuse; car vous devez vous regarder comme indigne d'avoir de telles communications. Vous devez ensuite entrer dans une sainte joie en réfléchissant sur la solennité de ce jour, car c'est aujourd'hui que Jésus-Christ est né; c'est donc vraiment le jour de la naissance temporelle du Roi éternel , du Fils du Dieu vivant; c'est aujourd'hui qu'un Fils nous est donné, et qu'un enfant nous est né (1); c'est aujourd'hui que le Soleil de justice longtemps voilé d'un sombre nuage a fait briller toutes ses splendeurs; aujourd'hui le Saint-Esprit
1 Hébreux 1
chef de l'Église des élus, est descendu de son lit nuptial; aujourd'hui le plus beau des enfants des hommes découvre à tous les regards sa beauté ravissante ( 1 ) ; aujourd'hui les Anges ont fait entendre ce cantique , « Gloire à Dieu au plus haut des Cieux » Aujourd'hui, par le même cantique, la paix a été annoncée à tous les hommes. Aujourd'hui, comme l'Église le chante aussi dans tout l'univers , « le miel découle des deux, et les chants de la milice céleste ont été entendus sur toute la terre.» Aujourd'hui le Dieu Sauveur a montré les prémices de sa bonté et de son humanité (3) ; aujourd'hui Dieu a été adoré, revêtu d'une chair semblable à celle du péché. Aujourd'hui se sont opérés deux prodiges qui confondent toute la raison humaine, et que la foi seule peut concevoir, un Dieu a pris naissance, une Vierge a enfanté.
Mais ce jour est encore, pour ainsi dire, illustré par plusieurs grands évènements extraordinaires ; et ces prodiges ont enfin rendu plus sensibles tous ceux que nous avons déjà rapportés de l'Incarnation : les uns sont une ébauche, les autres une évidente manifestation; ainsi , rapprochez maintenant les uns et les autres avec une sérieuse attention. Oui : ce jour est à juste titre un jour de fête, d'allégresse , d'inexprimable joie. Car d'une taverne de Rome, dite Emeritoria ( parce que c'était en ce lieu que les militaires venaient dépenser leur solde en divertissements ou en acquisition de choses nécessaires ) , on vit sortir de terre une source abondante d'huile qui coula à plein bord pendant tout un jour ; on vit aussi dans toutes les parties de la terre briller autour du soleil un cercle lumineux , semblable à l'arc-en-ciel ; et à Rome , la statue d'or que Romulus avait placée dans son palais, et qui, selon l'oracle, ne devait être renversée qu'au moment où une Vierge enfanterait , tomba précipitamment à terre aussitôt après la naissance de Jésus-Christ. C'est là que le pape Calixte fit élever l'église appelée aujourd'hui de Sainte-Marie , au-delà du Tibre.
(1) Ps. 44. — (2) Luc, 2. — (3) Tite., 3.
CHAPITRE VIII.
CIRCONCISION ET LARMES DE JÉSUS-CHRIST.
Le huitième jour l'Enfant fut circoncis. Deux faits importants rendent ce jour remarquable. Premièrement , le nom de Sauveur que l'Éternel lui-même lui avait imposé , ce nom qui lui fut donné par l'Ange , même avant sa conception , fut aujourd'hui manifesté , proclamé; on l'appela Jésus (1). Jésus signifie Sauveur ; c'est un nom au-dessus de tout autre nom. Car, selon l'apôtre saint Pierre , il n'y a pas d'autre nom sous le ciel par lequel nous puissions être sauvés (2). Secondement, ce fut en ce jour que le Seigneur Jésus répandit pour nous les prémices sacrés de son précieux sang. Celui qui était l'innocence même commença à propos à souffrir pour nos péchés , puisqu'en ce jour il commença à en accepter la peine. Entrez donc dans ses sentiments et pleurez avec lui, parce qu'en ce jour il a répandu des larmes abondantes. Car nos saintes solennités doivent nous combler de joie en vue de notre salut, et nous remplir de compassion et de tristesse, à cause des peines et des souffrances de Jésus-Christ.
(1) Luc, 2. — (2) Act. , 4.
Vous avez vu dans sa naissance combien il eut à souffrir; combien de choses lui manquèrent ; mais, entre tant d'autres que je pourrais citer, remarquez que, lorsque sa Mère le mit dans la crèche, elle posa sa tête sur une pierre qui n'en était séparée que par un peu de foin, ainsi que je l'ai appris d'un de nos frères qui l'a vu; et l'on peut encore aujourd'hui distinguer cette pierre dans le mur où elle a été scellée en souvenir de ce fait.
Ne doutez pas que, si Marie eût pu disposer d'un oreiller, elle ne l'eût préféré; mais, n'ayant rien à mettre que cette pierre, elle la plaça en gémissant sous la tête de son fils. Vous vous rappelez aussi que le sang de Jésus a coulé dans ce jour. Une pierre tranchante a déchiré sa chair. Ne devons-nous pas être sensibles à ses douleurs? Oui, sans doute; et à celle de sa Mère! Les souffrances que l'Enfant Jésus éprouva dans sa chair, lui firent donc aujourd'hui répandre des pleurs; car il était revêtu d'une chair véritable, d'une chair passible comme celle des autres hommes. Et pensez-vous qu'en voyant couler ses larmes, sa Mère put retenir les siennes? Elle pleure donc aussi , et l'Enfant qu'elle pressait sur son sein , voyant sa douleur, portait sa petite main sur ses lèvres et sur son visage, et semblait, par ce geste , la conjurer de ne pas pleurer; car il ne pouvait supporter l'affliction d'une Mère qu'il chérissait si tendrement; et Marie en même temps , dont les entrailles étaient profondément émues à la vue des douleurs et des larmes de son Fils, essayait de les adoucir par des caresses et par des paroles affectueuses.
Car la haute pénétration de Marie , lui faisait comprendre la volonté où il était de souffrir, quoiqu'il ne pût encore l'exprimer. Et elle lui disait : « Mon fils, si vous ne voulez pas que je pleure, cessez donc de pleurer vous-même, car je ne puis voir vos larmes, sans y mêler les miennes. » Et alors, par compassion pour sa Mère, Jésus retenait ses sanglots; et Marie essuyait ses yeux, essuyait aussi ceux de Jésus, appliquait son visage sur le sien, le suspendait à son sein virginal et lui prodiguait toutes les consolations possibles; elle les renouvelait toutes les fois qu'il versait des pleurs , ce qui lui arrivait souvent comme aux autres enfants, tant pour montrer qu'en prenant la nature humaine , il en avait accepté toutes les misères , que pour se dérober sous ce voile à la connaissance du démon ( des anges déchus). Voilà pourquoi l'Église, dans ses saints cantiques, dit : L'Enfant , dans les langes , fit entendre des vagissements.
Maintenant il n'y a plus de Circoncision corporelle; elle est remplacée par le Baptême, qui, avec moins de douleur, nous donne une grâce plus abondante; mais nous devons nous soumettre à la Circoncision spirituelle, retrancher toutes les choses superflues, ce qui nous oblige à embrasser la pauvreté, car la véritable pauvreté n'est qu'une vraie Circoncision spirituelle. Et selon saint Bernard (1), « l'Apôtre la fait connaître en ce peu de mots (2) : Quand nous avons la nourriture et le vêtement, n'en demandons pas davantage. Mais la Circoncision spirituelle doit aussi s'étendre à tous nos sens ; usons donc avec modération , de la vue , du goût, de l'ouïe, du toucher et surtout de la parole. »
(1) S. Bern., Serm. 1 , in circume. Dom. — (2) Timoth. 6.
L'intempérance de la langue est un vice détestable, également odieux et désagréable à Dieu et aux hommes; il faut donc circoncire notre langue , c'est-à-dire , parler peu et ne rien dire d'inutile ; l'abondance des paroles annonce un homme inconséquent; le silence, au contraire, est une vertu, et ce n'est pas sans raison qu'il est prescrit dans tous les ordres religieux. Voilà ce que dit saint Grégoire sur cette matière (1) : « Celui-là sait véritablement bien parler qui a d'abord bien appris à se taire ; car le silence sert , en quelque sorte, de nourriture à la parole, puisqu'il lui ôte tout ce qui l` énerve et l'affaiblit. » Saint Grégoire dit encore ailleurs (2) : « Les hommes d'un esprit superficiel parlent avec précipitation , parce que la langue se hâte de mettre au jour les conceptions d'une tête légère. »
Dans un sermon sur l'Épiphanie, commençant par ces mots : Dans les œuvres du Seigneur, etc., saint Bernard s'exprime ainsi sur le même sujet (3) : « Quant à la langue, qui de nous ignore par combien de vains discours et de mensonges, de détractions et de flatteries, de paroles malignes ou présomptueuses elle nous a souillés? le silence est le remède nécessaire à tous ces maux; c'est le bouclier d'un religieux, c'est là qu'est toute notre force. » Le même auteur dit autre part : « L'oisiveté est la mère de la bagatelle et la marâtre des vertus; et ce qui, pour un homme du monde, n'est que bagatelle, est un blasphème dans la bouche d'un Prêtre. Si, pourtant, il arrive que vous entendiez des discours si vains , peut-être pourrez- vous les souffrir quelquefois, mais vous ne devez jamais les répéter; car il ne vous est pas permis d'ouvrir pour cet usage des lèvres consacrées à la lecture de l'Évangile (4). »
(1) Moral., lib. 5., c. 11. — (2) Serm. 2, in Dom. 1 port.
Oct. Epiph. — (3) Liv. 3., De Consid., cb. 13.
COMMENT JOSEPH FORMA LE DESSEIN DE QUITTER MARIE; ET COMMENT DIEU PERMET QUELQUEFOIS QUE SES PLUS FIDÈLES SERVITEURS SOIENT ÉPROUVÉS PAR LA TRIBULATION.
Or, comme Marie habitait en commun avec Joseph , comme L'enfant Jésus croissait de jour en jour dans le sein de sa Mère , Joseph s' apercevant que son épouse était enceinte , en fut excessivement affligé. Redoublez ici d'attention , car vous y pourrez recevoir plusieurs leçons intéressantes. Si vous ne pouvez comprendre pourquoi le Seigneur voulut que sa Mère eût un époux mortel , et pourtant qu'elle restât toujours vierge , on vous dira que ce fût pour trois raisons : pour que sa grossesse ne la déshonorât pas ; pour la faire soutenir de l'appui et de la société d'un époux; et, enfin, pour cacher au démon ( anges déchus) l'incarnation du Fils de Dieu.
Joseph donc considérait son épouse , et la considérait encore ; son affliction et son trouble étaient grands , et ce trouble qui éclatait dans toute sa personne, il ne pouvait le dissimuler à Marie, et, dans ses soupçons, il détournait d'elle ses regards comme si elle eût été coupable d'adultère. Observez comment Dieu éprouve par la tribulation ses serviteurs fidèles , et les tente pour embellir leur couronne (1). Or , Joseph pensait à quitter secrètement Marie.
(1) Corinth.,8.
Pourtant on ne peut nier que son éloge ne soit dans l'Évangile, puisqu'on y lit : que c’était un homme juste (1) ; et , en effet, il avait une grande vertu. Car, bien que l'adultère de la femme soit ordinairement considéré par l'époux , comme le comble de l'humiliation et le sujet de la plus violente douleur , Joseph cependant avait la force de se modérer, n'accusait personne, supportait un tel affront avec une invincible patience. Vaincu par la charité et non par la vengeance, il résolut, pour conserver la paix , de quitter secrètement son épouse.
De son côté, Marie n'était pas sans tourments; elle voyait et remarquait les agitations de Joseph, et en était troublée elle-même. Cependant, par humilité, elle gardait le silence , et n'osait révéler la faveur que le Seigneur lui avait accordée , aimant mieux laisser soupçonner sa vertu que de divulguer les mystères de Dieu , et de dire pour sa justification une seule parole qui pût paraître inspirée par la vanité. Elle se contentait de demander à Dieu qu'il daignât appliquer lui-même le remède convenable et la délivrer, ainsi que son époux, d'une telle tribulation. Vous concevez combien cette épreuve et ces anxiétés étaient pénibles aux deux époux.
Mais le Seigneur consola l'un et l'autre. A cet effet, pendant que Joseph se livrait au sommeil , il lui fit dire par son Ange de rester sans défiance et sans peine près de son épouse, parce qu'elle avait conçu par l'opération du Saint-Esprit. Cet avertissement mit fin à ses angoisses et le remplit de consolation. Dieu nous traiterait comme Joseph, si, dans nos tribulations , nous savions comme lui conserver la patience ; car le Seigneur fait toujours succéder le calme à la tempête , et vous devez être convaincu que , s'il per met quelquefois aux afflictions d'atteindre ses plus fidèles serviteurs, c'est toujours pour leur avantage.
(1) Math., 1
Joseph ayant interrogé Marie sur sa conception miraculeuse , elle lui en fit connaître avec exactitude toutes les circonstances. Plein de joie et de bonheur, Joseph demeura donc près de sa sainte Épouse ; et il est impossible d'exprimer de quel chaste amour il la chérissait , de quels soins fidèles il l'entourait, dans quelle confiante sécurité Marie habitait avec lui , avec quelles délices ils vivaient ensemble dans leur pauvreté.
Le Seigneur Jésus reste donc , comme les autres enfants , renfermé neuf mois dans le sein de sa Mère ; il y reste avec une inexprimable bonté, attendant patiemment le terme prescrit par la nature. Soyez ému de compassion en le voyant s'abaisser pour vous à une humilité si profonde. Que cette vertu devrait vous être chère! Combien nous devrions craindre de nous enorgueillir de notre rang ou de notre réputation , lorsque le Dieu de toute majesté se réduit à de tels abaissements ! et cette captivité à laquelle il a daigné si longtemps se condamner pour nous dans le sein de sa Mère est un nouveau bienfait pour lequel nous ne pourrions jamais lui montrer assez de reconnaissance.
Mais du moins sentons-en tout le prix au fond du cœur , et , avec tout l'amour dont nous sommes capables , rendons-lui grâce de ce qu'il a daigné nous séparer du monde pour acquitter cette faible partie de la dette et nous consacrer à son service dans une volontaire et perpétuelle réclusion. C'est en effet une faveur purement gratuite que nous n'avions en rien méritée , un bienfait infini , immense , inappréciable et digne de toute notre vénération. Car ce n'est pas pour notre malheur, mais pour notre sûreté, que nous sommes renfermés et placés dans les murs de nos maisons religieuses comme dans une forteresse inexpugnable.
Là, ni les flèches empoisonnées du siècle, ni la fureur des tempêtes de la mer du monde , ne pourront jamais nous atteindre , si nous n'avons la témérité de nous y exposer. Efforçons-nous donc, autant que nous en sommes capables, par le recueillement de l'esprit et par le renoncement à toutes les choses vaines , de nous attacher par la pureté du cœur à notre sainte réclusion , puisque , sans celle de l'esprit , celle du corps est inutile ou peu avantageuse. Partagez aussi la douleur que Notre Seigneur Jésus-Christ eut dès sa naissance et conserva continuellement jusqu'à sa mort, en voyant d'une part que son Père, pour lequel il avait un amour infini, était déshonoré par le culte de préférence que les pécheurs rendaient aux idoles; et de plus en prévoyant , avec une vive compassion , que des âmes créées à sa ressemblance seraient misérablement et presqu'universellement condamnées à la réprobation : et ce supplice du cœur lui paraissait incomparablement plus grand que celui de son corps dans sa Passion ; car il ne s'était livré à l'un que pour échapper à l'autre. Vous voyez quel festin délicieux vous est ici présenté ; si vous voulez en savourer toute la douceur, ruminez souvent et avec soin toutes ces choses dans votre esprit.
CHAPITRE VII.
NAISSANCE DE JÉSUS-CHRIST, ET AUTRES CHOSES RELATIVES.
Vers la fin du neuvième mois de la grossesse de Marie, parut un édit de l'empereur romain (1) ordonnant le dénombrement des habitants de toute la terre, et à chacun de se faire inscrire dans sa ville natale. Joseph, ayant l'intention d'aller à Bethléem, lieu de sa naissance , s'y rendit avec son épouse, parce qu'il savait que l'époque de son enfantement approchait. Voilà donc Marie qui fait encore une fois ce long voyage ; car Bethléem est éloigné de Jérusalem d'environ cinq à six milles. Ils amènent avec eux un âne et un bœuf , et voyagent comme de pauvres marchands de bestiaux. — Arrivés à Bethléem , ils ne purent y trouver de logement, parce qu'ils étaient pauvres, et que, pour obéir à l'édit , il y avait un grand concours d'étrangers. Considérez ici, avec une tendre compassion, cette Vierge délicate, à peine âgée de quinze ans , fatiguée d'une longue route, rougissant de paraître en public, et pour tant réduite à chercher un logement qu'elle ne peut se procurer.
(1) Luc, 2.
Tout le monde la rebute , ainsi que son époux, ce qui les oblige à se retirer dans une rue couverte , où l'on allait s'abriter dans le temps de la pluie. Il paraîtrait que Joseph , qui était maître charpentier, s'y construisit une espèce de clôture. Maintenant , observez toutes les choses que je vais rapporter, avec d'autant plus d'attention qu'elles ont été révélées et découvertes par la Sainte Vierge elle-même , ainsi que je l'ai appris d'un saint religieux de notre ordre, digne de toute confiance, à qui je pense que ces révélations ont été faites.
« L'heure de l'enfantement étant venue ( c'était un dimanche au milieu de la nuit ) , Marie se leva et se plaça contre une espèce de pilier qui était près d'elle; Joseph était assis, fort affligé, peut-être à cause de l'impossibilité où il se trouvait de se procurer toutes les choses nécessaires dans de telles circonstances. Se levant à l'instant et prenant un peu de foin de la crèche , il le mit aux pieds de Marie et se tourna d'un autre côté. Ce fut alors que le Fils de l'Éternel , sortant du sein de la Vierge , sans rompre le sceau de la virginité , sans lui occasionner aucune douleur, fut en un moment déposé sur le foin, aux pieds de sa Mère, au même état où il était dans ses entrailles sacrées.
Marie se baissant aussitôt, le recueillant et l'embrassant tendrement , le plaça sur son cœur, et, par une inspiration du Saint-Esprit, se mit à oindre ou à laver tout son corps avec le lait dont la bonté céleste avait miraculeusement rempli son sein; cela fait, elle l'enveloppa du voile dont sa tête était couverte, et le coucha dans la crèche. Au même moment, le bœuf et l'âne fléchissant le genou , mettent leur tête au-dessus de la crèche , y dirigent leur haleine , comme s'ils eussent compris qu'un enfant si pauvrement vêtu , dans la saison rigoureuse, avait besoin de cette douce chaleur. Marie se prosterne et l'adore, et, rendant grâces, elle s'écrie : «Soyez béni, Seigneur, Père saint, qui avez daigné me donner votre Fils; Dieu éternel, je vous adore; je vous adore aussi , Fils du Dieu vivant, qui êtes devenu le mien. »
Joseph adressa à Dieu de semblables adorations, et, détachant; de la selle de l'âne un coussin de laine ou de bourre , il le plaça près de la crèche pour servir de siège à Marie ; elle s'y assit donc, appuya son coude sur la selle : et ce fut dans un tel état que la souveraine de l'univers, la tête tournée vers la crèche, attachait tendrement ses regards et son cœur sur son Fils bien-aimé. Là finit la révélation.
Après avoir fait connaître toutes ces choses , Marie disparut, et un Ange, qui lui succéda, raconta à celui de qui je tiens ces détails des circonstances fort honorables à Marie ; elles m'ont aussi été rapportées , mais je n'ai su ni les retenir, ni les écrire. Vous avez vu la naissance temporelle du Dieu de toute sainteté , vous avez également vu l'enfantement de la Reine du ciel , et dans l'un comme dans l'autre vous avez pu remarquer une extrême pauvreté, réduite à manquer des choses les plus indispensables. Cette précieuse vertu était perdue sur la terre, le Seigneur l'a retrouvée; voilà cette perle dont parle l'Évangile pour l'acquisition de laquelle il faut tout sacrifier (1 ) ; voilà la pierre fondamentale de tout l'édifice spirituel , car le fardeau des biens temporels empêche l'âme de s'élever jusqu'à Dieu.
C'est ce qui faisait dire à Saint François : « Sachez ,mes frères , que la pauvreté est la voie spirituelle qui conduit au salut ; elle est le ferment de l'humilité et la racine de la perfection ; ses fruits sont abondants, mais ils sont cachés. » Quelle honte donc pour nous de nous surcharger de tant de superfluités, et de ne pas embrasser de toutes nos forces une vertu que le Maître du monde et sa sainte Mère ont pratiquée avec tant d'amour et d'exactitude ! Saint Bernard dit à ce sujet (1) : « Le trésor de la pauvreté était répandu sur la terre avec abondance, et l'homme n'en comprenait pas le prix ; mais il excita tous les désirs du Fils de Dieu qui descendit du ciel pour s'en emparer et nous apprendre à l'estimer à son exemple. Parez votre couche d'humilité et de pauvreté : Jésus aime à s'envelopper de ces langes, c'est Marie qui nous en assure ; il met ses délices à être revêtu de ces riches ornements : immolez donc à votre Dieu les abominations de l'Égypte. »
Saint Bernard dit encore, dans un sermon sur la Nativité, qui commence ainsi : Béni soit, le Seigneur et le Père (2). « Dieu console enfin son peuple. Voulez-vous y savoir quel est son peuple? C'est à vous, Seigneur, que le pauvre a été confié, s'écrie l'homme selon le cœur de Dieu (3). Mais Jésus-Christ lui-même dit dans l'Évangile : Malheur à vous, riches, qui avez ici-bas votre consolation (4) En effet , qu'est-ce qui y consolera ceux qui ont leur consolation?
L'enfance silencieuse de Jésus ne peut consoler les grands parleurs ; les larmes de Jésus ne peuvent consoler ceux qui sont dans la joie ; ses langes ne peuvent consoler ceux qui aiment à étaler la magnificence de leurs vêtements; l'étable et la crèche ne consolent point ceux qui aiment à occuper les premières places dans les Synagogues.
(1) S. Bernard , Serm. 1, in. Vig. Nat. Dom. — (2) S. Bernard , Serm. 5, in. Vig. Nat. Dom. — (3) Ps. 9. — (4) Luc 6.
C'est aux yeux des vigilants Pasteurs que brille la lumière qui vient réjouir le monde; c'est à eux que l'on dit un Sauveur vous est né ; c'est aux pauvres et à ceux qui sont affligés que cette bonne nouvelle est apportée , et non à vous, riches, qui avez votre consolation et vos domaines. Là finit Saint-Bernard. Vous avez pu remarquer aussi dans la naissance de Jésus sa profonde humilité et celle de sa Mère ; car ils n'ont dédaigné ni l`étable , ni de vils animaux , ni le foin , ni tant d'autres choses rebutantes. Toutes les actions de Notre Seigneur, toutes celles de sa sainte Mère, dans lesquelles l'un et l'autre se montrent si fidèles observateurs de cette vertu, nous la recommandent puissamment.
Appliquons-nous donc, avec tout le zèle dont nous sommes capables , à la pratiquer ; car il n'y a point de salut à espérer sans elle, puisqu'aucune action, si elle a l'orgueil pour principe , ne peut être agréable à Dieu. En effet, au sentiment de saint Augustin (1), «l'orgueil transforme les anges en démons, et l'humilité rend les hommes semblables aux Anges. » Et Saint Bernard dit (2): «Quel homme, selon vous, méritera d'être choisi pour occuper dans le ciel la place de l'ange réprouvé? Une seule fois l'orgueil mit le trouble dans ce royaume ; il en ébranla les colonnes , et en renversa non-seulement quelques-unes , mais même la plus grande partie. Qu'en conclure , sinon qu'aux yeux de la sainte cité, l'orgueil est un objet d'horreur et d'abomination ? Soyez donc convaincus , mes frères , que celui qui n'a point épargné l'Ange superbe, n'épargnera pas davantage l'homme orgueilleux. Dieu n'est jamais contraire à lui-même. » Voilà comme s'exprime saint Bernard.
(1) Lih.desing. doc, ch. 18. — (2) Serm. 2., de verh. Isa., 6.
Vous avez pu aussi observer, en Jésus et en Marie, mais particulièrement en Jésus , une assez grande affliction de cœur, dont l'extrait suivant de saint Bernard vous donnera une idée (1) : « Le Fils de Dieu , qui, pour venir au monde, pouvait choisir à son gré le temps qui lui conviendrait , préféra la saison la plus pénible pour un enfant et surtout pour l'enfant d'une femme indigente , qui avait à peine des langes pour l'envelopper, une crèche pour le coucher ; et pourtant , dans une nécessité si pressante, il n'est mention d'aucune fourrure. »
Saint Bernard ajoute : «Jésus-Christ, qui, certes, ne peut se tromper, a choisi ce qui crucifie davantage la chair ; voilà donc ce qu'il y a de meilleur , de plus utile, ce qu'il faut préférer en tout; si quelqu'un enseigne ou conseille autre chose , je le regarde comme un séducteur dont il faut se défier. » Et plus bas, il dit : « Et cependant , mes frères , c'est là cet enfant qui suivant les anciennes promesses d'Isaïe, sait choisir le bien et rejeter le mal (2) ; donc le mal c'est la satisfaction des sens, et le bien c'est la mortification, puisque la sagesse incarnée , le Verbe enfant a choisi l'une et réprouvé l'autre. » Ainsi parle saint Bernard.
Allez donc et suivez cet exemple ; toutefois , soyez discrète et mesurez vos forces. Mais comme nous pourrons parler ailleurs de ces vertus , revenons à l'étable. Aussitôt la naissance de Jésus, une multitude d'anges, qui y assistaient, après avoir adoré leur Dieu, allèrent promptement trouver des pasteurs, qui étaient à environ un mille de là , pour leur annoncer cette naissance et le lieu où était l'enfant. Puis ils remontèrent au ciel au milieu des cantiques et des acclamations , annonçant les mêmes prodiges à tous les habitants de cet heureux séjour.
(1) Serm. 3., Natlv. Dom. — (2) Isaï. 9.
Cette nouvelle fut, pour toute la Cour céleste, l'occasion d'une vive allégresse et d'une fêle magnifique ; et après avoir adressé à Dieu le Père des louanges et des actions de grâces, tous les citoyens du ciel vinrent successivement et suivant l'ordre de leur hiérarchie, contempler la face du Seigneur leur Dieu, et, s'étant prosternés avec un profond respect devant lui et devant sa Mère, ils chantaient à l'envi des cantiques de louanges et de bénédictions. Et, en effet, qui d'entre eux, en apprenant ces prodiges inouïs, eût préféré demeurer au ciel plutôt que d'aller rendre hommage à son Seigneur, réduit sur la terre à un état si humiliant?
Aucun d'eux n'était capable d'un tel excès d'orgueil. De là, ces paroles de l'Apôtre (1) : «Lorsque Dieu envoya sur la terre son Fils unique, il dit : Que tous les anges l'adorent.» Quelle que soit, au reste , la manière dont ces choses se passèrent , je pense que ces considérations sur la conduite des Anges vous paraîtront pleines de charmes. Les pasteurs viennent à leur tour, adorent l'Enfant, et s'empressent de raconter ce que les Anges leur ont annoncé. La Vierge très-prudente conservait dans son cœur tout ce qu'elle entendait dire de son Fils ; quant aux pasteurs, ils s'en retournèrent pleins de joie.
Et vous , qui venez si tard à l'étable , fléchissez aussi le genou , rendez vos hommages au Fils ; puis , rendez-les aussi à la Mère, et saluez respectueusement le saint vieillard Joseph. Baisez ensuite les pieds de l'enfant Jésus reposant dans la crèche , et priez Marie de vous le présenter ou de vous permettre de le prendre vous-même ; portez-le entre vos bras, conservez-le, contemplez ses traits enchanteurs avec une tendre piété , donnez-lui de respectueux baisers , et mettez en lui toutes vos délices ; ne craignez rien , tout vous est permis , car c'est pour le salut des pécheurs qu'il est venu à eux, qu'il a conversé avec eux , et qu'enfin il s'est donné à eux en nourriture.
(1) Heb. 1.
Touchez-le tout à votre aise , sa bonté vous laissera patiemment prendre cette familiarité qu'elle n'attribuera point à une présomption téméraire , mais à votre amour. Néanmoins , dans tout cela , agissez toujours avec crainte et avec respect , car c'est le Saint des Saints lui-même. Rendez-le ensuite à sa Mère , et considérez attentivement avec quel soin et quelle sagesse elle le gouverne , l'allaite et lui rend tous les autres services dont il a besoin. Et vous aussi, partagez, autant que vous le pourrez , ses soins maternels, mettez-y votre bonheur et vos délices, pensez-y continuellement ; rendez à Marie et à l'Enfant
Jésus tous les bons offices dont vous êtes capable , et fixez souvent de tendres regards sur cette face adorable que les Anges ne se lassent pas de contempler. Mais comme je vous l'ai dit , si vous ne voulez point que vos empressements soient rebutés, accompagnez-les d'une crainte respectueuse; car vous devez vous regarder comme indigne d'avoir de telles communications. Vous devez ensuite entrer dans une sainte joie en réfléchissant sur la solennité de ce jour, car c'est aujourd'hui que Jésus-Christ est né; c'est donc vraiment le jour de la naissance temporelle du Roi éternel , du Fils du Dieu vivant; c'est aujourd'hui qu'un Fils nous est donné, et qu'un enfant nous est né (1); c'est aujourd'hui que le Soleil de justice longtemps voilé d'un sombre nuage a fait briller toutes ses splendeurs; aujourd'hui le Saint-Esprit
1 Hébreux 1
chef de l'Église des élus, est descendu de son lit nuptial; aujourd'hui le plus beau des enfants des hommes découvre à tous les regards sa beauté ravissante ( 1 ) ; aujourd'hui les Anges ont fait entendre ce cantique , « Gloire à Dieu au plus haut des Cieux » Aujourd'hui, par le même cantique, la paix a été annoncée à tous les hommes. Aujourd'hui, comme l'Église le chante aussi dans tout l'univers , « le miel découle des deux, et les chants de la milice céleste ont été entendus sur toute la terre.» Aujourd'hui le Dieu Sauveur a montré les prémices de sa bonté et de son humanité (3) ; aujourd'hui Dieu a été adoré, revêtu d'une chair semblable à celle du péché. Aujourd'hui se sont opérés deux prodiges qui confondent toute la raison humaine, et que la foi seule peut concevoir, un Dieu a pris naissance, une Vierge a enfanté.
Mais ce jour est encore, pour ainsi dire, illustré par plusieurs grands évènements extraordinaires ; et ces prodiges ont enfin rendu plus sensibles tous ceux que nous avons déjà rapportés de l'Incarnation : les uns sont une ébauche, les autres une évidente manifestation; ainsi , rapprochez maintenant les uns et les autres avec une sérieuse attention. Oui : ce jour est à juste titre un jour de fête, d'allégresse , d'inexprimable joie. Car d'une taverne de Rome, dite Emeritoria ( parce que c'était en ce lieu que les militaires venaient dépenser leur solde en divertissements ou en acquisition de choses nécessaires ) , on vit sortir de terre une source abondante d'huile qui coula à plein bord pendant tout un jour ; on vit aussi dans toutes les parties de la terre briller autour du soleil un cercle lumineux , semblable à l'arc-en-ciel ; et à Rome , la statue d'or que Romulus avait placée dans son palais, et qui, selon l'oracle, ne devait être renversée qu'au moment où une Vierge enfanterait , tomba précipitamment à terre aussitôt après la naissance de Jésus-Christ. C'est là que le pape Calixte fit élever l'église appelée aujourd'hui de Sainte-Marie , au-delà du Tibre.
(1) Ps. 44. — (2) Luc, 2. — (3) Tite., 3.
CHAPITRE VIII.
CIRCONCISION ET LARMES DE JÉSUS-CHRIST.
Le huitième jour l'Enfant fut circoncis. Deux faits importants rendent ce jour remarquable. Premièrement , le nom de Sauveur que l'Éternel lui-même lui avait imposé , ce nom qui lui fut donné par l'Ange , même avant sa conception , fut aujourd'hui manifesté , proclamé; on l'appela Jésus (1). Jésus signifie Sauveur ; c'est un nom au-dessus de tout autre nom. Car, selon l'apôtre saint Pierre , il n'y a pas d'autre nom sous le ciel par lequel nous puissions être sauvés (2). Secondement, ce fut en ce jour que le Seigneur Jésus répandit pour nous les prémices sacrés de son précieux sang. Celui qui était l'innocence même commença à propos à souffrir pour nos péchés , puisqu'en ce jour il commença à en accepter la peine. Entrez donc dans ses sentiments et pleurez avec lui, parce qu'en ce jour il a répandu des larmes abondantes. Car nos saintes solennités doivent nous combler de joie en vue de notre salut, et nous remplir de compassion et de tristesse, à cause des peines et des souffrances de Jésus-Christ.
(1) Luc, 2. — (2) Act. , 4.
Vous avez vu dans sa naissance combien il eut à souffrir; combien de choses lui manquèrent ; mais, entre tant d'autres que je pourrais citer, remarquez que, lorsque sa Mère le mit dans la crèche, elle posa sa tête sur une pierre qui n'en était séparée que par un peu de foin, ainsi que je l'ai appris d'un de nos frères qui l'a vu; et l'on peut encore aujourd'hui distinguer cette pierre dans le mur où elle a été scellée en souvenir de ce fait.
Ne doutez pas que, si Marie eût pu disposer d'un oreiller, elle ne l'eût préféré; mais, n'ayant rien à mettre que cette pierre, elle la plaça en gémissant sous la tête de son fils. Vous vous rappelez aussi que le sang de Jésus a coulé dans ce jour. Une pierre tranchante a déchiré sa chair. Ne devons-nous pas être sensibles à ses douleurs? Oui, sans doute; et à celle de sa Mère! Les souffrances que l'Enfant Jésus éprouva dans sa chair, lui firent donc aujourd'hui répandre des pleurs; car il était revêtu d'une chair véritable, d'une chair passible comme celle des autres hommes. Et pensez-vous qu'en voyant couler ses larmes, sa Mère put retenir les siennes? Elle pleure donc aussi , et l'Enfant qu'elle pressait sur son sein , voyant sa douleur, portait sa petite main sur ses lèvres et sur son visage, et semblait, par ce geste , la conjurer de ne pas pleurer; car il ne pouvait supporter l'affliction d'une Mère qu'il chérissait si tendrement; et Marie en même temps , dont les entrailles étaient profondément émues à la vue des douleurs et des larmes de son Fils, essayait de les adoucir par des caresses et par des paroles affectueuses.
Car la haute pénétration de Marie , lui faisait comprendre la volonté où il était de souffrir, quoiqu'il ne pût encore l'exprimer. Et elle lui disait : « Mon fils, si vous ne voulez pas que je pleure, cessez donc de pleurer vous-même, car je ne puis voir vos larmes, sans y mêler les miennes. » Et alors, par compassion pour sa Mère, Jésus retenait ses sanglots; et Marie essuyait ses yeux, essuyait aussi ceux de Jésus, appliquait son visage sur le sien, le suspendait à son sein virginal et lui prodiguait toutes les consolations possibles; elle les renouvelait toutes les fois qu'il versait des pleurs , ce qui lui arrivait souvent comme aux autres enfants, tant pour montrer qu'en prenant la nature humaine , il en avait accepté toutes les misères , que pour se dérober sous ce voile à la connaissance du démon ( des anges déchus). Voilà pourquoi l'Église, dans ses saints cantiques, dit : L'Enfant , dans les langes , fit entendre des vagissements.
Maintenant il n'y a plus de Circoncision corporelle; elle est remplacée par le Baptême, qui, avec moins de douleur, nous donne une grâce plus abondante; mais nous devons nous soumettre à la Circoncision spirituelle, retrancher toutes les choses superflues, ce qui nous oblige à embrasser la pauvreté, car la véritable pauvreté n'est qu'une vraie Circoncision spirituelle. Et selon saint Bernard (1), « l'Apôtre la fait connaître en ce peu de mots (2) : Quand nous avons la nourriture et le vêtement, n'en demandons pas davantage. Mais la Circoncision spirituelle doit aussi s'étendre à tous nos sens ; usons donc avec modération , de la vue , du goût, de l'ouïe, du toucher et surtout de la parole. »
(1) S. Bern., Serm. 1 , in circume. Dom. — (2) Timoth. 6.
L'intempérance de la langue est un vice détestable, également odieux et désagréable à Dieu et aux hommes; il faut donc circoncire notre langue , c'est-à-dire , parler peu et ne rien dire d'inutile ; l'abondance des paroles annonce un homme inconséquent; le silence, au contraire, est une vertu, et ce n'est pas sans raison qu'il est prescrit dans tous les ordres religieux. Voilà ce que dit saint Grégoire sur cette matière (1) : « Celui-là sait véritablement bien parler qui a d'abord bien appris à se taire ; car le silence sert , en quelque sorte, de nourriture à la parole, puisqu'il lui ôte tout ce qui l` énerve et l'affaiblit. » Saint Grégoire dit encore ailleurs (2) : « Les hommes d'un esprit superficiel parlent avec précipitation , parce que la langue se hâte de mettre au jour les conceptions d'une tête légère. »
Dans un sermon sur l'Épiphanie, commençant par ces mots : Dans les œuvres du Seigneur, etc., saint Bernard s'exprime ainsi sur le même sujet (3) : « Quant à la langue, qui de nous ignore par combien de vains discours et de mensonges, de détractions et de flatteries, de paroles malignes ou présomptueuses elle nous a souillés? le silence est le remède nécessaire à tous ces maux; c'est le bouclier d'un religieux, c'est là qu'est toute notre force. » Le même auteur dit autre part : « L'oisiveté est la mère de la bagatelle et la marâtre des vertus; et ce qui, pour un homme du monde, n'est que bagatelle, est un blasphème dans la bouche d'un Prêtre. Si, pourtant, il arrive que vous entendiez des discours si vains , peut-être pourrez- vous les souffrir quelquefois, mais vous ne devez jamais les répéter; car il ne vous est pas permis d'ouvrir pour cet usage des lèvres consacrées à la lecture de l'Évangile (4). »
(1) Moral., lib. 5., c. 11. — (2) Serm. 2, in Dom. 1 port.
Oct. Epiph. — (3) Liv. 3., De Consid., cb. 13.
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: MÉDITATIONS SUR LA VIE JESUS-CHRIST TRADUITES DE SAINT BONAVENTURE - 14 eme siecle
CHAPITRE IX
DE L`ÉPIPHANIE OU DE LA MANIFESTATION DU SEIGNEUR
Le treizième jour après sa naissance , l'Enfant Jésus se manifesta aux Gentils, dans la personne des Mages qui les représentaient. Remarquez sur ce jour qu'on aurait peine à trouver une autre fête plus célèbre dans l'Église , et qui offre un plus grand nombre d'antiennes , de répons , de passages et de traits de l'Écriture qui s'y rapportent, non que cette solennité l'emporte sur les autres , mais à cause que le Seigneur Jésus a fait en ce jour et surtout en faveur de son Église plusieurs choses importantes.
La première, c'est d'avoir aujourd'hui formé l'Église en la personne des Mages , parce que l'Église a été rassemblée de toutes les nations. Car au jour de sa naissance, Jésus , dans la personne des Pasteurs , s'est fait connaître aux Juifs qui , à l'exception d'un petit nombre , n'ont pas voulu recevoir le Verbe éternel de Dieu ; mais en ce jour il s'est révélé aux Gentils qui composent ainsi l'Église des élus. La fête de ce jour est donc véritablement la fête de tous les Chrétiens fidèles.
La deuxième chose , c'est que l'Église a été fiancée aujourd'hui à Jésus-Christ, qui, à pareil jour, après sa vingt-neuvième année, l'a véritablement par son baptême prise pour son Épouse. Voilà pourquoi nous chantons avec joie : Aujourd'hui l'Église a été unie à son céleste Époux, etc. Car c'est dans le baptême que les âmes deviennent les fiancées de Jésus-Christ , en vertu des droits que son Baptême lui donne sur elles. Et la société des âmes qui ont reçu le Baptême , s'appelle l'Église.
La troisième chose que fit Jésus-Christ, c'est qu'à pareil jour, après l'année de son Baptême, il opéra aux noces de Cana le premier de ses miracles que l'on peut aussi rapporter à l'Église et aux noces spirituelles. Il paraît encore qu'il fit , plus tard, à pareil jour, le miracle de la multiplication des pains et des poissons; mais l'Église, qui rappelle aujourd'hui les trois premiers évènements, ne fait nul mention du dernier.
Comprenez donc quel respect nous devons avoir pour ce jour choisi par le Seigneur pour exécuter tant de choses magnifiques et admirables. A la vue des faveurs si grandes et si multipliées dont elle fut aujourd'hui comblée par son céleste Époux , l'Église pleine de reconnaissance, célèbre ce jour avec pompe, par ses acclamations, les transports de sa joie et de son allégresse. Disons donc quelque chose du premier de ces évènements; car nous parlerons des autres à leur place, lorsqu'il en sera question dans la vie de Jésus-Christ. Quant à ce premier fait , la venue des Mages à Jésus-Christ , je ne me propose pas d'en exposer les moralités et les développements que plusieurs saints personnages nous ont transmis avec tant de soin. Si vous voulez donc savoir comment les Mages vinrent d'Orient à Jérusalem, ce qui se passa entre eux et Hérode, comment ils furent conduits par l'étoile , ce qui les détermina dans le choix des présents qu'ils firent et toutes les autres choses semblables , vous trouverez tout cela dans le texte évangélique et dans les écrits des Saints.
Pour moi, comme je vous l'ai déjà dit, je me propose, sur ce fait et sur tous ceux de la vie de Jésus-Christ , d'effleurer ici quelques méditations que me suggèreront les représentations idéales que l'imagination peut diversement concevoir des choses, telles qu'elles ont réellement été faites par Jésus-Christ, ou , du moins , telles que l'on peut croire qu'elles se sont passées. Je me suis rarement permis d'entrer dans les développements, tant à cause de mon incapacité que des longueurs où ce travail m'aurait entraîné. Redoublez donc d'attention en lisant ceci , et observez bien toutes choses; car, comme je vous l'ai dit précédemment, c'est de là que ces méditations tireront toute leur efficacité.
Les trois Rois Mages arrivèrent donc escortés d'une suite nombreuse et brillante ; et les voilà devant la pauvre chaumière où Jésus- Christ est né. Marie entend du bruit et du tumulte, elle se saisit de son enfant. Les Mages pénètrent dans l'étable, ils se prosternent et adorent respectueusement l'Enfant Jésus, Notre-Seigneur ; ils l'honorent comme leur Roi , ils l'adorent comme leur Dieu.
Admirez la grandeur de leur foi ! Car comment croire que ce petit Enfant, couvert de langes si misérables, qu'ils trouvent avec une Mère si pauvre et dans un lieu si abject , abandonné de tous , sans famille , sans aucunes marques de grandeur, était un Roi et le vrai Dieu ? Et cependant ils crurent qu'il était l'un et l'autre. Voilà les premiers guides, les premiers modèles qu'il fallait à notre foi; ils demeurent à genoux devant lui, s'entretiennent avec Marie, soit par un interprète, soit par eux-mêmes; car , étant savants , peut-être connaissaient-ils la langue hébraïque. Ils s'informent de toutes les circonstances et de tous les détails relatifs à l'Enfant Jésus. Marie les leur fait connaître; ils croient tout sans hésiter. Observez bien avec quel respect et quelle dignité ils s'expriment, ils écoutent. Remarquez aussi Marie; elle rougit à chaque mot, ses yeux sont baissés vers la terre, elle parle avec retenue, elle craint de parler et d'être vue.
Le Seigneur la remplit de force dans cette grande circonstance; car les Mages figuraient en ce moment l'Église universelle qui devait être formée de toutes les nations. Voyez aussi l'Enfant Jésus ; il ne parle pas encore, mais il a la gravité d'un homme mûr qui écoute et comprend ; il regarde avec bonté les Mages qui , de leur côté , le contemplent avec délices, non-seulement des yeux du corps , parce qu'ils voyaient en lui le plus beau des enfants des hommes , mais aussi des yeux du cœur, parce que Jésus les éclairait, les instruisait intérieurement.
Enfin , après avoir été comblés des plus douces consolations, ils présentent de l'or, de la myrrhe et de l'encens; puis ils ouvrent leurs trésors, et, sur une étoffe précieuse, ou sur quelque riche tapis qu'ils ont placé aux pieds du Seigneur Jésus, ils lui offrent tous ensemble, et chacun pour sa part, ces trois présents en grande quantité , et l'or avec encore plus d'abondance. Autrement , et pour faire une légère offrande , ils n'eussent pas eu besoin d'ouvrir leurs trésors; ce que leurs serviteurs portaient à la main aurait suffi.
Après cela, les Mages baisèrent les pieds de Jésus avec beaucoup de respect et de piété. Qu'eussent-ils éprouvé si, pour augmenter leur bonheur et les fortifier dans son amour, cet enfant plein de sagesse leur eût aussi présenté sa main à baiser ? Or, il l'étendit sur eux pour leur donner sa bénédiction. Les Mages, l'ayant salué profondément , prirent congé de lui , se retirèrent tout remplis de joie , et retournèrent dans leur pays par un autre chemin.
Mais que fit-on, pensez-vous, de cette quantité d'or dont la valeur était si considérable ? Marie l'a-t-elle gardée pour elle? En a-t-elle fait un dépôt? S'en est-elle servie pour acheter des maisons , des terres ou des vignes? Non , certes ! elle aimait trop la pauvreté pour penser à de pareils emplois. Pleine de zèle pour cette-vertu , et comprenant la volonté de son Fils, qui la lui faisait connaître intérieurement par sa grâce, et la lui manifestait extérieurement en détournant avec horreur ses yeux de cet or qu'il méprisait , Marie le distribua entièrement aux pauvres en peu de jours; car il lui était pénible de conserver plus longtemps ou de transporter ce fardeau.
Aussi, elle s'en était si parfaitement dépouillée, qu'au moment de sa présentation au temple, elle n'avait plus de quoi payer l'unique agneau qu'elle devait offrir pour son Fils, et qu'elle ne put acheter que deux tourterelles ou deux colombes. Il est donc raisonnable de croire que l'offrande des Mages fut considérable , et que Marie, par amour de la pauvreté et par l'excès de sa charité , la distribua aux pauvres sans aucune réserve. Voyez quel bel éloge de la pauvreté. Mais remarquez ici deux choses : la première , c'est que l'enfant Jésus , ainsi que sa Mère, reçoivent aujourd'hui l'aumône comme des pauvres ; la seconde , c'est que non-seulement ils ne se soucient ni d'acquérir, ni d'amasser, mais qu'ils ne veulent pas même conserver ce qu'on leur donne : tant l'amour de la pauvreté prenait sans cesse en eux de nouveaux accroissements.
Ne remarquez-vous pas encore , dans ce mystère , un exemple frappant d'humilité ? cette vertu , si vous y faites attention, se montre ici dans toute sa profondeur. Il y a des personnes qui ne s'élèvent point à leurs propres yeux, et qui se croient intérieurement viles et abjectes; mais elles ne veulent pas passer pour telles aux yeux des autres, elles ne souffrent pas qu'on les méprise, ou qu'on les raille: elles cachent leur bassesse ou leurs défauts pour ne pas être déshonorées. Telle n'est pas aujourd'hui la conduite de l'Enfant Jésus , souverain de l'univers , qui voulut , au contraire, découvrir toute son abjection, non-seulement à ses proches , mais aux étrangers ; non à quelques personnes, non à des hommes obscurs, mais à un grand nombre d'hommes , à des personnes distinguées , à des rois et à la foule nombreuse qui les accompagne.
Et cela, dans un temps et dans des circonstances où il était fort à craindre que les Mages, venus pour chercher le Roi des Juifs qu'ils croyaient aussi être leur Dieu , à la vue de l'état dans lequel ils le trouvaient , ne se retirassent plutôt avec le doute qu'ils étaient tombés dans une sotte erreur, qu'avec de profonds sentiments de foi et de piété. Cependant le Maître , l'ami de l'humilité ne se refuse pas à les recevoir , nous apprenant par là à ne point rejeter la pratique de l'humilité , sous le prétexte de quelque apparence de bien , et à consentir à paraître aux yeux des autres vils et méprisables.
CHAPITRE X.
SÉJOUR DE MARIE DANS L'ÉTABLE.
Après le départ des Mages, après qu'ils eurent repris la route de leur patrie , après la distribution de toutes leurs offrandes , la Reine du monde resta encore dans l'étable avec l'Enfant Jésus et le saint vieillard Joseph, son père nourricier ; elle y demeura patiemment jusqu'au quarantième jour , comme si elle n'était qu'une femme du peuple , comme si son Fils Jésus n'était qu'un pur homme soumis aux observances légales. Mais, parce que ni l'un ni l'autre ne voulaient de privilèges particuliers , ils observaient la loi comme les autres Israélites. Ce n'est pas ainsi que se conduisent plusieurs membres de communautés religieuses , qui exigent pour eux des prérogatives spéciales, par lesquelles ils prétendent se distinguer des autres auxquels ils se croient préférables. Mais ces prétentions sont incompatibles avec une humilité véritable.
Marie se tenait donc dans l'étable , attendant le jour , où, suivant l'usage, il lui serait permis d'entrer dans le Temple ; elle était là vigilante et attentive à la garde de son Fils bien-aimé. 0 Dieu ! avec quelle sollicitude et quels soins elle veillait sur lui pour le préserver des moindre chutes ! Avec quel respect et quelle précaution, avec quelle sainte frayeur elle touchait de ses mains , celui qu'elle savait bien être son Dieu ; c'était à genoux qu'elle prenait son Seigneur ; à genoux qu'elle le reposait dans la crèche ! Avec quel bonheur, avec quelle confiance et avec quelle autorité maternelle elle embrassait , elle couvrait de ses baisers, elle pressait tendrement sur son cœur celui qu'elle savait être son Fils , et en qui elle mettait toutes ses délices. Combien de fois et avec quel intérêt elle considérait ses traits et toutes les parties de son corps sacré ! avec quelle gravité, avec quelle pudeur elle emmaillotait ses membres délicats ! Car Marie fut la plus prudente des femmes, comme elle en fut la plus humble.
Voilà pourquoi elle était si attentive à prodiguer les services et les soins à Jésus pendant ses veilles et durant son sommeil , non-seulement dans sa première enfance , mais dans un âge plus avancé. Avec quel empressement elle le nourrissait de son lait. En allaitant un tel Fils , elle dut indubitablement ressentir aussi une douceur inexprimable, inconnue à toutes les autres mères. Quant à saint Joseph , saint Bernard dit de lui , que lorsqu'il tenait Jésus sur ses genoux , souvent le saint Enfant lui souriait.
Placez-vous en esprit tout près de l'étable où Marie a fixé son séjour , et allez souvent près de Jésus respirer avec délices le parfum de vertu qui s'en exhale. Tous les fidèles et surtout les religieux, devraient, depuis la Nativité jusqu'à la Purification, visiter au moins une fois par jour, dans ce saint asile, Marie et l'Enfant Jésus, se prosterner à leurs pieds, et faire d'affectueuses méditations sur la pauvreté, l'humilité et la bonté dont ils nous offrent de si parfaits modèles.
CHAPITRE XI.
PURIFICATION DE LA SAINTE VIERGE.
Le quarantième jour après la Nativité , Marie , conformément au précepte , partit avec Jésus et saint Joseph pour se rendre à Jérusalem , éloigné de cinq à six milles de Bethléem , afin de consacrer l'Enfant au Seigneur, comme le prescrivait la loi (1). Accompagnez-les dans ce voyage, aidez-les à porter l'Enfant, et observez attentivement toutes les paroles , toutes les actions ; elles sont très propres à nourrir votre piété.
Ils conduisent donc le Seigneur du Temple dans le Temple du Seigneur. En y entrant, ils y achètent deux tourterelles ou deux petites colombes (2) pour les offrir à la place de Jésus , comme faisaient les pauvres. Et , attendu que leur indigence était extrême , il est très-probable qu'ils prirent deux petites colombes, parce qu'étant d'un prix moins élevé , elles sont, dans la loi, mises au dernier rang, et parce qu'en outre l'Évangéliste ne parle pas de l'agneau qui était l'offrande des riches.
(1) Lévitic, 12. - (2) Luc, 2.
Et voilà que le saint vieillard Siméon est au même instant conduit au temple par l'inspiration du Saint- Esprit , pour y voir, avant de mourir, le Christ du Seigneur, ainsi que la promesse lui en avait été faite. S'étant approché avec empressement, il ne l'eut pas plutôt aperçu qu'il le reconnut par une lumière prophétique; et, doublant le pas, il se prosterna et l'adora entre les bras de sa Mère. L'Enfant le bénit , regarde sa Mère et s'incline vers le saint vieillard, annonçant ainsi le désir qu'il a d'aller à lui ; Marie observe ce mouvement, le comprend , l'admire et présente Jésus à Siméon. Plein de joie, le saint vieillard le prit respectueusement entre ses bras, se leva et bénit Dieu en disant : Seigneur, laissez maintenant mourir en paix votre serviteur (1) , etc. ; puis il parla de sa passion d'une manière prophétique.
(1) Luc, 2.
En ce moment survint Anne la prophétesse ; elle adora l'enfant divin et parla de lui comme le vieillard Siméon . Pour Marie, ce qu'elle voit , ce qu'elle entend la remplit d'admiration , et elle conserve soigneusement toutes ces choses dans son cœur. Jésus alors , tendant les bras vers sa Mère , lui fut rendu par Siméon ; en même temps , on se dirigea vers l'autel en faisant une procession dont l'image est aujourd'hui reproduite dans tout le monde chrétien.
En tête de cette procession s'avancent les deux vénérables vieillards , Joseph et Siméon ; ils sont pleins d'allégresse , ils se tiennent par la main , font entendre de joyeuses acclamations et chantent avec enthousiasme les psaumes suivants : Mettez votre confiance dans le Seigneur, car il est bon, et sa miséricorde est éternelle (1), etc. ;
Comme il est le Seigneur notre Dieu pour tous les siècles des siècles, il nous conduira et nous gouvernera pendant l'éternité ; Dieu est fidèle dans toutes ses paroles (2), etc.; Seigneur, nous avons éprouvé les effets de votre miséricorde au milieu de votre temple (3).
Vient ensuite la Vierge-Mère , portant entre ses bras le Roi Jésus ; Anne l'accompagne , elle marche à ses côtés, elle modère par respect ses acclamations ; elle loue aussi le Seigneur avec une joie inexprimable. C'est ainsi qu'ils font cette procession si petite par le nombre de ceux qui la composent , mais si grande eu égard à la multitude de ceux qui y sont représentés ; car il s'y trouvait des personnes de toutes les conditions humaines , des hommes et des femmes, des vieillards et de jeunes enfants, des vierges et des veuves.
Lorsqu'on fut arrivé au pied de l'autel , la Mère de Jésus, se prosternant humblement, offrit son Fils bien-aimé au Père céleste , en disant : « Père infini ment bon, recevez votre Fils unique, que, par obéissance au commandement de votre loi , je vous offre comme mon premier-né; mais je vous supplie, ô mon Père, de le rendre à ma tendresse. » Puis, se relevant, elle le déposa sur l'autel. O Dieu ! quelle oblation vous est présentée !
Jamais on ne vous en fit , jamais on ne vous en fera de semblable. Considérez attentivement tout ce qui se passe ici; Jésus , comme les autres enfants , reste assis sur l'autel avec une gravité qui n'était pas de son âge ; il porte ses regards sur sa Mère et sur ceux qui l'accompagnent, puis , dans une humble patience , il attend ce qui doit survenir.
(1) Ps. , 117. — (2) Ps. , 144. — (3) Ps. , 47.
Les Prêtres s'approchent de l'autel , et le Roi de l'univers est racheté comme un esclave , au prix ordinaire de cinq sicles, espèce de monnaie en usage chez les Juifs. Joseph les ayant remis au Grand-Prêtre , Marie reprit son Fils avec joie. Elle reçut aussi de Joseph, pour les offrir au Seigneur, les deux colombes dont nous avons parlé ; puis, les tenant dans ses mains, à genoux, les yeux élevés et portés vers le ciel, elle les présente à Dieu , en disant : « Recevez, ô Père plein de bonté, cette première oblation, ce misérable don , cet indigne présent que votre enfant vous offre dans sa pauvreté. » L'enfant Jésus étendit ses petites mains vers les colombes , leva les yeux au ciel , et , ne pouvant se joindre de bouche à l'oblation de sa Mère , s'y unit du moins par ses gestes. Ils déposèrent donc ensemble les colombes sur l'autel.
Vous comprenez bien quels sont ceux qui les offrent , c'est Jésus , c'est Marie ! Tout petit qu'il était, ce présent pouvait-il être refusé? non , sans doute. Il fut , au contraire , porté par la main des Anges devant le trône de Dieu auquel il parut extrêmement agréable ; ce qui remplit toute la Cour céleste d'une grande allégresse , qu'elle exprima par les plus vives acclamations. Marie ensuite quitta Jérusalem, et alla de nouveau visiter Élisabeth , parce qu'elle voulait revoir saint Jean , avant de s'éloigner de ces contrées. Suivez-la, accompagnez-la partout, et aidez-la à porter Jésus.
Quand ces deux Mères furent réunies, ce fut pour elles un jour de fête , surtout à cause de leurs enfants. La joie de ceux-ci fut réciproque , et saint Jean montrait du respect pour Jésus, comme s'il eut compris ce qu'il était. Prenez aussi respectueusement entre vos bras le petit saint Jean; peut-être, cet enfant, si grand devant le Seigneur, vous bénira-t-il. Ayant passé quelques jours à Hébron , Marie et Joseph partirent pour retourner à Nazareth . Si vous voulez vous faire une idée de l'humilité et de la pauvreté qui éclatent dans tout ce qui précède , vous y parviendrez facilement, en considérant la Présentation de Jésus, son rachat, et avec quelle exactitude la loi est observée dans ces circonstances.
CHAPITRE XII.
FUITE DE NOTRE SEIGNEUR EN ÉGYPTE.
Pendant que les saints voyageurs s'acheminaient vers Nazareth , ignorant encore , a cet égard , les desseins du Seigneur, et le projet qu'Hérode avait formé d'ôter la vie à Jésus, un Ange du Seigneur apparut à Joseph pendant son sommeil, lui ordonnant de fuir en Égypte avec Marie et son Fils, dont Hérode menaçait les jours (1). Joseph se réveillant, réveille aussi Marie, et l'instruit de ce qu'il vient d'apprendre. Sortant à l'instant du lit, Marie résolut de partir sans délai ; car ses entrailles maternelles s'étaient troublées à ces nouvelles, et elle ne voulait rien négliger pour assurer le salut de son Fils.
Incontinent et dans la même nuit, la Sainte Famille se mit en marche pour le pays d'Égypte. Remarquez et méditez ce qui précède et ce qui suit. Voyez la dure nécessité où sont Marie et Joseph de lever Jésus au milieu de son sommeil; compatissez à leur peine et redoublez votre attention, car cette circonstance peut vous fournir plusieurs considérations excellentes.
(1) Matth. , 2.
Observez d'abord avec quelle indifférence le Seigneur supporte en sa personne , tantôt la prospérité , tantôt l'adversité, et souffrez avec patience ces alternatives quand elles vous arriveront ; car on trouve les vallées à côté des montagnes. Voici en effet, qu'à sa naissance, Jésus fut, par les Pasteurs, glorifié comme un Dieu, et, peu de temps après, il est circoncis comme un pécheur; puis , viennent les Mages qui lui rendent les plus grands honneurs, et cependant il ne sort pas de l'étable , il demeure au milieu des plus vils animaux, et répand des larmes comme l'enfant du dernier des hommes ; ensuite on le présente au Temple, Siméon et Anne portent sa gloire jusqu'au ciel, et maintenant un Ange vient lui dire de fuir en Égypte.
Et dans plusieurs autres circonstances de sa vie nous pourrons faire les mêmes remarques et les appliquer à notre instruction. Quand donc vous serez dans la consolation, préparez-vous à la tribulation et réciproquement, et concluez qu'il ne faut ni se laisser abattre dans l'une, ni s'élever dans l'autre. Car, Notre Seigneur, par la consolation , soutient notre espérance et nous maintient dans la bonne voie; et par la tribulation , il nous affermit dans l'humilité afin que, connaissant toute notre misère , nous persévérions dans sa crainte. Comprenons donc que dans tout cela, Jésus n'agit que pour nous instruire et pour se cacher au démon (anges déchus).
Une seconde considération à faire sur les grâces et les consolations de Dieu , c'est que celui qui les obtient ne doit pas s'estimer plus que celui à qui elles sont refusées, et que ceux qui en sont privés ne doivent ni se décourager, ni porter envie à ceux qui les reçoivent. Je fais ces réflexions en voyant ici que les Anges s'étaient adressés à Joseph plutôt qu'à la Mère de Jésus qui, pourtant, était si supérieure à ce saint Patriarche. J'ajoute que , lorsqu'on ne reçoit qu'une partie des grâces que l'on désire , on ne doit se montrer ni ingrat ni murmurateur, en voyant que Joseph lui-même , si grand aux yeux de Dieu , n'obtint point, en plein jour, mais pendant la nuit, la faveur de s'entretenir avec les Anges.
Observons, en troisième lieu, comment le Seigneur permet quelquefois que ses plus fidèles serviteurs soient éprouvés par les persécutions et les tribulations. Quelles étaient les angoisses de Marie et de Joseph lorsqu'ils apprirent qu'on cherchait Jésus pour l'immoler ? Pouvait-on leur annoncer une nouvelle plus affligeante ? Leurs sentiments les plus naturels étaient soumis à une épreuve non moins pénible; car il fallait fuir avec Jésus, et, quoiqu'ils sussent qu'il était le Fils de Dieu , cette fuite , cependant, pouvait les troubler et leur faire dire : « Seigneur, Dieu tout-puissant , est-il bien nécessaire que votre Fils ait recours à la fuite? Ne pouvez-vous le défendre en ce lieu? »
Une autre tribulation pour eux , c'était l'obligation d'aller dans un pays éloigné , qu'ils ne connaissaient pas, par des chemins difficiles qu'ils étaient incapables de parcourir. Marie était trop jeune, Joseph trop avancé en âge; de plus, l'enfant qu'ils devaient transporter avait à peine deux mois, et il fallait parcourir des pays étrangers dans un état de pauvreté et de dénuement absolu. Tout cela n'était il pas pour eux un grand sujet d'affliction ? Soyez donc patiente dans la tribulation , et ne comptez pas sur un privilège que votre Dieu n'a accordé ni à lui-même , ni à sa Mère.
Quatrièmement, appliquez-vous à connaître toute la douceur de Jésus. Observez avec quelle barbarie on le persécute , avec quelle précipitation on l'oblige à fuir loin de sa patrie , et en même temps avec quelle bonté il cède à la fureur de celui qu'il pouvait anéantir en un moment. Que cette humilité est profonde ! Que cette patience est grande ! Car, il ne voulait ni se venger de son ennemi , ni l'offenser; il voulait par la fuite échapper à ses pièges.
C'est donc pour nous aussi une obligation d'agir de même envers ceux qui nous font des reproches, c'est-à-dire de nous soumettre à ceux qui nous blâment ou nous persécutent, de ne former contre eux aucun désir de vengeance, mais de les supporter avec patience, de céder à leur violence , et même de prier pour eux , suivant le précepte que le Seigneur nous en donne dans un autre endroit de l'Évangile (1).
Notre Seigneur fuyait donc devant l'un de ses serviteurs , ou plutôt devant un esclave du démon. Une tendre Mère, bien jeune encore, accompagnée de saint Joseph, déjà avancé en âge , le portait en Égypte , par une route sauvage, obscure, couverte d'arbres, âpre, déserte et surtout d'une extrême longueur. On dit que pour un courrier il y a douze ou quinze jours de marche. Mais , pour eux, ce fut peut-être un voyage de deux mois et plus; car, on rapporte qu'ils allèrent par le même désert que les enfants d'Israël traversèrent autrefois, et où ils demeurèrent pendant quarante ans. Mais comment transporter avec eux les vivres nécessaires ? Où et comment trouver aussi, pour passer la nuit , un gîte et un logement? Car dans ce désert, ils rencontraient rarement des habitations.
Que leur situation vous inspire donc une tendre compassion ; car ce voyage était pour eux et pour l'Enfant Jésus une bien rude, bien accablante et bien longue fatigue. Accompagnez-les , aidez-les à porter l'Enfant, et rendez-leur tous les services possibles. Nous ne devrions pas trouver pénible de faire pénitence pour nos propres péchés, lorsqu'ils ont coûté, à des étrangers, à de tels personnages , de si grands et de si nombreux sacrifices. Je ne vous parlerai pas de tout ce qui arriva à nos saints voyageurs pendant leur marche dans le désert, car on a sur ce point peu de détails authentiques.
(1) Matth 5.
Lorsqu'ils entrèrent en Égypte , toutes les Idoles de cette contrée furent renversées, comme Isaïe l'avait prophétisé (1 ) .Ils allèrent donc à une ville nommée Héliopolis , où , ayant loué une petite maison , ils y demeurèrent pendant sept ans , comme des voyageurs et des étrangers , comme des pauvres et des indigents. Cela va nous fournir un beau sujet de réflexions aussi pieuses que touchantes. Appliquez-vous bien à ce qui suit. De quoi et comment Jésus, Marie, Joseph vécurent ils pendant un si long séjour? Furent-ils réduits à
mendier ? Il est écrit que Marie pourvoyait à ses besoins et à ceux de son Fils par le travail de la quenouille et de l'aiguille. La Souveraine du monde filait et cousait par amour de la pauvreté. La pauvreté fut toujours bien chère à Jésus, à Marie, à Joseph. Aussi lui furent-ils parfaitement fidèles jusqu'à la mort.
Mais Marie allait-elle donc elle-même, de maison en maison, chercher du linge à coudre ou d'autres ouvrages à faire? Assurément; car il fallait bien qu'elle fit connaître à ses voisines qu'elle manquait quelquefois de semblables travaux, ce que ces femmes n'auraient pu deviner. Mais encore, lorsque Jésus fut parvenu à l'âge d'environ cinq ans, est-ce qu'il ne se chargeait pas lui-même des commissions de sa Mère, demandant pour elle les travaux qu'elle savait faire?
(1) Isaï , 19.
On n'en peut douter; car elle n'avait pas d'autre écuyer. Jésus ne reportait-il pas aussi l'ouvrage fait; n'en demandait-il pas pour sa Mère le paiement et le prix? Jésus, le Fils du Tout- Puissant , ne rougissait-il pas de faire de semblables démarches, ni sa Mère elle-même de l'en charger? Et qu'a-t-il eu à souffrir si parfois , après avoir rendu l'ouvrage et en avoir sollicité le prix, une femme hautaine, querelleuse et bavarde ne répondait que par des injures à une si juste demande, gardait l'ouvrage, le chassait sans le payer , et l'obligeait de retourner sans argent au logis? Ah! quelles injures, quels sanglants outrages ont à souffrir les étrangers I Et le Seigneur a voulu , non s'y soustraire, mais les recevoir.
Et quelle peine encore si, quelquefois, rentrant à la maison et pressé par la faim, comme il arrive aux enfants, il a demandé du pain à sa Mère qui n'en avait point à lui donner ! Alors, et dans des circonstances semblables , ses entrailles maternelles n'en étaient-elles pas totalement déchirées ? Marie adressait à Jésus des paroles consolantes , s'efforçait, autant que possible, de lui procurer du pain , et allait même quelquefois jusqu'à se priver de son nécessaire pour le donner à son Fils. Voilà de vastes sujets de méditation sur l'Enfant-Jésus.
Étendez-les et développez-les comme vous le voudrez ; soyez petit avec le petit Jésus; ne dédaignez pas des choses si humbles ni de faire de sérieuses réflexions sur ce qu'il parait y avoir de plus puéril en Jésus ; car ces considérations me semblent propres à exciter votre piété , à augmenter votre amour, à ranimer votre ferveur, à émouvoir votre sensibilité, à vous communiquer la pureté et la simplicité , à nourrir en vous l'amour ardent de l'humilité et de la pauvreté, à entretenir une grande familiarité, à établir une parfaite conformité entre vous et Jésus, et à élever au plus haut point toutes vos espérances. Car les choses sublimes sont bien au-dessus de notre intelligence. Mais ce qui paraît folie en Dieu est pour les hommes la plus haute sagesse; et ce qui semble le plus faible en lui , est pour nous ce qu'il y a de plus fort.
Ces méditations paraissent aussi très-propres à anéantir notre orgueil, à affaiblir notre cupidité, et à désespérer notre curiosité. Comprenez-vous combien elles peuvent vous être utiles? Comme je vous l'ai dit , rapetissez-vous avec Jésus; grandissez avec lui en conservant toujours l'humilité; suivez-le partout où il ira , et tenez toujours vos regards attachés sur lui. Mais n'avez-vous pas remarqué dans ce qui précède combien la pauvreté de la Sainte Famille fut pénible et humiliante ? Et si le travail des mains était pour eux le seul moyen de se procurer la nourriture, comment eurent-ils des vêtements, des lits et les autres choses indispensables dans une maison? Avaient-ils des meubles doubles, superflus, curieux? Ces petites douceurs sont contraires à la pauvreté , et conséquemment , quand elle eût pu se les procurer , l'amie de la pauvreté n'en aurait pas voulu .
Mais pensez-vous que Marie, quand elle s'occupait à la couture ou à d'autres travaux , faisait quelquefois , pour plaire à quelques personnes , des ouvrages recherchés et curieux ? Gardez-vous bien de le croire. Ces inutilités ne conviennent qu'aux personnes qui ne s'inquiètent guère de perdre le temps. Réduite à une si grande indigence , Marie ne pouvait s'occuper de choses si vaines ; elle ne l'eût pas même voulu faire dans une position plus heureuse. Car, c'est là un défaut très-dangereux et surtout dans le siècle où nous sommes. Voulez-vous savoir pourquoi?
J'observe d'abord que le temps qui nous est donné par Dieu pour le louer et le bénir est alors , contre les intérêts de sa gloire , employé à de vaines occupations ; en effet, un ouvrage curieux prend beaucoup plus de temps qu'il ne convient , et c'est là un très-grand mal. Un second mal , c'est qu'un semblable travail expose celui qui s'y livre au danger de la vaine gloire. Oh ! combien de fois alors, soit dans l'inaction, soit même quand on vaque à la prière , on pense , on repense à faire cet ouvrage dont la beauté doit attirer tous les regards; ce qui conduit à l'estime de soi-même et au désir d'être estimé des autres !
En troisième lieu , un tel ouvrage est, pour celui auquel il est destiné, une occasion d'orgueil ; c'est comme une huile qui nourrit et augmente le feu de cette passion ; or , comme les choses viles et communes entretiennent en nous l'humilité, de même les choses précieuses et rares servent d'aliment à notre orgueil. Quatrièmement , ces sortes d'occupations détachent l'âme de Dieu ; car, selon saint Grégoire, plus l'objet de nos affections est méprisable , plus nous nous séparons de l'amour souverain (1).
Cinquièmement, j'observe encore que la concupiscence des yeux est l'une des trois sources d'où dérivent tous les péchés du monde ; et , en effet , ces choses curieuses ne servent qu'à donner une vaine satisfaction à nos yeux ; et celui qui les fait , comme celui qui les porte et qui en fait usage , pèchent autant de fois qu'ils se complaisent à les considérer.
Sixièmement, c'est un piège, une occasion de chute pour beaucoup d'autres, puisqu'en considérant ces objets précieux, on peut offenser Dieu de bien des manières , soit par le mauvais exemple que l'on donne, soit par le plaisir que l'on prend à les regarder, soit par la convoitise d'en avoir de pareils, soit par des jugements, des murmures ou des médisances. Voyez donc combien de fois Dieu peut être offensé avant que ces choses curieuses soient détruites. Celui qui les confectionne en est seul la cause.
(1) Greg., taomil. 30 in Ev.
Mais retournons en Égypte auprès de Marie dont nous nous sommes éloignés pour parler du vice maudit de la curiosité. Considérez-la au milieu de ses travaux ; elle s'occupe à coudre, à filer, à tisser : voyez avec quelle fidélité, quelle humilité et quelle sollicitude elle s'y emploie ; et néanmoins elle prend un soin extrême de son Fils et de la conduite de sa maison, toujours appliquée , autant que possible , à veiller et à prier. Que sa situation excite donc toute votre sensibilité ; et remarquez que la Reine de l'univers n'a pas obtenu gratuitement son royaume. Mais, sans doute, il arriva plus d'une fois que quelques femmes charitables, voyant son indigence, lui faisaient de petits présents qu'elle recevait avec humilité et actions de grâces. Quant au saint vieillard Joseph , il s'occupait aux travaux de la charpenterie. Tout ce qui s'offre ici à vos regards doit exciter votre compassion.
Arrêtez-vous quelque temps à ce sentiment ; demandez ensuite la permission de vous retirer, et après vous être prosternée pour recevoir d'abord la bénédiction de Jésus, puis celle de Marie , enfin celle de Joseph , prenez congé d'eux , répandant des larmes et profondément touchée de leur sort: car ils sont réduits, sans aucun motif, à demeurer comme des bannis et des exilés, bien loin de leur patrie, errants pendant sept ans, dans un pays étranger où ils ne subsistent qu'à la sueur de leur front.
DE L`ÉPIPHANIE OU DE LA MANIFESTATION DU SEIGNEUR
Le treizième jour après sa naissance , l'Enfant Jésus se manifesta aux Gentils, dans la personne des Mages qui les représentaient. Remarquez sur ce jour qu'on aurait peine à trouver une autre fête plus célèbre dans l'Église , et qui offre un plus grand nombre d'antiennes , de répons , de passages et de traits de l'Écriture qui s'y rapportent, non que cette solennité l'emporte sur les autres , mais à cause que le Seigneur Jésus a fait en ce jour et surtout en faveur de son Église plusieurs choses importantes.
La première, c'est d'avoir aujourd'hui formé l'Église en la personne des Mages , parce que l'Église a été rassemblée de toutes les nations. Car au jour de sa naissance, Jésus , dans la personne des Pasteurs , s'est fait connaître aux Juifs qui , à l'exception d'un petit nombre , n'ont pas voulu recevoir le Verbe éternel de Dieu ; mais en ce jour il s'est révélé aux Gentils qui composent ainsi l'Église des élus. La fête de ce jour est donc véritablement la fête de tous les Chrétiens fidèles.
La deuxième chose , c'est que l'Église a été fiancée aujourd'hui à Jésus-Christ, qui, à pareil jour, après sa vingt-neuvième année, l'a véritablement par son baptême prise pour son Épouse. Voilà pourquoi nous chantons avec joie : Aujourd'hui l'Église a été unie à son céleste Époux, etc. Car c'est dans le baptême que les âmes deviennent les fiancées de Jésus-Christ , en vertu des droits que son Baptême lui donne sur elles. Et la société des âmes qui ont reçu le Baptême , s'appelle l'Église.
La troisième chose que fit Jésus-Christ, c'est qu'à pareil jour, après l'année de son Baptême, il opéra aux noces de Cana le premier de ses miracles que l'on peut aussi rapporter à l'Église et aux noces spirituelles. Il paraît encore qu'il fit , plus tard, à pareil jour, le miracle de la multiplication des pains et des poissons; mais l'Église, qui rappelle aujourd'hui les trois premiers évènements, ne fait nul mention du dernier.
Comprenez donc quel respect nous devons avoir pour ce jour choisi par le Seigneur pour exécuter tant de choses magnifiques et admirables. A la vue des faveurs si grandes et si multipliées dont elle fut aujourd'hui comblée par son céleste Époux , l'Église pleine de reconnaissance, célèbre ce jour avec pompe, par ses acclamations, les transports de sa joie et de son allégresse. Disons donc quelque chose du premier de ces évènements; car nous parlerons des autres à leur place, lorsqu'il en sera question dans la vie de Jésus-Christ. Quant à ce premier fait , la venue des Mages à Jésus-Christ , je ne me propose pas d'en exposer les moralités et les développements que plusieurs saints personnages nous ont transmis avec tant de soin. Si vous voulez donc savoir comment les Mages vinrent d'Orient à Jérusalem, ce qui se passa entre eux et Hérode, comment ils furent conduits par l'étoile , ce qui les détermina dans le choix des présents qu'ils firent et toutes les autres choses semblables , vous trouverez tout cela dans le texte évangélique et dans les écrits des Saints.
Pour moi, comme je vous l'ai déjà dit, je me propose, sur ce fait et sur tous ceux de la vie de Jésus-Christ , d'effleurer ici quelques méditations que me suggèreront les représentations idéales que l'imagination peut diversement concevoir des choses, telles qu'elles ont réellement été faites par Jésus-Christ, ou , du moins , telles que l'on peut croire qu'elles se sont passées. Je me suis rarement permis d'entrer dans les développements, tant à cause de mon incapacité que des longueurs où ce travail m'aurait entraîné. Redoublez donc d'attention en lisant ceci , et observez bien toutes choses; car, comme je vous l'ai dit précédemment, c'est de là que ces méditations tireront toute leur efficacité.
Les trois Rois Mages arrivèrent donc escortés d'une suite nombreuse et brillante ; et les voilà devant la pauvre chaumière où Jésus- Christ est né. Marie entend du bruit et du tumulte, elle se saisit de son enfant. Les Mages pénètrent dans l'étable, ils se prosternent et adorent respectueusement l'Enfant Jésus, Notre-Seigneur ; ils l'honorent comme leur Roi , ils l'adorent comme leur Dieu.
Admirez la grandeur de leur foi ! Car comment croire que ce petit Enfant, couvert de langes si misérables, qu'ils trouvent avec une Mère si pauvre et dans un lieu si abject , abandonné de tous , sans famille , sans aucunes marques de grandeur, était un Roi et le vrai Dieu ? Et cependant ils crurent qu'il était l'un et l'autre. Voilà les premiers guides, les premiers modèles qu'il fallait à notre foi; ils demeurent à genoux devant lui, s'entretiennent avec Marie, soit par un interprète, soit par eux-mêmes; car , étant savants , peut-être connaissaient-ils la langue hébraïque. Ils s'informent de toutes les circonstances et de tous les détails relatifs à l'Enfant Jésus. Marie les leur fait connaître; ils croient tout sans hésiter. Observez bien avec quel respect et quelle dignité ils s'expriment, ils écoutent. Remarquez aussi Marie; elle rougit à chaque mot, ses yeux sont baissés vers la terre, elle parle avec retenue, elle craint de parler et d'être vue.
Le Seigneur la remplit de force dans cette grande circonstance; car les Mages figuraient en ce moment l'Église universelle qui devait être formée de toutes les nations. Voyez aussi l'Enfant Jésus ; il ne parle pas encore, mais il a la gravité d'un homme mûr qui écoute et comprend ; il regarde avec bonté les Mages qui , de leur côté , le contemplent avec délices, non-seulement des yeux du corps , parce qu'ils voyaient en lui le plus beau des enfants des hommes , mais aussi des yeux du cœur, parce que Jésus les éclairait, les instruisait intérieurement.
Enfin , après avoir été comblés des plus douces consolations, ils présentent de l'or, de la myrrhe et de l'encens; puis ils ouvrent leurs trésors, et, sur une étoffe précieuse, ou sur quelque riche tapis qu'ils ont placé aux pieds du Seigneur Jésus, ils lui offrent tous ensemble, et chacun pour sa part, ces trois présents en grande quantité , et l'or avec encore plus d'abondance. Autrement , et pour faire une légère offrande , ils n'eussent pas eu besoin d'ouvrir leurs trésors; ce que leurs serviteurs portaient à la main aurait suffi.
Après cela, les Mages baisèrent les pieds de Jésus avec beaucoup de respect et de piété. Qu'eussent-ils éprouvé si, pour augmenter leur bonheur et les fortifier dans son amour, cet enfant plein de sagesse leur eût aussi présenté sa main à baiser ? Or, il l'étendit sur eux pour leur donner sa bénédiction. Les Mages, l'ayant salué profondément , prirent congé de lui , se retirèrent tout remplis de joie , et retournèrent dans leur pays par un autre chemin.
Mais que fit-on, pensez-vous, de cette quantité d'or dont la valeur était si considérable ? Marie l'a-t-elle gardée pour elle? En a-t-elle fait un dépôt? S'en est-elle servie pour acheter des maisons , des terres ou des vignes? Non , certes ! elle aimait trop la pauvreté pour penser à de pareils emplois. Pleine de zèle pour cette-vertu , et comprenant la volonté de son Fils, qui la lui faisait connaître intérieurement par sa grâce, et la lui manifestait extérieurement en détournant avec horreur ses yeux de cet or qu'il méprisait , Marie le distribua entièrement aux pauvres en peu de jours; car il lui était pénible de conserver plus longtemps ou de transporter ce fardeau.
Aussi, elle s'en était si parfaitement dépouillée, qu'au moment de sa présentation au temple, elle n'avait plus de quoi payer l'unique agneau qu'elle devait offrir pour son Fils, et qu'elle ne put acheter que deux tourterelles ou deux colombes. Il est donc raisonnable de croire que l'offrande des Mages fut considérable , et que Marie, par amour de la pauvreté et par l'excès de sa charité , la distribua aux pauvres sans aucune réserve. Voyez quel bel éloge de la pauvreté. Mais remarquez ici deux choses : la première , c'est que l'enfant Jésus , ainsi que sa Mère, reçoivent aujourd'hui l'aumône comme des pauvres ; la seconde , c'est que non-seulement ils ne se soucient ni d'acquérir, ni d'amasser, mais qu'ils ne veulent pas même conserver ce qu'on leur donne : tant l'amour de la pauvreté prenait sans cesse en eux de nouveaux accroissements.
Ne remarquez-vous pas encore , dans ce mystère , un exemple frappant d'humilité ? cette vertu , si vous y faites attention, se montre ici dans toute sa profondeur. Il y a des personnes qui ne s'élèvent point à leurs propres yeux, et qui se croient intérieurement viles et abjectes; mais elles ne veulent pas passer pour telles aux yeux des autres, elles ne souffrent pas qu'on les méprise, ou qu'on les raille: elles cachent leur bassesse ou leurs défauts pour ne pas être déshonorées. Telle n'est pas aujourd'hui la conduite de l'Enfant Jésus , souverain de l'univers , qui voulut , au contraire, découvrir toute son abjection, non-seulement à ses proches , mais aux étrangers ; non à quelques personnes, non à des hommes obscurs, mais à un grand nombre d'hommes , à des personnes distinguées , à des rois et à la foule nombreuse qui les accompagne.
Et cela, dans un temps et dans des circonstances où il était fort à craindre que les Mages, venus pour chercher le Roi des Juifs qu'ils croyaient aussi être leur Dieu , à la vue de l'état dans lequel ils le trouvaient , ne se retirassent plutôt avec le doute qu'ils étaient tombés dans une sotte erreur, qu'avec de profonds sentiments de foi et de piété. Cependant le Maître , l'ami de l'humilité ne se refuse pas à les recevoir , nous apprenant par là à ne point rejeter la pratique de l'humilité , sous le prétexte de quelque apparence de bien , et à consentir à paraître aux yeux des autres vils et méprisables.
CHAPITRE X.
SÉJOUR DE MARIE DANS L'ÉTABLE.
Après le départ des Mages, après qu'ils eurent repris la route de leur patrie , après la distribution de toutes leurs offrandes , la Reine du monde resta encore dans l'étable avec l'Enfant Jésus et le saint vieillard Joseph, son père nourricier ; elle y demeura patiemment jusqu'au quarantième jour , comme si elle n'était qu'une femme du peuple , comme si son Fils Jésus n'était qu'un pur homme soumis aux observances légales. Mais, parce que ni l'un ni l'autre ne voulaient de privilèges particuliers , ils observaient la loi comme les autres Israélites. Ce n'est pas ainsi que se conduisent plusieurs membres de communautés religieuses , qui exigent pour eux des prérogatives spéciales, par lesquelles ils prétendent se distinguer des autres auxquels ils se croient préférables. Mais ces prétentions sont incompatibles avec une humilité véritable.
Marie se tenait donc dans l'étable , attendant le jour , où, suivant l'usage, il lui serait permis d'entrer dans le Temple ; elle était là vigilante et attentive à la garde de son Fils bien-aimé. 0 Dieu ! avec quelle sollicitude et quels soins elle veillait sur lui pour le préserver des moindre chutes ! Avec quel respect et quelle précaution, avec quelle sainte frayeur elle touchait de ses mains , celui qu'elle savait bien être son Dieu ; c'était à genoux qu'elle prenait son Seigneur ; à genoux qu'elle le reposait dans la crèche ! Avec quel bonheur, avec quelle confiance et avec quelle autorité maternelle elle embrassait , elle couvrait de ses baisers, elle pressait tendrement sur son cœur celui qu'elle savait être son Fils , et en qui elle mettait toutes ses délices. Combien de fois et avec quel intérêt elle considérait ses traits et toutes les parties de son corps sacré ! avec quelle gravité, avec quelle pudeur elle emmaillotait ses membres délicats ! Car Marie fut la plus prudente des femmes, comme elle en fut la plus humble.
Voilà pourquoi elle était si attentive à prodiguer les services et les soins à Jésus pendant ses veilles et durant son sommeil , non-seulement dans sa première enfance , mais dans un âge plus avancé. Avec quel empressement elle le nourrissait de son lait. En allaitant un tel Fils , elle dut indubitablement ressentir aussi une douceur inexprimable, inconnue à toutes les autres mères. Quant à saint Joseph , saint Bernard dit de lui , que lorsqu'il tenait Jésus sur ses genoux , souvent le saint Enfant lui souriait.
Placez-vous en esprit tout près de l'étable où Marie a fixé son séjour , et allez souvent près de Jésus respirer avec délices le parfum de vertu qui s'en exhale. Tous les fidèles et surtout les religieux, devraient, depuis la Nativité jusqu'à la Purification, visiter au moins une fois par jour, dans ce saint asile, Marie et l'Enfant Jésus, se prosterner à leurs pieds, et faire d'affectueuses méditations sur la pauvreté, l'humilité et la bonté dont ils nous offrent de si parfaits modèles.
CHAPITRE XI.
PURIFICATION DE LA SAINTE VIERGE.
Le quarantième jour après la Nativité , Marie , conformément au précepte , partit avec Jésus et saint Joseph pour se rendre à Jérusalem , éloigné de cinq à six milles de Bethléem , afin de consacrer l'Enfant au Seigneur, comme le prescrivait la loi (1). Accompagnez-les dans ce voyage, aidez-les à porter l'Enfant, et observez attentivement toutes les paroles , toutes les actions ; elles sont très propres à nourrir votre piété.
Ils conduisent donc le Seigneur du Temple dans le Temple du Seigneur. En y entrant, ils y achètent deux tourterelles ou deux petites colombes (2) pour les offrir à la place de Jésus , comme faisaient les pauvres. Et , attendu que leur indigence était extrême , il est très-probable qu'ils prirent deux petites colombes, parce qu'étant d'un prix moins élevé , elles sont, dans la loi, mises au dernier rang, et parce qu'en outre l'Évangéliste ne parle pas de l'agneau qui était l'offrande des riches.
(1) Lévitic, 12. - (2) Luc, 2.
Et voilà que le saint vieillard Siméon est au même instant conduit au temple par l'inspiration du Saint- Esprit , pour y voir, avant de mourir, le Christ du Seigneur, ainsi que la promesse lui en avait été faite. S'étant approché avec empressement, il ne l'eut pas plutôt aperçu qu'il le reconnut par une lumière prophétique; et, doublant le pas, il se prosterna et l'adora entre les bras de sa Mère. L'Enfant le bénit , regarde sa Mère et s'incline vers le saint vieillard, annonçant ainsi le désir qu'il a d'aller à lui ; Marie observe ce mouvement, le comprend , l'admire et présente Jésus à Siméon. Plein de joie, le saint vieillard le prit respectueusement entre ses bras, se leva et bénit Dieu en disant : Seigneur, laissez maintenant mourir en paix votre serviteur (1) , etc. ; puis il parla de sa passion d'une manière prophétique.
(1) Luc, 2.
En ce moment survint Anne la prophétesse ; elle adora l'enfant divin et parla de lui comme le vieillard Siméon . Pour Marie, ce qu'elle voit , ce qu'elle entend la remplit d'admiration , et elle conserve soigneusement toutes ces choses dans son cœur. Jésus alors , tendant les bras vers sa Mère , lui fut rendu par Siméon ; en même temps , on se dirigea vers l'autel en faisant une procession dont l'image est aujourd'hui reproduite dans tout le monde chrétien.
En tête de cette procession s'avancent les deux vénérables vieillards , Joseph et Siméon ; ils sont pleins d'allégresse , ils se tiennent par la main , font entendre de joyeuses acclamations et chantent avec enthousiasme les psaumes suivants : Mettez votre confiance dans le Seigneur, car il est bon, et sa miséricorde est éternelle (1), etc. ;
Comme il est le Seigneur notre Dieu pour tous les siècles des siècles, il nous conduira et nous gouvernera pendant l'éternité ; Dieu est fidèle dans toutes ses paroles (2), etc.; Seigneur, nous avons éprouvé les effets de votre miséricorde au milieu de votre temple (3).
Vient ensuite la Vierge-Mère , portant entre ses bras le Roi Jésus ; Anne l'accompagne , elle marche à ses côtés, elle modère par respect ses acclamations ; elle loue aussi le Seigneur avec une joie inexprimable. C'est ainsi qu'ils font cette procession si petite par le nombre de ceux qui la composent , mais si grande eu égard à la multitude de ceux qui y sont représentés ; car il s'y trouvait des personnes de toutes les conditions humaines , des hommes et des femmes, des vieillards et de jeunes enfants, des vierges et des veuves.
Lorsqu'on fut arrivé au pied de l'autel , la Mère de Jésus, se prosternant humblement, offrit son Fils bien-aimé au Père céleste , en disant : « Père infini ment bon, recevez votre Fils unique, que, par obéissance au commandement de votre loi , je vous offre comme mon premier-né; mais je vous supplie, ô mon Père, de le rendre à ma tendresse. » Puis, se relevant, elle le déposa sur l'autel. O Dieu ! quelle oblation vous est présentée !
Jamais on ne vous en fit , jamais on ne vous en fera de semblable. Considérez attentivement tout ce qui se passe ici; Jésus , comme les autres enfants , reste assis sur l'autel avec une gravité qui n'était pas de son âge ; il porte ses regards sur sa Mère et sur ceux qui l'accompagnent, puis , dans une humble patience , il attend ce qui doit survenir.
(1) Ps. , 117. — (2) Ps. , 144. — (3) Ps. , 47.
Les Prêtres s'approchent de l'autel , et le Roi de l'univers est racheté comme un esclave , au prix ordinaire de cinq sicles, espèce de monnaie en usage chez les Juifs. Joseph les ayant remis au Grand-Prêtre , Marie reprit son Fils avec joie. Elle reçut aussi de Joseph, pour les offrir au Seigneur, les deux colombes dont nous avons parlé ; puis, les tenant dans ses mains, à genoux, les yeux élevés et portés vers le ciel, elle les présente à Dieu , en disant : « Recevez, ô Père plein de bonté, cette première oblation, ce misérable don , cet indigne présent que votre enfant vous offre dans sa pauvreté. » L'enfant Jésus étendit ses petites mains vers les colombes , leva les yeux au ciel , et , ne pouvant se joindre de bouche à l'oblation de sa Mère , s'y unit du moins par ses gestes. Ils déposèrent donc ensemble les colombes sur l'autel.
Vous comprenez bien quels sont ceux qui les offrent , c'est Jésus , c'est Marie ! Tout petit qu'il était, ce présent pouvait-il être refusé? non , sans doute. Il fut , au contraire , porté par la main des Anges devant le trône de Dieu auquel il parut extrêmement agréable ; ce qui remplit toute la Cour céleste d'une grande allégresse , qu'elle exprima par les plus vives acclamations. Marie ensuite quitta Jérusalem, et alla de nouveau visiter Élisabeth , parce qu'elle voulait revoir saint Jean , avant de s'éloigner de ces contrées. Suivez-la, accompagnez-la partout, et aidez-la à porter Jésus.
Quand ces deux Mères furent réunies, ce fut pour elles un jour de fête , surtout à cause de leurs enfants. La joie de ceux-ci fut réciproque , et saint Jean montrait du respect pour Jésus, comme s'il eut compris ce qu'il était. Prenez aussi respectueusement entre vos bras le petit saint Jean; peut-être, cet enfant, si grand devant le Seigneur, vous bénira-t-il. Ayant passé quelques jours à Hébron , Marie et Joseph partirent pour retourner à Nazareth . Si vous voulez vous faire une idée de l'humilité et de la pauvreté qui éclatent dans tout ce qui précède , vous y parviendrez facilement, en considérant la Présentation de Jésus, son rachat, et avec quelle exactitude la loi est observée dans ces circonstances.
CHAPITRE XII.
FUITE DE NOTRE SEIGNEUR EN ÉGYPTE.
Pendant que les saints voyageurs s'acheminaient vers Nazareth , ignorant encore , a cet égard , les desseins du Seigneur, et le projet qu'Hérode avait formé d'ôter la vie à Jésus, un Ange du Seigneur apparut à Joseph pendant son sommeil, lui ordonnant de fuir en Égypte avec Marie et son Fils, dont Hérode menaçait les jours (1). Joseph se réveillant, réveille aussi Marie, et l'instruit de ce qu'il vient d'apprendre. Sortant à l'instant du lit, Marie résolut de partir sans délai ; car ses entrailles maternelles s'étaient troublées à ces nouvelles, et elle ne voulait rien négliger pour assurer le salut de son Fils.
Incontinent et dans la même nuit, la Sainte Famille se mit en marche pour le pays d'Égypte. Remarquez et méditez ce qui précède et ce qui suit. Voyez la dure nécessité où sont Marie et Joseph de lever Jésus au milieu de son sommeil; compatissez à leur peine et redoublez votre attention, car cette circonstance peut vous fournir plusieurs considérations excellentes.
(1) Matth. , 2.
Observez d'abord avec quelle indifférence le Seigneur supporte en sa personne , tantôt la prospérité , tantôt l'adversité, et souffrez avec patience ces alternatives quand elles vous arriveront ; car on trouve les vallées à côté des montagnes. Voici en effet, qu'à sa naissance, Jésus fut, par les Pasteurs, glorifié comme un Dieu, et, peu de temps après, il est circoncis comme un pécheur; puis , viennent les Mages qui lui rendent les plus grands honneurs, et cependant il ne sort pas de l'étable , il demeure au milieu des plus vils animaux, et répand des larmes comme l'enfant du dernier des hommes ; ensuite on le présente au Temple, Siméon et Anne portent sa gloire jusqu'au ciel, et maintenant un Ange vient lui dire de fuir en Égypte.
Et dans plusieurs autres circonstances de sa vie nous pourrons faire les mêmes remarques et les appliquer à notre instruction. Quand donc vous serez dans la consolation, préparez-vous à la tribulation et réciproquement, et concluez qu'il ne faut ni se laisser abattre dans l'une, ni s'élever dans l'autre. Car, Notre Seigneur, par la consolation , soutient notre espérance et nous maintient dans la bonne voie; et par la tribulation , il nous affermit dans l'humilité afin que, connaissant toute notre misère , nous persévérions dans sa crainte. Comprenons donc que dans tout cela, Jésus n'agit que pour nous instruire et pour se cacher au démon (anges déchus).
Une seconde considération à faire sur les grâces et les consolations de Dieu , c'est que celui qui les obtient ne doit pas s'estimer plus que celui à qui elles sont refusées, et que ceux qui en sont privés ne doivent ni se décourager, ni porter envie à ceux qui les reçoivent. Je fais ces réflexions en voyant ici que les Anges s'étaient adressés à Joseph plutôt qu'à la Mère de Jésus qui, pourtant, était si supérieure à ce saint Patriarche. J'ajoute que , lorsqu'on ne reçoit qu'une partie des grâces que l'on désire , on ne doit se montrer ni ingrat ni murmurateur, en voyant que Joseph lui-même , si grand aux yeux de Dieu , n'obtint point, en plein jour, mais pendant la nuit, la faveur de s'entretenir avec les Anges.
Observons, en troisième lieu, comment le Seigneur permet quelquefois que ses plus fidèles serviteurs soient éprouvés par les persécutions et les tribulations. Quelles étaient les angoisses de Marie et de Joseph lorsqu'ils apprirent qu'on cherchait Jésus pour l'immoler ? Pouvait-on leur annoncer une nouvelle plus affligeante ? Leurs sentiments les plus naturels étaient soumis à une épreuve non moins pénible; car il fallait fuir avec Jésus, et, quoiqu'ils sussent qu'il était le Fils de Dieu , cette fuite , cependant, pouvait les troubler et leur faire dire : « Seigneur, Dieu tout-puissant , est-il bien nécessaire que votre Fils ait recours à la fuite? Ne pouvez-vous le défendre en ce lieu? »
Une autre tribulation pour eux , c'était l'obligation d'aller dans un pays éloigné , qu'ils ne connaissaient pas, par des chemins difficiles qu'ils étaient incapables de parcourir. Marie était trop jeune, Joseph trop avancé en âge; de plus, l'enfant qu'ils devaient transporter avait à peine deux mois, et il fallait parcourir des pays étrangers dans un état de pauvreté et de dénuement absolu. Tout cela n'était il pas pour eux un grand sujet d'affliction ? Soyez donc patiente dans la tribulation , et ne comptez pas sur un privilège que votre Dieu n'a accordé ni à lui-même , ni à sa Mère.
Quatrièmement, appliquez-vous à connaître toute la douceur de Jésus. Observez avec quelle barbarie on le persécute , avec quelle précipitation on l'oblige à fuir loin de sa patrie , et en même temps avec quelle bonté il cède à la fureur de celui qu'il pouvait anéantir en un moment. Que cette humilité est profonde ! Que cette patience est grande ! Car, il ne voulait ni se venger de son ennemi , ni l'offenser; il voulait par la fuite échapper à ses pièges.
C'est donc pour nous aussi une obligation d'agir de même envers ceux qui nous font des reproches, c'est-à-dire de nous soumettre à ceux qui nous blâment ou nous persécutent, de ne former contre eux aucun désir de vengeance, mais de les supporter avec patience, de céder à leur violence , et même de prier pour eux , suivant le précepte que le Seigneur nous en donne dans un autre endroit de l'Évangile (1).
Notre Seigneur fuyait donc devant l'un de ses serviteurs , ou plutôt devant un esclave du démon. Une tendre Mère, bien jeune encore, accompagnée de saint Joseph, déjà avancé en âge , le portait en Égypte , par une route sauvage, obscure, couverte d'arbres, âpre, déserte et surtout d'une extrême longueur. On dit que pour un courrier il y a douze ou quinze jours de marche. Mais , pour eux, ce fut peut-être un voyage de deux mois et plus; car, on rapporte qu'ils allèrent par le même désert que les enfants d'Israël traversèrent autrefois, et où ils demeurèrent pendant quarante ans. Mais comment transporter avec eux les vivres nécessaires ? Où et comment trouver aussi, pour passer la nuit , un gîte et un logement? Car dans ce désert, ils rencontraient rarement des habitations.
Que leur situation vous inspire donc une tendre compassion ; car ce voyage était pour eux et pour l'Enfant Jésus une bien rude, bien accablante et bien longue fatigue. Accompagnez-les , aidez-les à porter l'Enfant, et rendez-leur tous les services possibles. Nous ne devrions pas trouver pénible de faire pénitence pour nos propres péchés, lorsqu'ils ont coûté, à des étrangers, à de tels personnages , de si grands et de si nombreux sacrifices. Je ne vous parlerai pas de tout ce qui arriva à nos saints voyageurs pendant leur marche dans le désert, car on a sur ce point peu de détails authentiques.
(1) Matth 5.
Lorsqu'ils entrèrent en Égypte , toutes les Idoles de cette contrée furent renversées, comme Isaïe l'avait prophétisé (1 ) .Ils allèrent donc à une ville nommée Héliopolis , où , ayant loué une petite maison , ils y demeurèrent pendant sept ans , comme des voyageurs et des étrangers , comme des pauvres et des indigents. Cela va nous fournir un beau sujet de réflexions aussi pieuses que touchantes. Appliquez-vous bien à ce qui suit. De quoi et comment Jésus, Marie, Joseph vécurent ils pendant un si long séjour? Furent-ils réduits à
mendier ? Il est écrit que Marie pourvoyait à ses besoins et à ceux de son Fils par le travail de la quenouille et de l'aiguille. La Souveraine du monde filait et cousait par amour de la pauvreté. La pauvreté fut toujours bien chère à Jésus, à Marie, à Joseph. Aussi lui furent-ils parfaitement fidèles jusqu'à la mort.
Mais Marie allait-elle donc elle-même, de maison en maison, chercher du linge à coudre ou d'autres ouvrages à faire? Assurément; car il fallait bien qu'elle fit connaître à ses voisines qu'elle manquait quelquefois de semblables travaux, ce que ces femmes n'auraient pu deviner. Mais encore, lorsque Jésus fut parvenu à l'âge d'environ cinq ans, est-ce qu'il ne se chargeait pas lui-même des commissions de sa Mère, demandant pour elle les travaux qu'elle savait faire?
(1) Isaï , 19.
On n'en peut douter; car elle n'avait pas d'autre écuyer. Jésus ne reportait-il pas aussi l'ouvrage fait; n'en demandait-il pas pour sa Mère le paiement et le prix? Jésus, le Fils du Tout- Puissant , ne rougissait-il pas de faire de semblables démarches, ni sa Mère elle-même de l'en charger? Et qu'a-t-il eu à souffrir si parfois , après avoir rendu l'ouvrage et en avoir sollicité le prix, une femme hautaine, querelleuse et bavarde ne répondait que par des injures à une si juste demande, gardait l'ouvrage, le chassait sans le payer , et l'obligeait de retourner sans argent au logis? Ah! quelles injures, quels sanglants outrages ont à souffrir les étrangers I Et le Seigneur a voulu , non s'y soustraire, mais les recevoir.
Et quelle peine encore si, quelquefois, rentrant à la maison et pressé par la faim, comme il arrive aux enfants, il a demandé du pain à sa Mère qui n'en avait point à lui donner ! Alors, et dans des circonstances semblables , ses entrailles maternelles n'en étaient-elles pas totalement déchirées ? Marie adressait à Jésus des paroles consolantes , s'efforçait, autant que possible, de lui procurer du pain , et allait même quelquefois jusqu'à se priver de son nécessaire pour le donner à son Fils. Voilà de vastes sujets de méditation sur l'Enfant-Jésus.
Étendez-les et développez-les comme vous le voudrez ; soyez petit avec le petit Jésus; ne dédaignez pas des choses si humbles ni de faire de sérieuses réflexions sur ce qu'il parait y avoir de plus puéril en Jésus ; car ces considérations me semblent propres à exciter votre piété , à augmenter votre amour, à ranimer votre ferveur, à émouvoir votre sensibilité, à vous communiquer la pureté et la simplicité , à nourrir en vous l'amour ardent de l'humilité et de la pauvreté, à entretenir une grande familiarité, à établir une parfaite conformité entre vous et Jésus, et à élever au plus haut point toutes vos espérances. Car les choses sublimes sont bien au-dessus de notre intelligence. Mais ce qui paraît folie en Dieu est pour les hommes la plus haute sagesse; et ce qui semble le plus faible en lui , est pour nous ce qu'il y a de plus fort.
Ces méditations paraissent aussi très-propres à anéantir notre orgueil, à affaiblir notre cupidité, et à désespérer notre curiosité. Comprenez-vous combien elles peuvent vous être utiles? Comme je vous l'ai dit , rapetissez-vous avec Jésus; grandissez avec lui en conservant toujours l'humilité; suivez-le partout où il ira , et tenez toujours vos regards attachés sur lui. Mais n'avez-vous pas remarqué dans ce qui précède combien la pauvreté de la Sainte Famille fut pénible et humiliante ? Et si le travail des mains était pour eux le seul moyen de se procurer la nourriture, comment eurent-ils des vêtements, des lits et les autres choses indispensables dans une maison? Avaient-ils des meubles doubles, superflus, curieux? Ces petites douceurs sont contraires à la pauvreté , et conséquemment , quand elle eût pu se les procurer , l'amie de la pauvreté n'en aurait pas voulu .
Mais pensez-vous que Marie, quand elle s'occupait à la couture ou à d'autres travaux , faisait quelquefois , pour plaire à quelques personnes , des ouvrages recherchés et curieux ? Gardez-vous bien de le croire. Ces inutilités ne conviennent qu'aux personnes qui ne s'inquiètent guère de perdre le temps. Réduite à une si grande indigence , Marie ne pouvait s'occuper de choses si vaines ; elle ne l'eût pas même voulu faire dans une position plus heureuse. Car, c'est là un défaut très-dangereux et surtout dans le siècle où nous sommes. Voulez-vous savoir pourquoi?
J'observe d'abord que le temps qui nous est donné par Dieu pour le louer et le bénir est alors , contre les intérêts de sa gloire , employé à de vaines occupations ; en effet, un ouvrage curieux prend beaucoup plus de temps qu'il ne convient , et c'est là un très-grand mal. Un second mal , c'est qu'un semblable travail expose celui qui s'y livre au danger de la vaine gloire. Oh ! combien de fois alors, soit dans l'inaction, soit même quand on vaque à la prière , on pense , on repense à faire cet ouvrage dont la beauté doit attirer tous les regards; ce qui conduit à l'estime de soi-même et au désir d'être estimé des autres !
En troisième lieu , un tel ouvrage est, pour celui auquel il est destiné, une occasion d'orgueil ; c'est comme une huile qui nourrit et augmente le feu de cette passion ; or , comme les choses viles et communes entretiennent en nous l'humilité, de même les choses précieuses et rares servent d'aliment à notre orgueil. Quatrièmement , ces sortes d'occupations détachent l'âme de Dieu ; car, selon saint Grégoire, plus l'objet de nos affections est méprisable , plus nous nous séparons de l'amour souverain (1).
Cinquièmement, j'observe encore que la concupiscence des yeux est l'une des trois sources d'où dérivent tous les péchés du monde ; et , en effet , ces choses curieuses ne servent qu'à donner une vaine satisfaction à nos yeux ; et celui qui les fait , comme celui qui les porte et qui en fait usage , pèchent autant de fois qu'ils se complaisent à les considérer.
Sixièmement, c'est un piège, une occasion de chute pour beaucoup d'autres, puisqu'en considérant ces objets précieux, on peut offenser Dieu de bien des manières , soit par le mauvais exemple que l'on donne, soit par le plaisir que l'on prend à les regarder, soit par la convoitise d'en avoir de pareils, soit par des jugements, des murmures ou des médisances. Voyez donc combien de fois Dieu peut être offensé avant que ces choses curieuses soient détruites. Celui qui les confectionne en est seul la cause.
(1) Greg., taomil. 30 in Ev.
Mais retournons en Égypte auprès de Marie dont nous nous sommes éloignés pour parler du vice maudit de la curiosité. Considérez-la au milieu de ses travaux ; elle s'occupe à coudre, à filer, à tisser : voyez avec quelle fidélité, quelle humilité et quelle sollicitude elle s'y emploie ; et néanmoins elle prend un soin extrême de son Fils et de la conduite de sa maison, toujours appliquée , autant que possible , à veiller et à prier. Que sa situation excite donc toute votre sensibilité ; et remarquez que la Reine de l'univers n'a pas obtenu gratuitement son royaume. Mais, sans doute, il arriva plus d'une fois que quelques femmes charitables, voyant son indigence, lui faisaient de petits présents qu'elle recevait avec humilité et actions de grâces. Quant au saint vieillard Joseph , il s'occupait aux travaux de la charpenterie. Tout ce qui s'offre ici à vos regards doit exciter votre compassion.
Arrêtez-vous quelque temps à ce sentiment ; demandez ensuite la permission de vous retirer, et après vous être prosternée pour recevoir d'abord la bénédiction de Jésus, puis celle de Marie , enfin celle de Joseph , prenez congé d'eux , répandant des larmes et profondément touchée de leur sort: car ils sont réduits, sans aucun motif, à demeurer comme des bannis et des exilés, bien loin de leur patrie, errants pendant sept ans, dans un pays étranger où ils ne subsistent qu'à la sueur de leur front.
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: MÉDITATIONS SUR LA VIE JESUS-CHRIST TRADUITES DE SAINT BONAVENTURE - 14 eme siecle
CHAPITRE XIII.
NOTRE SEIGNEUR REVIENT DE L'EGYPTE.
Jésus ayant passé sept années entières en Égypte , l'Ange du Seigneur apparut à Joseph pendant son sommeil et lui dit (1) :« Prenez l'Enfant et sa Mère, et ailes dans le pays d'Israël; car ceux qui en voulaient à la vie de l`Enfant sont morts. Joseph prit l'Enfant et sa Mère et retourna dans le pays d'Israël. Ayant appris en arrivant qu'Archélaus, fils d'Hérode, était monté sur le trône, il craignit d'y aller , et, sur un second avertissement de l'Ange, il se retira en Galilée, dans la ville de Nazareth.» Ce retour eut lieu vers la fête de l'Épiphanie; c'est-à-dire deux jours après, comme on le voit dans le Martyrologe.
Ici remarquez encore , ainsi que nous l'avons indiqué dans le chapitre précédent, comment le Seigneur n'accorde la grâce de ses consolations et de ses révélations qu'avec mesure, et jamais avec autant de plénitude que notre convoitise le souhaiterait. C'est ce qui résulte de deux circonstances de cette révélation. Car, comme je l'ai dit , elle fut faite à Joseph pendant le sommeil et non en plein jour. En second lieu, ce ne fut pas en une seule fois, mais en deux, que l'Ange lui fit connaitre en quel lieu il devait aller. Et, comme le dit un interprète, le Seigneur en agit ainsi, parce qu'en pareil cas, plusieurs visites augmentent la conviction.
(1) Math.,2.
Au reste, quelles que soient ces visites, nous devons les estimer beaucoup : soyons-en donc reconnaissants ; car le Seigneur fait toujours , de son côté , tout ce qu'il sait nous être plus avantageux. Maintenant poursuivons ce que nous avons à dire sur le retour de Notre Seigneur. Considérez-en avec attention toutes les circonstances; car il y a là matière à une pieuse méditation.
Revenez donc en Égypte pour y visiter encore l'Enfant Jésus ; peut-être le trouverez-vous hors de la maison , au milieu des enfants , et lors qu'il vous apercevra, il viendra le premier à votre rencontre ; car il est plein de bonté , d'affabilité et de politesse. Pour vous, fléchissant le genou , vous lui baiserez les pieds , vous le prendrez entre vos bras et vous vous reposerez quelque temps avec lui. Enfin, peut-être vous dira-t-il : « Nous pouvons maintenant retourner dans notre patrie , et c'est demain que nous partons d'ici vous êtes arrivée à propos , vous viendrez avec nous. »
Répondez-lui vivement que cela vous sera très-agréable, que vous désirez le suivre partout où il ira, et mettez vos délices à vous entretenir ainsi avec lui. Je vous l'ai déjà dit, rien de plus utile que la méditation de ces choses, en apparence si puériles. On y découvre bientôt les vérités les plus importantes. L'Enfant Jésus vous conduira ensuite à sa Mère qu'il honorera par toutes sortes d'égards. Pour vous , saluez-la respectueusement, ainsi que le saint vieillard Joseph , et goûtez dans leur sainte société un
repos délicieux.
Dès le matin du jour suivant , vous verrez quelques saintes femmes et quelques hommes de la cité qui , attirés par la douceur et la sainteté de leur conversation, viennent les accompagner jusqu'au-delà des portes de la ville. Car, quelques jours auparavant , ils avaient annoncé leur dé part aux personnes de leur voisinage, principalement parce qu'il n 'était pas convenable qu'ils quittassent le pays par une retraite subite et presque furtive. Si leur départ fut mystérieux quand ils vinrent en Égypte , c'est qu'ils craignaient pour la vie de l'Enfant Jésus. On se met donc en marche; Joseph est en avant avec les hommes, Marie suit de loin avec les femmes. Pour vous , prenez l'Enfant par la main , et placez-vous au milieu, devant la Mère , car elle ne veut pas qu'il vienne après elle.
Dès qu'on est sorti des portes, Joseph ne souffre pas que ceux qui l'accompagnent aillent plus loin. Alors un des plus riches, touché de leur pauvreté, appelle l'Enfant afin de lui donner quelques pièces de monnaie pour leurs dépenses. Jésus a honte de les recevoir ; cependant , par amour de la pauvreté, il tend la main, reçoit l'argent d'un air modeste et remercie ; il reçut encore l'aumône de plusieurs autres. Les femmes l'appelèrent aussi, et firent de même; ce qui occasionna autant de honte à la Mère qu'à son Fils; cependant elle leur rendit à tous d'humbles actions de grâces. Comment se défendre ici d'une véritable compassion envoyant celui à qui l'univers et tout ce qu'il renferme appartient, choisir pour lui, pour sa Mère, pour son nourricier , la plus extrême pauvreté, et consentir à vivre dans une si grande indigence. La sainte pauvreté brille en eux de tout son éclat , et ils nous montrent combien elle doit nous paraître aimable et praticable.
Enfin , après avoir fait leurs remercîments et leurs adieux à tout le monde , ils reprennent la route de la Judée. Mais comment reviendra l'Enfant Jésus et dans un âge si tendre ? Car le retour me paraît encore plus difficile que l'arrivée. En effet, quand il vint en Égypte , il était si petit qu'on pouvait le porter, et main tenant il est trop grand pour être tenu entre les bras , et trop faible pour faire à pied une si longue route. Mais peut-être que l'un de ceux qui l'accompagnaient avec tant de bienveillance, lui donna ou lui prêta quelque paisible animal sur lequel il pût monter ? O tendre et aimable Enfant, Roi du ciel et de la terre ! que les souffrances que vous avez endurées pour nous ont été grandes ! qu'elles ont été précoces ! David a bien prophétisé quand il vous fait dire : Je suis pauvre et condamné aux douleurs dès ma jeunesse (1), etc. Vous avez constamment condamné votre chair aux plus grandes privations, aux plus accablantes fatigues et aux plus rudes afflictions; par amour pour nous, vous vous êtes presque haï vous-même.
(1) Psaume. 87.
Certes, les peines qui nous occupent en ce moment auraient seules dû suffire pour l'entière rédemption du monde. Prenez-donc l'Enfant Jésus , placez-le sur sa paisible monture , conduisez-le attentivement , et lorsqu'il voudra descendre, prenez-le avec joie entre vos bras , et tenez-le ainsi quelques instants, du moins jusqu'à l'arrivée de sa Mère, dont la marche , un peu plus lente , est aussi plus tardive. Alors l'Enfant se précipitera vers elle , et sa vue sera pour Marie un grand soulagement dans ses fatigues.
Ainsi, ils cheminent et traversent le désert par lequel ils sont venus ; et dans cette route vous aurez souvent occasion de vous attendrir sur leur sort, car ils ont bien peu de repos. Voyez les lassitudes et les fatigues dont ils sont accablés , et le jour et la nuit. Parvenus presqu'à l'extrémité du désert, ils trouvèrent Jean-Baptiste qui avait déjà commencé à faire pénitence en ce lieu , quoiqu'il ne fût coupable d'aucun péché. On assure que l'endroit du Jourdain où Jean administra son baptême est précisément celui que traversèrent les enfants d'Israël, quand ils vinrent de l'Égypte dans le même désert , et que ce fut près de là que Jean fit pénitence.
Il est donc possible que l'Enfant Jésus l'y ait rencontré en revenant par le même endroit. Considérez avec quelle allégresse Jean-Baptiste reçut nos saints voyageurs ; comment , pendant leur court séjour en ce lieu , ils partagèrent avec lui une grossière nourriture ; enfin , comment ils prirent congé de lui, après avoir goûté les plus pures délices spirituelles. Pour vous, en arrivant comme en partant, fléchissez le genou devant saint Jean , baisez-lui les pieds , priez-le de vous bénir et recommandez-vous à lui; car cet Enfant, dès son berceau , est le plus grand et le plus admirable des enfants des hommes. En effet saint Jean fut le premier ermite , le principe et la voie de ceux qui veulent vivre religieusement ; sa virginité fut sans tache , il fut le premier des prédicateurs; plus que prophète; enfin, il eut la gloire du martyre.
Ensuite la Sainte Famille, après avoir passé le Jourdain, descendit chez Élisabeth , ce qui fut pour les uns et pour les autres un grand sujet de bonheur et de joie. Là, Joseph ayant appris qu'Archélaos, fils d'Hérode, régnait en Judée, il en conçut de vives inquiétudes ; et , sur l'avis qu'un Ange lui donna pendant son sommeil , il se retira avec sa famille en Galilée , dans la ville de Nazareth. Voilà donc Jésus revenu de l'Égypte. A son arrivée, les sœurs, les parents et les amis de Marie et de Joseph s'empressent de les visiter. La Sainte Famille se fixe en cette ville et y vit dans la pauvreté. Depuis cette époque jusqu'à celle où Jésus eut atteint sa douzième année , on ne sait rien autre chose de lui. On dit pourtant, et cela est très-vraisemblable, qu'on voit encore à Nazareth la fontaine où Jésus allait chercher de l'eau pour sa Mère.
Car, notre humble Maître rendait de semblables services à Marie qui n'avait pas d'autre serviteur que son Fils. Vous pouvez encore penser ici que la Mère de saint Jean l'évangéliste , sœur de Marie, visitait souvent la Sainte Famille avec son fils, alors âgé de cinq ans. Car , on voit dans les Écritures qu'il mourut soixante-sept ans après la Passion de Notre Seigneur, à l'âge de quatre-vingt dix-huit ans; ainsi il avait trente et un ans au moment de la Passion de Jésus-Christ , qui , lui-même , en avait alors trente-trois ou un peu plus ; et puisque Jésus avait sept ans à son retour d'Égypte , Jean en avait cinq. Considérez-les donc, autant que Dieu vous en fera la grâce, vivant et conversant ensemble; car Jean fut dans la suite le disciple que Jésus aimait davantage.
CHAPITRE XIV.
JÉSUS DEMEURE A JÉRUSALEM.
A l'âge de douze ans , Jésus alla avec ses parents à Jérusalem pour y célébrer , conformément à l'usage et au précepte , la grande fête des Juifs qui durait huit jours. Dans un âge si tendre, Jésus s'exposait déjà aux fatigues des plus longs voyages, pour aller, aux jours prescrits , rendre à son Père céleste les hommages qu'il lui devait ; car le Père et le Fils ont l'un pour l'autre un amour extrême. Mais en considérant combien son Père était déshonoré par la multitude des péchés qui se commettent, son cœur ressentait une affliction plus grande et une plus vive douleur qu'il n'éprouvait de joie en voyant la pompe extérieure de la fête et l'honneur que son Père on recevait. Le suprême législateur se soumettait donc à la loi , se confondant humblement avec le peuple, comme le dernier des hommes. Les jours de la fête étant passés , Jésus demeura à Jérusalem sans que ses parents , qui en étaient partis, s'en aperçussent. Faites-ici une grande attention , et assistez en esprit à tout ce qui se dit et à tout ce qui se fait ; car il y a là matière aux plus pieuses et plus utiles considérations.
J'ai déjà dit au commencement de cet ouvrage que Nazareth, où Notre Seigneur avait son domicile, est éloigné de Jérusalem d'environ quatorze ou quinze mille. Lors donc que Marie et Joseph arrivèrent le soir, par des routes différentes , au lieu où se réunissaient les pèlerins , et où ils devaient loger eux-mêmes , Marie , voyant Joseph sans son Fils , qu'elle croyait l'avoir suivi , lui dit : « Où est donc l'Enfant ? » Joseph répondit : « Je n'en sais rien , il n'est pas revenu avec moi; je le croyais avec vous. » Marie, émue d'une vive douleur , lui dit en pleurant : « Il n'est pas revenu avec moi. Je vois bien que j'ai mal veillé à la garde de mon Fils. » Et aussitôt elle se mit à parcourir différentes maisons, et à le chercher de tous côtés dès le même soir, autant que la décence le permettait , répétant partout : Aux uns , vous avez vu mon Fils ? aux autres, n'avez-vous pas vu mon Fils ?
Et sa douleur et le désir de retrouver Jésus étaient les seuls sentiments qu'elle pouvait éprouver. Joseph la suivait tout en pleurs. Ils ne le retrouvèrent point; et je vous laisse à penser quel repos ils purent goûter; et surtout Marie, dont l'amour pour son Fils était extrême. Aussi les consolations que lui prodiguaient les personnes de sa connaissance ne pouvaient-elles calmer sa douleur. Quelle perte , en effet, que celle de Jésus ? Considérez-la attentivement et avec beaucoup de compassion ; car son âme est plongée dans une si mortelle affliction , que depuis qu'elle est au monde elle n'en a jamais éprouvé de semblable. Ne nous laissons donc pas troubler par les tribulations , quand nous voyons que Jésus ne les a point épargnées à sa Mère. Car s'il permet que ses plus fidèles serviteurs y soient exposés , c'est que les tribulations sont des témoignages de son amour; il nous est donc avantageux d'en éprouver nous-même.
Enfin Marie, se renfermant dans sa chambre, adresse au ciel sa prière et ses gémissements. « 0 mon Dieu! dit-elle , Père éternel , plein de clémence et de bonté , vous avez daigné me donner votre Fils; mais voilà que je l'ai perdu , je ne sais ce qu'il est devenu ; rendez-le à ma tendresse ! O Père! ôtez-moi cette amertume , et donnez-moi la consolation de revoir mon Fils I Voyez , O mon Père ! l'affliction de mon cœur , et pardonnez-moi ma négligence; j'ai commis une grande imprudence, je l'avoue , mais j'ai agi sans le savoir ; n'écoutez que votre bonté , rendez-moi mon Fils; car je ne puis vivre sans lui. 0 le bien-aimé de mon cœur ! O mon Fils ! où êtes-vous? Que vous est-il arrivé? Qui vous donne maintenant un asile ? Seriez-vous retourné au ciel avec votre Père ? Car , je le sais , vous êtes Dieu , vous êtes le Fils de Dieu ; mais comment m'auriez-vous laissé ignorer ce dessein ? Quel qu'un vous aurait-il enlevé par surprise ? Car, je n'oublie pas non plus que vous êtes homme, que je vous ai enfanté, et qu'autrefois, pour vous soustraire aux recherches d'Hérode , je vous ai porté en Égypte. O mon Fils! Que votre Père vous préserve de tous les malheurs ! Faites-moi connaître où vous êtes, et j'irai vous trouver. Ou plutôt, ô mon Fils, revenez à moi; pardonnez-moi cette première faute; et désormais il ne m'arrivera plus de vous garder avec tant de négligence. Aurais-je eu le malheur de vous offenser en quelque chose? Pourquoi donc, ô mon Fils ! vous êtes-vous éloigné de moi ? Je sais que ma douleur ne vous est pas inconnue; ne différez plus de revenir auprès de votre Mère; depuis votre naissance jusqu'à ce jour, je n'ai jamais passé un moment sans vous, mangé sans vous, dormi sans vous; voilà la première fois que ce malheur m' arrive. Mais me voilà maintenant séparée de vous , et j'ignore comment cela s'est fait. Vous le savez, ô mon Fils! Vous êtes mon espérance , ma vie et tout mon bien , je ne puis vivre sans vous. Faites-moi donc connaître où vous êtes caché , et comment je pourrai vous trouver. »
C'était ainsi et par d'autres semblables gémissements que Marie exprimait pendant la nuit les tourments que lui causait l'absence de son Fils bien-aimé. Le lendemain matin , Marie et Joseph , sortant de la maison dès le point du jour , se mirent à chercher Jésus dans les environs ; car on revenait de Jérusalem par plusieurs chemins, de même que pour revenir de Sienne à Pise , on peut passer par le Puy-de-Bonichy , par Colle ou par d'autres endroits.
Le jour suivant ils parcoururent donc diverses routes, cherchant Jésus parmi les personnes de leur parenté ou de leurs connaissances, et ne l'ayant pas trouvé, Marie, presque désespérée , était en proie aux plus pénibles anxiétés, et rien ne pouvait la consoler. Le troisième jour enfin, le Père et la Mère de Jésus , étant revenus à Jérusalem, le trouvèrent dans le Temple assis au milieu des Docteurs. Alors Marie l'apercevant fut remplie de joie, et comme si elle eût retrouvé une nouvelle vie, elle tomba à genoux, et ne pouvant retenir ses larmes, elle rendit grâces à Dieu. A la vue de sa Mère, l'Enfant Jésus s'avance vers elle ; Marie le prend dans ses bras, le presse, l'embrasse tendrement, colle son visage sur celui de son Fils, et, le retenant quelque temps sur son cœur, goûte en ces étreintes un délicieux repos; car dans son émotion, il lui eût été impossible de prononcer une parole.
Puis elle dit, en levant les yeux sur lui : « Mon Fils, pour quoi avez-vous agi ainsi avec nous? Voilà que votre Père et moi , vous cherchions , fort affligés. » Jésus répondit : « Pourquoi me cherchiez-vous ? Ne saviez-vous pas qu'il faut que je m'emploie à ce qui regarde le service de mon Père? » Mais il ne comprirent pas ce qu'il leur disait. Marie, lui dit donc : « Mon Fils, nous allons retourner à la maison ; ne voulez-vous pas revenir avec nous ? — Je ferai ce qu'il vous plaira, reprit Jésus. » Et il revint avec eux à Nazareth.
Vous avez vu l'affliction de Marie dans cette circonstance. Mais que fit l'Enfant Jésus pendant ces trois jours? Considérez comment il se retire dans l'hôtellerie des pauvres , avec quelle honte il demande à y être reçu , et comment le pauvre Jésus mange et loge avec les pauvres. Assis au milieu des Docteurs , voyez avec quelle gravité, quelle sagesse et quel respect il les interrogeait; il les écoutait comme un enfant ignorant , ce qu'il faisait par humilité, et pour leur épargner la honte que ses admirables réponses auraient pu leur occasionner. — Vous pouvez faire sur ce qui précède les trois réflexions suivantes qui sont très-importantes. Premièrement, que celui qui veut s'attacher à Dieu ne doit pas entretenir
avec ses proches des rapports trop intimes, mais se séparer entièrement d'eux. Car quand l'Enfant Jésus voulut s'occuper de ce qui regardait le service de son Père, il se sépara de sa Mère bien-aimée , et l'on voit même que, lorsqu'on le chercha parmi les personnes de sa parenté et de sa connaissance , on ne l'y trouva pas.
Secondement , que les personnes de piété ne doivent point s'étonner lorsque , parfois , se trouvant dans un état d'aridité spirituelle, il leur semble que Dieu les a abandonnées , puisque la Mère de Dieu elle-même a été soumise à cette épreuve. Qu'elles ne se troublent donc point , mais que , persévérant dans l'oraison et dans la pratique des bonnes œuvres, elles cherchent Dieu de tout leur cœur, et bientôt elles le trouveront. Troisièmement , qu'il ne faut jamais s'attacher à son propre sentiment ou à sa propre volonté ; car on voit que Notre Seigneur, après avoir dit qu'il devait s'employer au service de bon Père , se détermina pourtant à faire la volonté de sa Mère; qu'il partit avec elle et avec Joseph, et « qu'il leur était soumis. » En quoi vous pouvez aussi admirer son humilité, dont nous allons parler plus amplement.
NOTRE SEIGNEUR REVIENT DE L'EGYPTE.
Jésus ayant passé sept années entières en Égypte , l'Ange du Seigneur apparut à Joseph pendant son sommeil et lui dit (1) :« Prenez l'Enfant et sa Mère, et ailes dans le pays d'Israël; car ceux qui en voulaient à la vie de l`Enfant sont morts. Joseph prit l'Enfant et sa Mère et retourna dans le pays d'Israël. Ayant appris en arrivant qu'Archélaus, fils d'Hérode, était monté sur le trône, il craignit d'y aller , et, sur un second avertissement de l'Ange, il se retira en Galilée, dans la ville de Nazareth.» Ce retour eut lieu vers la fête de l'Épiphanie; c'est-à-dire deux jours après, comme on le voit dans le Martyrologe.
Ici remarquez encore , ainsi que nous l'avons indiqué dans le chapitre précédent, comment le Seigneur n'accorde la grâce de ses consolations et de ses révélations qu'avec mesure, et jamais avec autant de plénitude que notre convoitise le souhaiterait. C'est ce qui résulte de deux circonstances de cette révélation. Car, comme je l'ai dit , elle fut faite à Joseph pendant le sommeil et non en plein jour. En second lieu, ce ne fut pas en une seule fois, mais en deux, que l'Ange lui fit connaitre en quel lieu il devait aller. Et, comme le dit un interprète, le Seigneur en agit ainsi, parce qu'en pareil cas, plusieurs visites augmentent la conviction.
(1) Math.,2.
Au reste, quelles que soient ces visites, nous devons les estimer beaucoup : soyons-en donc reconnaissants ; car le Seigneur fait toujours , de son côté , tout ce qu'il sait nous être plus avantageux. Maintenant poursuivons ce que nous avons à dire sur le retour de Notre Seigneur. Considérez-en avec attention toutes les circonstances; car il y a là matière à une pieuse méditation.
Revenez donc en Égypte pour y visiter encore l'Enfant Jésus ; peut-être le trouverez-vous hors de la maison , au milieu des enfants , et lors qu'il vous apercevra, il viendra le premier à votre rencontre ; car il est plein de bonté , d'affabilité et de politesse. Pour vous, fléchissant le genou , vous lui baiserez les pieds , vous le prendrez entre vos bras et vous vous reposerez quelque temps avec lui. Enfin, peut-être vous dira-t-il : « Nous pouvons maintenant retourner dans notre patrie , et c'est demain que nous partons d'ici vous êtes arrivée à propos , vous viendrez avec nous. »
Répondez-lui vivement que cela vous sera très-agréable, que vous désirez le suivre partout où il ira, et mettez vos délices à vous entretenir ainsi avec lui. Je vous l'ai déjà dit, rien de plus utile que la méditation de ces choses, en apparence si puériles. On y découvre bientôt les vérités les plus importantes. L'Enfant Jésus vous conduira ensuite à sa Mère qu'il honorera par toutes sortes d'égards. Pour vous , saluez-la respectueusement, ainsi que le saint vieillard Joseph , et goûtez dans leur sainte société un
repos délicieux.
Dès le matin du jour suivant , vous verrez quelques saintes femmes et quelques hommes de la cité qui , attirés par la douceur et la sainteté de leur conversation, viennent les accompagner jusqu'au-delà des portes de la ville. Car, quelques jours auparavant , ils avaient annoncé leur dé part aux personnes de leur voisinage, principalement parce qu'il n 'était pas convenable qu'ils quittassent le pays par une retraite subite et presque furtive. Si leur départ fut mystérieux quand ils vinrent en Égypte , c'est qu'ils craignaient pour la vie de l'Enfant Jésus. On se met donc en marche; Joseph est en avant avec les hommes, Marie suit de loin avec les femmes. Pour vous , prenez l'Enfant par la main , et placez-vous au milieu, devant la Mère , car elle ne veut pas qu'il vienne après elle.
Dès qu'on est sorti des portes, Joseph ne souffre pas que ceux qui l'accompagnent aillent plus loin. Alors un des plus riches, touché de leur pauvreté, appelle l'Enfant afin de lui donner quelques pièces de monnaie pour leurs dépenses. Jésus a honte de les recevoir ; cependant , par amour de la pauvreté, il tend la main, reçoit l'argent d'un air modeste et remercie ; il reçut encore l'aumône de plusieurs autres. Les femmes l'appelèrent aussi, et firent de même; ce qui occasionna autant de honte à la Mère qu'à son Fils; cependant elle leur rendit à tous d'humbles actions de grâces. Comment se défendre ici d'une véritable compassion envoyant celui à qui l'univers et tout ce qu'il renferme appartient, choisir pour lui, pour sa Mère, pour son nourricier , la plus extrême pauvreté, et consentir à vivre dans une si grande indigence. La sainte pauvreté brille en eux de tout son éclat , et ils nous montrent combien elle doit nous paraître aimable et praticable.
Enfin , après avoir fait leurs remercîments et leurs adieux à tout le monde , ils reprennent la route de la Judée. Mais comment reviendra l'Enfant Jésus et dans un âge si tendre ? Car le retour me paraît encore plus difficile que l'arrivée. En effet, quand il vint en Égypte , il était si petit qu'on pouvait le porter, et main tenant il est trop grand pour être tenu entre les bras , et trop faible pour faire à pied une si longue route. Mais peut-être que l'un de ceux qui l'accompagnaient avec tant de bienveillance, lui donna ou lui prêta quelque paisible animal sur lequel il pût monter ? O tendre et aimable Enfant, Roi du ciel et de la terre ! que les souffrances que vous avez endurées pour nous ont été grandes ! qu'elles ont été précoces ! David a bien prophétisé quand il vous fait dire : Je suis pauvre et condamné aux douleurs dès ma jeunesse (1), etc. Vous avez constamment condamné votre chair aux plus grandes privations, aux plus accablantes fatigues et aux plus rudes afflictions; par amour pour nous, vous vous êtes presque haï vous-même.
(1) Psaume. 87.
Certes, les peines qui nous occupent en ce moment auraient seules dû suffire pour l'entière rédemption du monde. Prenez-donc l'Enfant Jésus , placez-le sur sa paisible monture , conduisez-le attentivement , et lorsqu'il voudra descendre, prenez-le avec joie entre vos bras , et tenez-le ainsi quelques instants, du moins jusqu'à l'arrivée de sa Mère, dont la marche , un peu plus lente , est aussi plus tardive. Alors l'Enfant se précipitera vers elle , et sa vue sera pour Marie un grand soulagement dans ses fatigues.
Ainsi, ils cheminent et traversent le désert par lequel ils sont venus ; et dans cette route vous aurez souvent occasion de vous attendrir sur leur sort, car ils ont bien peu de repos. Voyez les lassitudes et les fatigues dont ils sont accablés , et le jour et la nuit. Parvenus presqu'à l'extrémité du désert, ils trouvèrent Jean-Baptiste qui avait déjà commencé à faire pénitence en ce lieu , quoiqu'il ne fût coupable d'aucun péché. On assure que l'endroit du Jourdain où Jean administra son baptême est précisément celui que traversèrent les enfants d'Israël, quand ils vinrent de l'Égypte dans le même désert , et que ce fut près de là que Jean fit pénitence.
Il est donc possible que l'Enfant Jésus l'y ait rencontré en revenant par le même endroit. Considérez avec quelle allégresse Jean-Baptiste reçut nos saints voyageurs ; comment , pendant leur court séjour en ce lieu , ils partagèrent avec lui une grossière nourriture ; enfin , comment ils prirent congé de lui, après avoir goûté les plus pures délices spirituelles. Pour vous, en arrivant comme en partant, fléchissez le genou devant saint Jean , baisez-lui les pieds , priez-le de vous bénir et recommandez-vous à lui; car cet Enfant, dès son berceau , est le plus grand et le plus admirable des enfants des hommes. En effet saint Jean fut le premier ermite , le principe et la voie de ceux qui veulent vivre religieusement ; sa virginité fut sans tache , il fut le premier des prédicateurs; plus que prophète; enfin, il eut la gloire du martyre.
Ensuite la Sainte Famille, après avoir passé le Jourdain, descendit chez Élisabeth , ce qui fut pour les uns et pour les autres un grand sujet de bonheur et de joie. Là, Joseph ayant appris qu'Archélaos, fils d'Hérode, régnait en Judée, il en conçut de vives inquiétudes ; et , sur l'avis qu'un Ange lui donna pendant son sommeil , il se retira avec sa famille en Galilée , dans la ville de Nazareth. Voilà donc Jésus revenu de l'Égypte. A son arrivée, les sœurs, les parents et les amis de Marie et de Joseph s'empressent de les visiter. La Sainte Famille se fixe en cette ville et y vit dans la pauvreté. Depuis cette époque jusqu'à celle où Jésus eut atteint sa douzième année , on ne sait rien autre chose de lui. On dit pourtant, et cela est très-vraisemblable, qu'on voit encore à Nazareth la fontaine où Jésus allait chercher de l'eau pour sa Mère.
Car, notre humble Maître rendait de semblables services à Marie qui n'avait pas d'autre serviteur que son Fils. Vous pouvez encore penser ici que la Mère de saint Jean l'évangéliste , sœur de Marie, visitait souvent la Sainte Famille avec son fils, alors âgé de cinq ans. Car , on voit dans les Écritures qu'il mourut soixante-sept ans après la Passion de Notre Seigneur, à l'âge de quatre-vingt dix-huit ans; ainsi il avait trente et un ans au moment de la Passion de Jésus-Christ , qui , lui-même , en avait alors trente-trois ou un peu plus ; et puisque Jésus avait sept ans à son retour d'Égypte , Jean en avait cinq. Considérez-les donc, autant que Dieu vous en fera la grâce, vivant et conversant ensemble; car Jean fut dans la suite le disciple que Jésus aimait davantage.
CHAPITRE XIV.
JÉSUS DEMEURE A JÉRUSALEM.
A l'âge de douze ans , Jésus alla avec ses parents à Jérusalem pour y célébrer , conformément à l'usage et au précepte , la grande fête des Juifs qui durait huit jours. Dans un âge si tendre, Jésus s'exposait déjà aux fatigues des plus longs voyages, pour aller, aux jours prescrits , rendre à son Père céleste les hommages qu'il lui devait ; car le Père et le Fils ont l'un pour l'autre un amour extrême. Mais en considérant combien son Père était déshonoré par la multitude des péchés qui se commettent, son cœur ressentait une affliction plus grande et une plus vive douleur qu'il n'éprouvait de joie en voyant la pompe extérieure de la fête et l'honneur que son Père on recevait. Le suprême législateur se soumettait donc à la loi , se confondant humblement avec le peuple, comme le dernier des hommes. Les jours de la fête étant passés , Jésus demeura à Jérusalem sans que ses parents , qui en étaient partis, s'en aperçussent. Faites-ici une grande attention , et assistez en esprit à tout ce qui se dit et à tout ce qui se fait ; car il y a là matière aux plus pieuses et plus utiles considérations.
J'ai déjà dit au commencement de cet ouvrage que Nazareth, où Notre Seigneur avait son domicile, est éloigné de Jérusalem d'environ quatorze ou quinze mille. Lors donc que Marie et Joseph arrivèrent le soir, par des routes différentes , au lieu où se réunissaient les pèlerins , et où ils devaient loger eux-mêmes , Marie , voyant Joseph sans son Fils , qu'elle croyait l'avoir suivi , lui dit : « Où est donc l'Enfant ? » Joseph répondit : « Je n'en sais rien , il n'est pas revenu avec moi; je le croyais avec vous. » Marie, émue d'une vive douleur , lui dit en pleurant : « Il n'est pas revenu avec moi. Je vois bien que j'ai mal veillé à la garde de mon Fils. » Et aussitôt elle se mit à parcourir différentes maisons, et à le chercher de tous côtés dès le même soir, autant que la décence le permettait , répétant partout : Aux uns , vous avez vu mon Fils ? aux autres, n'avez-vous pas vu mon Fils ?
Et sa douleur et le désir de retrouver Jésus étaient les seuls sentiments qu'elle pouvait éprouver. Joseph la suivait tout en pleurs. Ils ne le retrouvèrent point; et je vous laisse à penser quel repos ils purent goûter; et surtout Marie, dont l'amour pour son Fils était extrême. Aussi les consolations que lui prodiguaient les personnes de sa connaissance ne pouvaient-elles calmer sa douleur. Quelle perte , en effet, que celle de Jésus ? Considérez-la attentivement et avec beaucoup de compassion ; car son âme est plongée dans une si mortelle affliction , que depuis qu'elle est au monde elle n'en a jamais éprouvé de semblable. Ne nous laissons donc pas troubler par les tribulations , quand nous voyons que Jésus ne les a point épargnées à sa Mère. Car s'il permet que ses plus fidèles serviteurs y soient exposés , c'est que les tribulations sont des témoignages de son amour; il nous est donc avantageux d'en éprouver nous-même.
Enfin Marie, se renfermant dans sa chambre, adresse au ciel sa prière et ses gémissements. « 0 mon Dieu! dit-elle , Père éternel , plein de clémence et de bonté , vous avez daigné me donner votre Fils; mais voilà que je l'ai perdu , je ne sais ce qu'il est devenu ; rendez-le à ma tendresse ! O Père! ôtez-moi cette amertume , et donnez-moi la consolation de revoir mon Fils I Voyez , O mon Père ! l'affliction de mon cœur , et pardonnez-moi ma négligence; j'ai commis une grande imprudence, je l'avoue , mais j'ai agi sans le savoir ; n'écoutez que votre bonté , rendez-moi mon Fils; car je ne puis vivre sans lui. 0 le bien-aimé de mon cœur ! O mon Fils ! où êtes-vous? Que vous est-il arrivé? Qui vous donne maintenant un asile ? Seriez-vous retourné au ciel avec votre Père ? Car , je le sais , vous êtes Dieu , vous êtes le Fils de Dieu ; mais comment m'auriez-vous laissé ignorer ce dessein ? Quel qu'un vous aurait-il enlevé par surprise ? Car, je n'oublie pas non plus que vous êtes homme, que je vous ai enfanté, et qu'autrefois, pour vous soustraire aux recherches d'Hérode , je vous ai porté en Égypte. O mon Fils! Que votre Père vous préserve de tous les malheurs ! Faites-moi connaître où vous êtes, et j'irai vous trouver. Ou plutôt, ô mon Fils, revenez à moi; pardonnez-moi cette première faute; et désormais il ne m'arrivera plus de vous garder avec tant de négligence. Aurais-je eu le malheur de vous offenser en quelque chose? Pourquoi donc, ô mon Fils ! vous êtes-vous éloigné de moi ? Je sais que ma douleur ne vous est pas inconnue; ne différez plus de revenir auprès de votre Mère; depuis votre naissance jusqu'à ce jour, je n'ai jamais passé un moment sans vous, mangé sans vous, dormi sans vous; voilà la première fois que ce malheur m' arrive. Mais me voilà maintenant séparée de vous , et j'ignore comment cela s'est fait. Vous le savez, ô mon Fils! Vous êtes mon espérance , ma vie et tout mon bien , je ne puis vivre sans vous. Faites-moi donc connaître où vous êtes caché , et comment je pourrai vous trouver. »
C'était ainsi et par d'autres semblables gémissements que Marie exprimait pendant la nuit les tourments que lui causait l'absence de son Fils bien-aimé. Le lendemain matin , Marie et Joseph , sortant de la maison dès le point du jour , se mirent à chercher Jésus dans les environs ; car on revenait de Jérusalem par plusieurs chemins, de même que pour revenir de Sienne à Pise , on peut passer par le Puy-de-Bonichy , par Colle ou par d'autres endroits.
Le jour suivant ils parcoururent donc diverses routes, cherchant Jésus parmi les personnes de leur parenté ou de leurs connaissances, et ne l'ayant pas trouvé, Marie, presque désespérée , était en proie aux plus pénibles anxiétés, et rien ne pouvait la consoler. Le troisième jour enfin, le Père et la Mère de Jésus , étant revenus à Jérusalem, le trouvèrent dans le Temple assis au milieu des Docteurs. Alors Marie l'apercevant fut remplie de joie, et comme si elle eût retrouvé une nouvelle vie, elle tomba à genoux, et ne pouvant retenir ses larmes, elle rendit grâces à Dieu. A la vue de sa Mère, l'Enfant Jésus s'avance vers elle ; Marie le prend dans ses bras, le presse, l'embrasse tendrement, colle son visage sur celui de son Fils, et, le retenant quelque temps sur son cœur, goûte en ces étreintes un délicieux repos; car dans son émotion, il lui eût été impossible de prononcer une parole.
Puis elle dit, en levant les yeux sur lui : « Mon Fils, pour quoi avez-vous agi ainsi avec nous? Voilà que votre Père et moi , vous cherchions , fort affligés. » Jésus répondit : « Pourquoi me cherchiez-vous ? Ne saviez-vous pas qu'il faut que je m'emploie à ce qui regarde le service de mon Père? » Mais il ne comprirent pas ce qu'il leur disait. Marie, lui dit donc : « Mon Fils, nous allons retourner à la maison ; ne voulez-vous pas revenir avec nous ? — Je ferai ce qu'il vous plaira, reprit Jésus. » Et il revint avec eux à Nazareth.
Vous avez vu l'affliction de Marie dans cette circonstance. Mais que fit l'Enfant Jésus pendant ces trois jours? Considérez comment il se retire dans l'hôtellerie des pauvres , avec quelle honte il demande à y être reçu , et comment le pauvre Jésus mange et loge avec les pauvres. Assis au milieu des Docteurs , voyez avec quelle gravité, quelle sagesse et quel respect il les interrogeait; il les écoutait comme un enfant ignorant , ce qu'il faisait par humilité, et pour leur épargner la honte que ses admirables réponses auraient pu leur occasionner. — Vous pouvez faire sur ce qui précède les trois réflexions suivantes qui sont très-importantes. Premièrement, que celui qui veut s'attacher à Dieu ne doit pas entretenir
avec ses proches des rapports trop intimes, mais se séparer entièrement d'eux. Car quand l'Enfant Jésus voulut s'occuper de ce qui regardait le service de son Père, il se sépara de sa Mère bien-aimée , et l'on voit même que, lorsqu'on le chercha parmi les personnes de sa parenté et de sa connaissance , on ne l'y trouva pas.
Secondement , que les personnes de piété ne doivent point s'étonner lorsque , parfois , se trouvant dans un état d'aridité spirituelle, il leur semble que Dieu les a abandonnées , puisque la Mère de Dieu elle-même a été soumise à cette épreuve. Qu'elles ne se troublent donc point , mais que , persévérant dans l'oraison et dans la pratique des bonnes œuvres, elles cherchent Dieu de tout leur cœur, et bientôt elles le trouveront. Troisièmement , qu'il ne faut jamais s'attacher à son propre sentiment ou à sa propre volonté ; car on voit que Notre Seigneur, après avoir dit qu'il devait s'employer au service de bon Père , se détermina pourtant à faire la volonté de sa Mère; qu'il partit avec elle et avec Joseph, et « qu'il leur était soumis. » En quoi vous pouvez aussi admirer son humilité, dont nous allons parler plus amplement.
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: MÉDITATIONS SUR LA VIE JESUS-CHRIST TRADUITES DE SAINT BONAVENTURE - 14 eme siecle
CHAPITRE XV.
DE CE QUE FIT JÉSUS DEPUIS DOUZE JUSQU'A TRENTE ANS.
Or, Jésus étant sorti du Temple et de Jérusalem , retourna dans la ville de Nazareth avec ses parents « auxquels il était soumis , » et il y demeura avec eux depuis ce moment jusqu'au commencement de sa trentième année ; et les Écritures ne rapportent rien de ce qu'il a pu faire pendant tout ce temps , ce qui parait tout-à-fait étonnant. Que penserons-nous donc qu'il ait pu faire? Qu'admirerons-nous dans sa conduite? La vie de Jésus, pendant tant d'années, a-t-elle été si oisive que l'on n'ait trouvé aucune action digne de nous être transmise par la tradition ou par l'Écriture ; et , s'il y en eût de telles, pourquoi n'ont elles pas été écrites comme les autres faits évangéliques? cela paraît tout-à-fait surprenant. Mais ici redoublez d'attention, et il vous sera facile de voir qu'en ne faisant rien , Jésus a réellement fait des choses dignes d'admiration. Car tous ses actes sont pleins de mystères.
C'était par vertu qu'il faisait toutes ses actions extérieures; c'était aussi par vertu qu'il gardait le silence et la solitude. Ce grand Maître, qui devait plus tard nous enseigner la vertu et nous montrer le chemin du ciel , commença donc, dès sa jeunesse, à pratiquer toutes les vertus, mais avec une perfection admirable dont on ne pouvait trouver d'exemple dans les siècles antérieurs , c'est-à-dire , ainsi que l'on peut le supposer sans impiété et l'affirmer sans aucune témérité , en se présentant à tous les regards comme un homme inutile, abject et insensé. Au reste, je n'avance rien que je ne puisse justifier par le témoignage de l'Écriture ou des Saints Pères , ainsi qu'on vous l'a dit au commencement de cet ouvrage.
Jésus s'éloignait donc du commerce et des conversations du monde, il fréquentait la Synagogue, ou, si vous l'aimez mieux, l'Église. Là, se tenant à l'endroit le moins apparent , il consacrait à la prière un temps considérable. De retour à la maison, il restait avec sa Mère et quelquefois il aidait Joseph dans les travaux de son état ; il passait et repassait au milieu des hommes comme s'ils eussent été invisibles à ses yeux. On s'étonnait donc qu'un jeune homme si distingué ne fit rien qui parût propre à lui attirer l'estime et les louanges du monde ; car on s'attendait à lui voir faire les actions les plus éclatantes et les œuvres les plus recommandables. Enfant, il croissait en âge et en sagesse devant Dieu et devant les hommes (1) mais, pendant son accroissement et depuis sa douzième jusqu'au-delà de sa trentième année , on ne lui voyait
rien faire qui eût la moindre apparence d'habileté et de capacité
(1) Luc , 2.
On s'en étonnait, on s'en moquait, en disant : « II n'est bon à rien , c'est un idiot , un homme de néant , sans jugement, un imbécile. » Il n'apprit pas même à lire; ce qui faisait dire de lui que : C`était un pauvre Sire. » Et il tenait si constamment à cette manière de vivre, il y était si fortement attaché, qu'il passait ordinairement aux yeux de tout le monde pour un être vil et méprisable. C'est ce que David avait prophétisé par avance en faisant dire au Christ : « Je ne suis pas un homme, mais un ver de terre, etc.» (1).
Voilà donc ce qu'il faisait en paraissant ne rien faire. Comme je vous l'ai déjà dit, il se rendait vil et abject aux yeux de tout le monde. Cela vous paraît-il donc être si peu de chose? Sans doute ces abaissements ne lui étaient pas nécessaires; mais moi n'en avais-je pas besoin? Certes , je ne trouve rien de plus grand ni de plus difficile à pratiquer. Il me semble que l'on est arrivé au plus haut degré de la perfection lorsqu'on est parvenu sans feinte, et sans déguisement, mais en toute vérité et sincérité, à se vaincre soi-même, à commander aux inclinations et à l'orgueil de la nature, jusqu'au point de ne vouloir plus être compté pour quelque chose , mais de consentir à être dédaigné comme un homme abject et méprisable. Il y a là plus de grandeur qu'à soumettre des villes , suivant ces proverbes de Salomon : « Un homme patient vaux mieux qu'un homme vaillant. Celui qui règne sur son cœur est au-dessus de celui qui emporte des places fortes (2) . »
(1) Ps. 21. — (2) Prov. 16.
Jusqu'à ce que vous soyez parvenue à ce point, croyez que vous n'avez encore rien fait. Car, comme dit l'Évangile : « Puisque dans la vérité nous ne sommes tous que des serviteurs inutiles (1), » même lorsque nous avons bien fait toutes choses , tant que nous n'avons pas atteint ce degré d'humilité , nous ne sommes pas encore dans la vérité , mais nous nous arrêtons, et nous marchons dans la vanité. C'est ce que l'Apôtre confirme encore quand il dit : « Celui qui croit être quelque chose, quoiqu'en effet il ne soit rien, se trompe lui-même (2). » Si donc vous me demandez pourquoi Jésus agissait de la sorte, je vous répondrai qu'il ne l'a pas fait pour lui , mais pour nous instruire. D'où il faut conclure que si nous ne profitons point d'une telle leçon , nous sommes tout-à-fait inexcusables. C'est, en effet, une chose abominable qu'un vermisseau, qui sera bientôt lui-même la proie des vers , ose s'élever lorsque le Seigneur, le Dieu de majesté s'humilie et s'abaisse si profondément.
Que si quelqu'un trouve qu'il est absurde de supposer que Notre Seigneur a vécu dans une telle inutilité , s'il ose dire que les Évangélistes ont omis bien des choses et tenir d'autres semblables discours , il sera facile de répondre qu'il n'était pas inutile d'offrir et de donner l'exemple d'une si importante vertu; mais que rien, au contraire, n'était plus utile, parce qu'elle est le fondement le plus ferme, le plus inébranlable de toutes les vertus.
(1) Luc , 17. — (2) Galat , 6.
D'ailleurs , on lit dans l'Évangile de saint Jean, ces paroles de Jésus lui-même : « Lorsque le Saint- Esprit , que je vous enverrai de la part de mon Père , cet Esprit de vérité qui procède du Père, sera venu, il rendra témoignage de moi ; et vous aussi, vous me rendrez témoignage, parce que vous êtes avec moi dès le commencement (1) , » à savoir : comme Prédicateurs.
Et saint Pierre dit , lors de l'élection de l'apôtre saint Matthias : « Il faut que nous choisissions entre ceux qui sont restés unis avec nous depuis le moment où le Seigneur Jésus a vécu parmi nous» (2) , à commencer du baptême de saint Jean. Or Jésus avait environ trente ans quand il commença. Mais si Notre Seigneur eût commencé à prêcher avant saint Jean , celui-ci n'aurait pas été son Précurseur. De plus s'il eût commencé avant saint Jean, comment aurait-il été inconnu , pendant tant d'années , de ses voisins qui disaient de lui : « N'est-ce pas là le Fils du charpentier (3) ? » lorsque peu de temps après il était appelé « Fils de David » par ceux qui le suivaient. Si donc il eût commencé plutôt à faire des prédications ou des actions importantes, l'Écriture en aurait fait mention, ou du moins en aurait conservé quelque chose , et tous les Évangélistes ne les auraient pas passées sous silence.
Mais ce que j'avance ici paraît aussi être l'opinion de saint Bernard , comme je vous le prouverai au chapitre suivant, par une dernière citation. Quelle que soit la vérité sur ce point, je pense que les personnes pieuses aimeront à se figurer les choses telles que nous venons de les présenter. Ainsi , par cette conduite , le Seigneur Jésus forgeait en quelque sorte ce glaive de l'humilité dont parlait le Prophète, quand il disait : « Ceignez-vous de votre glaive, Roi très-puissant (4); » car, pour abattre l'orgueil de son ennemi , rien ne convenait mieux que le glaive de l'humilité.
(1) Jean., 15. - (2) Act., 1. (3) Matth., 13. —(4) Ps. 41.
En effet , on lit qu'au lieu de faire usage du glaive de sa toute-puissance , au moment où il semblait lui être plus nécessaire , c'est-à-dire , au temps de sa Passion , il eut recours à des armes bien différentes. Le même Prophète se plaint à Dieu le Père de la conduite qu'il a tenue envers son Fils, en lui disant : « Vous avez brisé la pointe de son glaive et vous ne l'avez pas secouru dans le combat (1). » Ainsi vous voyez que le Seigneur Jésus commença à pratiquer ce qu'il voulait enseigner plus tard (2) . Car il devait dire dans la suite : « Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur (3). » Il voulut donc d'abord donner l'exemple, et comme il était véritablement doux et humble de cœur, c'était aussi sans déguisement et du fond du cœur qu'il pratiquait la douceur et l'humilité. Loin d'user de feinte dans l'exercice de ces vertus , il s'établit et s'affermit si parfaitement dans l'humilité , la bassesse et l'abjection , et s'anéantit si complètement aux yeux de tout le monde, que, même après qu'il eut commencé ses prédications , après qu'il eut révélé des vérités si élevées et si divines, après même qu'il eut opéré des œuvres si prodigieuses et si admirables , on n'avait pour lui aucune considération; et qu'on le méprisait, qu'on le raillait par ces questions : Quel est celui-ci? N'est-ce pas le fils du charpentier? ou par d'autres paroles dérisoires et méprisantes. Ainsi se vérifia la parole de l'Apôtre, qui a dit de lui : Il s'est anéanti lui-même en prenant la forme d'un esclave (4) ; et non-seulement d'un esclave ordinaire, comme il l'est devenu en s'incarnant, mais d'un esclave inutile , par l'humilité et la bassesse de ses manières et de son langage.
(1) Ps. 88, — (2),Act., 1. — (3) Matth., 11. — (4) Phil., 2.
Voulez-vous donc voir avec quelle puissance il s'est armé de ce glaive examinez toutes ses actions , il n'y en a pas une où n'éclate l'humilité. Vous avez pu l'observer dans tout ce qui précède; souvenez-vous en bien. Nous allons voir dans ce qui va suivre , et même en un grand nombre de circonstances , que la fidélité de Jésus à la pratique de l'humilité prit de continuels accroissements jusqu'à sa mort, après sa mort et même après son Ascension.
N'a-t-il pas, à la fin de sa vie, lavé les pieds de ses disciples? N'a-t-il pas été humilié au-delà de tout ce qu'on pourrait dire , en souffrant le supplice infâme de la Croix? Rayonnant de la gloire de sa Résurrection, n'a-t-il pas encore daigné donner à ses Disciples le nom de frères ? Allez , dit-il à Madeleine, et dites à mes frères : Je monte vers mon Père et votre Père, etc. (1) ; et après son Ascension. n'a-t-il pas dit humblement à Paul, comme il l'eût fait à un égal : « Saul, Saul, pourquoi me persécutez-vous ? » (2) Et dans cette même circonstance , il ne prend pas le titre de Dieu , il se nomme lui-même Jésus ; enfin , au jour du jugement, lorsqu'il se sera assis sur le trône de sa Majesté , ne dira-t-il point aux élus : « Tout ce que vous avez fait à; l` un des plus petits d'entre mes frères, vous me l'avez fait à moi-même (3) .»
Ce n'est pas sans raison que cette vertu fut si chère au cœur de Jésus. Car il n'ignorait pas que si l'orgueil est le principe de tous les vices, l'humilité est le fondement de toutes les vertus, et même de notre salut.
(1) Saint Jean , 20. — (2) Act., 9. — (3) Matth..25
C'est donc en vain que l'on essaierait d'élever sur une autre base l'édifice de notre sanctification. Donc , sans l'humilité, vous ne devez vous rassurer ni sur la virginité , ni sur la pauvreté , ni sur aucune autre vertu , ni sur aucune bonne œuvre. Jésus a donc forgé lui-même cette vertu; c'est-à-dire qu'il nous a montré les moyens de l'acquérir, lesquels consistent à être vil et méprisable à ses propres yeux et même à ceux des autres , et à s'appliquer continuellement à l'exercice des emplois les plus bas. Allez donc et faites de même , si vous voulez acquérir l'humilité. Car cette vertu doit être précédée de l'humiliation que l'on trouve dans l'avilissement et dans les exercices des travaux obscurs et méprisés.
Voilà ce que saint Bernard dit à ce sujet (1) : « L'humilité à laquelle on arrive inévitablement par l'humiliation , est le fondement de tout l'édifice spirituel ; car l'humiliation conduit à l'humilité , comme la patience à la paix , et la lecture à la science. Si vous désirez devenir humble , marchez constamment dans la voie de l'humiliation. Car si vous ne pouvez souffrir d'être humilié, vous n'arriverez jamais à l'humilité. »
Saint Bernard dit encore (2) : « Lorsque vous tendez à ce qu'il y a de plus élevé , ayez d'humbles sentiments de vous-même, de peur qu'en vous élevant au-dessus de ce que vous êtes, vous ne descendiez au-dessous de vous-même ; ce qui arriverait si vous ne vous étiez affermi dans une véritable humilité. Et comme ce n'est que par l'humilité qu'on obtient les plus grandes grâces , celui qui veut y parvenir doit se courber sous la verge de la réprimande , et acquérir ainsi le mérite de l'humilité. Lors donc que vous vous voyez humilié, regardez cela comme un heureux présage; c'est une preuve assurée de la proximité de la grâce (3) . Car, comme Dieu ne tarde pas à humilier par quelque chute celui qui s'élève dans son cœur, de même il ne tarde pas à élever celui qui s'humilie. Sans doute vous connaissez ces deux proverbes (4) : «Dieu résiste aux superbes et donne sa grâce aux humbles. »
(1) Bcrn., Ep. 87, ad Ogerium. — (2) Bern, Serm. 21, sup. Cant. — (3) Prov. 16. — 14) Jacob, 4:
Saint Bernard dit un peu après : « Mais c'est peu de se soumettre de bon cœur lorsque Dieu nous humilie par lui-même , si l'on ne montre la même soumission lorsqu'il le fait par quelque personne que ce soit. Ainsi recevez sur ce sujet l'admirable leçon du saint Roi David. Maudit un jour par l'un de ses serviteurs, il fut insensible à ce comble de l'outrage parce qu'il pressentait le retour de la grâce, et il se contenta de dire (1) : Qu'y a-t-il de commun entre moi et vous, enfant de Sarvia? 0 homme vraiment suivant le cœur de Dieu , qui crut devoir s'enflammer et s'irriter plutôt contre celui qui prenait sa défense que contre celui qui l'outrageait! c'était donc en toute sécurité de conscience qu'il disait (2) : Si j'ai rendu le mal pour le mal, que je tombe sans défense devant mon ennemi, je l'ai mérité. »
Mais en voilà assez pour le moment sur cette vertu. Revenons à l'observation des actions et de la vie de Jésus , notre divin modèle , car c'est là ce que nous nous sommes principalement proposé. Or, ma chère fille , rendez-vous présente à tout, ainsi que je vous l'ai souvent recommandé, et considérez que cette pauvre famille, quoique bénie au-dessus de toutes les autres, mène pourtant , au sein de la plus extrême pauvreté, une vie obscure et cachée. L'heureux vieillard Joseph vivait comme il pouvait du métier de charpentier.
(1) II Rois, 6. — (2) Ps. 7-
Le travail de l'aiguille et du fuseau procurait quelque gain à Marie ; elle faisait en outre tout le service de la maison qui , comme vous le savez , comprend beaucoup de choses ; elle préparait les repas pour son Époux et pour son Fils ; elle se chargeait aussi de tous les autres soins du ménage, car elle n'avait pas de servante. Soyez touchée de la voir ainsi réduite à tout faire de ses propres mains ; soyez aussi sensible au sort de Jésus qui consent à l'aider et à se livrer avec zèle à toutes les occupations dont il était capable. Car, ainsi qu'il le déclare lui-même (1) , il est venu pour servir et non pour être servi. Or donc, n'aidait-il pas sa Mère à dresser leur pauvre table , à faire les lits, et à pourvoira toutes les autres nécessités du ménage?
(1) Matth., 20.
Considérez -le , remplissant dans la maison les fonctions les plus humiliantes, et, en même temps, ne perdez pas de vue sa sainte Mère. Voyez aussi comment Jésus, Marie, Joseph s'asseyent chaque jour à la même table pour prendre en commun , non une nourriture exquise et recherchée, mais grossière et frugale; et comment ensuite ils s'entretiennent , non par des discours frivoles et inutiles, mais par des paroles pleines de sagesse et de l'esprit de Dieu ; de sorte que l'âme n'est pas moins nourrie que le corps. Après quelques moments de récréation, ils se retirent dans leurs chambres pour y faire leur prière. Loin d'être spacieuse, la maison qu'ils occupaient était fort petite. Entrez en esprit dans ces chambres, car chacun d'eux a la sienne.
Voyez , vers le soir, Notre Seigneur Jésus-Christ s'étendant sur la terre, après sa prière, pour y passer pendant tant d'années toutes ses nuits aussi humblement, aussi misérablement que le plus pauvre des hommes. Vous devriez avec autant de persévérance le considérer aussi tous les soirs dans cette triste situation. O Dieu vraiment caché ! pourquoi donc traitiez-vous si rudement votre chair innocente? Car une seule nuit ainsi passée suffisait pour expier tous les péchés du monde. Mais en cela vous cédiez aux impulsions d'un amour immense ; vous brûliez de zèle pour la brebis perdue , que vous vouliez rapporter sur vos épaules au céleste bercail.
O Roi des Rois, Dieu éternel, qui soulagez l'indigence de toutes vos créatures, et qui leur donnez avec abondance tout ce qui est nécessaire à leurs besoins, vous vous étiez donc réservé toutes les souffrances de la pauvreté, de l'abjection , de la mortification supportées dans la veille comme dans le sommeil , dans vos jeûnes comme dans vos repas, dans toutes les actions de votre vie et pendant un si long temps? Où en sont donc les amateurs des jouissances corporelles et tous ceux qui recherchent les ornements curieux et variés? Nous ne sommes pas disciples d'un tel Maître si nous avons de semblables goûts. Sommes-nous donc plus sages que lui?
Il nous a appris par ses leçons et par son exemple à être humbles, pauvres, mortifiés et laborieux; suivons les traces de ce grand Maître, qui ne veut pas nous tromper et ne peut se tromper lui-même; et, selon l'enseignement de l'Apôtre (1) , lorsque nous avons la nourriture et le vêtement, sachons nous contenter de ce qui suffit à la nécessité sans désirer le superflu. Persévérons constamment , sans nous lasser, et avec tout le soin dont nous sommes capables , dans la pratique des autres vertus et des exercices spirituels, etc.
(1) Timoth., 6.
DE CE QUE FIT JÉSUS DEPUIS DOUZE JUSQU'A TRENTE ANS.
Or, Jésus étant sorti du Temple et de Jérusalem , retourna dans la ville de Nazareth avec ses parents « auxquels il était soumis , » et il y demeura avec eux depuis ce moment jusqu'au commencement de sa trentième année ; et les Écritures ne rapportent rien de ce qu'il a pu faire pendant tout ce temps , ce qui parait tout-à-fait étonnant. Que penserons-nous donc qu'il ait pu faire? Qu'admirerons-nous dans sa conduite? La vie de Jésus, pendant tant d'années, a-t-elle été si oisive que l'on n'ait trouvé aucune action digne de nous être transmise par la tradition ou par l'Écriture ; et , s'il y en eût de telles, pourquoi n'ont elles pas été écrites comme les autres faits évangéliques? cela paraît tout-à-fait surprenant. Mais ici redoublez d'attention, et il vous sera facile de voir qu'en ne faisant rien , Jésus a réellement fait des choses dignes d'admiration. Car tous ses actes sont pleins de mystères.
C'était par vertu qu'il faisait toutes ses actions extérieures; c'était aussi par vertu qu'il gardait le silence et la solitude. Ce grand Maître, qui devait plus tard nous enseigner la vertu et nous montrer le chemin du ciel , commença donc, dès sa jeunesse, à pratiquer toutes les vertus, mais avec une perfection admirable dont on ne pouvait trouver d'exemple dans les siècles antérieurs , c'est-à-dire , ainsi que l'on peut le supposer sans impiété et l'affirmer sans aucune témérité , en se présentant à tous les regards comme un homme inutile, abject et insensé. Au reste, je n'avance rien que je ne puisse justifier par le témoignage de l'Écriture ou des Saints Pères , ainsi qu'on vous l'a dit au commencement de cet ouvrage.
Jésus s'éloignait donc du commerce et des conversations du monde, il fréquentait la Synagogue, ou, si vous l'aimez mieux, l'Église. Là, se tenant à l'endroit le moins apparent , il consacrait à la prière un temps considérable. De retour à la maison, il restait avec sa Mère et quelquefois il aidait Joseph dans les travaux de son état ; il passait et repassait au milieu des hommes comme s'ils eussent été invisibles à ses yeux. On s'étonnait donc qu'un jeune homme si distingué ne fit rien qui parût propre à lui attirer l'estime et les louanges du monde ; car on s'attendait à lui voir faire les actions les plus éclatantes et les œuvres les plus recommandables. Enfant, il croissait en âge et en sagesse devant Dieu et devant les hommes (1) mais, pendant son accroissement et depuis sa douzième jusqu'au-delà de sa trentième année , on ne lui voyait
rien faire qui eût la moindre apparence d'habileté et de capacité
(1) Luc , 2.
On s'en étonnait, on s'en moquait, en disant : « II n'est bon à rien , c'est un idiot , un homme de néant , sans jugement, un imbécile. » Il n'apprit pas même à lire; ce qui faisait dire de lui que : C`était un pauvre Sire. » Et il tenait si constamment à cette manière de vivre, il y était si fortement attaché, qu'il passait ordinairement aux yeux de tout le monde pour un être vil et méprisable. C'est ce que David avait prophétisé par avance en faisant dire au Christ : « Je ne suis pas un homme, mais un ver de terre, etc.» (1).
Voilà donc ce qu'il faisait en paraissant ne rien faire. Comme je vous l'ai déjà dit, il se rendait vil et abject aux yeux de tout le monde. Cela vous paraît-il donc être si peu de chose? Sans doute ces abaissements ne lui étaient pas nécessaires; mais moi n'en avais-je pas besoin? Certes , je ne trouve rien de plus grand ni de plus difficile à pratiquer. Il me semble que l'on est arrivé au plus haut degré de la perfection lorsqu'on est parvenu sans feinte, et sans déguisement, mais en toute vérité et sincérité, à se vaincre soi-même, à commander aux inclinations et à l'orgueil de la nature, jusqu'au point de ne vouloir plus être compté pour quelque chose , mais de consentir à être dédaigné comme un homme abject et méprisable. Il y a là plus de grandeur qu'à soumettre des villes , suivant ces proverbes de Salomon : « Un homme patient vaux mieux qu'un homme vaillant. Celui qui règne sur son cœur est au-dessus de celui qui emporte des places fortes (2) . »
(1) Ps. 21. — (2) Prov. 16.
Jusqu'à ce que vous soyez parvenue à ce point, croyez que vous n'avez encore rien fait. Car, comme dit l'Évangile : « Puisque dans la vérité nous ne sommes tous que des serviteurs inutiles (1), » même lorsque nous avons bien fait toutes choses , tant que nous n'avons pas atteint ce degré d'humilité , nous ne sommes pas encore dans la vérité , mais nous nous arrêtons, et nous marchons dans la vanité. C'est ce que l'Apôtre confirme encore quand il dit : « Celui qui croit être quelque chose, quoiqu'en effet il ne soit rien, se trompe lui-même (2). » Si donc vous me demandez pourquoi Jésus agissait de la sorte, je vous répondrai qu'il ne l'a pas fait pour lui , mais pour nous instruire. D'où il faut conclure que si nous ne profitons point d'une telle leçon , nous sommes tout-à-fait inexcusables. C'est, en effet, une chose abominable qu'un vermisseau, qui sera bientôt lui-même la proie des vers , ose s'élever lorsque le Seigneur, le Dieu de majesté s'humilie et s'abaisse si profondément.
Que si quelqu'un trouve qu'il est absurde de supposer que Notre Seigneur a vécu dans une telle inutilité , s'il ose dire que les Évangélistes ont omis bien des choses et tenir d'autres semblables discours , il sera facile de répondre qu'il n'était pas inutile d'offrir et de donner l'exemple d'une si importante vertu; mais que rien, au contraire, n'était plus utile, parce qu'elle est le fondement le plus ferme, le plus inébranlable de toutes les vertus.
(1) Luc , 17. — (2) Galat , 6.
D'ailleurs , on lit dans l'Évangile de saint Jean, ces paroles de Jésus lui-même : « Lorsque le Saint- Esprit , que je vous enverrai de la part de mon Père , cet Esprit de vérité qui procède du Père, sera venu, il rendra témoignage de moi ; et vous aussi, vous me rendrez témoignage, parce que vous êtes avec moi dès le commencement (1) , » à savoir : comme Prédicateurs.
Et saint Pierre dit , lors de l'élection de l'apôtre saint Matthias : « Il faut que nous choisissions entre ceux qui sont restés unis avec nous depuis le moment où le Seigneur Jésus a vécu parmi nous» (2) , à commencer du baptême de saint Jean. Or Jésus avait environ trente ans quand il commença. Mais si Notre Seigneur eût commencé à prêcher avant saint Jean , celui-ci n'aurait pas été son Précurseur. De plus s'il eût commencé avant saint Jean, comment aurait-il été inconnu , pendant tant d'années , de ses voisins qui disaient de lui : « N'est-ce pas là le Fils du charpentier (3) ? » lorsque peu de temps après il était appelé « Fils de David » par ceux qui le suivaient. Si donc il eût commencé plutôt à faire des prédications ou des actions importantes, l'Écriture en aurait fait mention, ou du moins en aurait conservé quelque chose , et tous les Évangélistes ne les auraient pas passées sous silence.
Mais ce que j'avance ici paraît aussi être l'opinion de saint Bernard , comme je vous le prouverai au chapitre suivant, par une dernière citation. Quelle que soit la vérité sur ce point, je pense que les personnes pieuses aimeront à se figurer les choses telles que nous venons de les présenter. Ainsi , par cette conduite , le Seigneur Jésus forgeait en quelque sorte ce glaive de l'humilité dont parlait le Prophète, quand il disait : « Ceignez-vous de votre glaive, Roi très-puissant (4); » car, pour abattre l'orgueil de son ennemi , rien ne convenait mieux que le glaive de l'humilité.
(1) Jean., 15. - (2) Act., 1. (3) Matth., 13. —(4) Ps. 41.
En effet , on lit qu'au lieu de faire usage du glaive de sa toute-puissance , au moment où il semblait lui être plus nécessaire , c'est-à-dire , au temps de sa Passion , il eut recours à des armes bien différentes. Le même Prophète se plaint à Dieu le Père de la conduite qu'il a tenue envers son Fils, en lui disant : « Vous avez brisé la pointe de son glaive et vous ne l'avez pas secouru dans le combat (1). » Ainsi vous voyez que le Seigneur Jésus commença à pratiquer ce qu'il voulait enseigner plus tard (2) . Car il devait dire dans la suite : « Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur (3). » Il voulut donc d'abord donner l'exemple, et comme il était véritablement doux et humble de cœur, c'était aussi sans déguisement et du fond du cœur qu'il pratiquait la douceur et l'humilité. Loin d'user de feinte dans l'exercice de ces vertus , il s'établit et s'affermit si parfaitement dans l'humilité , la bassesse et l'abjection , et s'anéantit si complètement aux yeux de tout le monde, que, même après qu'il eut commencé ses prédications , après qu'il eut révélé des vérités si élevées et si divines, après même qu'il eut opéré des œuvres si prodigieuses et si admirables , on n'avait pour lui aucune considération; et qu'on le méprisait, qu'on le raillait par ces questions : Quel est celui-ci? N'est-ce pas le fils du charpentier? ou par d'autres paroles dérisoires et méprisantes. Ainsi se vérifia la parole de l'Apôtre, qui a dit de lui : Il s'est anéanti lui-même en prenant la forme d'un esclave (4) ; et non-seulement d'un esclave ordinaire, comme il l'est devenu en s'incarnant, mais d'un esclave inutile , par l'humilité et la bassesse de ses manières et de son langage.
(1) Ps. 88, — (2),Act., 1. — (3) Matth., 11. — (4) Phil., 2.
Voulez-vous donc voir avec quelle puissance il s'est armé de ce glaive examinez toutes ses actions , il n'y en a pas une où n'éclate l'humilité. Vous avez pu l'observer dans tout ce qui précède; souvenez-vous en bien. Nous allons voir dans ce qui va suivre , et même en un grand nombre de circonstances , que la fidélité de Jésus à la pratique de l'humilité prit de continuels accroissements jusqu'à sa mort, après sa mort et même après son Ascension.
N'a-t-il pas, à la fin de sa vie, lavé les pieds de ses disciples? N'a-t-il pas été humilié au-delà de tout ce qu'on pourrait dire , en souffrant le supplice infâme de la Croix? Rayonnant de la gloire de sa Résurrection, n'a-t-il pas encore daigné donner à ses Disciples le nom de frères ? Allez , dit-il à Madeleine, et dites à mes frères : Je monte vers mon Père et votre Père, etc. (1) ; et après son Ascension. n'a-t-il pas dit humblement à Paul, comme il l'eût fait à un égal : « Saul, Saul, pourquoi me persécutez-vous ? » (2) Et dans cette même circonstance , il ne prend pas le titre de Dieu , il se nomme lui-même Jésus ; enfin , au jour du jugement, lorsqu'il se sera assis sur le trône de sa Majesté , ne dira-t-il point aux élus : « Tout ce que vous avez fait à; l` un des plus petits d'entre mes frères, vous me l'avez fait à moi-même (3) .»
Ce n'est pas sans raison que cette vertu fut si chère au cœur de Jésus. Car il n'ignorait pas que si l'orgueil est le principe de tous les vices, l'humilité est le fondement de toutes les vertus, et même de notre salut.
(1) Saint Jean , 20. — (2) Act., 9. — (3) Matth..25
C'est donc en vain que l'on essaierait d'élever sur une autre base l'édifice de notre sanctification. Donc , sans l'humilité, vous ne devez vous rassurer ni sur la virginité , ni sur la pauvreté , ni sur aucune autre vertu , ni sur aucune bonne œuvre. Jésus a donc forgé lui-même cette vertu; c'est-à-dire qu'il nous a montré les moyens de l'acquérir, lesquels consistent à être vil et méprisable à ses propres yeux et même à ceux des autres , et à s'appliquer continuellement à l'exercice des emplois les plus bas. Allez donc et faites de même , si vous voulez acquérir l'humilité. Car cette vertu doit être précédée de l'humiliation que l'on trouve dans l'avilissement et dans les exercices des travaux obscurs et méprisés.
Voilà ce que saint Bernard dit à ce sujet (1) : « L'humilité à laquelle on arrive inévitablement par l'humiliation , est le fondement de tout l'édifice spirituel ; car l'humiliation conduit à l'humilité , comme la patience à la paix , et la lecture à la science. Si vous désirez devenir humble , marchez constamment dans la voie de l'humiliation. Car si vous ne pouvez souffrir d'être humilié, vous n'arriverez jamais à l'humilité. »
Saint Bernard dit encore (2) : « Lorsque vous tendez à ce qu'il y a de plus élevé , ayez d'humbles sentiments de vous-même, de peur qu'en vous élevant au-dessus de ce que vous êtes, vous ne descendiez au-dessous de vous-même ; ce qui arriverait si vous ne vous étiez affermi dans une véritable humilité. Et comme ce n'est que par l'humilité qu'on obtient les plus grandes grâces , celui qui veut y parvenir doit se courber sous la verge de la réprimande , et acquérir ainsi le mérite de l'humilité. Lors donc que vous vous voyez humilié, regardez cela comme un heureux présage; c'est une preuve assurée de la proximité de la grâce (3) . Car, comme Dieu ne tarde pas à humilier par quelque chute celui qui s'élève dans son cœur, de même il ne tarde pas à élever celui qui s'humilie. Sans doute vous connaissez ces deux proverbes (4) : «Dieu résiste aux superbes et donne sa grâce aux humbles. »
(1) Bcrn., Ep. 87, ad Ogerium. — (2) Bern, Serm. 21, sup. Cant. — (3) Prov. 16. — 14) Jacob, 4:
Saint Bernard dit un peu après : « Mais c'est peu de se soumettre de bon cœur lorsque Dieu nous humilie par lui-même , si l'on ne montre la même soumission lorsqu'il le fait par quelque personne que ce soit. Ainsi recevez sur ce sujet l'admirable leçon du saint Roi David. Maudit un jour par l'un de ses serviteurs, il fut insensible à ce comble de l'outrage parce qu'il pressentait le retour de la grâce, et il se contenta de dire (1) : Qu'y a-t-il de commun entre moi et vous, enfant de Sarvia? 0 homme vraiment suivant le cœur de Dieu , qui crut devoir s'enflammer et s'irriter plutôt contre celui qui prenait sa défense que contre celui qui l'outrageait! c'était donc en toute sécurité de conscience qu'il disait (2) : Si j'ai rendu le mal pour le mal, que je tombe sans défense devant mon ennemi, je l'ai mérité. »
Mais en voilà assez pour le moment sur cette vertu. Revenons à l'observation des actions et de la vie de Jésus , notre divin modèle , car c'est là ce que nous nous sommes principalement proposé. Or, ma chère fille , rendez-vous présente à tout, ainsi que je vous l'ai souvent recommandé, et considérez que cette pauvre famille, quoique bénie au-dessus de toutes les autres, mène pourtant , au sein de la plus extrême pauvreté, une vie obscure et cachée. L'heureux vieillard Joseph vivait comme il pouvait du métier de charpentier.
(1) II Rois, 6. — (2) Ps. 7-
Le travail de l'aiguille et du fuseau procurait quelque gain à Marie ; elle faisait en outre tout le service de la maison qui , comme vous le savez , comprend beaucoup de choses ; elle préparait les repas pour son Époux et pour son Fils ; elle se chargeait aussi de tous les autres soins du ménage, car elle n'avait pas de servante. Soyez touchée de la voir ainsi réduite à tout faire de ses propres mains ; soyez aussi sensible au sort de Jésus qui consent à l'aider et à se livrer avec zèle à toutes les occupations dont il était capable. Car, ainsi qu'il le déclare lui-même (1) , il est venu pour servir et non pour être servi. Or donc, n'aidait-il pas sa Mère à dresser leur pauvre table , à faire les lits, et à pourvoira toutes les autres nécessités du ménage?
(1) Matth., 20.
Considérez -le , remplissant dans la maison les fonctions les plus humiliantes, et, en même temps, ne perdez pas de vue sa sainte Mère. Voyez aussi comment Jésus, Marie, Joseph s'asseyent chaque jour à la même table pour prendre en commun , non une nourriture exquise et recherchée, mais grossière et frugale; et comment ensuite ils s'entretiennent , non par des discours frivoles et inutiles, mais par des paroles pleines de sagesse et de l'esprit de Dieu ; de sorte que l'âme n'est pas moins nourrie que le corps. Après quelques moments de récréation, ils se retirent dans leurs chambres pour y faire leur prière. Loin d'être spacieuse, la maison qu'ils occupaient était fort petite. Entrez en esprit dans ces chambres, car chacun d'eux a la sienne.
Voyez , vers le soir, Notre Seigneur Jésus-Christ s'étendant sur la terre, après sa prière, pour y passer pendant tant d'années toutes ses nuits aussi humblement, aussi misérablement que le plus pauvre des hommes. Vous devriez avec autant de persévérance le considérer aussi tous les soirs dans cette triste situation. O Dieu vraiment caché ! pourquoi donc traitiez-vous si rudement votre chair innocente? Car une seule nuit ainsi passée suffisait pour expier tous les péchés du monde. Mais en cela vous cédiez aux impulsions d'un amour immense ; vous brûliez de zèle pour la brebis perdue , que vous vouliez rapporter sur vos épaules au céleste bercail.
O Roi des Rois, Dieu éternel, qui soulagez l'indigence de toutes vos créatures, et qui leur donnez avec abondance tout ce qui est nécessaire à leurs besoins, vous vous étiez donc réservé toutes les souffrances de la pauvreté, de l'abjection , de la mortification supportées dans la veille comme dans le sommeil , dans vos jeûnes comme dans vos repas, dans toutes les actions de votre vie et pendant un si long temps? Où en sont donc les amateurs des jouissances corporelles et tous ceux qui recherchent les ornements curieux et variés? Nous ne sommes pas disciples d'un tel Maître si nous avons de semblables goûts. Sommes-nous donc plus sages que lui?
Il nous a appris par ses leçons et par son exemple à être humbles, pauvres, mortifiés et laborieux; suivons les traces de ce grand Maître, qui ne veut pas nous tromper et ne peut se tromper lui-même; et, selon l'enseignement de l'Apôtre (1) , lorsque nous avons la nourriture et le vêtement, sachons nous contenter de ce qui suffit à la nécessité sans désirer le superflu. Persévérons constamment , sans nous lasser, et avec tout le soin dont nous sommes capables , dans la pratique des autres vertus et des exercices spirituels, etc.
(1) Timoth., 6.
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: MÉDITATIONS SUR LA VIE JESUS-CHRIST TRADUITES DE SAINT BONAVENTURE - 14 eme siecle
CHAPITRE XVI.
BAPTÊME DE NOTRE SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST.
Après avoir passé vingt-neuf ans de sa vie dans l'état de souffrance et d'abjection que nous venons de décrire, le seigneur Jésus dit à sa Mère : « Le moment est venu de vous quitter, de glorifier et de faire connaître mon Père , de me montrer au monde et de travailler au salut des âmes, objet de ma mission sur la terre. Ne vous troublez donc point, ma bonne Mère; car je reviendrai bientôt près de vous. » Après quoi le Maître de l'humilité demande à genoux la bénédiction maternelle. Marie s'agenouille aussi , l'embrasse en pleurant et lui dit avec tendresse : « Partez , mon Fils , avec la bénédiction de votre Père et avec la mienne; sou venez- vous de moi, et n'oubliez pas la promesse que vous me faites de revenir bientôt. »
Ayant ainsi respectueusement pris congé de sa Mère et de Joseph son nourricier , Jésus se hâta de prendre la route de Nazareth à Jérusalem , pour se rendre au Jourdain où Jean baptisait. Ce lieu est situé à dix-huit milles de Jérusalem. Le Maître du monde entreprit seul ce voyage; car il n'avait pas encore de Disciples. Au nom du ciel considérez-le donc attentivement par courant seul, nu-pieds, une si longue route, et soyez touchée d'une vive compassion. 0 Seigneur! où allez-vous? N'êtes-vous pas au-dessus de tous les Rois de la terre?
Où sont donc, Seigneur, les Barons, les Comtes, les Ducs, les troupes , les chevaux, les chameaux , les éléphants, les chars, les équipages, les serviteurs, et cette multitude de gens dont vous devriez être accompagné? Où sont les gardes qui devraient vous environner et vous défendre de l'empressement indiscret de la foule , selon l'usage des Rois et des grands personnages? Pourquoi n'êtes-vous pas annoncé par le son des trompettes , le bruit des instruments? Où sont vos drapeaux et vos royales enseignes ; où sont les Officiers de votre maison qui devraient vous précéder" pour préparer les logements et les choses nécessaires ? Où sont les honneurs et les pompes qu'on ne refuse pas même à des vermisseaux tels que nous?
Eh! quoi, Seigneur, le ciel et la terre sont remplis de votre gloire , et vous marchez ainsi sans pompe et sans honneurs ! N'êtes-vous pas celui qui , dans son royaume, (1) était servi par un million d'Anges, et qu'assistait un milliard d'Esprits célestes? Pourquoi donc vous avancer ainsi seul , foulant la terre de vos pieds nus et délicats? C'est, sans doute, parce que vous n'êtes pas maintenant dans votre Royaume ; car (2) votre Royaume n'est pas de ce monde (3). Vous vous êtes anéanti vous-même, en prenant la forme, non d'un Roi, mais d'un esclave (4); vous êtes devenu comme l'un d'entre nous, pèlerin et étranger, ainsi que l'ont été nos pères ; vous vous êtes fait serviteur, afin que nous devinssions des Rois. Car vous êtes venu pour nous conduire à votre royaume en nous montrant la voie par laquelle nous pouvons y parvenir. Mais pourquoi donc négligeons-nous de la suivre? Pourquoi ne marchons-nous pas sur vos traces? Pourquoi refusons-nous de nous humilier? Pourquoi poursuivons-nous avec tant d'empressement et possédons-nous avec tant d'attache , les honneurs , les pompes, les choses vaines et périssables d'ici-bas?
(1) Dan., 7. — (2) Joan., 18. — (3) Phi., 2. — (4) Ps. 38
Ah ! il n'y a pas de doute , c'est que notre royaume est de ce monde ; c'est que nous ne pensons pas que nous n'y sommes que comme des voyageurs ; voilà pourquoi nous courons après tous ces biens trompeurs , qui ne sont que de véritables maux. O vains enfants des hommes ! pourquoi rechercher et embrasser avec tant d'ardeur le mensonge pour la vérité, les choses fragiles et périssables pour les biens solides et permanents, ce qui passe avec le temps pour ce qui est éternel ? Certes , Seigneur, si nous ne perdions jamais de vue que nous sommes ici-bas des pèlerins et des étrangers, il nous serait plus facile de vous suivre; et , n'usant que pour la nécessité de tout ce qui frappe nos sens , nous ne tarderions pas à courir après vous à l'odeur de vos parfums (1) ; car nous serions déchargés de tant de soins inutiles ; nous regarderions toutes les choses qui passent comme déjà passées , et il nous coûterait peu de les dédaigner.
Voilà donc Notre Seigneur Jésus-Christ cheminant humblement, comme nous l'avons dit, de journée en journée, jusqu'à ce qu'il soit parvenu au Jourdain. En arrivant , il trouve saint Jean occupé à baptiser les pécheurs , et une foule immense accourue pour entendre ses prédications ; car on le prenait pour le Messie. Jésus lui dit donc : « Donnez-moi , je vous prie , le baptême comme à ceux-ci. » Mais Jean le regardant et découvrant , par la lumière de l'Esprit-Saint , quel est celui qui lui parle , est saisi de crainte et répond avec respect (2) : Seigneur, c'est moi qui dois être baptisé par vous. Jésus lui dit : « Laissez-moi faire : c'est ainsi que nous devons accomplir toute justice. Taisez-vous maintenant et ne me faites pas connaître, parce que mon heure n'est pas encore venue; mais baptisez-moi. Voici le moment d'exercer l'humilité, et je veux pratiquer cette vertu dans toute son étendue. »
(1) Cant. , 1. — (2) Matth.
Apprenez-donc ici ce que c'est que l'humilité, car c'est le lieu d'en parler ; et vous devez savoir que , suivant les auteurs qui ont traité ce sujet., il y a trois degrés d'humilité. Le premier, c'est de se soumettre à ses supérieurs et de ne point se préférer à ses égaux. Le second , est de se mettre au-dessous de ses égaux et de ne pas s'élever au-dessus de ses inférieurs. Le troisième et dernier degré , consiste à se mettre au-dessous même de ses inférieurs. Et c'est là justement ce qu'a fait Jésus-Christ. II a donc pratiqué cette vertu dans toute son étendue.
Vous voyez que l'humilité de Jésus est encore plus grande ici que dans le chapitre précédent. Car maintenant il se soumet à son inférieur, il s'abaisse au rang des pécheurs pour justifier et glorifier saint Jean. Mais en outre, examinez combien son humilité s'est accrue, sous un autre rapport; jusque-là, il ne l'a montrée que pat une vie inutile et abjecte, ici il veut être regardé comme un pécheur ; car c'est à des pécheurs que saint Jean prêche la pénitence et donne son baptême, et c'est avec ces pécheurs et en leur présence que le Seigneur Jésus veut être baptisé.
Mais voici comment saint Bernard s'explique en cette occasion (1). « C'est au milieu de la foule du peuple que Jésus vient au baptême de Jean . Il y vient comme un homme pécheur, lui qui, seul, était sans péché parmi les hommes. Qui reconnaîtrait en lui le Fils de Dieu ? Qui croirait que c'est le Dieu de toute majesté ? Certes, Seigneur, votre humilité est excessive, le voile qui vous couvre est trop impénétrable ; mais il ne pourra vous dérober au regard de saint Jean. » Voilà ce que dit saint Bernard.
(1) Bern. , Serm. 1 , in Epiph.
Quoique ces réflexions puissent convenir également à la Circoncision , où Jésus prit aussi l'apparence de pécheur , elles sont ici bien plus convenables encore , puisque dans son baptême, c'est publiquement et devant la foule, au lieu que, dans sa Circoncision, c'est secrètement qu'il prend cette ressemblance. Mais ici n'y avait-il pas à craindre que , dans l'exercice de la prédication auquel il allait se consacrer, il ne perdît , en qualité de pécheur, la considération qui lui était nécessaire? Cependant cette crainte n'empêcha pas le Maître de l'humilité de s'humilier très-profondément.
Il voulut donc paraître ce qu'il n'était point , abject et méprisable, nous instruisant ainsi constamment par son exemple ; nous , au contraire , nous voulons paraître ce que nous ne sommes pas, dignes de louanges et de gloire. En effet, si nous croyons remarquer en nous quelque chose qui mérite l'estime , nous en faisons étalage et nous cachons avec soin nos défauts , quoique nous soyons remplis de péchés et de malice. Où est donc notre humilité ? Écoutez à ce sujet, non mes réflexions, mais celles de saint Bernard (1), que voici : « II y a , dit-il , une humilité que produit et qu'enflamme la charité , et il y a une humilité que la vérité fait naître en nous, mais elle est froide et sans ardeur. L'une est dans l'esprit , l'autre est dans le cœur. En effet , si , au flambeau de la vérité , vous jetez intérieurement un regard consciencieux sur vous-même, et si vous vous jugez sans vous flatter , je ne doute pas que la connaissance parfaite que vous aurez de vous-même ne vous humilie et ne vous rende méprisable à vos propres yeux, quoique peut-être il vous fût encore insupportable de passer pour tel aux yeux des autres. Ce sera alors la vérité qui vous rendra humble ; vous ne le serez pas encore par un sentiment d'amour.
(1) Brn., Serm. 12., sup. Cant.
Car, si la vérité qui vous a donné une connaissance si exacte et si salutaire de vous-même , avait embrasé votre cœur d'autant d'amour qu'elle y a répandu de lumières, vous eussiez indubitablement voulu, qu'autant qu'il est possible, tout le monde vous jugeât comme vous savez que vous l'êtes intérieurement par la Vérité elle-même. Je dis autant qu'il est possible , parce qu'il n'est pas toujours convenable de faire connaître aux autres tout ce que nous savons de nous-mêmes , et que souvent une sincérité charitable et une charité sincère ne nous permettent pas de divulguer ce qui pourrait nuire aux personnes qui en auraient connaissance. Autrement si, retenu par votre amour propre, vous retenez aussi en vous-même le témoignage de la vérité , qui ne voit que votre amour pour elle est bien faible , puisque vous lui préférez votre intérêt propre ou votre propre gloire ? »
Saint Bernard ajoute un peu plus bas. « Alors si vous éprouvez en vous-même l'humiliation que fait naître cette inévitable humilité dont le Dieu qui sonde les cœurs et les reins remplit tous les sentiments d'une âme vigilante , joignez-y l'adhésion de la volonté ; et faites de nécessité vertu , car il n'y a point de vertu sans l'adhésion de la volonté. Or , c'est ce qui se fera, si vous ne voulez passer aux yeux du monde que pour ce que vous êtes intérieurement. Sans cela craignez que ce qui suit ne vous regarde (1) : II agit avec artifice en la présence de Dieu , et sa perversité le fait abhorrer. Et comme dit le proverbe (2) : Le double poids est abominable devant Dieu. En effet que faites-vous ? Après vous être pesé dans la balance de la vérité , vous jugez secrètement au fond de votre cœur que vous valez peu de chose ; puis , vous estimant à l'extérieur à un autre prix , vous vous vendez en quelque sorte à nous à plus haut poids que celui que vous avez reconnu être le vôtre. Craignez le Seigneur, et ne soyez pas assez injuste pour vouloir glorifier celui que la vérité humilie , car ce serait résister à la vérité et combattre contre Dieu.
(1) Ps. , 35. — (2) Prov. , 20.
Mais plutôt acquiescez à ce que Dieu demande de vous, et que votre volonté soit soumise à la vérité , non-seulement soumise , mais même entièrement conforme (1). Mon âme, dit le Prophète, ne se soumettra-t-elle pas à Dieu ? Mais c'est peu d'être soumis à Dieu , si vous ne l'êtes aussi à toute créature humaine eu vue de Dieu ; soit à votre Abbé comme à votre supérieur, soit aux Prieurs préposés par lui. Je dis plus, soumettez-vous à vos égaux, soumettez-vous même à vos inférieurs; car c’est ainsi, dit Jésus-Christ, que nous devons accomplir toute justice. A l'exemple du divin Maître , prévenez aussi votre inférieur. Si vous voulez que votre justice soit parfaite , déférez à un subordonné , fléchissez sous un moindre que vous. » Là s'arrête saint Bernard.
Il dit encore autre part (2) : « Qui peut être réputé juste sans humilité? Lorsque le Seigneur se courbait sous la main de Jean-Baptiste, son serviteur, et que celui-ci était saisi de crainte devant une si haute Majesté : laissez-moi faire , dit Jésus, car c'est ainsi que , vous et moi, devons accomplir toute justice, faisant consister la consommation d'une parfaite justice dans une humilité parfaite. L'homme véritablement juste est donc celui qui est humble. » Ainsi conclut saint Bernard.
Or, les humbles montrent évidemment qu'ils sont remplis de cette parfaite justice en rendant à chacun ce qui lui appartient ; ils ne dérobent rien à personne , ils rendent la gloire à Dieu et gardent pour eux le mépris. Vous comprendrez encore mieux cette vérité en considérant quelle est l'injustice de l'orgueilleux qui s'attribue les dons de Dieu. Voilà ce qu'en dit saint Bernard : (3)
(1) Ps. 61. — (2) Sup. Cant., Serm. 47. - (3) Ser. 84. , sup. Cant.
«Comme il arrive souvent que les plus grandes grâces deviennent pour nous la source des plus grands malheurs , lorsque , le Seigneur nous les ayant accordées par préférence aux autres, nous lisons de ses dons comme si nous ne les tenions pas de lui, et sans en faire remonter à lui toute la gloire; de même ceux que les faveurs célestes font regarder comme étant très grands , sont indubitablement très-petits aux yeux de Dieu , lorsqu'ils oublient qu'ils les tiennent de lui. Et j'épargne ici votre faiblesse ; car en me servant de ces expressions mitigées : très-grands, très-petits, je n'ai pas rendu toute ma pensée. J'ai adouci les traits de l'opposition , je vais les rendre plus saillants; j'aurais dû dire : très-bons, très-mauvais.
Sans aucun doute , le meilleur des hommes en est réellement le plus mauvais, s'il s'attribue les dons qui le mettent au-dessus des autres ; car cela est abominable. Que si quelqu'un dit : A Dieu ne plaise que je m'aveugle jusqu'à ce point; je reconnais, au contraire , que je ne suis rien que par la grâce de Dieu (1); et que, cependant, il s'étudie à s'attitrer quelque gloire pour les grâces qu'il a reçues de Dieu , n'est-ce pas là un larron , un voleur? Que celui que cela regarde écoute ce qui suit: (2) Mauvais serviteur, vous prononcez vous-même votre condamnation. Car quoi de plus abominable qu'un serviteur qui s'approprie la gloire de son Maître ? » Voilà les paroles de saint Bernard.
(1) 1. Corint., 16. — (2) Luc, 19.
Elles vous font voir que la justice parfaite consiste dans l'humilité ; qu'elle ne dérobe point à Dieu l'honneur qui lui est dû ; qu'elle ne s'attribue point ce qui ne lui appartient pas, et surtout qu'elle ne nuit en rien au prochain. Car l'homme humble ne juge personne , ne se préfère à personne, se croit inférieur à tout le monde et choisit toujours la dernière place. Sur quoi le même saint Bernard s'exprime ainsi :
« (1) 0 homme! que savez-vous si celui que vous regardez comme le plus méprisable et le plus misérable des hommes , dont la vie excessivement criminelle et affreusement infâme vous fait horreur , et que , par tous ces motifs , vous vous croyez autorisé à mettre au-dessous, non-seulement de vous-même qui vous flattez peut-être de vivre avec sobriété , justice et piété , mais même au-dessous de tous les scélérats dont il vous paraît être le plus abominable ; que savez-vous , dis-je , si cet homme ne sera pas un jour, par un changement opéré par la main du Tout-Puissant , meilleur intérieurement que ces scélérats et que vous- même ? Que savez-vous s'il n'est pas déjà tel aux yeux de Dieu ? Et voilà pourquoi ce grand Dieu nous a défendu de prendre non-seulement une place peu élevée, mais la pénultième, mais même l'une des dernières; voilà pourquoi il nous dit : « (2) Mettez-vous à la dernière place , » afin que vous paraissiez seul le dernier de tous , et que vous ne soyez pas tenté , je ne dis pas seulement de vous préférer, mais de vous comparer à personne. »
(1) Serm. 37., sup. Cant. — (2) Luc, 14
Saint Bernard recommande encore l'humilité dans plusieurs autres passages que nous allons rapporter (3) : « L'humilité, mes frères , est une grande et féconde vertu qui nous mérite de savoir ce qui ne s'apprend point , qui nous fait acquérir ce que nous ne pourrions par nous-mêmes ajouter à nos connaissances , qui par le Verbe et sur le Verbe nous rend capable, de concevoir des mystères qu'il nous serait impossible d'expliquer par nos propres paroles.
(3) Serm. 85., sup cant
Pourquoi recevons-nous ces faveurs ? Ce n'est pas que nous les ayons méritées , mais c'est qu'elles nous ont été accordées par le bon plaisir du Père éternel , du Verbe , l'Époux de nos âmes , Jésus-Christ Notre Seigneur qui est le Dieu béni au-dessus de tout dans les siècles des siècles. »
Saint Bernard , dit encore : (1) «L'humilité est une vertu qui , par la connaissance véritable qu'elle nous donne de nous-mêmes, nous rend vils à nos propres yeux. » Il dit ailleurs : « (2) «Il n'y a que par l'humilité que l'on peut réparer les fautes qui blessent la charité. » Et dans un autre endroit : (3) «Il n'y a que l'humilité qui ne se glorifie de rien , qui ne présume de rien , qui ne conteste sur rien. Celui qui est vraiment humble ne soutient pas avec chaleur son opinion , n'a pas la prétention d'être plus juste que les autres. Or l'humilité nous réconcilie avec Dieu qui se plaît à la voir régner dans nos cœurs. » Et autre part : « (4) L'humilité a toujours été la vertu favorite de la divine grâce. C'est sans doute pour nous conserver l'humilité que la bonté divine dispose les évènements de telle sorte que plus on fait de progrès dans la perfection , moins il semble que l'on avance. Car , lors même que l'on se serait élevé au plus haut degré de la vie spirituelle, il restera encore quelque chose de l'imperfection du premier degré, de manière qu'à peine croira-t-on avoir franchi ce degré. »
Le même saint Bernard dit aussi: (5) « C'est une belle chose que d'unir ensemble la virginité et l'humilité. Et rien n'est plus agréable aux yeux de Dieu qu'une personne dont la virginité est relevée par l'humilité , et dont l'humilité est embellie par la virginité.»
(1) Trac, de 12. grad. humile. — (2) Serm. 2. In Nativ. Domini. — (3) Ep. ad Henr. Senonens. — (4) Serm. 4, super Missus est. — (5) Serm., 1. super Missus est.
Mais , je vous le demande , de quelle vénération n'est pas digne celle dont l'humilité est rehaussée par la fécondité , et dont la virginité est consacrée par la maternité é? Voici deux choses admirables : la virginité et l'humilité. Si vous ne pouvez imiter la virginité d'une créature si humble, imitez l'humilité d'une vierge si pure. La virginité mérite tous les éloges, mais elle est moins nécessaire que l'humilité. Celle-là est de conseil , celle-ci est de précepte ; on vous invite à la première, on vous oblige à la seconde. C'est de la virginité qu'il est dit : (1) Que celui qui peut s'élever jusque-là, s'y élève; mais c'est de l'humilité qu'il est écrit : (2) Si vous ne devenez semblable! à ces petits enfants , vous n'entrerez pas dans le royaume des Cieux. On récompense la première, on exige la seconde. Enfin, le salut est possible sans la virginité, : Il est impossible sans l'humilité. Je dis même que l’humilité peut encore être agréable à Dieu après qu'elle a perdu la virginité , si elle déplore cette perte. Et j'ose assurer que, sans l'humilité, la virginité même de Marie n'aurait pu plaire au Seigneur. (3) Sur qui, dit-il, reposera mon Esprit ,si ce n'est sur celui qui est humble et pacifique ?
Donc, si Marie n'eût pas été humble, le Saint-Esprit ne se serait pas reposé sur elle; et s'il ne s'y était pas reposé, elle ne serait pas devenue la Mère de Dieu; car, sans le Saint-Esprit, comment aurait-elle conçu du Saint-Esprit? Or, il est évident , par son propre témoignage, que pour qu'elle conçût du Saint-Esprit, (4) le Seigneur a regardé l'humilité de sa servante , plus encore que sa virginité. Il est donc démontré que si sa virginité a été agréable aux yeux de Dieu , c'est indubitablement à son humilité qu'elle en est redevable.
(1) Math.,19. — (2) Matth.,18. — (3) Isaï, 66 — (4) Luc, 1.
Il ne nous reste plus à traiter que de l'humilité. Et celle-ci est si nécessaire aux deux autres que, si elles n'en sont accompagnées , elles ne peuvent même être considérées comme des vertus. C'est assurément par le mérite de l'humilité que nous obtenons d'être chastes ou charitables ; (1) car Dieu donne sa grâce aux humble. C'est encore l'humilité qui conserve les vertus dont Dieu nous a favorisés , parce que le Saint-Esprit ne repose que sur ceux qui sont doux et humbles (2) . L'humilité perfectionne en nous les vertus dont elle est la gardienne ; car cette perfection s'acquiert dans l'infirmité, c'est-à-dire dans l'humilité. Celle-ci triomphe de l'orgueil qui est le plus grand obstacle à la grâce et le principe de tous les péchés ; elle repousse loin d'elle et des autres vertus son tyrannique empire. Dans les citations que je viens de faire qui sont extraites de l'humble et véridique saint Bernard, vous avez dû remarquer beaucoup de belles considérations sur l'humilité. Appliquez-vous en même temps à bien comprendre et à mettre en pratique ce qu'il dit, en passant , des autres vertus.
(1) Jac. , 4. — (2) Isaï, 66.
Mais il est temps de revenir au Baptême de Notre Seigneur. Après donc que saint Jean eut connu la volonté de son maître , il obéit et le baptisa. Considérez attentivement Jésus dans cette circonstance. Voici que le Dieu de toute majesté, comme s'il eût été le dernier des mortels, se dépouille de ses vêtements , se plonge dans une eau très-froide , à l'époque de la saison la plus rigoureuse , et opère dans un excès d'amour le salut du genre humain en établissant le Sacrement du Baptême et en nous purifiant de toutes les souillures du péché.
C'est donc là qu'il prend pour ses fiancées l'Église universelle , et surtout les âmes fidèles. Car, nous sommes fiancés de Notre Seigneur Jésus-Christ dans la foi du Baptême , suivant ce qu'il dit par la bouche du Prophète: (1) Je vous fiancerai dans la foi. D'où il faut conclure que cette solennité et l'œuvre qu'elle nous rappelle sont aussi utiles qu'importantes. Voilà pourquoi nous chantons que l'Église s'unit aujourd'hui à l'Époux céleste , parce que Jésus-Christ l'a purifiée de tous ses péchés dans les eaux du Jourdain. Or, dans ce grand évènement, la Trinité tout entière se manifesta d'une manière particulière. Le Saint-Esprit, sous la forme d'une colombe, descendit et se reposa sur Jésus ; et d'une voix éclatante (2) comme le tonnerre , le Père céleste fit entendre ces paroles : (3) Voici mon fils bien-aimé en qui j'ai mis toutes mes complaisances ; écoutez-le. (4) « Seigneur Jésus, reprend saint Bernard, parlez maintenant, votre Père vous le permet. 0 vous qui êtes la vertu et la sagesse de Dieu, combien de temps resterez- vous caché dans la foule obscure comme le plus incapable et le plus ignorant des hommes?
Combien de temps, grand Roi, monarque éternel des Cieux, souffrirez-vous qu'on vous appelle et qu'on vous regarde comme le fils du charpentier? car l'Évangéliste saint Luc (5) nous assure que, jusque-là , Jésus passait pour être le fils de Joseph . O humilité de Jésus-Christ , combien vous confondez mon orgueil et ma vanité! Je sais peu de chose , ou plutôt je crois savoir quelque chose , et je ne peux garder le silence , parlant sur tout avec autant d'impudence que d'imprudence , me montrant prompt à parler, empressé à donner des leçons, peu disposé à écouter les autres.
(1) Osé., 2. (2) Matth., 3. — (3) Marc, 1. — (4) Saint Bernard , in Epiph., serm. 1. — (5) Saint Luc, 3.
Mais, était-ce par crainte de la vaine gloire que Jésus gardait le silence et se tenait caché pendant si longtemps? Qu'avait à craindre de la vaine gloire celui qui est la véritable gloire du Père ? Oui , sans doute , il avait tout à craindre d'elle , non par rapport à lui , mais par rapport à nous pour qui il savait qu'elle était si redoutable. Il s'en gardait pour nous afin de nous instruire. Sa bouche était muette, mais ses œuvres nous parlaient et son exemple prêchait déjà bien haut ce qu'il enseigna plus tard par ces paroles : Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur (1). Car on sait peu de chose de l'enfance de Notre Seigneur , et depuis son enfance jusqu'à sa trentième année on ne trouve absolument rien. Mais celui que le Père céleste a montré à tous les regards d'une manière si éclatante ne peut pas rester plus longtemps caché. » Là finit saint Bernard.
Et voilà l'autorité que j'ai invoquée dans le chapitre précédent , afin de vous faire comprendre comment Jésus-Christ, pour notre instruction , a gardé si humblement le silence. Respirez donc le parfum de l'humilité qui s'exhale de toutes parts. Je vous parle avec plaisir de cette vertu parce qu'elle est inestimable, que nous en avons un très-grand besoin et que nous devons la rechercher avec d'autant plus d'empressement, l'aimer avec d'autant plus d'ardeur, que Notre Seigneur s'est appliqué d'une manière plus remarquable à la pratiquer dans toutes ses actions.
(1) Matth., 11.
BAPTÊME DE NOTRE SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST.
Après avoir passé vingt-neuf ans de sa vie dans l'état de souffrance et d'abjection que nous venons de décrire, le seigneur Jésus dit à sa Mère : « Le moment est venu de vous quitter, de glorifier et de faire connaître mon Père , de me montrer au monde et de travailler au salut des âmes, objet de ma mission sur la terre. Ne vous troublez donc point, ma bonne Mère; car je reviendrai bientôt près de vous. » Après quoi le Maître de l'humilité demande à genoux la bénédiction maternelle. Marie s'agenouille aussi , l'embrasse en pleurant et lui dit avec tendresse : « Partez , mon Fils , avec la bénédiction de votre Père et avec la mienne; sou venez- vous de moi, et n'oubliez pas la promesse que vous me faites de revenir bientôt. »
Ayant ainsi respectueusement pris congé de sa Mère et de Joseph son nourricier , Jésus se hâta de prendre la route de Nazareth à Jérusalem , pour se rendre au Jourdain où Jean baptisait. Ce lieu est situé à dix-huit milles de Jérusalem. Le Maître du monde entreprit seul ce voyage; car il n'avait pas encore de Disciples. Au nom du ciel considérez-le donc attentivement par courant seul, nu-pieds, une si longue route, et soyez touchée d'une vive compassion. 0 Seigneur! où allez-vous? N'êtes-vous pas au-dessus de tous les Rois de la terre?
Où sont donc, Seigneur, les Barons, les Comtes, les Ducs, les troupes , les chevaux, les chameaux , les éléphants, les chars, les équipages, les serviteurs, et cette multitude de gens dont vous devriez être accompagné? Où sont les gardes qui devraient vous environner et vous défendre de l'empressement indiscret de la foule , selon l'usage des Rois et des grands personnages? Pourquoi n'êtes-vous pas annoncé par le son des trompettes , le bruit des instruments? Où sont vos drapeaux et vos royales enseignes ; où sont les Officiers de votre maison qui devraient vous précéder" pour préparer les logements et les choses nécessaires ? Où sont les honneurs et les pompes qu'on ne refuse pas même à des vermisseaux tels que nous?
Eh! quoi, Seigneur, le ciel et la terre sont remplis de votre gloire , et vous marchez ainsi sans pompe et sans honneurs ! N'êtes-vous pas celui qui , dans son royaume, (1) était servi par un million d'Anges, et qu'assistait un milliard d'Esprits célestes? Pourquoi donc vous avancer ainsi seul , foulant la terre de vos pieds nus et délicats? C'est, sans doute, parce que vous n'êtes pas maintenant dans votre Royaume ; car (2) votre Royaume n'est pas de ce monde (3). Vous vous êtes anéanti vous-même, en prenant la forme, non d'un Roi, mais d'un esclave (4); vous êtes devenu comme l'un d'entre nous, pèlerin et étranger, ainsi que l'ont été nos pères ; vous vous êtes fait serviteur, afin que nous devinssions des Rois. Car vous êtes venu pour nous conduire à votre royaume en nous montrant la voie par laquelle nous pouvons y parvenir. Mais pourquoi donc négligeons-nous de la suivre? Pourquoi ne marchons-nous pas sur vos traces? Pourquoi refusons-nous de nous humilier? Pourquoi poursuivons-nous avec tant d'empressement et possédons-nous avec tant d'attache , les honneurs , les pompes, les choses vaines et périssables d'ici-bas?
(1) Dan., 7. — (2) Joan., 18. — (3) Phi., 2. — (4) Ps. 38
Ah ! il n'y a pas de doute , c'est que notre royaume est de ce monde ; c'est que nous ne pensons pas que nous n'y sommes que comme des voyageurs ; voilà pourquoi nous courons après tous ces biens trompeurs , qui ne sont que de véritables maux. O vains enfants des hommes ! pourquoi rechercher et embrasser avec tant d'ardeur le mensonge pour la vérité, les choses fragiles et périssables pour les biens solides et permanents, ce qui passe avec le temps pour ce qui est éternel ? Certes , Seigneur, si nous ne perdions jamais de vue que nous sommes ici-bas des pèlerins et des étrangers, il nous serait plus facile de vous suivre; et , n'usant que pour la nécessité de tout ce qui frappe nos sens , nous ne tarderions pas à courir après vous à l'odeur de vos parfums (1) ; car nous serions déchargés de tant de soins inutiles ; nous regarderions toutes les choses qui passent comme déjà passées , et il nous coûterait peu de les dédaigner.
Voilà donc Notre Seigneur Jésus-Christ cheminant humblement, comme nous l'avons dit, de journée en journée, jusqu'à ce qu'il soit parvenu au Jourdain. En arrivant , il trouve saint Jean occupé à baptiser les pécheurs , et une foule immense accourue pour entendre ses prédications ; car on le prenait pour le Messie. Jésus lui dit donc : « Donnez-moi , je vous prie , le baptême comme à ceux-ci. » Mais Jean le regardant et découvrant , par la lumière de l'Esprit-Saint , quel est celui qui lui parle , est saisi de crainte et répond avec respect (2) : Seigneur, c'est moi qui dois être baptisé par vous. Jésus lui dit : « Laissez-moi faire : c'est ainsi que nous devons accomplir toute justice. Taisez-vous maintenant et ne me faites pas connaître, parce que mon heure n'est pas encore venue; mais baptisez-moi. Voici le moment d'exercer l'humilité, et je veux pratiquer cette vertu dans toute son étendue. »
(1) Cant. , 1. — (2) Matth.
Apprenez-donc ici ce que c'est que l'humilité, car c'est le lieu d'en parler ; et vous devez savoir que , suivant les auteurs qui ont traité ce sujet., il y a trois degrés d'humilité. Le premier, c'est de se soumettre à ses supérieurs et de ne point se préférer à ses égaux. Le second , est de se mettre au-dessous de ses égaux et de ne pas s'élever au-dessus de ses inférieurs. Le troisième et dernier degré , consiste à se mettre au-dessous même de ses inférieurs. Et c'est là justement ce qu'a fait Jésus-Christ. II a donc pratiqué cette vertu dans toute son étendue.
Vous voyez que l'humilité de Jésus est encore plus grande ici que dans le chapitre précédent. Car maintenant il se soumet à son inférieur, il s'abaisse au rang des pécheurs pour justifier et glorifier saint Jean. Mais en outre, examinez combien son humilité s'est accrue, sous un autre rapport; jusque-là, il ne l'a montrée que pat une vie inutile et abjecte, ici il veut être regardé comme un pécheur ; car c'est à des pécheurs que saint Jean prêche la pénitence et donne son baptême, et c'est avec ces pécheurs et en leur présence que le Seigneur Jésus veut être baptisé.
Mais voici comment saint Bernard s'explique en cette occasion (1). « C'est au milieu de la foule du peuple que Jésus vient au baptême de Jean . Il y vient comme un homme pécheur, lui qui, seul, était sans péché parmi les hommes. Qui reconnaîtrait en lui le Fils de Dieu ? Qui croirait que c'est le Dieu de toute majesté ? Certes, Seigneur, votre humilité est excessive, le voile qui vous couvre est trop impénétrable ; mais il ne pourra vous dérober au regard de saint Jean. » Voilà ce que dit saint Bernard.
(1) Bern. , Serm. 1 , in Epiph.
Quoique ces réflexions puissent convenir également à la Circoncision , où Jésus prit aussi l'apparence de pécheur , elles sont ici bien plus convenables encore , puisque dans son baptême, c'est publiquement et devant la foule, au lieu que, dans sa Circoncision, c'est secrètement qu'il prend cette ressemblance. Mais ici n'y avait-il pas à craindre que , dans l'exercice de la prédication auquel il allait se consacrer, il ne perdît , en qualité de pécheur, la considération qui lui était nécessaire? Cependant cette crainte n'empêcha pas le Maître de l'humilité de s'humilier très-profondément.
Il voulut donc paraître ce qu'il n'était point , abject et méprisable, nous instruisant ainsi constamment par son exemple ; nous , au contraire , nous voulons paraître ce que nous ne sommes pas, dignes de louanges et de gloire. En effet, si nous croyons remarquer en nous quelque chose qui mérite l'estime , nous en faisons étalage et nous cachons avec soin nos défauts , quoique nous soyons remplis de péchés et de malice. Où est donc notre humilité ? Écoutez à ce sujet, non mes réflexions, mais celles de saint Bernard (1), que voici : « II y a , dit-il , une humilité que produit et qu'enflamme la charité , et il y a une humilité que la vérité fait naître en nous, mais elle est froide et sans ardeur. L'une est dans l'esprit , l'autre est dans le cœur. En effet , si , au flambeau de la vérité , vous jetez intérieurement un regard consciencieux sur vous-même, et si vous vous jugez sans vous flatter , je ne doute pas que la connaissance parfaite que vous aurez de vous-même ne vous humilie et ne vous rende méprisable à vos propres yeux, quoique peut-être il vous fût encore insupportable de passer pour tel aux yeux des autres. Ce sera alors la vérité qui vous rendra humble ; vous ne le serez pas encore par un sentiment d'amour.
(1) Brn., Serm. 12., sup. Cant.
Car, si la vérité qui vous a donné une connaissance si exacte et si salutaire de vous-même , avait embrasé votre cœur d'autant d'amour qu'elle y a répandu de lumières, vous eussiez indubitablement voulu, qu'autant qu'il est possible, tout le monde vous jugeât comme vous savez que vous l'êtes intérieurement par la Vérité elle-même. Je dis autant qu'il est possible , parce qu'il n'est pas toujours convenable de faire connaître aux autres tout ce que nous savons de nous-mêmes , et que souvent une sincérité charitable et une charité sincère ne nous permettent pas de divulguer ce qui pourrait nuire aux personnes qui en auraient connaissance. Autrement si, retenu par votre amour propre, vous retenez aussi en vous-même le témoignage de la vérité , qui ne voit que votre amour pour elle est bien faible , puisque vous lui préférez votre intérêt propre ou votre propre gloire ? »
Saint Bernard ajoute un peu plus bas. « Alors si vous éprouvez en vous-même l'humiliation que fait naître cette inévitable humilité dont le Dieu qui sonde les cœurs et les reins remplit tous les sentiments d'une âme vigilante , joignez-y l'adhésion de la volonté ; et faites de nécessité vertu , car il n'y a point de vertu sans l'adhésion de la volonté. Or , c'est ce qui se fera, si vous ne voulez passer aux yeux du monde que pour ce que vous êtes intérieurement. Sans cela craignez que ce qui suit ne vous regarde (1) : II agit avec artifice en la présence de Dieu , et sa perversité le fait abhorrer. Et comme dit le proverbe (2) : Le double poids est abominable devant Dieu. En effet que faites-vous ? Après vous être pesé dans la balance de la vérité , vous jugez secrètement au fond de votre cœur que vous valez peu de chose ; puis , vous estimant à l'extérieur à un autre prix , vous vous vendez en quelque sorte à nous à plus haut poids que celui que vous avez reconnu être le vôtre. Craignez le Seigneur, et ne soyez pas assez injuste pour vouloir glorifier celui que la vérité humilie , car ce serait résister à la vérité et combattre contre Dieu.
(1) Ps. , 35. — (2) Prov. , 20.
Mais plutôt acquiescez à ce que Dieu demande de vous, et que votre volonté soit soumise à la vérité , non-seulement soumise , mais même entièrement conforme (1). Mon âme, dit le Prophète, ne se soumettra-t-elle pas à Dieu ? Mais c'est peu d'être soumis à Dieu , si vous ne l'êtes aussi à toute créature humaine eu vue de Dieu ; soit à votre Abbé comme à votre supérieur, soit aux Prieurs préposés par lui. Je dis plus, soumettez-vous à vos égaux, soumettez-vous même à vos inférieurs; car c’est ainsi, dit Jésus-Christ, que nous devons accomplir toute justice. A l'exemple du divin Maître , prévenez aussi votre inférieur. Si vous voulez que votre justice soit parfaite , déférez à un subordonné , fléchissez sous un moindre que vous. » Là s'arrête saint Bernard.
Il dit encore autre part (2) : « Qui peut être réputé juste sans humilité? Lorsque le Seigneur se courbait sous la main de Jean-Baptiste, son serviteur, et que celui-ci était saisi de crainte devant une si haute Majesté : laissez-moi faire , dit Jésus, car c'est ainsi que , vous et moi, devons accomplir toute justice, faisant consister la consommation d'une parfaite justice dans une humilité parfaite. L'homme véritablement juste est donc celui qui est humble. » Ainsi conclut saint Bernard.
Or, les humbles montrent évidemment qu'ils sont remplis de cette parfaite justice en rendant à chacun ce qui lui appartient ; ils ne dérobent rien à personne , ils rendent la gloire à Dieu et gardent pour eux le mépris. Vous comprendrez encore mieux cette vérité en considérant quelle est l'injustice de l'orgueilleux qui s'attribue les dons de Dieu. Voilà ce qu'en dit saint Bernard : (3)
(1) Ps. 61. — (2) Sup. Cant., Serm. 47. - (3) Ser. 84. , sup. Cant.
«Comme il arrive souvent que les plus grandes grâces deviennent pour nous la source des plus grands malheurs , lorsque , le Seigneur nous les ayant accordées par préférence aux autres, nous lisons de ses dons comme si nous ne les tenions pas de lui, et sans en faire remonter à lui toute la gloire; de même ceux que les faveurs célestes font regarder comme étant très grands , sont indubitablement très-petits aux yeux de Dieu , lorsqu'ils oublient qu'ils les tiennent de lui. Et j'épargne ici votre faiblesse ; car en me servant de ces expressions mitigées : très-grands, très-petits, je n'ai pas rendu toute ma pensée. J'ai adouci les traits de l'opposition , je vais les rendre plus saillants; j'aurais dû dire : très-bons, très-mauvais.
Sans aucun doute , le meilleur des hommes en est réellement le plus mauvais, s'il s'attribue les dons qui le mettent au-dessus des autres ; car cela est abominable. Que si quelqu'un dit : A Dieu ne plaise que je m'aveugle jusqu'à ce point; je reconnais, au contraire , que je ne suis rien que par la grâce de Dieu (1); et que, cependant, il s'étudie à s'attitrer quelque gloire pour les grâces qu'il a reçues de Dieu , n'est-ce pas là un larron , un voleur? Que celui que cela regarde écoute ce qui suit: (2) Mauvais serviteur, vous prononcez vous-même votre condamnation. Car quoi de plus abominable qu'un serviteur qui s'approprie la gloire de son Maître ? » Voilà les paroles de saint Bernard.
(1) 1. Corint., 16. — (2) Luc, 19.
Elles vous font voir que la justice parfaite consiste dans l'humilité ; qu'elle ne dérobe point à Dieu l'honneur qui lui est dû ; qu'elle ne s'attribue point ce qui ne lui appartient pas, et surtout qu'elle ne nuit en rien au prochain. Car l'homme humble ne juge personne , ne se préfère à personne, se croit inférieur à tout le monde et choisit toujours la dernière place. Sur quoi le même saint Bernard s'exprime ainsi :
« (1) 0 homme! que savez-vous si celui que vous regardez comme le plus méprisable et le plus misérable des hommes , dont la vie excessivement criminelle et affreusement infâme vous fait horreur , et que , par tous ces motifs , vous vous croyez autorisé à mettre au-dessous, non-seulement de vous-même qui vous flattez peut-être de vivre avec sobriété , justice et piété , mais même au-dessous de tous les scélérats dont il vous paraît être le plus abominable ; que savez-vous , dis-je , si cet homme ne sera pas un jour, par un changement opéré par la main du Tout-Puissant , meilleur intérieurement que ces scélérats et que vous- même ? Que savez-vous s'il n'est pas déjà tel aux yeux de Dieu ? Et voilà pourquoi ce grand Dieu nous a défendu de prendre non-seulement une place peu élevée, mais la pénultième, mais même l'une des dernières; voilà pourquoi il nous dit : « (2) Mettez-vous à la dernière place , » afin que vous paraissiez seul le dernier de tous , et que vous ne soyez pas tenté , je ne dis pas seulement de vous préférer, mais de vous comparer à personne. »
(1) Serm. 37., sup. Cant. — (2) Luc, 14
Saint Bernard recommande encore l'humilité dans plusieurs autres passages que nous allons rapporter (3) : « L'humilité, mes frères , est une grande et féconde vertu qui nous mérite de savoir ce qui ne s'apprend point , qui nous fait acquérir ce que nous ne pourrions par nous-mêmes ajouter à nos connaissances , qui par le Verbe et sur le Verbe nous rend capable, de concevoir des mystères qu'il nous serait impossible d'expliquer par nos propres paroles.
(3) Serm. 85., sup cant
Pourquoi recevons-nous ces faveurs ? Ce n'est pas que nous les ayons méritées , mais c'est qu'elles nous ont été accordées par le bon plaisir du Père éternel , du Verbe , l'Époux de nos âmes , Jésus-Christ Notre Seigneur qui est le Dieu béni au-dessus de tout dans les siècles des siècles. »
Saint Bernard , dit encore : (1) «L'humilité est une vertu qui , par la connaissance véritable qu'elle nous donne de nous-mêmes, nous rend vils à nos propres yeux. » Il dit ailleurs : « (2) «Il n'y a que par l'humilité que l'on peut réparer les fautes qui blessent la charité. » Et dans un autre endroit : (3) «Il n'y a que l'humilité qui ne se glorifie de rien , qui ne présume de rien , qui ne conteste sur rien. Celui qui est vraiment humble ne soutient pas avec chaleur son opinion , n'a pas la prétention d'être plus juste que les autres. Or l'humilité nous réconcilie avec Dieu qui se plaît à la voir régner dans nos cœurs. » Et autre part : « (4) L'humilité a toujours été la vertu favorite de la divine grâce. C'est sans doute pour nous conserver l'humilité que la bonté divine dispose les évènements de telle sorte que plus on fait de progrès dans la perfection , moins il semble que l'on avance. Car , lors même que l'on se serait élevé au plus haut degré de la vie spirituelle, il restera encore quelque chose de l'imperfection du premier degré, de manière qu'à peine croira-t-on avoir franchi ce degré. »
Le même saint Bernard dit aussi: (5) « C'est une belle chose que d'unir ensemble la virginité et l'humilité. Et rien n'est plus agréable aux yeux de Dieu qu'une personne dont la virginité est relevée par l'humilité , et dont l'humilité est embellie par la virginité.»
(1) Trac, de 12. grad. humile. — (2) Serm. 2. In Nativ. Domini. — (3) Ep. ad Henr. Senonens. — (4) Serm. 4, super Missus est. — (5) Serm., 1. super Missus est.
Mais , je vous le demande , de quelle vénération n'est pas digne celle dont l'humilité est rehaussée par la fécondité , et dont la virginité est consacrée par la maternité é? Voici deux choses admirables : la virginité et l'humilité. Si vous ne pouvez imiter la virginité d'une créature si humble, imitez l'humilité d'une vierge si pure. La virginité mérite tous les éloges, mais elle est moins nécessaire que l'humilité. Celle-là est de conseil , celle-ci est de précepte ; on vous invite à la première, on vous oblige à la seconde. C'est de la virginité qu'il est dit : (1) Que celui qui peut s'élever jusque-là, s'y élève; mais c'est de l'humilité qu'il est écrit : (2) Si vous ne devenez semblable! à ces petits enfants , vous n'entrerez pas dans le royaume des Cieux. On récompense la première, on exige la seconde. Enfin, le salut est possible sans la virginité, : Il est impossible sans l'humilité. Je dis même que l’humilité peut encore être agréable à Dieu après qu'elle a perdu la virginité , si elle déplore cette perte. Et j'ose assurer que, sans l'humilité, la virginité même de Marie n'aurait pu plaire au Seigneur. (3) Sur qui, dit-il, reposera mon Esprit ,si ce n'est sur celui qui est humble et pacifique ?
Donc, si Marie n'eût pas été humble, le Saint-Esprit ne se serait pas reposé sur elle; et s'il ne s'y était pas reposé, elle ne serait pas devenue la Mère de Dieu; car, sans le Saint-Esprit, comment aurait-elle conçu du Saint-Esprit? Or, il est évident , par son propre témoignage, que pour qu'elle conçût du Saint-Esprit, (4) le Seigneur a regardé l'humilité de sa servante , plus encore que sa virginité. Il est donc démontré que si sa virginité a été agréable aux yeux de Dieu , c'est indubitablement à son humilité qu'elle en est redevable.
(1) Math.,19. — (2) Matth.,18. — (3) Isaï, 66 — (4) Luc, 1.
Il ne nous reste plus à traiter que de l'humilité. Et celle-ci est si nécessaire aux deux autres que, si elles n'en sont accompagnées , elles ne peuvent même être considérées comme des vertus. C'est assurément par le mérite de l'humilité que nous obtenons d'être chastes ou charitables ; (1) car Dieu donne sa grâce aux humble. C'est encore l'humilité qui conserve les vertus dont Dieu nous a favorisés , parce que le Saint-Esprit ne repose que sur ceux qui sont doux et humbles (2) . L'humilité perfectionne en nous les vertus dont elle est la gardienne ; car cette perfection s'acquiert dans l'infirmité, c'est-à-dire dans l'humilité. Celle-ci triomphe de l'orgueil qui est le plus grand obstacle à la grâce et le principe de tous les péchés ; elle repousse loin d'elle et des autres vertus son tyrannique empire. Dans les citations que je viens de faire qui sont extraites de l'humble et véridique saint Bernard, vous avez dû remarquer beaucoup de belles considérations sur l'humilité. Appliquez-vous en même temps à bien comprendre et à mettre en pratique ce qu'il dit, en passant , des autres vertus.
(1) Jac. , 4. — (2) Isaï, 66.
Mais il est temps de revenir au Baptême de Notre Seigneur. Après donc que saint Jean eut connu la volonté de son maître , il obéit et le baptisa. Considérez attentivement Jésus dans cette circonstance. Voici que le Dieu de toute majesté, comme s'il eût été le dernier des mortels, se dépouille de ses vêtements , se plonge dans une eau très-froide , à l'époque de la saison la plus rigoureuse , et opère dans un excès d'amour le salut du genre humain en établissant le Sacrement du Baptême et en nous purifiant de toutes les souillures du péché.
C'est donc là qu'il prend pour ses fiancées l'Église universelle , et surtout les âmes fidèles. Car, nous sommes fiancés de Notre Seigneur Jésus-Christ dans la foi du Baptême , suivant ce qu'il dit par la bouche du Prophète: (1) Je vous fiancerai dans la foi. D'où il faut conclure que cette solennité et l'œuvre qu'elle nous rappelle sont aussi utiles qu'importantes. Voilà pourquoi nous chantons que l'Église s'unit aujourd'hui à l'Époux céleste , parce que Jésus-Christ l'a purifiée de tous ses péchés dans les eaux du Jourdain. Or, dans ce grand évènement, la Trinité tout entière se manifesta d'une manière particulière. Le Saint-Esprit, sous la forme d'une colombe, descendit et se reposa sur Jésus ; et d'une voix éclatante (2) comme le tonnerre , le Père céleste fit entendre ces paroles : (3) Voici mon fils bien-aimé en qui j'ai mis toutes mes complaisances ; écoutez-le. (4) « Seigneur Jésus, reprend saint Bernard, parlez maintenant, votre Père vous le permet. 0 vous qui êtes la vertu et la sagesse de Dieu, combien de temps resterez- vous caché dans la foule obscure comme le plus incapable et le plus ignorant des hommes?
Combien de temps, grand Roi, monarque éternel des Cieux, souffrirez-vous qu'on vous appelle et qu'on vous regarde comme le fils du charpentier? car l'Évangéliste saint Luc (5) nous assure que, jusque-là , Jésus passait pour être le fils de Joseph . O humilité de Jésus-Christ , combien vous confondez mon orgueil et ma vanité! Je sais peu de chose , ou plutôt je crois savoir quelque chose , et je ne peux garder le silence , parlant sur tout avec autant d'impudence que d'imprudence , me montrant prompt à parler, empressé à donner des leçons, peu disposé à écouter les autres.
(1) Osé., 2. (2) Matth., 3. — (3) Marc, 1. — (4) Saint Bernard , in Epiph., serm. 1. — (5) Saint Luc, 3.
Mais, était-ce par crainte de la vaine gloire que Jésus gardait le silence et se tenait caché pendant si longtemps? Qu'avait à craindre de la vaine gloire celui qui est la véritable gloire du Père ? Oui , sans doute , il avait tout à craindre d'elle , non par rapport à lui , mais par rapport à nous pour qui il savait qu'elle était si redoutable. Il s'en gardait pour nous afin de nous instruire. Sa bouche était muette, mais ses œuvres nous parlaient et son exemple prêchait déjà bien haut ce qu'il enseigna plus tard par ces paroles : Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur (1). Car on sait peu de chose de l'enfance de Notre Seigneur , et depuis son enfance jusqu'à sa trentième année on ne trouve absolument rien. Mais celui que le Père céleste a montré à tous les regards d'une manière si éclatante ne peut pas rester plus longtemps caché. » Là finit saint Bernard.
Et voilà l'autorité que j'ai invoquée dans le chapitre précédent , afin de vous faire comprendre comment Jésus-Christ, pour notre instruction , a gardé si humblement le silence. Respirez donc le parfum de l'humilité qui s'exhale de toutes parts. Je vous parle avec plaisir de cette vertu parce qu'elle est inestimable, que nous en avons un très-grand besoin et que nous devons la rechercher avec d'autant plus d'empressement, l'aimer avec d'autant plus d'ardeur, que Notre Seigneur s'est appliqué d'une manière plus remarquable à la pratiquer dans toutes ses actions.
(1) Matth., 11.
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: MÉDITATIONS SUR LA VIE JESUS-CHRIST TRADUITES DE SAINT BONAVENTURE - 14 eme siecle
CHAPITRE XVII.
JEÛNE ET TENTATIONS DE JÉSUS-CHRIST. — SON RETOUR PRÈS DE SA MÈRE. — QUATRE MOYENS POUR OBTENIR LA PURETE DU COEUR. — PLUSIEURS AVANTAGES DE L'ORAISON. —NÉCESSITÉ DE COMBATTRE LA GOURMANDISE. — POURQUOI ET POUR QUI DIEU FAIT DES MIRACLES.
Aussitôt après son Baptême , Notre Seigneur Jésus-Christ alla dans le désert sur une montagne située à quatre milles environ , appelée Quarantaine (1); il y jeûna quarante jours et quarante nuits; et, selon saint Marc (2), il y vivait au milieu des animaux. Arrêtez vos regards sur cette montagne , et observez attentivement Jésus , car il va vous offrir l'exemple de plusieurs vertus. En effet il se retire dans la solitude , il jeûne , il prie , il veille , s'étend et prend son repos sur la terre nue, et demeure humblement au milieu des plus vils animaux.
Ne lui refusez donc point votre compassion , puisque toujours, en tout lieu et surtout dans ce désert, il se condamne à une vie si pénible et si mortifiée; et , à son exemple , apprenez à vous exercer au travail et à la mortification. Car nous allons parler de quatre pratiques de l'exercice spirituel, qui s'entre-aident merveilleusement l'une l'autre; à savoir : la solitude, le jeûne, la prière et la mortification. Et ces pratiques nous feront parvenir à la pureté du cœur; vertu extrêmement désirable, parce qu'elle renferme en quelque sorte en elle toutes les vertus , la charité, l'humilité, la patience, etc., et qu'elle éloigne de nous tous les vices : car où règne le péché et où manque la vertu, la pureté de cœur ne peut subsister.
(1) Matth 4 — (2) Marc 1.
Voilà pourquoi il est dit, dans les Conférences des saints Pères, (1) qu'un religieux doit s'appliquer continuellement à acquérir la pureté du cœur ; c'est en effet par là que l'homme mérite de voir Dieu suivant ces paroles de l'Évangile : (2) Bienheureux ceux qui ont le cœur pur , car ils verront Dieu. Et selon saint Bernard, « plus on est pur, plus on s'approche de Dieu. Donc la parfaite pureté c'est la parfaite union avec Dieu. » Pour obtenir cette vertu , rien n'est plus efficace que la prière fervente et assidue sur laquelle nous allons bientôt vous donner les instructions les plus étendues. Mais, avec l'intempérance, les excès de la table , la mollesse ou l'oisiveté , la prière est peu utile. Voilà pourquoi on conseille d'y joindre le jeûne et une mortification discrète ; car, poussée à l'excès, elle serait un obstacle à tout bien.
Enfin, comme complément des vertus dont nous venons de parler, la solitude me paraît indispensable. En effet, on ne prie pas comme il faut au milieu du bruit et du tumulte , et il est difficile de voir et d'entendre beaucoup de choses sans se souiller et sans offenser Dieu, car la mort pénètre par les sens dans nos âmes. Ainsi, à l'exemple du Seigneur, retirez-vous dans la solitude, c'est-à-dire, séparez-vous autant que vous le pourrez de la société des hommes, et vivez solitaire si vous voulez être uni à Dieu et mériter, par la pureté du cœur, de le voir sans ombre et sans nuage; fuyez aussi les conversations , surtout avec ceux qui vivent dans le monde ; ne recherchez pas les dévotions extraordinaires et les nouveaux amis ; fermez vos yeux et vos oreilles aux fantômes de la vanité, et évitez comme la peste et comme l'ennemi le plus redoutable de votre âme tout ce qui peut troubler le recueillement de votre esprit et la tranquillité de votre cœur
(1) Cassian. Collat, 1.caput, 7. — (2) Matth. 5.
Car ce n'était pas sans raison que les saints Pères allaient s'ensevelir dans la profondeur des forêts et dans les lieux les plus inaccessibles à tout commerce avec les hommes. Ce n'était pas non plus sans cause qu'ils recommandaient à ceux qui s'étaient retirés dans les monastères d'être aveugles , sourds et muets. Mais pour mieux comprendre ceci , écoutez ce que dit saint Bernard : (1 ) « Pour vous , dit-il , si vous êtes docile aux mouvements qu'excite en vous le Saint-Esprit , et si vous recherchez avec ardeur les moyens de faire de votre âme une épouse de Jésus-Christ, (2) asseyez-vous, comme dit le Prophète , dans la solitude ; car vous vous êtes élevé au-dessus de vous-même, en désirant vous unir au Seigneur des Anges. En effet , n'est-il pas au-dessus de l'homme de s'attacher à Dieu, et de n'avoir avec lui qu'un même esprit? Soyez donc solitaire comme la tourterelle. Qu'il n'y ait plus rien de commun entre vous et la foule , entre vous et le commun des hommes ; (3) oubliez même votre pays et la maison de votre père , et le Roi sera épris de votre beauté. O âme sainte , soyez solitaire pour vous conserver à l'unique Époux que vous avez choisi entre mille ; fuyez le monde , fuyez votre famille ; retirez- vous de vos amis et de vos plus intimes , et même des plus dévoués à votre service. Ne savez-vous pas que votre Époux est timide et réservé, et que c'est sans témoin qu'il veut vous accorder la faveur de sa présence? Retirez donc du monde, non votre corps, mais votre cœur, votre volonté, vos affections, votre esprit. Car il y a devant vous un Esprit, le Christ, le Seigneur, et il exige, non la solitude de votre corps, mais celle de votre esprit. Toutefois, » quand vous le pourrez , il ne vous sera pas inutile , particulièrement au temps de l'oraison , de vous, séparer quelquefois corporellement du monde. »
(1)Bern,Sermon. 10. super Cant. - (2) Thren. 3. — (3) Psal.44.
Saint Bernard, dit plus bas : « Vous êtes solitaire, si vous ne pensez point aux choses de la terre, si vous, n'avez point d'affection pour les choses présentes, si vous méprisez ce qu'estime le commun des hommes , si vous n'avez que du dégoût pour ce que tout le monde désire, si vous évitez les disputes , si vous êtes indifférent à la perte, si vous pardonnez les injures. S'il en est autrement , vous n'êtes pas solitaire même en pratiquant la solitude corporelle. Ne comprenez-vous donc pas que vous pouvez être seul au milieu d'une grande assemblée, et trouver une nombreuse compagnie au sein même de la solitude? Souvenez-vous que vous êtes seul , quelque soit le nombre de ceux qui vous environnent, pourvu que, dans vos rapports avec les autres, vous vous gardiez d'être un observateur trop curieux, ou un juge téméraire. »
Ainsi parle saint Bernard. Vous voyez combien la solitude vous est nécessaire, et que celle du corps est insuffisante si l'on n'y joint celle de l'esprit; mais pour parvenir à cette dernière, il faut que la première soit très-profonde , afin que l'âme ne se répande pas au-dehors , et qu'elle puisse se recueillir avec son céleste Époux. Efforcez-vous donc de tout votre cœur et de tout votre pouvoir d'imiter Jésus votre Seigneur et votre Époux dans la solitude, dans l'oraison, dans le jeûne et dans une discrète mortification des sens. Mais , en voyant Jésus demeurer au milieu des plus vils animaux , apprenez à vivre humblement au milieu des hommes et à supporter avec patience ceux même qui vous paraissent quelquefois les plus déraisonnables. Allez souvent aussi en esprit visiter votre Maître dans sa solitude. Voyez comment il y demeure pendant le jour, comment il prend durant la nuit son repos sur la terre.
Une âme fidèle devrait, au moins une fois par jour, lui rendre visite, surtout depuis l'Épiphanie jusqu'à la fin des quarante jours qu'il passa dans le désert. Après quarante jours, Jésus ressentit la faim. Alors, le tentateur ( l`ange déchu) s'approcha de lui, voulant s'assurer s'il était le Fils de Dieu, et il le tenta par la gourmandise, en disant : (1) Si vous êtes le Fils de Dieu, commandez que ces pierres deviennent des pains. Mais il ne put surprendre le Maître de la sagesse. En effet , ses réponses et sa conduite furent si prudentes qu'il ne succomba point à la tentation de gourmandise, et que son ennemi ne put pénétrer le secret qu'il voulait découvrir ; car Jésus ne nia point , ne déclara point qu'il était le Fils de Dieu , mais il confondit son adversaire par l'autorité de l'Écriture.
Et ici, apprenez, par l'exemple de Jésus, combien il importe de résister à la gourmandise ; car, si nous voulons triompher de nos passions , c'est par celle là qu'il faut commencer. On observe, en effet, que celui qui est esclave de ce vice devient impuissant à combattre les autres. Et voilà ce que dit , sur ce passage , le commentateur de saint Mathieu : « Si l'on ne réprime avant tout la gourmandise, on ne fera contre les autres vices que des efforts inutiles. »
Le Diable prit ensuite Jésus et le transporta à Jérusalem , éloignée de là d'environ dix-huit milles. ( Les distances de lieu dont je parle souvent dans cet ouvrage, m'ont été indiquées par des personnes qui ont visité ces contrées. ) Considérez, ici , la bonté et la patience de Notre Seigneur. Il se laisse toucher et porter par cette bête cruelle qui était altérée de son sang et de celui de tous ceux qui l'aimaient.
(1) Saint Matth., 14.
Le Diable l'ayant porté sur le pinacle du Temple, renouvelant les tentatives qu'il avait déjà faites pour savoir ce qu'était Jésus, le tenta par la vaine gloire ; mais il fut encore vaincu par l'autorité de la sainte Écriture et trompé dans ses espérances. Et dès lors (1), selon saint Bernard , Notre Seigneur n'ayant en rien manifesté sa divinité , fit croire à son ennemi qu'il était un homme ; Satan le tenta une troisième fois comme s'il n'eût été que cela. Le reprenant donc , il le transporta encore sur une montagne élevée , située à deux milles de celle dite de la Quarantaine ; et alors il le tenta d'avarice. Mais là, celui qui fut homicide dès le commencement , fut vaincu pour la troisième fois.
Vous venez de voir comment le Seigneur Jésus permit au démon ( l`ange déchu) de le toucher et de le tenter. Vous étonnerez vous donc de ce que nous soyons nous-mêmes exposés à la tentation? Jésus fut encore tenté plusieurs autres fois. Ce qui fait dire à saint Bernard : « (2) Celui qui croit que Jésus ne fut pas tenté plus de trois fois ne connaît point ces paroles de l'Écriture : (3) La vie de l'homme sur la terre est une continuelle tentation. »
Et suivant l'Apôtre : « (4) Jésus a été comme nous exposé à toutes les tentations , et sujet à toutes nos misères , à l'exception du péché. »
Après donc qu'il eut triomphé du Démon, les Anges s'approchèrent de lui et ils le servaient. Observez, ici, avec une sérieuse attention , Notre Seigneur prenant seul sa nourriture au milieu des Anges , et appliquez-vous aux considérations suivantes qui sont pleines d'intérêt et d'édification. Et d'abord je me demande quels aliments les Anges purent offrir à Notre Seigneur après un si long jeûne?
(1) Serm. 1. in die S. Pasch. — (2) Serm. 14, in psalm. Qui habitat. — (3) Joh., 7. — (4) Heb., 4.
L'Écriture n'en dit rien. Mais nous pouvons comme il nous conviendra , ordonner ce repas avec une magnificence digne du vainqueur de Satan. Et même , si nous considérons sa puissance , il n'y a plus rien à chercher, parce que Jésus pouvait à son gré ou tirer du néant, ou se procurer parmi les choses créées, tout ce qu'il aurait voulu. Mais on ne voit pas qu'il ait fait usage de cette puissance, soit pour lui, soit pour ses disciples ; il n'y eut recours qu'en faveur d'une foule immense de peuple qu'il nourrit deux fois avec quelques pains.
A la vérité , on lit dans l'Évangile , qu'en sa présence, (1) ses disciples pressés par la faim arrachaient des épis pour s`en nourrir . Et, lorsque (2) fatigué d'une longue route , Jésus s'asseyait au bord du puits de Jacob et s'y entretenait avec la Samaritaine, on ne lit pas qu'il ait fait usage de la puissance créatrice pour se procurer de la nourriture, mais qu'il envoya ses disciples en chercher dans la ville voisine. Et il n'est donc pas vraisemblable que Jésus ait fait ici un miracle , parce qu'il n'en opérait jamais que pour l'édification des autres , et en présence de plusieurs personnes; or, il n'y avait là d'autres témoins que les Anges. Quelle idée pourrons-nous donc concevoir de ce repas ? Car, dans ce désert , on ne pouvait trouver ni habitation ni aliments apprêtés ; mais les Anges lui en servirent qui avaient été préparés ailleurs, ainsi qu'il arriva à Daniel (3).
(1) S. Matth., 14. — (2) Joan.,6. - (3) Dan., 14.
En effet, au moment où le prophète Habacuc préparait un plat pour ses moissonneurs , l'Ange du Seigneur le saisit par les cheveux et le transporta de la Judée à Babylone pour y nourrir Daniel , après quoi il le reporta en un moment où il l'avait pris. Tenons-nous en donc là, ayons recours au même moyen, prenons avec Notre Seigneur part à la joie de son festin , et puisse l'excellente Mère de Jésus se réjouir avec nous et du festin et de la victoire de son Fils ! Or, nous pouvons , avec autant de piété que de dévotion , nous figurer ainsi qu'il suit ce qui se passa dans celte circonstance.
Dès que Notre Seigneur Jésus-Christ eût chassé Satan loin de lui, les Anges s'approchèrent en grand nombre, et, pour l'adorer, ils se prosternèrent en disant. «Salut, ô Seigneur Jésus, notre Dieu, notre souverain Maître; » Jésus, inclinant la tête, les reçut avec bienveillance et humilité, se souvenant qu'en qualité d'homme il était un peu au-dessous des Anges, « Seigneur, demandèrent les Anges, que voulez-vous que nous vous servions après un si long jeûne. » Jésus répondit: « Allez trouver ma Mère bien-aimée , et si elle a quelque chose à me donner, apportez-le ; car aucune nourriture ne m'est aussi agréable que celle qu'elle m'a préparée. » Alors deux Anges traversant rapidement l'espace , furent en un moment auprès de Marie; l'ayant respectueusement saluée, ils s'acquittent de leur message et emportent, avec le maigre potage qu'elle a préparé pour elle et pour Joseph , du pain, une nappe et les autres choses nécessaires; peut-être Marie ajouta-t-elle aussi quelques petits poissons , autant que cela lui fut possible. De retour auprès de Jésus, ils déposent tout à terre, et font solennellement la bénédiction de la table.
Mais , ici , observez soigneusement toutes les actions du divin Maître; il s'assied sur la terre avec une dignité modeste ; la sobriété préside à son repas ; entouré de ses Anges, il est servi par eux. L'un lui présente du pain , l'autre du vin , un troisième lui offre du poisson , et les autres chantent en chœur les cantiques de Sion et se réjouissent en sa présence comme en un jour de fête. Au milieu de cette fête, les Anges éprouvent , s'il est permis de parler ainsi , une grande compassion qui devrait aussi nous arracher des larmes. (1) Leurs regards sont respectueusement fixés sur Jésus , et , envoyant leur Seigneur, leur Dieu , le Créateur de l'univers, qui pourvoit au besoin de tout ce qui respire, réduit à un état si humiliant , manquant du nécessaire et se nourrissant comme le dernier des hommes, ils ne peuvent se défendre d'une compatissante émotion. Et si vous arrêtiez vous-même les yeux sur ce spectacle, pourriez-vous ne pas vous écrier : «Seigneur, que vos œuvres sont grandes! elles me remplissent d'une sainte frayeur; aidez-moi à supporter quelque chose pour vous qui avez tant et si cruellement souffert pour moi. »
(1) Ps. 83.
Certes, cette seule considération devrait suffire à vous enflammer d'amour pour Jésus. Enfin, après son repas, il commande aux deux mêmes Anges de reporter tout à sa Mère et de lui dire qu'il se rendrait bientôt près d'elle. Dès qu'ils furent revenus , Jésus dit à tous les Anges: « Retournez à mon Père et au séjour du vrai bonheur; pour moi , il faut que je vive encore en exil; mais, je vous en prie, recommandez-moi à mon Père et à toute la Cour céleste. »
Les Anges se prosternent , demandent et reçoivent la bénédiction de Jésus , puis ils retournent au Ciel leur patrie, accomplissent les ordres de leur divin Maître et remplissent toute la Cour céleste du bruit de sa victoire et des choses prodigieuses qu'il venait d'opérer. Or, Notre Seigneur, voulant retourner à sa Mère, descendit aussitôt de la montagne. Suivez-le encore en esprit dans ce voyage. Et en voyant cheminé ainsi nu-pieds et sans escorte le Maître du monde, ne lui refusez pas une vive compassion. Il arrive au Jourdain, et saint Jean qui le voit se diriger vers lui , le désignant du doigt à ses disciples, s'écrie (1) : « Voici l'Agneau de Dieu, voici celui qui efface les péchés du monde ; c'est sur lui que j'ai vu le Saint-Esprit se reposer au moment où je le baptisais. »
Un autre jour, l'ayant encore vu se promener sur le bord du Jourdain , il répéta : Voici l'Agneau de Dieu. Alors André , accompagné d'un autre disciple de saint Jean , se mirent à suivre Jésus. Ce bon Maître, qui désirait ardemment leur salut, afin de leur inspirer une grande confiance en lui , se tourne vers eux et leur dit : Que cherchez vous ? Ils répondirent : Maître, où demeurez-vous ? Et Jésus les conduisit à la maison où il se retirait dans ces contrées; ils y passèrent un jour avec lui. Puis André conduisit Simon son frère à Jésus qui le reçut avec plaisir; car il savait déjà à quoi il le destinait, et il lui dit : Désormais on vous appellera Céphas ; et c'est ainsi qu'il commença à s'en faire connaître et à se familiariser avec eux.
Notre Seigneur, ayant ensuite le dessein de retourner en Galilée près de sa Mère, quitta les bords du Jourdain et se mit en marche. Maintenant, considérez-le encore avec un tendre intérêt, et accompagnez-le dans son voyage; car, suivant sa coutume , il fait seul , nu-pieds , une longue route de quatorze milles. A son arrivée, sa Mère le reconnaît, et , pleine d'une inexprimable joie , elle se lève, se précipite à sa rencontre, le serre affectueusement entre ses bras. Jésus la salua respectueusement, ainsi que Joseph , son nourricier, et demeura près d'eux comme il l'avait fait avant son départ.
(1) Joan. 1.
CHAPITRE XVIII.
JÉSUS OUVRE DANS LA SYNAGOGUE LE LIVRE DU PROPHETE ISAÏE.
Jusqu'ici , par la grâce de Dieu , nous avons esquissé la vie de Notre Seigneur Jésus-Christ en suivant l'ordre des temps , n'omettant rien ou presque rien de ce qui lui est arrivé ou de ce qu'il a fait. Mais notre intention n'est pas de continuer ainsi ce qui nous reste à dire. Car il serait beaucoup trop long de raconter, sous la forme de méditations, toutes ses paroles et toutes ses actions. Et ce qui, surtout, nous détermine à abréger ce récit, c'est, qu'à l'exemple de sainte Cécile , nous devons mettre tous nos soins à conserver toujours , dans le fond de notre cœur, le souvenir des actions de Jésus-Christ. Contentons-nous donc de choisir pour le sujet de nos méditations habituelles, quelques-unes des actions qu'il a faites depuis son retour en Galilée jusqu'à sa Passion; car, depuis cette dernière époque, il n'y a plus rien à retrancher.
Toutefois ce que nous omettrons ne doit pas être tellement négligé que nous n'en fassions aussi , en temps et lieu , l'objet des plus sérieuses réflexions. Ainsi nos méditations ne seront désormais développées que rarement. Car je crois qu'il vous suffira d'arrêter un moment vos pensées sur quelque parole ou quelqu'action de Jésus et de vous en entretenir familièrement avec lui. En effet, il me semble que les plus pures jouissances, la dévotion la plus solide, et presque tout le fruit de ces méditations consistent à l'observer sans cesse, en tous lieux et avec une pieuse attention, dans chacune de ses actions, lorsqu'il est avec ses disciples , lorsqu'il se trouve avec les pécheurs, lorsqu'il s'entretient avec eux, lorsqu'il annonce aux peuples le royaume de Dieu , lorsqu'il marche ou qu'il se repose, lorsqu'il dort ou qu'il veille, lors qu'il prend sa nourriture ou qu'il la donne aux autres , lorsqu'il guérit les malades ou qu'il fait quelques autres œuvres miraculeuses.
Dans toutes ces circonstances et dans toutes celles qui leur ressemblent , remarquez ses mouvements, vous appliquant surtout à contempler l'air et l'expression de son visage , s'il vous est possible de vous en faire une juste idée, ce qui me parait plus difficile encore que de vous représenter tout ce que nous avons dit précédemment , et, redoublez d'attention , s'il daigne quelquefois jeter sur vous un regard de bonté. Revenez à cette pratique et suivez ce conseil dans tout ce qui me reste à vous dire , dans tous les récits que j'ai encore h vous faire; et si, par la suite , je ne donne pas à chacune des méditations d'autres développements, si je les néglige entièrement , recourez à cette méthode et elle vous suffira. Reprenons donc la narration de ce qui nous reste à dire.
De retour après son Baptême , Jésus , le Maître de l'humilité, vivait aussi humblement qu'il l'avait fait auparavant ; pourtant il commença à se manifester peu-à-peu à quelques personnes qu'il instruisait et exhortait en secret. Car on ne dit pas qu'il ait exercé en public le ministère de la prédication dans tout le cours de l'année qui suivit son Baptême, c'est-à-dire jusqu'au miracle des noces de Cana , qu'il fit au jour même où un an auparavant il avait été baptisé. Et s'il parlait quelquefois en public, si ses Disciples administraient le Baptême , cependant, avant l'emprisonnement de saint Jean, la prédication ne fut exercée ni par Jésus, ni par les siens , aussi fréquemment qu'elle le fut après cet évènement ; et, en agissant ainsi, Jésus nous donnait l'exemple d'une admirable humilité, puis qu'il montrait à saint Jean, infiniment inférieur à lui dans le ministère de la prédication , cette humble déférence que les détails précédents ont pu faire supposer ou découvrir à votre piété.
Ce ne fut donc point avec pompe, avec éclat qu'il commença son œuvre, mais humblement et peu-à-peu. Étant un jour de Sabbat dans la Synagogue avec quelques Juifs (1), Jésus se leva pour lire dans le livre du prophète Isaïe et il tomba à l'endroit où se trouvaient ces paroles (2) : L'Esprit du Seigneur est sur moi, c'est pour quoi j'ai été consacré par son onction, et il m'a envoyé prêcher l'Évangile aux pauvres. Alors, après avoir fermé le livre , il dit : Les paroles que vous venez d'entendre reçoivent aujourd'hui leur accomplissement. Voyez donc avec quelle humilité Jésus, remplissant les fonctions de lecteur, d'un air calme et doux, lit et explique l'Écriture à ceux qui l'entourent. Remarquez avec quelle humilité il se fait connaître en disant : Ce qui est écrit dans ce livre s'accomplit aujourd'hui ; c'est-à-dire, je suis celui dont parle Isaïe.
(1) Luc, 4. — (2) Isaïe, 61.
Et la puissance de ses paroles , son air humble et gracieux attirait à lui tous les regards; car Jésus fut le plus aimable comme le plus éloquent des enfants des hommes. Et le prophète avait fait connaître cette double prééminence par ces paroles : 0 le plus beau des enfants des hommes ! la grâce est répandue sur vos lèvres !
JEÛNE ET TENTATIONS DE JÉSUS-CHRIST. — SON RETOUR PRÈS DE SA MÈRE. — QUATRE MOYENS POUR OBTENIR LA PURETE DU COEUR. — PLUSIEURS AVANTAGES DE L'ORAISON. —NÉCESSITÉ DE COMBATTRE LA GOURMANDISE. — POURQUOI ET POUR QUI DIEU FAIT DES MIRACLES.
Aussitôt après son Baptême , Notre Seigneur Jésus-Christ alla dans le désert sur une montagne située à quatre milles environ , appelée Quarantaine (1); il y jeûna quarante jours et quarante nuits; et, selon saint Marc (2), il y vivait au milieu des animaux. Arrêtez vos regards sur cette montagne , et observez attentivement Jésus , car il va vous offrir l'exemple de plusieurs vertus. En effet il se retire dans la solitude , il jeûne , il prie , il veille , s'étend et prend son repos sur la terre nue, et demeure humblement au milieu des plus vils animaux.
Ne lui refusez donc point votre compassion , puisque toujours, en tout lieu et surtout dans ce désert, il se condamne à une vie si pénible et si mortifiée; et , à son exemple , apprenez à vous exercer au travail et à la mortification. Car nous allons parler de quatre pratiques de l'exercice spirituel, qui s'entre-aident merveilleusement l'une l'autre; à savoir : la solitude, le jeûne, la prière et la mortification. Et ces pratiques nous feront parvenir à la pureté du cœur; vertu extrêmement désirable, parce qu'elle renferme en quelque sorte en elle toutes les vertus , la charité, l'humilité, la patience, etc., et qu'elle éloigne de nous tous les vices : car où règne le péché et où manque la vertu, la pureté de cœur ne peut subsister.
(1) Matth 4 — (2) Marc 1.
Voilà pourquoi il est dit, dans les Conférences des saints Pères, (1) qu'un religieux doit s'appliquer continuellement à acquérir la pureté du cœur ; c'est en effet par là que l'homme mérite de voir Dieu suivant ces paroles de l'Évangile : (2) Bienheureux ceux qui ont le cœur pur , car ils verront Dieu. Et selon saint Bernard, « plus on est pur, plus on s'approche de Dieu. Donc la parfaite pureté c'est la parfaite union avec Dieu. » Pour obtenir cette vertu , rien n'est plus efficace que la prière fervente et assidue sur laquelle nous allons bientôt vous donner les instructions les plus étendues. Mais, avec l'intempérance, les excès de la table , la mollesse ou l'oisiveté , la prière est peu utile. Voilà pourquoi on conseille d'y joindre le jeûne et une mortification discrète ; car, poussée à l'excès, elle serait un obstacle à tout bien.
Enfin, comme complément des vertus dont nous venons de parler, la solitude me paraît indispensable. En effet, on ne prie pas comme il faut au milieu du bruit et du tumulte , et il est difficile de voir et d'entendre beaucoup de choses sans se souiller et sans offenser Dieu, car la mort pénètre par les sens dans nos âmes. Ainsi, à l'exemple du Seigneur, retirez-vous dans la solitude, c'est-à-dire, séparez-vous autant que vous le pourrez de la société des hommes, et vivez solitaire si vous voulez être uni à Dieu et mériter, par la pureté du cœur, de le voir sans ombre et sans nuage; fuyez aussi les conversations , surtout avec ceux qui vivent dans le monde ; ne recherchez pas les dévotions extraordinaires et les nouveaux amis ; fermez vos yeux et vos oreilles aux fantômes de la vanité, et évitez comme la peste et comme l'ennemi le plus redoutable de votre âme tout ce qui peut troubler le recueillement de votre esprit et la tranquillité de votre cœur
(1) Cassian. Collat, 1.caput, 7. — (2) Matth. 5.
Car ce n'était pas sans raison que les saints Pères allaient s'ensevelir dans la profondeur des forêts et dans les lieux les plus inaccessibles à tout commerce avec les hommes. Ce n'était pas non plus sans cause qu'ils recommandaient à ceux qui s'étaient retirés dans les monastères d'être aveugles , sourds et muets. Mais pour mieux comprendre ceci , écoutez ce que dit saint Bernard : (1 ) « Pour vous , dit-il , si vous êtes docile aux mouvements qu'excite en vous le Saint-Esprit , et si vous recherchez avec ardeur les moyens de faire de votre âme une épouse de Jésus-Christ, (2) asseyez-vous, comme dit le Prophète , dans la solitude ; car vous vous êtes élevé au-dessus de vous-même, en désirant vous unir au Seigneur des Anges. En effet , n'est-il pas au-dessus de l'homme de s'attacher à Dieu, et de n'avoir avec lui qu'un même esprit? Soyez donc solitaire comme la tourterelle. Qu'il n'y ait plus rien de commun entre vous et la foule , entre vous et le commun des hommes ; (3) oubliez même votre pays et la maison de votre père , et le Roi sera épris de votre beauté. O âme sainte , soyez solitaire pour vous conserver à l'unique Époux que vous avez choisi entre mille ; fuyez le monde , fuyez votre famille ; retirez- vous de vos amis et de vos plus intimes , et même des plus dévoués à votre service. Ne savez-vous pas que votre Époux est timide et réservé, et que c'est sans témoin qu'il veut vous accorder la faveur de sa présence? Retirez donc du monde, non votre corps, mais votre cœur, votre volonté, vos affections, votre esprit. Car il y a devant vous un Esprit, le Christ, le Seigneur, et il exige, non la solitude de votre corps, mais celle de votre esprit. Toutefois, » quand vous le pourrez , il ne vous sera pas inutile , particulièrement au temps de l'oraison , de vous, séparer quelquefois corporellement du monde. »
(1)Bern,Sermon. 10. super Cant. - (2) Thren. 3. — (3) Psal.44.
Saint Bernard, dit plus bas : « Vous êtes solitaire, si vous ne pensez point aux choses de la terre, si vous, n'avez point d'affection pour les choses présentes, si vous méprisez ce qu'estime le commun des hommes , si vous n'avez que du dégoût pour ce que tout le monde désire, si vous évitez les disputes , si vous êtes indifférent à la perte, si vous pardonnez les injures. S'il en est autrement , vous n'êtes pas solitaire même en pratiquant la solitude corporelle. Ne comprenez-vous donc pas que vous pouvez être seul au milieu d'une grande assemblée, et trouver une nombreuse compagnie au sein même de la solitude? Souvenez-vous que vous êtes seul , quelque soit le nombre de ceux qui vous environnent, pourvu que, dans vos rapports avec les autres, vous vous gardiez d'être un observateur trop curieux, ou un juge téméraire. »
Ainsi parle saint Bernard. Vous voyez combien la solitude vous est nécessaire, et que celle du corps est insuffisante si l'on n'y joint celle de l'esprit; mais pour parvenir à cette dernière, il faut que la première soit très-profonde , afin que l'âme ne se répande pas au-dehors , et qu'elle puisse se recueillir avec son céleste Époux. Efforcez-vous donc de tout votre cœur et de tout votre pouvoir d'imiter Jésus votre Seigneur et votre Époux dans la solitude, dans l'oraison, dans le jeûne et dans une discrète mortification des sens. Mais , en voyant Jésus demeurer au milieu des plus vils animaux , apprenez à vivre humblement au milieu des hommes et à supporter avec patience ceux même qui vous paraissent quelquefois les plus déraisonnables. Allez souvent aussi en esprit visiter votre Maître dans sa solitude. Voyez comment il y demeure pendant le jour, comment il prend durant la nuit son repos sur la terre.
Une âme fidèle devrait, au moins une fois par jour, lui rendre visite, surtout depuis l'Épiphanie jusqu'à la fin des quarante jours qu'il passa dans le désert. Après quarante jours, Jésus ressentit la faim. Alors, le tentateur ( l`ange déchu) s'approcha de lui, voulant s'assurer s'il était le Fils de Dieu, et il le tenta par la gourmandise, en disant : (1) Si vous êtes le Fils de Dieu, commandez que ces pierres deviennent des pains. Mais il ne put surprendre le Maître de la sagesse. En effet , ses réponses et sa conduite furent si prudentes qu'il ne succomba point à la tentation de gourmandise, et que son ennemi ne put pénétrer le secret qu'il voulait découvrir ; car Jésus ne nia point , ne déclara point qu'il était le Fils de Dieu , mais il confondit son adversaire par l'autorité de l'Écriture.
Et ici, apprenez, par l'exemple de Jésus, combien il importe de résister à la gourmandise ; car, si nous voulons triompher de nos passions , c'est par celle là qu'il faut commencer. On observe, en effet, que celui qui est esclave de ce vice devient impuissant à combattre les autres. Et voilà ce que dit , sur ce passage , le commentateur de saint Mathieu : « Si l'on ne réprime avant tout la gourmandise, on ne fera contre les autres vices que des efforts inutiles. »
Le Diable prit ensuite Jésus et le transporta à Jérusalem , éloignée de là d'environ dix-huit milles. ( Les distances de lieu dont je parle souvent dans cet ouvrage, m'ont été indiquées par des personnes qui ont visité ces contrées. ) Considérez, ici , la bonté et la patience de Notre Seigneur. Il se laisse toucher et porter par cette bête cruelle qui était altérée de son sang et de celui de tous ceux qui l'aimaient.
(1) Saint Matth., 14.
Le Diable l'ayant porté sur le pinacle du Temple, renouvelant les tentatives qu'il avait déjà faites pour savoir ce qu'était Jésus, le tenta par la vaine gloire ; mais il fut encore vaincu par l'autorité de la sainte Écriture et trompé dans ses espérances. Et dès lors (1), selon saint Bernard , Notre Seigneur n'ayant en rien manifesté sa divinité , fit croire à son ennemi qu'il était un homme ; Satan le tenta une troisième fois comme s'il n'eût été que cela. Le reprenant donc , il le transporta encore sur une montagne élevée , située à deux milles de celle dite de la Quarantaine ; et alors il le tenta d'avarice. Mais là, celui qui fut homicide dès le commencement , fut vaincu pour la troisième fois.
Vous venez de voir comment le Seigneur Jésus permit au démon ( l`ange déchu) de le toucher et de le tenter. Vous étonnerez vous donc de ce que nous soyons nous-mêmes exposés à la tentation? Jésus fut encore tenté plusieurs autres fois. Ce qui fait dire à saint Bernard : « (2) Celui qui croit que Jésus ne fut pas tenté plus de trois fois ne connaît point ces paroles de l'Écriture : (3) La vie de l'homme sur la terre est une continuelle tentation. »
Et suivant l'Apôtre : « (4) Jésus a été comme nous exposé à toutes les tentations , et sujet à toutes nos misères , à l'exception du péché. »
Après donc qu'il eut triomphé du Démon, les Anges s'approchèrent de lui et ils le servaient. Observez, ici, avec une sérieuse attention , Notre Seigneur prenant seul sa nourriture au milieu des Anges , et appliquez-vous aux considérations suivantes qui sont pleines d'intérêt et d'édification. Et d'abord je me demande quels aliments les Anges purent offrir à Notre Seigneur après un si long jeûne?
(1) Serm. 1. in die S. Pasch. — (2) Serm. 14, in psalm. Qui habitat. — (3) Joh., 7. — (4) Heb., 4.
L'Écriture n'en dit rien. Mais nous pouvons comme il nous conviendra , ordonner ce repas avec une magnificence digne du vainqueur de Satan. Et même , si nous considérons sa puissance , il n'y a plus rien à chercher, parce que Jésus pouvait à son gré ou tirer du néant, ou se procurer parmi les choses créées, tout ce qu'il aurait voulu. Mais on ne voit pas qu'il ait fait usage de cette puissance, soit pour lui, soit pour ses disciples ; il n'y eut recours qu'en faveur d'une foule immense de peuple qu'il nourrit deux fois avec quelques pains.
A la vérité , on lit dans l'Évangile , qu'en sa présence, (1) ses disciples pressés par la faim arrachaient des épis pour s`en nourrir . Et, lorsque (2) fatigué d'une longue route , Jésus s'asseyait au bord du puits de Jacob et s'y entretenait avec la Samaritaine, on ne lit pas qu'il ait fait usage de la puissance créatrice pour se procurer de la nourriture, mais qu'il envoya ses disciples en chercher dans la ville voisine. Et il n'est donc pas vraisemblable que Jésus ait fait ici un miracle , parce qu'il n'en opérait jamais que pour l'édification des autres , et en présence de plusieurs personnes; or, il n'y avait là d'autres témoins que les Anges. Quelle idée pourrons-nous donc concevoir de ce repas ? Car, dans ce désert , on ne pouvait trouver ni habitation ni aliments apprêtés ; mais les Anges lui en servirent qui avaient été préparés ailleurs, ainsi qu'il arriva à Daniel (3).
(1) S. Matth., 14. — (2) Joan.,6. - (3) Dan., 14.
En effet, au moment où le prophète Habacuc préparait un plat pour ses moissonneurs , l'Ange du Seigneur le saisit par les cheveux et le transporta de la Judée à Babylone pour y nourrir Daniel , après quoi il le reporta en un moment où il l'avait pris. Tenons-nous en donc là, ayons recours au même moyen, prenons avec Notre Seigneur part à la joie de son festin , et puisse l'excellente Mère de Jésus se réjouir avec nous et du festin et de la victoire de son Fils ! Or, nous pouvons , avec autant de piété que de dévotion , nous figurer ainsi qu'il suit ce qui se passa dans celte circonstance.
Dès que Notre Seigneur Jésus-Christ eût chassé Satan loin de lui, les Anges s'approchèrent en grand nombre, et, pour l'adorer, ils se prosternèrent en disant. «Salut, ô Seigneur Jésus, notre Dieu, notre souverain Maître; » Jésus, inclinant la tête, les reçut avec bienveillance et humilité, se souvenant qu'en qualité d'homme il était un peu au-dessous des Anges, « Seigneur, demandèrent les Anges, que voulez-vous que nous vous servions après un si long jeûne. » Jésus répondit: « Allez trouver ma Mère bien-aimée , et si elle a quelque chose à me donner, apportez-le ; car aucune nourriture ne m'est aussi agréable que celle qu'elle m'a préparée. » Alors deux Anges traversant rapidement l'espace , furent en un moment auprès de Marie; l'ayant respectueusement saluée, ils s'acquittent de leur message et emportent, avec le maigre potage qu'elle a préparé pour elle et pour Joseph , du pain, une nappe et les autres choses nécessaires; peut-être Marie ajouta-t-elle aussi quelques petits poissons , autant que cela lui fut possible. De retour auprès de Jésus, ils déposent tout à terre, et font solennellement la bénédiction de la table.
Mais , ici , observez soigneusement toutes les actions du divin Maître; il s'assied sur la terre avec une dignité modeste ; la sobriété préside à son repas ; entouré de ses Anges, il est servi par eux. L'un lui présente du pain , l'autre du vin , un troisième lui offre du poisson , et les autres chantent en chœur les cantiques de Sion et se réjouissent en sa présence comme en un jour de fête. Au milieu de cette fête, les Anges éprouvent , s'il est permis de parler ainsi , une grande compassion qui devrait aussi nous arracher des larmes. (1) Leurs regards sont respectueusement fixés sur Jésus , et , envoyant leur Seigneur, leur Dieu , le Créateur de l'univers, qui pourvoit au besoin de tout ce qui respire, réduit à un état si humiliant , manquant du nécessaire et se nourrissant comme le dernier des hommes, ils ne peuvent se défendre d'une compatissante émotion. Et si vous arrêtiez vous-même les yeux sur ce spectacle, pourriez-vous ne pas vous écrier : «Seigneur, que vos œuvres sont grandes! elles me remplissent d'une sainte frayeur; aidez-moi à supporter quelque chose pour vous qui avez tant et si cruellement souffert pour moi. »
(1) Ps. 83.
Certes, cette seule considération devrait suffire à vous enflammer d'amour pour Jésus. Enfin, après son repas, il commande aux deux mêmes Anges de reporter tout à sa Mère et de lui dire qu'il se rendrait bientôt près d'elle. Dès qu'ils furent revenus , Jésus dit à tous les Anges: « Retournez à mon Père et au séjour du vrai bonheur; pour moi , il faut que je vive encore en exil; mais, je vous en prie, recommandez-moi à mon Père et à toute la Cour céleste. »
Les Anges se prosternent , demandent et reçoivent la bénédiction de Jésus , puis ils retournent au Ciel leur patrie, accomplissent les ordres de leur divin Maître et remplissent toute la Cour céleste du bruit de sa victoire et des choses prodigieuses qu'il venait d'opérer. Or, Notre Seigneur, voulant retourner à sa Mère, descendit aussitôt de la montagne. Suivez-le encore en esprit dans ce voyage. Et en voyant cheminé ainsi nu-pieds et sans escorte le Maître du monde, ne lui refusez pas une vive compassion. Il arrive au Jourdain, et saint Jean qui le voit se diriger vers lui , le désignant du doigt à ses disciples, s'écrie (1) : « Voici l'Agneau de Dieu, voici celui qui efface les péchés du monde ; c'est sur lui que j'ai vu le Saint-Esprit se reposer au moment où je le baptisais. »
Un autre jour, l'ayant encore vu se promener sur le bord du Jourdain , il répéta : Voici l'Agneau de Dieu. Alors André , accompagné d'un autre disciple de saint Jean , se mirent à suivre Jésus. Ce bon Maître, qui désirait ardemment leur salut, afin de leur inspirer une grande confiance en lui , se tourne vers eux et leur dit : Que cherchez vous ? Ils répondirent : Maître, où demeurez-vous ? Et Jésus les conduisit à la maison où il se retirait dans ces contrées; ils y passèrent un jour avec lui. Puis André conduisit Simon son frère à Jésus qui le reçut avec plaisir; car il savait déjà à quoi il le destinait, et il lui dit : Désormais on vous appellera Céphas ; et c'est ainsi qu'il commença à s'en faire connaître et à se familiariser avec eux.
Notre Seigneur, ayant ensuite le dessein de retourner en Galilée près de sa Mère, quitta les bords du Jourdain et se mit en marche. Maintenant, considérez-le encore avec un tendre intérêt, et accompagnez-le dans son voyage; car, suivant sa coutume , il fait seul , nu-pieds , une longue route de quatorze milles. A son arrivée, sa Mère le reconnaît, et , pleine d'une inexprimable joie , elle se lève, se précipite à sa rencontre, le serre affectueusement entre ses bras. Jésus la salua respectueusement, ainsi que Joseph , son nourricier, et demeura près d'eux comme il l'avait fait avant son départ.
(1) Joan. 1.
CHAPITRE XVIII.
JÉSUS OUVRE DANS LA SYNAGOGUE LE LIVRE DU PROPHETE ISAÏE.
Jusqu'ici , par la grâce de Dieu , nous avons esquissé la vie de Notre Seigneur Jésus-Christ en suivant l'ordre des temps , n'omettant rien ou presque rien de ce qui lui est arrivé ou de ce qu'il a fait. Mais notre intention n'est pas de continuer ainsi ce qui nous reste à dire. Car il serait beaucoup trop long de raconter, sous la forme de méditations, toutes ses paroles et toutes ses actions. Et ce qui, surtout, nous détermine à abréger ce récit, c'est, qu'à l'exemple de sainte Cécile , nous devons mettre tous nos soins à conserver toujours , dans le fond de notre cœur, le souvenir des actions de Jésus-Christ. Contentons-nous donc de choisir pour le sujet de nos méditations habituelles, quelques-unes des actions qu'il a faites depuis son retour en Galilée jusqu'à sa Passion; car, depuis cette dernière époque, il n'y a plus rien à retrancher.
Toutefois ce que nous omettrons ne doit pas être tellement négligé que nous n'en fassions aussi , en temps et lieu , l'objet des plus sérieuses réflexions. Ainsi nos méditations ne seront désormais développées que rarement. Car je crois qu'il vous suffira d'arrêter un moment vos pensées sur quelque parole ou quelqu'action de Jésus et de vous en entretenir familièrement avec lui. En effet, il me semble que les plus pures jouissances, la dévotion la plus solide, et presque tout le fruit de ces méditations consistent à l'observer sans cesse, en tous lieux et avec une pieuse attention, dans chacune de ses actions, lorsqu'il est avec ses disciples , lorsqu'il se trouve avec les pécheurs, lorsqu'il s'entretient avec eux, lorsqu'il annonce aux peuples le royaume de Dieu , lorsqu'il marche ou qu'il se repose, lorsqu'il dort ou qu'il veille, lors qu'il prend sa nourriture ou qu'il la donne aux autres , lorsqu'il guérit les malades ou qu'il fait quelques autres œuvres miraculeuses.
Dans toutes ces circonstances et dans toutes celles qui leur ressemblent , remarquez ses mouvements, vous appliquant surtout à contempler l'air et l'expression de son visage , s'il vous est possible de vous en faire une juste idée, ce qui me parait plus difficile encore que de vous représenter tout ce que nous avons dit précédemment , et, redoublez d'attention , s'il daigne quelquefois jeter sur vous un regard de bonté. Revenez à cette pratique et suivez ce conseil dans tout ce qui me reste à vous dire , dans tous les récits que j'ai encore h vous faire; et si, par la suite , je ne donne pas à chacune des méditations d'autres développements, si je les néglige entièrement , recourez à cette méthode et elle vous suffira. Reprenons donc la narration de ce qui nous reste à dire.
De retour après son Baptême , Jésus , le Maître de l'humilité, vivait aussi humblement qu'il l'avait fait auparavant ; pourtant il commença à se manifester peu-à-peu à quelques personnes qu'il instruisait et exhortait en secret. Car on ne dit pas qu'il ait exercé en public le ministère de la prédication dans tout le cours de l'année qui suivit son Baptême, c'est-à-dire jusqu'au miracle des noces de Cana , qu'il fit au jour même où un an auparavant il avait été baptisé. Et s'il parlait quelquefois en public, si ses Disciples administraient le Baptême , cependant, avant l'emprisonnement de saint Jean, la prédication ne fut exercée ni par Jésus, ni par les siens , aussi fréquemment qu'elle le fut après cet évènement ; et, en agissant ainsi, Jésus nous donnait l'exemple d'une admirable humilité, puis qu'il montrait à saint Jean, infiniment inférieur à lui dans le ministère de la prédication , cette humble déférence que les détails précédents ont pu faire supposer ou découvrir à votre piété.
Ce ne fut donc point avec pompe, avec éclat qu'il commença son œuvre, mais humblement et peu-à-peu. Étant un jour de Sabbat dans la Synagogue avec quelques Juifs (1), Jésus se leva pour lire dans le livre du prophète Isaïe et il tomba à l'endroit où se trouvaient ces paroles (2) : L'Esprit du Seigneur est sur moi, c'est pour quoi j'ai été consacré par son onction, et il m'a envoyé prêcher l'Évangile aux pauvres. Alors, après avoir fermé le livre , il dit : Les paroles que vous venez d'entendre reçoivent aujourd'hui leur accomplissement. Voyez donc avec quelle humilité Jésus, remplissant les fonctions de lecteur, d'un air calme et doux, lit et explique l'Écriture à ceux qui l'entourent. Remarquez avec quelle humilité il se fait connaître en disant : Ce qui est écrit dans ce livre s'accomplit aujourd'hui ; c'est-à-dire, je suis celui dont parle Isaïe.
(1) Luc, 4. — (2) Isaïe, 61.
Et la puissance de ses paroles , son air humble et gracieux attirait à lui tous les regards; car Jésus fut le plus aimable comme le plus éloquent des enfants des hommes. Et le prophète avait fait connaître cette double prééminence par ces paroles : 0 le plus beau des enfants des hommes ! la grâce est répandue sur vos lèvres !
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: MÉDITATIONS SUR LA VIE JESUS-CHRIST TRADUITES DE SAINT BONAVENTURE - 14 eme siecle
CHAPITRE XIX.
DE LA VOCATION DES DISCIPLES.
Alors le Seigneur Jésus commença à appeler ses Disciples et à montrer toute sa sollicitude pour le salut des hommes, sans rien perdre de son humilité. Et il appela Pierre et André en trois différentes fois (2). La première, comme nous l'avons dit précédemment, lorsque Jésus était près du Jourdain et qu'alors ces deux Disciples eurent quelque connaissance de ce qu'il était (3). La seconde , sur la barque , lors de la pêche dont parle saint Luc. Car, à l'instant, ils suivirent Jésus avec l'intention de retourner à ce qu'ils possédaient ; cependant ils commencèrent dès-lors à s'instruire de sa doctrine. La troisième fois, enfin, sur la barque dont parle saint Mathieu, lorsque Jésus leur dit (4) : Suivez-moi, je vous ferai pêcheurs d'hommes. Sur quoi ils laissèrent leurs filets et le suivirent. Il appela aussi Jacques et Jean , aux deux dernières fois déjà citées , et on fait mention de ceux-ci aux mêmes endroits où il est parlé de Pierre et d'André.
Saint Jérôme rapporte que Jean fut aussi appelé au moment des noces de Cana (5) . On n'en voit rien pourtant dans l'Évangile. Jésus appela ensuite (6) Philippe en disant : Suivez-moi. Puis (7) Matthieu le Publicain. Mais on ignore comment il appela les autres Disciples.
(1) Ps. 44. — (2) Joann., 1. — (3) Luc, 8. — (4) Matth. 1 (5) Hieronym. praef. in Joann. — (6) Joan ,1. —
(7) Matth., 9.
Considérez Notre Seigneur dans les vocations précédentes et dans ses rapports avec les Disciples; observez avec quelle bonté il les appelle; quelle affabilité, quelle familiarité, quels égards il leur montre; par quels moyens intérieurs et extérieurs il les attire ; comment encore il les conduit chez sa Mère , et avec quelle intimité il va les visiter chez eux. Jésus leur donnait les enseignements , les instructions et les soins particuliers qu'une mère a coutume de prodiguer à son fils unique. Saint Pierre racontait , dit-on , que, lorsque Jésus prenait quelque part son repos avec ses Disciples , il se levait la nuit et qu'il recouvrait ceux d'entre eux qu'il trouvait découverts ,tant son amour était tendre ! Car il savait à quoi il les destinait ; et , quoiqu'ils fussent de condition obscure et de basse extraction , il voulait en faire les princes de ce monde et leur confier la conduite de cette guerre spirituelle que les fidèles allaient bientôt avoir à soutenir. Et , au nom de Dieu , remarquez quels furent les commencements de l'Église. Car Notre Seigneur ne voulut appeler ni les sages , ni les puissants de ce monde, afin qu'on n'attribuât pas à leur mérite la gloire de leurs œuvres ; mais cette gloire il l'a réservée pour lui-même, et notre rédemption fut uniquement l'ouvrage de sa bonté, de sa puissance et de sa sagesse.
CHAPITRE XX.
L'EAU CHANGÉE EN VIN AUX NOCES DE CANA.
Quoique , selon ce que dit Le Maître dans l'Histoire scolastique , on ne sache pas positivement quel était l'époux des noces de Cana en Galilée, nous pouvons ce pendant supposer que ce fut saint Jean l'Évangéliste , comme on le voit dans le prologue sur saint Jean , où saint Jérôme semble l'affirmer. Ce ne fut pas comme étrangère que Marie fut invitée à ces noces , mais parce qu'elle l'emportait sur ses sœurs par son éminence , sa dignité et son âge. Elle faisait chez sa sœur ce qu'elle eût fait dans sa propre maison , elle présidait au festin des noces , elle réglait tous les apprêts ; c'est ce que nous pouvons conclure de trois circonstances. D'abord , de ce qu'au sujet des noces , il est dit de Marie qu'elle était là; de Jésus et de ses disciples, qu'ils y étaient invités, ce qu'il faut entendre aussi de toutes les personnes qui se trouvaient en ce lieu.
Marie de Salomée , sa sœur, femme de Zébédée, étant donc allé la trouver à Nazareth, située à environ quatre milles de Cana, lui dit qu'elle voulait faire les noces de Jean, son fils; Marie partit avec elle quelques jours auparavant pour faire les préparatifs ; de sorte qu'elle était déjà là quand les conviés y vinrent. Secondement, on peut tirer la même conclusion de ce que Marie s'aperçut que le vin manquait, d'où il résulte qu'elle n'était pas là comme l'une des personnes invitées, mais comme chargée de tout diriger, et voilà pourquoi elle vit que le vin lui manquait. En effet , si elle eût été à table avec les convives, peut-on supposer que celle que l'on appelle la Mère très-pure, se fût placée près de son Fils au milieu des hommes; et , si l'on veut qu'elle eût été parmi les femmes, pourquoi aurait-elle remarqué plutôt qu'une autre que le vin manquait ? Et si elle y eût fait attention , aurait-elle quitté la table pour aller trouver son Fils ? Inconvenances de toutes parts.
Et , d'ailleurs , il est vraisemblable qu'elle n'était point à table avec les conviés , parce qu'on sait qu'elle était très-disposée à servir les autres. Troisièmement , enfin , la preuve que Marie présidait au festin se tire encore de l'ordre qu'elle donna à ceux qui servaient d'aller trouver son Fils et de faire tout ce qu'il leur prescrirait. On voit donc que Marie commandait et qu'elle réglait tout ce qui était relatif au festin des noces , et voilà d'où vient l'inquiétude où elle fut d'y voir manquer quelque chose.
Suivant ces explications , voyez donc Notre Seigneur Jésus-Christ confondu, comme un homme ordinaire, avec les autres convives, assis à la dernière place, et, par conséquent , loin des personnes les plus honorables , comme on le voit dans l'Évangile. Bien différent des orgueilleux , il ne recherchait pas les premières places dans les festins , Celui qui devait dire un jour (1) : « Lorsque vous serez invités à des noces, mettez-vous à la dernière place ; » et l'on sait que Jésus donnait toujours l'exemple avant la leçon.
Voyez aussi Marie prévenante, active , attentive à tout ce qu'elle doit faire , donnant à ceux qui servent ce qu'il faut porter aux convives et leur indiquant la place où il convient de le mettre. Et lorsque , vers la fin du repas , les gens de service vinrent lui dire : Nous n'avons plus de vin à leur donner, Marie leur répondit : Je vous en ferai avoir , attendez-un moment. Puis allant trouver son Fils humblement placé , comme je l'ai dit , au bout de la table, près de la porte de la chambre, elle lui dit (2) : Mon Fils , ils manquent de vin; notre sœur est pauvre et je ne sais comment nous pourrons en avoir ; Jésus répondit : Femme , qu'y a-t-il entre vous et moi ?
(1) Luc, 14. — (2) Joann. 2. —
Cette réponse paraît dure , mais elle est faite pour notre instruction, suivant saint Bernard, qui, à ce sujet, s'exprime ainsi (3) : « Qu'y a-t-il, Seigneur, entre vous et elle ? N'est-ce pas ce qu'il y a entre un fils et sa mère ? Vous demandez ce qui lui appartient en vous , et vous êtes le fruit béni de son sein immaculé? N'est-ce pas elle qui vous a conçu et enfanté avec une pureté si admirable ? N'est-ce pas elle dont les entrailles sacrées vous ont renfermé pendant neuf mois ? dont le sein virginal vous a allaité. N'est-ce pas avec elle qu'à l'âge de douze ans vous êtes revenu de Jérusalem ? N'est-ce pas à elle que vous étiez soumis? Maintenant , Seigneur, pourquoi donc l'affliger en lui demandant ce qu'il y avait entre elle et vous ? Certes, elle avait avec vous de grands et de nombreux rapports. Mais je conçois aujourd'hui que ce ne fut ni par impatience , ni par l'intention de déconcerter sa tendre et timide confiance, que vous avez dit : Qu'y a-t-il entre vous et moi ? puisque vous vous empressez de faire sans aucun délai ce que votre Mère vous suggéra par les gens de service qui s'adressèrent à vous de sa part. Mais, je vous le demande, mes frères, pourquoi Jésus avait-il commencé par une telle réponse ? C'était pour nous apprendre qu'après nous être consacrés au service de Dieu, nous devons nous dégager de toute inquiète sollicitude à l'égard de nos parents selon la chair, de peur que ces liaisons ne soient un obstacle à nos exercices spirituels.»
(3) Serm. 2. , in Dom. 1 post. Epiph
«Car, tant que nous sommes dans le monde , nous nous devons incontestablement à nos parents ; mais, après nous être quittés nous-mêmes, nous sommes bien plus quittes encore de toute sollicitude à leur égard. Et à ce propos nous lisons (dans la vie des Pères du désert) qu'un Ermite , visité par l'un de ses frères selon la chair, qui venait lui demander quelque service, lui dit d'aller trouver un autre de leur frère depuis longtemps décédé ; sur quoi , le visiteur , plein d'étonnement , ayant répondu que ce frère était mort , l'Ermite répliqua que lui-même était également mort. Le Seigneur nous apprend donc admirablement ici que nous devons toujours préférer ce que la religion exige de nous , aux sollicitudes que réclament nos parents selon la chair, lorsqu'il répondit à sa Mère, et à une telle Mère : Femme, qu'y a-t-il entre vous et moi. C'est ainsi que dans une autre circonstance, quelqu'un étant venu lui dire que sa mère et ses frères étaient là dehors pour lui parler, il répondit (1) : Qui est ma mère , et qui sont mes frères ? Où en sont maintenant ceux qui, si vainement et si peu chrétiennement, s entretiennent au sujet de leurs parents selon la chair des inquiétudes aussi multipliées que s'ils vivaient encore au milieu d'eux. »
(1) Matth., 12.
Ainsi parle saint Bernard. Marie que cette réponse n'avait pas déconcertée , mais qui conservait toujours la même confiance en la bonté de Jésus, revint à ceux qui servaient et leur dit : Allez trouver mon Fils , et faites tout ce qu'il vous dira.
Ils y allèrent et ils emplirent d'eau les urnes suivant l'ordre que Notre Seigneur leur en donna. Puis il leur dit : Puisez maintenant et portez au Maitre-d' hôtel. Mais, ici, observez d'abord la prudence de Notre Seigneur qui envoie de cette eau changée en vin , avant tout, à la personne la plus recommandable. Observez, en second lieu , que Jésus n'était pas près du Maitre d'hôtel, puisqu'il disait de la lui porter comme à une personne éloignée de lui. Mais comme ce Maître-d ‘hôtel occupait une place honorable, nous en pouvons conclure que Notre Seigneur ne voulut point s'asseoir près de lui et que plutôt il préféra la dernière place. Les serviteurs donnèrent donc du vin au Maître-d ‘hôtel et aux autres convives, faisant connaître le miracle, parce qu'ils savaient comment il venait de s'opérer ; et ses Disciples crurent en lui.
Après le repas, Notre Seigneur prit saint Jean à l'écart et lui dit : « Laissez-là votre épouse et suivez-moi, Car je vous destine à des noces plus sublimes,» et Saint Jean le suivit à l'instant. Notre Seigneur en assistant aux noces de Cana approuve donc le mariage selon la chair comme étant institué de Dieu. Mais, en invitant saint Jean à laisser-là son épouse , il fait clairement connaître la supériorité de l'union spirituelle sur l'union corporelle.
Jésus se retira donc , résolu de s'occuper publiquement et ouvertement de tout ce qui était relatif au salut des hommes. Mais, avant toutes choses, il voulut reconduire sa Mère dans sa maison de Nazareth ; car il était convenable de donner une telle escorte à une telle Mère. Il partit donc avec elle, saint Jean , et les autres Disciples; ils allèrent à Capharnaüm peu éloignée de Nazareth, où ils arrivèrent quelques jours après. Suivez-les en esprit sur la route , voyez cheminer ensemble et le Fils et la Mère ; ils marchent humblement , à pied ; mais quel amour les unit ! O que ces deux voyageurs sont grands! On n'en vit jamais de semblables sur la terre. Observez aussi les Disciples , suivant avec respect leur Maître , et recueillant ses paroles. Car Jésus n'était jamais oisif, mais il faisait toujours quelque bien , soit par ses paroles, soit par ses actions; nul ne pouvait s'ennuyer dans une telle compagnie.
DE LA VOCATION DES DISCIPLES.
Alors le Seigneur Jésus commença à appeler ses Disciples et à montrer toute sa sollicitude pour le salut des hommes, sans rien perdre de son humilité. Et il appela Pierre et André en trois différentes fois (2). La première, comme nous l'avons dit précédemment, lorsque Jésus était près du Jourdain et qu'alors ces deux Disciples eurent quelque connaissance de ce qu'il était (3). La seconde , sur la barque , lors de la pêche dont parle saint Luc. Car, à l'instant, ils suivirent Jésus avec l'intention de retourner à ce qu'ils possédaient ; cependant ils commencèrent dès-lors à s'instruire de sa doctrine. La troisième fois, enfin, sur la barque dont parle saint Mathieu, lorsque Jésus leur dit (4) : Suivez-moi, je vous ferai pêcheurs d'hommes. Sur quoi ils laissèrent leurs filets et le suivirent. Il appela aussi Jacques et Jean , aux deux dernières fois déjà citées , et on fait mention de ceux-ci aux mêmes endroits où il est parlé de Pierre et d'André.
Saint Jérôme rapporte que Jean fut aussi appelé au moment des noces de Cana (5) . On n'en voit rien pourtant dans l'Évangile. Jésus appela ensuite (6) Philippe en disant : Suivez-moi. Puis (7) Matthieu le Publicain. Mais on ignore comment il appela les autres Disciples.
(1) Ps. 44. — (2) Joann., 1. — (3) Luc, 8. — (4) Matth. 1 (5) Hieronym. praef. in Joann. — (6) Joan ,1. —
(7) Matth., 9.
Considérez Notre Seigneur dans les vocations précédentes et dans ses rapports avec les Disciples; observez avec quelle bonté il les appelle; quelle affabilité, quelle familiarité, quels égards il leur montre; par quels moyens intérieurs et extérieurs il les attire ; comment encore il les conduit chez sa Mère , et avec quelle intimité il va les visiter chez eux. Jésus leur donnait les enseignements , les instructions et les soins particuliers qu'une mère a coutume de prodiguer à son fils unique. Saint Pierre racontait , dit-on , que, lorsque Jésus prenait quelque part son repos avec ses Disciples , il se levait la nuit et qu'il recouvrait ceux d'entre eux qu'il trouvait découverts ,tant son amour était tendre ! Car il savait à quoi il les destinait ; et , quoiqu'ils fussent de condition obscure et de basse extraction , il voulait en faire les princes de ce monde et leur confier la conduite de cette guerre spirituelle que les fidèles allaient bientôt avoir à soutenir. Et , au nom de Dieu , remarquez quels furent les commencements de l'Église. Car Notre Seigneur ne voulut appeler ni les sages , ni les puissants de ce monde, afin qu'on n'attribuât pas à leur mérite la gloire de leurs œuvres ; mais cette gloire il l'a réservée pour lui-même, et notre rédemption fut uniquement l'ouvrage de sa bonté, de sa puissance et de sa sagesse.
CHAPITRE XX.
L'EAU CHANGÉE EN VIN AUX NOCES DE CANA.
Quoique , selon ce que dit Le Maître dans l'Histoire scolastique , on ne sache pas positivement quel était l'époux des noces de Cana en Galilée, nous pouvons ce pendant supposer que ce fut saint Jean l'Évangéliste , comme on le voit dans le prologue sur saint Jean , où saint Jérôme semble l'affirmer. Ce ne fut pas comme étrangère que Marie fut invitée à ces noces , mais parce qu'elle l'emportait sur ses sœurs par son éminence , sa dignité et son âge. Elle faisait chez sa sœur ce qu'elle eût fait dans sa propre maison , elle présidait au festin des noces , elle réglait tous les apprêts ; c'est ce que nous pouvons conclure de trois circonstances. D'abord , de ce qu'au sujet des noces , il est dit de Marie qu'elle était là; de Jésus et de ses disciples, qu'ils y étaient invités, ce qu'il faut entendre aussi de toutes les personnes qui se trouvaient en ce lieu.
Marie de Salomée , sa sœur, femme de Zébédée, étant donc allé la trouver à Nazareth, située à environ quatre milles de Cana, lui dit qu'elle voulait faire les noces de Jean, son fils; Marie partit avec elle quelques jours auparavant pour faire les préparatifs ; de sorte qu'elle était déjà là quand les conviés y vinrent. Secondement, on peut tirer la même conclusion de ce que Marie s'aperçut que le vin manquait, d'où il résulte qu'elle n'était pas là comme l'une des personnes invitées, mais comme chargée de tout diriger, et voilà pourquoi elle vit que le vin lui manquait. En effet , si elle eût été à table avec les convives, peut-on supposer que celle que l'on appelle la Mère très-pure, se fût placée près de son Fils au milieu des hommes; et , si l'on veut qu'elle eût été parmi les femmes, pourquoi aurait-elle remarqué plutôt qu'une autre que le vin manquait ? Et si elle y eût fait attention , aurait-elle quitté la table pour aller trouver son Fils ? Inconvenances de toutes parts.
Et , d'ailleurs , il est vraisemblable qu'elle n'était point à table avec les conviés , parce qu'on sait qu'elle était très-disposée à servir les autres. Troisièmement , enfin , la preuve que Marie présidait au festin se tire encore de l'ordre qu'elle donna à ceux qui servaient d'aller trouver son Fils et de faire tout ce qu'il leur prescrirait. On voit donc que Marie commandait et qu'elle réglait tout ce qui était relatif au festin des noces , et voilà d'où vient l'inquiétude où elle fut d'y voir manquer quelque chose.
Suivant ces explications , voyez donc Notre Seigneur Jésus-Christ confondu, comme un homme ordinaire, avec les autres convives, assis à la dernière place, et, par conséquent , loin des personnes les plus honorables , comme on le voit dans l'Évangile. Bien différent des orgueilleux , il ne recherchait pas les premières places dans les festins , Celui qui devait dire un jour (1) : « Lorsque vous serez invités à des noces, mettez-vous à la dernière place ; » et l'on sait que Jésus donnait toujours l'exemple avant la leçon.
Voyez aussi Marie prévenante, active , attentive à tout ce qu'elle doit faire , donnant à ceux qui servent ce qu'il faut porter aux convives et leur indiquant la place où il convient de le mettre. Et lorsque , vers la fin du repas , les gens de service vinrent lui dire : Nous n'avons plus de vin à leur donner, Marie leur répondit : Je vous en ferai avoir , attendez-un moment. Puis allant trouver son Fils humblement placé , comme je l'ai dit , au bout de la table, près de la porte de la chambre, elle lui dit (2) : Mon Fils , ils manquent de vin; notre sœur est pauvre et je ne sais comment nous pourrons en avoir ; Jésus répondit : Femme , qu'y a-t-il entre vous et moi ?
(1) Luc, 14. — (2) Joann. 2. —
Cette réponse paraît dure , mais elle est faite pour notre instruction, suivant saint Bernard, qui, à ce sujet, s'exprime ainsi (3) : « Qu'y a-t-il, Seigneur, entre vous et elle ? N'est-ce pas ce qu'il y a entre un fils et sa mère ? Vous demandez ce qui lui appartient en vous , et vous êtes le fruit béni de son sein immaculé? N'est-ce pas elle qui vous a conçu et enfanté avec une pureté si admirable ? N'est-ce pas elle dont les entrailles sacrées vous ont renfermé pendant neuf mois ? dont le sein virginal vous a allaité. N'est-ce pas avec elle qu'à l'âge de douze ans vous êtes revenu de Jérusalem ? N'est-ce pas à elle que vous étiez soumis? Maintenant , Seigneur, pourquoi donc l'affliger en lui demandant ce qu'il y avait entre elle et vous ? Certes, elle avait avec vous de grands et de nombreux rapports. Mais je conçois aujourd'hui que ce ne fut ni par impatience , ni par l'intention de déconcerter sa tendre et timide confiance, que vous avez dit : Qu'y a-t-il entre vous et moi ? puisque vous vous empressez de faire sans aucun délai ce que votre Mère vous suggéra par les gens de service qui s'adressèrent à vous de sa part. Mais, je vous le demande, mes frères, pourquoi Jésus avait-il commencé par une telle réponse ? C'était pour nous apprendre qu'après nous être consacrés au service de Dieu, nous devons nous dégager de toute inquiète sollicitude à l'égard de nos parents selon la chair, de peur que ces liaisons ne soient un obstacle à nos exercices spirituels.»
(3) Serm. 2. , in Dom. 1 post. Epiph
«Car, tant que nous sommes dans le monde , nous nous devons incontestablement à nos parents ; mais, après nous être quittés nous-mêmes, nous sommes bien plus quittes encore de toute sollicitude à leur égard. Et à ce propos nous lisons (dans la vie des Pères du désert) qu'un Ermite , visité par l'un de ses frères selon la chair, qui venait lui demander quelque service, lui dit d'aller trouver un autre de leur frère depuis longtemps décédé ; sur quoi , le visiteur , plein d'étonnement , ayant répondu que ce frère était mort , l'Ermite répliqua que lui-même était également mort. Le Seigneur nous apprend donc admirablement ici que nous devons toujours préférer ce que la religion exige de nous , aux sollicitudes que réclament nos parents selon la chair, lorsqu'il répondit à sa Mère, et à une telle Mère : Femme, qu'y a-t-il entre vous et moi. C'est ainsi que dans une autre circonstance, quelqu'un étant venu lui dire que sa mère et ses frères étaient là dehors pour lui parler, il répondit (1) : Qui est ma mère , et qui sont mes frères ? Où en sont maintenant ceux qui, si vainement et si peu chrétiennement, s entretiennent au sujet de leurs parents selon la chair des inquiétudes aussi multipliées que s'ils vivaient encore au milieu d'eux. »
(1) Matth., 12.
Ainsi parle saint Bernard. Marie que cette réponse n'avait pas déconcertée , mais qui conservait toujours la même confiance en la bonté de Jésus, revint à ceux qui servaient et leur dit : Allez trouver mon Fils , et faites tout ce qu'il vous dira.
Ils y allèrent et ils emplirent d'eau les urnes suivant l'ordre que Notre Seigneur leur en donna. Puis il leur dit : Puisez maintenant et portez au Maitre-d' hôtel. Mais, ici, observez d'abord la prudence de Notre Seigneur qui envoie de cette eau changée en vin , avant tout, à la personne la plus recommandable. Observez, en second lieu , que Jésus n'était pas près du Maitre d'hôtel, puisqu'il disait de la lui porter comme à une personne éloignée de lui. Mais comme ce Maître-d ‘hôtel occupait une place honorable, nous en pouvons conclure que Notre Seigneur ne voulut point s'asseoir près de lui et que plutôt il préféra la dernière place. Les serviteurs donnèrent donc du vin au Maître-d ‘hôtel et aux autres convives, faisant connaître le miracle, parce qu'ils savaient comment il venait de s'opérer ; et ses Disciples crurent en lui.
Après le repas, Notre Seigneur prit saint Jean à l'écart et lui dit : « Laissez-là votre épouse et suivez-moi, Car je vous destine à des noces plus sublimes,» et Saint Jean le suivit à l'instant. Notre Seigneur en assistant aux noces de Cana approuve donc le mariage selon la chair comme étant institué de Dieu. Mais, en invitant saint Jean à laisser-là son épouse , il fait clairement connaître la supériorité de l'union spirituelle sur l'union corporelle.
Jésus se retira donc , résolu de s'occuper publiquement et ouvertement de tout ce qui était relatif au salut des hommes. Mais, avant toutes choses, il voulut reconduire sa Mère dans sa maison de Nazareth ; car il était convenable de donner une telle escorte à une telle Mère. Il partit donc avec elle, saint Jean , et les autres Disciples; ils allèrent à Capharnaüm peu éloignée de Nazareth, où ils arrivèrent quelques jours après. Suivez-les en esprit sur la route , voyez cheminer ensemble et le Fils et la Mère ; ils marchent humblement , à pied ; mais quel amour les unit ! O que ces deux voyageurs sont grands! On n'en vit jamais de semblables sur la terre. Observez aussi les Disciples , suivant avec respect leur Maître , et recueillant ses paroles. Car Jésus n'était jamais oisif, mais il faisait toujours quelque bien , soit par ses paroles, soit par ses actions; nul ne pouvait s'ennuyer dans une telle compagnie.
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: MÉDITATIONS SUR LA VIE JESUS-CHRIST TRADUITES DE SAINT BONAVENTURE - 14 eme siecle
SERMON DE NOTRE SEIGNEUR SUR LA MONTAGNE. — IL PARLE D'ABORD DE LA PAUVRETÉ.
Jésus , ayant rassemblé ses Disciples hors de la foule qui le suivait, monta avec eux sur le mont Thabor, à deux milles de Nazareth , pour les pénétrer de sa céleste doctrine. Car il convenait d'instruire , avant tous les autres , et plus que tous les autres , ceux qu'il voulait établir les Maîtres et les guides de tout le monde. II leur donna donc alors de nombreuses instructions. Ce sermon fut aussi abondant que magnifique, et il ne faut pas s'en étonner puisqu'il sortit de la bouche du Seigneur même. Jésus leur parla des béatitudes, de la prière, du jeûne, de l'aumône, et leur donna sur plusieurs autres choses relatives aux vertus , des instructions que vous pourrez trouver dans l'Évangile (1). Lisez ce discours avec attention , lisez-le souvent et n'oubliez jamais les enseignements qu'il contient ; car ils sont très-propres à vous élever a la plus haute spiritualité. Toutefois je n'entrerai pas maintenant dans ces détails qui pourraient nous mener trop loin , et qui , d'ailleurs , ne semblent pas toujours bien propres à devenir des sujets de méditations.
(1) Matth. 5, 6, 7.
Cependant, pour votre instruction, je me propose, à l'occasion , d'en placer quelques-uns , et d'y joindre des moralités et des citations des saints. Je me borne donc à remarquer ici que Notre Seigneur commence ce discours par la pauvreté, donnant à entendre par là que la pauvreté est le premier fondement de la vie spirituelle. Car, lorsque l'on est appesanti sous le poids des choses temporelles, on est incapable de suivre
Jésus-Christ le modèle de la pauvreté.
Et celui qui attache son cœur à ces biens passagers cesse d'être libre et devient esclave. Voilà pourquoi Jésus-Christ dit : Bienheureux les pauvres d'esprit. En effet , on devient volontairement l'esclave, de l'objet auquel le cœur s'attache avec passion. « Car, selon saint Augustin (1), nos affections sont pour l'âme une espèce de poids qui l'entraîne partout où elles se portent elles-mêmes. Et par conséquent, il ne faut aimer absolument rien que Dieu , rien que pour Dieu. » C'est donc avec raison qu'on appelle bienheureux le pauvre qui, pour Dieu , méprise tout le reste; puisqu'il est déjà presqu'entièrement uni à son Dieu. Voici sur ce sujet les paroles de saint Bernard (2) : « La pauvreté peut , en quelque sorte , être comparée à une aile puissante qui nous enlève d'un vol rapide dans le Royaume des Cieux. Car aux autres vertus Notre Seigneur fait des promesses pour l'avenir ; mais à la pauvreté il donne immédiatement, plutôt qu'il ne promet. Aussi dit-il des pauvres au temps présent : «Que le Royaume des Cieux est à eux. » Saint Bernard ajoute ensuite : « Certains pauvres que nous voyons , ne montreraient pas tant de tristesse et de découragement s'ils avaient le véritable esprit de la pauvreté, puis- qu'ils sont déjà Rois et même Rois du Ciel. Mais il y en a qui ne consentent à être pauvres qu'autant qu'il ne leur manque rien , ils n'aiment la pauvreté qu'à condition qu'ils ne souffriront aucune privation. »
(1) Confess. lib. 13, cap. 9. — (2) Serm. 4. de Ad. Dom. —
Mais revenons au sujet de notre méditation. Voyez donc et considérez Notre Seigneur Jésus-Christ humblement assis à terre sur cette montagne. Il est au milieu de ses Disciples, il s'y tient comme l'un d'entre eux ; observez aussi avec quelle affection , quelle bonté, quelle grâce et quel succès il leur adresse la parole et les porte à la pratique des vertus dont nous venons de parler; et, comme je vous l'ai dit ci-dessus dans les considérations générales , ne perdez pas un moment de vue l'air et l'expression de son visage. Remarquez dans les Disciples la respectueuse humilité , l'extrême attention avec lesquelles ils le contemplent , ils écoutent ses admirables instructions et les gravent dans leur mémoire ; voyez avec quelles délices ils recueillent ses paroles et jouissent de sa présence. Mais en considérant tout cela, réjouissez- vous aussi, ma chère Fille , regardant Jésus comme s'il vous adressait la parole , vous approchant des Disciples, si l'on vous y invite, et demeurant au milieu d'eux autant que le Seigneur vous le permettra.
Voyez encore , après le discours , Notre Seigneur descendant de la montagne accompagné de ses Disciples , causant familièrement avec eux , même en continuant sa routes voyez cette troupe d'hommes simples, qui viennent tous après lui , sans ordre et comme des poussins qui suivent leur mère; chacun d'eux tâche de s'approcher le plus près possible afin de mieux entendre ; voyez enfin avec quel amour les peuples s'empressent de courir au-devant de lui, de lui présenter leurs malades à guérir; et Jésus les guérissait tous.
CHAPITRE XXII.
JÉSUS GUÉRIT LE SERVITEUR D'UN CENTENIER ( Centurion) ET LE FILS D'UN OFFICIER.
Il y avait à Capharnaüm un Centurion , ou chef de cent soldats, qui, ayant un serviteur malade, fit avec une grande plénitude de foi prier Jésus de le guérir. L`humble Maître répondit : (1) J'irai et je le guérirai. Ce qu'ayant appris, le Centurion renvoya dire à Jésus (2): Seigneur, je ne suis pas digne de vous recevoir dans ma maison, mais dites seulement une parole et mon serviteur sera guéri. Or, Jésus donnant des éloges à sa foi, n'alla pas plus loin et guérit le serviteur absent. Jésus était encore dans la même ville lorsqu'un Commandant ou Officier supérieur alla le trouver en personne pour le prier de venir chez lui guérir son fils qui était malade (3). Jésus refusa de le suivre et pourtant il guérit son Fils. Remarquez ici le mérite de la foi dans le Centurion , l'humilité de Notre Seigneur qui veut bien aller trouver un pauvre serviteur , et qui fuit la magnificence d'un grand de la terre. Comprenez aussi qu'il ne faut pas faire acception de personnes. Car, dans cette circonstance, Jésus fit plus d'honneur au serviteur d'un simple Centenier, qu'au fils d'un Commandant.
A son exemple, quand nous rendons quelques services, n'accordons rien à ce qui frappe les regards , rien aux exigences d'une pompe extérieure ; ne considérons que l'intention et le bonne; qualités de celui qui a besoin de nous , et servons les autres, non par pure complaisance, mais par charité.
(1) Matth, 8. — (2) Luc, 7. — (3) Jean, 4.
CHAPITRE XXIII.
DU PARALYTIQUE DESCENDU PAR LE TOIT AUX PIEDS DE JÉSUS QUI LE GUÉRIT.
Dans la même ville de Capharnaüm , au moment où Notre Seigneur instruisait le peuple dans une maison où s'étaient réunis un grand nombre de Pharisiens et de Docteurs de la loi venus de tous les villages de la Judée et de Jérusalem , quelques personnes , portant un paralytique, s'efforçaient d'entrer pour que Jésus le guérît (1). Comme la foule les empêchait de pénétrer, ils montèrent sur le toit de la maison , et par ce moyen introduisirent le malade et le déposèrent aux pieds de Jésus. (2) Notre Seigneur, voyant leur foi, dit au paralytique : Vos péchés vous sont remis. Or les Pharisiens et les Docteurs, qui l'observaient avec malignité, pensaient intérieurement qu'il blasphémait, parce que Dieu seul peut remettre les péchés, et que Jésus, qui n'était à leurs yeux qu'un pur homme, s'attribuait ce pouvoir. Notre Seigneur , qui scrute les reins et les cœurs des hommes, leur dit , avec autant de bonté que d'humilité : (3) Pourquoi vos cœurs conçoivent-ils ces mauvaises pensées ? Puis il ajouta : Afin que vous sachiez que le Fils de l'homme a sur la terre le pouvoir de remettre les péchés , etc. —
(1) Luc, 5. — Marc., 2. — (2) Marc, 9. — (3) Matth., 9,
Il y a ici quatre choses à remarquer ; premièrement , la pénétration d'esprit de Jésus-Christ qui découvrit leurs pensées. La seconde chose à remarquer, c'est que les péchés sont la cause de nos infirmités, et que, quelque fois, il arrive que nous sommes délivrés des unes par l'absolution des autres , comme vous le verrez plus loin par le paralytique de la piscine (1) à qui Notre Seigneur recommande de ne plus pécher, de peur qu'il ne lui arrive quelque chose de pire. Considérez , en troisième lieu , quel est le mérite de la foi, puisque celle de l'un peut être utile à un autre, comme vous l'avez vu ci-dessus dans la guérison du serviteur du Centenier, et comme vous pourrez l'observer plus tard dans (2) la Chananéenne dont la foi mérita la guérison de sa fille.
La même chose arrive encore tous les jours aux enfants qui reçoivent le baptême, puisque , s'ils viennent à mourir avant l'âge de discrétion , ils obtiennent , par les mérites de Jésus-Christ, la grâce du salut dont le gage leur avait été donné, sur la foi d'un autre; ce que je dis ici pour confondre certains hérétiques. Quatrièmement, quant aux réflexions que l'on peut faire en voyant Jésus assis au milieu de ses ennemis, répondant avec bonté ; a des hommes pervers , et opérant un miracle à leur vue , je vous renvoie aux considérations générales que je vous ai données ci-dessus.
Jésus , ayant rassemblé ses Disciples hors de la foule qui le suivait, monta avec eux sur le mont Thabor, à deux milles de Nazareth , pour les pénétrer de sa céleste doctrine. Car il convenait d'instruire , avant tous les autres , et plus que tous les autres , ceux qu'il voulait établir les Maîtres et les guides de tout le monde. II leur donna donc alors de nombreuses instructions. Ce sermon fut aussi abondant que magnifique, et il ne faut pas s'en étonner puisqu'il sortit de la bouche du Seigneur même. Jésus leur parla des béatitudes, de la prière, du jeûne, de l'aumône, et leur donna sur plusieurs autres choses relatives aux vertus , des instructions que vous pourrez trouver dans l'Évangile (1). Lisez ce discours avec attention , lisez-le souvent et n'oubliez jamais les enseignements qu'il contient ; car ils sont très-propres à vous élever a la plus haute spiritualité. Toutefois je n'entrerai pas maintenant dans ces détails qui pourraient nous mener trop loin , et qui , d'ailleurs , ne semblent pas toujours bien propres à devenir des sujets de méditations.
(1) Matth. 5, 6, 7.
Cependant, pour votre instruction, je me propose, à l'occasion , d'en placer quelques-uns , et d'y joindre des moralités et des citations des saints. Je me borne donc à remarquer ici que Notre Seigneur commence ce discours par la pauvreté, donnant à entendre par là que la pauvreté est le premier fondement de la vie spirituelle. Car, lorsque l'on est appesanti sous le poids des choses temporelles, on est incapable de suivre
Jésus-Christ le modèle de la pauvreté.
Et celui qui attache son cœur à ces biens passagers cesse d'être libre et devient esclave. Voilà pourquoi Jésus-Christ dit : Bienheureux les pauvres d'esprit. En effet , on devient volontairement l'esclave, de l'objet auquel le cœur s'attache avec passion. « Car, selon saint Augustin (1), nos affections sont pour l'âme une espèce de poids qui l'entraîne partout où elles se portent elles-mêmes. Et par conséquent, il ne faut aimer absolument rien que Dieu , rien que pour Dieu. » C'est donc avec raison qu'on appelle bienheureux le pauvre qui, pour Dieu , méprise tout le reste; puisqu'il est déjà presqu'entièrement uni à son Dieu. Voici sur ce sujet les paroles de saint Bernard (2) : « La pauvreté peut , en quelque sorte , être comparée à une aile puissante qui nous enlève d'un vol rapide dans le Royaume des Cieux. Car aux autres vertus Notre Seigneur fait des promesses pour l'avenir ; mais à la pauvreté il donne immédiatement, plutôt qu'il ne promet. Aussi dit-il des pauvres au temps présent : «Que le Royaume des Cieux est à eux. » Saint Bernard ajoute ensuite : « Certains pauvres que nous voyons , ne montreraient pas tant de tristesse et de découragement s'ils avaient le véritable esprit de la pauvreté, puis- qu'ils sont déjà Rois et même Rois du Ciel. Mais il y en a qui ne consentent à être pauvres qu'autant qu'il ne leur manque rien , ils n'aiment la pauvreté qu'à condition qu'ils ne souffriront aucune privation. »
(1) Confess. lib. 13, cap. 9. — (2) Serm. 4. de Ad. Dom. —
Mais revenons au sujet de notre méditation. Voyez donc et considérez Notre Seigneur Jésus-Christ humblement assis à terre sur cette montagne. Il est au milieu de ses Disciples, il s'y tient comme l'un d'entre eux ; observez aussi avec quelle affection , quelle bonté, quelle grâce et quel succès il leur adresse la parole et les porte à la pratique des vertus dont nous venons de parler; et, comme je vous l'ai dit ci-dessus dans les considérations générales , ne perdez pas un moment de vue l'air et l'expression de son visage. Remarquez dans les Disciples la respectueuse humilité , l'extrême attention avec lesquelles ils le contemplent , ils écoutent ses admirables instructions et les gravent dans leur mémoire ; voyez avec quelles délices ils recueillent ses paroles et jouissent de sa présence. Mais en considérant tout cela, réjouissez- vous aussi, ma chère Fille , regardant Jésus comme s'il vous adressait la parole , vous approchant des Disciples, si l'on vous y invite, et demeurant au milieu d'eux autant que le Seigneur vous le permettra.
Voyez encore , après le discours , Notre Seigneur descendant de la montagne accompagné de ses Disciples , causant familièrement avec eux , même en continuant sa routes voyez cette troupe d'hommes simples, qui viennent tous après lui , sans ordre et comme des poussins qui suivent leur mère; chacun d'eux tâche de s'approcher le plus près possible afin de mieux entendre ; voyez enfin avec quel amour les peuples s'empressent de courir au-devant de lui, de lui présenter leurs malades à guérir; et Jésus les guérissait tous.
CHAPITRE XXII.
JÉSUS GUÉRIT LE SERVITEUR D'UN CENTENIER ( Centurion) ET LE FILS D'UN OFFICIER.
Il y avait à Capharnaüm un Centurion , ou chef de cent soldats, qui, ayant un serviteur malade, fit avec une grande plénitude de foi prier Jésus de le guérir. L`humble Maître répondit : (1) J'irai et je le guérirai. Ce qu'ayant appris, le Centurion renvoya dire à Jésus (2): Seigneur, je ne suis pas digne de vous recevoir dans ma maison, mais dites seulement une parole et mon serviteur sera guéri. Or, Jésus donnant des éloges à sa foi, n'alla pas plus loin et guérit le serviteur absent. Jésus était encore dans la même ville lorsqu'un Commandant ou Officier supérieur alla le trouver en personne pour le prier de venir chez lui guérir son fils qui était malade (3). Jésus refusa de le suivre et pourtant il guérit son Fils. Remarquez ici le mérite de la foi dans le Centurion , l'humilité de Notre Seigneur qui veut bien aller trouver un pauvre serviteur , et qui fuit la magnificence d'un grand de la terre. Comprenez aussi qu'il ne faut pas faire acception de personnes. Car, dans cette circonstance, Jésus fit plus d'honneur au serviteur d'un simple Centenier, qu'au fils d'un Commandant.
A son exemple, quand nous rendons quelques services, n'accordons rien à ce qui frappe les regards , rien aux exigences d'une pompe extérieure ; ne considérons que l'intention et le bonne; qualités de celui qui a besoin de nous , et servons les autres, non par pure complaisance, mais par charité.
(1) Matth, 8. — (2) Luc, 7. — (3) Jean, 4.
CHAPITRE XXIII.
DU PARALYTIQUE DESCENDU PAR LE TOIT AUX PIEDS DE JÉSUS QUI LE GUÉRIT.
Dans la même ville de Capharnaüm , au moment où Notre Seigneur instruisait le peuple dans une maison où s'étaient réunis un grand nombre de Pharisiens et de Docteurs de la loi venus de tous les villages de la Judée et de Jérusalem , quelques personnes , portant un paralytique, s'efforçaient d'entrer pour que Jésus le guérît (1). Comme la foule les empêchait de pénétrer, ils montèrent sur le toit de la maison , et par ce moyen introduisirent le malade et le déposèrent aux pieds de Jésus. (2) Notre Seigneur, voyant leur foi, dit au paralytique : Vos péchés vous sont remis. Or les Pharisiens et les Docteurs, qui l'observaient avec malignité, pensaient intérieurement qu'il blasphémait, parce que Dieu seul peut remettre les péchés, et que Jésus, qui n'était à leurs yeux qu'un pur homme, s'attribuait ce pouvoir. Notre Seigneur , qui scrute les reins et les cœurs des hommes, leur dit , avec autant de bonté que d'humilité : (3) Pourquoi vos cœurs conçoivent-ils ces mauvaises pensées ? Puis il ajouta : Afin que vous sachiez que le Fils de l'homme a sur la terre le pouvoir de remettre les péchés , etc. —
(1) Luc, 5. — Marc., 2. — (2) Marc, 9. — (3) Matth., 9,
Il y a ici quatre choses à remarquer ; premièrement , la pénétration d'esprit de Jésus-Christ qui découvrit leurs pensées. La seconde chose à remarquer, c'est que les péchés sont la cause de nos infirmités, et que, quelque fois, il arrive que nous sommes délivrés des unes par l'absolution des autres , comme vous le verrez plus loin par le paralytique de la piscine (1) à qui Notre Seigneur recommande de ne plus pécher, de peur qu'il ne lui arrive quelque chose de pire. Considérez , en troisième lieu , quel est le mérite de la foi, puisque celle de l'un peut être utile à un autre, comme vous l'avez vu ci-dessus dans la guérison du serviteur du Centenier, et comme vous pourrez l'observer plus tard dans (2) la Chananéenne dont la foi mérita la guérison de sa fille.
La même chose arrive encore tous les jours aux enfants qui reçoivent le baptême, puisque , s'ils viennent à mourir avant l'âge de discrétion , ils obtiennent , par les mérites de Jésus-Christ, la grâce du salut dont le gage leur avait été donné, sur la foi d'un autre; ce que je dis ici pour confondre certains hérétiques. Quatrièmement, quant aux réflexions que l'on peut faire en voyant Jésus assis au milieu de ses ennemis, répondant avec bonté ; a des hommes pervers , et opérant un miracle à leur vue , je vous renvoie aux considérations générales que je vous ai données ci-dessus.
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: MÉDITATIONS SUR LA VIE JESUS-CHRIST TRADUITES DE SAINT BONAVENTURE - 14 eme siecle
CHAPITRE XXIV.
GUÉRISON DE LA BELLE-MÈRE DE SIMON.
Jésus étant encore dans la même ville de Capharnaüm, se retira dans la maison de Simon-Pierre, dont la belle-mère était retenue au lit par une forte fièvre (3). Or l'humble Jésus lui toucha familièrement la main, et la guérit si parfaitement qu'elle se leva aussitôt et le servit à table, ainsi que ses Disciples.
(1) Jean, 8. — (2) Matth., 9. — (3) Matth., 8. — Marc, 1. — Luc, 14.
Mais l'Évangile ne dit pas ce qu'elle leur servit. Pensez donc que dans la maison d'un homme pauvre, on n'offrit à l'ami de la pauvreté et à ses Disciples que quelques-uns de ces aliments communs que l'on peut apprêter en peu de temps. Considérez aussi Notre Seigneur aidant lui-même à faire ces apprêts et surtout chez un de ses Disciples. Voyez-le entrer dans les plus humbles détails , s'occupant à mettre la table , à nettoyer les tapis et à faire d'autres choses semblables. Car le Maître de l'humilité ne dédaignait pas ces soins , lui qui était venu pour servir les autres et non pour être servi. Après cela, il se plaçait familièrement au milieu de la table et mangeait gaiment, surtout lorsque dans le repas il voyait briller la pauvreté qui lui était si chère.
CHAPITRE XXVI.
LE SEIGNEUR RESSUSCITE LE FILS D'UNE VEUVE.
Un jour que Jésus allait entrer dans la ville de Naïm , il rencontra une foule de personnes qui conduisaient au tombeau un jeune homme , fils d'une femme veuve. Ému de compassion, le bon Jésus toucha le cercueil, et ceux qui le portaient s'arrêtèrent; puis il dit : Jeune homme, levez-vous, je vous le commande (1). A l'instant le mort se leva et Jésus le rendit à sa mère. Tous les spectateurs furent saisis d'étonnement et de crainte , et bénirent le Seigneur. Pour les considérations , recourez à ce que je vous ai dit précédemment (chapitre XVIII.).
(1) Luc, 7.
CHAPITRE XXVII.
RÉSURRECTION D'UNE JEUNE FILLE ET GUÉRISON DE MARTHE.
Jésus suivait un chef de la Synagogue qui était venu le prier de guérir sa fille. Dans la foule nombreuse qui l'accompagnait , il y avait une femme gravement malade, que l'on croit avoir été Marthe, sœur de Marie-Madeleine. Elle disait en elle-même : Si je touche seulement le bord de son vêtement, je serai guérie (1). Elle s'approcha donc avec crainte, le toucha et fut guérie à l'instant. Alors Jésus demanda qui l'avait touché ? « Maître , répondit Pierre , la foule vous presse , vous accable, et vous demandez qui vous a touché. »
Observez ici la patience de Notre Seigneur; car il lui arrivait souvent d'être pressé par la multitude de ceux qui voulaient s'approcher de lui. Mais, dans cette circonstance, Jésus avait un motif pour s'exprimer ainsi ; voilà pourquoi il ajouta : J'ai senti qu'une vertu était sortie de moi. Alors Marthe publia le miracle. Ce ne fut point par surprise, mais de son plein gré , que Jésus guérit cette femme qu'il devait plus tard honorer d'une si grande familiarité. Et alors il lui dit : Votre foi vous a sauvée.
Ce prodige fait connaître quel est le mérite de la foi ; on y voit en outre que Jésus veut que ses miracles soient connus pour l'utilité de tous; mais qu'autant qu'il était en lui, il les cachait par humilité, puisqu'il attribuait à la foi de Marthe , le prodige opéré par sa puissance divine. Il y a encore ici une remarque très-importante à faire pour ceux qui sont jaloux de conserver l'humilité. Voici en quels termes saint Bernard la présente (2) : « Un parfait serviteur de Dieu peut, à cause de la basse opinion qu'il a de lui-même , être appelé la frange comme étant la partie infime du vêtement de Jésus-Christ. Que celui donc qui , parvenu à une telle perfection , sait que le Seigneur accorde à ses prières la guérison des maladies ou d'autres semblables miracles, se garde bien de s'élever à cause de ses œuvres , ou de se les attribuer, parce que c'est le Seigneur et non pas lui qui les a faites.
(1) Matth., 9. — (2) Ser. de 4 Modis orandi.
Car ici , bien que Marthe, en portant la main au bord du vêtement de Jésus, recouvrît, ainsi qu'elle l'avait espéré, la santé par cet attouchement, ce ne fut pourtant point de ce bord, mais de Jésus-Christ lui-même que sortit la vertu par laquelle elle fut guérie; aussi dit-il à Marthe : J'ai senti qu'une vertu était sortie de moi. »
Remarquez bien ceci , et ne vous attribuez jamais rien de ce que vous pourrez faire de bon, parce que tout don parfait vient de Notre Seigneur Jésus-Christ (1). Enfin Jésus arriva à la maison du Chef de la Synagogue ; ayant trouvé sa fille morte, il la ressuscita.
GUÉRISON DE LA BELLE-MÈRE DE SIMON.
Jésus étant encore dans la même ville de Capharnaüm, se retira dans la maison de Simon-Pierre, dont la belle-mère était retenue au lit par une forte fièvre (3). Or l'humble Jésus lui toucha familièrement la main, et la guérit si parfaitement qu'elle se leva aussitôt et le servit à table, ainsi que ses Disciples.
(1) Jean, 8. — (2) Matth., 9. — (3) Matth., 8. — Marc, 1. — Luc, 14.
Mais l'Évangile ne dit pas ce qu'elle leur servit. Pensez donc que dans la maison d'un homme pauvre, on n'offrit à l'ami de la pauvreté et à ses Disciples que quelques-uns de ces aliments communs que l'on peut apprêter en peu de temps. Considérez aussi Notre Seigneur aidant lui-même à faire ces apprêts et surtout chez un de ses Disciples. Voyez-le entrer dans les plus humbles détails , s'occupant à mettre la table , à nettoyer les tapis et à faire d'autres choses semblables. Car le Maître de l'humilité ne dédaignait pas ces soins , lui qui était venu pour servir les autres et non pour être servi. Après cela, il se plaçait familièrement au milieu de la table et mangeait gaiment, surtout lorsque dans le repas il voyait briller la pauvreté qui lui était si chère.
CHAPITRE XXVI.
LE SEIGNEUR RESSUSCITE LE FILS D'UNE VEUVE.
Un jour que Jésus allait entrer dans la ville de Naïm , il rencontra une foule de personnes qui conduisaient au tombeau un jeune homme , fils d'une femme veuve. Ému de compassion, le bon Jésus toucha le cercueil, et ceux qui le portaient s'arrêtèrent; puis il dit : Jeune homme, levez-vous, je vous le commande (1). A l'instant le mort se leva et Jésus le rendit à sa mère. Tous les spectateurs furent saisis d'étonnement et de crainte , et bénirent le Seigneur. Pour les considérations , recourez à ce que je vous ai dit précédemment (chapitre XVIII.).
(1) Luc, 7.
CHAPITRE XXVII.
RÉSURRECTION D'UNE JEUNE FILLE ET GUÉRISON DE MARTHE.
Jésus suivait un chef de la Synagogue qui était venu le prier de guérir sa fille. Dans la foule nombreuse qui l'accompagnait , il y avait une femme gravement malade, que l'on croit avoir été Marthe, sœur de Marie-Madeleine. Elle disait en elle-même : Si je touche seulement le bord de son vêtement, je serai guérie (1). Elle s'approcha donc avec crainte, le toucha et fut guérie à l'instant. Alors Jésus demanda qui l'avait touché ? « Maître , répondit Pierre , la foule vous presse , vous accable, et vous demandez qui vous a touché. »
Observez ici la patience de Notre Seigneur; car il lui arrivait souvent d'être pressé par la multitude de ceux qui voulaient s'approcher de lui. Mais, dans cette circonstance, Jésus avait un motif pour s'exprimer ainsi ; voilà pourquoi il ajouta : J'ai senti qu'une vertu était sortie de moi. Alors Marthe publia le miracle. Ce ne fut point par surprise, mais de son plein gré , que Jésus guérit cette femme qu'il devait plus tard honorer d'une si grande familiarité. Et alors il lui dit : Votre foi vous a sauvée.
Ce prodige fait connaître quel est le mérite de la foi ; on y voit en outre que Jésus veut que ses miracles soient connus pour l'utilité de tous; mais qu'autant qu'il était en lui, il les cachait par humilité, puisqu'il attribuait à la foi de Marthe , le prodige opéré par sa puissance divine. Il y a encore ici une remarque très-importante à faire pour ceux qui sont jaloux de conserver l'humilité. Voici en quels termes saint Bernard la présente (2) : « Un parfait serviteur de Dieu peut, à cause de la basse opinion qu'il a de lui-même , être appelé la frange comme étant la partie infime du vêtement de Jésus-Christ. Que celui donc qui , parvenu à une telle perfection , sait que le Seigneur accorde à ses prières la guérison des maladies ou d'autres semblables miracles, se garde bien de s'élever à cause de ses œuvres , ou de se les attribuer, parce que c'est le Seigneur et non pas lui qui les a faites.
(1) Matth., 9. — (2) Ser. de 4 Modis orandi.
Car ici , bien que Marthe, en portant la main au bord du vêtement de Jésus, recouvrît, ainsi qu'elle l'avait espéré, la santé par cet attouchement, ce ne fut pourtant point de ce bord, mais de Jésus-Christ lui-même que sortit la vertu par laquelle elle fut guérie; aussi dit-il à Marthe : J'ai senti qu'une vertu était sortie de moi. »
Remarquez bien ceci , et ne vous attribuez jamais rien de ce que vous pourrez faire de bon, parce que tout don parfait vient de Notre Seigneur Jésus-Christ (1). Enfin Jésus arriva à la maison du Chef de la Synagogue ; ayant trouvé sa fille morte, il la ressuscita.
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: MÉDITATIONS SUR LA VIE JESUS-CHRIST TRADUITES DE SAINT BONAVENTURE - 14 eme siecle
CHAPITRE XXVIII.
CONVERSION DE MADELEINE , ET RÉFLEXIONS A CE SUJET.
Jésus , qui observait avec un très-grand soin les règles de la civilité, (2) ayant un jour été invité, par Simon le lépreux, à dîner chez lui, se rendit à son invitation, ainsi qu'il le faisait souvent , tant par politesse que par bonté, et par le zèle qu'il avait pour le salut des hommes en faveur desquels il était descendu du ciel ; c'est ainsi que, mangeant et conversant avec eux, il les attirait tous à la charité ; un autre motif c'était l'amour qu'il avait pour la pauvreté. Car il était lui-même très-pauvre, et il n'avait voulu ni pour lui, ni pour les siens, les biens de ce monde. Lors donc que Jésus , modèle parfait de l'humilité , recevait une invitation , il acceptait avec d'humbles actions de grâces, suivant que le temps et le lieu le lui permettaient.
(1) Luc, 8. — (2) Luc, 7.
Or, instruite que Jésus mangeait chez Simon le lépreux, Madeleine , qui , sans doute , avait souvent entendu ses prédications, et qui l'aimait ardemment, bien qu'elle ne lui eut encore donné aucun témoignage public de ce sentiment , intérieurement touchée d'un vif repentir de ses péchés, le cœur embrasé d'amour, considérant d'ailleurs que le divin Maître pouvait seul lui accorder la grâce du salut, et ne voulant pas différer plus longtemps à la solliciter, Madeleine vint dans la salle du festin, et, passant devant les convives, la face inclinée , les yeux baissés vers la terre , elle ne s'arrêta que lorsqu'elle fut arrivée près de son Seigneur et de son bien-aimé. Et alors, s'étant subitement jetée à ses pieds, pleine d'une profonde douleur et d'une extrême confusion à cause de ses péchés , prosternée et collant son visage sur les pieds de Jésus avec une certaine confiance, parce qu'elle l'aimait déjà intérieurement plus que toutes choses, elle éclata en sanglots et répandit une grande abondance de larmes, disant secrètement en elle-même : « Mon adorable Maître, je crois fermement , je reconnais et je confesse que vous êtes mon Seigneur et mon Dieu. Mais j'ai souvent et grièvement offensé votre Majesté; mes péchés sont plus nombreux que les grains de sable de la mer ; néanmoins , quoiqu'injuste et pécheresse , j'ai recours à votre miséricorde. Pleine de douleur et de componction , je vous prie de me pardonner; je suis résolue de réparer mes fautes , et je me propose de ne plus jamais vous désobéir.
Ne me refusez pas cette grâce , je vous en conjure , car je sais que vous êtes mon unique refuge, et je ne puis, je ne veux pas même en avoir un autre, parce que je vous aime seul plus que toutes choses. Ne me rejetez donc pas loin de vous , mais punissez-moi de mes péchés comme vous le voudrez; toutefois j'implore votre miséricorde. »
Pendant celle prière, les larmes abondantes qu'elle répandait, arrosaient et lavaient les pieds de Jésus. Et cette circonstance peut ici vous faire connaître que Notre Seigneur marchait sans chaussures. Alors, elle interrompt ses pleurs , elle considère son divin Maître , et , regardant comme une chose indigne que ses larmes eussent touché les pieds de Jésus , elle les essuya avec ses cheveux; avec ses cheveux, parce qu'elle n'avait sur elle rien de plus précieux pour les essuyer, et encore parce qu'elle voulait désormais consacrer à un saint et salutaire usage un ornement de sa vanité. En outre, pour ne pas se détacher des pieds de Jésus et pour satisfaire l'ardeur toujours croissante de son amour, elle ne cessait de les couvrir de ses plus tendres baisers. Enfin , voyant que les pieds de Notre Seigneur s'étaient salis en marchant, elle les parfumait d'une précieuse essence.
Considérez attentivement cette pécheresse, et faites de sérieuses réflexions sur les démarches et sur la piété de cette femme qui fut si particulièrement chère à Notre Seigneur et dont la conversion fut un si grand sujet de joie pour le Ciel. Arrêtez aussi vos regards sur Notre Seigneur Jésus-Christ ; voyez avec quelle bonté il la reçoit et avec quelle patience il supporte tout ce qu'il lui voit faire.
Il interrompt, il suspend son repas jusqu'à ce qu'elle ait achevé. Les convives s'arrêtent aussi, et cette nouveauté les étonne. Simon , dans son cœur, condamnait sévèrement Jésus de ce qu'il se laissait toucher par une telle femme , comme s'il n'eût pas été un Prophète et n'eût pas connu celle qui lui baisait les pieds. Mais Jésus, voulant répondre à ses secrètes pensées , montra qu'il était véritablement un Prophète, et le confondit par la parabole des deux débiteurs. Puis, pour faire voir manifestement que tout se réduit à la charité, il dit : Beaucoup de péchés lui sont pardonnés, parce qu'elle a beaucoup aimé. Ensuite il dit à Madeleine : Allez en paix.
O douces et délicieuses paroles ! avec quel bonheur Madeleine les entendit , avec quelle joie elle se retira après les avoir entendues! Des-lors, parfaitement convertie au Seigneur, elle passa le reste de ses jours dans la sainteté, la pratique de toutes les vertus, et resta constamment attachée à Jésus et à sa Mère. Réfléchissez donc avec soin sur tout cela, et tachez d'imiter cette admirable charité qu'en cette circonstance Notre Seigneur recommande si puissamment, surtout par ses paroles et par ses actions : car on voit ici clairement que la charité rétablit la paix entre Dieu et le pécheur.
C'est ce qui fait dire à saint Pierre que : (1) la charité couvre la multitude des péchés. Puis donc que la charité est la mère de toutes les vertus , et que sans elle rien ne peut plaire à Dieu , afin de vous exciter à ne rien négliger pour acquérir une vertu qui vous rendra si agréable à Notre Seigneur Jésus-Christ votre divin Époux , je vais sur ce sujet produire quelques autorités que j'emprunterai à saint Bernard (2) : « Il faut s'attacher par-dessus tout à la charité , vertu vraiment incomparable que le céleste époux prenait tant de soin d'inculquer à sa nouvelle Épouse , tantôt en disant (3) : On connaîtra que vous êtes mes Disciples , si vous vous aimez les uns les autres; tantôt par ces paroles : Je vous fais un commandement nouveau ; c'est de vous aimer les uns les autres; et encore : Le commandement que je vous donne , c'est de vous aimer les uns les autres. Et dans un autre endroit (4) , en demandant pour ses Disciples
(1) 1. Pierr., 4. — (2) Serm. 29., sup. Cant. — (3) Jean., 13. — (4) Jean., 45.
qu'ils fussent un entre eux , comme son Père et lui sont une même chose. »
Saint Bernard ajoute peu après : «Enfin, qu'y a-t-il de comparable à cette vertu qui est préférée au martyre lui-même et à une foi capable de transporter les montagnes? C'est pourquoi je vous dis (1) : Que votre paix vienne de vous-même, et ne vous effrayez pas de tout ce qui parait vous menacer au-dehors, car cela ne peut vous nuire. »
Saint Bernard dit encore(2) : « On mesure une âme sur la grandeur de sa charité ; ainsi , par exemple, une âme qui a beaucoup de charité, est grande ; celle qui en a peu, est petite ; celle qui n'en a point , n'est rien , suivant cette parole de saint Paul (3) : Si je n'ai point la charité, je ne suis rien. Quelque faible que soit la charité d'une personne qui se borne à n'aimer que ceux qui l'aiment et à ne saluer que ses frères et ceux qui la saluent , je ne dis pas pour cela que cette personne n'est rien, puisqu'en raison de ce qu'elle donne et de ce qu'elle reçoit, elle conserve du moins cette charité qui fait le lien de la société. Or , comme dit Notre Seigneur , que fait-elle de plus que cela ?
En conséquence, je regarderai, non comme grande et généreuse, mais comme extrêmement étroite et petite, une âme dans laquelle se verrait si peu de charité. Mais si les accroissements et les progrès de cette âme sont tels que, franchissant le cercle de cette charité étroite et servile, elle étende avec une pleine liberté d'esprit les bornes d'une bonté parfaitement désintéressée, jusqu'à vouloir embrasser tous les hommes dans le vaste sein de sa bienveillance en aimant son prochain comme elle- même, pourra-t-on bien dire encore à une telle âme :
(1) Jean., 20. — (2) Serm. 27., sup. Cant. — (3) 1. Cor., 13.
Que faites-vous de plus? puisqu'elle s'est déjà rendue si grande. On peut dire d'une âme ainsi dilatée par la charité, qu'elle est immense, puisqu'elle renferme en elle tous les hommes , même ceux auxquels elle n'est unie par aucun lien de la chair et du sang, ceux vers lesquels elle n'est attirée par aucune espérance de recueillir quel qu’avantage , ceux à qui elle n'est redevable d'aucuns services rendus, ceux enfin auxquels elle n'est liée par aucune autre obligation que celle dont parle saint Paul , quand il dit (1) : Ne demeurez redevable envers personne que de l'amour qu`on se doit les uns aux autres. Mais si, en outre, pieux ravisseur du royaume de la charité , vous vous y êtes violemment introduit de toutes parts pour le conquérir dans toute son étendue , vous ne fermez jamais le fond de votre cœur, même à vos ennemis , si vous faites du bien même à ceux qui vous haïssent, si vous priez pour ceux qui vous persécutent et vous calomnient, si vous vous efforcez d'être pacifique avec ceux qui détestent la paix, c'est alors que la grandeur, l'élévation, la beauté de votre âme égalent la grandeur, l'élévation, la beauté du Ciel lui-même; c'est alors que s'accomplit pour votre âme cette parole de David (2) : Vous avez étendu le Ciel comme un pavillon, et dans ce Ciel d'une grandeur, d'une élévation, d'une beauté admirables, le Très-Haut, l'Immense, le Dieu de gloire daigne déjà, non-seulement habiter, mais se promener au large. » Tout ceci est de saint Bernard.
(1) Rom. , 13. - (2) Ps. 99.
Vous avez vu combien il est utile et nécessaire d'avoir la charité sans laquelle il est absolument impossible de plaire à Dieu , et avec laquelle il est indubitable que tout le monde peut lui plaire; appliquez-vous donc de tout votre cœur, de tout votre esprit et de toutes vos forces à acquérir cette vertu qui vous fera supporter de bon cœur pour Dieu et pour le prochain toutes les peines et toutes les adversités de la vie.
CHAPITRE XXIX.
SAINT JEAN ENVOIE SES DISCIPLES A JÉSUS.
Jean-Baptiste, glorieux Soldat, illustre Précurseur de Notre Seigneur Jésus-Christ, qu'Hérode avait fait charger de fers et mettre en prison parce que , dans l'intérêt de la justice , il avait osé lui reprocher d'avoir épousé la femme de son frère encore vivant, Jean-Baptiste, voulant inspirer à ses Disciples le désir de suivre Jésus, imagina de les lui envoyer, afin qu'en entendant ses paroles, en voyant ses miracles, ils fussent embrasés de son amour et se déterminassent à marcher à sa suite. Ils allèrent donc le trouver et lui dirent de la part de Jean : (1) Êtes-vous celui qui doit venir , ou faut-il en attendre un autre ? Notre Seigneur était alors en présence d'une foule nombreuse. Observez bien de quel air paisible il reçut les envoyés de saint Jean , et avec quelle prudence il satisfit à leur demande, d'abord par ses œuvres, puis par ses paroles.
(1) Matth., 11.
En effet, il guérit devant eux des sourds, des muets, des aveugles, fit encore beaucoup d'autres miracles, se mit à prêcher le peuple ; puis il leur dit entre autres choses : Allez et rapportez à Jean ce que vous avez vu et ce que vous avez entendu. Ils s'en allèrent donc et rendirent de tout cela un compte exact à Jean qui fut ravi d'entendre tout ce qu'ils lui dirent. Or, ces Disciples , après la mort de Jean , s'attachèrent inébranlablement à Jésus.
Après leur départ, Notre Seigneur fit devant le peuple un grand éloge de Jean-Baptiste, en disant qu'il était plus qu'un Prophète , le plus grand des enfants des hommes , et autres choses que vous trouverez dans l'Évangile. Appliquez-vous donc, suivant la méthode que je vous ai marquée au chapitre dix-huitième, à considérer sans cesse Notre Seigneur Jésus-Christ pendant sa prédication et pendant qu'il opère les miracles dont je viens de vous parler.
CHAPITRE XXX.
MORT DE JEAN-BAPTISTE.
La mort de saint Jean-Baptiste peut ici nous offrir le sujet d'une méditation. L'infâme Hérode et l'exécrable adultère à laquelle il s'était uni , étant peut-être convenus ensemble de faire mourir Jean-Baptiste pour qu'il ne leur reprochât plus les crimes dont ils étaient coupables (1), il arriva qu'un jour de fête où la misérable fille d'Hérodiade se livrait à la danse, on lui présenta la tête du saint Précurseur qui périt ainsi dans sa prison. Voyez avec quelle infamie , par quel attentat , un si grand homme tomba sous les coups et par les ordres d'un tyran injuste et cruel. 0 Dieu , comment avez-vous permis un crime si exécrable? Peut-on concevoir que l'on ait livré à une telle mort Jean-Baptiste , dont la perfection et la sainteté étaient si admirables qu'on l'avait pris pour le Christ même?
(1) Matth., 14. — Marc, 6.
Si donc vous voulez méditer comme il convient un si grand évènement, après vous être fait une juste idée de l'énormité de l'attentat, pensez à la grandeur, au mérite éminent de la victime ; et alors de quel étonnement ne serez- vous point frappée ! Vous avez vu dans le chapitre précédent quelles louanges Notre Seigneur a données aux différentes vertus qui brillaient en ce grand Saint; écoutez maintenant en quels termes saint Bernard le loue dans un de ses sermons (1) : « L'Église romaine , la mère et la maîtresse de toutes les Églises, à laquelle Notre Seigneur a dit en s'adressant au chef des Apôtres : J'ai prié pour vous , Pierre , afin que votre foi ne défaille point ; l'Église romaine, après avoir d'abord porté le nom de Sauveur , a été ensuite dédiée et consacrée sous le vocable de saint Jean-Baptiste (2). Car il était convenable d'élever l'ami particulier de l'Épouse au lieu même où celle-ci était élevée à la suprématie. Pierre expire sur la croix , Paul tombe sous le tranchant du glaive, et néanmoins le saint Précurseur est plus honoré que ces deux Apôtres. Rome est teinte du sang d'une foule de Martyrs, et le premier rang est attribué au bienheureux Patriarche ; saint Jean est le plus grand partout , le plus distingué entre tous , et le plus admirable de tous. Qui fut si glorieusement annoncé ? Qui, comme lui, fut, dans le sein de sa mère, rempli du Saint-Esprit, ainsi que l'Évangile le rapporte si spécialement ?
(1) Serm. de privileg. sanct. Joan-Bapt.
(2) Saint Bernard rappelle par ces paroles que la Basilique patriarcale de Latran , qui est la première Église du monde et la métropole de la catholicité entière , a d'abord eu le titre du Sauveur et a reçu ensuite celui de saint Jean-Baptiste, qu'elle a conservé. C'est un honneur pour le saint Précurseur de voir ce temple , le plus illustre et le premier siège de l'univers , placé sous son invocation , de préférence à celle des autres Saints, même des saints Apôtres Pierre et Paul. (Note de M. Henry de Biançay),
Qui, comme lui, tressaillit de joie dans les entrailles maternelles ? Quelle autre naissance que la sienne a été célébrée par l'Église de Dieu ? Qui a tant aimé la solitude ? Qui sut y vivre si admirablement ? Quel est le premier Prédicateur de la pénitence et du Royaume des Cieux ? Qui donna le Baptême au Roi de gloire? A qui la Sainte-Trinité se révéla-t-elle pour la première fois et si manifestement ? A quel autre Notre Seigneur a-t-il rendu un si glorieux témoignage ? Quel autre fut autant honoré par l'Église? Jean est un Patriarche , ou plutôt c'est le principe et la fin de tous les Patriarches. Jean est un Prophète, et plus même qu'un Prophète , car il a montré du doigt celui dont il a annoncé la venue. Jean est un Ange , mais il est choisi par préférence entre tous les Anges, comme l'atteste Notre Seigneur, en disant : (1) Voici que j`envoie mon Ange, etc. Jean est un Apôtre, mais il est le premier, c'est le Prince des Apôtres, le premier envoyé de Dieu. Jean est un Évangéliste, mais il précède tous les autres , c'est le Prédicateur du Royaume de Dieu. Jean est Vierge; que dis-je , c'est le miroir sans tache de la virginité , le type de la pureté, le modèle de la chasteté. Jean est un Martyr, mais c'est la lumière des Martyrs ; de la naissance à la mort de Jésus-Christ, c'est la forme invariable du martyre.
(1) Malachie, 3.
C'est la Voix qui crie dans le désert , le Précurseur du juge des vivants et des morts, le Hérault du Verbe fait chair. C'est Elie ; il est le terme où finissent les obscurités de la Loi et des Prophètes , c'est une lampe ardente et lumineuse. Je ne parle pas de la place qu'il occupe parmi les neuf chœurs des Anges; elle est si haute, qu'elle l'élève au premier rang de l'ordre des Séraphins. » Ainsi s'exprime saint Bernard.
Voici maintenant en quels termes saint Pierre-Chrysogone , Archevêque de Ravenne , fait l'éloge de saint Jean dans un de ses sermons (1) : « Jean, dit-il , est l'école de toutes les vertus, l'enseignement de la vie, le modèle de la sainteté et la règle de la justice , etc. » Si donc vous examinez, d'un côté, la dignité et l'excellence de saint Jean, et de l'autre, la profonde scélératesse de ses meurtriers, il y aura là grand sujet de s'étonner et même , si l'on peut parler ainsi, de murmurer contre Dieu. En effet, c'est à un tel homme, à un homme si recommandable que l'on envoie un misérable soldat pour lui couper la tête , comme on aurait fait à un meurtrier et à un scélérat de profession.
(1) Petr. Chrysog., Serm.de Decolla. S. Joan.-Bapt.
Attachez donc des regards attendris et respectueux sur ce grand Saint; voyez comment il se prépare à obéir aux ordres d'un vil et féroce assassin, avec quelle humilité il s'agenouille, rend grâces à Dieu , place sa tête sur quelque bloc de bois ou de pierre , et avec quelle patience il reçoit tous les coups qui lui sont portés jusqu'à ce que la tête ait été séparée du corps. Voilà quelle fut la fin de saint Jean , l'ami et le parent de Notre Seigneur Jésus-Christ, et le plus illustre confident des secrets de Dieu.
En vérité , nous devrions être remplis de confusion , nous qui sommes si peu patients dans toutes les peines de la vie. Saint Jean , l'innocence même, a souffert la mort, une si affreuse mort , avec une invincible patience ; et nous qui sommes si ordinairement chargés de péchés et si dignes de la colère de Dieu, nous ne pouvons supporter, je ne dis pas seulement une légère injure, quelques désagréments, mais souvent même une parole.
Notre Seigneur Jésus-Christ était alors en Judée, mais dans une autre partie de ce royaume. Lorsque la nouvelle de la mort de Jean-Baptiste s'y fut répandue, le Dieu de bonté pleura sur un tel athlète et sur un parent qui lui était si cher; ses Disciples unirent leurs larmes avec les siennes; la Sainte Vierge honora aussi de ses pleurs celui qu'elle avait reçu dans ses bras à sa naissance , et pour lequel elle eût toujours une si tendre affection. Jésus consolait sa Mère; mais elle lui disait : «Mon Fils , pourquoi ne l'avez-vous pas protégé contre ceux qui voulaient lui donner une mort si affreuse? »
« Ma respectable Mère, répondait Jésus, cette protection ne lui eût pas été avantageuse , car il est mort pour mon Père, pour la défense de ses justes droits , et bientôt il sera mis en possession de sa gloire. D'ailleurs, ce n'est point ainsi que mon Père veut protéger les siens en ce monde , parce qu'ils ne doivent point y demeurer longtemps et que leur patrie n'est point sur la terre, mais dans les cieux.. Jean est délivré des liens du corps et la mort ici-bas n'est point un malheur. L'ennemi a épuisé contre lui tous les traits de sa fureur; mais Jean régnera éternellement avec mon Père. Consolez-vous donc, ma tendre Mère , car sa félicité ne peut désormais lui être ravie. »
Quelques jours après, Jésus quitta le pays où il était, et retourna en Galilée. Quant à vous , ma fille , représentez-vous tout ce que je viens de vous dire, méditez-le pieusement et suivez Notre Seigneur partout où il ira.
CHAPITRE XXXI.
ENTRETIEN DE JÉSUS AVEC LA SAMARITAINE.
Lorsque Jésus revenait de la Judée dans la Galilée et passait par la Samarie, (1) ayant parcouru une route qui, comme je vous l'ai dit plusieurs fois, était de plus de dix-sept milles, il se sentit fatigué d'une si longue marche. Arrêtez , de grâce , vos regards sur lui en ce moment ; voyez quel est son accablement. Il marche à pied, il éprouve souvent la fatigue, toute sa vie fut pénible et laborieuse. Il s'arrête donc et s'assied sur un puits pour se reposer. Mais ses Disciples le quittent pour aller chercher quelque nourriture à la ville. Or, une femme, nommée Lucie, vint au puits pour y puiser de l'eau. Alors Notre Seigneur lui adressa la parole , traita avec cette femme des questions importantes et se manifesta à elle. Mais je ne me propose pas de rapporter ici l'entretien de Notre Seigneur avec cette Samaritaine , ni de vous dire comment les Disciples revinrent à leur divin Maître, comment les habitants de la ville , sur le récit de cette femme , vinrent au-devant de Jésus, comment il les suivit , demeura quelque temps avec eux et les quitta ; car tous ces détails se trouvent dans l'Évangile.
(1) Jean. , 4.
Lisez-le et observez attentivement tout ce que fit Notre Seigneur Jésus-Christ dans cette circonstance. Mais le récit évangélique contient plusieurs choses dont l'intérêt et l'importance sont dignes de votre attention. Remarquez, en premier lieu, l'humilité de Notre Seigneur; il supporte la familière confiance de ses Disciples qui le laissent seul pendant qu'ils vont à la ville; ensuite il parle humblement des choses les plus importantes avec une simple femme et s'entretient seul à seul avec elle comme avec un égal.
Car, loin de la mépriser, il traitait devant elle ces hautes questions avec autant de sublimité qu'il l'aurait pu faire en présence d'un nombreux concours de savants du premier ordre.
Ce n'est pas ainsi qu'en agissent les orgueilleux. S'ils regardent un petit nombre d'auditeurs comme indignes d'entendre les paroles ampoulées qu'ils veulent répandre, à plus forte raison croiraient-ils les avoir perdues s'ils les débitaient devant une seule personne. Considérez, en second lieu, qu'à cette humilité, Notre Seigneur unit la pauvreté et la mortification. Vous en avez ici la preuve dans la démarche que font les Disciples pour aller à la ville chercher des nourritures , dans leur retour, et dans les instances qu'ils font à Jésus pour le déterminer à manger. Mais, en cette circonstance, où aurait-il pris son repas? sans doute, près du puits où il était, au bord de quelque ruisseau ou de quelque fontaine. Voyez donc comment il réparait ses forces épuisées par la faim ou par la lassitude. Et ne croyez pas que cela ne lui soit arrivé qu'une seule fois et par accident; cette pauvreté, cette mortification étaient pour lui des habitudes.
Ceci vous montre clairement que pendant ses courses évangéliques l'humble Jésus , l'ami de la pauvreté, s'éloignait souvent des villes et des habitations des hommes pour aller, dans ses fatigues et son accablement, prendre ses repas au bord d'un ruisseau ou de quelque fontaine ; et là il n'y avait ni mets recherchés , ni vaisselle précieuse , ni vins délicats ; on ne trouvait que l'eau pure qui découlait de la source ou du ruisseau. Celui qui donnait à la vigne sa fécondité, le créateur des fontaines et de tout ce qui vit au milieu des eaux , humblement assis sur la terre, n'avait, comme les pauvres, d'autre nourriture que du pain. Observez, en troisième lieu, son application aux exercices de la vie spirituelle ; car, lorsque ses Disciples l'engagent à manger, il leur dit : J'ai à prendre une nourriture que vous ne connaissez pas : ma nourriture, c'est de faire la volonté de mon Père qui m'a envoyé. Et il refusa de prendre aucun aliment, afin d'annoncer avant tout l'Évangile aux habitants de la ville qui venaient à lui , préférant ainsi leurs intérêts spirituels aux besoins de son corps, quelque pressants qu'ils fussent alors. Considérez donc avec attention tout ce que je viens de vous dire , et appliquez-vous à l'imitation de ses vertus.
CONVERSION DE MADELEINE , ET RÉFLEXIONS A CE SUJET.
Jésus , qui observait avec un très-grand soin les règles de la civilité, (2) ayant un jour été invité, par Simon le lépreux, à dîner chez lui, se rendit à son invitation, ainsi qu'il le faisait souvent , tant par politesse que par bonté, et par le zèle qu'il avait pour le salut des hommes en faveur desquels il était descendu du ciel ; c'est ainsi que, mangeant et conversant avec eux, il les attirait tous à la charité ; un autre motif c'était l'amour qu'il avait pour la pauvreté. Car il était lui-même très-pauvre, et il n'avait voulu ni pour lui, ni pour les siens, les biens de ce monde. Lors donc que Jésus , modèle parfait de l'humilité , recevait une invitation , il acceptait avec d'humbles actions de grâces, suivant que le temps et le lieu le lui permettaient.
(1) Luc, 8. — (2) Luc, 7.
Or, instruite que Jésus mangeait chez Simon le lépreux, Madeleine , qui , sans doute , avait souvent entendu ses prédications, et qui l'aimait ardemment, bien qu'elle ne lui eut encore donné aucun témoignage public de ce sentiment , intérieurement touchée d'un vif repentir de ses péchés, le cœur embrasé d'amour, considérant d'ailleurs que le divin Maître pouvait seul lui accorder la grâce du salut, et ne voulant pas différer plus longtemps à la solliciter, Madeleine vint dans la salle du festin, et, passant devant les convives, la face inclinée , les yeux baissés vers la terre , elle ne s'arrêta que lorsqu'elle fut arrivée près de son Seigneur et de son bien-aimé. Et alors, s'étant subitement jetée à ses pieds, pleine d'une profonde douleur et d'une extrême confusion à cause de ses péchés , prosternée et collant son visage sur les pieds de Jésus avec une certaine confiance, parce qu'elle l'aimait déjà intérieurement plus que toutes choses, elle éclata en sanglots et répandit une grande abondance de larmes, disant secrètement en elle-même : « Mon adorable Maître, je crois fermement , je reconnais et je confesse que vous êtes mon Seigneur et mon Dieu. Mais j'ai souvent et grièvement offensé votre Majesté; mes péchés sont plus nombreux que les grains de sable de la mer ; néanmoins , quoiqu'injuste et pécheresse , j'ai recours à votre miséricorde. Pleine de douleur et de componction , je vous prie de me pardonner; je suis résolue de réparer mes fautes , et je me propose de ne plus jamais vous désobéir.
Ne me refusez pas cette grâce , je vous en conjure , car je sais que vous êtes mon unique refuge, et je ne puis, je ne veux pas même en avoir un autre, parce que je vous aime seul plus que toutes choses. Ne me rejetez donc pas loin de vous , mais punissez-moi de mes péchés comme vous le voudrez; toutefois j'implore votre miséricorde. »
Pendant celle prière, les larmes abondantes qu'elle répandait, arrosaient et lavaient les pieds de Jésus. Et cette circonstance peut ici vous faire connaître que Notre Seigneur marchait sans chaussures. Alors, elle interrompt ses pleurs , elle considère son divin Maître , et , regardant comme une chose indigne que ses larmes eussent touché les pieds de Jésus , elle les essuya avec ses cheveux; avec ses cheveux, parce qu'elle n'avait sur elle rien de plus précieux pour les essuyer, et encore parce qu'elle voulait désormais consacrer à un saint et salutaire usage un ornement de sa vanité. En outre, pour ne pas se détacher des pieds de Jésus et pour satisfaire l'ardeur toujours croissante de son amour, elle ne cessait de les couvrir de ses plus tendres baisers. Enfin , voyant que les pieds de Notre Seigneur s'étaient salis en marchant, elle les parfumait d'une précieuse essence.
Considérez attentivement cette pécheresse, et faites de sérieuses réflexions sur les démarches et sur la piété de cette femme qui fut si particulièrement chère à Notre Seigneur et dont la conversion fut un si grand sujet de joie pour le Ciel. Arrêtez aussi vos regards sur Notre Seigneur Jésus-Christ ; voyez avec quelle bonté il la reçoit et avec quelle patience il supporte tout ce qu'il lui voit faire.
Il interrompt, il suspend son repas jusqu'à ce qu'elle ait achevé. Les convives s'arrêtent aussi, et cette nouveauté les étonne. Simon , dans son cœur, condamnait sévèrement Jésus de ce qu'il se laissait toucher par une telle femme , comme s'il n'eût pas été un Prophète et n'eût pas connu celle qui lui baisait les pieds. Mais Jésus, voulant répondre à ses secrètes pensées , montra qu'il était véritablement un Prophète, et le confondit par la parabole des deux débiteurs. Puis, pour faire voir manifestement que tout se réduit à la charité, il dit : Beaucoup de péchés lui sont pardonnés, parce qu'elle a beaucoup aimé. Ensuite il dit à Madeleine : Allez en paix.
O douces et délicieuses paroles ! avec quel bonheur Madeleine les entendit , avec quelle joie elle se retira après les avoir entendues! Des-lors, parfaitement convertie au Seigneur, elle passa le reste de ses jours dans la sainteté, la pratique de toutes les vertus, et resta constamment attachée à Jésus et à sa Mère. Réfléchissez donc avec soin sur tout cela, et tachez d'imiter cette admirable charité qu'en cette circonstance Notre Seigneur recommande si puissamment, surtout par ses paroles et par ses actions : car on voit ici clairement que la charité rétablit la paix entre Dieu et le pécheur.
C'est ce qui fait dire à saint Pierre que : (1) la charité couvre la multitude des péchés. Puis donc que la charité est la mère de toutes les vertus , et que sans elle rien ne peut plaire à Dieu , afin de vous exciter à ne rien négliger pour acquérir une vertu qui vous rendra si agréable à Notre Seigneur Jésus-Christ votre divin Époux , je vais sur ce sujet produire quelques autorités que j'emprunterai à saint Bernard (2) : « Il faut s'attacher par-dessus tout à la charité , vertu vraiment incomparable que le céleste époux prenait tant de soin d'inculquer à sa nouvelle Épouse , tantôt en disant (3) : On connaîtra que vous êtes mes Disciples , si vous vous aimez les uns les autres; tantôt par ces paroles : Je vous fais un commandement nouveau ; c'est de vous aimer les uns les autres; et encore : Le commandement que je vous donne , c'est de vous aimer les uns les autres. Et dans un autre endroit (4) , en demandant pour ses Disciples
(1) 1. Pierr., 4. — (2) Serm. 29., sup. Cant. — (3) Jean., 13. — (4) Jean., 45.
qu'ils fussent un entre eux , comme son Père et lui sont une même chose. »
Saint Bernard ajoute peu après : «Enfin, qu'y a-t-il de comparable à cette vertu qui est préférée au martyre lui-même et à une foi capable de transporter les montagnes? C'est pourquoi je vous dis (1) : Que votre paix vienne de vous-même, et ne vous effrayez pas de tout ce qui parait vous menacer au-dehors, car cela ne peut vous nuire. »
Saint Bernard dit encore(2) : « On mesure une âme sur la grandeur de sa charité ; ainsi , par exemple, une âme qui a beaucoup de charité, est grande ; celle qui en a peu, est petite ; celle qui n'en a point , n'est rien , suivant cette parole de saint Paul (3) : Si je n'ai point la charité, je ne suis rien. Quelque faible que soit la charité d'une personne qui se borne à n'aimer que ceux qui l'aiment et à ne saluer que ses frères et ceux qui la saluent , je ne dis pas pour cela que cette personne n'est rien, puisqu'en raison de ce qu'elle donne et de ce qu'elle reçoit, elle conserve du moins cette charité qui fait le lien de la société. Or , comme dit Notre Seigneur , que fait-elle de plus que cela ?
En conséquence, je regarderai, non comme grande et généreuse, mais comme extrêmement étroite et petite, une âme dans laquelle se verrait si peu de charité. Mais si les accroissements et les progrès de cette âme sont tels que, franchissant le cercle de cette charité étroite et servile, elle étende avec une pleine liberté d'esprit les bornes d'une bonté parfaitement désintéressée, jusqu'à vouloir embrasser tous les hommes dans le vaste sein de sa bienveillance en aimant son prochain comme elle- même, pourra-t-on bien dire encore à une telle âme :
(1) Jean., 20. — (2) Serm. 27., sup. Cant. — (3) 1. Cor., 13.
Que faites-vous de plus? puisqu'elle s'est déjà rendue si grande. On peut dire d'une âme ainsi dilatée par la charité, qu'elle est immense, puisqu'elle renferme en elle tous les hommes , même ceux auxquels elle n'est unie par aucun lien de la chair et du sang, ceux vers lesquels elle n'est attirée par aucune espérance de recueillir quel qu’avantage , ceux à qui elle n'est redevable d'aucuns services rendus, ceux enfin auxquels elle n'est liée par aucune autre obligation que celle dont parle saint Paul , quand il dit (1) : Ne demeurez redevable envers personne que de l'amour qu`on se doit les uns aux autres. Mais si, en outre, pieux ravisseur du royaume de la charité , vous vous y êtes violemment introduit de toutes parts pour le conquérir dans toute son étendue , vous ne fermez jamais le fond de votre cœur, même à vos ennemis , si vous faites du bien même à ceux qui vous haïssent, si vous priez pour ceux qui vous persécutent et vous calomnient, si vous vous efforcez d'être pacifique avec ceux qui détestent la paix, c'est alors que la grandeur, l'élévation, la beauté de votre âme égalent la grandeur, l'élévation, la beauté du Ciel lui-même; c'est alors que s'accomplit pour votre âme cette parole de David (2) : Vous avez étendu le Ciel comme un pavillon, et dans ce Ciel d'une grandeur, d'une élévation, d'une beauté admirables, le Très-Haut, l'Immense, le Dieu de gloire daigne déjà, non-seulement habiter, mais se promener au large. » Tout ceci est de saint Bernard.
(1) Rom. , 13. - (2) Ps. 99.
Vous avez vu combien il est utile et nécessaire d'avoir la charité sans laquelle il est absolument impossible de plaire à Dieu , et avec laquelle il est indubitable que tout le monde peut lui plaire; appliquez-vous donc de tout votre cœur, de tout votre esprit et de toutes vos forces à acquérir cette vertu qui vous fera supporter de bon cœur pour Dieu et pour le prochain toutes les peines et toutes les adversités de la vie.
CHAPITRE XXIX.
SAINT JEAN ENVOIE SES DISCIPLES A JÉSUS.
Jean-Baptiste, glorieux Soldat, illustre Précurseur de Notre Seigneur Jésus-Christ, qu'Hérode avait fait charger de fers et mettre en prison parce que , dans l'intérêt de la justice , il avait osé lui reprocher d'avoir épousé la femme de son frère encore vivant, Jean-Baptiste, voulant inspirer à ses Disciples le désir de suivre Jésus, imagina de les lui envoyer, afin qu'en entendant ses paroles, en voyant ses miracles, ils fussent embrasés de son amour et se déterminassent à marcher à sa suite. Ils allèrent donc le trouver et lui dirent de la part de Jean : (1) Êtes-vous celui qui doit venir , ou faut-il en attendre un autre ? Notre Seigneur était alors en présence d'une foule nombreuse. Observez bien de quel air paisible il reçut les envoyés de saint Jean , et avec quelle prudence il satisfit à leur demande, d'abord par ses œuvres, puis par ses paroles.
(1) Matth., 11.
En effet, il guérit devant eux des sourds, des muets, des aveugles, fit encore beaucoup d'autres miracles, se mit à prêcher le peuple ; puis il leur dit entre autres choses : Allez et rapportez à Jean ce que vous avez vu et ce que vous avez entendu. Ils s'en allèrent donc et rendirent de tout cela un compte exact à Jean qui fut ravi d'entendre tout ce qu'ils lui dirent. Or, ces Disciples , après la mort de Jean , s'attachèrent inébranlablement à Jésus.
Après leur départ, Notre Seigneur fit devant le peuple un grand éloge de Jean-Baptiste, en disant qu'il était plus qu'un Prophète , le plus grand des enfants des hommes , et autres choses que vous trouverez dans l'Évangile. Appliquez-vous donc, suivant la méthode que je vous ai marquée au chapitre dix-huitième, à considérer sans cesse Notre Seigneur Jésus-Christ pendant sa prédication et pendant qu'il opère les miracles dont je viens de vous parler.
CHAPITRE XXX.
MORT DE JEAN-BAPTISTE.
La mort de saint Jean-Baptiste peut ici nous offrir le sujet d'une méditation. L'infâme Hérode et l'exécrable adultère à laquelle il s'était uni , étant peut-être convenus ensemble de faire mourir Jean-Baptiste pour qu'il ne leur reprochât plus les crimes dont ils étaient coupables (1), il arriva qu'un jour de fête où la misérable fille d'Hérodiade se livrait à la danse, on lui présenta la tête du saint Précurseur qui périt ainsi dans sa prison. Voyez avec quelle infamie , par quel attentat , un si grand homme tomba sous les coups et par les ordres d'un tyran injuste et cruel. 0 Dieu , comment avez-vous permis un crime si exécrable? Peut-on concevoir que l'on ait livré à une telle mort Jean-Baptiste , dont la perfection et la sainteté étaient si admirables qu'on l'avait pris pour le Christ même?
(1) Matth., 14. — Marc, 6.
Si donc vous voulez méditer comme il convient un si grand évènement, après vous être fait une juste idée de l'énormité de l'attentat, pensez à la grandeur, au mérite éminent de la victime ; et alors de quel étonnement ne serez- vous point frappée ! Vous avez vu dans le chapitre précédent quelles louanges Notre Seigneur a données aux différentes vertus qui brillaient en ce grand Saint; écoutez maintenant en quels termes saint Bernard le loue dans un de ses sermons (1) : « L'Église romaine , la mère et la maîtresse de toutes les Églises, à laquelle Notre Seigneur a dit en s'adressant au chef des Apôtres : J'ai prié pour vous , Pierre , afin que votre foi ne défaille point ; l'Église romaine, après avoir d'abord porté le nom de Sauveur , a été ensuite dédiée et consacrée sous le vocable de saint Jean-Baptiste (2). Car il était convenable d'élever l'ami particulier de l'Épouse au lieu même où celle-ci était élevée à la suprématie. Pierre expire sur la croix , Paul tombe sous le tranchant du glaive, et néanmoins le saint Précurseur est plus honoré que ces deux Apôtres. Rome est teinte du sang d'une foule de Martyrs, et le premier rang est attribué au bienheureux Patriarche ; saint Jean est le plus grand partout , le plus distingué entre tous , et le plus admirable de tous. Qui fut si glorieusement annoncé ? Qui, comme lui, fut, dans le sein de sa mère, rempli du Saint-Esprit, ainsi que l'Évangile le rapporte si spécialement ?
(1) Serm. de privileg. sanct. Joan-Bapt.
(2) Saint Bernard rappelle par ces paroles que la Basilique patriarcale de Latran , qui est la première Église du monde et la métropole de la catholicité entière , a d'abord eu le titre du Sauveur et a reçu ensuite celui de saint Jean-Baptiste, qu'elle a conservé. C'est un honneur pour le saint Précurseur de voir ce temple , le plus illustre et le premier siège de l'univers , placé sous son invocation , de préférence à celle des autres Saints, même des saints Apôtres Pierre et Paul. (Note de M. Henry de Biançay),
Qui, comme lui, tressaillit de joie dans les entrailles maternelles ? Quelle autre naissance que la sienne a été célébrée par l'Église de Dieu ? Qui a tant aimé la solitude ? Qui sut y vivre si admirablement ? Quel est le premier Prédicateur de la pénitence et du Royaume des Cieux ? Qui donna le Baptême au Roi de gloire? A qui la Sainte-Trinité se révéla-t-elle pour la première fois et si manifestement ? A quel autre Notre Seigneur a-t-il rendu un si glorieux témoignage ? Quel autre fut autant honoré par l'Église? Jean est un Patriarche , ou plutôt c'est le principe et la fin de tous les Patriarches. Jean est un Prophète, et plus même qu'un Prophète , car il a montré du doigt celui dont il a annoncé la venue. Jean est un Ange , mais il est choisi par préférence entre tous les Anges, comme l'atteste Notre Seigneur, en disant : (1) Voici que j`envoie mon Ange, etc. Jean est un Apôtre, mais il est le premier, c'est le Prince des Apôtres, le premier envoyé de Dieu. Jean est un Évangéliste, mais il précède tous les autres , c'est le Prédicateur du Royaume de Dieu. Jean est Vierge; que dis-je , c'est le miroir sans tache de la virginité , le type de la pureté, le modèle de la chasteté. Jean est un Martyr, mais c'est la lumière des Martyrs ; de la naissance à la mort de Jésus-Christ, c'est la forme invariable du martyre.
(1) Malachie, 3.
C'est la Voix qui crie dans le désert , le Précurseur du juge des vivants et des morts, le Hérault du Verbe fait chair. C'est Elie ; il est le terme où finissent les obscurités de la Loi et des Prophètes , c'est une lampe ardente et lumineuse. Je ne parle pas de la place qu'il occupe parmi les neuf chœurs des Anges; elle est si haute, qu'elle l'élève au premier rang de l'ordre des Séraphins. » Ainsi s'exprime saint Bernard.
Voici maintenant en quels termes saint Pierre-Chrysogone , Archevêque de Ravenne , fait l'éloge de saint Jean dans un de ses sermons (1) : « Jean, dit-il , est l'école de toutes les vertus, l'enseignement de la vie, le modèle de la sainteté et la règle de la justice , etc. » Si donc vous examinez, d'un côté, la dignité et l'excellence de saint Jean, et de l'autre, la profonde scélératesse de ses meurtriers, il y aura là grand sujet de s'étonner et même , si l'on peut parler ainsi, de murmurer contre Dieu. En effet, c'est à un tel homme, à un homme si recommandable que l'on envoie un misérable soldat pour lui couper la tête , comme on aurait fait à un meurtrier et à un scélérat de profession.
(1) Petr. Chrysog., Serm.de Decolla. S. Joan.-Bapt.
Attachez donc des regards attendris et respectueux sur ce grand Saint; voyez comment il se prépare à obéir aux ordres d'un vil et féroce assassin, avec quelle humilité il s'agenouille, rend grâces à Dieu , place sa tête sur quelque bloc de bois ou de pierre , et avec quelle patience il reçoit tous les coups qui lui sont portés jusqu'à ce que la tête ait été séparée du corps. Voilà quelle fut la fin de saint Jean , l'ami et le parent de Notre Seigneur Jésus-Christ, et le plus illustre confident des secrets de Dieu.
En vérité , nous devrions être remplis de confusion , nous qui sommes si peu patients dans toutes les peines de la vie. Saint Jean , l'innocence même, a souffert la mort, une si affreuse mort , avec une invincible patience ; et nous qui sommes si ordinairement chargés de péchés et si dignes de la colère de Dieu, nous ne pouvons supporter, je ne dis pas seulement une légère injure, quelques désagréments, mais souvent même une parole.
Notre Seigneur Jésus-Christ était alors en Judée, mais dans une autre partie de ce royaume. Lorsque la nouvelle de la mort de Jean-Baptiste s'y fut répandue, le Dieu de bonté pleura sur un tel athlète et sur un parent qui lui était si cher; ses Disciples unirent leurs larmes avec les siennes; la Sainte Vierge honora aussi de ses pleurs celui qu'elle avait reçu dans ses bras à sa naissance , et pour lequel elle eût toujours une si tendre affection. Jésus consolait sa Mère; mais elle lui disait : «Mon Fils , pourquoi ne l'avez-vous pas protégé contre ceux qui voulaient lui donner une mort si affreuse? »
« Ma respectable Mère, répondait Jésus, cette protection ne lui eût pas été avantageuse , car il est mort pour mon Père, pour la défense de ses justes droits , et bientôt il sera mis en possession de sa gloire. D'ailleurs, ce n'est point ainsi que mon Père veut protéger les siens en ce monde , parce qu'ils ne doivent point y demeurer longtemps et que leur patrie n'est point sur la terre, mais dans les cieux.. Jean est délivré des liens du corps et la mort ici-bas n'est point un malheur. L'ennemi a épuisé contre lui tous les traits de sa fureur; mais Jean régnera éternellement avec mon Père. Consolez-vous donc, ma tendre Mère , car sa félicité ne peut désormais lui être ravie. »
Quelques jours après, Jésus quitta le pays où il était, et retourna en Galilée. Quant à vous , ma fille , représentez-vous tout ce que je viens de vous dire, méditez-le pieusement et suivez Notre Seigneur partout où il ira.
CHAPITRE XXXI.
ENTRETIEN DE JÉSUS AVEC LA SAMARITAINE.
Lorsque Jésus revenait de la Judée dans la Galilée et passait par la Samarie, (1) ayant parcouru une route qui, comme je vous l'ai dit plusieurs fois, était de plus de dix-sept milles, il se sentit fatigué d'une si longue marche. Arrêtez , de grâce , vos regards sur lui en ce moment ; voyez quel est son accablement. Il marche à pied, il éprouve souvent la fatigue, toute sa vie fut pénible et laborieuse. Il s'arrête donc et s'assied sur un puits pour se reposer. Mais ses Disciples le quittent pour aller chercher quelque nourriture à la ville. Or, une femme, nommée Lucie, vint au puits pour y puiser de l'eau. Alors Notre Seigneur lui adressa la parole , traita avec cette femme des questions importantes et se manifesta à elle. Mais je ne me propose pas de rapporter ici l'entretien de Notre Seigneur avec cette Samaritaine , ni de vous dire comment les Disciples revinrent à leur divin Maître, comment les habitants de la ville , sur le récit de cette femme , vinrent au-devant de Jésus, comment il les suivit , demeura quelque temps avec eux et les quitta ; car tous ces détails se trouvent dans l'Évangile.
(1) Jean. , 4.
Lisez-le et observez attentivement tout ce que fit Notre Seigneur Jésus-Christ dans cette circonstance. Mais le récit évangélique contient plusieurs choses dont l'intérêt et l'importance sont dignes de votre attention. Remarquez, en premier lieu, l'humilité de Notre Seigneur; il supporte la familière confiance de ses Disciples qui le laissent seul pendant qu'ils vont à la ville; ensuite il parle humblement des choses les plus importantes avec une simple femme et s'entretient seul à seul avec elle comme avec un égal.
Car, loin de la mépriser, il traitait devant elle ces hautes questions avec autant de sublimité qu'il l'aurait pu faire en présence d'un nombreux concours de savants du premier ordre.
Ce n'est pas ainsi qu'en agissent les orgueilleux. S'ils regardent un petit nombre d'auditeurs comme indignes d'entendre les paroles ampoulées qu'ils veulent répandre, à plus forte raison croiraient-ils les avoir perdues s'ils les débitaient devant une seule personne. Considérez, en second lieu, qu'à cette humilité, Notre Seigneur unit la pauvreté et la mortification. Vous en avez ici la preuve dans la démarche que font les Disciples pour aller à la ville chercher des nourritures , dans leur retour, et dans les instances qu'ils font à Jésus pour le déterminer à manger. Mais, en cette circonstance, où aurait-il pris son repas? sans doute, près du puits où il était, au bord de quelque ruisseau ou de quelque fontaine. Voyez donc comment il réparait ses forces épuisées par la faim ou par la lassitude. Et ne croyez pas que cela ne lui soit arrivé qu'une seule fois et par accident; cette pauvreté, cette mortification étaient pour lui des habitudes.
Ceci vous montre clairement que pendant ses courses évangéliques l'humble Jésus , l'ami de la pauvreté, s'éloignait souvent des villes et des habitations des hommes pour aller, dans ses fatigues et son accablement, prendre ses repas au bord d'un ruisseau ou de quelque fontaine ; et là il n'y avait ni mets recherchés , ni vaisselle précieuse , ni vins délicats ; on ne trouvait que l'eau pure qui découlait de la source ou du ruisseau. Celui qui donnait à la vigne sa fécondité, le créateur des fontaines et de tout ce qui vit au milieu des eaux , humblement assis sur la terre, n'avait, comme les pauvres, d'autre nourriture que du pain. Observez, en troisième lieu, son application aux exercices de la vie spirituelle ; car, lorsque ses Disciples l'engagent à manger, il leur dit : J'ai à prendre une nourriture que vous ne connaissez pas : ma nourriture, c'est de faire la volonté de mon Père qui m'a envoyé. Et il refusa de prendre aucun aliment, afin d'annoncer avant tout l'Évangile aux habitants de la ville qui venaient à lui , préférant ainsi leurs intérêts spirituels aux besoins de son corps, quelque pressants qu'ils fussent alors. Considérez donc avec attention tout ce que je viens de vous dire , et appliquez-vous à l'imitation de ses vertus.
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: MÉDITATIONS SUR LA VIE JESUS-CHRIST TRADUITES DE SAINT BONAVENTURE - 14 eme siecle
CHAPITRE XXXII.
ON VEUT PRÉCIPITER JÉSUS-CHRIST DU HAUT D'UNE MONTAGNE.
Lorsque Jésus revint à Nazareth , les habitants de cette ville lui demandèrent quelques miracles; mais, (1) Jésus leur ayant fait entendre qu'ils étaient indignes de cette faveur, ils entrèrent en fureur et le chassèrent hors de le la ville. Le doux Jésus fuyait donc devant ces furieux qui le poursuivaient avec acharnement. Que vous en semble? Dans les transports toujours croissants de la colère dont ils étaient enflammés, ils en vinrent jusqu'à le conduire au sommet d'une montagne pour l'en précipiter; mais le Seigneur, passant miraculeusement au milieu d'eux, se retira, car le moment où il voulait donner sa vie n'était pas encore venu.
(1) Saint Luc, 4.
Les interprètes de l'Écriture disent, à cette occasion : Qu'il est rapporté que Jésus , échappé de leurs mains , étant descendu de la montagne pour se cacher dans un antre , le rocher s'affaissa comme s'il eût été de cire , offrant ainsi un espace suffisant pour le contenir, et que les plis de son vêtement y demeurèrent comme si on les y avait sculptés. Voyez donc Notre Seigneur fuyant devant ces furieux , se cachant dans un antre ; compatissez à tout ce qu'il souffre, et tâchez de l'imiter dans son humilité et dans sa patience.
CHAPITRE XXXIII.
JÉSUS GUÉRIT UN HOMME DONT LA MAIN ÉTAIT DESSÉCHÉE.
Un jour de Sabbat , Jésus enseignait dans la Synagogue. Il y avait là un homme dont la main était desséchée. Jésus le fit venir au milieu de ceux qui l'entouraient, en demandant à ces prétendus savants, (1) s'il était permis de faire une guérison le jour du Sabbat. Ils gardèrent le silence.
Alors Jésus dit à celui dont la main avait et desséchée : Étendez votre main ; et, à l'instant même , cet homme fut guéri. Notre Seigneur fit plusieurs fois au jour du Sabbat des miracles pour confondre les Juifs charnels qui ne s'appliquaient qu'à la lettre de la loi que Dieu voulait leur faire observer selon l'esprit. Car ce n'était pas de la pratique du bien et des œuvres de la charité qu'ils devaient s'abstenir le jour du Sabbat; c'étaient le péché et les œuvres serviles qui leur étaient défendus.
(1) Luc , 6
Et voilà pourquoi ils se scandalisaient tant de Jésus , pourquoi ils conspiraient contre lui et pourquoi ils disaient : Cet homme n'est pas de Dieu, puisqu'il n'observe point le Sabbat. Mais ces reproches n'empêchaient pas Notre Seigneur de faire des miracles ; il s'y appliquait, au contraire, avec plus de zèle pour les tirer de leur erreur. Considérez-le dans les œuvres dont nous venons de parler, et, à son exemple, ne cessez point de faire le bien quand même quelqu'un s'en scandaliserait mal à propos. Car il ne faut jamais abandonner une œuvre bonne en elle-même , nécessaire au salut du prochain et propre à l'édifier à cause du scandale qu'un autre peut en prendre. Mais une parfaite charité nous oblige à renoncer aux plus grands avantages corporels, si nous ne pouvons les obtenir qu'en scandalisant nos frères. Voilà pourquoi saint Paul dit aux Romains : (1) Qu'il est bon de s'abstenir de manger de la chair, de boire du vin et de rien faire qui puisse être pour le prochain une occasion de chute , de scandale ou d'affaiblissement.
(1) Romains 14
ON VEUT PRÉCIPITER JÉSUS-CHRIST DU HAUT D'UNE MONTAGNE.
Lorsque Jésus revint à Nazareth , les habitants de cette ville lui demandèrent quelques miracles; mais, (1) Jésus leur ayant fait entendre qu'ils étaient indignes de cette faveur, ils entrèrent en fureur et le chassèrent hors de le la ville. Le doux Jésus fuyait donc devant ces furieux qui le poursuivaient avec acharnement. Que vous en semble? Dans les transports toujours croissants de la colère dont ils étaient enflammés, ils en vinrent jusqu'à le conduire au sommet d'une montagne pour l'en précipiter; mais le Seigneur, passant miraculeusement au milieu d'eux, se retira, car le moment où il voulait donner sa vie n'était pas encore venu.
(1) Saint Luc, 4.
Les interprètes de l'Écriture disent, à cette occasion : Qu'il est rapporté que Jésus , échappé de leurs mains , étant descendu de la montagne pour se cacher dans un antre , le rocher s'affaissa comme s'il eût été de cire , offrant ainsi un espace suffisant pour le contenir, et que les plis de son vêtement y demeurèrent comme si on les y avait sculptés. Voyez donc Notre Seigneur fuyant devant ces furieux , se cachant dans un antre ; compatissez à tout ce qu'il souffre, et tâchez de l'imiter dans son humilité et dans sa patience.
CHAPITRE XXXIII.
JÉSUS GUÉRIT UN HOMME DONT LA MAIN ÉTAIT DESSÉCHÉE.
Un jour de Sabbat , Jésus enseignait dans la Synagogue. Il y avait là un homme dont la main était desséchée. Jésus le fit venir au milieu de ceux qui l'entouraient, en demandant à ces prétendus savants, (1) s'il était permis de faire une guérison le jour du Sabbat. Ils gardèrent le silence.
Alors Jésus dit à celui dont la main avait et desséchée : Étendez votre main ; et, à l'instant même , cet homme fut guéri. Notre Seigneur fit plusieurs fois au jour du Sabbat des miracles pour confondre les Juifs charnels qui ne s'appliquaient qu'à la lettre de la loi que Dieu voulait leur faire observer selon l'esprit. Car ce n'était pas de la pratique du bien et des œuvres de la charité qu'ils devaient s'abstenir le jour du Sabbat; c'étaient le péché et les œuvres serviles qui leur étaient défendus.
(1) Luc , 6
Et voilà pourquoi ils se scandalisaient tant de Jésus , pourquoi ils conspiraient contre lui et pourquoi ils disaient : Cet homme n'est pas de Dieu, puisqu'il n'observe point le Sabbat. Mais ces reproches n'empêchaient pas Notre Seigneur de faire des miracles ; il s'y appliquait, au contraire, avec plus de zèle pour les tirer de leur erreur. Considérez-le dans les œuvres dont nous venons de parler, et, à son exemple, ne cessez point de faire le bien quand même quelqu'un s'en scandaliserait mal à propos. Car il ne faut jamais abandonner une œuvre bonne en elle-même , nécessaire au salut du prochain et propre à l'édifier à cause du scandale qu'un autre peut en prendre. Mais une parfaite charité nous oblige à renoncer aux plus grands avantages corporels, si nous ne pouvons les obtenir qu'en scandalisant nos frères. Voilà pourquoi saint Paul dit aux Romains : (1) Qu'il est bon de s'abstenir de manger de la chair, de boire du vin et de rien faire qui puisse être pour le prochain une occasion de chute , de scandale ou d'affaiblissement.
(1) Romains 14
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: MÉDITATIONS SUR LA VIE JESUS-CHRIST TRADUITES DE SAINT BONAVENTURE - 14 eme siecle
CHAPITRE XXXIV.
DE LA MULTIPLICATION DES PAINS, ET COMMENT JÉSUS
POURVOIT AUX BESOINS DE CEUX QUI l' AIMENT.
On voit dans l'Évangile que notre bon Maître multiplia, dans deux circonstances différentes, quelques pains pour en nourrir plusieurs milliers d'hommes. Comprenez ces deux prodiges en une seule méditation dans laquelle vous considérerez les paroles et les actions de Notre Seigneur. Or voici ce qu'il dit alors : (2) J'ai compassion de ce peuple, car voilà trois jours qu'ils me suivent et ils n'ont rien à manger; si je les renvoie à jeun , ils tomberont de faiblesse en route, car plusieurs d'entre eux sont venus de fort loin.
(2) Matth., 13. — Marc, 8. - Jean.,6.
Puis il multiplia les pains, de sorte que tous furent abondamment nourris. Faites donc ici plusieurs remarques importantes; appliquez-vous surtout à considérer la miséricorde de Jésus , sa bienveillance , sa bonté , son discernement et sa prudence. Je dis d'abord sa miséricorde. Ce fut elle qui le poussa à les secourir ; et voilà pourquoi il dit : J'ai compassion de ce peuple. Car la terre est toute remplie de sa miséricorde (1).
Je dis en second lieu sa bienveillance et sa bonté. Il en explique lui-même les motifs en disant : Voilà trois jours qu'ils me suivent. Voyez l'excès de cette bienveillance et de cette bonté ! Car, quoique véritablement la démarche de ce peuple fût un avantage pour lui seul et non pour Jésus , le divin Maître en parle comme d'un service qu'on lui aurait rendu. Et il en jugeait ainsi , puisqu'il dit dans une autre circonstance (2) : qu'il trouve ses délices à demeurer avec les enfants des hommes , non parce que cette union avec eux lui est personnellement utile , mais parce qu'elle contribue puissamment à notre salut. Or le Seigneur aime ceux qui le suivent et qui gardent ses préceptes et ses conseils , et il ne cesse d'ouvrir la main sur eux qu'après les avoir secourus de la manière la plus avantageuse à leurs besoins.
Troisièmement , Jésus montra son discernement et sa prudence en observant l'indigence et l'épuisement de ce peuple , et en prenant en considération que quelques-uns pouvaient tomber de faiblesse et que d'autres étaient venus de fort loin. Savourez donc les délicieuses paroles de Jésus; ce qu'il fit pour ce peuple il le fait tous les jours spirituellement à notre égard. Car notre âme n'a de nourriture qu'autant qu'il lui en donne ; elle tombe en défaillance dans son pèlerinage s'il la renvoie affamée , et nous ne pouvons, sans lui, nous soutenir dans aucun exercice spirituel.
(1) Ps. 32. — (2) Prov. 8.
Nous n'avons donc point sujet de nous élever lorsque nous recevons quelques consolations de la main du Seigneur, ou lorsque nous recueillons quelques fruits de nos exercices spirituels, parce que cela vient de lui seul et non de nous. C'est pourquoi , si vous y faites bien attention , vous verrez que plus les vrais serviteurs de Dieu sont parfaits, conformes à leur divin Modèle , enrichis des faveurs les plus distinguées , plus ils sont humbles , parce qu'ils ne s'attribuent à eux-mêmes que leurs péchés et leurs défauts. Car plus on s'approche de Dieu , plus on a de lumières , et par con séquent mieux on connaît sa grandeur et sa miséricorde; et ainsi on n'est pas exposé aux tentations de l'orgueil et de la vaine gloire qui proviennent de l'aveuglement que cause l'ignorance.
En effet, celui qui ferait une étude approfondie et acquerrait une parfaite connaissance de Dieu et de lui-même, ne pourrait avoir d'orgueil. Observez aussi que c'est de bien loin que nous sommes venus à Dieu; et je parle ici spécialement de moi-même, ainsi que de ceux qui , comme moi , se sont tant éloignés de lui par leurs péchés. C'est pourquoi, lorsqu'on revient à Dieu , on peut toujours dire que l'on revient de loin. Après avoir médité ce que dit Jésus-Christ , occupons nous de ses actions. Considérez donc comment, après avoir pris les pains et rendu grâces à son Père , il les donna à ses Disciples pour qu'ils les distribuassent au peuple, et les multiplia de telle sorte entre leurs mains que tous en mangèrent autant qu'ils en voulurent, et que , pourtant , il resta un grand nombre de morceaux.
Voyez aussi comment Jésus les regarde manger et partage leur satisfaction. Observez encore l'admiration que ce miracle excite dans ceux qui en sont les témoins, avec quel ravissement ils en parlent entre eux, avec quelles actions de grâces ils se nourrissent de ce pain qui offre , non-seulement à tous, une nourriture corporelle, mais, peut-être , du moins à quelques-uns , un aliment spirituel. Ne peut-on pas penser aussi que Notre-Dame était là pour offrir du pain aux femmes avec sa bienveillance accoutumée et une douce satisfaction de réparer ainsi leurs forces épuisées. L'Écriture n'en dit rien ; mais vous pouvez vous figurer cela et le méditer suivant que Dieu vous le suggérera.
CHAPITRE XXXV.
NOTRE SEIGNEUR FUIT LORSQU'ON VEUT LE FAIRE ROI –
RÉFLEXIONS CONTRE LES HONNEURS DU MONDE
Après que Notre Seigneur eut rassasié le peuple ,(1) comme nous venons de le dire dans le chapitre précédent, ils voulurent le faire Roi. Car ils pensaient que nul mieux que lui ne pouvait pourvoir à tous leurs besoins , et que, sous un tel Roi, ils ne manqueraient de rien. Mais Notre Seigneur, connaissant leur dessein, fuit loin d'eux sur une montagne , de sorte qu'ils ne surent pas ce qu'il était devenu et ne purent le trouver. Il eut donc de l'éloignement pour les honneurs du monde; et remarquez que cet éloignement ne fut pas simulé, mais très-sincère.
(1) Jean., 6.
En effet, pendant qu'il faisait voyager ses Disciples par la mer , il gravit la montagne afin que , si le peuple allait le chercher parmi ses Disciples, il ne pût l'y trouver. Cependant ceux-ci ne voulaient pas se séparer de lui , mais il leur commanda de monter sur leur barque et de passer à l'autre bord. Le désir qu'ils avaient de ne pas s'éloigner de leur Maître était louable, sans doute , mais il était contraire aux desseins de Jésus. Voyez donc avec quelle répugnance ils le quittent , comment Notre Seigneur les y oblige en leur faisant connaître d'une manière formelle que sa volonté est qu'ils s'embarquent sans lui; voyez ensuite avec quelle humilité les Disciples se soumettent, quelle que dure, quelle que pénible que soit pour eux cette obéissance.
Et c'est ainsi que tous les jours Jésus en agit avec nous d'une manière spirituelle. Car nous voudrions qu'il ne se retirât jamais de nous , mais il n'écoute point ces désirs de notre cœur; il s'en va, il revient quand il lui plait et toujours pour notre plus grand bien. Or je veux vous faire connaître ce que dit à ce sujet saint Bernard. Voici ses paroles (1) : «Lorsque, par des veilles , des supplications et une grande abondance de larmes , on a cherché l'Époux céleste , au moment où l'on croit le tenir, il fuit tout-à-coup; et bientôt, s'offrant à nous au milieu de nos poursuites et de nos larmes , il se laisse surprendre, mais on ne peut le retenir, et à l'instant il semble de nouveau s'échapper de nos mains ; et , si l'âme fidèle insiste par ses prières et par ses larmes , il reviendra encore et(2) il ne trompera point les vœux que ses lèvres auront exprimés. Mais à l'instant il disparaîtra de nouveau , et elle le perdra entièrement de vue, à moins qu'elle ne se remette encore à sa poursuite avec toute l'ardeur de ses désirs. Ainsi donc nous pouvons, dans notre pèlerinage, goûter souvent les délices de la présence du céleste Époux, mais jamais dans leur plénitude; puisque, s'il nous réjouit par la douceur de ses visites , il nous désole par l'amertume de ses délaissements.
(1) Serm. 32, sup. Cant. — (2) Ps. 20.
Et ces pénibles alternatives, l'âme bien-aimée devra les souffrir jusqu'au moment où, dégagée enfin de la pesante masse du corps , elle puisse elle-même , portée sur les ailes de ses désirs, parcourir d'un vol rapide les champs de la contemplation et suivre, en toute liberté d'esprit, l'Époux céleste partout où il ira. Et pourtant, ces consolations si courtes ne seront goûtées, même accidentellement, que par ces âmes qui , par une grande piété ,des désirs ardents et une affection très-tendre , prouvent qu'elles sont de véritables Épouses de Jésus-Christ, et méritent ainsi que, pour les visiter, le Verbe éternel, en prenant la forme d'Époux , se revête de tous ses charmes. »
Saint Bernard dit dans un autre endroit : « (1) Peut-être Jésus s'est-il éloigné de ses Disciples afin de nous apprendre à le rappeler avec plus d'empressement et à le retenir avec plus de force. Car il feignait quelquefois de vouloir aller plus loin , non qu'il en eût réellement l'intention , mais il voulait se faire dire : (2) Demeurez avec nous , parce qu'il est déjà tard. Or cette pieuse feinte , disons mieux, cette conduite si avantageuse pour nous que l'on pouvait quelquefois remarquer dans les actions corporelles du Verbe fait chair , le Saint-Esprit ne cesse pas d'y recourir tous les jours, d'une manière et avec une sollicitude toute particulière en faveur des âmes qui lui sont dévouées. Il se montre en passant pour qu'on le retienne, il s'éloigne pour qu'on le rappelle, s'il s'éloigne , c'est par une sage dispensation de ses grâces; s'il revient, c'est qu'il veut toujours être avec nous.
(1) Serm. 64 , sup. Cant. — (2) Luc, 24-
Sa conduite dans l'un et l'autre cas est pleine de sagesse , et ses motifs ne sont connus que de lui seul. On ne peut donc nier maintenant que notre âme ne soit sujette à ces alternatives de retour et d'éloignement du Verbe; et il nous les a annoncées lui-même en disant : (1) Je m'en vais, mais je reviendrai à vous. Et aussi : (2) Encore un peu de temps vous ne me verrez plus , et encore un peu de temps vous me reverrez. Un peu de temps sans vous, tendre Jésus , est-ce donc si peu de chose ? Un peu de temps loin de vous , n'est-ce pas une éternité ? Vous dites qu'il est court le temps où nous sommes privés de vous voir ; toutefois, Seigneur , quelle que soit l'autorité de votre parole , il me semble que ce temps est long et beaucoup trop long. Mais il est vrai de dire que ce temps de privation est tout à la fois court et long, court eu égard à nos mérites , et toujours long suivant nos désirs. Le Prophète explique ceci en ces termes : (3) S'il diffère un peu, attendez le néanmoins avec une pleine assurance , car il arrivera très-certainement et il ne tardera pas.
(1) Jean., 14. — (2) Jean., 16. — (6) Habacuc, 3.
Comment donc peut-on dire que s'il diffère il ne tardera pas , sinon parce que ce retour est beaucoup trop prompt pour nos mérites , quoique pourtant il soit trop lent pour nos vœux. Or l'âme fidèle, enlevée par ses vœux, entraînée par ses désirs, se dissimule ses imperfections, détourne ses yeux de la Majesté de Celui qu'elle appelle , et les fixe uniquement sur la félicité après laquelle elle soupire , et, espérant tout de son Sauveur, elle s'abandonne à lui avec une entière confiance. Enfin , bannissant la honte et la crainte , elle rappelle son divin Époux et lui redemande avec confiance ses délicieux embrassements, prenant comme par le passé la liberté de l'appeler, non son Seigneur, mais son Bien-aimé , et de lui dire : (1) Revenez, mon Bien aimé. »
Saint Bernard dit encore autre part : « (2) Le Verbe éternel fait constamment éprouver de semblables vicissitudes aux personnes qui sont vraiment spirituelles, ou plutôt qu'il veut rendre telles, et, qu'à cet effet , il soumet à ces alternatives , les visitant dès le matin et les éprouvant bientôt après. »
(1)Cant., 1. — (2) Serm. 17., sup. Cant.
Tout cela est de saint Bernard. Vous voyez donc comment Notre Seigneur Jésus-Christ visite et délaisse spirituellement les âmes , et la conduite qu'elles ont à tenir dans ces circonstances. Il faut alors solliciter son retour avec beaucoup d'instance; en attendant, souffrir patiemment l'absence du céleste Époux , et , à l'exemple des Disciples qui , pour lui obéir, montent sans lui dans la barque, demeurer ferme au milieu de la tempête et attendre de lui seul le secours et la délivrance. Mais revenons à Jésus-Christ. Ses Disciples s'étant mis en mer, Jésus monta seul sur la montagne et échappa ainsi aux poursuites de ceux qui le cherchaient. Vous voyez avec quel soin et quelle prudence il se dérobe et se soustrait aux honneurs de la royauté. Il nous donne ici un grand exemple que nous devons imiter. Car ce n'est pas pour lui , c'est pour nous qu'il prend ici la fuite. Il savait , en effet, quelle est notre témérité, lorsque nous osons aspirer aux honneurs.
Certes, je ne connais pas de filets plus dangereux pour prendre les âmes, de fardeaux plus pesants pour les accabler, que les honneurs, soit ceux que donnent l'élévation et le pouvoir, soit ceux que procurent le talent et la science. Car celui qui se plaît dans les honneurs est indubitablement dans un grand péril et sur le bord d'un précipice ; disons plus , il est déjà tout froissé au fond d'un abîme, et je vais vous le prouver par plusieurs raisons convaincantes. La première, c'est que son cœur s'attache avec excès aux honneurs , et qu'il n'est plus occupé que du soin de les conserver ou de les augmenter.
Or, selon saint Grégoire : (1) « plus on s'attache aux choses de la terre , plus l'amour divin s'affaiblit en nous.» La seconde, c'est qu'il cherche à se faire des amis faciles et complaisants , dont l'entremise et l'assistance puissent protéger et accroître la considération qu'il s'est acquise; d'où il arrive souvent qu'il sacrifie les intérêts de Dieu et ceux de sa propre conscience pour complaire à de tels amis et obtenir ainsi qu'ils se dévouent à son service. La troisième, c'est qu'il est jaloux de ceux qui sont au-dessus de lui, et qu'il les décrie dans l'intention d'accroître sa considération personnelle , et il tombe ainsi dans la haine et dans l'envie. La quatrième, c'est qu'il se croit , et qu'il veut qu'on le croie digne d'être honoré , et tombe ainsi dans l'orgueil et la présomption.
Or, suivant l'Apôtre (2) : Si quelqu'un croit être quelque chose, il se trompe lui-même, puisqu'en effet il n'est rien. Et Notre Seigneur dit à ce sujet dans l'Évangile (3) : Lorsque vous aurez accompli tout ce qui vous est commandé, dites : nous sommes des serviteurs inutiles. Or ce langage est-il jamais celui d'un ambitieux? La cinquième, c'est qu'il n'agit plus selon l'esprit , mais selon la chair, parce qu'au lieu de s'élever et de s'attacher uniquement aux choses du Ciel, son cœur se dissipe et se partage en mille objets divers.
(1) Grég. Hom., 30, in Evan. — (2) Gal. , 6. — (3) Luc, 17.
La sixième et dernière raison, c'est que , dès qu'il commence à se passionner pour les honneurs , il y prend un tel goût que rien ne peut le rassasier : aussi tous les jours il en recherche de nouveaux et de plus grands ; et plus il en obtient , plus il en désire , parce qu'il croit acquérir sans cesse de nouveaux droits aux honneurs dont, à ses yeux et à ceux des autres, il lui semble qu'il est de plus en plus digne; et par là il tombe dans l'ambition , vice détestable , principe et cause de beaucoup d'autres vices.
Mais, pour combattre une si dangereuse inclination, ce n'est pas moi, c'est saint Bernard qu'il faut écouter. « (1) L'ambition, dit-il, est un mal subtil, un poison secret, une peste cachée, la maîtresse de la fourberie, la mère de l'hypocrisie ; elle engendre l'envie, elle produit tous les vices, enfante tous les crimes, ronge toutes les vertus, anéantit la sainteté, aveugle le cœur, change le remède en un mal dangereux , rend l'âme plus faible et plus languissante par les moyens mêmes employés pour lui procurer la force et la vigueur. Et que d'hommes, misérablement vaincus par cette funeste passion, ont été honteusement renversés, afin d'effrayer par une chute si rapide tous ceux qui ferment les yeux sur les dangers du précipice que l'ambition , semblable à un mineur, creuse en secret sous leurs pas !
Mais à quelle cause peut-on attribuer le développement d'un si grand mal, si ce n'est à l'égarement de l'esprit et à l'oubli de la vérité? Or qui peut dévoiler la trahison d'un ennemi si perfide , et mettre au grand jour cette œuvre de ténèbres, si ce n'est la Vérité? C'est elle qui a dit : (2) Que sert à l'homme de gagner l`univers , s'il vient à se nuire et à perdre son âme. La Vérité dit encore : (3) Les puissants seront puissamment tourmentés.
(1) Serm. 6. sup psal. Qui habitat. — (2) Matth., 16. — (3) Sap. 6. 7-
C'est la Vérité qui rappelle sans cesse à notre esprit que l'ambition ne fait goûter qu'une satisfaction frivole , qu'elle nous expose à un jugement terrible, que ses jouissances sont courtes et qu'on ignore à quelle fin elle nous conduit. Voilà pourquoi le démon ( l`ange déchu) tenta pour la troisième fois Notre Seigneur ; il le fit par l'ambition , en lui promettant de lui donner tous les royaumes du monde , si , en se prosternant devant lui , il consentait à l'adorer. Vous voyez donc que Satan n'offre aux ambitieux d'autres moyens pour s'élever que de l'adorer ; c'est à cette condition qu'il leur promet de les faire parvenir à la gloire et aux honneurs du monde. »
Saint Bernard dit ailleurs : (1) « Nous aspirons tous à monter, nous avons tous le désir de nous élever ; car nous sommes de nobles créatures , et nos âmes ont quelque grandeur; voilà pourquoi nous tendons naturellement à ce qu'il y a de plus sublime. Mais malheur à nous si nous imitons celui qui osa dire : (2) « Je m'assiérai sur la montagne du Testament , tout-à-côté de l'Aquilon. » Que dis-tu, misérable, tout-à-coté de l'Aquilon ! Cette montagne est glacée , nous ne voulons pas t'y suivre. Tu n'as encore que le désir de t'élever et déjà tu te flattes d'être parvenu à la plus haute puissance. Or combien d'hommes, jusqu'à ce jour, ont ignominieusement et misérablement marché sur tes traces ! Ou plutôt qu'il y en a peu qui ne soient dominés par le désir de dominer les autres! Qui suivez -vous là, malheureux ; qui suivez-vous là ? N'allez- vous pas gravir la montagne au sommet de laquelle l'Ange rebelle fut transformé en démon ?
Remarquez qu'après sa chute , Satan fut dévoré par l'envie , et pour satisfaire le désir qu'il avait de perdre l'homme, il lui montra une autre montagne semblable à celle du Testament , en disant : (3) «Vous serez comme des Dieux, vous aurez la science du bien et du mal. »
(1) Serm. 4. , de Ascens. — (2) Isaï., 14. — (3) Gen., 3.
Saint Bernard dit peu après : Cette ambition du pouvoir priva l'Ange rebelle de la félicité angélique ; le désir de savoir dépouilla aussi l'homme de la glorieuse immortalité. Mais, je vous le demande , combien celui qui s'efforce de parvenir au faîte des honneurs aura-t-il de contradicteurs et de rivaux empressés à le supplanter ; combien trouvera-t-il d'obstacles , que de difficultés rencontrera-t-il dans sa marche? Et que serait-ce s'il venait à obtenir l'objet de ses désirs !
(1) Les puissants, dit l'Écriture, seront puissamment tourmentés. Il est donc inutile de vous parler des sollicitudes et des anxiétés sans cesse renaissantes dont le pouvoir lui-même est la source. D'autres ont l'ambition d'acquérir la science qui enfle le cœur. Quels travaux , quelles inquiétudes pour leur esprit ! et cependant une voix intérieure leur répète sans cesse : « Vos efforts , dussent-ils abréger votre vie, ne vous feront jamais atteindre le but. » Leur regard devient sombre toutes les fois qu'ils rencontrent un homme auquel ils se croient inférieurs ou qu'ils pensent que les autres leur préfèrent. Et qu'arrive-t-il lorsqu'ils sont parvenus au comble de l'orgueil ? (2) Je réprouverai, dit le Seigneur, la science des savants, et je perdrai la sagesse des sages. Si la profondeur de l'abime où l'Ange a été précipité, si la chute de l'homme nous ont saisis d'effroi , je pense que vous avez déjà compris , sans que je m'arrête à de plus longs détails , combien il nous importe de nous éloigner des deux montagnes dont je viens de parler.
(3) Montagnes de Gelboé, que la rosée du matin, que les pluies salutaires ne tombent jamais sur vous. Toutefois, qu'allons-nous faire? Monter de cette sorte, ne nous convient pas, et pourtant le désir de nous élever nous presse.
(1) Sap., 6. - (2) 1. Cor., 1. — (3) 2. Rois. 1.
Qui nous enseignera à monter sans danger, si ce n'est Celui dont il est dit (1) « que le même qui est descendu est aussi monté ? » C'était à Lui à nous montrer la route par laquelle nous devons monter, de peur que nous ne suivissions les traces ou les conseils du guide, disons mieux, du séducteur le plus perfide. Or donc , comme il n'y avait personne qui pût monter jusqu'à lui, le Très-Haut lui-même est descendu, et par cet abaissement volontaire , il nous a indiqué un moyen doux et salutaire de nous élever. Il est descendu des hauteurs de la puissance en se revêtant des infirmités de notre chair ; il est descendu des hauteurs de la science, puisqu'il a plu à Dieu de sauver ceux qui croient par la folie de la prédication.
Quoi de plus faible , en effet, que le tendre corps , que les membres délicats d'un enfant? Que peut-on trouver de plus ignorant qu'un enfant qui ne connaît que le sein de sa mère? Quoi de plus impuissant qu'un homme dont tous les membres sont cloués à la croix, et dont on peut compter tous les os? Qui peut parâtre plus insensé que celui qui se livrait à la mort afin d'expier par là des crimes dont il était innocent? Voyez combien, dans ce profond abaissement, il anéantit sa puissance et sa sagesse ! Mais en même temps il ne pouvait porter la bonté à un plus haut point d'élévation, ni donner une recommandation plus expresse de sa charité. Et il ne faut pas s'étonner que le Christ se soit élevé en s'abaissant, puisque l'Ange et l'homme rebelles sont tombés en voulant s'élever. »
Saint Bernard dit encore dans un autre endroit : « (2) C'est pourquoi, mes bien-aimés, persévérez dans la doctrine que vous avez embrassée, afin de parvenir à la sublime perfection par le moyen de l'humilité ; car c'est là la voie qu'il faut prendre , et il n'y en a pas d'autre que celle-là.
(1) Eph., 4. — (2) Serm.de Ascen. 2.
Celui qui ne la suit pas tombe plutôt qu'il ne monte, parce qu'il n'y a que l'humilité qui élève et qui exalte ; il n'y a qu'elle qui conduit à la vie. » Saint Bernard ajoute : « 0 perversité! ô ambition des enfants d'Adam! puisque trouvant tant de difficulté à monter et tant de facilité à descendre , ils sont si empressés à s'élever et ont tant de peine à s'abaisser , toujours prêts à poursuivre les honneurs et les plus hautes fonctions du ministère ecclésiastique dont les Anges eux-mêmes devraient craindre de se charger. Et cependant, Seigneur Jésus, à peine trouve-t-on pour marcher à votre suite quelqu'un qui veuille se laisser conduire , ou du moins traîner dans la voie de vos commandements. » Tout cela est de saint Bernard.
Vous voyez, par ce qui précède, que vous ne pouvez parvenir à la véritable gloire que par l'humilité , et que vous devez toujours fuir les faux honneurs du monde ; mais , parmi ces amateurs passionnés des sciences et des honneurs, quelques-uns peut-être se font, pour excuser leur ambition , un prétexte du salut des âmes qu'ils se flattent ainsi de gagner plus facilement à Dieu.
Écoutez la réponse que leur fait saint Bernard : (1) « Plaise à Dieu , dit-il , que ceux qui entrent ainsi dans la carrière des honneurs, s'acquittent, s'il était possible , de leurs fonctions avec autant de fidélité qu'ils ont mis de confiance à s'y ingérer. Toutefois il est difficile, peut-être même impossible , de voir le doux fruit de la charité sortir de la racine amère de l'ambition. » Tout ceci est encore de saint Bernard.
(1) Ser. ad Clerir.
Or, pour parvenir à cet indispensable mépris des honneurs , il faut toute la perfection d'une vertu suréminente. Car , comme le dit saint Chrysostome : « Il est aussi difficile de faire un bon usage des honneurs, que d'habiter avec une jeune fille d'une extrême beauté en s'imposant l'obligation de ne jeter jamais sur elle un regard impur. Il est donc indubitable qu'un homme parvenu au pouvoir ou à la gloire a besoin d'une grande force d'âme pour n'user de ces avantages que lorsque la nécessité l'exige. »
DE LA MULTIPLICATION DES PAINS, ET COMMENT JÉSUS
POURVOIT AUX BESOINS DE CEUX QUI l' AIMENT.
On voit dans l'Évangile que notre bon Maître multiplia, dans deux circonstances différentes, quelques pains pour en nourrir plusieurs milliers d'hommes. Comprenez ces deux prodiges en une seule méditation dans laquelle vous considérerez les paroles et les actions de Notre Seigneur. Or voici ce qu'il dit alors : (2) J'ai compassion de ce peuple, car voilà trois jours qu'ils me suivent et ils n'ont rien à manger; si je les renvoie à jeun , ils tomberont de faiblesse en route, car plusieurs d'entre eux sont venus de fort loin.
(2) Matth., 13. — Marc, 8. - Jean.,6.
Puis il multiplia les pains, de sorte que tous furent abondamment nourris. Faites donc ici plusieurs remarques importantes; appliquez-vous surtout à considérer la miséricorde de Jésus , sa bienveillance , sa bonté , son discernement et sa prudence. Je dis d'abord sa miséricorde. Ce fut elle qui le poussa à les secourir ; et voilà pourquoi il dit : J'ai compassion de ce peuple. Car la terre est toute remplie de sa miséricorde (1).
Je dis en second lieu sa bienveillance et sa bonté. Il en explique lui-même les motifs en disant : Voilà trois jours qu'ils me suivent. Voyez l'excès de cette bienveillance et de cette bonté ! Car, quoique véritablement la démarche de ce peuple fût un avantage pour lui seul et non pour Jésus , le divin Maître en parle comme d'un service qu'on lui aurait rendu. Et il en jugeait ainsi , puisqu'il dit dans une autre circonstance (2) : qu'il trouve ses délices à demeurer avec les enfants des hommes , non parce que cette union avec eux lui est personnellement utile , mais parce qu'elle contribue puissamment à notre salut. Or le Seigneur aime ceux qui le suivent et qui gardent ses préceptes et ses conseils , et il ne cesse d'ouvrir la main sur eux qu'après les avoir secourus de la manière la plus avantageuse à leurs besoins.
Troisièmement , Jésus montra son discernement et sa prudence en observant l'indigence et l'épuisement de ce peuple , et en prenant en considération que quelques-uns pouvaient tomber de faiblesse et que d'autres étaient venus de fort loin. Savourez donc les délicieuses paroles de Jésus; ce qu'il fit pour ce peuple il le fait tous les jours spirituellement à notre égard. Car notre âme n'a de nourriture qu'autant qu'il lui en donne ; elle tombe en défaillance dans son pèlerinage s'il la renvoie affamée , et nous ne pouvons, sans lui, nous soutenir dans aucun exercice spirituel.
(1) Ps. 32. — (2) Prov. 8.
Nous n'avons donc point sujet de nous élever lorsque nous recevons quelques consolations de la main du Seigneur, ou lorsque nous recueillons quelques fruits de nos exercices spirituels, parce que cela vient de lui seul et non de nous. C'est pourquoi , si vous y faites bien attention , vous verrez que plus les vrais serviteurs de Dieu sont parfaits, conformes à leur divin Modèle , enrichis des faveurs les plus distinguées , plus ils sont humbles , parce qu'ils ne s'attribuent à eux-mêmes que leurs péchés et leurs défauts. Car plus on s'approche de Dieu , plus on a de lumières , et par con séquent mieux on connaît sa grandeur et sa miséricorde; et ainsi on n'est pas exposé aux tentations de l'orgueil et de la vaine gloire qui proviennent de l'aveuglement que cause l'ignorance.
En effet, celui qui ferait une étude approfondie et acquerrait une parfaite connaissance de Dieu et de lui-même, ne pourrait avoir d'orgueil. Observez aussi que c'est de bien loin que nous sommes venus à Dieu; et je parle ici spécialement de moi-même, ainsi que de ceux qui , comme moi , se sont tant éloignés de lui par leurs péchés. C'est pourquoi, lorsqu'on revient à Dieu , on peut toujours dire que l'on revient de loin. Après avoir médité ce que dit Jésus-Christ , occupons nous de ses actions. Considérez donc comment, après avoir pris les pains et rendu grâces à son Père , il les donna à ses Disciples pour qu'ils les distribuassent au peuple, et les multiplia de telle sorte entre leurs mains que tous en mangèrent autant qu'ils en voulurent, et que , pourtant , il resta un grand nombre de morceaux.
Voyez aussi comment Jésus les regarde manger et partage leur satisfaction. Observez encore l'admiration que ce miracle excite dans ceux qui en sont les témoins, avec quel ravissement ils en parlent entre eux, avec quelles actions de grâces ils se nourrissent de ce pain qui offre , non-seulement à tous, une nourriture corporelle, mais, peut-être , du moins à quelques-uns , un aliment spirituel. Ne peut-on pas penser aussi que Notre-Dame était là pour offrir du pain aux femmes avec sa bienveillance accoutumée et une douce satisfaction de réparer ainsi leurs forces épuisées. L'Écriture n'en dit rien ; mais vous pouvez vous figurer cela et le méditer suivant que Dieu vous le suggérera.
CHAPITRE XXXV.
NOTRE SEIGNEUR FUIT LORSQU'ON VEUT LE FAIRE ROI –
RÉFLEXIONS CONTRE LES HONNEURS DU MONDE
Après que Notre Seigneur eut rassasié le peuple ,(1) comme nous venons de le dire dans le chapitre précédent, ils voulurent le faire Roi. Car ils pensaient que nul mieux que lui ne pouvait pourvoir à tous leurs besoins , et que, sous un tel Roi, ils ne manqueraient de rien. Mais Notre Seigneur, connaissant leur dessein, fuit loin d'eux sur une montagne , de sorte qu'ils ne surent pas ce qu'il était devenu et ne purent le trouver. Il eut donc de l'éloignement pour les honneurs du monde; et remarquez que cet éloignement ne fut pas simulé, mais très-sincère.
(1) Jean., 6.
En effet, pendant qu'il faisait voyager ses Disciples par la mer , il gravit la montagne afin que , si le peuple allait le chercher parmi ses Disciples, il ne pût l'y trouver. Cependant ceux-ci ne voulaient pas se séparer de lui , mais il leur commanda de monter sur leur barque et de passer à l'autre bord. Le désir qu'ils avaient de ne pas s'éloigner de leur Maître était louable, sans doute , mais il était contraire aux desseins de Jésus. Voyez donc avec quelle répugnance ils le quittent , comment Notre Seigneur les y oblige en leur faisant connaître d'une manière formelle que sa volonté est qu'ils s'embarquent sans lui; voyez ensuite avec quelle humilité les Disciples se soumettent, quelle que dure, quelle que pénible que soit pour eux cette obéissance.
Et c'est ainsi que tous les jours Jésus en agit avec nous d'une manière spirituelle. Car nous voudrions qu'il ne se retirât jamais de nous , mais il n'écoute point ces désirs de notre cœur; il s'en va, il revient quand il lui plait et toujours pour notre plus grand bien. Or je veux vous faire connaître ce que dit à ce sujet saint Bernard. Voici ses paroles (1) : «Lorsque, par des veilles , des supplications et une grande abondance de larmes , on a cherché l'Époux céleste , au moment où l'on croit le tenir, il fuit tout-à-coup; et bientôt, s'offrant à nous au milieu de nos poursuites et de nos larmes , il se laisse surprendre, mais on ne peut le retenir, et à l'instant il semble de nouveau s'échapper de nos mains ; et , si l'âme fidèle insiste par ses prières et par ses larmes , il reviendra encore et(2) il ne trompera point les vœux que ses lèvres auront exprimés. Mais à l'instant il disparaîtra de nouveau , et elle le perdra entièrement de vue, à moins qu'elle ne se remette encore à sa poursuite avec toute l'ardeur de ses désirs. Ainsi donc nous pouvons, dans notre pèlerinage, goûter souvent les délices de la présence du céleste Époux, mais jamais dans leur plénitude; puisque, s'il nous réjouit par la douceur de ses visites , il nous désole par l'amertume de ses délaissements.
(1) Serm. 32, sup. Cant. — (2) Ps. 20.
Et ces pénibles alternatives, l'âme bien-aimée devra les souffrir jusqu'au moment où, dégagée enfin de la pesante masse du corps , elle puisse elle-même , portée sur les ailes de ses désirs, parcourir d'un vol rapide les champs de la contemplation et suivre, en toute liberté d'esprit, l'Époux céleste partout où il ira. Et pourtant, ces consolations si courtes ne seront goûtées, même accidentellement, que par ces âmes qui , par une grande piété ,des désirs ardents et une affection très-tendre , prouvent qu'elles sont de véritables Épouses de Jésus-Christ, et méritent ainsi que, pour les visiter, le Verbe éternel, en prenant la forme d'Époux , se revête de tous ses charmes. »
Saint Bernard dit dans un autre endroit : « (1) Peut-être Jésus s'est-il éloigné de ses Disciples afin de nous apprendre à le rappeler avec plus d'empressement et à le retenir avec plus de force. Car il feignait quelquefois de vouloir aller plus loin , non qu'il en eût réellement l'intention , mais il voulait se faire dire : (2) Demeurez avec nous , parce qu'il est déjà tard. Or cette pieuse feinte , disons mieux, cette conduite si avantageuse pour nous que l'on pouvait quelquefois remarquer dans les actions corporelles du Verbe fait chair , le Saint-Esprit ne cesse pas d'y recourir tous les jours, d'une manière et avec une sollicitude toute particulière en faveur des âmes qui lui sont dévouées. Il se montre en passant pour qu'on le retienne, il s'éloigne pour qu'on le rappelle, s'il s'éloigne , c'est par une sage dispensation de ses grâces; s'il revient, c'est qu'il veut toujours être avec nous.
(1) Serm. 64 , sup. Cant. — (2) Luc, 24-
Sa conduite dans l'un et l'autre cas est pleine de sagesse , et ses motifs ne sont connus que de lui seul. On ne peut donc nier maintenant que notre âme ne soit sujette à ces alternatives de retour et d'éloignement du Verbe; et il nous les a annoncées lui-même en disant : (1) Je m'en vais, mais je reviendrai à vous. Et aussi : (2) Encore un peu de temps vous ne me verrez plus , et encore un peu de temps vous me reverrez. Un peu de temps sans vous, tendre Jésus , est-ce donc si peu de chose ? Un peu de temps loin de vous , n'est-ce pas une éternité ? Vous dites qu'il est court le temps où nous sommes privés de vous voir ; toutefois, Seigneur , quelle que soit l'autorité de votre parole , il me semble que ce temps est long et beaucoup trop long. Mais il est vrai de dire que ce temps de privation est tout à la fois court et long, court eu égard à nos mérites , et toujours long suivant nos désirs. Le Prophète explique ceci en ces termes : (3) S'il diffère un peu, attendez le néanmoins avec une pleine assurance , car il arrivera très-certainement et il ne tardera pas.
(1) Jean., 14. — (2) Jean., 16. — (6) Habacuc, 3.
Comment donc peut-on dire que s'il diffère il ne tardera pas , sinon parce que ce retour est beaucoup trop prompt pour nos mérites , quoique pourtant il soit trop lent pour nos vœux. Or l'âme fidèle, enlevée par ses vœux, entraînée par ses désirs, se dissimule ses imperfections, détourne ses yeux de la Majesté de Celui qu'elle appelle , et les fixe uniquement sur la félicité après laquelle elle soupire , et, espérant tout de son Sauveur, elle s'abandonne à lui avec une entière confiance. Enfin , bannissant la honte et la crainte , elle rappelle son divin Époux et lui redemande avec confiance ses délicieux embrassements, prenant comme par le passé la liberté de l'appeler, non son Seigneur, mais son Bien-aimé , et de lui dire : (1) Revenez, mon Bien aimé. »
Saint Bernard dit encore autre part : « (2) Le Verbe éternel fait constamment éprouver de semblables vicissitudes aux personnes qui sont vraiment spirituelles, ou plutôt qu'il veut rendre telles, et, qu'à cet effet , il soumet à ces alternatives , les visitant dès le matin et les éprouvant bientôt après. »
(1)Cant., 1. — (2) Serm. 17., sup. Cant.
Tout cela est de saint Bernard. Vous voyez donc comment Notre Seigneur Jésus-Christ visite et délaisse spirituellement les âmes , et la conduite qu'elles ont à tenir dans ces circonstances. Il faut alors solliciter son retour avec beaucoup d'instance; en attendant, souffrir patiemment l'absence du céleste Époux , et , à l'exemple des Disciples qui , pour lui obéir, montent sans lui dans la barque, demeurer ferme au milieu de la tempête et attendre de lui seul le secours et la délivrance. Mais revenons à Jésus-Christ. Ses Disciples s'étant mis en mer, Jésus monta seul sur la montagne et échappa ainsi aux poursuites de ceux qui le cherchaient. Vous voyez avec quel soin et quelle prudence il se dérobe et se soustrait aux honneurs de la royauté. Il nous donne ici un grand exemple que nous devons imiter. Car ce n'est pas pour lui , c'est pour nous qu'il prend ici la fuite. Il savait , en effet, quelle est notre témérité, lorsque nous osons aspirer aux honneurs.
Certes, je ne connais pas de filets plus dangereux pour prendre les âmes, de fardeaux plus pesants pour les accabler, que les honneurs, soit ceux que donnent l'élévation et le pouvoir, soit ceux que procurent le talent et la science. Car celui qui se plaît dans les honneurs est indubitablement dans un grand péril et sur le bord d'un précipice ; disons plus , il est déjà tout froissé au fond d'un abîme, et je vais vous le prouver par plusieurs raisons convaincantes. La première, c'est que son cœur s'attache avec excès aux honneurs , et qu'il n'est plus occupé que du soin de les conserver ou de les augmenter.
Or, selon saint Grégoire : (1) « plus on s'attache aux choses de la terre , plus l'amour divin s'affaiblit en nous.» La seconde, c'est qu'il cherche à se faire des amis faciles et complaisants , dont l'entremise et l'assistance puissent protéger et accroître la considération qu'il s'est acquise; d'où il arrive souvent qu'il sacrifie les intérêts de Dieu et ceux de sa propre conscience pour complaire à de tels amis et obtenir ainsi qu'ils se dévouent à son service. La troisième, c'est qu'il est jaloux de ceux qui sont au-dessus de lui, et qu'il les décrie dans l'intention d'accroître sa considération personnelle , et il tombe ainsi dans la haine et dans l'envie. La quatrième, c'est qu'il se croit , et qu'il veut qu'on le croie digne d'être honoré , et tombe ainsi dans l'orgueil et la présomption.
Or, suivant l'Apôtre (2) : Si quelqu'un croit être quelque chose, il se trompe lui-même, puisqu'en effet il n'est rien. Et Notre Seigneur dit à ce sujet dans l'Évangile (3) : Lorsque vous aurez accompli tout ce qui vous est commandé, dites : nous sommes des serviteurs inutiles. Or ce langage est-il jamais celui d'un ambitieux? La cinquième, c'est qu'il n'agit plus selon l'esprit , mais selon la chair, parce qu'au lieu de s'élever et de s'attacher uniquement aux choses du Ciel, son cœur se dissipe et se partage en mille objets divers.
(1) Grég. Hom., 30, in Evan. — (2) Gal. , 6. — (3) Luc, 17.
La sixième et dernière raison, c'est que , dès qu'il commence à se passionner pour les honneurs , il y prend un tel goût que rien ne peut le rassasier : aussi tous les jours il en recherche de nouveaux et de plus grands ; et plus il en obtient , plus il en désire , parce qu'il croit acquérir sans cesse de nouveaux droits aux honneurs dont, à ses yeux et à ceux des autres, il lui semble qu'il est de plus en plus digne; et par là il tombe dans l'ambition , vice détestable , principe et cause de beaucoup d'autres vices.
Mais, pour combattre une si dangereuse inclination, ce n'est pas moi, c'est saint Bernard qu'il faut écouter. « (1) L'ambition, dit-il, est un mal subtil, un poison secret, une peste cachée, la maîtresse de la fourberie, la mère de l'hypocrisie ; elle engendre l'envie, elle produit tous les vices, enfante tous les crimes, ronge toutes les vertus, anéantit la sainteté, aveugle le cœur, change le remède en un mal dangereux , rend l'âme plus faible et plus languissante par les moyens mêmes employés pour lui procurer la force et la vigueur. Et que d'hommes, misérablement vaincus par cette funeste passion, ont été honteusement renversés, afin d'effrayer par une chute si rapide tous ceux qui ferment les yeux sur les dangers du précipice que l'ambition , semblable à un mineur, creuse en secret sous leurs pas !
Mais à quelle cause peut-on attribuer le développement d'un si grand mal, si ce n'est à l'égarement de l'esprit et à l'oubli de la vérité? Or qui peut dévoiler la trahison d'un ennemi si perfide , et mettre au grand jour cette œuvre de ténèbres, si ce n'est la Vérité? C'est elle qui a dit : (2) Que sert à l'homme de gagner l`univers , s'il vient à se nuire et à perdre son âme. La Vérité dit encore : (3) Les puissants seront puissamment tourmentés.
(1) Serm. 6. sup psal. Qui habitat. — (2) Matth., 16. — (3) Sap. 6. 7-
C'est la Vérité qui rappelle sans cesse à notre esprit que l'ambition ne fait goûter qu'une satisfaction frivole , qu'elle nous expose à un jugement terrible, que ses jouissances sont courtes et qu'on ignore à quelle fin elle nous conduit. Voilà pourquoi le démon ( l`ange déchu) tenta pour la troisième fois Notre Seigneur ; il le fit par l'ambition , en lui promettant de lui donner tous les royaumes du monde , si , en se prosternant devant lui , il consentait à l'adorer. Vous voyez donc que Satan n'offre aux ambitieux d'autres moyens pour s'élever que de l'adorer ; c'est à cette condition qu'il leur promet de les faire parvenir à la gloire et aux honneurs du monde. »
Saint Bernard dit ailleurs : (1) « Nous aspirons tous à monter, nous avons tous le désir de nous élever ; car nous sommes de nobles créatures , et nos âmes ont quelque grandeur; voilà pourquoi nous tendons naturellement à ce qu'il y a de plus sublime. Mais malheur à nous si nous imitons celui qui osa dire : (2) « Je m'assiérai sur la montagne du Testament , tout-à-côté de l'Aquilon. » Que dis-tu, misérable, tout-à-coté de l'Aquilon ! Cette montagne est glacée , nous ne voulons pas t'y suivre. Tu n'as encore que le désir de t'élever et déjà tu te flattes d'être parvenu à la plus haute puissance. Or combien d'hommes, jusqu'à ce jour, ont ignominieusement et misérablement marché sur tes traces ! Ou plutôt qu'il y en a peu qui ne soient dominés par le désir de dominer les autres! Qui suivez -vous là, malheureux ; qui suivez-vous là ? N'allez- vous pas gravir la montagne au sommet de laquelle l'Ange rebelle fut transformé en démon ?
Remarquez qu'après sa chute , Satan fut dévoré par l'envie , et pour satisfaire le désir qu'il avait de perdre l'homme, il lui montra une autre montagne semblable à celle du Testament , en disant : (3) «Vous serez comme des Dieux, vous aurez la science du bien et du mal. »
(1) Serm. 4. , de Ascens. — (2) Isaï., 14. — (3) Gen., 3.
Saint Bernard dit peu après : Cette ambition du pouvoir priva l'Ange rebelle de la félicité angélique ; le désir de savoir dépouilla aussi l'homme de la glorieuse immortalité. Mais, je vous le demande , combien celui qui s'efforce de parvenir au faîte des honneurs aura-t-il de contradicteurs et de rivaux empressés à le supplanter ; combien trouvera-t-il d'obstacles , que de difficultés rencontrera-t-il dans sa marche? Et que serait-ce s'il venait à obtenir l'objet de ses désirs !
(1) Les puissants, dit l'Écriture, seront puissamment tourmentés. Il est donc inutile de vous parler des sollicitudes et des anxiétés sans cesse renaissantes dont le pouvoir lui-même est la source. D'autres ont l'ambition d'acquérir la science qui enfle le cœur. Quels travaux , quelles inquiétudes pour leur esprit ! et cependant une voix intérieure leur répète sans cesse : « Vos efforts , dussent-ils abréger votre vie, ne vous feront jamais atteindre le but. » Leur regard devient sombre toutes les fois qu'ils rencontrent un homme auquel ils se croient inférieurs ou qu'ils pensent que les autres leur préfèrent. Et qu'arrive-t-il lorsqu'ils sont parvenus au comble de l'orgueil ? (2) Je réprouverai, dit le Seigneur, la science des savants, et je perdrai la sagesse des sages. Si la profondeur de l'abime où l'Ange a été précipité, si la chute de l'homme nous ont saisis d'effroi , je pense que vous avez déjà compris , sans que je m'arrête à de plus longs détails , combien il nous importe de nous éloigner des deux montagnes dont je viens de parler.
(3) Montagnes de Gelboé, que la rosée du matin, que les pluies salutaires ne tombent jamais sur vous. Toutefois, qu'allons-nous faire? Monter de cette sorte, ne nous convient pas, et pourtant le désir de nous élever nous presse.
(1) Sap., 6. - (2) 1. Cor., 1. — (3) 2. Rois. 1.
Qui nous enseignera à monter sans danger, si ce n'est Celui dont il est dit (1) « que le même qui est descendu est aussi monté ? » C'était à Lui à nous montrer la route par laquelle nous devons monter, de peur que nous ne suivissions les traces ou les conseils du guide, disons mieux, du séducteur le plus perfide. Or donc , comme il n'y avait personne qui pût monter jusqu'à lui, le Très-Haut lui-même est descendu, et par cet abaissement volontaire , il nous a indiqué un moyen doux et salutaire de nous élever. Il est descendu des hauteurs de la puissance en se revêtant des infirmités de notre chair ; il est descendu des hauteurs de la science, puisqu'il a plu à Dieu de sauver ceux qui croient par la folie de la prédication.
Quoi de plus faible , en effet, que le tendre corps , que les membres délicats d'un enfant? Que peut-on trouver de plus ignorant qu'un enfant qui ne connaît que le sein de sa mère? Quoi de plus impuissant qu'un homme dont tous les membres sont cloués à la croix, et dont on peut compter tous les os? Qui peut parâtre plus insensé que celui qui se livrait à la mort afin d'expier par là des crimes dont il était innocent? Voyez combien, dans ce profond abaissement, il anéantit sa puissance et sa sagesse ! Mais en même temps il ne pouvait porter la bonté à un plus haut point d'élévation, ni donner une recommandation plus expresse de sa charité. Et il ne faut pas s'étonner que le Christ se soit élevé en s'abaissant, puisque l'Ange et l'homme rebelles sont tombés en voulant s'élever. »
Saint Bernard dit encore dans un autre endroit : « (2) C'est pourquoi, mes bien-aimés, persévérez dans la doctrine que vous avez embrassée, afin de parvenir à la sublime perfection par le moyen de l'humilité ; car c'est là la voie qu'il faut prendre , et il n'y en a pas d'autre que celle-là.
(1) Eph., 4. — (2) Serm.de Ascen. 2.
Celui qui ne la suit pas tombe plutôt qu'il ne monte, parce qu'il n'y a que l'humilité qui élève et qui exalte ; il n'y a qu'elle qui conduit à la vie. » Saint Bernard ajoute : « 0 perversité! ô ambition des enfants d'Adam! puisque trouvant tant de difficulté à monter et tant de facilité à descendre , ils sont si empressés à s'élever et ont tant de peine à s'abaisser , toujours prêts à poursuivre les honneurs et les plus hautes fonctions du ministère ecclésiastique dont les Anges eux-mêmes devraient craindre de se charger. Et cependant, Seigneur Jésus, à peine trouve-t-on pour marcher à votre suite quelqu'un qui veuille se laisser conduire , ou du moins traîner dans la voie de vos commandements. » Tout cela est de saint Bernard.
Vous voyez, par ce qui précède, que vous ne pouvez parvenir à la véritable gloire que par l'humilité , et que vous devez toujours fuir les faux honneurs du monde ; mais , parmi ces amateurs passionnés des sciences et des honneurs, quelques-uns peut-être se font, pour excuser leur ambition , un prétexte du salut des âmes qu'ils se flattent ainsi de gagner plus facilement à Dieu.
Écoutez la réponse que leur fait saint Bernard : (1) « Plaise à Dieu , dit-il , que ceux qui entrent ainsi dans la carrière des honneurs, s'acquittent, s'il était possible , de leurs fonctions avec autant de fidélité qu'ils ont mis de confiance à s'y ingérer. Toutefois il est difficile, peut-être même impossible , de voir le doux fruit de la charité sortir de la racine amère de l'ambition. » Tout ceci est encore de saint Bernard.
(1) Ser. ad Clerir.
Or, pour parvenir à cet indispensable mépris des honneurs , il faut toute la perfection d'une vertu suréminente. Car , comme le dit saint Chrysostome : « Il est aussi difficile de faire un bon usage des honneurs, que d'habiter avec une jeune fille d'une extrême beauté en s'imposant l'obligation de ne jeter jamais sur elle un regard impur. Il est donc indubitable qu'un homme parvenu au pouvoir ou à la gloire a besoin d'une grande force d'âme pour n'user de ces avantages que lorsque la nécessité l'exige. »
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: MÉDITATIONS SUR LA VIE JESUS-CHRIST TRADUITES DE SAINT BONAVENTURE - 14 eme siecle
CHAPITRE XXXVI.
COMMENT NOTRE SEIGNEUR PRIA SUR LA M0NTAGNE , ET APRÈS EN ÊTRE
DESCENDU MARCHA SUR LA MER. - CONSIDÉRATIONS SUR LA PRIÈRE.
Comme vous venez de le voir , Notre Seigneur Jésus-Christ commanda à ses Disciples d'entrer dans une barque, et monta seul sur la montagne (1). Achevons de dire ce que fit Notre Seigneur après la multiplication des pains, parce que cela fait suite au miracle, et que les choses rapportées dans ce chapitre et dans le précédent ont eu lieu simultanément. Toutefois je les ai séparées pour vous les faire mieux saisir et pour vous développer plus clairement les moralités qu'on en peut tirer.
(1) Marc, 6. — Joan., 17. — Matth. , 14.
Après donc que les Disciples se furent embarqués, Jésus se retira sur la montagne où il demeura en prières jusqu'à la quatrième veille de la nuit, c'est-à-dire jusqu'au moment où les trois quarts de la nuit étant écoulés, il n'en restait plus que la quatrième partie. Vous voyez par là que Notre Seigneur passait les nuits en prières ; et on lit en plusieurs endroits de l'Évangile qu'il s'est souvent appliqué à l'oraison. Considérez donc comment il prie et s'humilie devant son Père. Il cherche la solitude , il s'y rend seul , il se mortifie en y passant de longues heures. (1) Pasteur fidèle , il intercède pour ses brebis; comme notre avocat et notre médiateur auprès du Père , c'est pour nous qu'il prie et non pour lui-même.
Il prie encore pour nous donner l'exemple de la prière. Aussi en avait-il souvent fait à ses Disciples un précepte qu'il confirma par sa conduite. Car il leur disait qu'il faut toujours prier et ne jamais se lasser; leur apprenant , (2) par la parabole du juge et de la veuve rapportée en saint Luc , que la prière persévérante et même importune obtient tout ce que l'on demande. Il les encourageait aussi à espérer qu'ils obtiendraient tout ce qu'ils demanderaient en leur disant : (3) Demandez et vous recevrez ; leur proposant à ce sujet une autre comparaison , celle d'un homme qui , vaincu par l'importunité d'un ami , lui prête le pain dont il avait besoin (4), comme on le voit dans le même saint Luc.
(1) 1. Jean., 11. — (2) Luc, 18. — (3) Luc, 18. — (4) Luc, 11.
Et par là Jésus voulait nous faire connaître toute la puissance de la prière. En effet, rien de plus inestimable, rien de plus efficace pour obtenir ce qui nous est utile et pour détourner de nous tout ce qui pourrait nous nuire. Si vous voulez donc supporter patiemment l'adversité , soyez un homme de prière. Si vous voulez surmonter toutes les tentations et les tribulations , soyez un homme de prière. Si vous voulez détruire vos mauvais penchants , soyez un homme de prière. Si vous voulez découvrir les ruses de Satan et échapper à ses embûches , soyez un homme de prière.
Si vous voulez servir Dieu avec joie et marcher à grands pas dans la voie des peines et des afflictions , soyez un homme de prière. Si vous voulez pratiquer les exercices de la vie spirituelle et résister à tous les désirs de la chair, soyez un homme de prière. Si vous voulez arrêter les vaines pensées qui, comme des mouches, vous importunent sans cesse, soyez un homme de prière. Si vous voulez nourrir votre âme de bonnes pensées , de saints désirs , d'une pieuse ferveur , d'une tendre piété , soyez un homme de prière.
Si vous voulez que votre cœur s'affermisse avec autant de courage que de constance dans la résolution de plaire à Dieu en toutes choses , soyez un homme de prière. Enfin, si vous voulez déraciner en vous tous les vices et y faire fructifier toutes les vertus , soyez un homme de prière. C'est, en effet, dans la prière que l'on reçoit l'onction du Saint-Esprit qui nous instruit de toutes choses. J'ajoute que, pour s'élever à la contemplation et jouir des embrassements de l'Époux céleste, il faut aussi être un homme de prière. Car c'est dans l'exercice même de la prière que l'on se trouve conduit jusqu'à cette contemplation, jusqu'à ces extases qui sont un avant goût des délices célestes. Vous voyez toute la puissance , toute la vertu de la prière. Sans parler des témoignages de l'Écriture, une preuve très-forte qui confirme ce que je viens de dire , c'est que nous voyons et entendons dire tous les jours que des personnes fort simples et fort ignorantes obtiennent par la vertu de la prière toutes les grâces dont nous avons parlé ci-dessus et plusieurs autres faveurs encore plus importantes.
La prière doit donc être fort habituelle à tous ceux qui veulent imiter Jésus-Christ et particulièrement à tous les Religieux qui ont plus de temps à consacrer à ce saint exercice. C'est pourquoi je vous conjure, et, autant que je le puis , je vous recommande expressément de faire de la prière votre exercice principal, et, sauf les obligations in dispensables, de ne vous attacher qu'à la prière, parce que rien ne doit vous être plus agréable que de demeurer avec Notre Seigneur ; avantage que la prière seule peut nous procurer.
Mais, pour vous déterminer à cette pratique par l'avis d'un meilleur conseiller , écoutez ce que dit saint Bernard avec tant d'onction sur ce sujet. Voilà ses paroles : « (1) Ceux qui s'exercent fréquemment à l'oraison ont éprouvé ce que je vais dire. Il arrive souvent que l'on s'approche de l'autel, avec tiédeur et sécheresse ; on s'applique à la prière , on y persévère , et bientôt la grâce se répand en nous , le cœur se dilate , il est tout inondé des eaux de la piété , dont la douceur est comparable à celle du lait; et, si l'on tente d'en exprimer quelques gouttes, elles ne tarderont pas à couler avec abondance. » Saint Bernard dit encore dans son cinquième sermon sur le premier dimanche de carême (2) :
« Toutes les fois que je parle de la prière , il me semble entendre dans mon propre cœur ce murmure de la raison humaine. Comment se fait-il que, ne cessant jamais de prier, aucun de nous n'ait jamais expérimenté quel est le fruit de la prière ? Tels nous sommes venus à la prière, tels nous paraissons nous en retirer ; personne ne nous a répondu , personne ne nous a rien donné. Mais fiez-vous au jugement qu'en porte la foi, et non à votre expérience; car la foi ne nous trompe jamais et l'expérience est sujette à l'erreur. Or en quoi consiste la certitude de la foi, sinon dans cette promesse du Fils de Dieu, : (3) Tout ce que vous demanderez dans la prière , croyez que vous l'obtiendrez, et vous l'obtiendrez en effet.
(1) Bern.,sup. Cant. 9. — (2) Bern., Serm. S. de Quad. — (3) Marc, 11.
Qu'aucun de vous mes frères, ne s'avise de faire peu de cas de la prière. Car je vous assure que Celui auquel nous l'adressons , l'estime beaucoup. Avant même qu'elle soit échappée de nos lèvres , il la fait écrire dans son livre. Et nous pouvons compter avec certitude qu'il arrivera l'une de ces deux choses : ou nous recevrons ce que nous demandons , ou Dieu nous donnera ce qu'il sait nous être plus utile encore. Car nous ne savons pas ce qu'il nous convient de demander, mais il a pitié de notre ignorance, et, recevant avec bonté notre prière , il nous refuse tout ce qui ne nous est pas absolument nécessaire, ou qu'il ne faut pas nous accorder sitôt; toutefois, notre prière ne demeure pas infructueuse. Rien de plus certain , si , suivant le conseil du Psalmiste , nous mettons nos délices dans le Seigneur.
Le roi David en effet dit : (1) Mettez vos délices dans le Seigneur, et il exaucera tous les désirs de votre coeur. Saint Bernard ajoute peu après :
« Mais remarquez qu'il appelle désirs du cœur ceux qui sont ratifiés au tribunal de la raison.
(1) Ps. 36.
Ainsi , au lieu de vous plaindre, remerciez Dieu de tout votre cœur, puisqu'il veille avec tant de soins à vos intérêts que toutes les fois que , par ignorance , vous lui demandez des choses inutiles, il vous les refuse et vous donne en échange ce qui peut vous être le plus avantageux. C'est ainsi qu'un père , selon la chair, donne volontiers à son fils le pain qu'il lui demande ; mais si l'enfant veut avoir un couteau, le père le jugeant inutile, le lui refuse, aimant mieux couper lui-même le pain qu'il lui a donné. Or, je crois que notre cœur n'a que trois demandes à faire, et je ne comprends pas ce qu'un vrai chrétien peut désirer de plus. Deux de ces demandes regardent le temps présent : ce sont les biens de notre corps et ceux de notre âme ; la troisième a pour objet le bonheur de la vie éternelle. Et ne vous étonnez point de m'entendre dire qu'il faut demander à Dieu les biens du corps , parce que c'est de lui que nous viennent et tous les biens du corps et tous ceux de l'âme.
Il faut donc lui demander et espérer qu'il nous accordera tout ce qui peut nous soutenir dans la fidélité à son service. Cependant , à l'égard des besoins de l'âme , qui sont la grâce et l'acquisition des vertus , il faut , pour les obtenir, les demander avec plus de ferveur et d'assiduité. Ainsi nous devons demander avec toute la piété et toute l'ardeur dont nous sommes capables, la vie éternelle dans laquelle notre corps et notre âme jouiront indubitablement d'une félicité parfaite.»
Saint Bernard dit ensuite : « Lors donc que vous demandez des choses temporelles , bornez-vous aux choses nécessaires; lorsque vous demandez les vertus de l'âme , faites-le avec une grande pureté d'intention, ne cherchant que le bon plaisir de Dieu; lorsque vous demandez les biens de la vie éternelle, priez avec beaucoup d'humilité, n'attendant rien que de la miséricorde de Dieu. » Saint Bernard dit encore : (1) « Celui qui veut prier doit observer et le lieu et le temps. Le temps le plus commode et le plus convenable est celui des Fêtes , et surtout le moment de la nuit où le sommeil de tout ce qui respire est indiqué par un silence universel ; c'est alors indubitablement que la prière s'exalte et plus libre et plus pure. (2) Levez-vous donc dans les premières veilles de la nuit , et que votre cœur, comme une eau limpide , s'épanche sous les yeux » du Seigneur votre Dieu.
(1) Ser. 86. Sup. cant. — (2) Thren. 2, S.
Avec quelle confiance la prière s'élève pendant la nuit, lorsqu'on n'a pour témoin que Dieu et l'Ange saint qui la reçoit pour la présenter sur l'autel du Ciel ! Que de charmes , que de lumières l'embellissent ! Elle ressemble à une vierge dont la chaste pudeur a coloré le front. Quelle est calme et paisible ! aucune voix , aucun bruit ne vient l'interrompre. Enfin, quelle est pure et sincère ! la poussière des sollicitudes de la terre ne ternit point son éclat ; sans témoin , elle n'est point exposée à la tentation des louanges ou de la flatterie. Voilà pourquoi l'Épouse des sacrés Cantiques cherchait, avec autant de pudeur que de discrétion , le secret de la solitude et de la nuit afin d'y prier , c'est-à-dire d'y chercher le Verbe éternel.
C'est en effet une même chose. On prie donc mal quand on cherche, en priant , autre chose que le Verbe, ou quelque chose que l'on ne recherche pas pour le Verbe, parce qu'il renferme tous les biens. Nous trouvons en lui des remèdes pour toutes nos plaies , des secours pour tous nos besoins, des soulagements pour toutes nos misères , la plénitude de tous les biens , enfin tout ce qu'il convient , tout ce qu'il est avantageux, tout ce qu'il est indispensable à chacun de recevoir ou de posséder. C'est donc à tort que nous demandons au Verbe autre chose que lui, puisqu'il est lui-même toutes choses ; car, bien que dans nos besoins, nous paraissions demander plus familièrement les biens temporels , si , comme il convient , c'est à cause du Verbe que nous les demandons , ce ne sont pas certainement ces biens que nous cherchons , mais plutôt celui en vue de qui nous les sollicitons. »
Là finit saint Bernard. Vous venez d'entendre les belles paroles du grand contemplatif saint Bernard qui a si souvent expérimenté la douceur de la prière; méditez-les à votre aise, afin de les mieux goûter. Or, si j'insère et rapporte volontiers ses paroles dans cet ouvrage, ce n'est pas seulement parce qu'elles élèvent l'esprit et pénètrent le cœur, mais c'est qu'elles sont pleines de charme et très propres à exciter au service de Dieu. Car saint Bernard joignait à la plus grande éloquence la plénitude de l'Esprit de sagesse et la sainteté la plus éminente. Je désire que vous l'imitiez et que vous mettiez en pratique ses avis et ses leçons. C'est dans cette vue que je le cite si souvent.
Mais revenons à Notre Seigneur Jésus-Christ. Pendant qu'il priait sur la montagne , ses Disciples sur la mer étaient fort affligés et dans la plus grande anxiété, car le vent leur était contraire et leur barque était agitée par les flots et par la tempête. Fixez donc vos regards sur eux, ayez-en compassion , ils sont pleins de trouble et d'angoisse. La tempête est venue fondre sur eux , ils sont au milieu de la nuit et privés de leur divin Maître. Cependant, à la quatrième veille de la nuit, le Seigneur descendit de la montagne et s'approcha d'eux en marchant sur la mer. Considérez-le donc attentivement ici , je vous prie , et voyez comment, après les fatigues d'une longue veille et d'une prière prolongée, il descend seul et nu-pieds d'une montagne escarpée et peut-être raboteuse, et comment il s'avance sur les flots d'un pas aussi ferme que s'il eût marché sur la terre. La Créature reconnut donc son Créateur. Or, (1) lorsque Jésus approchait de la barque , les Disciples , frappés de terreur, poussèrent un cri, croyant que c'était un fantôme; mais leur bon Maître, ne voulant point les laisser plus longtemps dans le trouble où il les voyait, les rassura par ces paroles : C'est moi, ne craignez rien.
(1) Matth., 14.
Alors Pierre, sur l'ordre que lui en donna Jésus , plein de confiance en la puissance de son divin Maître, se mit aussi lui-même à marcher sur la mer ; puis , ayant chancelé , il commençait à enfoncer, mais le Seigneur lui tendit la main pour le soutenir sur les eaux. Or, à cette occasion, on lit dans la Glose : « Jésus fait marcher saint Pierre sur la mer pour montrer sa puissance divine ; il permet qu'il enfonce pour lui rappeler sa faiblesse , pour qu'il ne se croie pas égal à Dieu , pour le préserver de l'orgueil. Cependant Notre Seigneur entre dans la barque; à l`instant la tempête cesse et il se fait partout un grand calme.
Les Disciples le reçurent avec respect; ils furent remplis de la joie la plus vive et ils demeurèrent dans une grande paix. Observez bien Jésus et ses Disciples dans toutes les circonstances qui précèdent ; ces détails sont pleins d'intérêt et d'édification. Vous pouvez donc ici moralement considérer que Notre Seigneur nous traite tous les jours spirituellement comme il a traité ses Apôtres; il souffre, il permet que, dans ce monde, ses élus soient affligés tant intérieurement qu'extérieurement , châtiant ainsi tous ceux qu'il adopte pour ses enfants. Car, suivant l'Apôtre : (1) Tous ceux que Dieu excepte du châtiment sont des bâtards et non pas ses enfants.
Il nous est donc avantageux d'éprouver ici-bas des tribulations et des afflictions; car elles nous instruisent, elles nous font acquérir des vertus, elles conservent celles que nous avons acquises, et, ce qui est plus important encore, elles nous méritent et nous font espérer les récompenses éternelles.
(1) Héb., 12.
Ainsi il ne faut.ni nous en laisser abattre, ni les souffrir avec impatience , mais plutôt les désirer et les aimer. Toutefois, comme on ignore assez généralement la grande utilité des afflictions , que plusieurs les trouvent pesantes et insupportables , pour votre instruction et pour vous exciter à soutenir ces épreuves avec patience , je vais , suivant mon habitude , mettre sous vos yeux les paroles de saint Bernard. Les voici : (1) La tribulation utile est celle qui produit l'épreuve et conduit à la gloire , selon ces paroles : Je suis avec lui dans la tribulation, etc.
Rendons grâces au Père des miséricordes de ce qu'il est avec nous dans l'affliction et qu'il nous console dans toutes nos tribulations. Je le répète , c'est vraiment une chose nécessaire que d'être dans une tribulation qui se tourne en gloire, qui se change en joie, en une joie éternelle que personne ne pourra nous ravir, en une joie abondante et multipliée, pleine et parfaite. C'est une chose nécessaire que cette nécessité elle-même qui nous méritera la couronne de la gloire. Mes frères , ne dédaignons pas la tribulation ; cette semence paraît méprisable , mais elle produira de grands fruits ; cette semence est insipide , elle est pleine d'amertume , c'est le grain de sénevé de l'Évangile. Ne nous attachons point aux qualités extérieures , mais à la vertu cachée de cette semence ; car ce qui frappe les sens est temporel , ce qui leur échappe est éternel. »
Saint Bernard continue en ces termes : (2) Je suis avec lui dans la tribulation , dit le Seigneur ; je mettrai donc toute ma joie dans les afflictions. (3) Tout mon bonheur est de m'attacher à Dieu , de m'y attacher et même de mettre en lui toutes mes espérances, puisqu'il a dit : Je le délivrerai et je le comblerai de gloire. Je suis avec lui dans la tribulation, (4) car mes délices , dit-il ailleurs, sont d'être avec les enfants des hommes.
(1) Bern., Serm. 17., super. Qui habitat. — (2) Psal., 90. — (3) Psal., 72. — (4) Prov., 8.
Il est descendu du Ciel pour s'approcher de ceux dont le cœur est affligé, pour être avec nous dans les calamités de cette vie. Mais viendra le moment où nous serons emportés sur les nuées pour aller , au milieu des airs , au-devant de Jésus-Christ; et alors nous serons pour toujours avec le Seigneur, si , en attendant , nous nous appliquons avec soin à le retenir toujours au milieu de nous. Seigneur, il est donc plus avantageux pour moi de souffrir avec vous que d'occuper un trône sans vous , de nager sans vous dans les délices et d'être glorifié sans vous.
(1) Le vase du potier s'éprouve au feu de la fournaise, comme le juste à celui de la tribulation. Pourquoi craindre , pourquoi hésiter, pourquoi fuir à la vue de cette fournaise? L'épreuve est terrible , il est vrai, mais le Seigneur est avec nous dans la tribulation. Or si Dieu est avec nous, qui sera contre nous ? Et pourtant , s'il nous délivre , qui pourra nous arracher de ses mains toutes-puissantes ? Enfin si nous sommes glorifiés par lui, qui pourra nous humilier? »
Le même saint Bernard dit ailleurs : a (2) Glorifions-nous donc non-seulement dans le temps de l'espérance, mais aussi dans celui de la tribulation. (3) Je prendrai plaisir, dit saint Paul, à me glorifier dans ma faiblesse, pour que la vertu de Jésus-Christ demeure toujours en moi. Rien de plus désirable qu'une telle faiblesse que compense si abondamment la vertu de Jésus. Qui me donnera cet affaiblissement ou plutôt cette défaillance, cet anéantissement parfait , pour mériter d'être à jamais inébranlable par la vertu du Seigneur des vertus? Car la vertu se perfectionne dans l'infirmité, ce qui a fait dire à l'Apôtre : « (4) Quand je suis infirme, c'est alors que je suis fort et puissant. »
(1) Eccl., 27. — (2) Bern., Serm. 25, sup. Cant. — (3) 2 Cor., 12. — (4) 2 Cor., 12.
Saint Bernard dit encore autre part : « (1) L'Épouse des sacrés cantiques ne dit pas de son Bien-Aimé que c'est un faisceau, mais un bouquet de myrrhe , parce que son amour lui fait regarder comme légères toutes les fatigues et toutes les peines qu'elle pourrait avoir à redouter à son service. » Et en effet c'est un bouquet, un fardeau léger, que cet (2) Enfant qui nous est né. C'est un fardeau léger, car (3) les souffrances de la vie présente n`ont aucune proportion avec cette gloire qui doit se manifester un jour pour nous, « En effet, dit saint Paul, (4) ce que nous avons à souffrir dans le temps présent est léger, ne dure qu'un moment, et cette courte épreuve nous mérite un poids éternel de souveraine et incomparable gloire.
Ce qui donc maintenant n'est pas plus pesant qu'un bouquet de myrrhe doit un jour nous accabler d'un poids immense de gloire. Ce bouquet ne représente-t-il-donc pas Celui qui a dit : Que son joug est doux et son fardeau léger? Ce n'est pas que ce joug soit léger en lui-même (car l'âpreté des souffrances , ni l'amertume de la mort ne sont pas peu de chose) ; mais ce joug est léger pour celui qui aime. »
Saint Bernard dit aussi sur ce verset : (5) Mille ennemis tomberont à notre droite, etc. a (6) Si nous considérons le grand corps de l'Église, nous reconnaîtrons aisément que, parmi ses membres , les hommes spirituels sont attaqués avec bien plus de violence que les charnels ; et ce désordre doit être attribué à la malice superbe et jalouse de Satan ( l`ange déchu) qui le porte à tourmenter avec plus de violence les plus parfaits , selon cette parole de l'Écriture : (7) Il lui faut une nourriture exquise.
(1) Serm. 43, sup. Gant. — (2) Isaï , 9. — (3) Rom., 6. — (4) Psal., 90. — (5) Bern., super psalm. Qui habitat, 7. — (6) 2. Cor., 14. — (7) Abac, 1.
Telle est la conduite de Satan ; et ce n'est pas sans une dispensation particulière de la sagesse de Dieu , qui ne permet pas que les plus imparfaits soient tentés au-dessus de leurs forces, leur faisant même tirer beaucoup de fruits de la tentation , et qui prépare ainsi aux plus parfaits de plus glorieux et de plus nombreux triomphes. Car nous voyons que l'ennemi du salut met beaucoup plus de soin , emploie beaucoup plus de ruses à porter des coups à notre droite, la plus noble partie de nous-mêmes , qu'à notre gauche , qui lui est inférieure , s'appliquant ainsi beaucoup plus à la ruine de notre âme qu'à celle de notre corps. »
Saint Bernard dit plus bas : « Il faut opposer une vigoureuse résistance là ou le danger est plus pressant , où l'ennemi semble concentrer toutes ses forces , où se doivent terminer tous les combats dont l'issue nous prépare , si nous sommes vaincus , la plus humiliante captivité , et si nous sommes vainqueurs , le plus glorieux triomphe. »
Saint Bernard ajoute : « Enfin , telle est la bonté et la miséricorde de Dieu envers ses serviteurs , telle est sa conduite à l'égard de ses Élus que, tandis qu'il semble négliger le soin de leur gauche ou de leur corps , il ne cesse d'assister leur droite ou leur âme par tous les soins d'une protection particulière; ce qu'atteste le prophète quand il dit : (1) Je marchais toujours en la présence du Seigneur, car il est à ma droite afin que rien ne puisse m'ébranler. » Saint Bernard dit peu après : « 0 bon Jésus ! soyez toujours à mes côtés, tenez-moi toujours par la main droite!
(1) Ps. 18.
Car j'ai la confiance et même la certitude que , si je ne suis esclave d'aucune iniquité, aucune adversité n'est à craindre pour moi. Que l'on me frappe , que l'on m'écrase , que l`on m'outrage, que l'on me couvre d'opprobres, j'ex- pose de bon cœur à tous les coups mon corps ou mon côté gauche, pourvu que vous soyez toujours mon défenseur, pourvu que vous couvriez toujours de votre protection ma main droite , figure de mon âme ( 1) !
Le même saint Bernard dit ailleurs : «Il y a pour l'âme une différence entre céder à l'empire de la force et se laisser conduire par la sagesse; entre agir en tout avec énergie et faire le bien à cause de la douceur qu'on y goûte. Et en effet, bien que l'énergie s'allie toujours avec la sagesse , et la douceur avec la force , cependant, pour donner à chaque expression son véritable sens , reconnaissons que la force c'est l'énergie de l'âme, et la sagesse le calme de l'esprit, toujours accompagné d'une certaine douceur spirituelle. Il me semble que l'Apôtre saint Paul avait en vue la sagesse, lorsqu’ après plusieurs exhortations relatives à la vertu il ajoute , en ce qui concerne la sagesse , qu'elle est dans la douceur du Saint-Esprit. Ainsi, résister courageusement, repousser la violence avec énergie , ces actes qui très-certainement caractérisent la force , sont à coup sûr fort honorables , mais ils sont pénibles.
Car, défendre laborieusement votre honneur ou bien en jouir en paix , ce n'est pas du tout la même chose ; agir avec force ou recueillir les fruits de cette vertu , ce sont deux choses fort différentes. Tout ce qui est travail pour la force est jouissance pour la sagesse , et tout ce que la sagesse dispose , arrête et règle , la force l'exécute. (2) Écrivez les règles de la sagesse au temps de votre repos, dit le Sage. Or, quand le Sage se repose , il travaille encore , et plus il paraît inoccupé , plus il s'exerce à sa manière.
(1) Serm. 88, sup. cant. — (2) Eccles., 38.
D'un autre côté, l'exercice donnant à la force un plus vif éclat, celle-ci obtient d'autant plus d'estime qu'elle se montre plus active. Dire que la sagesse n'est autre chose que l'amour de la force ou de la vertu, c'est, à mon avis, en donner la véritable définition. Car la où est l'amour, il n'y a plus peine, il n'y a qu'agréable saveur. Peut-être même que sagesse ou savoir dérive de saveur , comme si elle unissait à la force un assaisonnement et donnait une certaine saveur à cette vertu , qui, par elle-même, semblerait en quelque sorte insipide et rebutante. Et je pense que l'on ne pourrait blâmer celui qui, pour définir la sagesse , dirait que c'est le goût ou la saveur du bien. »
Le même auteur dit plus bas : Ainsi , supporter courageusement les tribulations , c'est le propre de la force : la sagesse seule peut les souffrir avec joie. La force affermit le cœur et sait attendre Dieu; il n'appartient qu'à la sagesse de (1) voir et de goûter combien le Seigneur est doux. Et comme pour manifester plus clairement l'une et l'autre disposition par les qualités naturelles, la modération fait connaître la sagesse , la constance est l'indice de la force. Ce n'est pas sans raison que nous parlons de la sagesse après la force , puisque celle-ci peut être considérée comme un fondement inébranlable sur lequel la sagesse établit sa demeure. »
(2) Heureux, dit encore le même Père, celui qui dans ses afflictions rapporte tout aux règles de la justice, de sorte que l'amour du Fils de Dieu lui faisant accepter ce qu'il souffre, son cœur ne laisse échapper aucun murmure, ses lèvres ne prononcent que des action de grâces et des cantiques de louanges.
(1) Psal., 32. — (2) Sernj. de pass. Dom. in ferià 4 hebdom proenosae.
Celui qui s'élève à cette hauteur, voilà l'homme dont il est dit qu'il emporte avec lui son lit et se retire dans sa maison. Notre lit c'est notre chair dans laquelle la tiédeur nous tenait mollement ensevelis lorsque nous étions assujétis à ses désirs et à ses convoitises. Nous emportons avec nous ce lit, si nous soumettons la chair à l'esprit. » Enfin saint Bernard dit encore (1) : « Le Saint-Esprit multiplie admirablement ses opérations , puisque Dieu l'inspire aux enfants des hommes de tant de manières différentes que nul ne peut se soustraire à ses brûlantes ardeurs. En effet, il leur est donné pour leurs besoins , pour opérer des miracles , faire leur salut, les secourir, les consoler, animer et soutenir leur ferveur. J'ai dit qu'il est donné pour tous les besoins de la vie , parce qu'il répand sur les bons et sur les méchants, sur ceux qui le méritent aussi bien que sur ceux qui en sont indignes , les biens communs à tous avec une telle profusion qu'il semble ne garder aucune règle de discrétion. C'est être bien ingrat que de méconnaître la bonté du Saint-Esprit dans l'effusion de ces grâces générales.
J'ai dit pour faire des miracles, dans les merveilles et les prodiges , dans les divers actes de puissance surnaturelle qu'il opère par toutes sortes de personnes. C'est lui qui renouvelle les miracles des temps anciens , afin que la foi de ceux que nous n'avons pas vus soit confirmée par les prodiges dont nous sommes les témoins. Mais aussi, comme le Saint-Esprit accorde cette grâce à plusieurs personnes qui n'en recueillent souvent pour eux-mêmes aucune utilité particulière, je dis en troisième lieu que le Saint-Esprit nous est donné pour notre salut , ce qui arrive lorsque nous revenons à Dieu de tout notre cœur.
(1) Srrm. 3. de Pentec.
Le Saint-Esprit nous est encore donné pour nous secourir, lorsque dans tous nos combats il vient à l'aide de notre faiblesse. De plus , lorsqu'il nous rend intérieurement témoignage que nous sommes les enfants de Dieu , il nous est donné pour notre consolation. Enfin , il est donné pour animer et soutenir la ferveur lorsque, répandant avec impétuosité son souffle divin dans les âmes les plus parfaites , il y allume un si vaste incendie de charité que nous nous glorifions non-seulement en l'espérance que nous donne la qualité d'enfants de Dieu , mais encore en toutes nos tribulations, voyant dans les affronts un titre de gloire, dans les opprobres un motif de joie, dans les mépris le gage de notre grandeur future.
Si je ne me trompe, la grâce qui est nécessaire au salut, nous a également été accordée à tous; il n'en est pas de même de l'esprit de ferveur ; car il y en a peu qui en soient remplis, peu qui se montrent jaloux de l'acquérir. Nous nous contentons du peu que nous en avons , sans faire aucun effort pour parvenir à cette liberté des enfants de Dieu , sans même soupirer après un état si désirable. » Tout ceci est de saint Bernard.
Vous voyez par quels nombreux et puissants motifs cet éloquent auteur essaie de nous montrer combien les tribulations nous sont utiles. Ne vous étonnez donc pas en voyant que Notre Seigneur Jésus- Christ permet à la tempête de tourmenter ses Disciples qui lui étaient si chers ; car il savait les avantages qu'ils pouvaient retirer de cette épreuve. L'Évangile rapporte bien que la barque qui les portait fut souvent et de diverses manières agitée par les flots et par les vents contraires , mais on n'y lit point qu'elle fut jamais submergée. Après ces observations , apprenez donc à affermir et à régler les sentiments de votre cœur, afin que lorsqu'il vous arrivera d'éprouver quelques malheurs ou quelques déplaisirs, vous demeuriez dans la patience et dans la joie , et que vous vous appliquiez à marcher si fidèlement dans la voie du Saint- Esprit que , toute remplie de la ferveur qui vient de lui , vous alliez jusqu'à désirer de souffrir pour l'amour de Jésus qui , par sa vie et celle de ses fidèles serviteurs , vous enseigne à le suivre dans une voie si parfaite.
COMMENT NOTRE SEIGNEUR PRIA SUR LA M0NTAGNE , ET APRÈS EN ÊTRE
DESCENDU MARCHA SUR LA MER. - CONSIDÉRATIONS SUR LA PRIÈRE.
Comme vous venez de le voir , Notre Seigneur Jésus-Christ commanda à ses Disciples d'entrer dans une barque, et monta seul sur la montagne (1). Achevons de dire ce que fit Notre Seigneur après la multiplication des pains, parce que cela fait suite au miracle, et que les choses rapportées dans ce chapitre et dans le précédent ont eu lieu simultanément. Toutefois je les ai séparées pour vous les faire mieux saisir et pour vous développer plus clairement les moralités qu'on en peut tirer.
(1) Marc, 6. — Joan., 17. — Matth. , 14.
Après donc que les Disciples se furent embarqués, Jésus se retira sur la montagne où il demeura en prières jusqu'à la quatrième veille de la nuit, c'est-à-dire jusqu'au moment où les trois quarts de la nuit étant écoulés, il n'en restait plus que la quatrième partie. Vous voyez par là que Notre Seigneur passait les nuits en prières ; et on lit en plusieurs endroits de l'Évangile qu'il s'est souvent appliqué à l'oraison. Considérez donc comment il prie et s'humilie devant son Père. Il cherche la solitude , il s'y rend seul , il se mortifie en y passant de longues heures. (1) Pasteur fidèle , il intercède pour ses brebis; comme notre avocat et notre médiateur auprès du Père , c'est pour nous qu'il prie et non pour lui-même.
Il prie encore pour nous donner l'exemple de la prière. Aussi en avait-il souvent fait à ses Disciples un précepte qu'il confirma par sa conduite. Car il leur disait qu'il faut toujours prier et ne jamais se lasser; leur apprenant , (2) par la parabole du juge et de la veuve rapportée en saint Luc , que la prière persévérante et même importune obtient tout ce que l'on demande. Il les encourageait aussi à espérer qu'ils obtiendraient tout ce qu'ils demanderaient en leur disant : (3) Demandez et vous recevrez ; leur proposant à ce sujet une autre comparaison , celle d'un homme qui , vaincu par l'importunité d'un ami , lui prête le pain dont il avait besoin (4), comme on le voit dans le même saint Luc.
(1) 1. Jean., 11. — (2) Luc, 18. — (3) Luc, 18. — (4) Luc, 11.
Et par là Jésus voulait nous faire connaître toute la puissance de la prière. En effet, rien de plus inestimable, rien de plus efficace pour obtenir ce qui nous est utile et pour détourner de nous tout ce qui pourrait nous nuire. Si vous voulez donc supporter patiemment l'adversité , soyez un homme de prière. Si vous voulez surmonter toutes les tentations et les tribulations , soyez un homme de prière. Si vous voulez détruire vos mauvais penchants , soyez un homme de prière. Si vous voulez découvrir les ruses de Satan et échapper à ses embûches , soyez un homme de prière.
Si vous voulez servir Dieu avec joie et marcher à grands pas dans la voie des peines et des afflictions , soyez un homme de prière. Si vous voulez pratiquer les exercices de la vie spirituelle et résister à tous les désirs de la chair, soyez un homme de prière. Si vous voulez arrêter les vaines pensées qui, comme des mouches, vous importunent sans cesse, soyez un homme de prière. Si vous voulez nourrir votre âme de bonnes pensées , de saints désirs , d'une pieuse ferveur , d'une tendre piété , soyez un homme de prière.
Si vous voulez que votre cœur s'affermisse avec autant de courage que de constance dans la résolution de plaire à Dieu en toutes choses , soyez un homme de prière. Enfin, si vous voulez déraciner en vous tous les vices et y faire fructifier toutes les vertus , soyez un homme de prière. C'est, en effet, dans la prière que l'on reçoit l'onction du Saint-Esprit qui nous instruit de toutes choses. J'ajoute que, pour s'élever à la contemplation et jouir des embrassements de l'Époux céleste, il faut aussi être un homme de prière. Car c'est dans l'exercice même de la prière que l'on se trouve conduit jusqu'à cette contemplation, jusqu'à ces extases qui sont un avant goût des délices célestes. Vous voyez toute la puissance , toute la vertu de la prière. Sans parler des témoignages de l'Écriture, une preuve très-forte qui confirme ce que je viens de dire , c'est que nous voyons et entendons dire tous les jours que des personnes fort simples et fort ignorantes obtiennent par la vertu de la prière toutes les grâces dont nous avons parlé ci-dessus et plusieurs autres faveurs encore plus importantes.
La prière doit donc être fort habituelle à tous ceux qui veulent imiter Jésus-Christ et particulièrement à tous les Religieux qui ont plus de temps à consacrer à ce saint exercice. C'est pourquoi je vous conjure, et, autant que je le puis , je vous recommande expressément de faire de la prière votre exercice principal, et, sauf les obligations in dispensables, de ne vous attacher qu'à la prière, parce que rien ne doit vous être plus agréable que de demeurer avec Notre Seigneur ; avantage que la prière seule peut nous procurer.
Mais, pour vous déterminer à cette pratique par l'avis d'un meilleur conseiller , écoutez ce que dit saint Bernard avec tant d'onction sur ce sujet. Voilà ses paroles : « (1) Ceux qui s'exercent fréquemment à l'oraison ont éprouvé ce que je vais dire. Il arrive souvent que l'on s'approche de l'autel, avec tiédeur et sécheresse ; on s'applique à la prière , on y persévère , et bientôt la grâce se répand en nous , le cœur se dilate , il est tout inondé des eaux de la piété , dont la douceur est comparable à celle du lait; et, si l'on tente d'en exprimer quelques gouttes, elles ne tarderont pas à couler avec abondance. » Saint Bernard dit encore dans son cinquième sermon sur le premier dimanche de carême (2) :
« Toutes les fois que je parle de la prière , il me semble entendre dans mon propre cœur ce murmure de la raison humaine. Comment se fait-il que, ne cessant jamais de prier, aucun de nous n'ait jamais expérimenté quel est le fruit de la prière ? Tels nous sommes venus à la prière, tels nous paraissons nous en retirer ; personne ne nous a répondu , personne ne nous a rien donné. Mais fiez-vous au jugement qu'en porte la foi, et non à votre expérience; car la foi ne nous trompe jamais et l'expérience est sujette à l'erreur. Or en quoi consiste la certitude de la foi, sinon dans cette promesse du Fils de Dieu, : (3) Tout ce que vous demanderez dans la prière , croyez que vous l'obtiendrez, et vous l'obtiendrez en effet.
(1) Bern.,sup. Cant. 9. — (2) Bern., Serm. S. de Quad. — (3) Marc, 11.
Qu'aucun de vous mes frères, ne s'avise de faire peu de cas de la prière. Car je vous assure que Celui auquel nous l'adressons , l'estime beaucoup. Avant même qu'elle soit échappée de nos lèvres , il la fait écrire dans son livre. Et nous pouvons compter avec certitude qu'il arrivera l'une de ces deux choses : ou nous recevrons ce que nous demandons , ou Dieu nous donnera ce qu'il sait nous être plus utile encore. Car nous ne savons pas ce qu'il nous convient de demander, mais il a pitié de notre ignorance, et, recevant avec bonté notre prière , il nous refuse tout ce qui ne nous est pas absolument nécessaire, ou qu'il ne faut pas nous accorder sitôt; toutefois, notre prière ne demeure pas infructueuse. Rien de plus certain , si , suivant le conseil du Psalmiste , nous mettons nos délices dans le Seigneur.
Le roi David en effet dit : (1) Mettez vos délices dans le Seigneur, et il exaucera tous les désirs de votre coeur. Saint Bernard ajoute peu après :
« Mais remarquez qu'il appelle désirs du cœur ceux qui sont ratifiés au tribunal de la raison.
(1) Ps. 36.
Ainsi , au lieu de vous plaindre, remerciez Dieu de tout votre cœur, puisqu'il veille avec tant de soins à vos intérêts que toutes les fois que , par ignorance , vous lui demandez des choses inutiles, il vous les refuse et vous donne en échange ce qui peut vous être le plus avantageux. C'est ainsi qu'un père , selon la chair, donne volontiers à son fils le pain qu'il lui demande ; mais si l'enfant veut avoir un couteau, le père le jugeant inutile, le lui refuse, aimant mieux couper lui-même le pain qu'il lui a donné. Or, je crois que notre cœur n'a que trois demandes à faire, et je ne comprends pas ce qu'un vrai chrétien peut désirer de plus. Deux de ces demandes regardent le temps présent : ce sont les biens de notre corps et ceux de notre âme ; la troisième a pour objet le bonheur de la vie éternelle. Et ne vous étonnez point de m'entendre dire qu'il faut demander à Dieu les biens du corps , parce que c'est de lui que nous viennent et tous les biens du corps et tous ceux de l'âme.
Il faut donc lui demander et espérer qu'il nous accordera tout ce qui peut nous soutenir dans la fidélité à son service. Cependant , à l'égard des besoins de l'âme , qui sont la grâce et l'acquisition des vertus , il faut , pour les obtenir, les demander avec plus de ferveur et d'assiduité. Ainsi nous devons demander avec toute la piété et toute l'ardeur dont nous sommes capables, la vie éternelle dans laquelle notre corps et notre âme jouiront indubitablement d'une félicité parfaite.»
Saint Bernard dit ensuite : « Lors donc que vous demandez des choses temporelles , bornez-vous aux choses nécessaires; lorsque vous demandez les vertus de l'âme , faites-le avec une grande pureté d'intention, ne cherchant que le bon plaisir de Dieu; lorsque vous demandez les biens de la vie éternelle, priez avec beaucoup d'humilité, n'attendant rien que de la miséricorde de Dieu. » Saint Bernard dit encore : (1) « Celui qui veut prier doit observer et le lieu et le temps. Le temps le plus commode et le plus convenable est celui des Fêtes , et surtout le moment de la nuit où le sommeil de tout ce qui respire est indiqué par un silence universel ; c'est alors indubitablement que la prière s'exalte et plus libre et plus pure. (2) Levez-vous donc dans les premières veilles de la nuit , et que votre cœur, comme une eau limpide , s'épanche sous les yeux » du Seigneur votre Dieu.
(1) Ser. 86. Sup. cant. — (2) Thren. 2, S.
Avec quelle confiance la prière s'élève pendant la nuit, lorsqu'on n'a pour témoin que Dieu et l'Ange saint qui la reçoit pour la présenter sur l'autel du Ciel ! Que de charmes , que de lumières l'embellissent ! Elle ressemble à une vierge dont la chaste pudeur a coloré le front. Quelle est calme et paisible ! aucune voix , aucun bruit ne vient l'interrompre. Enfin, quelle est pure et sincère ! la poussière des sollicitudes de la terre ne ternit point son éclat ; sans témoin , elle n'est point exposée à la tentation des louanges ou de la flatterie. Voilà pourquoi l'Épouse des sacrés Cantiques cherchait, avec autant de pudeur que de discrétion , le secret de la solitude et de la nuit afin d'y prier , c'est-à-dire d'y chercher le Verbe éternel.
C'est en effet une même chose. On prie donc mal quand on cherche, en priant , autre chose que le Verbe, ou quelque chose que l'on ne recherche pas pour le Verbe, parce qu'il renferme tous les biens. Nous trouvons en lui des remèdes pour toutes nos plaies , des secours pour tous nos besoins, des soulagements pour toutes nos misères , la plénitude de tous les biens , enfin tout ce qu'il convient , tout ce qu'il est avantageux, tout ce qu'il est indispensable à chacun de recevoir ou de posséder. C'est donc à tort que nous demandons au Verbe autre chose que lui, puisqu'il est lui-même toutes choses ; car, bien que dans nos besoins, nous paraissions demander plus familièrement les biens temporels , si , comme il convient , c'est à cause du Verbe que nous les demandons , ce ne sont pas certainement ces biens que nous cherchons , mais plutôt celui en vue de qui nous les sollicitons. »
Là finit saint Bernard. Vous venez d'entendre les belles paroles du grand contemplatif saint Bernard qui a si souvent expérimenté la douceur de la prière; méditez-les à votre aise, afin de les mieux goûter. Or, si j'insère et rapporte volontiers ses paroles dans cet ouvrage, ce n'est pas seulement parce qu'elles élèvent l'esprit et pénètrent le cœur, mais c'est qu'elles sont pleines de charme et très propres à exciter au service de Dieu. Car saint Bernard joignait à la plus grande éloquence la plénitude de l'Esprit de sagesse et la sainteté la plus éminente. Je désire que vous l'imitiez et que vous mettiez en pratique ses avis et ses leçons. C'est dans cette vue que je le cite si souvent.
Mais revenons à Notre Seigneur Jésus-Christ. Pendant qu'il priait sur la montagne , ses Disciples sur la mer étaient fort affligés et dans la plus grande anxiété, car le vent leur était contraire et leur barque était agitée par les flots et par la tempête. Fixez donc vos regards sur eux, ayez-en compassion , ils sont pleins de trouble et d'angoisse. La tempête est venue fondre sur eux , ils sont au milieu de la nuit et privés de leur divin Maître. Cependant, à la quatrième veille de la nuit, le Seigneur descendit de la montagne et s'approcha d'eux en marchant sur la mer. Considérez-le donc attentivement ici , je vous prie , et voyez comment, après les fatigues d'une longue veille et d'une prière prolongée, il descend seul et nu-pieds d'une montagne escarpée et peut-être raboteuse, et comment il s'avance sur les flots d'un pas aussi ferme que s'il eût marché sur la terre. La Créature reconnut donc son Créateur. Or, (1) lorsque Jésus approchait de la barque , les Disciples , frappés de terreur, poussèrent un cri, croyant que c'était un fantôme; mais leur bon Maître, ne voulant point les laisser plus longtemps dans le trouble où il les voyait, les rassura par ces paroles : C'est moi, ne craignez rien.
(1) Matth., 14.
Alors Pierre, sur l'ordre que lui en donna Jésus , plein de confiance en la puissance de son divin Maître, se mit aussi lui-même à marcher sur la mer ; puis , ayant chancelé , il commençait à enfoncer, mais le Seigneur lui tendit la main pour le soutenir sur les eaux. Or, à cette occasion, on lit dans la Glose : « Jésus fait marcher saint Pierre sur la mer pour montrer sa puissance divine ; il permet qu'il enfonce pour lui rappeler sa faiblesse , pour qu'il ne se croie pas égal à Dieu , pour le préserver de l'orgueil. Cependant Notre Seigneur entre dans la barque; à l`instant la tempête cesse et il se fait partout un grand calme.
Les Disciples le reçurent avec respect; ils furent remplis de la joie la plus vive et ils demeurèrent dans une grande paix. Observez bien Jésus et ses Disciples dans toutes les circonstances qui précèdent ; ces détails sont pleins d'intérêt et d'édification. Vous pouvez donc ici moralement considérer que Notre Seigneur nous traite tous les jours spirituellement comme il a traité ses Apôtres; il souffre, il permet que, dans ce monde, ses élus soient affligés tant intérieurement qu'extérieurement , châtiant ainsi tous ceux qu'il adopte pour ses enfants. Car, suivant l'Apôtre : (1) Tous ceux que Dieu excepte du châtiment sont des bâtards et non pas ses enfants.
Il nous est donc avantageux d'éprouver ici-bas des tribulations et des afflictions; car elles nous instruisent, elles nous font acquérir des vertus, elles conservent celles que nous avons acquises, et, ce qui est plus important encore, elles nous méritent et nous font espérer les récompenses éternelles.
(1) Héb., 12.
Ainsi il ne faut.ni nous en laisser abattre, ni les souffrir avec impatience , mais plutôt les désirer et les aimer. Toutefois, comme on ignore assez généralement la grande utilité des afflictions , que plusieurs les trouvent pesantes et insupportables , pour votre instruction et pour vous exciter à soutenir ces épreuves avec patience , je vais , suivant mon habitude , mettre sous vos yeux les paroles de saint Bernard. Les voici : (1) La tribulation utile est celle qui produit l'épreuve et conduit à la gloire , selon ces paroles : Je suis avec lui dans la tribulation, etc.
Rendons grâces au Père des miséricordes de ce qu'il est avec nous dans l'affliction et qu'il nous console dans toutes nos tribulations. Je le répète , c'est vraiment une chose nécessaire que d'être dans une tribulation qui se tourne en gloire, qui se change en joie, en une joie éternelle que personne ne pourra nous ravir, en une joie abondante et multipliée, pleine et parfaite. C'est une chose nécessaire que cette nécessité elle-même qui nous méritera la couronne de la gloire. Mes frères , ne dédaignons pas la tribulation ; cette semence paraît méprisable , mais elle produira de grands fruits ; cette semence est insipide , elle est pleine d'amertume , c'est le grain de sénevé de l'Évangile. Ne nous attachons point aux qualités extérieures , mais à la vertu cachée de cette semence ; car ce qui frappe les sens est temporel , ce qui leur échappe est éternel. »
Saint Bernard continue en ces termes : (2) Je suis avec lui dans la tribulation , dit le Seigneur ; je mettrai donc toute ma joie dans les afflictions. (3) Tout mon bonheur est de m'attacher à Dieu , de m'y attacher et même de mettre en lui toutes mes espérances, puisqu'il a dit : Je le délivrerai et je le comblerai de gloire. Je suis avec lui dans la tribulation, (4) car mes délices , dit-il ailleurs, sont d'être avec les enfants des hommes.
(1) Bern., Serm. 17., super. Qui habitat. — (2) Psal., 90. — (3) Psal., 72. — (4) Prov., 8.
Il est descendu du Ciel pour s'approcher de ceux dont le cœur est affligé, pour être avec nous dans les calamités de cette vie. Mais viendra le moment où nous serons emportés sur les nuées pour aller , au milieu des airs , au-devant de Jésus-Christ; et alors nous serons pour toujours avec le Seigneur, si , en attendant , nous nous appliquons avec soin à le retenir toujours au milieu de nous. Seigneur, il est donc plus avantageux pour moi de souffrir avec vous que d'occuper un trône sans vous , de nager sans vous dans les délices et d'être glorifié sans vous.
(1) Le vase du potier s'éprouve au feu de la fournaise, comme le juste à celui de la tribulation. Pourquoi craindre , pourquoi hésiter, pourquoi fuir à la vue de cette fournaise? L'épreuve est terrible , il est vrai, mais le Seigneur est avec nous dans la tribulation. Or si Dieu est avec nous, qui sera contre nous ? Et pourtant , s'il nous délivre , qui pourra nous arracher de ses mains toutes-puissantes ? Enfin si nous sommes glorifiés par lui, qui pourra nous humilier? »
Le même saint Bernard dit ailleurs : a (2) Glorifions-nous donc non-seulement dans le temps de l'espérance, mais aussi dans celui de la tribulation. (3) Je prendrai plaisir, dit saint Paul, à me glorifier dans ma faiblesse, pour que la vertu de Jésus-Christ demeure toujours en moi. Rien de plus désirable qu'une telle faiblesse que compense si abondamment la vertu de Jésus. Qui me donnera cet affaiblissement ou plutôt cette défaillance, cet anéantissement parfait , pour mériter d'être à jamais inébranlable par la vertu du Seigneur des vertus? Car la vertu se perfectionne dans l'infirmité, ce qui a fait dire à l'Apôtre : « (4) Quand je suis infirme, c'est alors que je suis fort et puissant. »
(1) Eccl., 27. — (2) Bern., Serm. 25, sup. Cant. — (3) 2 Cor., 12. — (4) 2 Cor., 12.
Saint Bernard dit encore autre part : « (1) L'Épouse des sacrés cantiques ne dit pas de son Bien-Aimé que c'est un faisceau, mais un bouquet de myrrhe , parce que son amour lui fait regarder comme légères toutes les fatigues et toutes les peines qu'elle pourrait avoir à redouter à son service. » Et en effet c'est un bouquet, un fardeau léger, que cet (2) Enfant qui nous est né. C'est un fardeau léger, car (3) les souffrances de la vie présente n`ont aucune proportion avec cette gloire qui doit se manifester un jour pour nous, « En effet, dit saint Paul, (4) ce que nous avons à souffrir dans le temps présent est léger, ne dure qu'un moment, et cette courte épreuve nous mérite un poids éternel de souveraine et incomparable gloire.
Ce qui donc maintenant n'est pas plus pesant qu'un bouquet de myrrhe doit un jour nous accabler d'un poids immense de gloire. Ce bouquet ne représente-t-il-donc pas Celui qui a dit : Que son joug est doux et son fardeau léger? Ce n'est pas que ce joug soit léger en lui-même (car l'âpreté des souffrances , ni l'amertume de la mort ne sont pas peu de chose) ; mais ce joug est léger pour celui qui aime. »
Saint Bernard dit aussi sur ce verset : (5) Mille ennemis tomberont à notre droite, etc. a (6) Si nous considérons le grand corps de l'Église, nous reconnaîtrons aisément que, parmi ses membres , les hommes spirituels sont attaqués avec bien plus de violence que les charnels ; et ce désordre doit être attribué à la malice superbe et jalouse de Satan ( l`ange déchu) qui le porte à tourmenter avec plus de violence les plus parfaits , selon cette parole de l'Écriture : (7) Il lui faut une nourriture exquise.
(1) Serm. 43, sup. Gant. — (2) Isaï , 9. — (3) Rom., 6. — (4) Psal., 90. — (5) Bern., super psalm. Qui habitat, 7. — (6) 2. Cor., 14. — (7) Abac, 1.
Telle est la conduite de Satan ; et ce n'est pas sans une dispensation particulière de la sagesse de Dieu , qui ne permet pas que les plus imparfaits soient tentés au-dessus de leurs forces, leur faisant même tirer beaucoup de fruits de la tentation , et qui prépare ainsi aux plus parfaits de plus glorieux et de plus nombreux triomphes. Car nous voyons que l'ennemi du salut met beaucoup plus de soin , emploie beaucoup plus de ruses à porter des coups à notre droite, la plus noble partie de nous-mêmes , qu'à notre gauche , qui lui est inférieure , s'appliquant ainsi beaucoup plus à la ruine de notre âme qu'à celle de notre corps. »
Saint Bernard dit plus bas : « Il faut opposer une vigoureuse résistance là ou le danger est plus pressant , où l'ennemi semble concentrer toutes ses forces , où se doivent terminer tous les combats dont l'issue nous prépare , si nous sommes vaincus , la plus humiliante captivité , et si nous sommes vainqueurs , le plus glorieux triomphe. »
Saint Bernard ajoute : « Enfin , telle est la bonté et la miséricorde de Dieu envers ses serviteurs , telle est sa conduite à l'égard de ses Élus que, tandis qu'il semble négliger le soin de leur gauche ou de leur corps , il ne cesse d'assister leur droite ou leur âme par tous les soins d'une protection particulière; ce qu'atteste le prophète quand il dit : (1) Je marchais toujours en la présence du Seigneur, car il est à ma droite afin que rien ne puisse m'ébranler. » Saint Bernard dit peu après : « 0 bon Jésus ! soyez toujours à mes côtés, tenez-moi toujours par la main droite!
(1) Ps. 18.
Car j'ai la confiance et même la certitude que , si je ne suis esclave d'aucune iniquité, aucune adversité n'est à craindre pour moi. Que l'on me frappe , que l'on m'écrase , que l`on m'outrage, que l'on me couvre d'opprobres, j'ex- pose de bon cœur à tous les coups mon corps ou mon côté gauche, pourvu que vous soyez toujours mon défenseur, pourvu que vous couvriez toujours de votre protection ma main droite , figure de mon âme ( 1) !
Le même saint Bernard dit ailleurs : «Il y a pour l'âme une différence entre céder à l'empire de la force et se laisser conduire par la sagesse; entre agir en tout avec énergie et faire le bien à cause de la douceur qu'on y goûte. Et en effet, bien que l'énergie s'allie toujours avec la sagesse , et la douceur avec la force , cependant, pour donner à chaque expression son véritable sens , reconnaissons que la force c'est l'énergie de l'âme, et la sagesse le calme de l'esprit, toujours accompagné d'une certaine douceur spirituelle. Il me semble que l'Apôtre saint Paul avait en vue la sagesse, lorsqu’ après plusieurs exhortations relatives à la vertu il ajoute , en ce qui concerne la sagesse , qu'elle est dans la douceur du Saint-Esprit. Ainsi, résister courageusement, repousser la violence avec énergie , ces actes qui très-certainement caractérisent la force , sont à coup sûr fort honorables , mais ils sont pénibles.
Car, défendre laborieusement votre honneur ou bien en jouir en paix , ce n'est pas du tout la même chose ; agir avec force ou recueillir les fruits de cette vertu , ce sont deux choses fort différentes. Tout ce qui est travail pour la force est jouissance pour la sagesse , et tout ce que la sagesse dispose , arrête et règle , la force l'exécute. (2) Écrivez les règles de la sagesse au temps de votre repos, dit le Sage. Or, quand le Sage se repose , il travaille encore , et plus il paraît inoccupé , plus il s'exerce à sa manière.
(1) Serm. 88, sup. cant. — (2) Eccles., 38.
D'un autre côté, l'exercice donnant à la force un plus vif éclat, celle-ci obtient d'autant plus d'estime qu'elle se montre plus active. Dire que la sagesse n'est autre chose que l'amour de la force ou de la vertu, c'est, à mon avis, en donner la véritable définition. Car la où est l'amour, il n'y a plus peine, il n'y a qu'agréable saveur. Peut-être même que sagesse ou savoir dérive de saveur , comme si elle unissait à la force un assaisonnement et donnait une certaine saveur à cette vertu , qui, par elle-même, semblerait en quelque sorte insipide et rebutante. Et je pense que l'on ne pourrait blâmer celui qui, pour définir la sagesse , dirait que c'est le goût ou la saveur du bien. »
Le même auteur dit plus bas : Ainsi , supporter courageusement les tribulations , c'est le propre de la force : la sagesse seule peut les souffrir avec joie. La force affermit le cœur et sait attendre Dieu; il n'appartient qu'à la sagesse de (1) voir et de goûter combien le Seigneur est doux. Et comme pour manifester plus clairement l'une et l'autre disposition par les qualités naturelles, la modération fait connaître la sagesse , la constance est l'indice de la force. Ce n'est pas sans raison que nous parlons de la sagesse après la force , puisque celle-ci peut être considérée comme un fondement inébranlable sur lequel la sagesse établit sa demeure. »
(2) Heureux, dit encore le même Père, celui qui dans ses afflictions rapporte tout aux règles de la justice, de sorte que l'amour du Fils de Dieu lui faisant accepter ce qu'il souffre, son cœur ne laisse échapper aucun murmure, ses lèvres ne prononcent que des action de grâces et des cantiques de louanges.
(1) Psal., 32. — (2) Sernj. de pass. Dom. in ferià 4 hebdom proenosae.
Celui qui s'élève à cette hauteur, voilà l'homme dont il est dit qu'il emporte avec lui son lit et se retire dans sa maison. Notre lit c'est notre chair dans laquelle la tiédeur nous tenait mollement ensevelis lorsque nous étions assujétis à ses désirs et à ses convoitises. Nous emportons avec nous ce lit, si nous soumettons la chair à l'esprit. » Enfin saint Bernard dit encore (1) : « Le Saint-Esprit multiplie admirablement ses opérations , puisque Dieu l'inspire aux enfants des hommes de tant de manières différentes que nul ne peut se soustraire à ses brûlantes ardeurs. En effet, il leur est donné pour leurs besoins , pour opérer des miracles , faire leur salut, les secourir, les consoler, animer et soutenir leur ferveur. J'ai dit qu'il est donné pour tous les besoins de la vie , parce qu'il répand sur les bons et sur les méchants, sur ceux qui le méritent aussi bien que sur ceux qui en sont indignes , les biens communs à tous avec une telle profusion qu'il semble ne garder aucune règle de discrétion. C'est être bien ingrat que de méconnaître la bonté du Saint-Esprit dans l'effusion de ces grâces générales.
J'ai dit pour faire des miracles, dans les merveilles et les prodiges , dans les divers actes de puissance surnaturelle qu'il opère par toutes sortes de personnes. C'est lui qui renouvelle les miracles des temps anciens , afin que la foi de ceux que nous n'avons pas vus soit confirmée par les prodiges dont nous sommes les témoins. Mais aussi, comme le Saint-Esprit accorde cette grâce à plusieurs personnes qui n'en recueillent souvent pour eux-mêmes aucune utilité particulière, je dis en troisième lieu que le Saint-Esprit nous est donné pour notre salut , ce qui arrive lorsque nous revenons à Dieu de tout notre cœur.
(1) Srrm. 3. de Pentec.
Le Saint-Esprit nous est encore donné pour nous secourir, lorsque dans tous nos combats il vient à l'aide de notre faiblesse. De plus , lorsqu'il nous rend intérieurement témoignage que nous sommes les enfants de Dieu , il nous est donné pour notre consolation. Enfin , il est donné pour animer et soutenir la ferveur lorsque, répandant avec impétuosité son souffle divin dans les âmes les plus parfaites , il y allume un si vaste incendie de charité que nous nous glorifions non-seulement en l'espérance que nous donne la qualité d'enfants de Dieu , mais encore en toutes nos tribulations, voyant dans les affronts un titre de gloire, dans les opprobres un motif de joie, dans les mépris le gage de notre grandeur future.
Si je ne me trompe, la grâce qui est nécessaire au salut, nous a également été accordée à tous; il n'en est pas de même de l'esprit de ferveur ; car il y en a peu qui en soient remplis, peu qui se montrent jaloux de l'acquérir. Nous nous contentons du peu que nous en avons , sans faire aucun effort pour parvenir à cette liberté des enfants de Dieu , sans même soupirer après un état si désirable. » Tout ceci est de saint Bernard.
Vous voyez par quels nombreux et puissants motifs cet éloquent auteur essaie de nous montrer combien les tribulations nous sont utiles. Ne vous étonnez donc pas en voyant que Notre Seigneur Jésus- Christ permet à la tempête de tourmenter ses Disciples qui lui étaient si chers ; car il savait les avantages qu'ils pouvaient retirer de cette épreuve. L'Évangile rapporte bien que la barque qui les portait fut souvent et de diverses manières agitée par les flots et par les vents contraires , mais on n'y lit point qu'elle fut jamais submergée. Après ces observations , apprenez donc à affermir et à régler les sentiments de votre cœur, afin que lorsqu'il vous arrivera d'éprouver quelques malheurs ou quelques déplaisirs, vous demeuriez dans la patience et dans la joie , et que vous vous appliquiez à marcher si fidèlement dans la voie du Saint- Esprit que , toute remplie de la ferveur qui vient de lui , vous alliez jusqu'à désirer de souffrir pour l'amour de Jésus qui , par sa vie et celle de ses fidèles serviteurs , vous enseigne à le suivre dans une voie si parfaite.
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: MÉDITATIONS SUR LA VIE JESUS-CHRIST TRADUITES DE SAINT BONAVENTURE - 14 eme siecle
CHAPITRE XXXVII.
LA CHANANÉENNE. — AVEC QUELLE FIDÉLITÉ NOUS SOMMES SERVIS PAR NOS ANGES-GARDIENS. — CITATION REMARQUABLE.
(1) Pendant que Notre Seigneur parcourait péniblement les villes et les bourgades , prêchant le royaume de Dieu et guérissant les malades, une femme Chananéenne, (c'est-à-dire du pays de Chanaan , habité par les Gentils et non par les Juifs, ) s'approcha de lui, le conjurant de guérir sa fille qui était tourmentée par le Démon ( l`ange déchu). Car elle croyait que Jésus pouvait opérer ce miracle. Et quoique Notre Seigneur ne parût pas l'écouter , elle ne persévérait pas moins à implorer sa miséricorde par ses cris et par des instances si pressantes que les Disciples prièrent leur divin Maître de l'écouter.
Jésus ayant répondu qu'il ne fallait pas donner aux chiens le pain des enfants, cette femme dit ensuite en s'humiliant , que , comme on fait aux chiens, on pouvait du moins lui donner quelques miettes ; et par là elle mérita d'obtenir l'effet de sa demande. Regardez donc Notre Seigneur et ses Disciples , appliquez-vous à observer Jésus dans ce qui précède suivant les considérations générales indiquées ci-dessus au chapitre XVIII.
(1) Matth, 15.
Remarquez aussi avec non moins d'attention les vertus qui éclatèrent en cette femme, appliquez- vous à profiter particulièrement des trois suivantes. La première fut une grande foi qui lui fit espérer que Jésus-Christ étendrait jusqu'à sa fille le secours qu'elle demandait pour elle-même ; aussi le Seigneur la loua-t-il de sa foi. La seconde vertu fut la persévérance dans la prière ; et non seulement la persévérance, mais l'importunité , importunité que Jésus souffre et même qu'il provoque, comme vous avez pu vous en convaincre dans le chapitre précédent. La troisième vertu fut une profonde humilité qui lui fit reconnaître qu'elle n'était pas au-dessus d'un vil animal , qu'elle ne méritait point d'être mise au nombre des enfants , pas même d'avoir un pain tout entier, se contentant d'en recevoir quelques miettes. D'où il faut conclure que ce fut parce qu'elle s'humilia beaucoup qu'elle obtint ce qu'elle demandait.
Que si, à son exemple, dans une prière persévérante, sortie du fond d'un cœur pur, droit et fidèle , vous reconnaissez avec humilité devant votre Dieu que vous êtes indigne de tous ses bienfaits , soyez assurée que vous obtiendrez tout ce que vous demanderez. Et de même que les Apôtres prièrent Jésus pour la Chananéenne, votre bon Ange priera aussi pour vous et présentera vos supplications au Seigneur.
Or écoutez ce que dit saint Bernard à ce sujet : « (1) Toutes les fois qu'une âme , qui soupire fréquemment pour son Dieu , qui lui adresse une prière continuelle et qui s'afflige par le désir qu'elle a de le posséder , a la consolation de recevoir une miséricordieuse visite de celui qu'elle recherche avec tant d'empressement , il me semble que sa propre expérience doit lui faire dire avec Jérémie :
(1) Bern., Serm. 31 , super Gant.
(1) Seigneur, vous êtes plein de bonté pour ceux qui vous recherchent et mettent en vous leur espérance. Mais avec quels transports l'Ange de cette âme, l'un de ceux qui sont spécialement chargés d'accompagner l'Époux ,témoin et ministre de cette mystérieuse entrevue , avec quels transports , dis-je , l'Ange de cette âme s'unit-il à sa joie et à ses délices , et se tournant vers le Seigneur s'écrie-t-il : (2) Je vous rends grâces , Dieu de majesté, de ce que vous avez comblé les désirs de son cœur, et de ce que vous n'avez pas trompé les vœux que ses lèvres vous ont adressés. C'est le même Ange qui, comme un gardien fidèle, poursuit cette âme et la presse en tout lieu par ses avertissements, ses inspirations et ses fréquentes sollicitations , lui répétant sans cesse : (3) Mettez vos délices dans le Seigneur et il remplira tous les désirs de votre cœur. Et encore : Attendez le Seigneur, et marché fidèlement dans ses voies. Et encore : (4) S'il diffère sa venue, ne vous lasses pas de l'attendre, parce qu'il viendra indubitablement et qu'il ne tardera pas à vous consoler. Puis s'adressant au Seigneur : (5) Comme le cerf altéré, dit-il, désire les eaux des fontaines, ainsi cette âme soupire après vous , O mon Dieu ! (6) Elle vous a désiré pendant la nuit , et son cœur, a rempli de votre esprit, se tourne vers vous dès le point du jour. Et encore : (7) Ses mains se sont élevées vers vous durant tout le jour ; accordez-lui ce quelle demande, car elle ne cesse de crier après vous; laissez-vous un peu fléchir et soyez-lui propice. (8)
(1) Thren., 3. — (2) Ps. 20. — (3) Ps. 36. — (4) Abac , 2. - (5) Ps. 41. — (6) Isaï., 26. - (7) Ps. 87. — (8) Ps. 89.
Abaissez sur elle vos regards du haut des Cieux; voyez sa douleur et daignez la visiter dans son affliction. L'Ange, témoin fidèle, confident sans envie de ce mutuel amour, ne cherche point sa gloire , mais uniquement celle du Seigneur ; il partage ses soins entre l'Époux et l'Épouse ; il présente les vœux de l'une et lui rapporte les dons de son bien-aimé ; il anime l'Épouse, il désarme l'Époux. Quelquefois aussi, quoique rarement, il les met en présence l'un de l'autre, soit en élevant l'âme jusqu'à son bien-aimé, soit en abaissant l'Époux jusqu'à son Épouse. Domestique de la maison de Dieu , connu dans le palais du Père céleste dont il contemple tous les jours la face , il ne craint pas d'éprouver un refus. » Voilà ce que dit saint Bernard.
Vous voyez avec quelle fidélité nous sommes secourus par nos Anges-gardiens. Mais cette remarque me fournit une occasion de vous parler de ces Esprits célestes. Je veux vous convaincre qu'il faut avoir pour eux le plus grand respect, que c'est pour nous une grande obligation de leur adresser tous les jours nos louanges, nos hommages, nos actions de grâces, et qu'enfin puisqu'ils sont toujours près de nous , nous ne devons , en leur présence, rien penser, dire ou faire d'illicite ou de déshonnête. Saint Bernard nous donne à cette occasion d'excellents avis dans un sermon qu'il a fait sur un verset du psaume Qui habitat .- (1) Il a ordonné à ses Anges de vous garder en toutes vos voies. Voici comment il s'exprime : « Quel respect, quel dévouement, quelle confiance doivent vous inspirer ces paroles !
(1) Serm, sup. psalm. qui habitar. 12.
Respect pour leur présence , dévouement à cause de leur bienveillance , confiance en leur protection. Veillez avec soin sur vos actions , puisque , suivant l'ordre qui leur en a été donné , les Anges vous accompagnent dans toutes vos voies. En public , comme en secret , soyez plein de respect pour votre bon Ange , et ne vous permettez pas en sa présence ce que vous n'oseriez faire devant moi. » Saint Bernard dit un peu plus loin : « Ils vous sont donc présents, ils sont avec vous et ils n'y sont que pour vous; ils sont là pour vous protéger, pour vous servir.
(1) Que rendez-vous au Seigneur pour tous les bienfaits dont il vous comble ? A lui seul l'honneur et la gloire. Pourquoi à lui seul ? Parce qu'il a préposé ses Anges à notre garde et que (2) tout don parfait ne vient que de lui. Mais, quoique Dieu ait commandé aux Anges de nous servir, la charité avec laquelle ils obéissent à cet ordre et les secours qu'ils nous donnent dans de si grandes nécessités , ne nous permettent pas non plus d'être ingrats envers eux : ayons donc beaucoup de dévotion et de reconnaissance pour des gardiens si fidèles; répondons à l'amour qu'ils ont pour nous ; honorons-les autant que nous le pouvons et que nous le devons. » Là finit saint Bernard.
(1) Ps. 118. — (2) Jac, 1.
Tout ce que nous venons de dire doit vous faire connaître quel respect nous devons avoir pour les saints Anges, les services qu'ils nous rendent et en même temps l'efficacité de la prière. Appliquez-vous donc à celle-ci et rendez à ceux-là tous les hommages dont vous êtes capable.
CHAPITRE XXXVIII.
COMMENT QUELQUES-UNS SE SCANDALISÈRENT DES PAROLES DE NOTRE SEIGNEUR.
Ne vous étonnez point si nos paroles et nos actions les plus irrépréhensibles et les plus louables sont quelquefois une occasion de scandale, puisque cela est plus d'une fois arrivé à Notre Seigneur lui-même , qui ne pouvait faillir en aucune chose. (1) Car les Pharisiens lui ayant une fois demandé pourquoi ses Disciples ne lavaient point leurs mains avant que de manger, Notre Seigneur, dans une réponse sévère, leur reprocha de s'appliquer à purifier plutôt l'extérieur que l'intérieur. Ces paroles les scandalisèrent , mais Jésus ne s'en inquiéta point. Une autre fois Jésus , dans une instruction qu'il faisait au milieu de la Synagogue, ayant prononcé des paroles d'une haute spiritualité , quelques-uns de ses Disciples, encore trop charnels pour en comprendre le sens , s'éloignèrent et cessèrent de le suivre. Sur quoi Jésus s'adressant à ses douze Apôtres leur dit : (2) Et vous, voulez-vous aussi me quitter ? Alors Pierre répondit tant pour lui que pour les autres : Seigneur , à qui irions nous? Vous avez les paroles de la vie éternelle.
(1) Matth., 13. — Marc, 7. — (2) Jean., 6.
Considérez, dans ces deux circonstances et dans les autres semblables évènements de la vie de Jésus, avec quelle autorité il parlait et il enseignait la vérité sans s'inquiéter du scandale que les méchants et les insensés pouvaient prendre de ses paroles. Remarquez en premier lieu que la crainte de scandaliser les autres ne doit jamais nous faire abandonner la vertu de justice. Secondement, que nous devons prendre plus soin de garder la pureté intérieure que les bienséances extérieures ; ce qui nous est recommandé plus expressément dans l'Évangile de saint Luc (1), où il est dit que nous devons vivre d'une manière assez spirituelle pour que les discours de Notre Seigneur ne nous semblent point aussi étranges qu'ils le parurent à ses Disciples qui , entendant ces paroles de leur divin Maître rapportées par saint Jean : (2) Si vous ne mangez la chair du Fils de l'homme, n'en purent supporter la hauteur et se retirèrent. Mais reconnaissons plutôt qu'elles sont les paroles de la Vie éternelle , afin de marcher sur ses traces avec ses Disciples.
(1) Luc, 1. — (2) Jean., 6.
LA CHANANÉENNE. — AVEC QUELLE FIDÉLITÉ NOUS SOMMES SERVIS PAR NOS ANGES-GARDIENS. — CITATION REMARQUABLE.
(1) Pendant que Notre Seigneur parcourait péniblement les villes et les bourgades , prêchant le royaume de Dieu et guérissant les malades, une femme Chananéenne, (c'est-à-dire du pays de Chanaan , habité par les Gentils et non par les Juifs, ) s'approcha de lui, le conjurant de guérir sa fille qui était tourmentée par le Démon ( l`ange déchu). Car elle croyait que Jésus pouvait opérer ce miracle. Et quoique Notre Seigneur ne parût pas l'écouter , elle ne persévérait pas moins à implorer sa miséricorde par ses cris et par des instances si pressantes que les Disciples prièrent leur divin Maître de l'écouter.
Jésus ayant répondu qu'il ne fallait pas donner aux chiens le pain des enfants, cette femme dit ensuite en s'humiliant , que , comme on fait aux chiens, on pouvait du moins lui donner quelques miettes ; et par là elle mérita d'obtenir l'effet de sa demande. Regardez donc Notre Seigneur et ses Disciples , appliquez-vous à observer Jésus dans ce qui précède suivant les considérations générales indiquées ci-dessus au chapitre XVIII.
(1) Matth, 15.
Remarquez aussi avec non moins d'attention les vertus qui éclatèrent en cette femme, appliquez- vous à profiter particulièrement des trois suivantes. La première fut une grande foi qui lui fit espérer que Jésus-Christ étendrait jusqu'à sa fille le secours qu'elle demandait pour elle-même ; aussi le Seigneur la loua-t-il de sa foi. La seconde vertu fut la persévérance dans la prière ; et non seulement la persévérance, mais l'importunité , importunité que Jésus souffre et même qu'il provoque, comme vous avez pu vous en convaincre dans le chapitre précédent. La troisième vertu fut une profonde humilité qui lui fit reconnaître qu'elle n'était pas au-dessus d'un vil animal , qu'elle ne méritait point d'être mise au nombre des enfants , pas même d'avoir un pain tout entier, se contentant d'en recevoir quelques miettes. D'où il faut conclure que ce fut parce qu'elle s'humilia beaucoup qu'elle obtint ce qu'elle demandait.
Que si, à son exemple, dans une prière persévérante, sortie du fond d'un cœur pur, droit et fidèle , vous reconnaissez avec humilité devant votre Dieu que vous êtes indigne de tous ses bienfaits , soyez assurée que vous obtiendrez tout ce que vous demanderez. Et de même que les Apôtres prièrent Jésus pour la Chananéenne, votre bon Ange priera aussi pour vous et présentera vos supplications au Seigneur.
Or écoutez ce que dit saint Bernard à ce sujet : « (1) Toutes les fois qu'une âme , qui soupire fréquemment pour son Dieu , qui lui adresse une prière continuelle et qui s'afflige par le désir qu'elle a de le posséder , a la consolation de recevoir une miséricordieuse visite de celui qu'elle recherche avec tant d'empressement , il me semble que sa propre expérience doit lui faire dire avec Jérémie :
(1) Bern., Serm. 31 , super Gant.
(1) Seigneur, vous êtes plein de bonté pour ceux qui vous recherchent et mettent en vous leur espérance. Mais avec quels transports l'Ange de cette âme, l'un de ceux qui sont spécialement chargés d'accompagner l'Époux ,témoin et ministre de cette mystérieuse entrevue , avec quels transports , dis-je , l'Ange de cette âme s'unit-il à sa joie et à ses délices , et se tournant vers le Seigneur s'écrie-t-il : (2) Je vous rends grâces , Dieu de majesté, de ce que vous avez comblé les désirs de son cœur, et de ce que vous n'avez pas trompé les vœux que ses lèvres vous ont adressés. C'est le même Ange qui, comme un gardien fidèle, poursuit cette âme et la presse en tout lieu par ses avertissements, ses inspirations et ses fréquentes sollicitations , lui répétant sans cesse : (3) Mettez vos délices dans le Seigneur et il remplira tous les désirs de votre cœur. Et encore : Attendez le Seigneur, et marché fidèlement dans ses voies. Et encore : (4) S'il diffère sa venue, ne vous lasses pas de l'attendre, parce qu'il viendra indubitablement et qu'il ne tardera pas à vous consoler. Puis s'adressant au Seigneur : (5) Comme le cerf altéré, dit-il, désire les eaux des fontaines, ainsi cette âme soupire après vous , O mon Dieu ! (6) Elle vous a désiré pendant la nuit , et son cœur, a rempli de votre esprit, se tourne vers vous dès le point du jour. Et encore : (7) Ses mains se sont élevées vers vous durant tout le jour ; accordez-lui ce quelle demande, car elle ne cesse de crier après vous; laissez-vous un peu fléchir et soyez-lui propice. (8)
(1) Thren., 3. — (2) Ps. 20. — (3) Ps. 36. — (4) Abac , 2. - (5) Ps. 41. — (6) Isaï., 26. - (7) Ps. 87. — (8) Ps. 89.
Abaissez sur elle vos regards du haut des Cieux; voyez sa douleur et daignez la visiter dans son affliction. L'Ange, témoin fidèle, confident sans envie de ce mutuel amour, ne cherche point sa gloire , mais uniquement celle du Seigneur ; il partage ses soins entre l'Époux et l'Épouse ; il présente les vœux de l'une et lui rapporte les dons de son bien-aimé ; il anime l'Épouse, il désarme l'Époux. Quelquefois aussi, quoique rarement, il les met en présence l'un de l'autre, soit en élevant l'âme jusqu'à son bien-aimé, soit en abaissant l'Époux jusqu'à son Épouse. Domestique de la maison de Dieu , connu dans le palais du Père céleste dont il contemple tous les jours la face , il ne craint pas d'éprouver un refus. » Voilà ce que dit saint Bernard.
Vous voyez avec quelle fidélité nous sommes secourus par nos Anges-gardiens. Mais cette remarque me fournit une occasion de vous parler de ces Esprits célestes. Je veux vous convaincre qu'il faut avoir pour eux le plus grand respect, que c'est pour nous une grande obligation de leur adresser tous les jours nos louanges, nos hommages, nos actions de grâces, et qu'enfin puisqu'ils sont toujours près de nous , nous ne devons , en leur présence, rien penser, dire ou faire d'illicite ou de déshonnête. Saint Bernard nous donne à cette occasion d'excellents avis dans un sermon qu'il a fait sur un verset du psaume Qui habitat .- (1) Il a ordonné à ses Anges de vous garder en toutes vos voies. Voici comment il s'exprime : « Quel respect, quel dévouement, quelle confiance doivent vous inspirer ces paroles !
(1) Serm, sup. psalm. qui habitar. 12.
Respect pour leur présence , dévouement à cause de leur bienveillance , confiance en leur protection. Veillez avec soin sur vos actions , puisque , suivant l'ordre qui leur en a été donné , les Anges vous accompagnent dans toutes vos voies. En public , comme en secret , soyez plein de respect pour votre bon Ange , et ne vous permettez pas en sa présence ce que vous n'oseriez faire devant moi. » Saint Bernard dit un peu plus loin : « Ils vous sont donc présents, ils sont avec vous et ils n'y sont que pour vous; ils sont là pour vous protéger, pour vous servir.
(1) Que rendez-vous au Seigneur pour tous les bienfaits dont il vous comble ? A lui seul l'honneur et la gloire. Pourquoi à lui seul ? Parce qu'il a préposé ses Anges à notre garde et que (2) tout don parfait ne vient que de lui. Mais, quoique Dieu ait commandé aux Anges de nous servir, la charité avec laquelle ils obéissent à cet ordre et les secours qu'ils nous donnent dans de si grandes nécessités , ne nous permettent pas non plus d'être ingrats envers eux : ayons donc beaucoup de dévotion et de reconnaissance pour des gardiens si fidèles; répondons à l'amour qu'ils ont pour nous ; honorons-les autant que nous le pouvons et que nous le devons. » Là finit saint Bernard.
(1) Ps. 118. — (2) Jac, 1.
Tout ce que nous venons de dire doit vous faire connaître quel respect nous devons avoir pour les saints Anges, les services qu'ils nous rendent et en même temps l'efficacité de la prière. Appliquez-vous donc à celle-ci et rendez à ceux-là tous les hommages dont vous êtes capable.
CHAPITRE XXXVIII.
COMMENT QUELQUES-UNS SE SCANDALISÈRENT DES PAROLES DE NOTRE SEIGNEUR.
Ne vous étonnez point si nos paroles et nos actions les plus irrépréhensibles et les plus louables sont quelquefois une occasion de scandale, puisque cela est plus d'une fois arrivé à Notre Seigneur lui-même , qui ne pouvait faillir en aucune chose. (1) Car les Pharisiens lui ayant une fois demandé pourquoi ses Disciples ne lavaient point leurs mains avant que de manger, Notre Seigneur, dans une réponse sévère, leur reprocha de s'appliquer à purifier plutôt l'extérieur que l'intérieur. Ces paroles les scandalisèrent , mais Jésus ne s'en inquiéta point. Une autre fois Jésus , dans une instruction qu'il faisait au milieu de la Synagogue, ayant prononcé des paroles d'une haute spiritualité , quelques-uns de ses Disciples, encore trop charnels pour en comprendre le sens , s'éloignèrent et cessèrent de le suivre. Sur quoi Jésus s'adressant à ses douze Apôtres leur dit : (2) Et vous, voulez-vous aussi me quitter ? Alors Pierre répondit tant pour lui que pour les autres : Seigneur , à qui irions nous? Vous avez les paroles de la vie éternelle.
(1) Matth., 13. — Marc, 7. — (2) Jean., 6.
Considérez, dans ces deux circonstances et dans les autres semblables évènements de la vie de Jésus, avec quelle autorité il parlait et il enseignait la vérité sans s'inquiéter du scandale que les méchants et les insensés pouvaient prendre de ses paroles. Remarquez en premier lieu que la crainte de scandaliser les autres ne doit jamais nous faire abandonner la vertu de justice. Secondement, que nous devons prendre plus soin de garder la pureté intérieure que les bienséances extérieures ; ce qui nous est recommandé plus expressément dans l'Évangile de saint Luc (1), où il est dit que nous devons vivre d'une manière assez spirituelle pour que les discours de Notre Seigneur ne nous semblent point aussi étranges qu'ils le parurent à ses Disciples qui , entendant ces paroles de leur divin Maître rapportées par saint Jean : (2) Si vous ne mangez la chair du Fils de l'homme, n'en purent supporter la hauteur et se retirèrent. Mais reconnaissons plutôt qu'elles sont les paroles de la Vie éternelle , afin de marcher sur ses traces avec ses Disciples.
(1) Luc, 1. — (2) Jean., 6.
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: MÉDITATIONS SUR LA VIE JESUS-CHRIST TRADUITES DE SAINT BONAVENTURE - 14 eme siecle
CHAPITRE XXXIX.
RÉCOMPENSES PROMISES A CEUX QUI QUITTENT TOUT.
Simon-Pierre , sage et fidèle Disciple de Jésus , lui ayant demandé quelle récompense était réservée à lui et aux autres Apôtres, Notre Seigneur répondit entre autres choses, (3) que quiconque renoncerait pour lui à tous les intérêts temporels, recevrait en échange le centuple dans ce monde et la vie éternelle dans l'autre. Comprenez bien la grandeur de cette récompense , entrez dans de saints transports de joie, rendez grâces à Dieu et bénissez-le de tout votre cœur de ce qu'il vous propose de faire avec lui un négoce dans lequel vous avez à gagner , de la main à la main , cent pour un et eu outre la vie éternelle.
(3) Matth , 9.
Mais ce centuple doit s'entendre non des biens du corps , mais de ceux de l'âme , tels que les consolations intérieures et les vertus dont nous acquérons plutôt la pratique que la science. Quand, en effet, une âme s'attache à la pauvreté, se laisse attirer aux charmes de la chasteté , de la patience et des autres vertus , et met ses délices à les pratiquer, ne vous semble-t-il pas qu'elle a reçu le centuple de ce qu'elle a donné?
Et si elle s'élève plus haut encore, si elle est visitée par l'Époux céleste , si elle est glorifiée par sa présence, ne reçoit-elle pas alors mille fois plus que tout ce qu'elle abandonne, quelles que soient la grandeur et la nature de ce sacrifice. Remarquez l'infaillibilité de la parole sortie de la bouche de Celui qui est la Vérité même. Car, loin de manquer de donner à l'âme qui lui est dévouée le centuple en ce monde , il le lui accorde non-seulement une fois, mais plusieurs fois, mais très-souvent, lui inspirant ainsi des sentiments si généreux que, pour pouvoir gagner Jésus-Christ son céleste Époux , elle regarde comme de la boue et tout ce qu'elle abandonne , et même le monde entier.
Mais, pour vous faire mieux concevoir ce que c'est que ce centuple, écoutez ce qu'en dit saint Bernard. « (1) Si quelqu'un encore attaché au monde vient nous dire ici : Montrez-moi ce centuple qu'on nous promet , et je quitte tout de bon cœur ; je lui répondrai : A quoi bon vous le montrer? La foi ne peut rien sur un homme qui ne connaît d'autres preuves que celles que lui fournit la raison humaine. L'homme qui vous montrerait ce centuple vous inspirera-t-il plus de confiance que la Vérité qui vous le promet? Vos recherches investigatrices sont impuissantes. Croyez et vous comprendrez. C'est une manne cachée promise au vainqueur dans l'Apocalypse de saint Jean ; c'est un nom nouveau que nul ne connaît hors celui qui le reçoit. »
(1) S. Bernard, in Declam. super. Ecce nos reliq. omnia,ex Matth, 9.
Le même auteur dit un peu plus bas : « Lorsque tout se tourne en bien pour nous, ne possédons-nous pas toutes choses ? N'est-ce pas avoir le centuple de toutes choses que d'être rempli du Saint-Esprit, que d'avoir Jésus-Christ dans son cœur? Disons mieux, la visite de l'Esprit consolateur et la présence de Jésus-Christ sont bien plus encore que le centuple promis. O mon Dieu , de quelles innombrables délices vous favorisez secrètement ceux qui vous craignent , et vous comblez ceux qui mettent en vous toute leur espérance (1) ! Voyez en quels termes l'âme sainte exhale le souvenir reconnaissant de ces abondantes douceurs, et comme elle multiplie les expressions pour peindre ses sentiments. Quelles innombrables délices, dit-elle! Or, ce centuple comprend l'adoption des enfants de Dieu , la liberté , les prémices du Saint-Esprit, les délices de la charité, la joie d'une bonne conscience, enfin le Royaume de Dieu au milieu de nous. Il n'y a pas là sans doute nourriture et breuvage pour le corps , mais on y trouve la justice, la paix, la joie dans le Saint-Esprit. Oui, la joie, non-seulement dans l'espérance de la gloire éternelle , mais même dans les tribulations .
Voilà cet (2) incendie dont Jésus-Christ a voulu que nos cœurs fussent violemment embrasés. Voilà ce qui inspira à saint André la force d'embrasser la Croix, à saint Laurent le courage de braver ses bourreaux, à saint Etienne mourant, la générosité de prier à genoux pour ceux qui le lapidaient. Voilà cette paix que Jésus-Christ a laissée à ses serviteurs en leur donnant la sienne , puisque (3) ce don et cette paix sont pour les Élus de Dieu ; c'est- à-dire la paix qui vient du Père , et le don de la gloire future qui surpasse tout ce que l'homme peut concevoir ou sentir , et à laquelle on ne peut comparer rien de tout ce qu'il y a de plus agréable et de plus désirable dans le monde.
(1) Ps. 30. — (2) Luc, 12. — (3) Sap., 3.
Voilà cette grâce de dévotion, et cette onction qui apprend toutes choses , cette onction connue de ceux qui l'ont expérimentée, inconnue à ceux qui ne l'ont jamais sentie , ignorée de tous , excepté de ceux qui l'ont reçue. » Là finit saint Bernard.
Soyez donc, comme je l'ai dit plus haut, dans la joie, dans l'allégresse et rendez grâces à Dieu qui vous a appelée à recevoir ce centuple; enfin entrez souvent dans ce paradis de délices dont l'exercice assidu de la prière peut seul vous mettre en possession.
CHAPITRE XL.
NOTRE SEIGNEUR DEMANDE A SES DISCIPLES CE QUE L'ON DISAIT DE LUI.
Jésus étant venu aux environs de Césarée de Philippe, demanda à ses Disciples ce que l'on disait de lui , et en même temps ce qu'ils croyaient eux-mêmes sur ce sujet et sur plusieurs autres choses. Quelques-uns lui dirent: (1) Les uns pensent , etc. Mais Pierre prenant la parole dit pour lui et pour les autres : Seigneur, vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant. »
(1) Matth., 16.
Jésus lui répondit : Vous êtes Pierre, etc. Et alors il lui donna pour lui et ses successeurs les clefs du Royaume des Cieux et le pouvoir de lier et de délier toutes choses sur la terre. Considérez donc Notre Seigneur et ses Disciples suivant la méthode générale indiquée ci-dessus , et observez que ce même Pierre tout-à-l ‘heure élevé si haut par Jésus , peu après il l'appelle Satan, parce que cet Apôtre, écoutant trop l'attachement naturel qu'il avait pour son Maître, voulait le dissuader de se livrer aux tourments de sa Passion. A l'exemple de Notre Seigneur, regardez aussi comme vos plus dangereux ennemis tous ceux qui , pour soulager votre corps, voudraient vous faire renoncer aux avantages et à la pratique des exercices spirituels.
CHAPITRE XLI.
TRANSFIGURATION DE NOTRE SEIGNEUR SUR LA MONTAGNE DU THABOR.
(1) Jésus ayant pris avec lui trois de ses Disciples, monta sur le Thabor et se transfigura en leur présence , s'offrant à leurs regards dans l'éclat de sa gloire. Moïse et Elie apparurent en même temps, s'entretenant avec Jésus des douleurs qu'il devait endurer dans sa Passion. « Seigneur, lui disaient-ils, il n'est pas nécessaire que vous subissiez la mort , car une seule goutte de votre sang suffirait pour racheter le monde. » Mais Jésus répondait : (2) Le bon Pasteur donne sa vie pour ses brebis; c'est donc ainsi que je dois agir. Le Saint-Esprit se manifesta alors sous la forme d'une nuée lumineuse, et on entendit sortir de cette nuée la voix du Père qui disait : C'est ici mon fils bien-aimé, dans lequel j'ai mis toute mon affection, écoutez-le. Alors les Disciples tombèrent la face contre terre, et lorsque Jésus les toucha, ils ne virent plus que lui seul. Considérez donc avec beaucoup d'attention toutes les circonstances de ce prodige, comme si vous en étiez le témoin , car elles sont admirables.
(1) Matth., 17. — (2) Jean., 10.
CHAPITRE XLII.
JÉSUS CHASSE DU TEMPLE LES VENDEURS ET LES ACHETEURS.
Notre Seigneur Jésus-Christ, dans deux circonstances différentes, (1) chassa du Temple les acheteurs et les vendeurs , et ces deux actions d'éclat sont mises au nombre de ses plus grands miracles. (2) En effet, on voit ici fuir devant lui les mêmes hommes qui , jusque-là, ne lui avaient montré que du mépris; quoiqu'ils fussent en grand nombre , ils n'opposèrent aucune résistance , et Jésus seul , armé de quelques cordes , suffit pour les chasser tous ; et sans doute il n'obtint ce succès qu'en faisant éclater sur son front quelques traits de sa terrible Majesté. Enflammé d'un zèle véhément, il les chassa ainsi, parce qu'ils déshonoraient son Père dans le lieu même où l'on doit particulièrement l'honorer. Considérez-le attentivement et partagez la douloureuse compassion dont son cœur est rempli. Mais tremblez en même temps; car, étant, par une grâce particulière et infinie de Dieu , consacrés à le servir dans son Temple , si , au lieu de nous appliquer, ainsi que nous le devons , à chanter ses louanges, nous nous laissons, comme ceux dont il est ici question, engager dans les affaires du siècle, nous pouvons et nous devons, à juste titre, craindre que, dans son indignation, il ne nous rejette loin de lui. Voulez-vous donc vous épargner les tourments que vous ferait éprouver une semblable crainte ? Gardez-vous d'oser, sous aucun prétexte, prendre la moindre part soit aux sollicitudes , soit aux intérêts de ce monde. Gardez-vous aussi des ouvrages de pure curiosité qui prennent un temps que nous devons employer à servir le Seigneur, et qui ont quelques rapports avec les pompes du siècle.
(1) Jean, 2. — (2) Matth., 21
RÉCOMPENSES PROMISES A CEUX QUI QUITTENT TOUT.
Simon-Pierre , sage et fidèle Disciple de Jésus , lui ayant demandé quelle récompense était réservée à lui et aux autres Apôtres, Notre Seigneur répondit entre autres choses, (3) que quiconque renoncerait pour lui à tous les intérêts temporels, recevrait en échange le centuple dans ce monde et la vie éternelle dans l'autre. Comprenez bien la grandeur de cette récompense , entrez dans de saints transports de joie, rendez grâces à Dieu et bénissez-le de tout votre cœur de ce qu'il vous propose de faire avec lui un négoce dans lequel vous avez à gagner , de la main à la main , cent pour un et eu outre la vie éternelle.
(3) Matth , 9.
Mais ce centuple doit s'entendre non des biens du corps , mais de ceux de l'âme , tels que les consolations intérieures et les vertus dont nous acquérons plutôt la pratique que la science. Quand, en effet, une âme s'attache à la pauvreté, se laisse attirer aux charmes de la chasteté , de la patience et des autres vertus , et met ses délices à les pratiquer, ne vous semble-t-il pas qu'elle a reçu le centuple de ce qu'elle a donné?
Et si elle s'élève plus haut encore, si elle est visitée par l'Époux céleste , si elle est glorifiée par sa présence, ne reçoit-elle pas alors mille fois plus que tout ce qu'elle abandonne, quelles que soient la grandeur et la nature de ce sacrifice. Remarquez l'infaillibilité de la parole sortie de la bouche de Celui qui est la Vérité même. Car, loin de manquer de donner à l'âme qui lui est dévouée le centuple en ce monde , il le lui accorde non-seulement une fois, mais plusieurs fois, mais très-souvent, lui inspirant ainsi des sentiments si généreux que, pour pouvoir gagner Jésus-Christ son céleste Époux , elle regarde comme de la boue et tout ce qu'elle abandonne , et même le monde entier.
Mais, pour vous faire mieux concevoir ce que c'est que ce centuple, écoutez ce qu'en dit saint Bernard. « (1) Si quelqu'un encore attaché au monde vient nous dire ici : Montrez-moi ce centuple qu'on nous promet , et je quitte tout de bon cœur ; je lui répondrai : A quoi bon vous le montrer? La foi ne peut rien sur un homme qui ne connaît d'autres preuves que celles que lui fournit la raison humaine. L'homme qui vous montrerait ce centuple vous inspirera-t-il plus de confiance que la Vérité qui vous le promet? Vos recherches investigatrices sont impuissantes. Croyez et vous comprendrez. C'est une manne cachée promise au vainqueur dans l'Apocalypse de saint Jean ; c'est un nom nouveau que nul ne connaît hors celui qui le reçoit. »
(1) S. Bernard, in Declam. super. Ecce nos reliq. omnia,ex Matth, 9.
Le même auteur dit un peu plus bas : « Lorsque tout se tourne en bien pour nous, ne possédons-nous pas toutes choses ? N'est-ce pas avoir le centuple de toutes choses que d'être rempli du Saint-Esprit, que d'avoir Jésus-Christ dans son cœur? Disons mieux, la visite de l'Esprit consolateur et la présence de Jésus-Christ sont bien plus encore que le centuple promis. O mon Dieu , de quelles innombrables délices vous favorisez secrètement ceux qui vous craignent , et vous comblez ceux qui mettent en vous toute leur espérance (1) ! Voyez en quels termes l'âme sainte exhale le souvenir reconnaissant de ces abondantes douceurs, et comme elle multiplie les expressions pour peindre ses sentiments. Quelles innombrables délices, dit-elle! Or, ce centuple comprend l'adoption des enfants de Dieu , la liberté , les prémices du Saint-Esprit, les délices de la charité, la joie d'une bonne conscience, enfin le Royaume de Dieu au milieu de nous. Il n'y a pas là sans doute nourriture et breuvage pour le corps , mais on y trouve la justice, la paix, la joie dans le Saint-Esprit. Oui, la joie, non-seulement dans l'espérance de la gloire éternelle , mais même dans les tribulations .
Voilà cet (2) incendie dont Jésus-Christ a voulu que nos cœurs fussent violemment embrasés. Voilà ce qui inspira à saint André la force d'embrasser la Croix, à saint Laurent le courage de braver ses bourreaux, à saint Etienne mourant, la générosité de prier à genoux pour ceux qui le lapidaient. Voilà cette paix que Jésus-Christ a laissée à ses serviteurs en leur donnant la sienne , puisque (3) ce don et cette paix sont pour les Élus de Dieu ; c'est- à-dire la paix qui vient du Père , et le don de la gloire future qui surpasse tout ce que l'homme peut concevoir ou sentir , et à laquelle on ne peut comparer rien de tout ce qu'il y a de plus agréable et de plus désirable dans le monde.
(1) Ps. 30. — (2) Luc, 12. — (3) Sap., 3.
Voilà cette grâce de dévotion, et cette onction qui apprend toutes choses , cette onction connue de ceux qui l'ont expérimentée, inconnue à ceux qui ne l'ont jamais sentie , ignorée de tous , excepté de ceux qui l'ont reçue. » Là finit saint Bernard.
Soyez donc, comme je l'ai dit plus haut, dans la joie, dans l'allégresse et rendez grâces à Dieu qui vous a appelée à recevoir ce centuple; enfin entrez souvent dans ce paradis de délices dont l'exercice assidu de la prière peut seul vous mettre en possession.
CHAPITRE XL.
NOTRE SEIGNEUR DEMANDE A SES DISCIPLES CE QUE L'ON DISAIT DE LUI.
Jésus étant venu aux environs de Césarée de Philippe, demanda à ses Disciples ce que l'on disait de lui , et en même temps ce qu'ils croyaient eux-mêmes sur ce sujet et sur plusieurs autres choses. Quelques-uns lui dirent: (1) Les uns pensent , etc. Mais Pierre prenant la parole dit pour lui et pour les autres : Seigneur, vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant. »
(1) Matth., 16.
Jésus lui répondit : Vous êtes Pierre, etc. Et alors il lui donna pour lui et ses successeurs les clefs du Royaume des Cieux et le pouvoir de lier et de délier toutes choses sur la terre. Considérez donc Notre Seigneur et ses Disciples suivant la méthode générale indiquée ci-dessus , et observez que ce même Pierre tout-à-l ‘heure élevé si haut par Jésus , peu après il l'appelle Satan, parce que cet Apôtre, écoutant trop l'attachement naturel qu'il avait pour son Maître, voulait le dissuader de se livrer aux tourments de sa Passion. A l'exemple de Notre Seigneur, regardez aussi comme vos plus dangereux ennemis tous ceux qui , pour soulager votre corps, voudraient vous faire renoncer aux avantages et à la pratique des exercices spirituels.
CHAPITRE XLI.
TRANSFIGURATION DE NOTRE SEIGNEUR SUR LA MONTAGNE DU THABOR.
(1) Jésus ayant pris avec lui trois de ses Disciples, monta sur le Thabor et se transfigura en leur présence , s'offrant à leurs regards dans l'éclat de sa gloire. Moïse et Elie apparurent en même temps, s'entretenant avec Jésus des douleurs qu'il devait endurer dans sa Passion. « Seigneur, lui disaient-ils, il n'est pas nécessaire que vous subissiez la mort , car une seule goutte de votre sang suffirait pour racheter le monde. » Mais Jésus répondait : (2) Le bon Pasteur donne sa vie pour ses brebis; c'est donc ainsi que je dois agir. Le Saint-Esprit se manifesta alors sous la forme d'une nuée lumineuse, et on entendit sortir de cette nuée la voix du Père qui disait : C'est ici mon fils bien-aimé, dans lequel j'ai mis toute mon affection, écoutez-le. Alors les Disciples tombèrent la face contre terre, et lorsque Jésus les toucha, ils ne virent plus que lui seul. Considérez donc avec beaucoup d'attention toutes les circonstances de ce prodige, comme si vous en étiez le témoin , car elles sont admirables.
(1) Matth., 17. — (2) Jean., 10.
CHAPITRE XLII.
JÉSUS CHASSE DU TEMPLE LES VENDEURS ET LES ACHETEURS.
Notre Seigneur Jésus-Christ, dans deux circonstances différentes, (1) chassa du Temple les acheteurs et les vendeurs , et ces deux actions d'éclat sont mises au nombre de ses plus grands miracles. (2) En effet, on voit ici fuir devant lui les mêmes hommes qui , jusque-là, ne lui avaient montré que du mépris; quoiqu'ils fussent en grand nombre , ils n'opposèrent aucune résistance , et Jésus seul , armé de quelques cordes , suffit pour les chasser tous ; et sans doute il n'obtint ce succès qu'en faisant éclater sur son front quelques traits de sa terrible Majesté. Enflammé d'un zèle véhément, il les chassa ainsi, parce qu'ils déshonoraient son Père dans le lieu même où l'on doit particulièrement l'honorer. Considérez-le attentivement et partagez la douloureuse compassion dont son cœur est rempli. Mais tremblez en même temps; car, étant, par une grâce particulière et infinie de Dieu , consacrés à le servir dans son Temple , si , au lieu de nous appliquer, ainsi que nous le devons , à chanter ses louanges, nous nous laissons, comme ceux dont il est ici question, engager dans les affaires du siècle, nous pouvons et nous devons, à juste titre, craindre que, dans son indignation, il ne nous rejette loin de lui. Voulez-vous donc vous épargner les tourments que vous ferait éprouver une semblable crainte ? Gardez-vous d'oser, sous aucun prétexte, prendre la moindre part soit aux sollicitudes , soit aux intérêts de ce monde. Gardez-vous aussi des ouvrages de pure curiosité qui prennent un temps que nous devons employer à servir le Seigneur, et qui ont quelques rapports avec les pompes du siècle.
(1) Jean, 2. — (2) Matth., 21
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: MÉDITATIONS SUR LA VIE JESUS-CHRIST TRADUITES DE SAINT BONAVENTURE - 14 eme siecle
CHAPITRE XLIII.
DE LA PISCINE PROBATIQUE, ET EN OUTRE QU'IL NE FAUT PAS JUGER TÉMÉRAIREMENT SES FRERES.
Il y avait à Jérusalem un réservoir d'eau où l'on venait laver les brebis destinées aux sacrifices (1 ) . On assure qu'on y avait pris le bois qui servit à la Croix de Jésus. A certains temps, après que l'Ange en avait une seule fois agité les eaux , celui qui y descendait le premier était guéri, quelle que fût sa maladie. Aussi voyait-on continuellement sur ses bords un grand nombre d'infirmes. Or, il y avait là un malade étendu sur son lit , qui, depuis trente-huit ans, était paralytique. Jésus le guérit donc un jour de Sabbat. Voyez Jésus s'approchant humblement de ce malade et lui parlant avec sa bonté accoutumée.
Or , il y a ici trois remarques à faire : premièrement , comme Notre Seigneur demanda à ce malades'il voulait être guéri , de même aussi il ne nous sauvera pas sans notre consentement , d'où il suit que les pécheurs sont inexcusables lorsqu'ils résistent à sa volonté et qu'ils refusent la grâce du salut; puisque, suivant saint Augustin : (2) « Celui qui nous a créés sans nous , ne nous sauvera pas sans nous, » Secondement, nous devons craindre de faire une rechute, car, si nous retombons après avoir été guéris par le Seigneur, notre ingratitude nous méritera un châtiment plus sévère, ainsi que le Seigneur le fit entendre au paralytique, en lui disant : Allez, ne péchez plus à l'avenir, de peur qu'il ne vous arrive quelque chose de pire.
(1) Jean., 8. — (2) August. de verb. Apost. serm. 15.
La troisième remarque, c'est que tout nuit aux méchants , comme tout profite aux justes. En effet, lorsque le paralytique, emportant son lit après sa guérison , entendait dire aux Juifs que cela ne pouvait se faire le jour du Sabbat , il leur répondit : Celui qui m'a guéri m'a dit : Emportez votre lit. Les Juifs ne lui demandèrent pas quel est celui qui vous a guéri ? de sorte qu'ils s'attachaient plus à ce qu'ils pouvaient blâmer qu'à ce qui pouvait mériter leurs éloges. C'est ainsi que les hommes charnels forment souvent, sur ce qu'ils voient, des jugements injustes, et trouvent presque partout une occasion de se nuire; pour les hommes qui vivent selon l'Esprit, ils rapportent tout à la gloire de Dieu , la prospérité comme l'adversité ; et comme ils sont persuadés que tout ce qui arrive est pour le mieux , parce que Dieu fait bien toutes choses et ne permet rien sans raison, ils prennent tout en bonne part, selon ce qu'enseigne saint Bernard en ces termes : (1) « Gardez-vous d'observer curieusement ou de juger témérairement la conduite de votre prochain. Ne portez pas de semblables jugements, lors même que vous apercevriez en lui quelque chose de mal , mais plutôt excusez l'intention ; si l'action est inexcusable , attribuez-la à l'ignorance, à la surprise, à quelqu'accident imprévu. Que si le mal est si évident qu'il soit impossible de le dissimuler, en tâchant de vous persuader que l'épreuve était trop forte , dites- vous à vous-même : à quoi m'aurait réduit cette tentation si elle eût exercé sur moi-même un tel empire ? » Ainsi s'exprime saint Bernard.
(1) Serm. 40 , sup. cant.
Quant aux avantages que les hommes qui vivent selon l'Esprit recueillent de toutes choses, même de leurs propres fautes, des péchés d'autrui , des évènements les plus fâcheux , même encore des œuvres du Démon (ange déchu); voilà ce qu'en dit le même saint Bernard : (1) « On sait que les brutes et les êtres sans raison, quoiqu'incapables de parvenir aux biens spirituels, rendent, par leurs services corporels et temporels., l'acquisition de ces mêmes biens plus facile à ceux qui savent faire tourner au profit de l'Éternité la jouissance des biens de ce monde dont ils usent comme n'en usant pas. » Saint Bernard ajoute plus loin : «S'il y a quelques animaux dont on ne peut commodément faire usage, s'il y en a de nuisibles ou même de dangereux, il est constant qu'ils sont temporellement utiles à la santé et à la conservation des hommes ; de plus , les corps de ces animaux peuvent contribuer au bien spirituel de ceux que Dieu , suivant ses desseins , a appelés à la sainteté ; et si ce n'est par la nourriture qu'ils leur fournissent, ou par les services qu'ils leur rendent, c'est indubitablement en élevant sans cesse leur esprit jusqu'à Celui qui doit toujours être présent à une créature intelligente, donnant ainsi à l'instruction de tous un avancement à l'aide duquel (2) les perfections invisibles de Dieu deviennent visibles par la connaissance que les créatures nous en donnent ; car le Démon (ange déchu) et ses satellites , ayant sans cesse de mauvaises intentions, sont perpétuellement animés du désir de vous perdre ; mais si vous êtes zélés à faire le bien , ils ne peuvent vous nuire ; disons plus , ils » vous sont utiles, et malgré eux ils coopèrent à l'avantage des hommes de bien .»
(1) Bern. Serm. 5, sup. cant. — (2) Rom., 1.
Saint Bernard dit plus loin : « Il y a , en effet , des êtres qui font le bien sans le vouloir, ce sont les hommes méchants ou les mauvais Anges ; et il est évident que ce bien qui est fait par eux ne l'est pas pour eux, puisque nul ne peut profiter du bien qu'il fait malgré lui. Dieu ne leur a donc confié que la dispensation de ce bien , et je ne sais pourquoi nous sommes plus flattés et plus reconnaissants du bien qui nous est fait par un mauvais dispensateur. Voilà donc pourquoi Dieu se sert des méchants pour faire du bien aux bons; car il n'a nul besoin d'eux pour répandre ses bienfaits. »
Saint Bernard dit encore : (1) « Cendre et poussière, pourquoi vous enorgueillir ? Le Seigneur a rejeté les Anges eux-mêmes , tant leur orgueil était abominable à ses yeux. Que leur réprobation serve donc à notre amendement; c'est pour cela qu'il est écrit : (2) Que le mal fait par le Démon ( ange déchu) lui-même tourne à mon avantage et que je purifie mes mains dans le sang du plus grand des pécheurs ! Mais , dites-vous, comment cela se fera- t-il? Le voici. L'orgueil du Démon a été frappé par la malédiction la plus horrible et la plus formidable. Si Dieu a ainsi traité l'Ange rebelle , à quoi dois-je m'attendre , cendre et poussière. L'Ange s'est gonflé d'orgueil dans le Ciel et moi sur le fumier. Qui oserait dire que l'orgueil n'est pas plus supportable dans un riche que dans un pauvre ? Malheur donc à moi ! si un Ange du premier ordre a été châtié avec tant de sévérité, que n'ai-je pas à craindre, créature chétive, misérable, et cependant si orgueilleuse. »
(1) Bern. Serm. 54, sup. cant. — (2) Ps. 87.
C'est ainsi que saint Bernard , en parlant de l'Église qui devint l'Épouse de Jésus-Christ, après s'être souillée dans les voies de l'iniquité, puisque, au grand scandale de la Synagogue qui lui en faisait un reproche , elle était en grande partie composée de nations idolâtres , c'est ainsi que saint Bernard sait profiter de cette circonstance lors qu'il dit : (1) « C'est à elle que beaucoup de péchés sont pardonnés, c'est elle aussi qui a plus d'amour, de sorte qu'elle fait tourner à son avantage les reproches mêmes que sa rivale lui adresse pour la perdre. C'est là ce qui la rend plus douce dans ses réprimandes , plus patiente dans l'adversité , plus ardente dans sa charité , plus prudente dans sa prévoyance , plus humble dans la connaissance qu'elle a d'elle- même, plus résignée dans ses disgrâces, plus soumise dans son obéissance , plus empressée et plus fidèle dans ses actions de grâces. » Voilà ce que dit saint Bernard.
Voyez comment ceux dont la vie est spirituelle prennent tout en bonne part et profitent de tout. Vivez donc comme eux et tout se changera en bien pour vous. J'ajoute que ces considérations vous procureront aussi , dans les tribulations et les tentations, la patience et la paix de l'âme. En effet, il n'y a personne qui, parla pratique habituelle d'un semblable exercice, ne puisse s'établir dans une tranquillité d'esprit si parfaite que rien ne serait presque jamais capable de lui causer le moindre trouble , et que même il y aurait lieu de lui appliquer ces paroles de la sagesse : (2) Quoi qu'il arrive au Juste, il n'en sera jamais affligé.
(1) Bern. Serm. 14, sup. cant. — (2) Prov., 12.
CHAPITRE XLIV.
LES DISCIPLES DE JÉSUS ARRACHENT QUELQUES ÉPIS ; ET A CETTE OCCASION CONSIDÉRATIONS SUR LA PAUVRETÉ. ( Extraits)
Un jour de Sabbat, les Disciples de (1) Notre Seigneur Jésus-Christ, pressés par la faim et n'ayant rien à manger, traversèrent des champs couverts de moissons et arrachèrent quelques épis dont ils mangèrent les grains après les avoir roulés dans les mains. Mais ils en furent repris par les Pharisiens qui leur dirent que cela n'était pas permis le jour du Sabbat. Notre Seigneur les justifiait sur ce point , et faisait souvent lui-même, à pareil jour, des choses qui paraissaient défendues, ainsi que je l'ai remarqué plus haut en parlant de la guérison d'un homme dont la main était desséchée. Pour vous, ma fille , arrêtez vos regards sur les Disciples , et compatissez à l'extrême nécessité où ils sont réduits, bien qu'ils l'acceptent avec joie, par amour pour la pauvreté que leur Seigneur et leur Maître leur avait recommandée comme la première de toutes les vertus et de toutes les béatitudes.
(1) Matth. 12.
Mais comment imaginer que les Disciples de Jésus, ces Princes du monde , se trouvent , en présence du Créateur de toutes choses , réduits à une pauvreté si extrême qu'ils n'aient pour se nourrir que la pâture des animaux ! Jésus les considérait avec une vive compassion, parce qu'il les aimait tendrement; mais, en même temps, il les voyait avec complaisance soumis à une épreuve qu'il savait être si méritoire pour eux, et si avantageuse pour nous à qui elle devait offrir un exemple dont nous pouvons profiter pour l'exercice de plusieurs vertus ; car rien n'est plus propre à faire admirablement briller à nos yeux la sainte pauvreté , à nous apprendre à mépriser les pompes du monde , à nous dégoûter de la somptuosité et de la délicatesse dans la préparation des aliments , et à affaiblir entièrement en nous la gourmandise avec ses excès, ses honteuses recherches et ses insatiables désirs. Redoublez donc ici d'attention et après un tel exemple , attachez-vous de tout votre cœur à une vertu qui a brillé d'un si vif éclat en Notre Seigneur, en sa sainte Mère, en ceux que j'ai déjà appelés les Princes du monde et en tous ceux qui se sont appliqués avec plus de perfection à marcher sur leurs traces. Mais comprenez bien de quelle pauvreté il est ici question. Car je n'ignore pas que, vivant dans un monastère, vous avez fait vœu de pauvreté et que vous ne pouvez rien posséder ; rendez-en grâces à Dieu et soyez inviolablement fidèle à vos promesses.
Mais je désire que vous portiez cette vertu à une plus haute perfection qui ne diffère en rien de votre profession, et sans l'intelligence de laquelle, j'ose le dire, votre profession elle-même ne serait qu'un mot vide de sens. Je veux donc parler de cette pauvreté qui a sa racine dans le cœur ; car c'est dans l’âme, et non à l'extérieur, qu'il faut mettre les vertus. Or, vous serez un modèle parfait de pauvreté si vos sentiments s'accordent avec votre profession. Car, si vous souffrez extérieurement la privation de certaines choses, parce que, peut-être, vous n'en avez pas autant que le voudrait votre sensualité , tandis que vous les convoitez intérieurement et qu'avec un plein consentement, vous souhaitez d'en avoir au-delà de vos besoins , vous ne vivez pas dans la pauvreté, mais dans l'indigence; parce qu'une telle pauvreté ne peut être considérée comme une vertu et n'a droit à aucune récompense ; ce n'est qu'une disette forcée et sans aucun mérite.
En effet, il suffit de consentir à la concupiscence pour perdre tout mérite et pour tomber dans tous les désordres , et, avec une telle pauvreté, ne vous flattez pas de pouvoir jamais vous élever à un haut degré d'oraison ou à la contemplation ; n'espérez pas obtenir jamais le centuple promis comme une récompense. Car comment un cœur appesanti par le poids des désirs terrestres pourra- t-il s'élever aux choses du Ciel ? Et comment une Âme qui s'est souillée dans la boue et dans la fange pourrait-elle s'approcher de la pureté de Dieu et des choses célestes avec des affections terrestres et grossières.
Attachez-vous donc du fond du cœur à la pauvreté , regardez-la comme votre mère, que sa beauté vous ravisse; mettez en elle seule toutes vos délices, que rien au monde ne soit capable de vous porter à en violer les règles; n'avez rien et ne souhaitez d'avoir absolument rien au-delà du nécessaire. Et si vous me demandez en quoi consiste ce nécessaire ? Je vous répondrai que plus votre amour pour la pauvreté sera parfait, mieux vous jugerez de ce qui est vraiment nécessaire. Car ce qui est vraiment nécessaire, c'est ce dont on ne peut se passer. Voyez donc quelles sont les choses dont vous pouvez aisément vous passer, et quant aux autres, gardez-vous de les posséder , de les rechercher, de vous les procurer et même de les recevoir de la main de ceux qui voudraient vous les donner spontanément. Toutefois , quelqu 'étroites que soient les bornes dans lesquelles vous vous renfermiez , vous ne parviendrez jamais à imiter parfaitement Notre-Seigneur dans sa pauvreté , et il me semble que tous les efforts que nous ferons pour l'égaler en ce point seront toujours impuissants.
Pour justifier en peu de mots ce que j'avance, négligeant d'alléguer qu'il est Dieu , le Maître de tous les biens , le Seigneur de toutes choses , le modèle de toute perfection et le reste, je me borne à un unique et solide argument, et je dis : Jésus-Christ a accepté non-seulement tous les besoins , mais toutes les humiliations de la pauvreté. Car la pauvreté que nous avons embrassée volontairement et par amour de Dieu ( ordres religieux et monastique) est, ajuste titre, considérée comme une vertu; aussi, loin de nous avilir, elle nous honore aux yeux même des pervers. Mais il n'en fut pas ainsi de la pauvreté de Jésus ; car on ne savait pas ce qu'il était et l'on ignorait que son indigence était volontaire; or la pauvreté, quand on la subit par nécessité, est un opprobre et nous expose au mépris. Et comme tout le monde savait que Jésus n'avait ni domicile, ni propriété, ni aucunes choses semblables, il n'en paraissait que plus méprisable encore.
En effet , les pauvres de cette espèce sont foulés aux pieds de tout le monde, et, quelqu'instruits , quelque judicieux qu'ils soient , ils n'inspirent aucune confiance ; s'ils sont d'une naissance illustre , ils n'en sont pas moins raillés et méprisés ; disons plus encore , leur noblesse , leurs lumières , leur probité , tout ce qui passe pour vertu aux yeux des hommes ne semble plus exister en eux , car ils sont presqu'universellement rejetés sans égard soit aux droits d'une ancienne amitié , soit aux liens du sang , comme il n'arrive que trop souvent , puisqu'on refuse de reconnaître tous ceux qui sont en cet état pour ses amis ou pour ses proches.
Vous voyez donc bien que vous ne sauriez jamais ni imiter, ni encore moins égaler Jésus-Christ dans la profonde abjection de pauvreté et d'humilité où il a daigné s'abaisser . Ainsi il ne faut pas mépriser les pauvres qui sont dans le monde ; ce sont des images vivantes de Jésus-Christ même. Par conséquent rien de plus désirable que la vertu de pauvreté , pour nous surtout qui nous sommes engagés à la pratiquer. ( ordres religieux et monastiques)
Appliquez-vous donc, par tous ces motifs, à en observer les règles avec tout le respect et le dévouement dont vous êtes capable. Mais, si vous voulez aussi entendre saint Bernard sur ce sujet , voici ses paroles : « (1) Imitons autant qu'il nous est possible Celui qui a tant aimé la pauvreté que, pouvant disposer de l'univers entier, il n'eut cependant point où reposer sa tête. Aussi voyons-nous que les Disciples qui le suivaient, pressés par la faim alors qu'ils passaient par un champ de blé, furent réduits à rouler quelques épis dans leurs mains. »
(1) Serm, 4 , de advent.
Le même auteur dit autre part : « Pourquoi notre Sauveur lui-même , Maître souverain de tous les trésors du monde, consacre-t-il, en sa personne, la sainte pauvreté? ou du moins , pourquoi cette pauvreté est-elle décrite si soigneusement par l'Ange aux Bergers ? Voilà, leur dit-il, à quel signe vous le reconnaîtrez; vous trouverez un Enfant enveloppé de langes. Vos langes sont donnés comme un signe , ô Seigneur Jésus ; mais ce signe, pourquoi tant de gens l'ont-ils contredit jusqu'à ce jour? Il nous a donné l'exemple, afin que nous le suivions. Dans la lutte , la cuirasse de fer est sans doute plus utile qu'une robe de lin , quoique la première soit un fardeau et que la seconde soit une marque d'honneur... C'est vraiment une chose choquante , une chose révoltante de voir la soif des richesses dévorer un vermisseau pour lequel le Dieu de majesté, le Seigneur des armées a daigné embrasser la pauvreté... Ce n'est point la pauvreté, c'est l'amour de la pauvreté qui est regardé comme une vertu. Soyez l'ami des pauvres et vous serez l'ami du Roi des Rois; aimez la pauvreté et vous régnerez un jour dans les Cieux ; car le Royaume des Cieux appartient aux pauvres. Heureux celui qui ne court point après des biens dont la possession est un fardeau , l'amour une souillure, la perte un supplice. » Ainsi parle saint Bernard.
Vous voyez donc , par l'exemple des Apôtres , par les extraits précédents des ouvrages de saint Bernard et par ceux que nous avons produits en parlant de la Naissance de Jésus-Christ et de son sermon sur la montagne, avec quelle ardeur vous devez vous appliquer à la pauvreté comme à la plus excellente des vertus.
Mais que dirons-nous de l'abstinence ? Que dirons-nous de la vertu opposée à la gourmandise , de la sobriété qui brille dans le fait que nous méditons? Sans doute il est hors de mon sujet principal de traiter de ces vertus , surtout à cause des nombreuses citations que j'aurai à produire. Mais, comme vous n'avez pas l'expérience de ces choses, qu'il vous serait difficile d'en acquérir la connaissance, parce que vous n'avez pas les livres où vous pourriez la puiser, je vais , pour votre utilité, vous en parler avec tout le zèle dont je suis capable , afin que , à l'aide de ce secours , ayant au moins la connaissance de ce qu'il y a de plus essentiel dans ces vertus , vous puissiez imiter Celui qui en est le modèle et le maître, Jésus-Christ, dont la vie est l'objet principal de nos méditations.
Sachez donc, quant à la gourmandise, qu'il faut lui résister avec persévérance , la combattre sans relâche et surtout en éviter toutes les occasions. C'est ainsi qu'en ont agi les saints Pères et les Maîtres de la vie spirituelle. Écoutez ce que saint Bernard dit de ce vice: « (1) Comment l'homme, cette noble créature, l'homme destiné à jouir du bonheur éternel et de la gloire du grand Dieu qui l'a créé par son souffle, formé à son image , racheté de son sang , favorisé du don de la foi , adopté par le Saint-Esprit , comment l'homme est- il assez pusillanime, assez vil, assez misérable pour ne pas rougir de la déplorable servitude où le retient la corruption des sens corporels? Il est vraiment bien juste , qu'après avoir abandonné le céleste Époux pour courir après les indignes objets de sa convoitise, il ne puisse pas même les atteindre. Peine véritablement insensée! puisqu'elle aboutit à entretenir la femme stérile qui n'enfante pas , au préjudice de la veuve qu'on laisse dans l'indigence ; à négliger le soin de son âme , pour satisfaire les désirs déréglés de la chair; à engraisser et à entretenir un cadavre en putréfaction qui bientôt doit indubitablement devenir la proie des vers. » Ainsi parle saint Bernard.
Vous voyez donc avec quel soin il faut se garder de la gourmandise. Cependant on peut accorder au corps ce qu'exigent ses besoins et sa santé. Ce qui fait dire au même saint Bernard : « (2) De tous les biens qu'on peut procurer au corps , le seul que nous lui devons, c'est la santé. Or, il n'y a rien de plus à lui donner ou à chercher pour lui , mais il faut l'arrêter, l'enchaîner dans ces limites, puisqu'il n'est bon à rien et qu'il est destiné à la mort. Que si l'on sacrifie les intérêts de la santé a ceux de la volupté , loin d'être naturelle, cette préférence est contre la nature qui fait alliance avec la mort lorsqu'elle s'assujettit a la volupté. C'est ainsi qu'une foule d'hommes se sont laissés aller ou pour mieux dire , se sont honteusement abandonnés à un si brutal emportement que, préférant leurs plaisirs à leur santé , ils se livrent avec excès à des débauches de table dont, ils ne l'ignorent pas, les douleurs les plus vives et les plus cuisantes seront bientôt les tristes conséquences.
(1) Serm. ad cleric c, 13. — (2) Serm. Bern. de triplici gen. hon. et vig. super cogitât.
Or, comme la santé est nécessaire à notre corps, ainsi la pureté est nécessaire à notre cœur ; parce que , lorsque son œil se trouble , il cesse de voir Dieu et que le cœur de l'homme est fait pour contempler son Créateur. Si donc on doit veiller avec soin à la conservation de la santé du corps , il faut , pour conserver la pureté du cœur , employer une vigilance d'autant plus grande qu'il est constant que cette partie de nous-mêmes l'emporte en dignité sur l'autre. Cette réserve à l'égard des aliments m'inspire quelque défiance; cependant, lorsqu'elle nous est prescrite par les médecins , nous ne rejetons point ces précautions nécessaires à la santé du corps , parce que personne n'est ennemi de son corps (1). » Ainsi parle saint Bernard.
(1) Serm. Bern. 60 super cant.
Vous voyez donc , par les citations qui précèdent , que, si l'on peut prendre un soin raisonnable de la santé du corps, il faut se garder d'une trop minutieuse attention , dans le choix des aliments. Mais que dirons-nous de l'abstinence? Ce n'est pas moi qui vais vous en parler; c'est encore saint Bernard. Voici comment il s'exprime : (1) « L'esprit et la chair , le zèle ardent et la tiédeur sont inconciliables puisque la tiédeur en particulier provoque les vomissements de Notre Seigneur. En effet, si les Apôtres trop attachés encore à l'humanité de leur divin Maître qui , à la vérité était sainte , puisqu'elle était unie au Saint des Saints , ne purent être remplis du Saint-Esprit avant que Jésus ne se séparât d'eux, comment vous qui êtes attaché et comme collé à un corps infâme et tout rempli de tant de désirs impurs , pourriez- vous vous flatter de recevoir cet Esprit d'une pureté infinie , sans avoir même essayé de renoncer à toutes ces misérables consolations de la chair? Il faut l'avouer, votre cœur d'abord sera plein de tristesse; mais si vous persévérez , cette tristesse se changera en joie. Car alors vos affections seront purifiées et votre volonté sera rectifiée , ou plutôt sera renouvelée , de sorte que vous vous porterez avec beaucoup d'empressement et de joie à faire tout ce qui d'abord vous paraissait difficile et même impossible.»
(1) Bern. Serm. 3 de Ascens.
« (1 ) Ferons-nous un reproche à saint Paul en le voyant châtier son corps et le réduire en servitude? (2) Je m'abstiendrai donc du vin , parce qu'il enfante les passions les plus désordonnées , ou , si j'ai quelques infirmités, j'en prendrai peu, suivant le conseil de l' Apôtre. Je m'abstiendrai de la viande, de peur qu'en nourrissant trop bien la chair, je ne nourrisse en même temps les vices de la chair. J'aurai soin de mesurer le pain même que je prendrai , de peur qu'après avoir surchargé mon estomac , la prière elle-même ne me soit à charge, et aussi pour que le Prophète ne puisse me reprocher de manger mon pain jusqu'à satiété (3). Ainsi parle saint Bernard.
(1) Bern. Serm. 66, super cant. (2) Eph. 3. — (3) Jer. 14.
Ces citations prouvent clairement que l'abstinence , si recommandable d'ailleurs , est tout-à-fait indispensable. Et en effet , les anciens Pères , ainsi que saint François et votre fondatrice, sainte Claire, l'ont très-étroitement observée, comme on peut le voir dans leurs vies. Il paraît cependant , suivant le même saint Bernard , qu'il faut modérer l'abstinence en trois cas. D'abord , lorsqu'on la ferait contre la volonté du supérieur ; car il n'est , en aucun cas, permis d'agir ainsi. Secondement, lorsqu'en la faisant on scandaliserait notablement ses frères ; car , dans les exercices spirituels, il vaut mieux se conformer, par charité, à la manière de vivre de la communauté que de scandaliser un seul de ses frères, en s'élevant au-dessus de la vie commune , pour pratiquer une abstinence plus austère. Le troisième cas où il faut renoncer à l'abstinence , c'est lorsque le corps n'en pourrait soutenir la rigueur ; car une mortification indiscrète doit être regardée , non comme une vertu , mais comme un vice.
Les citations précédentes ont dû vous faire comprendre jusqu'à quel point l'exemple des Disciples condamne la superfluité et la gourmandise.
DE LA PISCINE PROBATIQUE, ET EN OUTRE QU'IL NE FAUT PAS JUGER TÉMÉRAIREMENT SES FRERES.
Il y avait à Jérusalem un réservoir d'eau où l'on venait laver les brebis destinées aux sacrifices (1 ) . On assure qu'on y avait pris le bois qui servit à la Croix de Jésus. A certains temps, après que l'Ange en avait une seule fois agité les eaux , celui qui y descendait le premier était guéri, quelle que fût sa maladie. Aussi voyait-on continuellement sur ses bords un grand nombre d'infirmes. Or, il y avait là un malade étendu sur son lit , qui, depuis trente-huit ans, était paralytique. Jésus le guérit donc un jour de Sabbat. Voyez Jésus s'approchant humblement de ce malade et lui parlant avec sa bonté accoutumée.
Or , il y a ici trois remarques à faire : premièrement , comme Notre Seigneur demanda à ce malades'il voulait être guéri , de même aussi il ne nous sauvera pas sans notre consentement , d'où il suit que les pécheurs sont inexcusables lorsqu'ils résistent à sa volonté et qu'ils refusent la grâce du salut; puisque, suivant saint Augustin : (2) « Celui qui nous a créés sans nous , ne nous sauvera pas sans nous, » Secondement, nous devons craindre de faire une rechute, car, si nous retombons après avoir été guéris par le Seigneur, notre ingratitude nous méritera un châtiment plus sévère, ainsi que le Seigneur le fit entendre au paralytique, en lui disant : Allez, ne péchez plus à l'avenir, de peur qu'il ne vous arrive quelque chose de pire.
(1) Jean., 8. — (2) August. de verb. Apost. serm. 15.
La troisième remarque, c'est que tout nuit aux méchants , comme tout profite aux justes. En effet, lorsque le paralytique, emportant son lit après sa guérison , entendait dire aux Juifs que cela ne pouvait se faire le jour du Sabbat , il leur répondit : Celui qui m'a guéri m'a dit : Emportez votre lit. Les Juifs ne lui demandèrent pas quel est celui qui vous a guéri ? de sorte qu'ils s'attachaient plus à ce qu'ils pouvaient blâmer qu'à ce qui pouvait mériter leurs éloges. C'est ainsi que les hommes charnels forment souvent, sur ce qu'ils voient, des jugements injustes, et trouvent presque partout une occasion de se nuire; pour les hommes qui vivent selon l'Esprit, ils rapportent tout à la gloire de Dieu , la prospérité comme l'adversité ; et comme ils sont persuadés que tout ce qui arrive est pour le mieux , parce que Dieu fait bien toutes choses et ne permet rien sans raison, ils prennent tout en bonne part, selon ce qu'enseigne saint Bernard en ces termes : (1) « Gardez-vous d'observer curieusement ou de juger témérairement la conduite de votre prochain. Ne portez pas de semblables jugements, lors même que vous apercevriez en lui quelque chose de mal , mais plutôt excusez l'intention ; si l'action est inexcusable , attribuez-la à l'ignorance, à la surprise, à quelqu'accident imprévu. Que si le mal est si évident qu'il soit impossible de le dissimuler, en tâchant de vous persuader que l'épreuve était trop forte , dites- vous à vous-même : à quoi m'aurait réduit cette tentation si elle eût exercé sur moi-même un tel empire ? » Ainsi s'exprime saint Bernard.
(1) Serm. 40 , sup. cant.
Quant aux avantages que les hommes qui vivent selon l'Esprit recueillent de toutes choses, même de leurs propres fautes, des péchés d'autrui , des évènements les plus fâcheux , même encore des œuvres du Démon (ange déchu); voilà ce qu'en dit le même saint Bernard : (1) « On sait que les brutes et les êtres sans raison, quoiqu'incapables de parvenir aux biens spirituels, rendent, par leurs services corporels et temporels., l'acquisition de ces mêmes biens plus facile à ceux qui savent faire tourner au profit de l'Éternité la jouissance des biens de ce monde dont ils usent comme n'en usant pas. » Saint Bernard ajoute plus loin : «S'il y a quelques animaux dont on ne peut commodément faire usage, s'il y en a de nuisibles ou même de dangereux, il est constant qu'ils sont temporellement utiles à la santé et à la conservation des hommes ; de plus , les corps de ces animaux peuvent contribuer au bien spirituel de ceux que Dieu , suivant ses desseins , a appelés à la sainteté ; et si ce n'est par la nourriture qu'ils leur fournissent, ou par les services qu'ils leur rendent, c'est indubitablement en élevant sans cesse leur esprit jusqu'à Celui qui doit toujours être présent à une créature intelligente, donnant ainsi à l'instruction de tous un avancement à l'aide duquel (2) les perfections invisibles de Dieu deviennent visibles par la connaissance que les créatures nous en donnent ; car le Démon (ange déchu) et ses satellites , ayant sans cesse de mauvaises intentions, sont perpétuellement animés du désir de vous perdre ; mais si vous êtes zélés à faire le bien , ils ne peuvent vous nuire ; disons plus , ils » vous sont utiles, et malgré eux ils coopèrent à l'avantage des hommes de bien .»
(1) Bern. Serm. 5, sup. cant. — (2) Rom., 1.
Saint Bernard dit plus loin : « Il y a , en effet , des êtres qui font le bien sans le vouloir, ce sont les hommes méchants ou les mauvais Anges ; et il est évident que ce bien qui est fait par eux ne l'est pas pour eux, puisque nul ne peut profiter du bien qu'il fait malgré lui. Dieu ne leur a donc confié que la dispensation de ce bien , et je ne sais pourquoi nous sommes plus flattés et plus reconnaissants du bien qui nous est fait par un mauvais dispensateur. Voilà donc pourquoi Dieu se sert des méchants pour faire du bien aux bons; car il n'a nul besoin d'eux pour répandre ses bienfaits. »
Saint Bernard dit encore : (1) « Cendre et poussière, pourquoi vous enorgueillir ? Le Seigneur a rejeté les Anges eux-mêmes , tant leur orgueil était abominable à ses yeux. Que leur réprobation serve donc à notre amendement; c'est pour cela qu'il est écrit : (2) Que le mal fait par le Démon ( ange déchu) lui-même tourne à mon avantage et que je purifie mes mains dans le sang du plus grand des pécheurs ! Mais , dites-vous, comment cela se fera- t-il? Le voici. L'orgueil du Démon a été frappé par la malédiction la plus horrible et la plus formidable. Si Dieu a ainsi traité l'Ange rebelle , à quoi dois-je m'attendre , cendre et poussière. L'Ange s'est gonflé d'orgueil dans le Ciel et moi sur le fumier. Qui oserait dire que l'orgueil n'est pas plus supportable dans un riche que dans un pauvre ? Malheur donc à moi ! si un Ange du premier ordre a été châtié avec tant de sévérité, que n'ai-je pas à craindre, créature chétive, misérable, et cependant si orgueilleuse. »
(1) Bern. Serm. 54, sup. cant. — (2) Ps. 87.
C'est ainsi que saint Bernard , en parlant de l'Église qui devint l'Épouse de Jésus-Christ, après s'être souillée dans les voies de l'iniquité, puisque, au grand scandale de la Synagogue qui lui en faisait un reproche , elle était en grande partie composée de nations idolâtres , c'est ainsi que saint Bernard sait profiter de cette circonstance lors qu'il dit : (1) « C'est à elle que beaucoup de péchés sont pardonnés, c'est elle aussi qui a plus d'amour, de sorte qu'elle fait tourner à son avantage les reproches mêmes que sa rivale lui adresse pour la perdre. C'est là ce qui la rend plus douce dans ses réprimandes , plus patiente dans l'adversité , plus ardente dans sa charité , plus prudente dans sa prévoyance , plus humble dans la connaissance qu'elle a d'elle- même, plus résignée dans ses disgrâces, plus soumise dans son obéissance , plus empressée et plus fidèle dans ses actions de grâces. » Voilà ce que dit saint Bernard.
Voyez comment ceux dont la vie est spirituelle prennent tout en bonne part et profitent de tout. Vivez donc comme eux et tout se changera en bien pour vous. J'ajoute que ces considérations vous procureront aussi , dans les tribulations et les tentations, la patience et la paix de l'âme. En effet, il n'y a personne qui, parla pratique habituelle d'un semblable exercice, ne puisse s'établir dans une tranquillité d'esprit si parfaite que rien ne serait presque jamais capable de lui causer le moindre trouble , et que même il y aurait lieu de lui appliquer ces paroles de la sagesse : (2) Quoi qu'il arrive au Juste, il n'en sera jamais affligé.
(1) Bern. Serm. 14, sup. cant. — (2) Prov., 12.
CHAPITRE XLIV.
LES DISCIPLES DE JÉSUS ARRACHENT QUELQUES ÉPIS ; ET A CETTE OCCASION CONSIDÉRATIONS SUR LA PAUVRETÉ. ( Extraits)
Un jour de Sabbat, les Disciples de (1) Notre Seigneur Jésus-Christ, pressés par la faim et n'ayant rien à manger, traversèrent des champs couverts de moissons et arrachèrent quelques épis dont ils mangèrent les grains après les avoir roulés dans les mains. Mais ils en furent repris par les Pharisiens qui leur dirent que cela n'était pas permis le jour du Sabbat. Notre Seigneur les justifiait sur ce point , et faisait souvent lui-même, à pareil jour, des choses qui paraissaient défendues, ainsi que je l'ai remarqué plus haut en parlant de la guérison d'un homme dont la main était desséchée. Pour vous, ma fille , arrêtez vos regards sur les Disciples , et compatissez à l'extrême nécessité où ils sont réduits, bien qu'ils l'acceptent avec joie, par amour pour la pauvreté que leur Seigneur et leur Maître leur avait recommandée comme la première de toutes les vertus et de toutes les béatitudes.
(1) Matth. 12.
Mais comment imaginer que les Disciples de Jésus, ces Princes du monde , se trouvent , en présence du Créateur de toutes choses , réduits à une pauvreté si extrême qu'ils n'aient pour se nourrir que la pâture des animaux ! Jésus les considérait avec une vive compassion, parce qu'il les aimait tendrement; mais, en même temps, il les voyait avec complaisance soumis à une épreuve qu'il savait être si méritoire pour eux, et si avantageuse pour nous à qui elle devait offrir un exemple dont nous pouvons profiter pour l'exercice de plusieurs vertus ; car rien n'est plus propre à faire admirablement briller à nos yeux la sainte pauvreté , à nous apprendre à mépriser les pompes du monde , à nous dégoûter de la somptuosité et de la délicatesse dans la préparation des aliments , et à affaiblir entièrement en nous la gourmandise avec ses excès, ses honteuses recherches et ses insatiables désirs. Redoublez donc ici d'attention et après un tel exemple , attachez-vous de tout votre cœur à une vertu qui a brillé d'un si vif éclat en Notre Seigneur, en sa sainte Mère, en ceux que j'ai déjà appelés les Princes du monde et en tous ceux qui se sont appliqués avec plus de perfection à marcher sur leurs traces. Mais comprenez bien de quelle pauvreté il est ici question. Car je n'ignore pas que, vivant dans un monastère, vous avez fait vœu de pauvreté et que vous ne pouvez rien posséder ; rendez-en grâces à Dieu et soyez inviolablement fidèle à vos promesses.
Mais je désire que vous portiez cette vertu à une plus haute perfection qui ne diffère en rien de votre profession, et sans l'intelligence de laquelle, j'ose le dire, votre profession elle-même ne serait qu'un mot vide de sens. Je veux donc parler de cette pauvreté qui a sa racine dans le cœur ; car c'est dans l’âme, et non à l'extérieur, qu'il faut mettre les vertus. Or, vous serez un modèle parfait de pauvreté si vos sentiments s'accordent avec votre profession. Car, si vous souffrez extérieurement la privation de certaines choses, parce que, peut-être, vous n'en avez pas autant que le voudrait votre sensualité , tandis que vous les convoitez intérieurement et qu'avec un plein consentement, vous souhaitez d'en avoir au-delà de vos besoins , vous ne vivez pas dans la pauvreté, mais dans l'indigence; parce qu'une telle pauvreté ne peut être considérée comme une vertu et n'a droit à aucune récompense ; ce n'est qu'une disette forcée et sans aucun mérite.
En effet, il suffit de consentir à la concupiscence pour perdre tout mérite et pour tomber dans tous les désordres , et, avec une telle pauvreté, ne vous flattez pas de pouvoir jamais vous élever à un haut degré d'oraison ou à la contemplation ; n'espérez pas obtenir jamais le centuple promis comme une récompense. Car comment un cœur appesanti par le poids des désirs terrestres pourra- t-il s'élever aux choses du Ciel ? Et comment une Âme qui s'est souillée dans la boue et dans la fange pourrait-elle s'approcher de la pureté de Dieu et des choses célestes avec des affections terrestres et grossières.
Attachez-vous donc du fond du cœur à la pauvreté , regardez-la comme votre mère, que sa beauté vous ravisse; mettez en elle seule toutes vos délices, que rien au monde ne soit capable de vous porter à en violer les règles; n'avez rien et ne souhaitez d'avoir absolument rien au-delà du nécessaire. Et si vous me demandez en quoi consiste ce nécessaire ? Je vous répondrai que plus votre amour pour la pauvreté sera parfait, mieux vous jugerez de ce qui est vraiment nécessaire. Car ce qui est vraiment nécessaire, c'est ce dont on ne peut se passer. Voyez donc quelles sont les choses dont vous pouvez aisément vous passer, et quant aux autres, gardez-vous de les posséder , de les rechercher, de vous les procurer et même de les recevoir de la main de ceux qui voudraient vous les donner spontanément. Toutefois , quelqu 'étroites que soient les bornes dans lesquelles vous vous renfermiez , vous ne parviendrez jamais à imiter parfaitement Notre-Seigneur dans sa pauvreté , et il me semble que tous les efforts que nous ferons pour l'égaler en ce point seront toujours impuissants.
Pour justifier en peu de mots ce que j'avance, négligeant d'alléguer qu'il est Dieu , le Maître de tous les biens , le Seigneur de toutes choses , le modèle de toute perfection et le reste, je me borne à un unique et solide argument, et je dis : Jésus-Christ a accepté non-seulement tous les besoins , mais toutes les humiliations de la pauvreté. Car la pauvreté que nous avons embrassée volontairement et par amour de Dieu ( ordres religieux et monastique) est, ajuste titre, considérée comme une vertu; aussi, loin de nous avilir, elle nous honore aux yeux même des pervers. Mais il n'en fut pas ainsi de la pauvreté de Jésus ; car on ne savait pas ce qu'il était et l'on ignorait que son indigence était volontaire; or la pauvreté, quand on la subit par nécessité, est un opprobre et nous expose au mépris. Et comme tout le monde savait que Jésus n'avait ni domicile, ni propriété, ni aucunes choses semblables, il n'en paraissait que plus méprisable encore.
En effet , les pauvres de cette espèce sont foulés aux pieds de tout le monde, et, quelqu'instruits , quelque judicieux qu'ils soient , ils n'inspirent aucune confiance ; s'ils sont d'une naissance illustre , ils n'en sont pas moins raillés et méprisés ; disons plus encore , leur noblesse , leurs lumières , leur probité , tout ce qui passe pour vertu aux yeux des hommes ne semble plus exister en eux , car ils sont presqu'universellement rejetés sans égard soit aux droits d'une ancienne amitié , soit aux liens du sang , comme il n'arrive que trop souvent , puisqu'on refuse de reconnaître tous ceux qui sont en cet état pour ses amis ou pour ses proches.
Vous voyez donc bien que vous ne sauriez jamais ni imiter, ni encore moins égaler Jésus-Christ dans la profonde abjection de pauvreté et d'humilité où il a daigné s'abaisser . Ainsi il ne faut pas mépriser les pauvres qui sont dans le monde ; ce sont des images vivantes de Jésus-Christ même. Par conséquent rien de plus désirable que la vertu de pauvreté , pour nous surtout qui nous sommes engagés à la pratiquer. ( ordres religieux et monastiques)
Appliquez-vous donc, par tous ces motifs, à en observer les règles avec tout le respect et le dévouement dont vous êtes capable. Mais, si vous voulez aussi entendre saint Bernard sur ce sujet , voici ses paroles : « (1) Imitons autant qu'il nous est possible Celui qui a tant aimé la pauvreté que, pouvant disposer de l'univers entier, il n'eut cependant point où reposer sa tête. Aussi voyons-nous que les Disciples qui le suivaient, pressés par la faim alors qu'ils passaient par un champ de blé, furent réduits à rouler quelques épis dans leurs mains. »
(1) Serm, 4 , de advent.
Le même auteur dit autre part : « Pourquoi notre Sauveur lui-même , Maître souverain de tous les trésors du monde, consacre-t-il, en sa personne, la sainte pauvreté? ou du moins , pourquoi cette pauvreté est-elle décrite si soigneusement par l'Ange aux Bergers ? Voilà, leur dit-il, à quel signe vous le reconnaîtrez; vous trouverez un Enfant enveloppé de langes. Vos langes sont donnés comme un signe , ô Seigneur Jésus ; mais ce signe, pourquoi tant de gens l'ont-ils contredit jusqu'à ce jour? Il nous a donné l'exemple, afin que nous le suivions. Dans la lutte , la cuirasse de fer est sans doute plus utile qu'une robe de lin , quoique la première soit un fardeau et que la seconde soit une marque d'honneur... C'est vraiment une chose choquante , une chose révoltante de voir la soif des richesses dévorer un vermisseau pour lequel le Dieu de majesté, le Seigneur des armées a daigné embrasser la pauvreté... Ce n'est point la pauvreté, c'est l'amour de la pauvreté qui est regardé comme une vertu. Soyez l'ami des pauvres et vous serez l'ami du Roi des Rois; aimez la pauvreté et vous régnerez un jour dans les Cieux ; car le Royaume des Cieux appartient aux pauvres. Heureux celui qui ne court point après des biens dont la possession est un fardeau , l'amour une souillure, la perte un supplice. » Ainsi parle saint Bernard.
Vous voyez donc , par l'exemple des Apôtres , par les extraits précédents des ouvrages de saint Bernard et par ceux que nous avons produits en parlant de la Naissance de Jésus-Christ et de son sermon sur la montagne, avec quelle ardeur vous devez vous appliquer à la pauvreté comme à la plus excellente des vertus.
Mais que dirons-nous de l'abstinence ? Que dirons-nous de la vertu opposée à la gourmandise , de la sobriété qui brille dans le fait que nous méditons? Sans doute il est hors de mon sujet principal de traiter de ces vertus , surtout à cause des nombreuses citations que j'aurai à produire. Mais, comme vous n'avez pas l'expérience de ces choses, qu'il vous serait difficile d'en acquérir la connaissance, parce que vous n'avez pas les livres où vous pourriez la puiser, je vais , pour votre utilité, vous en parler avec tout le zèle dont je suis capable , afin que , à l'aide de ce secours , ayant au moins la connaissance de ce qu'il y a de plus essentiel dans ces vertus , vous puissiez imiter Celui qui en est le modèle et le maître, Jésus-Christ, dont la vie est l'objet principal de nos méditations.
Sachez donc, quant à la gourmandise, qu'il faut lui résister avec persévérance , la combattre sans relâche et surtout en éviter toutes les occasions. C'est ainsi qu'en ont agi les saints Pères et les Maîtres de la vie spirituelle. Écoutez ce que saint Bernard dit de ce vice: « (1) Comment l'homme, cette noble créature, l'homme destiné à jouir du bonheur éternel et de la gloire du grand Dieu qui l'a créé par son souffle, formé à son image , racheté de son sang , favorisé du don de la foi , adopté par le Saint-Esprit , comment l'homme est- il assez pusillanime, assez vil, assez misérable pour ne pas rougir de la déplorable servitude où le retient la corruption des sens corporels? Il est vraiment bien juste , qu'après avoir abandonné le céleste Époux pour courir après les indignes objets de sa convoitise, il ne puisse pas même les atteindre. Peine véritablement insensée! puisqu'elle aboutit à entretenir la femme stérile qui n'enfante pas , au préjudice de la veuve qu'on laisse dans l'indigence ; à négliger le soin de son âme , pour satisfaire les désirs déréglés de la chair; à engraisser et à entretenir un cadavre en putréfaction qui bientôt doit indubitablement devenir la proie des vers. » Ainsi parle saint Bernard.
Vous voyez donc avec quel soin il faut se garder de la gourmandise. Cependant on peut accorder au corps ce qu'exigent ses besoins et sa santé. Ce qui fait dire au même saint Bernard : « (2) De tous les biens qu'on peut procurer au corps , le seul que nous lui devons, c'est la santé. Or, il n'y a rien de plus à lui donner ou à chercher pour lui , mais il faut l'arrêter, l'enchaîner dans ces limites, puisqu'il n'est bon à rien et qu'il est destiné à la mort. Que si l'on sacrifie les intérêts de la santé a ceux de la volupté , loin d'être naturelle, cette préférence est contre la nature qui fait alliance avec la mort lorsqu'elle s'assujettit a la volupté. C'est ainsi qu'une foule d'hommes se sont laissés aller ou pour mieux dire , se sont honteusement abandonnés à un si brutal emportement que, préférant leurs plaisirs à leur santé , ils se livrent avec excès à des débauches de table dont, ils ne l'ignorent pas, les douleurs les plus vives et les plus cuisantes seront bientôt les tristes conséquences.
(1) Serm. ad cleric c, 13. — (2) Serm. Bern. de triplici gen. hon. et vig. super cogitât.
Or, comme la santé est nécessaire à notre corps, ainsi la pureté est nécessaire à notre cœur ; parce que , lorsque son œil se trouble , il cesse de voir Dieu et que le cœur de l'homme est fait pour contempler son Créateur. Si donc on doit veiller avec soin à la conservation de la santé du corps , il faut , pour conserver la pureté du cœur , employer une vigilance d'autant plus grande qu'il est constant que cette partie de nous-mêmes l'emporte en dignité sur l'autre. Cette réserve à l'égard des aliments m'inspire quelque défiance; cependant, lorsqu'elle nous est prescrite par les médecins , nous ne rejetons point ces précautions nécessaires à la santé du corps , parce que personne n'est ennemi de son corps (1). » Ainsi parle saint Bernard.
(1) Serm. Bern. 60 super cant.
Vous voyez donc , par les citations qui précèdent , que, si l'on peut prendre un soin raisonnable de la santé du corps, il faut se garder d'une trop minutieuse attention , dans le choix des aliments. Mais que dirons-nous de l'abstinence? Ce n'est pas moi qui vais vous en parler; c'est encore saint Bernard. Voici comment il s'exprime : (1) « L'esprit et la chair , le zèle ardent et la tiédeur sont inconciliables puisque la tiédeur en particulier provoque les vomissements de Notre Seigneur. En effet, si les Apôtres trop attachés encore à l'humanité de leur divin Maître qui , à la vérité était sainte , puisqu'elle était unie au Saint des Saints , ne purent être remplis du Saint-Esprit avant que Jésus ne se séparât d'eux, comment vous qui êtes attaché et comme collé à un corps infâme et tout rempli de tant de désirs impurs , pourriez- vous vous flatter de recevoir cet Esprit d'une pureté infinie , sans avoir même essayé de renoncer à toutes ces misérables consolations de la chair? Il faut l'avouer, votre cœur d'abord sera plein de tristesse; mais si vous persévérez , cette tristesse se changera en joie. Car alors vos affections seront purifiées et votre volonté sera rectifiée , ou plutôt sera renouvelée , de sorte que vous vous porterez avec beaucoup d'empressement et de joie à faire tout ce qui d'abord vous paraissait difficile et même impossible.»
(1) Bern. Serm. 3 de Ascens.
« (1 ) Ferons-nous un reproche à saint Paul en le voyant châtier son corps et le réduire en servitude? (2) Je m'abstiendrai donc du vin , parce qu'il enfante les passions les plus désordonnées , ou , si j'ai quelques infirmités, j'en prendrai peu, suivant le conseil de l' Apôtre. Je m'abstiendrai de la viande, de peur qu'en nourrissant trop bien la chair, je ne nourrisse en même temps les vices de la chair. J'aurai soin de mesurer le pain même que je prendrai , de peur qu'après avoir surchargé mon estomac , la prière elle-même ne me soit à charge, et aussi pour que le Prophète ne puisse me reprocher de manger mon pain jusqu'à satiété (3). Ainsi parle saint Bernard.
(1) Bern. Serm. 66, super cant. (2) Eph. 3. — (3) Jer. 14.
Ces citations prouvent clairement que l'abstinence , si recommandable d'ailleurs , est tout-à-fait indispensable. Et en effet , les anciens Pères , ainsi que saint François et votre fondatrice, sainte Claire, l'ont très-étroitement observée, comme on peut le voir dans leurs vies. Il paraît cependant , suivant le même saint Bernard , qu'il faut modérer l'abstinence en trois cas. D'abord , lorsqu'on la ferait contre la volonté du supérieur ; car il n'est , en aucun cas, permis d'agir ainsi. Secondement, lorsqu'en la faisant on scandaliserait notablement ses frères ; car , dans les exercices spirituels, il vaut mieux se conformer, par charité, à la manière de vivre de la communauté que de scandaliser un seul de ses frères, en s'élevant au-dessus de la vie commune , pour pratiquer une abstinence plus austère. Le troisième cas où il faut renoncer à l'abstinence , c'est lorsque le corps n'en pourrait soutenir la rigueur ; car une mortification indiscrète doit être regardée , non comme une vertu , mais comme un vice.
Les citations précédentes ont dû vous faire comprendre jusqu'à quel point l'exemple des Disciples condamne la superfluité et la gourmandise.
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: MÉDITATIONS SUR LA VIE JESUS-CHRIST TRADUITES DE SAINT BONAVENTURE - 14 eme siecle
CHAPITRE XLV.
DES DIFFÉRENTES FONCTIONS DE MARTHE ET DE MARIE; ET EN MÊME TEMPS DE LA CONTEMPLATION, LAQUELLE SE DIVISE EN DEUX PARTIES.
Notre Seigneur Jésus-Christ , étant une fois allé à Béthanie visiter Marthe et Marie (2), ces deux sœurs, qui l'aimaient tendrement, le reçurent avec beaucoup de respect et de satisfaction. Marthe, sœur de Marie, se mit avec empressement à préparer un repas convenable au divin Maître et à ses Disciples. Mais Marie vint s'asseoir aux pieds de Jésus , et pendant que Notre Seigneur, qui ne voulait pas rester oisif, faisait, suivant son usage, entendre les paroles de la vie éternelle, Marie , fixant sur lui ses yeux et ses oreilles , prenait à l'écouter un plaisir inexprimable dont rien n'était capable de la distraire. Marthe vit avec peine la conduite de sa sœur ; et elle pria le Seigneur d'ordonner à Marie de partager les soins auxquels elle se livrait ; mais Jésus fut d'un autre avis et dit que Marie avait choisi la meilleure part.
Alors Marie, qui savourait dans une douce quiétude la parole de Dieu , comme tirée du sommeil à la voix de sa sœur, craignit d'avoir déplu à Jésus par son inaction , baissa la tête et garda le silence. Mais , rassurée par la réponse de Notre Seigneur, elle demeura à ses pieds dans un repos plus délicieux encore. Ensuite, voyant que le repas était disposé et que Jésus avait cessé de parler, elle se lève promptement, prépare de l'eau pour lui laver les mains, et, sans s'éloigner un moment de lui , lui rend tous les services dont elle est capable.
Observez avec attention l'entrée de Jésus chez ces deux sœurs, l'extrême joie qu'elles ont de le recevoir et les autres circonstances que nous venons de décrire, car elles sont toutes pleines d'intérêt. Mais il faut que vous sachiez que, selon les saints , Marthe et Marie sont ici la figure de deux sortes de vie ; l'active et la contemplative.
Ce sujet exigerait de longs développements ; mais comme je pense que des détails trop étendus sur cette matière ne vous conviennent point , je me contenterai de vous en écrire quelque chose; d'abord parce que saint Bernard traite largement cette question en plusieurs endroits de ses ouvrages, et qu'en outre rien ne peut être plus utile, plus édifiant , plus nécessaire pour vous que la lecture de ce qu'il en dit. Car nous vivons toujours de l'une ou de l'autre de ces deux vies dont je viens de parler, et souvent nous ignorons de quelle manière nous devons nous y conduire ; ignorance fort dangereuse et fort dommageable , surtout pour ceux qui vivent en religion.
Or Marthe est la figure de la vie active. Mais cette vie , selon ce qu'en dit saint Bernard , se divise en deux parties. Dans la première , on travaille à se corriger , à réprimer ses défauts et à se former à toutes les vertus , d'abord pour son propre intérêt , et ensuite pour l'utilité du prochain , par l'exercice des actes de justice et des œuvres de piété et de charité. La seconde partie de la vie active consiste à consacrer principalement pour l'utilité du prochain , mais non sans accroître beaucoup son propre mérite, tous ses soins à diriger, à instruire les autres , à contribuer au salut des âmes , ainsi que le font les Prélats , les Prédicateurs et autres personnes semblables.
Il faut placer la vie contemplative entre ces deux parties de la vie active , en procédant ainsi qu'il suit : premièrement, que l'on s'exerce, que l'on s'applique à l'oraison, à la lecture des saints livres, aux bonnes œuvres , à se rendre utile et serviable dans les rapports que l'on a avec les autres , soit par la réforme de ses défauts, soit par l'acquisition des vertus. En second lieu , que l'on goûte le repos dans la contemplation , en cherchant la solitude de l'âme, en ne s'occupant, au tant que possible, que de Dieu seul. En troisième lieu , lorsque , au moyen des deux exercices précédents , les vertus chrétiennes et la vraie sagesse auront pénétré , éclairé et embrasé le cœur, que l'on s'applique au salut des autres.
Il faut donc d'abord , comme je l'ai déjà indiqué dans la première partie de la vie active , corriger, purifier et fortifier l'âme par l'exercice de toutes les vertus ; ensuite , dans la vie contemplative , on se réforme , on s'éclaire et l'on s'instruit; après cela, on peut sans témérité songer aux intérêts des autres et y contribuer selon ses moyens. Mais, pour justifier l'ordre dont nous venons de parler, nous allons citer diverses autorités , en établissant d'abord que la première partie de la vie active doit précéder la vie contemplative.
CHAPITRE XLVI.
LA VIE ACTIVE DOIT PRÉCÉDER LA VIE CONTEMPLATIVE.
Voici, en effet, comme s'exprime saint Bernard: « (1) Lorsque Jésus entra dans le bourg de Béthanie , il fut reçu par deux sœurs, Marthe et Marie, c'est-à-dire l'action et l'intelligence. Mais Jésus en venant à elles , donne à chacune la grâce qui lui convient davantage , la force et la sagesse ; la force à l'action , la sagesse à l'intelligence. Et voilà pourquoi l'Apôtre le présente dans ses prédications comme la force et tout à la fois la sagesse de Dieu. Mais pourquoi , à son entrée , Marthe le reçoit-elle en s'empressant beaucoup et en le servant, tandis que Marie , se plaçant à ses pieds , tient en quelque sorte tout son cœur suspendu aux paroles qui sortent de la bouche de son divin hôte , si ce n'est pour nous faire comprendre que l'action doit précéder la contemplation? Car il faut incontestablement que tout homme qui désire parvenir à l'intelligence des choses de Dieu , commence par s'exercer avec soin à la pratique des bonnes œuvres , suivant ces paroles de l'Écriture : (2) Mon fils, si vous désirez la sagesse, observez la justice, et Dieu comblera vos désirs ; et ailleurs (3) : J'ai compris par vos ordonnances, etc ; et (4) : Purifiant leurs cœurs par la foi.... Par quelle foi? par cette foi qui opère par la charité.
(5) Peut-être que vous soupirez après le repos délicieux que l'on goûte dans la contemplation , et vous avez raison ; seulement n'oubliez pas les fleurs dont on lit que la couche de l'Épouse était couverte.
(1) Serm. 2. de Assomp. — (2) Eccl. 1. — (3) Ps. 118. — (4) Oct. 15. — (5) Serm. 46, sup. cant.
A son exemple, ayez donc soin vous-même de parfumer la vôtre des fleurs de toutes les bonnes œuvres et de faire précéder votre saint repos par l'exercice des vertus , comme le fruit est précédé par la fleur. Autrement , si vous voulez vous livrer au sommeil avant que d'avoir travaillé, vous désirez un repos trop voluptueux; vous dédaignez la fécondité de Lia , pour vous enivrer uniquement des doux embrassements de Rachel. Mais c'est renverser l'ordre que d'exiger la récompense avant que de l'avoir méritée , et de prendre sa nourriture avant que d'avoir travaillé , puisque , selon l'Apôtre : (1) Celui qui ne travaille pas , ne doit pas manger. J'ai compris par vos ordonnances, dit David, afin de vous faire connaître que les délices de la contemplation sont une récompense qui n'est accordée qu'aux fidèles observateurs des commandements.
(1) 2 Thessal, 3.
Gardez-vous donc bien de croire que l'attrait particulier que vous sentez, pour le repos de la contemplation, puisse jamais vous autoriser à retrancher la moindre chose soit au devoir de la sainte obéissance , soit aux traditions de nos pères. Sans cela, l'Époux céleste ne viendra pas partager votre couche, surtout si , au lieu des fleurs de l'obéissance dont elle devrait être couverte, il n'y voit que les herbes vénéneuses et les orties de la désobéissance.
Dans ce cas, il fermera l'oreille à vos prières et ne se rendra point à vos demandes. Car Celui qui aima l'obéissance jusqu'à la préférer à sa propre vie , ne se livrera jamais à l'homme qui ne pratique point cette vertu. Mais l'inutile repos de votre contemplation ne déplaît pas moins à Celui qui , parlant par avance du temps où , après s'être exilé du Ciel et du séjour de la parfaite tranquillité , il viendrait sur la terre travailler à notre salut, disait par son Prophète : (1) J'ai travaillé en attendant. ... Je ne puis revenir de l'étonnement où me jette la témérité de quelques-uns d'entre nos frères qui, après nous avoir troublés par leur singularité, irrités par leur impatience, scandalisés par leur désobéissance , n'en ont pas moins l'audace d'inviter, par les plus instantes prières, le Dieu de toute pureté à venir se reposer dans le lit impur de leur conscience. Mais voilà ce que leur dit le Seigneur par Isaïe : (2) Lorsque vous élèverez vos mains vers moi, je détournerai mes regards; vous multiplierez en vain vos prières , je ne les écouterai pas.
(1) Jérem. , 6. — (2) Isaï, 1.
Quoi donc ! votre couche , au lieu du parfum des fleurs, n'exhale qu'une odeur infecte, et vous y attirez le Roi de gloire ? Est-ce pour l'y faire reposer ou pour l'outrager que vous en agissez ainsi ? Continuez donc à étendre pendant tout le jour vos mains vers le Seigneur, vous qui durant tout le jour importunez vos frères , attaquez l'unanimité et rompez l'union fraternelle. Mais, dites-vous, que voulez-vous que je fasse? Ce que je veux , c'est que , avant tout , vous purgiez votre conscience de toutes les souillures que la haine , la dispute , le murmure et la jalousie y ont amassées , et que vous vous hâtiez d'expulser entièrement du fond de votre cœur tout ce que vous savez être un obstacle à la paix fraternelle ou à l'obéissance que vous devez à vos supérieurs. Répandez autour de vous les fleurs de toutes sortes de bonnes œuvres et des plus louables sentiments, environnez-vous d'une atmosphère embaumée par l'odeur de toutes les vertus, c'est- à-dire de toutes sortes de vérité , de justice , de sainteté, d'amabilité et de bonne renommée, soit en vertu, soit en louables exemples; que ce soient-là vos pensées et vos exercices habituels. De cette manière , vous appellerez sans crainte à vous l'Époux de votre âme ; car, dès qu'il sera entré en vous, vous pourrez dire comme l'Épouse des Cantiques : Notre couche est embaumée, puisque votre conscience exhalera l'odeur de la piété , de la paix , de la douceur, de la justice, de l'obéissance, de l'humilité. » Ainsi s'exprime saint Bernard. On voit par ce qui précède comment cette partie de la vie active que saint Bernard a appelée la première, doit précéder la vie contemplative.
DES DIFFÉRENTES FONCTIONS DE MARTHE ET DE MARIE; ET EN MÊME TEMPS DE LA CONTEMPLATION, LAQUELLE SE DIVISE EN DEUX PARTIES.
Notre Seigneur Jésus-Christ , étant une fois allé à Béthanie visiter Marthe et Marie (2), ces deux sœurs, qui l'aimaient tendrement, le reçurent avec beaucoup de respect et de satisfaction. Marthe, sœur de Marie, se mit avec empressement à préparer un repas convenable au divin Maître et à ses Disciples. Mais Marie vint s'asseoir aux pieds de Jésus , et pendant que Notre Seigneur, qui ne voulait pas rester oisif, faisait, suivant son usage, entendre les paroles de la vie éternelle, Marie , fixant sur lui ses yeux et ses oreilles , prenait à l'écouter un plaisir inexprimable dont rien n'était capable de la distraire. Marthe vit avec peine la conduite de sa sœur ; et elle pria le Seigneur d'ordonner à Marie de partager les soins auxquels elle se livrait ; mais Jésus fut d'un autre avis et dit que Marie avait choisi la meilleure part.
Alors Marie, qui savourait dans une douce quiétude la parole de Dieu , comme tirée du sommeil à la voix de sa sœur, craignit d'avoir déplu à Jésus par son inaction , baissa la tête et garda le silence. Mais , rassurée par la réponse de Notre Seigneur, elle demeura à ses pieds dans un repos plus délicieux encore. Ensuite, voyant que le repas était disposé et que Jésus avait cessé de parler, elle se lève promptement, prépare de l'eau pour lui laver les mains, et, sans s'éloigner un moment de lui , lui rend tous les services dont elle est capable.
Observez avec attention l'entrée de Jésus chez ces deux sœurs, l'extrême joie qu'elles ont de le recevoir et les autres circonstances que nous venons de décrire, car elles sont toutes pleines d'intérêt. Mais il faut que vous sachiez que, selon les saints , Marthe et Marie sont ici la figure de deux sortes de vie ; l'active et la contemplative.
Ce sujet exigerait de longs développements ; mais comme je pense que des détails trop étendus sur cette matière ne vous conviennent point , je me contenterai de vous en écrire quelque chose; d'abord parce que saint Bernard traite largement cette question en plusieurs endroits de ses ouvrages, et qu'en outre rien ne peut être plus utile, plus édifiant , plus nécessaire pour vous que la lecture de ce qu'il en dit. Car nous vivons toujours de l'une ou de l'autre de ces deux vies dont je viens de parler, et souvent nous ignorons de quelle manière nous devons nous y conduire ; ignorance fort dangereuse et fort dommageable , surtout pour ceux qui vivent en religion.
Or Marthe est la figure de la vie active. Mais cette vie , selon ce qu'en dit saint Bernard , se divise en deux parties. Dans la première , on travaille à se corriger , à réprimer ses défauts et à se former à toutes les vertus , d'abord pour son propre intérêt , et ensuite pour l'utilité du prochain , par l'exercice des actes de justice et des œuvres de piété et de charité. La seconde partie de la vie active consiste à consacrer principalement pour l'utilité du prochain , mais non sans accroître beaucoup son propre mérite, tous ses soins à diriger, à instruire les autres , à contribuer au salut des âmes , ainsi que le font les Prélats , les Prédicateurs et autres personnes semblables.
Il faut placer la vie contemplative entre ces deux parties de la vie active , en procédant ainsi qu'il suit : premièrement, que l'on s'exerce, que l'on s'applique à l'oraison, à la lecture des saints livres, aux bonnes œuvres , à se rendre utile et serviable dans les rapports que l'on a avec les autres , soit par la réforme de ses défauts, soit par l'acquisition des vertus. En second lieu , que l'on goûte le repos dans la contemplation , en cherchant la solitude de l'âme, en ne s'occupant, au tant que possible, que de Dieu seul. En troisième lieu , lorsque , au moyen des deux exercices précédents , les vertus chrétiennes et la vraie sagesse auront pénétré , éclairé et embrasé le cœur, que l'on s'applique au salut des autres.
Il faut donc d'abord , comme je l'ai déjà indiqué dans la première partie de la vie active , corriger, purifier et fortifier l'âme par l'exercice de toutes les vertus ; ensuite , dans la vie contemplative , on se réforme , on s'éclaire et l'on s'instruit; après cela, on peut sans témérité songer aux intérêts des autres et y contribuer selon ses moyens. Mais, pour justifier l'ordre dont nous venons de parler, nous allons citer diverses autorités , en établissant d'abord que la première partie de la vie active doit précéder la vie contemplative.
CHAPITRE XLVI.
LA VIE ACTIVE DOIT PRÉCÉDER LA VIE CONTEMPLATIVE.
Voici, en effet, comme s'exprime saint Bernard: « (1) Lorsque Jésus entra dans le bourg de Béthanie , il fut reçu par deux sœurs, Marthe et Marie, c'est-à-dire l'action et l'intelligence. Mais Jésus en venant à elles , donne à chacune la grâce qui lui convient davantage , la force et la sagesse ; la force à l'action , la sagesse à l'intelligence. Et voilà pourquoi l'Apôtre le présente dans ses prédications comme la force et tout à la fois la sagesse de Dieu. Mais pourquoi , à son entrée , Marthe le reçoit-elle en s'empressant beaucoup et en le servant, tandis que Marie , se plaçant à ses pieds , tient en quelque sorte tout son cœur suspendu aux paroles qui sortent de la bouche de son divin hôte , si ce n'est pour nous faire comprendre que l'action doit précéder la contemplation? Car il faut incontestablement que tout homme qui désire parvenir à l'intelligence des choses de Dieu , commence par s'exercer avec soin à la pratique des bonnes œuvres , suivant ces paroles de l'Écriture : (2) Mon fils, si vous désirez la sagesse, observez la justice, et Dieu comblera vos désirs ; et ailleurs (3) : J'ai compris par vos ordonnances, etc ; et (4) : Purifiant leurs cœurs par la foi.... Par quelle foi? par cette foi qui opère par la charité.
(5) Peut-être que vous soupirez après le repos délicieux que l'on goûte dans la contemplation , et vous avez raison ; seulement n'oubliez pas les fleurs dont on lit que la couche de l'Épouse était couverte.
(1) Serm. 2. de Assomp. — (2) Eccl. 1. — (3) Ps. 118. — (4) Oct. 15. — (5) Serm. 46, sup. cant.
A son exemple, ayez donc soin vous-même de parfumer la vôtre des fleurs de toutes les bonnes œuvres et de faire précéder votre saint repos par l'exercice des vertus , comme le fruit est précédé par la fleur. Autrement , si vous voulez vous livrer au sommeil avant que d'avoir travaillé, vous désirez un repos trop voluptueux; vous dédaignez la fécondité de Lia , pour vous enivrer uniquement des doux embrassements de Rachel. Mais c'est renverser l'ordre que d'exiger la récompense avant que de l'avoir méritée , et de prendre sa nourriture avant que d'avoir travaillé , puisque , selon l'Apôtre : (1) Celui qui ne travaille pas , ne doit pas manger. J'ai compris par vos ordonnances, dit David, afin de vous faire connaître que les délices de la contemplation sont une récompense qui n'est accordée qu'aux fidèles observateurs des commandements.
(1) 2 Thessal, 3.
Gardez-vous donc bien de croire que l'attrait particulier que vous sentez, pour le repos de la contemplation, puisse jamais vous autoriser à retrancher la moindre chose soit au devoir de la sainte obéissance , soit aux traditions de nos pères. Sans cela, l'Époux céleste ne viendra pas partager votre couche, surtout si , au lieu des fleurs de l'obéissance dont elle devrait être couverte, il n'y voit que les herbes vénéneuses et les orties de la désobéissance.
Dans ce cas, il fermera l'oreille à vos prières et ne se rendra point à vos demandes. Car Celui qui aima l'obéissance jusqu'à la préférer à sa propre vie , ne se livrera jamais à l'homme qui ne pratique point cette vertu. Mais l'inutile repos de votre contemplation ne déplaît pas moins à Celui qui , parlant par avance du temps où , après s'être exilé du Ciel et du séjour de la parfaite tranquillité , il viendrait sur la terre travailler à notre salut, disait par son Prophète : (1) J'ai travaillé en attendant. ... Je ne puis revenir de l'étonnement où me jette la témérité de quelques-uns d'entre nos frères qui, après nous avoir troublés par leur singularité, irrités par leur impatience, scandalisés par leur désobéissance , n'en ont pas moins l'audace d'inviter, par les plus instantes prières, le Dieu de toute pureté à venir se reposer dans le lit impur de leur conscience. Mais voilà ce que leur dit le Seigneur par Isaïe : (2) Lorsque vous élèverez vos mains vers moi, je détournerai mes regards; vous multiplierez en vain vos prières , je ne les écouterai pas.
(1) Jérem. , 6. — (2) Isaï, 1.
Quoi donc ! votre couche , au lieu du parfum des fleurs, n'exhale qu'une odeur infecte, et vous y attirez le Roi de gloire ? Est-ce pour l'y faire reposer ou pour l'outrager que vous en agissez ainsi ? Continuez donc à étendre pendant tout le jour vos mains vers le Seigneur, vous qui durant tout le jour importunez vos frères , attaquez l'unanimité et rompez l'union fraternelle. Mais, dites-vous, que voulez-vous que je fasse? Ce que je veux , c'est que , avant tout , vous purgiez votre conscience de toutes les souillures que la haine , la dispute , le murmure et la jalousie y ont amassées , et que vous vous hâtiez d'expulser entièrement du fond de votre cœur tout ce que vous savez être un obstacle à la paix fraternelle ou à l'obéissance que vous devez à vos supérieurs. Répandez autour de vous les fleurs de toutes sortes de bonnes œuvres et des plus louables sentiments, environnez-vous d'une atmosphère embaumée par l'odeur de toutes les vertus, c'est- à-dire de toutes sortes de vérité , de justice , de sainteté, d'amabilité et de bonne renommée, soit en vertu, soit en louables exemples; que ce soient-là vos pensées et vos exercices habituels. De cette manière , vous appellerez sans crainte à vous l'Époux de votre âme ; car, dès qu'il sera entré en vous, vous pourrez dire comme l'Épouse des Cantiques : Notre couche est embaumée, puisque votre conscience exhalera l'odeur de la piété , de la paix , de la douceur, de la justice, de l'obéissance, de l'humilité. » Ainsi s'exprime saint Bernard. On voit par ce qui précède comment cette partie de la vie active que saint Bernard a appelée la première, doit précéder la vie contemplative.
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: MÉDITATIONS SUR LA VIE JESUS-CHRIST TRADUITES DE SAINT BONAVENTURE - 14 eme siecle
CHAP1TRE XLVII.
DE LA PRÉDICATION ; PLUS DE SEPT CHOSES AUXQUELLES IL FAUT S'EXERCER AVANT QUE D'ENSEIGNER LES AUTRES.
Il s'agit maintenant de voir comment la vie contemplative précède l'active dans sa seconde partie et se trouve ainsi placée entre les deux parties de la vie active. Or voici ce que dit saint Bernard à ce sujet : (1) Il y a deux écueils à éviter ; ou de dissiper ce qui nous a été donné pour nous-mêmes, ou de retenir injustement ce qui ne nous a été donné que pour le répandre. Incontestablement vous retenez le bien d'autrui lors , par exemple, qu'étant rempli devenus et manifestement enrichi des dons de la science et de l'éloquence, la timidité , la nonchalance, une humilité sans discernement vous font enchaîner , dans un silence inutile et même condamnable , une langue éloquente qui pourrait faire entendre des vérités utiles à beaucoup de personnes ; certes, vous méritez tous les anathèmes, puisque vous tenez caché au milieu des peuples , ce qui doit servir à leur subsistance
(i) Serm 18, sup. Cant.
D'un autre côté , vous êtes un prodigue , vous travaillez à votre ruine , si , n'étant encore qu'à demi rempli des dons de Dieu , vous vous hâtez de les répandre sur les autres , avant que d'être parvenu à une entière plénitude, violant ainsi la loi qui vous défend de labourer avec un jeune taureau, et de tondre l'agneau qui vient de naître. Il est clair que vous vous ôtez à vous-même la vie et la santé que vous donnez à un autre, lorsque, dépourvu de bonnes intentions, vous vous laissez enfler par le vent de la vaine gloire , infecter par le poison d'une cupidité toute charnelle et étouffer par l'enflure mortelle de l'abcès qui vous dévore.
Ainsi, si vous êtes sage , montrez-vous plutôt semblable au réservoir qu'à l'aqueduc. Car celui-ci verse presqu'aussitôt ce qu'il vient de recevoir; l'autre, au contraire, ne répand rien avant que d'être rempli ; de sorte que , sans s'appauvrir , il donne son superflu , connaissant bien les malédictions prononcées contre celui qui rend sa condition moins bonne. Pour vous, mon frère, dont la santé spirituelle n'est pas encore assez affermie, dont la charité est encore ou nulle , ou si faible et si fragile qu'elle fléchit au moindre souffle , se confie à toutes sortes d'esprit , se laisse emporter à tout vent de doctrine; vous aussi, vous plus spécialement encore dont la charité est si excessive que vous allez au-delà même du commandement qui vous prescrit d'aimer votre prochain comme vous-même , et en même temps si médiocre que , malgré le même commandement, la vapeur l'évapore, la crainte l'affaiblit , le chagrin la trouble , l'avarice la comprime, l'ambition l'exalte, les soupçons l'inquiètent, les injures la tourmentent , les sollicitudes de la vie la détruisent, les honneurs la gonflent, l'envie la dessèche ; vous, dis-je, qui devez avoir une si parfaite connaissance de vos propres infirmités , comment , dites-moi , êtes-vous assez insensé pour aspirer ,ou pour consentir à vous charger du soin de guérir celles de vos frères ?
Mais écoutez les conseils d'une prudente et vigilante charité : (1) Je n`entends pas , dit l'Apôtre, que les autres soient soulagés et que vous soyez surchargé, mais que tout soit réduit à l'égalité. (2) Point d'excès dans la justice... Bornez-vous à aimer votre prochain comme vous-même , voilà en quoi consiste l'égalité. Travaillez d'abord à vous remplir vous-même, vous répandrez ensuite de votre abondance. La douce et prudente charité apporte ordinairement l'abondance et ne s'épuise jamais. (3) Mon fils, dit Salomon, ne vous répandez pas comme l'eau. (4) Et, suivant l'Apôtre , nous devons faire une sérieuse attention aux choses que nous avons entendues , pour ne pas ressembler à l'eau qui s'écoule et se perd. Quoi donc ! Croyez-vous être plus saint que l'Apôtre, plus sage que Salomon?
(1) Cor., 8. — (2) Eccles., 7. — (3) Prov., 3. — (4) Hebr. 2.
Mais apprenez à quelles importantes opérations il faut recourir pour notre salut, de combien de dons, de quelles précieuses qualités nous devons être remplis avant que de penser à répandre notre superflu sur les autre. De même que le médecin s'approche d'un pauvre blessé, ainsi le Saint-Esprit s'approche de l'âme; et quelle est celle qu'il ne trouve blessée par le glaive de l'ennemi du salut ? Or que doit faire avant tout le céleste médecin ? Sans doute , amputer la tumeur ou l'ulcère qui, peut-être, surmonte la plaie et peut en empêcher la guérison. Que le fer d'une vive componction tranche donc l'ulcère d'une habitude invétérée. La douleur est cruelle, il faut l'avouer; appliquons-y pour l'adoucir le baume de la dévotion , je veux dire la joie que fait concevoir l'espérance du pardon ; cette espérance est un fruit précieux de la victoire remportée sur soi-même, après que l'on a triomphé du péché.
Déjà le malade rend grâces à Dieu et s'écrie : (1) Seigneur, vous avez rompîmes liens: je vous offrirai un sacrifice de louange. On recourt ensuite à un remède puissant, à la pénitence; à des fomentations faites avec un mélange composé de jeûnes , de veilles , de prières et autres exercices ordinaires aux pénitents. Pour supporter la fatigue du traitement, on soutiendra le malade par une nourriture fortifiante, je veux dire par quelque bonne œuvre. Or, que cela soit un aliment, Jésus-Christ nous l'apprend quand il dit : (2) Ma nourriture est de faire la volonté de mon Père. On unira donc aux œuvres de la pénitence , celles de la piété qui fortifie. (3) L'Aumône , dit Tobie, nous remplit de confiance auprès de Dieu.
(1) Ps. 133. — (2) Jean.. 4. — (3) Tobie, 4.
Mais on ne peut manger sans boire. Or le breuvage qu'il faut combiner avec la nourriture des bonnes œuvres , c'est la prière qui, dans la conscience , comme dans un estomac spirituel , sert de véhicule au bien que l'on a fait et le porte jusqu'à Dieu. C'est dans la prière que l'on savoure ce vin qui réjouit le cœur de l'homme ce vin qui enivre l'âme et lui fait oublier tous les plaisirs de la chair, humecte intérieurement une conscience trop aride, extrait de la substance des bonnes œuvres un suc qu'il fait passer dans quelques-uns des membres de l'âme, corroborant la foi, confortant l'espérance , fortifiant et réglant la charité , donnant aux mœurs leur dernière perfection .
Le malade étant nourri, désaltéré, que peut-il faire de mieux, après les fatigues d'un travail actif, que de s'abandonner au repos de la contemplation ? Il sommeille alors, et Dieu s'offre â lui dans un rêve ; car maintenant on ne peut le voir que comme en un miroir , en énigme, et non point face à face. Durant cette extase , il se sent embrasé d'amour pour celui qu'il a touché presqu'insensiblement , qui s'est moins découvert qu'il ne s'est fait soupçonner dans une rapide apparition à-peu-près semblable à la lueur d'une petite étincelle qui passe ; alors il s'écrie : (1) Mon âme vous a désiré pendant la nuit, et du fond de mes entrailles , mon esprit a crié vers vous. Cet amour enflamme le cœur ; il convient à l'ami de l'Époux , il doit dévorer le serviteur sage et prudent que le Seigneur a chargé du soin de sa famille. Cet amour remplit, embrase, bouillonne, ne craint pas de se répandre, il inonde, renverse tout ; c'est lui qui fait dire à saint Paul : (2) Qui est faible sans que je m'affaiblisse avec lui? Qui est scandalisé sans que je brûle ?
(1) Ps. 158. — (2) 2. Cor., 11.
C'est à cet amour qu'il appartient de prêcher, de produire des fruits de grâces , de faire de nouveaux prodiges et d'opérer les plus admirables changements. La vanité ne peut s'introduire dans un cœur entièrement rempli par la charité. Car (1) la charité , lorsqu'elle est parfaite, est en même temps la plénitude de la loi et celle du cœur. Enfin Dieu est charité, et rien de tout ce qui existe ne peut remplir une créature formée à l'image de Dieu que ce Dieu-Charité qui seul est plus grand qu'elle. Celui qui ne la possède pas encore court les plus grands dangers, lorsqu'on l'élève aux postes éminents, quelles que soient d'ailleurs les autres vertus qui semblent le fortifier. (2) Quand, dit saint Paul, il posséderait toutes les sciences, quand il aurait donné tous ses biens aux pauvres, et qu'il aurait livré son corps pour être brûlé, tout cela lui serait inutile sans la charité.
Avant donc que d'oser répandre de notre abondance, voilà ce qui doit nous remplir nous-mêmes. D'abord la componction , 2° la dévotion , 3° les travaux de la pénitence , 4° les œuvres de piété , 5° l'amour de la prière , 6° le calme de la contemplation , 7° l'abondance de la charité. Un seul et même esprit fait en nous toutes ces choses , par une opération que l'on appelle infusion, et il ne cesse de les produire jusqu'au moment où la grâce d'une autre opération , nommée effusion , nous soit , sans aucun mélange et par conséquent sans aucun péril , accordée pour l'honneur et la gloire de Notre Seigneur Jésus-Christ.
La (3) La véritable et pure contemplation , après avoir embrasé l'âme de l'amour divin , la remplit quelquefois d'un zèle et d'un désir si véhéments de gagner à Dieu des cœurs qui brûlent pour lui des mêmes ardeurs , qu'elle est disposée à quitter, sans le moindre regret, le repos de la contemplation , pour se livrer avec empressement à la prédication ; qu'ensuite , parvenue au comble de ses vœux , elle retourne en quelque façon sur ses pas , revient à la contemplation avec une ardeur d'autant plus grande qu'ont été plus abondants les fruits qu'elle se souvient d'avoir recueilli pendant l'interruption de cet exercice; et qu'enfin ayant de nouveau goûté les délices de la contemplation , l'âme revient , avec plus de force et non moins de zèle qu'auparavant , à la poursuite de ces jouissances accoutumées.
(1) Rom., 13. — (2) 1. Cor., 13. — (3) Serm. 87, sup. cant.
Au reste, durant ces alternatives , l'âme est souvent troublée par de vives inquiétudes et de violentes agitations, elle craint dans les divers sentiments qui la portent tantôt vers un exercice , tantôt vers un autre , de s'attacher, peut-être plus qu'il ne convient, à l'un d'entr'eux, et , de cette manière , de s'éloigner un peu ; en chacun d'eux , de la volonté de Dieu. Et ce sont peut-être de semblables tourments qui faisaient dire au saint homme Job : (1) Lorsque je me livre au sommeil, je dis quand me lèverai-je? et m`étant levé, attendrai-je jusqu'au soir? Ce qui peut se traduire ainsi : lorsque je m'abandonne au repos , je me reproche de négliger la vie active, et pendant l'action , je gémis d'avoir troublé mon repos. Vous voyez les violentes agitations de ce saint homme obligé de faire un choix entre les avantages de l'action et les douceurs de la contemplation ; et, quoique faisant toujours de bonnes actions, se les reprocher à chaque instant comme si elles étaient mauvaises , et rechercher sans cesse , en gémissant , le bon plaisir`de Dieu. Contre de semblables maux, on ne peut assurément trouver de remède et de refuge qu'en adressant d'ardentes prières et de continuels gémissements à Dieu , pour obtenir qu'il daigne nous faire connaître incessamment en quoi , en quel temps et jusqu'à quel point, nous devons nous conformer à sa volonté. Voilà ce que dit saint Bernard.
(1) Job, 7.
On voit donc , par ce qui précède , que la vie active se compose de deux parties , entre lesquelles se place la vie contemplative, et par conséquent, on sait de quelle manière et dans quel ordre il faut s'y conduire. Il nous reste à les considérer chacune en particulier. Mais quant à la troisième partie qui est la seconde de la vie active , laquelle a pour objet le salut des âmes et l'utilité du prochain, je n'ai point l'intention d'en traiter, parce que votre état n'exige pas ces connaissances. Il vous suffit de vous appliquer uniquement à vous corriger de vos défauts, à vous remplir de toutes les vertus , afin qu'ayant traversé la première partie de la vie active , vous puissiez vous donner entièrement à Dieu dans la contemplation .
COMMENT NOTRE SEIGNEUR, SOUS LA PARABOLE DES VIGNERONS QUI METTENT A MORT LE FILS DE LEUR MAÎTRE , ANNONCE AUX JUIFS QUE l' EGLISE SERA TRANSFÉRÉE AUX GENTILS.
Notre divin Maître et Rédempteur, plein de zèle pour le salut des âmes en faveur desquels il venait se sacrifier lui-même , s'efforçait de toutes manières de les attirer à lui et de les arracher des mains de leurs ennemis. C'est pourquoi il adressait au peuple des paroles tantôt douces et humbles, tantôt amères et dures; parfois il recourait aux paraboles et aux comparaisons; quelquefois aux signes et aux prodiges ; d'autres fois aux menaces et à la terreur, enfin il variait les moyens et les remèdes propres à opérer le salut, suivant qu'il le jugeait convenable , eu égard au lieu , au temps et à la diversité de ses auditeurs.
Mais dans cette circonstance, parlant aux Princes des Prêtres et aux Pharisiens , il usa contre eux de paroles sévères et leur proposa une parabole terrible, dans laquelle les droits de la justice et de la vérité étaient si évidents qu'ils furent forcés de prononcer eux-mêmes leur propre condamnation. Cette parabole était celle des vignerons qui , après avoir mis à mort les serviteurs que le maître avait envoyés à sa vigne pour en recueillir le fruit, tuèrent aussi le Fils du Père de famille.
Jésus ayant demandé comment le Maître de la vigne devait traiter ces vignerons , les Princes des Prêtres et les Pharisiens répondirent : « (1) Il perdra ces méchants comme ils le méritent et il louera sa vigne à d'autres vignerons. » Jésus, confirmant leur jugement, en tira contre eux cette conclusion : le royaume de Dieu , c'est-à-dire l'Église, vous sera ôté et sera donné à un peuple qui en produira les fruits ; ce peuple, ce sont les Gentils desquels nous faisons partie, nous et l'Église universelle.
Il leur rappela aussi la parabole de la pierre angulaire qui le figurait lui-même , et qui devait écraser les Juifs, et alors, comprenant que la parabole les regardait, au lieu de se corriger , ils ne firent que s'irriter davantage contre Jésus, parce que la malice de leur cœur les avait aveuglés. Maintenant , considérez Jésus qui s'assied au milieu des Pharisiens avec beaucoup d'humilité, mais qui pourtant leur adresse des paroles pleines d'autorité et leur découvre , avec autant de puissance que d'énergie le sort qui les attendait.
(1) Matth., 21.
DE LA PRÉDICATION ; PLUS DE SEPT CHOSES AUXQUELLES IL FAUT S'EXERCER AVANT QUE D'ENSEIGNER LES AUTRES.
Il s'agit maintenant de voir comment la vie contemplative précède l'active dans sa seconde partie et se trouve ainsi placée entre les deux parties de la vie active. Or voici ce que dit saint Bernard à ce sujet : (1) Il y a deux écueils à éviter ; ou de dissiper ce qui nous a été donné pour nous-mêmes, ou de retenir injustement ce qui ne nous a été donné que pour le répandre. Incontestablement vous retenez le bien d'autrui lors , par exemple, qu'étant rempli devenus et manifestement enrichi des dons de la science et de l'éloquence, la timidité , la nonchalance, une humilité sans discernement vous font enchaîner , dans un silence inutile et même condamnable , une langue éloquente qui pourrait faire entendre des vérités utiles à beaucoup de personnes ; certes, vous méritez tous les anathèmes, puisque vous tenez caché au milieu des peuples , ce qui doit servir à leur subsistance
(i) Serm 18, sup. Cant.
D'un autre côté , vous êtes un prodigue , vous travaillez à votre ruine , si , n'étant encore qu'à demi rempli des dons de Dieu , vous vous hâtez de les répandre sur les autres , avant que d'être parvenu à une entière plénitude, violant ainsi la loi qui vous défend de labourer avec un jeune taureau, et de tondre l'agneau qui vient de naître. Il est clair que vous vous ôtez à vous-même la vie et la santé que vous donnez à un autre, lorsque, dépourvu de bonnes intentions, vous vous laissez enfler par le vent de la vaine gloire , infecter par le poison d'une cupidité toute charnelle et étouffer par l'enflure mortelle de l'abcès qui vous dévore.
Ainsi, si vous êtes sage , montrez-vous plutôt semblable au réservoir qu'à l'aqueduc. Car celui-ci verse presqu'aussitôt ce qu'il vient de recevoir; l'autre, au contraire, ne répand rien avant que d'être rempli ; de sorte que , sans s'appauvrir , il donne son superflu , connaissant bien les malédictions prononcées contre celui qui rend sa condition moins bonne. Pour vous, mon frère, dont la santé spirituelle n'est pas encore assez affermie, dont la charité est encore ou nulle , ou si faible et si fragile qu'elle fléchit au moindre souffle , se confie à toutes sortes d'esprit , se laisse emporter à tout vent de doctrine; vous aussi, vous plus spécialement encore dont la charité est si excessive que vous allez au-delà même du commandement qui vous prescrit d'aimer votre prochain comme vous-même , et en même temps si médiocre que , malgré le même commandement, la vapeur l'évapore, la crainte l'affaiblit , le chagrin la trouble , l'avarice la comprime, l'ambition l'exalte, les soupçons l'inquiètent, les injures la tourmentent , les sollicitudes de la vie la détruisent, les honneurs la gonflent, l'envie la dessèche ; vous, dis-je, qui devez avoir une si parfaite connaissance de vos propres infirmités , comment , dites-moi , êtes-vous assez insensé pour aspirer ,ou pour consentir à vous charger du soin de guérir celles de vos frères ?
Mais écoutez les conseils d'une prudente et vigilante charité : (1) Je n`entends pas , dit l'Apôtre, que les autres soient soulagés et que vous soyez surchargé, mais que tout soit réduit à l'égalité. (2) Point d'excès dans la justice... Bornez-vous à aimer votre prochain comme vous-même , voilà en quoi consiste l'égalité. Travaillez d'abord à vous remplir vous-même, vous répandrez ensuite de votre abondance. La douce et prudente charité apporte ordinairement l'abondance et ne s'épuise jamais. (3) Mon fils, dit Salomon, ne vous répandez pas comme l'eau. (4) Et, suivant l'Apôtre , nous devons faire une sérieuse attention aux choses que nous avons entendues , pour ne pas ressembler à l'eau qui s'écoule et se perd. Quoi donc ! Croyez-vous être plus saint que l'Apôtre, plus sage que Salomon?
(1) Cor., 8. — (2) Eccles., 7. — (3) Prov., 3. — (4) Hebr. 2.
Mais apprenez à quelles importantes opérations il faut recourir pour notre salut, de combien de dons, de quelles précieuses qualités nous devons être remplis avant que de penser à répandre notre superflu sur les autre. De même que le médecin s'approche d'un pauvre blessé, ainsi le Saint-Esprit s'approche de l'âme; et quelle est celle qu'il ne trouve blessée par le glaive de l'ennemi du salut ? Or que doit faire avant tout le céleste médecin ? Sans doute , amputer la tumeur ou l'ulcère qui, peut-être, surmonte la plaie et peut en empêcher la guérison. Que le fer d'une vive componction tranche donc l'ulcère d'une habitude invétérée. La douleur est cruelle, il faut l'avouer; appliquons-y pour l'adoucir le baume de la dévotion , je veux dire la joie que fait concevoir l'espérance du pardon ; cette espérance est un fruit précieux de la victoire remportée sur soi-même, après que l'on a triomphé du péché.
Déjà le malade rend grâces à Dieu et s'écrie : (1) Seigneur, vous avez rompîmes liens: je vous offrirai un sacrifice de louange. On recourt ensuite à un remède puissant, à la pénitence; à des fomentations faites avec un mélange composé de jeûnes , de veilles , de prières et autres exercices ordinaires aux pénitents. Pour supporter la fatigue du traitement, on soutiendra le malade par une nourriture fortifiante, je veux dire par quelque bonne œuvre. Or, que cela soit un aliment, Jésus-Christ nous l'apprend quand il dit : (2) Ma nourriture est de faire la volonté de mon Père. On unira donc aux œuvres de la pénitence , celles de la piété qui fortifie. (3) L'Aumône , dit Tobie, nous remplit de confiance auprès de Dieu.
(1) Ps. 133. — (2) Jean.. 4. — (3) Tobie, 4.
Mais on ne peut manger sans boire. Or le breuvage qu'il faut combiner avec la nourriture des bonnes œuvres , c'est la prière qui, dans la conscience , comme dans un estomac spirituel , sert de véhicule au bien que l'on a fait et le porte jusqu'à Dieu. C'est dans la prière que l'on savoure ce vin qui réjouit le cœur de l'homme ce vin qui enivre l'âme et lui fait oublier tous les plaisirs de la chair, humecte intérieurement une conscience trop aride, extrait de la substance des bonnes œuvres un suc qu'il fait passer dans quelques-uns des membres de l'âme, corroborant la foi, confortant l'espérance , fortifiant et réglant la charité , donnant aux mœurs leur dernière perfection .
Le malade étant nourri, désaltéré, que peut-il faire de mieux, après les fatigues d'un travail actif, que de s'abandonner au repos de la contemplation ? Il sommeille alors, et Dieu s'offre â lui dans un rêve ; car maintenant on ne peut le voir que comme en un miroir , en énigme, et non point face à face. Durant cette extase , il se sent embrasé d'amour pour celui qu'il a touché presqu'insensiblement , qui s'est moins découvert qu'il ne s'est fait soupçonner dans une rapide apparition à-peu-près semblable à la lueur d'une petite étincelle qui passe ; alors il s'écrie : (1) Mon âme vous a désiré pendant la nuit, et du fond de mes entrailles , mon esprit a crié vers vous. Cet amour enflamme le cœur ; il convient à l'ami de l'Époux , il doit dévorer le serviteur sage et prudent que le Seigneur a chargé du soin de sa famille. Cet amour remplit, embrase, bouillonne, ne craint pas de se répandre, il inonde, renverse tout ; c'est lui qui fait dire à saint Paul : (2) Qui est faible sans que je m'affaiblisse avec lui? Qui est scandalisé sans que je brûle ?
(1) Ps. 158. — (2) 2. Cor., 11.
C'est à cet amour qu'il appartient de prêcher, de produire des fruits de grâces , de faire de nouveaux prodiges et d'opérer les plus admirables changements. La vanité ne peut s'introduire dans un cœur entièrement rempli par la charité. Car (1) la charité , lorsqu'elle est parfaite, est en même temps la plénitude de la loi et celle du cœur. Enfin Dieu est charité, et rien de tout ce qui existe ne peut remplir une créature formée à l'image de Dieu que ce Dieu-Charité qui seul est plus grand qu'elle. Celui qui ne la possède pas encore court les plus grands dangers, lorsqu'on l'élève aux postes éminents, quelles que soient d'ailleurs les autres vertus qui semblent le fortifier. (2) Quand, dit saint Paul, il posséderait toutes les sciences, quand il aurait donné tous ses biens aux pauvres, et qu'il aurait livré son corps pour être brûlé, tout cela lui serait inutile sans la charité.
Avant donc que d'oser répandre de notre abondance, voilà ce qui doit nous remplir nous-mêmes. D'abord la componction , 2° la dévotion , 3° les travaux de la pénitence , 4° les œuvres de piété , 5° l'amour de la prière , 6° le calme de la contemplation , 7° l'abondance de la charité. Un seul et même esprit fait en nous toutes ces choses , par une opération que l'on appelle infusion, et il ne cesse de les produire jusqu'au moment où la grâce d'une autre opération , nommée effusion , nous soit , sans aucun mélange et par conséquent sans aucun péril , accordée pour l'honneur et la gloire de Notre Seigneur Jésus-Christ.
La (3) La véritable et pure contemplation , après avoir embrasé l'âme de l'amour divin , la remplit quelquefois d'un zèle et d'un désir si véhéments de gagner à Dieu des cœurs qui brûlent pour lui des mêmes ardeurs , qu'elle est disposée à quitter, sans le moindre regret, le repos de la contemplation , pour se livrer avec empressement à la prédication ; qu'ensuite , parvenue au comble de ses vœux , elle retourne en quelque façon sur ses pas , revient à la contemplation avec une ardeur d'autant plus grande qu'ont été plus abondants les fruits qu'elle se souvient d'avoir recueilli pendant l'interruption de cet exercice; et qu'enfin ayant de nouveau goûté les délices de la contemplation , l'âme revient , avec plus de force et non moins de zèle qu'auparavant , à la poursuite de ces jouissances accoutumées.
(1) Rom., 13. — (2) 1. Cor., 13. — (3) Serm. 87, sup. cant.
Au reste, durant ces alternatives , l'âme est souvent troublée par de vives inquiétudes et de violentes agitations, elle craint dans les divers sentiments qui la portent tantôt vers un exercice , tantôt vers un autre , de s'attacher, peut-être plus qu'il ne convient, à l'un d'entr'eux, et , de cette manière , de s'éloigner un peu ; en chacun d'eux , de la volonté de Dieu. Et ce sont peut-être de semblables tourments qui faisaient dire au saint homme Job : (1) Lorsque je me livre au sommeil, je dis quand me lèverai-je? et m`étant levé, attendrai-je jusqu'au soir? Ce qui peut se traduire ainsi : lorsque je m'abandonne au repos , je me reproche de négliger la vie active, et pendant l'action , je gémis d'avoir troublé mon repos. Vous voyez les violentes agitations de ce saint homme obligé de faire un choix entre les avantages de l'action et les douceurs de la contemplation ; et, quoique faisant toujours de bonnes actions, se les reprocher à chaque instant comme si elles étaient mauvaises , et rechercher sans cesse , en gémissant , le bon plaisir`de Dieu. Contre de semblables maux, on ne peut assurément trouver de remède et de refuge qu'en adressant d'ardentes prières et de continuels gémissements à Dieu , pour obtenir qu'il daigne nous faire connaître incessamment en quoi , en quel temps et jusqu'à quel point, nous devons nous conformer à sa volonté. Voilà ce que dit saint Bernard.
(1) Job, 7.
On voit donc , par ce qui précède , que la vie active se compose de deux parties , entre lesquelles se place la vie contemplative, et par conséquent, on sait de quelle manière et dans quel ordre il faut s'y conduire. Il nous reste à les considérer chacune en particulier. Mais quant à la troisième partie qui est la seconde de la vie active , laquelle a pour objet le salut des âmes et l'utilité du prochain, je n'ai point l'intention d'en traiter, parce que votre état n'exige pas ces connaissances. Il vous suffit de vous appliquer uniquement à vous corriger de vos défauts, à vous remplir de toutes les vertus , afin qu'ayant traversé la première partie de la vie active , vous puissiez vous donner entièrement à Dieu dans la contemplation .
COMMENT NOTRE SEIGNEUR, SOUS LA PARABOLE DES VIGNERONS QUI METTENT A MORT LE FILS DE LEUR MAÎTRE , ANNONCE AUX JUIFS QUE l' EGLISE SERA TRANSFÉRÉE AUX GENTILS.
Notre divin Maître et Rédempteur, plein de zèle pour le salut des âmes en faveur desquels il venait se sacrifier lui-même , s'efforçait de toutes manières de les attirer à lui et de les arracher des mains de leurs ennemis. C'est pourquoi il adressait au peuple des paroles tantôt douces et humbles, tantôt amères et dures; parfois il recourait aux paraboles et aux comparaisons; quelquefois aux signes et aux prodiges ; d'autres fois aux menaces et à la terreur, enfin il variait les moyens et les remèdes propres à opérer le salut, suivant qu'il le jugeait convenable , eu égard au lieu , au temps et à la diversité de ses auditeurs.
Mais dans cette circonstance, parlant aux Princes des Prêtres et aux Pharisiens , il usa contre eux de paroles sévères et leur proposa une parabole terrible, dans laquelle les droits de la justice et de la vérité étaient si évidents qu'ils furent forcés de prononcer eux-mêmes leur propre condamnation. Cette parabole était celle des vignerons qui , après avoir mis à mort les serviteurs que le maître avait envoyés à sa vigne pour en recueillir le fruit, tuèrent aussi le Fils du Père de famille.
Jésus ayant demandé comment le Maître de la vigne devait traiter ces vignerons , les Princes des Prêtres et les Pharisiens répondirent : « (1) Il perdra ces méchants comme ils le méritent et il louera sa vigne à d'autres vignerons. » Jésus, confirmant leur jugement, en tira contre eux cette conclusion : le royaume de Dieu , c'est-à-dire l'Église, vous sera ôté et sera donné à un peuple qui en produira les fruits ; ce peuple, ce sont les Gentils desquels nous faisons partie, nous et l'Église universelle.
Il leur rappela aussi la parabole de la pierre angulaire qui le figurait lui-même , et qui devait écraser les Juifs, et alors, comprenant que la parabole les regardait, au lieu de se corriger , ils ne firent que s'irriter davantage contre Jésus, parce que la malice de leur cœur les avait aveuglés. Maintenant , considérez Jésus qui s'assied au milieu des Pharisiens avec beaucoup d'humilité, mais qui pourtant leur adresse des paroles pleines d'autorité et leur découvre , avec autant de puissance que d'énergie le sort qui les attendait.
(1) Matth., 21.
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: MÉDITATIONS SUR LA VIE JESUS-CHRIST TRADUITES DE SAINT BONAVENTURE - 14 eme siecle
CHAPITRE LX.
COMMENT LES PHARISIENS ESSAYÈRENT DE SURPRENDRE JÉSUS DANS SES DISCOURS.
Si Notre Seigneur Jésus-Christ ne négligeait aucun moyen pour opérer le salut des Juifs, ceux-ci au contraire, tentaient de toutes les manières de le décrier et de le faire mourir. Ils formèrent donc le projet de le surprendre ; mais ils ne purent réussir dans leur tentative. Les Pharisiens délibérèrent de lui envoyer de leurs Disciples avec quelques affidés d'Hérode pour lui demander si l'on était libre de payer ou de refuser le tribut à César.
Il voulaient par là le rendre odieux , soit à César, soit à la nation Juive; pensant que sa réponse, quelle qu'elle fût, se tournerait contre lui. Mais celui qui scrute les cœurs , découvrant leur malice, leur dit : (1) Qu'il fallait rendre à Dieu ce qui était à Dieu et à César ce qui était à César, les qualifiant d'hypocrites qui cachaient la fourberie de leur cœur sous des paroles artificieuses.
Ceux-ci donc , trompés dans leur espérance , se retirèrent couverts de confusion. Considérez attentivement Jésus , suivant la méthode générale indiquée ci-dessus , et observez en même temps la défense qu'il fait ici de frauder en rien les droits de nos supérieurs et de nos maîtres dans l'ordre temporel. Concluez-en que l'on pèche et que l'on viole la loi , lorsqu'on refuse d' acquitter les droits de péage , de gabelle, les dîmes et les autres charges que les supérieurs temporels imposent avec justice et équité à tous leurs sujets.
(1) Matth., 22.
CHAPITRE LXI.
GUÉRISON DE l’AVEUGLE DE JÉRICHO ; DIVERSES RÉFLEXIONS A CE SUJET.
Le Dieu de bonté qui, pour nous sauver, daigna, dans son excessive charité, descendre du sein de son Père , sachant que le temps de sa Passion approchait , se proposa d'aller à Jérusalem pour la souffrir; il en prédit alors divinement toutes les circonstances , mais ses Disciples ne le comprirent point. Lors donc qu'il était près de Jéricho, un aveugle mendiant, assis au bord de la route , ayant appris de la foule qui précédait Jésus qu'il allait passer par là , se mit à implorer à grands cris sa miséricorde. Et, quoi qu'on le reprît de sa témérité, il ne montrait pas plus de réserve et ne cessait de crier.
Notre Seigneur Jésus-Christ voyant sa foi et sa ferveur le fit approcher et lui dit : Que voulez-vous que je vous fasse ? 0 paroles pleines de douceur! Que voulez-vous que je vous fasse? (1) Seigneur, dit l'aveugle, faites que je voie. Le bon Jésus lui accorda cette grâce en disant : Voyez. Et à l'instant cet homme recouvra la vue. Arrêtez donc vos regards sur Notre Seigneur Jésus-Christ , et observez avec soin toute sa bonté ; considérez ce que peuvent la foi et la prière ; et remarquez que l'importunité de la prière, loin de déplaire à Dieu, lui est, au contraire , très-agréable. Vous avez pu faire ci-dessus la même remarque au sujet (2) de la Cananéenne. Jésus-Christ lui-même enseigne aussi qu'il faut toujours prier et ne jamais se lasser, en proposant la parabole d'un Juge forcé , par l'importunité d'une veuve , de lui accorder ce qu'elle lui demandait.
(1) Luc, 18. — (2) Luc, 18.
Dans un autre endroit, Jésus prouve la même chose par la (1) parabole d'un homme qui importuné la nuit par l'un de ses amis , lui prêta le pain qu'il demandait. Ainsi Notre Seigneur est disposé à accorder à ceux qui persévèrent dans la prière toutes les demandes justes et légitimes qu'ils adressent à Dieu, puisqu'il dit à tous : Que voulez-vous que je vous fasse, et qu'il le fait ?
Disons mieux, il fait souvent plus qu'on ne lui demande et plus même que l'homme n'oserait demander, comme vous pouvez le remarquer dans la conduite qu'il tint à l'égard de Zachée, dont nous allons bientôt parler. Regardez donc comme parfaitement certain que vous obtiendrez tout ce que vous aurez demandé au Seigneur avec foi et persévérance. Vous ne devez pas avoir plus de honte que n'en eurent l'aveugle, la Cananéenne (2) et Zachée, qui ne craignirent point de solliciter des grâces et furent exaucés.
Il ne faut pas non plus rougir de servir Dieu , de renoncer au péché et de demander les grâces qui nous sont nécessaires. En effet, la honte et la confusion sont quelquefois la marque d'une haute vertu et quelquefois d'un grand désordre. Sur quoi saint Bernard s'exprime en ces termes : « Il y a une honte qui conduit au péché, et il y en a une
autre qui attire la gloire. (4) La bonne honte n'est autre chose que la confusion du péché que l'on a commis ou que l'on a la conviction de commettre actuellement.
(1) Luc, 11. — (2) Luc. 19. — (3) In Lib. de Laude nova Militiae, sive ad milites Temp. cap. 12. — (4) Eccli. 4, 25. —
Or , même en l'absence de tout témoin mortel, votre respect pour la présence de Dieu est d'autant plus grand que vous êtes convaincu que sa pureté l'emporte sur celle de l'homme, et que la gravite de l'offense que le pécheur fait à Dieu est proportionnée à la distance qu'il y a entre Dieu et le péché; une telle honte, à coup sûr, éloigne de nous le déshonneur et nous attire la gloire , puisqu'elle produit l'un de ces deux effets, ou de nous préserver du péché, ou , lorsque nous l'avons commis , de le châtier par la
pénitence et de l'effacer par la confession ; en effet (1) le témoignage de notre conscience fait toute notre gloire. Mais, si quelqu'un rougit d'avouer ce qu'il regrette intérieurement d'avoir fait, cette honte te conduit au péché et déshonore sa conscience , puisqu'une sotte confusion , en lui fermant la bouche , retient sur ses lèvres le mal que la componction s'efforce de faire sortir du fond de son cœur.
(2) O honte déraisonnable , ennemie du salut , contraire à toutes les lois de l'honneur et de l'honnêteté ! Est-il donc honteux d'être vaincu par le Seigneur ? Y a-t-il de l'opprobre à s'humilier sous la main toute-puissante du Très-Haut ? Singulier genre de victoire qui élève le vaincu en le renversant aux pieds de la divine Majesté; suprême degré d'honneur et de gloire où l'on ne monte qu'en s' abaissant sous l'autorité de l'Église notre Mère. O perversité ! On ne rougit pas de se souiller et l'on a honte de se purifier de ses souillures. Rougir d'avoir péché ou de commettre le péché , voilà la confusion qui , selon la sagesse , attire sur nous la gloire ; et en effet cette gloire
est infaillible, puisqu'alors la honte nous rend toute celle que le péché nous avait ravie.
(1) 2. Cor 1.— (2) Ep. 185. Ad Eustach.
(1 ) Je ne pense pas que nos mœurs offrent rien de plus gracieux que la pudeur. Elle est indubitablement l'ornement de tous les âges ; mais c'est dans la tendre jeunesse que le charme de cette délicate vertu brille d'un éclat plus vif et plus enchanteur. Quoi de plus aimable qu'un jeune homme qui a conservé la pudeur ! De quels charmes , de quel éclat cette perle précieuse embellit la vie et le front d'un jeune adolescent ! Quel gage moins incertain et plus assuré des plus consolantes espérances, quel indice des plus heureuses dispositions ! La pudeur devient pour lui comme un frein de discipline qui , dans la saison la plus dangereuse de la vie, maîtrisant d'humiliantes passions, en modère les mouvements et les actes les plus légers , en réprime même les plus violents écarts. (2)
Quelle vertu que celle qui nous fait fuir ainsi les discours déshonnêtes et nous fera plus tard éviter toutes les paroles contraires à la pureté ? C'est la sœur de la continence. C'est l'indice le plus évident de la simplicité de la colombe , et par conséquent aussi de l'innocence. C'est la lampe de l'âme chaste qui brille sans cesse afin que rien de honteux ou d'indécent ne tente de s'y fixer sans que la lumière ne le découvre à l'instant à tous les regards. C'est la surveillante des vices, la protectrice de la pureté native , la gloire spéciale de la conscience , la gardienne de la réputation , l'ornement de la vie, le siège de la force, les prémices de toutes les vertus, l'honneur de la nature et la marque incontestable de toute sorte d'honnêteté. Quelle grâce, quels charmes se répandent ordinairement sur un visage coloré par l'incarnat que la pudeur y fait monter quelquefois? La pudeur est si naturelle au cœur de l'homme, que ceux qui ne rougissent pas de faire le mal , rougissent pourtant d'être découverts, puisqu'ils cachent avec soin ces œuvres de ténèbres qu'ils n'oseraient montrer au grand jour.
(1) Serm. 86, sup. cant. (2) Vide Bernard.
Or, quoi de plus favorable que le secret à celui qui a sujet de rougir ? Enfin , on recommande à celui qui veut prier de se retirer dans sa chambre , pour y trouver la grâce du secret. C'est en effet une précaution sans laquelle tous ceux qui prient s'exposent à se voir enlever, par la louange des hommes , le fruit et l'effet de la prière. (1) Mais quoi de plus propre à la pudeur que de se soustraire à la louange et d'éviter l'ostentation? Quoi de plus déplacé , et surtout dans un jeune homme, que de faire parade de sainteté ? La meilleure recommandation de la prière c'est la confusion qui la précède. » Ainsi parle saint Bernard.
Les réflexions que nous venons de faire au sujet de l'aveugle dont il est parlé au commencement de ce chapitre, peuvent s'étendre à deux autres aveugles auxquels Notre Seigneur ouvrit les yeux presque dans le même temps . (2) Car il rendit la vue à ceux-ci en sortant de Jéricho , et c'était en y entrant qu'il avait guéri l'autre. Saint Mathieu et saint Marc parlent de ces deux aveugles ; saint Marc cite même le nom de l'un deux. Tous trois poussent le même cri , et tous trois obtiennent même réponse et même guérison .
(1) Vide Bernard. — (2) Matth., 20. — Marc, 10.
COMMENT LES PHARISIENS ESSAYÈRENT DE SURPRENDRE JÉSUS DANS SES DISCOURS.
Si Notre Seigneur Jésus-Christ ne négligeait aucun moyen pour opérer le salut des Juifs, ceux-ci au contraire, tentaient de toutes les manières de le décrier et de le faire mourir. Ils formèrent donc le projet de le surprendre ; mais ils ne purent réussir dans leur tentative. Les Pharisiens délibérèrent de lui envoyer de leurs Disciples avec quelques affidés d'Hérode pour lui demander si l'on était libre de payer ou de refuser le tribut à César.
Il voulaient par là le rendre odieux , soit à César, soit à la nation Juive; pensant que sa réponse, quelle qu'elle fût, se tournerait contre lui. Mais celui qui scrute les cœurs , découvrant leur malice, leur dit : (1) Qu'il fallait rendre à Dieu ce qui était à Dieu et à César ce qui était à César, les qualifiant d'hypocrites qui cachaient la fourberie de leur cœur sous des paroles artificieuses.
Ceux-ci donc , trompés dans leur espérance , se retirèrent couverts de confusion. Considérez attentivement Jésus , suivant la méthode générale indiquée ci-dessus , et observez en même temps la défense qu'il fait ici de frauder en rien les droits de nos supérieurs et de nos maîtres dans l'ordre temporel. Concluez-en que l'on pèche et que l'on viole la loi , lorsqu'on refuse d' acquitter les droits de péage , de gabelle, les dîmes et les autres charges que les supérieurs temporels imposent avec justice et équité à tous leurs sujets.
(1) Matth., 22.
CHAPITRE LXI.
GUÉRISON DE l’AVEUGLE DE JÉRICHO ; DIVERSES RÉFLEXIONS A CE SUJET.
Le Dieu de bonté qui, pour nous sauver, daigna, dans son excessive charité, descendre du sein de son Père , sachant que le temps de sa Passion approchait , se proposa d'aller à Jérusalem pour la souffrir; il en prédit alors divinement toutes les circonstances , mais ses Disciples ne le comprirent point. Lors donc qu'il était près de Jéricho, un aveugle mendiant, assis au bord de la route , ayant appris de la foule qui précédait Jésus qu'il allait passer par là , se mit à implorer à grands cris sa miséricorde. Et, quoi qu'on le reprît de sa témérité, il ne montrait pas plus de réserve et ne cessait de crier.
Notre Seigneur Jésus-Christ voyant sa foi et sa ferveur le fit approcher et lui dit : Que voulez-vous que je vous fasse ? 0 paroles pleines de douceur! Que voulez-vous que je vous fasse? (1) Seigneur, dit l'aveugle, faites que je voie. Le bon Jésus lui accorda cette grâce en disant : Voyez. Et à l'instant cet homme recouvra la vue. Arrêtez donc vos regards sur Notre Seigneur Jésus-Christ , et observez avec soin toute sa bonté ; considérez ce que peuvent la foi et la prière ; et remarquez que l'importunité de la prière, loin de déplaire à Dieu, lui est, au contraire , très-agréable. Vous avez pu faire ci-dessus la même remarque au sujet (2) de la Cananéenne. Jésus-Christ lui-même enseigne aussi qu'il faut toujours prier et ne jamais se lasser, en proposant la parabole d'un Juge forcé , par l'importunité d'une veuve , de lui accorder ce qu'elle lui demandait.
(1) Luc, 18. — (2) Luc, 18.
Dans un autre endroit, Jésus prouve la même chose par la (1) parabole d'un homme qui importuné la nuit par l'un de ses amis , lui prêta le pain qu'il demandait. Ainsi Notre Seigneur est disposé à accorder à ceux qui persévèrent dans la prière toutes les demandes justes et légitimes qu'ils adressent à Dieu, puisqu'il dit à tous : Que voulez-vous que je vous fasse, et qu'il le fait ?
Disons mieux, il fait souvent plus qu'on ne lui demande et plus même que l'homme n'oserait demander, comme vous pouvez le remarquer dans la conduite qu'il tint à l'égard de Zachée, dont nous allons bientôt parler. Regardez donc comme parfaitement certain que vous obtiendrez tout ce que vous aurez demandé au Seigneur avec foi et persévérance. Vous ne devez pas avoir plus de honte que n'en eurent l'aveugle, la Cananéenne (2) et Zachée, qui ne craignirent point de solliciter des grâces et furent exaucés.
Il ne faut pas non plus rougir de servir Dieu , de renoncer au péché et de demander les grâces qui nous sont nécessaires. En effet, la honte et la confusion sont quelquefois la marque d'une haute vertu et quelquefois d'un grand désordre. Sur quoi saint Bernard s'exprime en ces termes : « Il y a une honte qui conduit au péché, et il y en a une
autre qui attire la gloire. (4) La bonne honte n'est autre chose que la confusion du péché que l'on a commis ou que l'on a la conviction de commettre actuellement.
(1) Luc, 11. — (2) Luc. 19. — (3) In Lib. de Laude nova Militiae, sive ad milites Temp. cap. 12. — (4) Eccli. 4, 25. —
Or , même en l'absence de tout témoin mortel, votre respect pour la présence de Dieu est d'autant plus grand que vous êtes convaincu que sa pureté l'emporte sur celle de l'homme, et que la gravite de l'offense que le pécheur fait à Dieu est proportionnée à la distance qu'il y a entre Dieu et le péché; une telle honte, à coup sûr, éloigne de nous le déshonneur et nous attire la gloire , puisqu'elle produit l'un de ces deux effets, ou de nous préserver du péché, ou , lorsque nous l'avons commis , de le châtier par la
pénitence et de l'effacer par la confession ; en effet (1) le témoignage de notre conscience fait toute notre gloire. Mais, si quelqu'un rougit d'avouer ce qu'il regrette intérieurement d'avoir fait, cette honte te conduit au péché et déshonore sa conscience , puisqu'une sotte confusion , en lui fermant la bouche , retient sur ses lèvres le mal que la componction s'efforce de faire sortir du fond de son cœur.
(2) O honte déraisonnable , ennemie du salut , contraire à toutes les lois de l'honneur et de l'honnêteté ! Est-il donc honteux d'être vaincu par le Seigneur ? Y a-t-il de l'opprobre à s'humilier sous la main toute-puissante du Très-Haut ? Singulier genre de victoire qui élève le vaincu en le renversant aux pieds de la divine Majesté; suprême degré d'honneur et de gloire où l'on ne monte qu'en s' abaissant sous l'autorité de l'Église notre Mère. O perversité ! On ne rougit pas de se souiller et l'on a honte de se purifier de ses souillures. Rougir d'avoir péché ou de commettre le péché , voilà la confusion qui , selon la sagesse , attire sur nous la gloire ; et en effet cette gloire
est infaillible, puisqu'alors la honte nous rend toute celle que le péché nous avait ravie.
(1) 2. Cor 1.— (2) Ep. 185. Ad Eustach.
(1 ) Je ne pense pas que nos mœurs offrent rien de plus gracieux que la pudeur. Elle est indubitablement l'ornement de tous les âges ; mais c'est dans la tendre jeunesse que le charme de cette délicate vertu brille d'un éclat plus vif et plus enchanteur. Quoi de plus aimable qu'un jeune homme qui a conservé la pudeur ! De quels charmes , de quel éclat cette perle précieuse embellit la vie et le front d'un jeune adolescent ! Quel gage moins incertain et plus assuré des plus consolantes espérances, quel indice des plus heureuses dispositions ! La pudeur devient pour lui comme un frein de discipline qui , dans la saison la plus dangereuse de la vie, maîtrisant d'humiliantes passions, en modère les mouvements et les actes les plus légers , en réprime même les plus violents écarts. (2)
Quelle vertu que celle qui nous fait fuir ainsi les discours déshonnêtes et nous fera plus tard éviter toutes les paroles contraires à la pureté ? C'est la sœur de la continence. C'est l'indice le plus évident de la simplicité de la colombe , et par conséquent aussi de l'innocence. C'est la lampe de l'âme chaste qui brille sans cesse afin que rien de honteux ou d'indécent ne tente de s'y fixer sans que la lumière ne le découvre à l'instant à tous les regards. C'est la surveillante des vices, la protectrice de la pureté native , la gloire spéciale de la conscience , la gardienne de la réputation , l'ornement de la vie, le siège de la force, les prémices de toutes les vertus, l'honneur de la nature et la marque incontestable de toute sorte d'honnêteté. Quelle grâce, quels charmes se répandent ordinairement sur un visage coloré par l'incarnat que la pudeur y fait monter quelquefois? La pudeur est si naturelle au cœur de l'homme, que ceux qui ne rougissent pas de faire le mal , rougissent pourtant d'être découverts, puisqu'ils cachent avec soin ces œuvres de ténèbres qu'ils n'oseraient montrer au grand jour.
(1) Serm. 86, sup. cant. (2) Vide Bernard.
Or, quoi de plus favorable que le secret à celui qui a sujet de rougir ? Enfin , on recommande à celui qui veut prier de se retirer dans sa chambre , pour y trouver la grâce du secret. C'est en effet une précaution sans laquelle tous ceux qui prient s'exposent à se voir enlever, par la louange des hommes , le fruit et l'effet de la prière. (1) Mais quoi de plus propre à la pudeur que de se soustraire à la louange et d'éviter l'ostentation? Quoi de plus déplacé , et surtout dans un jeune homme, que de faire parade de sainteté ? La meilleure recommandation de la prière c'est la confusion qui la précède. » Ainsi parle saint Bernard.
Les réflexions que nous venons de faire au sujet de l'aveugle dont il est parlé au commencement de ce chapitre, peuvent s'étendre à deux autres aveugles auxquels Notre Seigneur ouvrit les yeux presque dans le même temps . (2) Car il rendit la vue à ceux-ci en sortant de Jéricho , et c'était en y entrant qu'il avait guéri l'autre. Saint Mathieu et saint Marc parlent de ces deux aveugles ; saint Marc cite même le nom de l'un deux. Tous trois poussent le même cri , et tous trois obtiennent même réponse et même guérison .
(1) Vide Bernard. — (2) Matth., 20. — Marc, 10.
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: MÉDITATIONS SUR LA VIE JESUS-CHRIST TRADUITES DE SAINT BONAVENTURE - 14 eme siecle
CHAPITRE LXII.
COMMENT NOTRE SEIGNEUR ENTRA DANS LA MAISON DE ZACHÉE.
Notre Seigneur Jésus-Christ étant entré à Jéricho en parcourait les rues. (2)Zachée, chef des Publicains, instruit de cet évènement , désirant vivement de connaître Jésus, courut au-devant de lui pour le voir , et , n'y pouvant réussir à cause de la multitude du peuple et de l'exiguïté de sa taille, il monta sur un sycomore, afin de pouvoir au moins l'apercevoir. Mais Jésus qui connaissait et agréait la foi et le désir de cet homme, lui dit : Zachée, hâtez-vous de descendre; car c'est chez vous que je veux loger aujourd'hui. Zachée descendit aussitôt , le reçut avec beaucoup de joie et de respect et lui fit préparer un grand festin. Admirez la générosité de Jésus ; il surpassa tous les désirs de Zachée ; il se donna lui-même , ce que Zachée n'aurait jamais osé demander. Vous voyez ici un grand exemple du pouvoir de la prière. Car le désir , voilà le cri qui se fait mieux entendre de Dieu, voilà la prière la plus éloquente. C'est ce qui fait dire au Prophète : (3) Le Seigneur a exaucé le désir de ses pauvres ; il a entendu la préparation de leur cœur.
Le Seigneur dit aussi à Moïse : (4) Pourquoi criez-vous vers moi? lorsque Moïse n'ouvrait pas la bouche et ne priait que du cœur. Considérez Jésus assis et mangeant avec ces pécheurs. Il se mit près de Zachée au milieu de la table , et plaça au bout l'un des convives pour lui faire honneur ; il leur adressait familièrement la parole pour les attirer tous à lui.
(1) Luc, 9. — (2) Ps., 9. — (3) Exod., 14.
Voyez aussi les Disciples communiquant avec ces mêmes pécheurs , s'entretenant avec eux , les encourageant à la pratique des bonnes œuvres , et tout cela de bon cœur et de bonne grâce , parce qu'ils savaient que c'était la volonté de leur Maître , et qu'ils désiraient le salut de ces pécheurs.
CHAPITRE LXIII
GUÉRISON DE L` AVEUGLE NÉ.
Lorsque Notre Seigneur allait à Jérusalem , il aperçut un aveugle de naissance qui , dit-on , s'appelait Coelidonius ; et l'humble Jésus , (1) s` étant incliné vers la terre, fit de la boue avec sa salive , en oignit les yeux de l'aveugle et lui dit d'aller se laver à la piscine de Siloë. L'aveugle obéit , se lave les yeux et recouvre la vue. Ce miracle , soigneusement examiné par les ennemis du Divin Maître, tourna à leur confusion. Lisez dans l'Évangile l'histoire aussi étendue qu'intéressante de ce prodige ; mais, dans tout cela, appliquez-vous à observer les actions de Notre Seigneur, en suivant la méthode générale que je vous ai tracée, et considérez quelle fut la reconnaissance de cet aveugle qui , même avant que d'avoir vu Jésus , prit si courageusement et si constamment son parti devant les Princes et les Magistrats des Juifs , sans les ménager dans aucune de ses paroles. La reconnaissance est une vertu très-recommandable et très-agréable aux yeux de Dieu; mais rien ne lui déplaît plus que l'ingratitude.
Voici sur cette matière les paroles de saint Bernard : (2) Ne manquez pas de rendre grâces à chaque bienfait que vous recevez. Observez avec attention tous ceux qui vous sont accordés , afin de ne recevoir aucun des dons de Dieu sans lui témoigner la juste reconnaissance que méritent les plus médiocres et même les plus petites grâces, aussi bien que les plus signalées.
Enfin on nous recommande de ramasser les miettes de pain de peur qu'elles ne se perdent , ce qui signifie que nous ne devons jamais oublier les plus petits bienfaits. N'est-ce pas perdre ses dons que de les prodiguer à un ingrat? L'ingratitude nuit à notre âme, détruit les mérites acquis , anéantit les vertus , nous
prive de tous les biens. C'est un vent brûlant qui sèche toutes les eaux de la piété, la rosée de la miséricorde, et tarit la source des grâces. » Ainsi s'exprime saint Bernard.
(1) Jean., 9. — (2) Serm. 81, sup. cant.
COMMENT NOTRE SEIGNEUR ENTRA DANS LA MAISON DE ZACHÉE.
Notre Seigneur Jésus-Christ étant entré à Jéricho en parcourait les rues. (2)Zachée, chef des Publicains, instruit de cet évènement , désirant vivement de connaître Jésus, courut au-devant de lui pour le voir , et , n'y pouvant réussir à cause de la multitude du peuple et de l'exiguïté de sa taille, il monta sur un sycomore, afin de pouvoir au moins l'apercevoir. Mais Jésus qui connaissait et agréait la foi et le désir de cet homme, lui dit : Zachée, hâtez-vous de descendre; car c'est chez vous que je veux loger aujourd'hui. Zachée descendit aussitôt , le reçut avec beaucoup de joie et de respect et lui fit préparer un grand festin. Admirez la générosité de Jésus ; il surpassa tous les désirs de Zachée ; il se donna lui-même , ce que Zachée n'aurait jamais osé demander. Vous voyez ici un grand exemple du pouvoir de la prière. Car le désir , voilà le cri qui se fait mieux entendre de Dieu, voilà la prière la plus éloquente. C'est ce qui fait dire au Prophète : (3) Le Seigneur a exaucé le désir de ses pauvres ; il a entendu la préparation de leur cœur.
Le Seigneur dit aussi à Moïse : (4) Pourquoi criez-vous vers moi? lorsque Moïse n'ouvrait pas la bouche et ne priait que du cœur. Considérez Jésus assis et mangeant avec ces pécheurs. Il se mit près de Zachée au milieu de la table , et plaça au bout l'un des convives pour lui faire honneur ; il leur adressait familièrement la parole pour les attirer tous à lui.
(1) Luc, 9. — (2) Ps., 9. — (3) Exod., 14.
Voyez aussi les Disciples communiquant avec ces mêmes pécheurs , s'entretenant avec eux , les encourageant à la pratique des bonnes œuvres , et tout cela de bon cœur et de bonne grâce , parce qu'ils savaient que c'était la volonté de leur Maître , et qu'ils désiraient le salut de ces pécheurs.
CHAPITRE LXIII
GUÉRISON DE L` AVEUGLE NÉ.
Lorsque Notre Seigneur allait à Jérusalem , il aperçut un aveugle de naissance qui , dit-on , s'appelait Coelidonius ; et l'humble Jésus , (1) s` étant incliné vers la terre, fit de la boue avec sa salive , en oignit les yeux de l'aveugle et lui dit d'aller se laver à la piscine de Siloë. L'aveugle obéit , se lave les yeux et recouvre la vue. Ce miracle , soigneusement examiné par les ennemis du Divin Maître, tourna à leur confusion. Lisez dans l'Évangile l'histoire aussi étendue qu'intéressante de ce prodige ; mais, dans tout cela, appliquez-vous à observer les actions de Notre Seigneur, en suivant la méthode générale que je vous ai tracée, et considérez quelle fut la reconnaissance de cet aveugle qui , même avant que d'avoir vu Jésus , prit si courageusement et si constamment son parti devant les Princes et les Magistrats des Juifs , sans les ménager dans aucune de ses paroles. La reconnaissance est une vertu très-recommandable et très-agréable aux yeux de Dieu; mais rien ne lui déplaît plus que l'ingratitude.
Voici sur cette matière les paroles de saint Bernard : (2) Ne manquez pas de rendre grâces à chaque bienfait que vous recevez. Observez avec attention tous ceux qui vous sont accordés , afin de ne recevoir aucun des dons de Dieu sans lui témoigner la juste reconnaissance que méritent les plus médiocres et même les plus petites grâces, aussi bien que les plus signalées.
Enfin on nous recommande de ramasser les miettes de pain de peur qu'elles ne se perdent , ce qui signifie que nous ne devons jamais oublier les plus petits bienfaits. N'est-ce pas perdre ses dons que de les prodiguer à un ingrat? L'ingratitude nuit à notre âme, détruit les mérites acquis , anéantit les vertus , nous
prive de tous les biens. C'est un vent brûlant qui sèche toutes les eaux de la piété, la rosée de la miséricorde, et tarit la source des grâces. » Ainsi s'exprime saint Bernard.
(1) Jean., 9. — (2) Serm. 81, sup. cant.
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: MÉDITATIONS SUR LA VIE JESUS-CHRIST TRADUITES DE SAINT BONAVENTURE - 14 eme siecle
CHAPITRE LXIV.
COMMENT NOTRE SEIGNEUR s'ENFUIT DU TEMPLE ET SE CACHA LORSQUE LES JUIFS VOULURENT LE LAPIDER.
Nous allons bientôt entrer dans les mystères des souffrances de Notre Seigneur ; je ferai donc désormais très peu de citations , afin de pouvoir m'étendre plus longuement sur tous les détails relatifs à la Passion et aux évènements qui l'ont précédée. Or, un jour que Notre Seigneur Jésus-Christ prêchait dans le Temple et disait entre autres choses : (1) Si quelqu'un garde ma parole, il ne mourra jamais , les Juifs lui ayant répondu : Vous êtes donc plus grand que notre Père Abraham qui est mort , Jésus leur dit : J'étais avant qu'Abraham fût au monde.
(1) Jean., 8.
Les Juifs, prenant de ces paroles occasion de l'accuser d'avoir dit une chose impossible à croire, où même un mensonge , prirent des pierres pour le lapider. Mais il se déroba à leurs yeux et sortit du Temple ; car l'heure de sa Passion n'était pas encore venue. Considérez avec une vive affliction quels outrages le souverain Maître du monde reçoit ici de ses plus indignes serviteurs , et comment , pour se soustraire à leur fureur , il est forcé de se cacher dans quelqu'endroit du Temple, derrière quelque colonne , ou au milieu de quelques personnes. Voyez-le, ainsi que ses Disciples , se retirant tristement, la tête baissée , comme des hommes faibles et pusillanimes.
CHAPITRE LXV.
COMMENT ON VOULUT UNE SECONDE FOIS LAPIDER JÉSUS.
Une autre fois , le jour de la Dédicace, c'est-à-dire de la consécration du Temple , pendant que Jésus se promenait dans la galerie de Salomon , ces loups ravissants, poussés par une fureur infernale, se rassemblèrent autour de lui et lui dirent en grinçant les dents : (1) Jusqu'à quand nous tiendrez-vous l'esprit en suspend? Si vous êtes le Christ, dites-le nous ouvertement? Mais le doux Agneau répondit avec humilité : Je vous l'ai dit et vous ne me croyez pas. Les œuvres que je fais au nom de mon Père rendent témoignage de moi.
(1) Jean., 10.25
Au nom de Dieu , considérez ici Jésus et tout ce qui va se passer. Le divin Maître leur parle avec humilité ;
ses ennemis , semblables à des chiens qui aboient , poussent contre lui des cris furieux , ils l'enveloppent de toutes parts ; enfin, ne pouvant dissimuler plus longtemps la rage dont leur cœur est possédé, ils prennent des pierres pour les lui jeter. Cependant Notre Seigneur Jésus-Christ , continuant de leur parler avec la même douceur, leur dit : J'ai fait devant vous plusieurs bonnes œuvres , pour laquelle au lapidez-vous ? Mais ceux-ci répondirent entre autres choses : Parce que, n'étant qu'un homme, vous voulez vous faire passer pour un Dieu.
Admirez l'excès de leur extravagance. Ils désiraient savoir si c'était le Christ, et quand Jésus justifie de ce titre par ses paroles et ses œuvres, ils veulent le lapider. Or ils sont sans excuse, car ils pouvaient facilement , ils devaient même croire que Notre Seigneur Jésus-Christ était le Fils de Dieu. Mais, comme son heure n'était pas encore venue, il s'échappa de leurs mains et se retira au-delà du Jourdain, au même lieu où Jean avait autre fois baptisé. Ce lieu, situé à dix-huit milles de Jérusalem, servit de retraite à Jésus et à ses Disciples. Voyez donc ceux-ci, tout affligés, s'y retirer avec leur divin Maître; et compatissez, autant que vous le pourrez, à la douleur qui les accable.
COMMENT NOTRE SEIGNEUR s'ENFUIT DU TEMPLE ET SE CACHA LORSQUE LES JUIFS VOULURENT LE LAPIDER.
Nous allons bientôt entrer dans les mystères des souffrances de Notre Seigneur ; je ferai donc désormais très peu de citations , afin de pouvoir m'étendre plus longuement sur tous les détails relatifs à la Passion et aux évènements qui l'ont précédée. Or, un jour que Notre Seigneur Jésus-Christ prêchait dans le Temple et disait entre autres choses : (1) Si quelqu'un garde ma parole, il ne mourra jamais , les Juifs lui ayant répondu : Vous êtes donc plus grand que notre Père Abraham qui est mort , Jésus leur dit : J'étais avant qu'Abraham fût au monde.
(1) Jean., 8.
Les Juifs, prenant de ces paroles occasion de l'accuser d'avoir dit une chose impossible à croire, où même un mensonge , prirent des pierres pour le lapider. Mais il se déroba à leurs yeux et sortit du Temple ; car l'heure de sa Passion n'était pas encore venue. Considérez avec une vive affliction quels outrages le souverain Maître du monde reçoit ici de ses plus indignes serviteurs , et comment , pour se soustraire à leur fureur , il est forcé de se cacher dans quelqu'endroit du Temple, derrière quelque colonne , ou au milieu de quelques personnes. Voyez-le, ainsi que ses Disciples , se retirant tristement, la tête baissée , comme des hommes faibles et pusillanimes.
CHAPITRE LXV.
COMMENT ON VOULUT UNE SECONDE FOIS LAPIDER JÉSUS.
Une autre fois , le jour de la Dédicace, c'est-à-dire de la consécration du Temple , pendant que Jésus se promenait dans la galerie de Salomon , ces loups ravissants, poussés par une fureur infernale, se rassemblèrent autour de lui et lui dirent en grinçant les dents : (1) Jusqu'à quand nous tiendrez-vous l'esprit en suspend? Si vous êtes le Christ, dites-le nous ouvertement? Mais le doux Agneau répondit avec humilité : Je vous l'ai dit et vous ne me croyez pas. Les œuvres que je fais au nom de mon Père rendent témoignage de moi.
(1) Jean., 10.25
Au nom de Dieu , considérez ici Jésus et tout ce qui va se passer. Le divin Maître leur parle avec humilité ;
ses ennemis , semblables à des chiens qui aboient , poussent contre lui des cris furieux , ils l'enveloppent de toutes parts ; enfin, ne pouvant dissimuler plus longtemps la rage dont leur cœur est possédé, ils prennent des pierres pour les lui jeter. Cependant Notre Seigneur Jésus-Christ , continuant de leur parler avec la même douceur, leur dit : J'ai fait devant vous plusieurs bonnes œuvres , pour laquelle au lapidez-vous ? Mais ceux-ci répondirent entre autres choses : Parce que, n'étant qu'un homme, vous voulez vous faire passer pour un Dieu.
Admirez l'excès de leur extravagance. Ils désiraient savoir si c'était le Christ, et quand Jésus justifie de ce titre par ses paroles et ses œuvres, ils veulent le lapider. Or ils sont sans excuse, car ils pouvaient facilement , ils devaient même croire que Notre Seigneur Jésus-Christ était le Fils de Dieu. Mais, comme son heure n'était pas encore venue, il s'échappa de leurs mains et se retira au-delà du Jourdain, au même lieu où Jean avait autre fois baptisé. Ce lieu, situé à dix-huit milles de Jérusalem, servit de retraite à Jésus et à ses Disciples. Voyez donc ceux-ci, tout affligés, s'y retirer avec leur divin Maître; et compatissez, autant que vous le pourrez, à la douleur qui les accable.
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: MÉDITATIONS SUR LA VIE JESUS-CHRIST TRADUITES DE SAINT BONAVENTURE - 14 eme siecle
CHAPITRE LXVI.
RÉSURRECTION DE LAZARE.
Ce miracle, par sa célébrité et son importance, offre la matière d'une profonde et pieuse méditation. Occupez-vous-en donc avec autant d'attention que si vous étiez réellement présente à tout ce qui s'est dit et fait dans cette circonstance, et entretenez-vous, non-seulement avec Notre Seigneur et avec ses Disciples , mais encore avec cette sainte famille si dévouée à Jésus et si chère à son cœur; je veux dire avec Lazare, Marthe et Marie.
Lazare était gravement malade ; ses sœurs, dont je viens de parler, qui étaient fort connues de Notre Seigneur, envoyèrent quelqu'un vers lui dans le lieu où il s'était retiré, c'est-à-dire au-delà du Jourdain, ainsi que nous l'avons indiqué dans le chapitre précédent, et lui firent dire : (1 ) Notre frère Lazare que vous aimez est malade. Et elles n'ajoutèrent rien à ces paroles, soit parce qu'elles devaient suffire à quelqu'un qui leur était si attaché et qui comprenait si bien toutes choses, soit parce qu'elles craignaient de faire revenir Notre Seigneur près d'elles, dans un moment où elles savaient que les Chefs de la nation Juive lui tendaient des pièges et désiraient de le faire mourir. Mais Jésus-Christ, ayant appris cette nouvelle garda le silence pendant deux jours, après quoi il dit à ses Disciples entre autres choses : Lazare est mort, et je me réjouis pour l'amour de vous de ce que je n'étais pas là.
(l) Jean, 11.
Voyez avec quelle admirable bonté, quelle charité, quelle prudence Jésus se conduit avec ses Disciples. Ils manquaient encore de force et de courage , et Notre Seigneur se proposait d'y remédier. Il retourne donc avec eux, et les conduit auprès de Béthanie. Dès que Marthe en est instruite, elle va à sa rencontre et dit en se prosternant à ses pieds : Seigneur, si vous eussiez été ici, mon frère ne serait pas mort. Mais Notre Seigneur lui dit que son frère ressusciterait, et alors ils s'entretinrent ensemble sur la résurrection. Ensuite Jésus l'envoie à Marie, pour laquelle il avait une affection particulière.
Marie se lève à l'instant, court promptement trouver Jésus, se prosterne et lui tient le même langage que sa sœur. Mais Notre Seigneur, voyant combien celle qui lui était si chère était affligée et désolée de la mort de son frère, et combien elle répandait de larmes, ne put lui-même retenir les siennes. Jésus pleura donc en ce moment. Arrêtez ici vos regards sur lui , sur les sœurs de Lazare et même sur les Disciples. Vous pensez bien qu'ils répandirent aussi des pleurs. Après quelques moments consacrés à la douleur par tous ceux qui étaient là, Jésus dit : Où l'avez-vous mis? Il ne l'ignorait pas, mais, par cette question , il voulait se conformer au langage ordinaire des hommes. Les deux sœurs répondent alors : Seigneur, venez et voyez , et elles le conduisent au tombeau. Notre Seigneur y va donc, entre Marthe et Marie qu'il consolait et fortifiait en chemin. Au reste, sa présence suffisait pour les consoler. Car elles en étaient si fortement occupées qu'elles paraissaient avoir oublié et leur douleur et toutes les choses de ce monde.
Pendant qu'ils s'avançaient ainsi tous les trois ensemble sur la route, Madeleine disait à Jésus : « Seigneur, que vous est-il arrivé depuis que vous vous êtes éloigné de nous? Votre retraite m'a profondément affligée, mais, dès que j'ai su votre retour, j'en ai ressenti une grande joie; toutefois j'ai craint et je crains beaucoup encore. Car vous n'ignorez pas les complots que les Princes des Prêtres et les Anciens du peuple forment contre vous , et voilà pourquoi nous n'avons osé d'abord vous envoyer prier de revenir près de nous. Je me réjouis de votre retour, mais je vous en conjure, au nom de Dieu , défiez-vous des pièges que l'on vous tend. » Jésus répondait : « Rassurez-vous , mon Père y pourvoira. »
Et, tout en s'entretenant ainsi, ils arrivèrent au sépulcre. Alors Jésus fit ôter la pierre qui en fermait l'entrée. Mais Marthe s'y opposait en disant : (1) Seigneur, il sent déjà mauvais, car il y a quatre jours qu'il est là. O Dieu quel amour ces deux sœurs avaient pour Notre Seigneur ! Elles ne voulaient point lui faire respirer la mauvaise odeur d'un cadavre en putréfaction. Néanmoins, sans s'arrêter à cela, ou plutôt à cause de cela même, Jésus fit ôter la pierre.
Cela fait, Notre Seigneur lève les yeux au Ciel, en disant : (2) Mon Père, je vous rends grâces de ce que vous m'avez exaucé. Pour moi, je sais bien que vous m'exaucez toujours; mais je dis ceci pour ceux qui m` environnent, afin qu'ils croient que c'est vous qui m'avez envoyé. Contemplez Jésus pendant qu'il fait cette prière et admirez son zèle pour le salut des âmes. Après qu'il eut ainsi prié, Notre Seigneur cria d'une voix forte : Lazare, sortez dehors. Aussitôt Lazare ressuscite et s'élance hors du tombeau , encore tout enveloppé des bandelettes dont on l'avait lié avant de l'y déposer. Mais les Disciples brisèrent ces liens, sur l'ordre que Jésus leur en donna. Ainsi dégagé , Lazare et ses deux sœurs, s'étant prosternés aux pieds de Jésus , lui rendirent grâces d'un si grand bienfait et le conduisirent à leur maison .
Tous ceux qui étaient là et qui virent ce prodige en furent saisis de stupeur et d'admiration, et le bruit s'en répandit si vite en tous lieux, qu'une foule innombrable accourait de Jérusalem et de toutes les autres parties de la Judée pour voir Lazare. Mais les Princes des Prêtres, que ce miracle confondait , ne songèrent plus dès-lors qu'à faire mourir Jésus.
(1) Jean., 11. - (2) Jean, 11.
CHAPITRE LXVII.
JÉSUS MAUDIT UN FIGUIER.
Quoique la malédiction du figuier et la présentation de la femme adultère à Jésus dans le Temple ne soient rapportées dans l'histoire évangélique qu'après que Notre Seigneur, monté sur un ânon , fût entré à Jérusalem , j'ai cru cependant devoir les placer avant cette entrée, parce qu'après il me semble qu'il n'y a rien de mieux à faire que de parler de la Cène , de la Passion et de toutes les circonstances qui s'y rattachent.
(1) Un jour donc que Jésus, allant à Jérusalem , se sentait pressé par la faim, il vît un figuier orné d'un feuillage magnifique; s'en étant approché et n'y trouvant point de fruit, il le maudit. Au même instant le figuier sécha au grand étonnement de ses Disciples. Considérez donc ici Jésus et ses Disciples selon la méthode générale que je vous ai indiquée ci-dessus. Remarquez aussi ce qu'il y a de mystérieux dans cette action du Sauveur, car il savait bien que ce n'était pas la saison des figues. En effet cet arbre au feuillage verdoyant peut être considéré comme la figure de ces hommes si féconds en paroles et si stériles en bonnes œuvres, ou même de ces hypocrites et de ces fourbes qui ont à l'extérieur une belle apparence, mais qui au-dedans sont vides de mérites et ne rapportent aucun fruit.
(1) Matth.,21.19 - Marc, 11.13
RÉSURRECTION DE LAZARE.
Ce miracle, par sa célébrité et son importance, offre la matière d'une profonde et pieuse méditation. Occupez-vous-en donc avec autant d'attention que si vous étiez réellement présente à tout ce qui s'est dit et fait dans cette circonstance, et entretenez-vous, non-seulement avec Notre Seigneur et avec ses Disciples , mais encore avec cette sainte famille si dévouée à Jésus et si chère à son cœur; je veux dire avec Lazare, Marthe et Marie.
Lazare était gravement malade ; ses sœurs, dont je viens de parler, qui étaient fort connues de Notre Seigneur, envoyèrent quelqu'un vers lui dans le lieu où il s'était retiré, c'est-à-dire au-delà du Jourdain, ainsi que nous l'avons indiqué dans le chapitre précédent, et lui firent dire : (1 ) Notre frère Lazare que vous aimez est malade. Et elles n'ajoutèrent rien à ces paroles, soit parce qu'elles devaient suffire à quelqu'un qui leur était si attaché et qui comprenait si bien toutes choses, soit parce qu'elles craignaient de faire revenir Notre Seigneur près d'elles, dans un moment où elles savaient que les Chefs de la nation Juive lui tendaient des pièges et désiraient de le faire mourir. Mais Jésus-Christ, ayant appris cette nouvelle garda le silence pendant deux jours, après quoi il dit à ses Disciples entre autres choses : Lazare est mort, et je me réjouis pour l'amour de vous de ce que je n'étais pas là.
(l) Jean, 11.
Voyez avec quelle admirable bonté, quelle charité, quelle prudence Jésus se conduit avec ses Disciples. Ils manquaient encore de force et de courage , et Notre Seigneur se proposait d'y remédier. Il retourne donc avec eux, et les conduit auprès de Béthanie. Dès que Marthe en est instruite, elle va à sa rencontre et dit en se prosternant à ses pieds : Seigneur, si vous eussiez été ici, mon frère ne serait pas mort. Mais Notre Seigneur lui dit que son frère ressusciterait, et alors ils s'entretinrent ensemble sur la résurrection. Ensuite Jésus l'envoie à Marie, pour laquelle il avait une affection particulière.
Marie se lève à l'instant, court promptement trouver Jésus, se prosterne et lui tient le même langage que sa sœur. Mais Notre Seigneur, voyant combien celle qui lui était si chère était affligée et désolée de la mort de son frère, et combien elle répandait de larmes, ne put lui-même retenir les siennes. Jésus pleura donc en ce moment. Arrêtez ici vos regards sur lui , sur les sœurs de Lazare et même sur les Disciples. Vous pensez bien qu'ils répandirent aussi des pleurs. Après quelques moments consacrés à la douleur par tous ceux qui étaient là, Jésus dit : Où l'avez-vous mis? Il ne l'ignorait pas, mais, par cette question , il voulait se conformer au langage ordinaire des hommes. Les deux sœurs répondent alors : Seigneur, venez et voyez , et elles le conduisent au tombeau. Notre Seigneur y va donc, entre Marthe et Marie qu'il consolait et fortifiait en chemin. Au reste, sa présence suffisait pour les consoler. Car elles en étaient si fortement occupées qu'elles paraissaient avoir oublié et leur douleur et toutes les choses de ce monde.
Pendant qu'ils s'avançaient ainsi tous les trois ensemble sur la route, Madeleine disait à Jésus : « Seigneur, que vous est-il arrivé depuis que vous vous êtes éloigné de nous? Votre retraite m'a profondément affligée, mais, dès que j'ai su votre retour, j'en ai ressenti une grande joie; toutefois j'ai craint et je crains beaucoup encore. Car vous n'ignorez pas les complots que les Princes des Prêtres et les Anciens du peuple forment contre vous , et voilà pourquoi nous n'avons osé d'abord vous envoyer prier de revenir près de nous. Je me réjouis de votre retour, mais je vous en conjure, au nom de Dieu , défiez-vous des pièges que l'on vous tend. » Jésus répondait : « Rassurez-vous , mon Père y pourvoira. »
Et, tout en s'entretenant ainsi, ils arrivèrent au sépulcre. Alors Jésus fit ôter la pierre qui en fermait l'entrée. Mais Marthe s'y opposait en disant : (1) Seigneur, il sent déjà mauvais, car il y a quatre jours qu'il est là. O Dieu quel amour ces deux sœurs avaient pour Notre Seigneur ! Elles ne voulaient point lui faire respirer la mauvaise odeur d'un cadavre en putréfaction. Néanmoins, sans s'arrêter à cela, ou plutôt à cause de cela même, Jésus fit ôter la pierre.
Cela fait, Notre Seigneur lève les yeux au Ciel, en disant : (2) Mon Père, je vous rends grâces de ce que vous m'avez exaucé. Pour moi, je sais bien que vous m'exaucez toujours; mais je dis ceci pour ceux qui m` environnent, afin qu'ils croient que c'est vous qui m'avez envoyé. Contemplez Jésus pendant qu'il fait cette prière et admirez son zèle pour le salut des âmes. Après qu'il eut ainsi prié, Notre Seigneur cria d'une voix forte : Lazare, sortez dehors. Aussitôt Lazare ressuscite et s'élance hors du tombeau , encore tout enveloppé des bandelettes dont on l'avait lié avant de l'y déposer. Mais les Disciples brisèrent ces liens, sur l'ordre que Jésus leur en donna. Ainsi dégagé , Lazare et ses deux sœurs, s'étant prosternés aux pieds de Jésus , lui rendirent grâces d'un si grand bienfait et le conduisirent à leur maison .
Tous ceux qui étaient là et qui virent ce prodige en furent saisis de stupeur et d'admiration, et le bruit s'en répandit si vite en tous lieux, qu'une foule innombrable accourait de Jérusalem et de toutes les autres parties de la Judée pour voir Lazare. Mais les Princes des Prêtres, que ce miracle confondait , ne songèrent plus dès-lors qu'à faire mourir Jésus.
(1) Jean., 11. - (2) Jean, 11.
CHAPITRE LXVII.
JÉSUS MAUDIT UN FIGUIER.
Quoique la malédiction du figuier et la présentation de la femme adultère à Jésus dans le Temple ne soient rapportées dans l'histoire évangélique qu'après que Notre Seigneur, monté sur un ânon , fût entré à Jérusalem , j'ai cru cependant devoir les placer avant cette entrée, parce qu'après il me semble qu'il n'y a rien de mieux à faire que de parler de la Cène , de la Passion et de toutes les circonstances qui s'y rattachent.
(1) Un jour donc que Jésus, allant à Jérusalem , se sentait pressé par la faim, il vît un figuier orné d'un feuillage magnifique; s'en étant approché et n'y trouvant point de fruit, il le maudit. Au même instant le figuier sécha au grand étonnement de ses Disciples. Considérez donc ici Jésus et ses Disciples selon la méthode générale que je vous ai indiquée ci-dessus. Remarquez aussi ce qu'il y a de mystérieux dans cette action du Sauveur, car il savait bien que ce n'était pas la saison des figues. En effet cet arbre au feuillage verdoyant peut être considéré comme la figure de ces hommes si féconds en paroles et si stériles en bonnes œuvres, ou même de ces hypocrites et de ces fourbes qui ont à l'extérieur une belle apparence, mais qui au-dedans sont vides de mérites et ne rapportent aucun fruit.
(1) Matth.,21.19 - Marc, 11.13
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: MÉDITATIONS SUR LA VIE JESUS-CHRIST TRADUITES DE SAINT BONAVENTURE - 14 eme siecle
CHAPITRE LXVIII.
DE LA FEMME SURPRISE EN ADULTÈRE.
Les Princes des Prêtres et les Pharisiens , dans leur malice exécrable, avaient toujours les yeux ouverts sur les démarches de Notre Seigneur Jésus-Christ et recouraient infatigablement à la ruse et à la fourberie pour le perdre et le rendre odieux au peuple ; mais tous les traits qu'ils lançaient retournaient sur eux-mêmes.
(1) Une femme donc , ayant été surprise en adultère, et devant, selon la loi, être lapidée, ils la lui présentèrent dans le Temple et lui demandèrent ce qu'il en fallait faire, comme s'ils eussent voulu l'embarrasser en le plaçant entre ces deux écueils, ou de passer pour un homme cruel et sans miséricorde, s'il demandait l'exécution de la loi , ou pour un homme injuste , s'il conseillait de la violer. Mais le Maître de la sagesse, découvrant le piège qui lui était tendu et sachant l'éviter, se pencha humblement vers la terre pour y tracer du bout du doigt quelques caractères. (2)
Les interprètes disent qu'il y écrivit les péchés de ses ennemis. En effet ces caractères étaient si merveilleux, qu'ils faisaient connaître à chacun d'eux les péchés dont ils étaient coupables. Or, Notre Seigneur se relève et leur dit : Que celui d'entre vous qui est sans péché lui jette la première pierre. Puis il s'inclina de nouveau par bonté pour ses envieux et ses ennemis qu'il ne voulait pas couvrir de confusion. Mais tous se retirèrent et virent ainsi s'évanouir leurs desseins astucieux.
(1) Jean., 8. — (2) Gloss. sup. Jean., 8.
Alors Jésus congédia la femme , après lui avoir recommandé de ne plus pécher à l'avenir. Faites donc une sérieuse attention aux actions et aux paroles de Notre Seigneur que nous venons de rapporter.
CHAPITRE LXIX.
CONSPIRATION DES PRETRES ET DES PHARISIENS CONTRE JÉSUS ET SA FUITE DANS LA VILLE d'EPHREM
Le temps approchant où Jésus avait résolu de nous racheter par l'effusion de son propre sang, Satan arma ses satellites contre lui et excita dans leurs cœurs le désir ardent de le mettre à mort , désir que les miracles de Notre Seigneur et surtout la résurrection de Lazare, enflammaient d'autant plus que ces prodiges étaient pour eux un plus grand sujet de jalousie. Ne pouvant donc plus longtemps contenir leur fureur, les Princes des Prêtres et les Pharisiens tinrent un conseil dans lequel , après avoir entendu la Prophétie de Caïphe, ils résolurent de mettre à mort l'Agneau le plus innocent.
0 détestable résolution ! O exécrables conducteurs du peuple, abominables conseillers! Que faites-vous , misérables? Quel excès de fureur vous transporte? Quel est votre projet? Quel motif avez-vous de mettre à mort le Seigneur votre Dieu? Celui que vous méconnaissez si indignement n'est-il pas au milieu de vous , n'entend-il pas tout ce que vous dites? et ne scrute-t-il pas les reins et les cœurs? Mais vos désirs seront accomplis ; son Père l'a livré entre vos mains, il sera mis à mort par vous et non pour vous. En effet , par sa mort et par sa Résurrection , il sauvera son peuple et vous mourrez dans votre péché.
(2) Jean, 8
Ce que le Conseil avait décidé fut bientôt connu. Mais Notre Seigneur dont la sagesse était extrême, ne voulant pas enchaîner leur haine , et voyant aussi que tout n'était pas encore accompli , se retira tout près du désert, dans la ville d'Ephrem. Et ce fut ainsi que notre humble Maître se détermina à fuir devant ses plus indignes esclaves. Considérez donc de quelle fureur ces scélérats sont agités dans leur Conseil abominable. Voyez aussi Notre Seigneur Jésus-Christ se retirant avec ses Disciples comme auraient pu faire des hommes impuissants et méprisables. Que pensez-vous que Madeleine ait dit de cette fuite? Mais aussi quels étaient les sentiments de la Mère de Jésus en le voyant s'éloigner ainsi d'elle , parce que , disait-on , les Juifs voulaient le mettre à mort ? Vous pouvez penser ici que Marie et ses sœurs restèrent alors avec Madeleine et que Notre Seigneur les consola bien tôt par la promesse de son prompt retour.
DE LA FEMME SURPRISE EN ADULTÈRE.
Les Princes des Prêtres et les Pharisiens , dans leur malice exécrable, avaient toujours les yeux ouverts sur les démarches de Notre Seigneur Jésus-Christ et recouraient infatigablement à la ruse et à la fourberie pour le perdre et le rendre odieux au peuple ; mais tous les traits qu'ils lançaient retournaient sur eux-mêmes.
(1) Une femme donc , ayant été surprise en adultère, et devant, selon la loi, être lapidée, ils la lui présentèrent dans le Temple et lui demandèrent ce qu'il en fallait faire, comme s'ils eussent voulu l'embarrasser en le plaçant entre ces deux écueils, ou de passer pour un homme cruel et sans miséricorde, s'il demandait l'exécution de la loi , ou pour un homme injuste , s'il conseillait de la violer. Mais le Maître de la sagesse, découvrant le piège qui lui était tendu et sachant l'éviter, se pencha humblement vers la terre pour y tracer du bout du doigt quelques caractères. (2)
Les interprètes disent qu'il y écrivit les péchés de ses ennemis. En effet ces caractères étaient si merveilleux, qu'ils faisaient connaître à chacun d'eux les péchés dont ils étaient coupables. Or, Notre Seigneur se relève et leur dit : Que celui d'entre vous qui est sans péché lui jette la première pierre. Puis il s'inclina de nouveau par bonté pour ses envieux et ses ennemis qu'il ne voulait pas couvrir de confusion. Mais tous se retirèrent et virent ainsi s'évanouir leurs desseins astucieux.
(1) Jean., 8. — (2) Gloss. sup. Jean., 8.
Alors Jésus congédia la femme , après lui avoir recommandé de ne plus pécher à l'avenir. Faites donc une sérieuse attention aux actions et aux paroles de Notre Seigneur que nous venons de rapporter.
CHAPITRE LXIX.
CONSPIRATION DES PRETRES ET DES PHARISIENS CONTRE JÉSUS ET SA FUITE DANS LA VILLE d'EPHREM
Le temps approchant où Jésus avait résolu de nous racheter par l'effusion de son propre sang, Satan arma ses satellites contre lui et excita dans leurs cœurs le désir ardent de le mettre à mort , désir que les miracles de Notre Seigneur et surtout la résurrection de Lazare, enflammaient d'autant plus que ces prodiges étaient pour eux un plus grand sujet de jalousie. Ne pouvant donc plus longtemps contenir leur fureur, les Princes des Prêtres et les Pharisiens tinrent un conseil dans lequel , après avoir entendu la Prophétie de Caïphe, ils résolurent de mettre à mort l'Agneau le plus innocent.
0 détestable résolution ! O exécrables conducteurs du peuple, abominables conseillers! Que faites-vous , misérables? Quel excès de fureur vous transporte? Quel est votre projet? Quel motif avez-vous de mettre à mort le Seigneur votre Dieu? Celui que vous méconnaissez si indignement n'est-il pas au milieu de vous , n'entend-il pas tout ce que vous dites? et ne scrute-t-il pas les reins et les cœurs? Mais vos désirs seront accomplis ; son Père l'a livré entre vos mains, il sera mis à mort par vous et non pour vous. En effet , par sa mort et par sa Résurrection , il sauvera son peuple et vous mourrez dans votre péché.
(2) Jean, 8
Ce que le Conseil avait décidé fut bientôt connu. Mais Notre Seigneur dont la sagesse était extrême, ne voulant pas enchaîner leur haine , et voyant aussi que tout n'était pas encore accompli , se retira tout près du désert, dans la ville d'Ephrem. Et ce fut ainsi que notre humble Maître se détermina à fuir devant ses plus indignes esclaves. Considérez donc de quelle fureur ces scélérats sont agités dans leur Conseil abominable. Voyez aussi Notre Seigneur Jésus-Christ se retirant avec ses Disciples comme auraient pu faire des hommes impuissants et méprisables. Que pensez-vous que Madeleine ait dit de cette fuite? Mais aussi quels étaient les sentiments de la Mère de Jésus en le voyant s'éloigner ainsi d'elle , parce que , disait-on , les Juifs voulaient le mettre à mort ? Vous pouvez penser ici que Marie et ses sœurs restèrent alors avec Madeleine et que Notre Seigneur les consola bien tôt par la promesse de son prompt retour.
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: MÉDITATIONS SUR LA VIE JESUS-CHRIST TRADUITES DE SAINT BONAVENTURE - 14 eme siecle
CHAPITRE LXX.
RETOUR DE JÉSUS A BÉTHANIE OU MARIE-MADELEINE LUI OIGNIT LES PIEDS.
Nous avons vu, dans ce qui précède , Jésus pratiquer la prudence en prenant le parti de fuir, nous apprenant, par sa conduite, qu'en certains temps et en certaines circonstances , nous devons , par prudence , nous soustraire à la fureur de ceux qui nous persécutent.
Maintenant, nous le voyons exercer la vertu de force en revenant, à l'approche du temps marqué par son Père, s'offrir spontanément à la mort et se livrer entre les mains de ses ennemis; et, comme il avait autrefois montré sa tempérance en fuyant la gloire, lorsque le peuple voulut le faire Roi, par une conduite contraire, il manifesta sa justice, en permettant au peuple qui venait à lui avec des branches d'arbres, de lui rendre les honneurs dûs à la royauté, honneurs toutefois auxquels il ne se prêta qu'avec beaucoup de modestie , puisque , ainsi que l'observe ici saint Bernard .
Il les reçut monté sur un ânon. (1) « Ce fut donc pour notre instruction que le Maître de toutes les vertus pratiqua la prudence, la force, la tempérance et la justice. On appelle ces vertus cardinales et principales, parce qu'elles sont la source de toutes les autres vertus morales. Gardons-nous donc de taxer ici Notre Seigneur de bizarrerie ou d'inconstance ; n'en accusons pas non plus ceux qui, suivant les différentes circonstances où ils se trouvent , s'exercent à la pratique de différentes vertus. »
La veille du jour que nous appelons le Dimanche des Rameaux (2) , Notre Seigneur revint donc à Béthanie , qui n'est éloignée de Jérusalem que d'environ deux milles; et là on lui apprêta à souper dans la maison de Simon le lépreux. Lazare, Marthe et Marie s'y trouvèrent aussi , peut-être parce qu'ils étaient parents de Simon ou du moins très-liés avec lui. (3) Ce fut alors que Marie répandit sur Jésus une livre d'un parfum précieux dont elle oignit sa tête et ses pieds. Ce qu'en une autre circonstance elle avait fait dans le même lieu par un sentiment de contrition , elle le répétait alors par piété. Car elle aimait Jésus plus que toutes choses, et elle n'épargnait aucun soin pour lui prouver son respectueux amour. Son action excita les murmures du traître Judas.
(1) Serm 2 in ramis palm.—(2) Marc, 11.— (3) Jean., 12.
Mais Notre Seigneur parla en sa faveur et la défendit comme il l'avait déjà fait. Cependant le perfide s'en indigna , et ce fut l'un des motifs qui le portèrent à trahir son Maître, qu'il vendit le mercredi suivant, pour trente deniers. Voyez donc Notre Seigneur mangeant avec ses amis et demeurant avec eux pendant ce peu de jours, c'est-à-dire jusqu'au moment de sa Passion. Ce fut pourtant dans la maison de Lazare qu'il fit un plus long séjour ; car c'était près de lui et de ses sœurs que Jésus se réfugiait le plus ordinairement; c'était là , qu'avec ses Disciples, il mangeait tous les jours; là, qu'avec eux il reposait toutes les nuits. C'était là aussi qu'habitait Marie avec ses sœurs , et tous avaient pour elle la plus profonde vénération , surtout Madeleine qui l'accompagnait partout et ne s'éloignait jamais d'elle.
Arrêtez aussi vos regards sur Marie elle-même qui , toujours inquiète , toujours alarmée de ce qui pouvait arriver à son fils bien-aimé, ne le quittait pas un seul moment. Et lorsque Notre Seigneur, répondant aux murmures de Juda contre Madeleine , dit pour la justifier : (1) Cette femme a répandu ce parfum sur mon corps qu'en vue de ma sépulture, ne pensez- vous pas que cette parole a dû percer comme un glaive le cœur de sa Mère ? Car pouvait-il annoncer plus expressément sa mort prochaine? Tous ceux qui étaient là furent également effrayés, et dans le trouble de leurs pensées , ils s'entretenaient ensemble d'un côté et de l'autre , comme ont coutume de le faire les personnes qui se trouvent dans des circonstances pénibles et difficiles. Et leurs craintes s'augmentaient encore quand Jésus allait à Jérusalem , ce qu'il faisait tous les jours.
(1) Matth 26
Car depuis ce jour de Sabbat jusqu'au jour où il fit la Cène , il adressa aux Juifs plusieurs discours et fit publiquement à Jérusalem plusieurs actions que je passe ici sous silence, ne me proposant de rapporter que son entrée sur un ânon , afin de concentrer sur Jésus seul toutes nos pensées et toutes nos méditations. En effet nous voilà parvenus au moment de sa Passion. Recueillez tout votre esprit , ne le laissez pas égarer par des pensées étrangères , afin de vous occuper en toute liberté, tant des mystères qui précèdent que de la Passion elle-même , de vous y appliquer attentivement; et, en attendant , entretenez-vous familièrement à Béthanie avec tous ceux dont nous venons de parler.
CHAPITRE LXXI.
JÉSUS MONTÉ SUR UN ANON FAIT SON ENTRÉE A JÉRUSALEM. — MOTIFS POUR LESQUELS JÉSUS A TROIS FOIS RÉPANDU DES LARMES.
Les mystères se multipliaient ; Jésus accomplissait toutes les Écritures ; et, les temps approchant, il brûlait d'opérer le salut du monde, en livrant son corps à tous les tourments de la Passion. Dès le matin donc du jour suivant, c'est-à-dire le dimanche, il se prépara à faire le voyage de Jérusalem d'une manière nouvelle et extraordinaire, mais selon que les Prophètes l'avaient prédit longtemps d'avance . Et au moment où il allait se mettre en route, sa Mère, ne pouvant se défendre d'une tendre émotion, essayait de le retenir en lui disant : « Où voulez-vous aller, mon Fils ? Vous savez qu'ils ont conspiré contre vous ; pourquoi vous mettez-vous entre leurs mains? Restez ici, je vous en prie. » Les Disciples ne pouvaient non plus consentir à le laisser partir, et faisaient aussi tous leurs efforts pour l'en empêcher. « Maître, disait Madeleine , pour Dieu , ne nous quittez pas. Vous savez qu'ils veulent vous faire mourir. Si vous vous mettez entre leurs mains, ils vous saisiront aujourd'hui et auront ainsi ce qu'ils désirent. »
0 mon Dieu ! combien ces cœurs aimaient Jésus ! Combien tout ce qui pouvait lui nuire leur était pénible ! Mais Celui qui était altéré du salut des hommes , ayant autrement disposé les choses , leur disait : « La volonté de mon Père est que je parte ; ne me retenez pas davantage , et soyez sans crainte , car il nous défendra et nous reviendrons ce soir sans qu'il nous soit arrivé aucun mal. » Il se mit donc en marche, et cette petite , mais fidèle compagnie le suivit. Arrivé à Betphagé, petit bourg situé à moitié chemin de Jérusalem , il envoya deux de ses Disciples dans un village voisin avec ordre de lui amener une ânesse et son ânon attachés dans un lieu public et consacrés à l'usage des pauvres. (1) Cela fait, Notre Seigneur Jésus-Christ monta humblement sur l'ânesse, puis sur l'ânon, que les Disciples avaient couverts de leur vêtements. Tel était l'équipage du Maître de l'univers ; et , quoiqu'il méritât les plus grands honneurs , voilà de quelles montures et de quels caparaçons il se servit au jour de son triomphe.
(1) Matth, 21. — Marc, 11. — Luc, 10.
Considérez-le maintenant avec attention , et voyez comment , au milieu de sa gloire , il réprouve la pompe et les honneurs du monde. Car au lieu de rênes et de selles enrichies d'or , au lieu de caparaçons revêtus de soie, suivant les usages insensés du monde , des vêtements grossiers, deux petites cordes étaient les seuls ornements de ces deux animaux qui portaient le Roi des Rois , le Seigneur des Seigneurs. Aussitôt que le peuple fut instruit de son arrivée, il courut en foule au-devant de lui , et l'accueillit comme un Roi , faisant entendre des cris de joie et des acclamations , étendant avec ivresse sur la route des vêtements et des branches d'arbres.
Mais au milieu de cette joie universelle . Jésus éprouvait un sentiment pénible. (1) A la vue de Jérusalem , il pleura sur elle en disant : Ah! si tu savais, tu pleurerais aussi sur toi-même. Or, vous ne l'ignorez pas , on lit dans l'Évangile que Jésus a trois fois répandu des larmes. La première fois sur la mort de Lazare, c'est-à-dire sur la misère de l'homme ; la seconde fois dans cette circonstance, c'est-à-dire sur notre aveuglement et notre ignorance. Car ce qui faisait couler ses pleurs sur Jérusalem, c'est qu'elle ne connaissait point le temps où elle était visitée. La troisième fois, il pleura sur sa Passion, ou plutôt sur les péchés et sur la malice des hommes , parce qu'il prévoyait que ses souffrances; qui suffisaient au salut du genre humain, ne seraient pas utiles à tous les hommes, puisque les réprouvés , les cœurs endurcis et impénitents ne devaient point en profiter. Et c'est ce qui, dans l'Épitre aux Hébreux, fait dire à l'Apôtre parlant de Jésus-Christ au temps de sa Passion : (2) Qu'ayant poussé un grand cri et répandu des larmes, il fut exaucé par son Père à cause de l'humble respect qu'il avait pour lui. Le texte évangélique dit expressément que Jésus a pleuré trois fois comme nous venons de le dire ; mais l'Église croit qu'il a encore pleuré dans d'autres circonstances , notamment dans sa première enfance; ce qu'elle exprime ainsi dans son Cantique : (3) L'Enfant-Dieu, resserré dans l'étroite prison de sa crèche , pousse des cris plaintifs ; ce qu'il ne faisait , que pour cacher au Démon ( aux anges déchus) le mystère de l'Incarnation.
(1) Luc, 19. — (2) Héb, 5. — (3) Hymne de la sainte Croix.
Considérez-le donc aujourd'hui pleurant sur les habitants de Jérusalem; car vous devriez unir vos larmes aux siennes; ses pleurs sont abondants et intarissables, parce que ce n'est point en apparence, mais en réalité qu'il s'afflige du sort qui les attend. C'était sur le danger où ils étaient de se perdre éternellement qu'il pleurait avec tant d'amertume. Il leur prédit aussi alors leur destruction prochaine. Observez encore ses Disciples qui s'approchent de lui par un sentiment de crainte respectueuse.
Voilà ses Barons et ses Comtes , ses Gentilshommes et ses Écuyers ; voyez enfin la Mère de Jésus qui le suit attentive avec Madeleine et les autres femmes. Vous pourrez aisément concevoir qu'en voyant couler les larmes de Jésus, sa Mère et tous ses autres amis ne purent retenir les leurs. Notre Seigneur Jésus-Christ entra donc à Jérusalem avec cette pompe triomphale et ces honneurs que le peuple lui décernait et dont la ville fut toute troublée. (1) Il alla aussi au Temple d'où il chassa, pour la seconde fois, les acheteurs et les vendeurs. Jésus demeura publiquement dans le Temple presque jusqu'au soir, prêchant et répondant aux questions que lui faisaient les Princes des Prêtres et les Pharisiens. Et, quoiqu'on lui eût prodigué de si grands honneurs , il ne se trouva personne qui l'invitât à prendre chez lui quelques rafraîchissements. Jésus donc et ceux qui l'accompagnaient restèrent à jeun pendant tout le jour , et tous retournèrent le soir à Béthanie.
(1) Marc, 11.
Remarquez bien avec quelle petite escorte Jésus traverse humblement cette ville où il avait été si honorablement reçu le matin. Cette observation vous fera comprendre qu'il faut faire bien peu de cas des honneurs du monde, qui passent si promptement. Vous pouvez encore remarquer quelle fut la joie de Madeleine et des autres Disciples pendant que Jésus recevait les hommages du peuple et surtout lorsque , heureusement délivré de tous les dangers , ils rentrèrent tous ensemble à Béthanie.
RETOUR DE JÉSUS A BÉTHANIE OU MARIE-MADELEINE LUI OIGNIT LES PIEDS.
Nous avons vu, dans ce qui précède , Jésus pratiquer la prudence en prenant le parti de fuir, nous apprenant, par sa conduite, qu'en certains temps et en certaines circonstances , nous devons , par prudence , nous soustraire à la fureur de ceux qui nous persécutent.
Maintenant, nous le voyons exercer la vertu de force en revenant, à l'approche du temps marqué par son Père, s'offrir spontanément à la mort et se livrer entre les mains de ses ennemis; et, comme il avait autrefois montré sa tempérance en fuyant la gloire, lorsque le peuple voulut le faire Roi, par une conduite contraire, il manifesta sa justice, en permettant au peuple qui venait à lui avec des branches d'arbres, de lui rendre les honneurs dûs à la royauté, honneurs toutefois auxquels il ne se prêta qu'avec beaucoup de modestie , puisque , ainsi que l'observe ici saint Bernard .
Il les reçut monté sur un ânon. (1) « Ce fut donc pour notre instruction que le Maître de toutes les vertus pratiqua la prudence, la force, la tempérance et la justice. On appelle ces vertus cardinales et principales, parce qu'elles sont la source de toutes les autres vertus morales. Gardons-nous donc de taxer ici Notre Seigneur de bizarrerie ou d'inconstance ; n'en accusons pas non plus ceux qui, suivant les différentes circonstances où ils se trouvent , s'exercent à la pratique de différentes vertus. »
La veille du jour que nous appelons le Dimanche des Rameaux (2) , Notre Seigneur revint donc à Béthanie , qui n'est éloignée de Jérusalem que d'environ deux milles; et là on lui apprêta à souper dans la maison de Simon le lépreux. Lazare, Marthe et Marie s'y trouvèrent aussi , peut-être parce qu'ils étaient parents de Simon ou du moins très-liés avec lui. (3) Ce fut alors que Marie répandit sur Jésus une livre d'un parfum précieux dont elle oignit sa tête et ses pieds. Ce qu'en une autre circonstance elle avait fait dans le même lieu par un sentiment de contrition , elle le répétait alors par piété. Car elle aimait Jésus plus que toutes choses, et elle n'épargnait aucun soin pour lui prouver son respectueux amour. Son action excita les murmures du traître Judas.
(1) Serm 2 in ramis palm.—(2) Marc, 11.— (3) Jean., 12.
Mais Notre Seigneur parla en sa faveur et la défendit comme il l'avait déjà fait. Cependant le perfide s'en indigna , et ce fut l'un des motifs qui le portèrent à trahir son Maître, qu'il vendit le mercredi suivant, pour trente deniers. Voyez donc Notre Seigneur mangeant avec ses amis et demeurant avec eux pendant ce peu de jours, c'est-à-dire jusqu'au moment de sa Passion. Ce fut pourtant dans la maison de Lazare qu'il fit un plus long séjour ; car c'était près de lui et de ses sœurs que Jésus se réfugiait le plus ordinairement; c'était là , qu'avec ses Disciples, il mangeait tous les jours; là, qu'avec eux il reposait toutes les nuits. C'était là aussi qu'habitait Marie avec ses sœurs , et tous avaient pour elle la plus profonde vénération , surtout Madeleine qui l'accompagnait partout et ne s'éloignait jamais d'elle.
Arrêtez aussi vos regards sur Marie elle-même qui , toujours inquiète , toujours alarmée de ce qui pouvait arriver à son fils bien-aimé, ne le quittait pas un seul moment. Et lorsque Notre Seigneur, répondant aux murmures de Juda contre Madeleine , dit pour la justifier : (1) Cette femme a répandu ce parfum sur mon corps qu'en vue de ma sépulture, ne pensez- vous pas que cette parole a dû percer comme un glaive le cœur de sa Mère ? Car pouvait-il annoncer plus expressément sa mort prochaine? Tous ceux qui étaient là furent également effrayés, et dans le trouble de leurs pensées , ils s'entretenaient ensemble d'un côté et de l'autre , comme ont coutume de le faire les personnes qui se trouvent dans des circonstances pénibles et difficiles. Et leurs craintes s'augmentaient encore quand Jésus allait à Jérusalem , ce qu'il faisait tous les jours.
(1) Matth 26
Car depuis ce jour de Sabbat jusqu'au jour où il fit la Cène , il adressa aux Juifs plusieurs discours et fit publiquement à Jérusalem plusieurs actions que je passe ici sous silence, ne me proposant de rapporter que son entrée sur un ânon , afin de concentrer sur Jésus seul toutes nos pensées et toutes nos méditations. En effet nous voilà parvenus au moment de sa Passion. Recueillez tout votre esprit , ne le laissez pas égarer par des pensées étrangères , afin de vous occuper en toute liberté, tant des mystères qui précèdent que de la Passion elle-même , de vous y appliquer attentivement; et, en attendant , entretenez-vous familièrement à Béthanie avec tous ceux dont nous venons de parler.
CHAPITRE LXXI.
JÉSUS MONTÉ SUR UN ANON FAIT SON ENTRÉE A JÉRUSALEM. — MOTIFS POUR LESQUELS JÉSUS A TROIS FOIS RÉPANDU DES LARMES.
Les mystères se multipliaient ; Jésus accomplissait toutes les Écritures ; et, les temps approchant, il brûlait d'opérer le salut du monde, en livrant son corps à tous les tourments de la Passion. Dès le matin donc du jour suivant, c'est-à-dire le dimanche, il se prépara à faire le voyage de Jérusalem d'une manière nouvelle et extraordinaire, mais selon que les Prophètes l'avaient prédit longtemps d'avance . Et au moment où il allait se mettre en route, sa Mère, ne pouvant se défendre d'une tendre émotion, essayait de le retenir en lui disant : « Où voulez-vous aller, mon Fils ? Vous savez qu'ils ont conspiré contre vous ; pourquoi vous mettez-vous entre leurs mains? Restez ici, je vous en prie. » Les Disciples ne pouvaient non plus consentir à le laisser partir, et faisaient aussi tous leurs efforts pour l'en empêcher. « Maître, disait Madeleine , pour Dieu , ne nous quittez pas. Vous savez qu'ils veulent vous faire mourir. Si vous vous mettez entre leurs mains, ils vous saisiront aujourd'hui et auront ainsi ce qu'ils désirent. »
0 mon Dieu ! combien ces cœurs aimaient Jésus ! Combien tout ce qui pouvait lui nuire leur était pénible ! Mais Celui qui était altéré du salut des hommes , ayant autrement disposé les choses , leur disait : « La volonté de mon Père est que je parte ; ne me retenez pas davantage , et soyez sans crainte , car il nous défendra et nous reviendrons ce soir sans qu'il nous soit arrivé aucun mal. » Il se mit donc en marche, et cette petite , mais fidèle compagnie le suivit. Arrivé à Betphagé, petit bourg situé à moitié chemin de Jérusalem , il envoya deux de ses Disciples dans un village voisin avec ordre de lui amener une ânesse et son ânon attachés dans un lieu public et consacrés à l'usage des pauvres. (1) Cela fait, Notre Seigneur Jésus-Christ monta humblement sur l'ânesse, puis sur l'ânon, que les Disciples avaient couverts de leur vêtements. Tel était l'équipage du Maître de l'univers ; et , quoiqu'il méritât les plus grands honneurs , voilà de quelles montures et de quels caparaçons il se servit au jour de son triomphe.
(1) Matth, 21. — Marc, 11. — Luc, 10.
Considérez-le maintenant avec attention , et voyez comment , au milieu de sa gloire , il réprouve la pompe et les honneurs du monde. Car au lieu de rênes et de selles enrichies d'or , au lieu de caparaçons revêtus de soie, suivant les usages insensés du monde , des vêtements grossiers, deux petites cordes étaient les seuls ornements de ces deux animaux qui portaient le Roi des Rois , le Seigneur des Seigneurs. Aussitôt que le peuple fut instruit de son arrivée, il courut en foule au-devant de lui , et l'accueillit comme un Roi , faisant entendre des cris de joie et des acclamations , étendant avec ivresse sur la route des vêtements et des branches d'arbres.
Mais au milieu de cette joie universelle . Jésus éprouvait un sentiment pénible. (1) A la vue de Jérusalem , il pleura sur elle en disant : Ah! si tu savais, tu pleurerais aussi sur toi-même. Or, vous ne l'ignorez pas , on lit dans l'Évangile que Jésus a trois fois répandu des larmes. La première fois sur la mort de Lazare, c'est-à-dire sur la misère de l'homme ; la seconde fois dans cette circonstance, c'est-à-dire sur notre aveuglement et notre ignorance. Car ce qui faisait couler ses pleurs sur Jérusalem, c'est qu'elle ne connaissait point le temps où elle était visitée. La troisième fois, il pleura sur sa Passion, ou plutôt sur les péchés et sur la malice des hommes , parce qu'il prévoyait que ses souffrances; qui suffisaient au salut du genre humain, ne seraient pas utiles à tous les hommes, puisque les réprouvés , les cœurs endurcis et impénitents ne devaient point en profiter. Et c'est ce qui, dans l'Épitre aux Hébreux, fait dire à l'Apôtre parlant de Jésus-Christ au temps de sa Passion : (2) Qu'ayant poussé un grand cri et répandu des larmes, il fut exaucé par son Père à cause de l'humble respect qu'il avait pour lui. Le texte évangélique dit expressément que Jésus a pleuré trois fois comme nous venons de le dire ; mais l'Église croit qu'il a encore pleuré dans d'autres circonstances , notamment dans sa première enfance; ce qu'elle exprime ainsi dans son Cantique : (3) L'Enfant-Dieu, resserré dans l'étroite prison de sa crèche , pousse des cris plaintifs ; ce qu'il ne faisait , que pour cacher au Démon ( aux anges déchus) le mystère de l'Incarnation.
(1) Luc, 19. — (2) Héb, 5. — (3) Hymne de la sainte Croix.
Considérez-le donc aujourd'hui pleurant sur les habitants de Jérusalem; car vous devriez unir vos larmes aux siennes; ses pleurs sont abondants et intarissables, parce que ce n'est point en apparence, mais en réalité qu'il s'afflige du sort qui les attend. C'était sur le danger où ils étaient de se perdre éternellement qu'il pleurait avec tant d'amertume. Il leur prédit aussi alors leur destruction prochaine. Observez encore ses Disciples qui s'approchent de lui par un sentiment de crainte respectueuse.
Voilà ses Barons et ses Comtes , ses Gentilshommes et ses Écuyers ; voyez enfin la Mère de Jésus qui le suit attentive avec Madeleine et les autres femmes. Vous pourrez aisément concevoir qu'en voyant couler les larmes de Jésus, sa Mère et tous ses autres amis ne purent retenir les leurs. Notre Seigneur Jésus-Christ entra donc à Jérusalem avec cette pompe triomphale et ces honneurs que le peuple lui décernait et dont la ville fut toute troublée. (1) Il alla aussi au Temple d'où il chassa, pour la seconde fois, les acheteurs et les vendeurs. Jésus demeura publiquement dans le Temple presque jusqu'au soir, prêchant et répondant aux questions que lui faisaient les Princes des Prêtres et les Pharisiens. Et, quoiqu'on lui eût prodigué de si grands honneurs , il ne se trouva personne qui l'invitât à prendre chez lui quelques rafraîchissements. Jésus donc et ceux qui l'accompagnaient restèrent à jeun pendant tout le jour , et tous retournèrent le soir à Béthanie.
(1) Marc, 11.
Remarquez bien avec quelle petite escorte Jésus traverse humblement cette ville où il avait été si honorablement reçu le matin. Cette observation vous fera comprendre qu'il faut faire bien peu de cas des honneurs du monde, qui passent si promptement. Vous pouvez encore remarquer quelle fut la joie de Madeleine et des autres Disciples pendant que Jésus recevait les hommages du peuple et surtout lorsque , heureusement délivré de tous les dangers , ils rentrèrent tous ensemble à Béthanie.
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: MÉDITATIONS SUR LA VIE JESUS-CHRIST TRADUITES DE SAINT BONAVENTURE - 14 eme siecle
CHAPITRE LXXII.
NOTRE SEIGNEUR ANNONCE A SA MÈRE QU'IL VA BIENTÔT MOURIR.
Nous pouvons placer ici une méditation fort intéressante sur un fait que l'Écriture n'a point rapporté. Le mercredi, Notre Seigneur soupait avec ses Disciples chez Marthe et Marie , tandis que sa Mère et les autres saintes femmes prenaient aussi leur repas dans une autre partie de la maison . Madeleine, qui les servait, s'adressant à Jésus , lui dit : « Maître , n'oubliez pas de faire la Pâque avec nous, ne rejetez point la prière que je vous adresse. » Mais comme Jésus , au lieu de se rendre à ses vœux , déclarait qu'il irait faire la Pâque à Jérusalem , Madeleine, désolée et tout en pleurs, se retire, va trouver Marie , lui raconte ce qui vient de se passer et la conjure de retenir son Fils à Béthanie le jour où l'on devait faire la Pâque.
Or, après le souper, Notre Seigneur va trouver sa Mère, s'assied et s'entretient avec elle à l'écart, la faisant jouir abondamment des douceurs de sa présence dont elle allait bientôt être privée. Maintenant considérez-les avec attention assis l'un près de l'autre; voyez quel respectueux accueil Marie fait à son Fils, quelle tendre affection la retient près de lui , et , en même temps , observez quel respect Jésus montre pour elle. Pendant un si doux entretien , Madeleine vient les trouver et , s'étant assise à leurs pieds , elle dit à Marie : « J'avais engagé notre Maître à faire ici la Pâque avec nous, mais il paraît qu'il veut aller la célébrer a Jérusalem, au risque de s'y faire prendre par ses ennemis; de grâce , ne le souffrez pas. » Marie dit alors à Jésus : « Ne risquez pas , mon Fils , une telle démarche , je vous prie ; faites plutôt ici la Pâque avec nous; car vous savez quels pièges vos ennemis ont tendus pour vous prendre.»
« Ma très-chère Mère, dit Jésus , la volonté de mon Père est que je fasse la Pâque à Jérusalem , car le moment est venu où je dois racheter le monde; bientôt va s'accomplir tout ce qui a été dit à mon sujet dans les Écritures, bientôt mes ennemis feront de moi tout ce qu'ils voudront. »
La Mère de Jésus et Madeleine ne purent entendre ces paroles sans une extrême douleur , parce qu'elles virent bien que Notre Seigneur parlait ici de sa mort. Marie qui pouvait à peine prononcer quelques mots , dit alors : « Mon Fils , ce que je viens d'entendre a porté le trouble dans mon cœur , et je le sens défaillir. Je ne sais que dire ; que votre Père vous protège; je ne veux pas m'opposer à sa volonté, mais priez-le de différer, s'il lui plait, l'accomplissement de ces desseins et de vous laisser faire ici la Pâque avec tous vos amis. Il peut assurément opérer le salut des hommes par un autre moyen que par votre mort; car rien ne lui est impossible. »
Oh ! si , pendant cet entretien , vous pouviez voir les larmes abondantes qui coulent avec tant de modestie des yeux de Marie et les torrents de pleurs que, dans l'excès d'amour dont elle est comme enivrée pour son divin Maître, Madeleine unit aux sanglots les plus lamentables, certes , vous ne pourriez vous-même vous défendre de pleurer avec elles ! Considérez dans quelle situation elles se trouvaient pendant ces explications. Enfin Jésus dit avec douceur pour les consoler : « Ne pleurez point, car vous savez que je dois l'obéissance à mon Père , mais croyez fermement que vous me reverrez bientôt et que, délivré de tous les maux , je ressusciterai le troisième jour. J'irai donc, selon la volonté de mon Père , faire la Pâque sur la montagne de Sion. »
Madeleine dit alors : « Puisque nous ne pouvons l'empêcher de partir, allons aussi à Jérusalem dans la maison que nous y possédons. Mais je ne crois pas que nous y ayons jamais fait la Pâque avec tant d'amertume. » Jésus permit qu'elles allassent faire la Pâque dans cette maison.
NOTRE SEIGNEUR ANNONCE A SA MÈRE QU'IL VA BIENTÔT MOURIR.
Nous pouvons placer ici une méditation fort intéressante sur un fait que l'Écriture n'a point rapporté. Le mercredi, Notre Seigneur soupait avec ses Disciples chez Marthe et Marie , tandis que sa Mère et les autres saintes femmes prenaient aussi leur repas dans une autre partie de la maison . Madeleine, qui les servait, s'adressant à Jésus , lui dit : « Maître , n'oubliez pas de faire la Pâque avec nous, ne rejetez point la prière que je vous adresse. » Mais comme Jésus , au lieu de se rendre à ses vœux , déclarait qu'il irait faire la Pâque à Jérusalem , Madeleine, désolée et tout en pleurs, se retire, va trouver Marie , lui raconte ce qui vient de se passer et la conjure de retenir son Fils à Béthanie le jour où l'on devait faire la Pâque.
Or, après le souper, Notre Seigneur va trouver sa Mère, s'assied et s'entretient avec elle à l'écart, la faisant jouir abondamment des douceurs de sa présence dont elle allait bientôt être privée. Maintenant considérez-les avec attention assis l'un près de l'autre; voyez quel respectueux accueil Marie fait à son Fils, quelle tendre affection la retient près de lui , et , en même temps , observez quel respect Jésus montre pour elle. Pendant un si doux entretien , Madeleine vient les trouver et , s'étant assise à leurs pieds , elle dit à Marie : « J'avais engagé notre Maître à faire ici la Pâque avec nous, mais il paraît qu'il veut aller la célébrer a Jérusalem, au risque de s'y faire prendre par ses ennemis; de grâce , ne le souffrez pas. » Marie dit alors à Jésus : « Ne risquez pas , mon Fils , une telle démarche , je vous prie ; faites plutôt ici la Pâque avec nous; car vous savez quels pièges vos ennemis ont tendus pour vous prendre.»
« Ma très-chère Mère, dit Jésus , la volonté de mon Père est que je fasse la Pâque à Jérusalem , car le moment est venu où je dois racheter le monde; bientôt va s'accomplir tout ce qui a été dit à mon sujet dans les Écritures, bientôt mes ennemis feront de moi tout ce qu'ils voudront. »
La Mère de Jésus et Madeleine ne purent entendre ces paroles sans une extrême douleur , parce qu'elles virent bien que Notre Seigneur parlait ici de sa mort. Marie qui pouvait à peine prononcer quelques mots , dit alors : « Mon Fils , ce que je viens d'entendre a porté le trouble dans mon cœur , et je le sens défaillir. Je ne sais que dire ; que votre Père vous protège; je ne veux pas m'opposer à sa volonté, mais priez-le de différer, s'il lui plait, l'accomplissement de ces desseins et de vous laisser faire ici la Pâque avec tous vos amis. Il peut assurément opérer le salut des hommes par un autre moyen que par votre mort; car rien ne lui est impossible. »
Oh ! si , pendant cet entretien , vous pouviez voir les larmes abondantes qui coulent avec tant de modestie des yeux de Marie et les torrents de pleurs que, dans l'excès d'amour dont elle est comme enivrée pour son divin Maître, Madeleine unit aux sanglots les plus lamentables, certes , vous ne pourriez vous-même vous défendre de pleurer avec elles ! Considérez dans quelle situation elles se trouvaient pendant ces explications. Enfin Jésus dit avec douceur pour les consoler : « Ne pleurez point, car vous savez que je dois l'obéissance à mon Père , mais croyez fermement que vous me reverrez bientôt et que, délivré de tous les maux , je ressusciterai le troisième jour. J'irai donc, selon la volonté de mon Père , faire la Pâque sur la montagne de Sion. »
Madeleine dit alors : « Puisque nous ne pouvons l'empêcher de partir, allons aussi à Jérusalem dans la maison que nous y possédons. Mais je ne crois pas que nous y ayons jamais fait la Pâque avec tant d'amertume. » Jésus permit qu'elles allassent faire la Pâque dans cette maison.
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: MÉDITATIONS SUR LA VIE JESUS-CHRIST TRADUITES DE SAINT BONAVENTURE - 14 eme siecle
CHAPITRE LXXIII.
DE LA CÈNE DE NOTRE SEIGNEUR ; PUIS DE LA TABLE ET DE LA MANIÈRE DONT IL S'Y MIT AVEC SES DISCIPLES. — DE CINQ EXEMPLES DE VERTUS DONNÉS PAR JÉSUS-CHRIST DANS LA CÈNE, ET DE CINQ CHOSES A MÉDITER DANS LE DISCOURS QUE NOTRE SEIGNEUR FIT APRÈS LA CÈNE.
Les jours de la clémence et de la miséricorde de Notre Seigneur Jésus-Christ étant proches, le moment étant enfin venu où il avait résolu de sauver son peuple et de le racheter, (1) « non avec un or et un argent corruptibles, mais au prix de son sang précieux, » il voulut, avant que la mort le séparât de ses Disciples , faire avec eux une grande Cène , pour leur laisser un signe commémoratif de cette mort , et aussi , pour achever les mystères qui lui restaient à accomplir. Cette Cène fut d'une extrême magnificence, et ce que Jésus y fit est digne de votre admiration.
(1) 1 Pierre, 1.
Contemplez , avec une extrême attention , toutes ces choses comme si elles se passaient sous vos yeux ; car, si vous assistez dignement et avec soin à ce festin , Notre Seigneur, dont la bonté est infinie , ne souffrira pas que vous en sortiez à jeun. Or, dans la Cène, vous avez particulièrement à méditer quatre choses extrêmement remarquables. La première, le souper et toutes les circonstances matérielles qui s'y rapportent; la seconde, le lavement des pieds des Disciples opéré par Notre Seigneur; la troisième, l'institution du Sacrement de son corps; la quatrième, enfin, l'admirable sermon qu'il fit en cette circonstance. Nous allons successivement les examiner.
Quant à la première, considérez que (1) Pierre et Jean allèrent, conformément à l'ordre que Notre Seigneur leur en avait donné, sur la montagne de Sion, préparer la Pâque dans la maison de l'un de ses amis où se trouvait une salle grande et bien ornée. Voyez aussi comment Notre Seigneur, accompagné des autres Disciples, entra dans la ville le jeudi vers la fin du jour et se rendit au lieu indiqué. Observez ensuite Jésus retiré dans un lieu écarté de la maison et adressant des paroles édifiantes à ses Disciples, pendant que quelques-uns des soixante-douze préparaient la Pâque dans le Cénacle. Car on lit dans une légende de saint Martial que ce saint , avec quelques-uns des soixante-douze, aidaient Notre Seigneur pendant que le soir de ce même jour il lavait les pieds à ses Disciples.
(1) Matth., 26
Lors donc que tout fut préparé dans le Cénacle, saint Jean, le Disciple bien-aimé , qui, dans sa sollicitude, ne cessait d'aller et de venir, soit pour présider, soit pour aider à cette préparation, vint dire à Jésus : « Seigneur, tout est prêt; maintenant vous pouvez vous mettre à table quand il vous plaira. » Examinez à présent avec soin et avec une sérieuse attention toutes les actions et toutes les paroles de Notre Seigneur, parce qu'elles sont fort touchantes; au lieu de les abréger, comme les autres faits de sa vie, vous devez plutôt ici les étendre et les développer; car c'est d'un tel examen que dépend toute l'efficacité des méditations que vous pouvez faire sur sa personne, et surtout sur cet amour qui lui fit opérer dans la Cène des prodiges si étonnants.
Notre Seigneur se leva donc ainsi que ses Disciples. Mais saint Jean se tint auprès de lui , pour ne plus s'en séparer dans la suite ; car personne ne lui fut plus fidèlement, plus tendrement attaché que saint Jean. En effet, lorsque Jésus fut arrêté, saint Jean entra avec lui dans la maison du Prince des Prêtres et ne le quitta plus , ni pendant qu'on le crucifiait, ni à sa mort, ni après sa mort, jusqu'au moment de sa sépulture. Mais dans la Cène, il s'assit tout près de lui, quoiqu'il fût le plus jeune de tous les Disciples. Alors tous entrent dans le Cénacle , se lavent les mains , et font, avec beaucoup de piété, la bénédiction de la table autour de laquelle ils se sont rangés.
Observez bien tout ce qui va suivre. Or, vous n'ignorez pas que la table était posée à terre et qu'à la manière des anciens , tous s'assirent à terre pour manger. Cette table , ainsi qu'on le croit , était carrée et composée de plusieurs planches ; je l'ai vue à Rome , dans l'Église de Latran , et j'en ai même mesuré les dimensions. La longueur de chaque côté est de deux bras et trois doigts , ou une palme environ ; de sorte que , suivant l'opinion générale , trois Disciples pouvaient s'asseoir un peu à l'étroit de chaque côté ; Notre Seigneur s'était placé humblement à l'un des coins , et ainsi , tout le monde pouvait manger au même plat ; cela fit que , quand Jésus dit : Celui qui met la main au plat avec moi me trahira, ses Disciples ne comprirent pas ces paroles , parce que tous portaient la main au plat. Après que le divin Maître eut étendu la main pour bénir aussi la table , tous s'asseyent à l'entour, et saint Jean se place à côté de Notre Seigneur.
On apporte alors l'Agneau pascal. Mais remarquez que la méditation peut se faire ici de deux manières. La première , est de se représenter les Disciples assis comme je viens de le dire; la seconde, debout , un bâton à la main et mangeant l'Agneau avec des laitues sauvages , pour observer ce que prescrit la loi ; mais il faudra ensuite les considérer assis , prenant quelque nourriture, ainsi qu'on peut le conclure de plusieurs passages du texte , puisque saint Jean , s'il n'eût été assis, n'aurait pu se reposer sur le sein de Jésus. On apporte donc l'Agneau tout rôti , et Jésus , le véritable Agneau immaculé , placé au centre de la table comme celui qui y préside , le prend , le coupe en morceaux , et, plein de joie, le présente à ses Disciples en les excitant à en manger; ils en mangent, mais ils ne peuvent se livrer à la joie, parce qu'ils craignent quelque nouvel attentat contre leur divin Maître.
Pendant le souper, Jésus découvrit plus clairement ce qui devait lui arriver, et dit entre autres choses : (1) J'ai désiré avec ardeur de faire avec vous cette Pâque , avant que de souffrir; mais l'un d'entre-vous doit me trahir. Cette parole pénétra dans leurs cœurs comme le glaive le plus tranchant ; ils ne purent continuer de manger, se regardèrent l`un l'autre et dirent à Jésus : Est-ce moi, Seigneur? Considérez-les bien à ce moment, et ne refuser votre compassion, ni à eux , ni à Notre Seigneur; car ils sont tous accablés de tristesse.
(1) Luc, 22.
Quant au traître Judas, pour ne pas laisser croire que ces paroles le regardent , il n'interrompt point son repas. Mais saint Jean, sur les instances de saint Pierre, s'adressant à Jésus , lui dit : (1) Maître, quel est donc celui qui vous trahira? Et Notre Seigneur le lui fit connaître familièrement , parce qu'il avait pour lui une amitié toute particulière. Alors saint Jean , dans l'étonnement et la douleur où cette confidence l'avait jeté , se tourna vers lui et se coucha sur son sein. Mais Jésus ne dit pas à saint Pierre quel était le traître , parce que , comme l'observe saint Augustin , si Pierre l'eût connu , il l'eût indubitablement mis en pièces (2).
Saint Augustin , dans la même homélie sur l'Évangile qu'on lit à la fête de saint Jean, observe que saint Pierre est l'image de la vie active , comme saint Jean est la figure de la vie contemplative. D'où vous devez conclure que ceux qui se livrent à la contemplation ne s'immiscent jamais ni de juger les actes purement intérieurs, ni même de demander la punition des offenses faites à Notre Seigneur; mais qu'ils se bornent à gémir intérieurement , qu'ils s'adressent à Dieu par de ferventes prières, et qu'après s'être plus fortement rapprochés de Dieu par la contemplation et s'y être attachés plus étroitement , ils abandonnent tout à la disposition de sa providence. Car, ainsi que je l'ai amplement expliqué ci-dessus en parlant de la contemplation , le zèle de Dieu et le salut du prochain obligent quelquefois les âmes contemplatives à se répandre au-dehors. Vous pouvez aussi remarquer ici que saint Jean ne dit rien a Pierre de ce qu'il vient d'apprendre, quoique ce fût sur sa demande qu'il eût interrogé le Seigneur.
(1) Jean., 13. — (2) August. tract., 124, in Joan., tom. 9.
Vous pouvez inférer de là que ceux qui s'exercent à la vie contemplative ne doivent pas révéler les secrets de leur divin Maître. On voit , en effet , que saint François ne faisait connaître les choses que Dieu lui révélait intérieurement qu'autant qu'il y était poussé par le zèle du salut de ses frères , ou par l'instinct de l'inspiration divine. Mais admirez maintenant l'indulgente condescendance de Notre Seigneur qui retient avec tant de bonté son bien-aimé Disciple sur son cœur. 0 que l'amour qui les unissait l'un à l'autre était tendre ! Observez aussi les autres Disciples après qu'ils ont entendu ces paroles de leur divin Maître : Un d'entre vous me trahira; ils sont profondément affligés , ils ne peuvent plus manger, ils se regardent l'un l'autre et ne savent quel parti prendre. En voilà assez sur le premier article.
Mais le second n'est pas moins digne de toute votre attention. Car, après tous ces préliminaires, (1) Notre Seigneur se lève de table, et il est à l'instant suivi par ses Disciples qui ne savent où il veut aller. Or, Jésus descendit avec eux dans une pièce inférieure de la même maison ainsi que le rapportent ceux qui ont visité les lieux ; là il les fait tous asseoir, se fait apporter de l'eau, se dépouille de ses vêtements d'honneur, se ceint lui-même d'un linge et verse de l'eau dans un bassin de pierre pour leur laver les pieds. Pierre n'y ,veut pas consentir, et, tout stupéfait de l'abaissement de son divin Maître , se refuse à une action qui lui paraît si indigne d'une telle Majesté. Mais, dès qu'il eut entendu la menace de Jésus-Christ, il prit sagement un meilleur parti.
(1)Jean., 13.
Observez bien ici chaque action en particulier et contemplez avec admiration tout ce qui se passe. Le Dieu de Majesté, le Maître de l'humilité s'abaisse jusqu'aux pieds de pauvres pêcheurs, se tient tout courbé et agenouillé devant eux pendant qu'ils sont assis , lave de ses mains, essuie et baise les pieds de chacun d'eux. Et, ce qui met le comble à son humilité , c'est qu'il ne refuse pas de rendre un tel service au traître lui-même. Mais, ô cœur abominable ! n'est-tu pas plus dur que les rochers , puisqu'une telle humilité ne peut t'amollir, puisque lu crains si peu le Dieu de toute Majesté, puisque tu conspires la perte de Celui qui n'a cessé de te combler de bienfaits, de Celui qui est l'innocence même? Ah! malheur à toi misérable Apôtre ! Car tu t'endurciras encore, et le crime que tu as conçu, tu l'enfanteras; ce n'est point la perte de Jésus , c'est la tienne que tu vas consommer. Qu'il est donc juste d'admirer une si profonde humilité, une bonté si excessive, etc. Après le lavement des pieds, Jésus retourne au Cénacle , et, s'étant remis à table, il engage ses Disciples à l'imiter.
Or, vous pouvez remarquer que, dans cette soirée , Jésus-Christ nous a donné l'exemple de cinq grandes vertus. Premièrement, exemple d'humilité dans le lavement des pieds dont nous venons de parler. Secondement , exemple de charité dans l'institution du Sacrement de son corps et de son sang, ainsi que dans le Sermon après la Cène qu'il a rempli d'avis si charitables. Troisièmement, exemple de patience, en supportant la vue du Disciple qui le trahissait et tous les outrages dont on l'accabla lorsqu'il fut arrêté et conduit comme un voleur. Quatrièmement, exemple d'obéissance, en acceptant sa Passion et sa mort par soumission à la volonté de son Père. Cinquièmement , exemple de prière par sa triple oraison au Jardin des Oliviers. Efforçons-nous donc de l'imiter dans toutes ces vertus. Voilà ce que j'ai à dire sur le second article.
En méditant le troisième , soyez saisie d'étonnement à la vue de la condescendance charitable et de la charité condescendante avec lesquelles il se livre à nous tout entier et nous laisse son corps en nourriture. Lors donc qu'après avoir lavé les pieds de ses Disciples, il se fut remis à table, voulant mettre fin aux coutumes, aux sacrifices de l'ancienne loi et commencer un Nouveau Testament, il fait de sa personne sacrée, la victime du nouveau sacrifice, il prend le pain, lève les yeux vers son Père, il institue l'auguste Sacrement de son corps et le donne à ses Disciples en disant : (1) Ceci est mon corps qui sera livré pour vous. Puis, ayant pris de même le Calice , il dit : Ceci est mon sang qui sera répandu pour vous. Observez maintenant , au nom de Dieu , avec quel soin , quelle attention et quelle piété il fait toutes ces choses et communie de ses propres mains ces heureux Disciples qu'il traite comme des enfants bien-aimés ; et, pour perpétuer le souvenir de son amour, ajoute enfin : Faites ceci en mémoire de moi. Or, toutes les fois qu'une âme reconnaissante s'unit à Jésus-Christ , soit par la communion , soit par une fervente méditation , voilà le souvenir qui devrait l'enflammer, l'enivrer et la remplir d'un tel excès de charité et de dévotion qu'elle se transformât entièrement en Notre Seigneur Jésus-Christ. Car il ne pouvait nous laisser rien de plus grand, de plus cher, de plus doux et de plus précieux que lui-même.
(1) Matth., 26
En effet, ce que nous recevons dans le Sacrement, c'est Celui qui, dans sa merveilleuse Incarnation , étant né d'une Vierge, est mort pour nous, et, depuis sa Résurrection et sa glorieuse Ascension; est assis à la droite de Dieu; c'est Celui qui créa le Ciel , la terre et tout ce qu'ils contiennent , qui les gouverne et les conduit ; c'est Celui de qui dépend votre salut ; qui peut , suivant son bon plaisir, vous donner ou vous refuser la gloire du Paradis ; c'est Celui-là même , qui s'offre et se présente à vous sous de si faibles espèces; en un mot, c'est Notre Seigneur Jésus-Christ; car, c'est le Fils du Dieu vivant. Je n'en dis pas plus sur ce troisième article.
Mais dans le quatrième, où Jésus-Christ met le comble à toutes ses bontés pour nous , vous allez voir d'autres marques éclatantes de sa charité. Car il prononce (1) un discours admirable, plein de douceur el tout brûlant des flammes de la charité. En effet , après avoir communié tous ses Disciples et même l'infâme Judas, (2) selon ce que dit saint Augustin, quoique d'autres assurent qu'il n'a point été du nombre des communiants, Notre Seigneur dit à Judas : (3) Faites vite ce que vous avez à faire. Après quoi ce misérable , étant sorti, alla trouver les Princes des Prêtres, auxquels il avait la veille vendu son Maître pour trente deniers, et leur demanda une cohorte pour le prendre. Or, ce fut pendant l'absence de Judas que Notre Seigneur fit à ses Disciples le discours dont il s'agit. Entre toutes les choses intéressantes et dignes de vénération renfermées dans ce long discours , je m'arrête particulièrement à cinq que je vous engage à méditer profondément. Observez d'abord comment, annonçant à ses Disciples qu'il va bientôt les quitter, il les console et les encourage. Car il leur disait : (4) Je ne suis plus avec vous que pour quelque temps , mais je ne vous laisserai pas orphelins.
(1) Jean., 13. — (2) Aug. Enar. in psalm. 40. — (3) Jean.,13. — (4) Jean., 14.
Je m'en vais, mais je reviens à vous , je vous reverrai de nouveau et votre cœur sera rempli d'allégresse (1). Ces paroles et d'autres semblables que j'abrège, perçaient et pénétraient leurs cœurs. Car ils ne pouvaient supporter la pensée d'être séparés de leur divin Maître. En second lieu, remarquez , dans ne discours , avec quelle effusion de cœur Jésus parle à ses Disciples de la charité , comme il insiste sur la pratique de cette vertu , en disant : (2) Mon précepte, c'est que vous vous aimiez les uns les autres. On connaîtra que vous êtes mes Disciples à la charité que vous aurez les uns pour les autres, et autres avis du même genre que vous pourrez trouver abondamment dans l'Évangile. Troisièmement, considérez encore comment, dans ce discours, il leur recommande d'observer ses préceptes , en disant : (3) Si vous m'aimez, gardez mes commandements. (4) Si vous observez mes préceptes, vous demeurerez dans mon amour ; et autres choses semblables. En quatrième lieu, faites attention qu'en ce discours il les rassure contre les dangers des tribulations dont il leur annonce qu'ils seront bientôt assaillis, en leur disant : (5) Vous serez affligés dans ce monde, mais ayez confiance, j'ai vaincu le monde et encore : (6) Si le monde vous hait , sachez qu'il m'a haï le premier. (7) Le monde sera dans la joie et vous serez dans la tristesse , mais votre tristesse sera changée en joie. Cinquièmement, observez comment, au milieu de ce discours, Notre Seigneur, élevant ses yeux au Ciel , s'adresse à son Père et lui dit : (8) Mon Père, conservez ceux que vous m'avez donnés. Je les ai gardés, tant que j'ai été avec eux ; maintenant je retourne à vous. Père saint , je vous prie pour eux et non pour le monde ; je ne prie pas seulement pour eux, mais pour tous ceux qui doivent croire en moi , par leur ministère. Mon Père, je veux que là où je suis, ceux que vous m'avez donnés y soient avec moi, afin qu'ils contemplent ma gloire ; et autres semblables discours bien capables de leur déchirer le cœur. On a vraiment peine à comprendre comment les Disciples, qui avaient tant d'amour pour leur divin Maître, purent entendre de telles paroles.
(1) Jean., 16. — (2) Jean. , 14. — (3) Jean., 14. — (4) Jean., 13. — (5) Jean., 16. — (6) Jean., 13. — (7) Jean.,
16. — (8) Jean., 17.
En effet, si vous examinez attentivement ce que renferme ce discours , si vous l'approfondissez dans une sérieuse méditation et si vous en savourez en paix toute la douceur, voire cœur sera certainement tout brûlant d'amour en contemplant tant de condescendance, de bonté, de prévoyance , d'indulgence, de charité et toutes les autres merveilles qui se sont passées dans cette soirée. Regardez Jésus pendant ce discours ; remarquez avec quelle force , quelle douceur , quel charme d'expressions il imprime tout ce qu'il dit dans l'âme de ses Disciples et repaît tout à la fois leurs yeux du bonheur de le voir, et leurs oreilles de celui de l'entendre.
Considérez ensuite les Disciples , tristes, la tête baissée ; ils pleurent , poussent de profonds soupirs , sont remplis d'une extrême affliction à laquelle Jésus, la Vérité même, rendait témoignage par ces paroles : (1) Parce que je vous ai dit ces choses , votre cœur est rempli de tristesse. Observez entr'autres saint Jean. Il se presse plus affectueusement contre le cœur de Jésus ; il arrête , sur celui qu'il aime , des regards inquiets et attentifs et recueille toutes ses paroles avec une tendre anxiété.
(1) Jean, 16.
Aussi n'y a-t-il que lui qui les ait écrites et nous les ait fidèlement transmises. Notre Seigneur dit entre autres choses à ses Disciples : (1) Levez-vous, sortons d'ici. Oh ! de quelle frayeur ne furent-ils pas alors remplis ! ils ne savaient ni en quel lieu , ni comment ils devaient se retirer, ils redoutaient extrêmement de se séparer de lui. Jésus continua de leur parler encore pendant qu'ils se rendaient ensemble en un autre lieu où il acheva son discours. Observez maintenant ses Disciples. Les uns le suivent, les autres l'accompagnent, chacun s'efforce de s'approcher de lui autant qu'il le peut ; ils se rassemblent autour de leur Maître comme des poussins autour de la poule. Jésus est pressé tantôt par l'un , tantôt par l'autre, à cause du désir qu'ils ont tous de s'approcher de lui et d'entendre ses paroles ; et Jésus les supporte avec bonté. Enfin tous ces mystères étant accomplis , il alla avec eux , au-delà du torrent de Cédron , dans un jardin, pour y attendre le traître Judas avec ses satellites.
(1) Marc, 14.[/b]
DE LA CÈNE DE NOTRE SEIGNEUR ; PUIS DE LA TABLE ET DE LA MANIÈRE DONT IL S'Y MIT AVEC SES DISCIPLES. — DE CINQ EXEMPLES DE VERTUS DONNÉS PAR JÉSUS-CHRIST DANS LA CÈNE, ET DE CINQ CHOSES A MÉDITER DANS LE DISCOURS QUE NOTRE SEIGNEUR FIT APRÈS LA CÈNE.
Les jours de la clémence et de la miséricorde de Notre Seigneur Jésus-Christ étant proches, le moment étant enfin venu où il avait résolu de sauver son peuple et de le racheter, (1) « non avec un or et un argent corruptibles, mais au prix de son sang précieux, » il voulut, avant que la mort le séparât de ses Disciples , faire avec eux une grande Cène , pour leur laisser un signe commémoratif de cette mort , et aussi , pour achever les mystères qui lui restaient à accomplir. Cette Cène fut d'une extrême magnificence, et ce que Jésus y fit est digne de votre admiration.
(1) 1 Pierre, 1.
Contemplez , avec une extrême attention , toutes ces choses comme si elles se passaient sous vos yeux ; car, si vous assistez dignement et avec soin à ce festin , Notre Seigneur, dont la bonté est infinie , ne souffrira pas que vous en sortiez à jeun. Or, dans la Cène, vous avez particulièrement à méditer quatre choses extrêmement remarquables. La première, le souper et toutes les circonstances matérielles qui s'y rapportent; la seconde, le lavement des pieds des Disciples opéré par Notre Seigneur; la troisième, l'institution du Sacrement de son corps; la quatrième, enfin, l'admirable sermon qu'il fit en cette circonstance. Nous allons successivement les examiner.
Quant à la première, considérez que (1) Pierre et Jean allèrent, conformément à l'ordre que Notre Seigneur leur en avait donné, sur la montagne de Sion, préparer la Pâque dans la maison de l'un de ses amis où se trouvait une salle grande et bien ornée. Voyez aussi comment Notre Seigneur, accompagné des autres Disciples, entra dans la ville le jeudi vers la fin du jour et se rendit au lieu indiqué. Observez ensuite Jésus retiré dans un lieu écarté de la maison et adressant des paroles édifiantes à ses Disciples, pendant que quelques-uns des soixante-douze préparaient la Pâque dans le Cénacle. Car on lit dans une légende de saint Martial que ce saint , avec quelques-uns des soixante-douze, aidaient Notre Seigneur pendant que le soir de ce même jour il lavait les pieds à ses Disciples.
(1) Matth., 26
Lors donc que tout fut préparé dans le Cénacle, saint Jean, le Disciple bien-aimé , qui, dans sa sollicitude, ne cessait d'aller et de venir, soit pour présider, soit pour aider à cette préparation, vint dire à Jésus : « Seigneur, tout est prêt; maintenant vous pouvez vous mettre à table quand il vous plaira. » Examinez à présent avec soin et avec une sérieuse attention toutes les actions et toutes les paroles de Notre Seigneur, parce qu'elles sont fort touchantes; au lieu de les abréger, comme les autres faits de sa vie, vous devez plutôt ici les étendre et les développer; car c'est d'un tel examen que dépend toute l'efficacité des méditations que vous pouvez faire sur sa personne, et surtout sur cet amour qui lui fit opérer dans la Cène des prodiges si étonnants.
Notre Seigneur se leva donc ainsi que ses Disciples. Mais saint Jean se tint auprès de lui , pour ne plus s'en séparer dans la suite ; car personne ne lui fut plus fidèlement, plus tendrement attaché que saint Jean. En effet, lorsque Jésus fut arrêté, saint Jean entra avec lui dans la maison du Prince des Prêtres et ne le quitta plus , ni pendant qu'on le crucifiait, ni à sa mort, ni après sa mort, jusqu'au moment de sa sépulture. Mais dans la Cène, il s'assit tout près de lui, quoiqu'il fût le plus jeune de tous les Disciples. Alors tous entrent dans le Cénacle , se lavent les mains , et font, avec beaucoup de piété, la bénédiction de la table autour de laquelle ils se sont rangés.
Observez bien tout ce qui va suivre. Or, vous n'ignorez pas que la table était posée à terre et qu'à la manière des anciens , tous s'assirent à terre pour manger. Cette table , ainsi qu'on le croit , était carrée et composée de plusieurs planches ; je l'ai vue à Rome , dans l'Église de Latran , et j'en ai même mesuré les dimensions. La longueur de chaque côté est de deux bras et trois doigts , ou une palme environ ; de sorte que , suivant l'opinion générale , trois Disciples pouvaient s'asseoir un peu à l'étroit de chaque côté ; Notre Seigneur s'était placé humblement à l'un des coins , et ainsi , tout le monde pouvait manger au même plat ; cela fit que , quand Jésus dit : Celui qui met la main au plat avec moi me trahira, ses Disciples ne comprirent pas ces paroles , parce que tous portaient la main au plat. Après que le divin Maître eut étendu la main pour bénir aussi la table , tous s'asseyent à l'entour, et saint Jean se place à côté de Notre Seigneur.
On apporte alors l'Agneau pascal. Mais remarquez que la méditation peut se faire ici de deux manières. La première , est de se représenter les Disciples assis comme je viens de le dire; la seconde, debout , un bâton à la main et mangeant l'Agneau avec des laitues sauvages , pour observer ce que prescrit la loi ; mais il faudra ensuite les considérer assis , prenant quelque nourriture, ainsi qu'on peut le conclure de plusieurs passages du texte , puisque saint Jean , s'il n'eût été assis, n'aurait pu se reposer sur le sein de Jésus. On apporte donc l'Agneau tout rôti , et Jésus , le véritable Agneau immaculé , placé au centre de la table comme celui qui y préside , le prend , le coupe en morceaux , et, plein de joie, le présente à ses Disciples en les excitant à en manger; ils en mangent, mais ils ne peuvent se livrer à la joie, parce qu'ils craignent quelque nouvel attentat contre leur divin Maître.
Pendant le souper, Jésus découvrit plus clairement ce qui devait lui arriver, et dit entre autres choses : (1) J'ai désiré avec ardeur de faire avec vous cette Pâque , avant que de souffrir; mais l'un d'entre-vous doit me trahir. Cette parole pénétra dans leurs cœurs comme le glaive le plus tranchant ; ils ne purent continuer de manger, se regardèrent l`un l'autre et dirent à Jésus : Est-ce moi, Seigneur? Considérez-les bien à ce moment, et ne refuser votre compassion, ni à eux , ni à Notre Seigneur; car ils sont tous accablés de tristesse.
(1) Luc, 22.
Quant au traître Judas, pour ne pas laisser croire que ces paroles le regardent , il n'interrompt point son repas. Mais saint Jean, sur les instances de saint Pierre, s'adressant à Jésus , lui dit : (1) Maître, quel est donc celui qui vous trahira? Et Notre Seigneur le lui fit connaître familièrement , parce qu'il avait pour lui une amitié toute particulière. Alors saint Jean , dans l'étonnement et la douleur où cette confidence l'avait jeté , se tourna vers lui et se coucha sur son sein. Mais Jésus ne dit pas à saint Pierre quel était le traître , parce que , comme l'observe saint Augustin , si Pierre l'eût connu , il l'eût indubitablement mis en pièces (2).
Saint Augustin , dans la même homélie sur l'Évangile qu'on lit à la fête de saint Jean, observe que saint Pierre est l'image de la vie active , comme saint Jean est la figure de la vie contemplative. D'où vous devez conclure que ceux qui se livrent à la contemplation ne s'immiscent jamais ni de juger les actes purement intérieurs, ni même de demander la punition des offenses faites à Notre Seigneur; mais qu'ils se bornent à gémir intérieurement , qu'ils s'adressent à Dieu par de ferventes prières, et qu'après s'être plus fortement rapprochés de Dieu par la contemplation et s'y être attachés plus étroitement , ils abandonnent tout à la disposition de sa providence. Car, ainsi que je l'ai amplement expliqué ci-dessus en parlant de la contemplation , le zèle de Dieu et le salut du prochain obligent quelquefois les âmes contemplatives à se répandre au-dehors. Vous pouvez aussi remarquer ici que saint Jean ne dit rien a Pierre de ce qu'il vient d'apprendre, quoique ce fût sur sa demande qu'il eût interrogé le Seigneur.
(1) Jean., 13. — (2) August. tract., 124, in Joan., tom. 9.
Vous pouvez inférer de là que ceux qui s'exercent à la vie contemplative ne doivent pas révéler les secrets de leur divin Maître. On voit , en effet , que saint François ne faisait connaître les choses que Dieu lui révélait intérieurement qu'autant qu'il y était poussé par le zèle du salut de ses frères , ou par l'instinct de l'inspiration divine. Mais admirez maintenant l'indulgente condescendance de Notre Seigneur qui retient avec tant de bonté son bien-aimé Disciple sur son cœur. 0 que l'amour qui les unissait l'un à l'autre était tendre ! Observez aussi les autres Disciples après qu'ils ont entendu ces paroles de leur divin Maître : Un d'entre vous me trahira; ils sont profondément affligés , ils ne peuvent plus manger, ils se regardent l'un l'autre et ne savent quel parti prendre. En voilà assez sur le premier article.
Mais le second n'est pas moins digne de toute votre attention. Car, après tous ces préliminaires, (1) Notre Seigneur se lève de table, et il est à l'instant suivi par ses Disciples qui ne savent où il veut aller. Or, Jésus descendit avec eux dans une pièce inférieure de la même maison ainsi que le rapportent ceux qui ont visité les lieux ; là il les fait tous asseoir, se fait apporter de l'eau, se dépouille de ses vêtements d'honneur, se ceint lui-même d'un linge et verse de l'eau dans un bassin de pierre pour leur laver les pieds. Pierre n'y ,veut pas consentir, et, tout stupéfait de l'abaissement de son divin Maître , se refuse à une action qui lui paraît si indigne d'une telle Majesté. Mais, dès qu'il eut entendu la menace de Jésus-Christ, il prit sagement un meilleur parti.
(1)Jean., 13.
Observez bien ici chaque action en particulier et contemplez avec admiration tout ce qui se passe. Le Dieu de Majesté, le Maître de l'humilité s'abaisse jusqu'aux pieds de pauvres pêcheurs, se tient tout courbé et agenouillé devant eux pendant qu'ils sont assis , lave de ses mains, essuie et baise les pieds de chacun d'eux. Et, ce qui met le comble à son humilité , c'est qu'il ne refuse pas de rendre un tel service au traître lui-même. Mais, ô cœur abominable ! n'est-tu pas plus dur que les rochers , puisqu'une telle humilité ne peut t'amollir, puisque lu crains si peu le Dieu de toute Majesté, puisque tu conspires la perte de Celui qui n'a cessé de te combler de bienfaits, de Celui qui est l'innocence même? Ah! malheur à toi misérable Apôtre ! Car tu t'endurciras encore, et le crime que tu as conçu, tu l'enfanteras; ce n'est point la perte de Jésus , c'est la tienne que tu vas consommer. Qu'il est donc juste d'admirer une si profonde humilité, une bonté si excessive, etc. Après le lavement des pieds, Jésus retourne au Cénacle , et, s'étant remis à table, il engage ses Disciples à l'imiter.
Or, vous pouvez remarquer que, dans cette soirée , Jésus-Christ nous a donné l'exemple de cinq grandes vertus. Premièrement, exemple d'humilité dans le lavement des pieds dont nous venons de parler. Secondement , exemple de charité dans l'institution du Sacrement de son corps et de son sang, ainsi que dans le Sermon après la Cène qu'il a rempli d'avis si charitables. Troisièmement, exemple de patience, en supportant la vue du Disciple qui le trahissait et tous les outrages dont on l'accabla lorsqu'il fut arrêté et conduit comme un voleur. Quatrièmement, exemple d'obéissance, en acceptant sa Passion et sa mort par soumission à la volonté de son Père. Cinquièmement , exemple de prière par sa triple oraison au Jardin des Oliviers. Efforçons-nous donc de l'imiter dans toutes ces vertus. Voilà ce que j'ai à dire sur le second article.
En méditant le troisième , soyez saisie d'étonnement à la vue de la condescendance charitable et de la charité condescendante avec lesquelles il se livre à nous tout entier et nous laisse son corps en nourriture. Lors donc qu'après avoir lavé les pieds de ses Disciples, il se fut remis à table, voulant mettre fin aux coutumes, aux sacrifices de l'ancienne loi et commencer un Nouveau Testament, il fait de sa personne sacrée, la victime du nouveau sacrifice, il prend le pain, lève les yeux vers son Père, il institue l'auguste Sacrement de son corps et le donne à ses Disciples en disant : (1) Ceci est mon corps qui sera livré pour vous. Puis, ayant pris de même le Calice , il dit : Ceci est mon sang qui sera répandu pour vous. Observez maintenant , au nom de Dieu , avec quel soin , quelle attention et quelle piété il fait toutes ces choses et communie de ses propres mains ces heureux Disciples qu'il traite comme des enfants bien-aimés ; et, pour perpétuer le souvenir de son amour, ajoute enfin : Faites ceci en mémoire de moi. Or, toutes les fois qu'une âme reconnaissante s'unit à Jésus-Christ , soit par la communion , soit par une fervente méditation , voilà le souvenir qui devrait l'enflammer, l'enivrer et la remplir d'un tel excès de charité et de dévotion qu'elle se transformât entièrement en Notre Seigneur Jésus-Christ. Car il ne pouvait nous laisser rien de plus grand, de plus cher, de plus doux et de plus précieux que lui-même.
(1) Matth., 26
En effet, ce que nous recevons dans le Sacrement, c'est Celui qui, dans sa merveilleuse Incarnation , étant né d'une Vierge, est mort pour nous, et, depuis sa Résurrection et sa glorieuse Ascension; est assis à la droite de Dieu; c'est Celui qui créa le Ciel , la terre et tout ce qu'ils contiennent , qui les gouverne et les conduit ; c'est Celui de qui dépend votre salut ; qui peut , suivant son bon plaisir, vous donner ou vous refuser la gloire du Paradis ; c'est Celui-là même , qui s'offre et se présente à vous sous de si faibles espèces; en un mot, c'est Notre Seigneur Jésus-Christ; car, c'est le Fils du Dieu vivant. Je n'en dis pas plus sur ce troisième article.
Mais dans le quatrième, où Jésus-Christ met le comble à toutes ses bontés pour nous , vous allez voir d'autres marques éclatantes de sa charité. Car il prononce (1) un discours admirable, plein de douceur el tout brûlant des flammes de la charité. En effet , après avoir communié tous ses Disciples et même l'infâme Judas, (2) selon ce que dit saint Augustin, quoique d'autres assurent qu'il n'a point été du nombre des communiants, Notre Seigneur dit à Judas : (3) Faites vite ce que vous avez à faire. Après quoi ce misérable , étant sorti, alla trouver les Princes des Prêtres, auxquels il avait la veille vendu son Maître pour trente deniers, et leur demanda une cohorte pour le prendre. Or, ce fut pendant l'absence de Judas que Notre Seigneur fit à ses Disciples le discours dont il s'agit. Entre toutes les choses intéressantes et dignes de vénération renfermées dans ce long discours , je m'arrête particulièrement à cinq que je vous engage à méditer profondément. Observez d'abord comment, annonçant à ses Disciples qu'il va bientôt les quitter, il les console et les encourage. Car il leur disait : (4) Je ne suis plus avec vous que pour quelque temps , mais je ne vous laisserai pas orphelins.
(1) Jean., 13. — (2) Aug. Enar. in psalm. 40. — (3) Jean.,13. — (4) Jean., 14.
Je m'en vais, mais je reviens à vous , je vous reverrai de nouveau et votre cœur sera rempli d'allégresse (1). Ces paroles et d'autres semblables que j'abrège, perçaient et pénétraient leurs cœurs. Car ils ne pouvaient supporter la pensée d'être séparés de leur divin Maître. En second lieu, remarquez , dans ne discours , avec quelle effusion de cœur Jésus parle à ses Disciples de la charité , comme il insiste sur la pratique de cette vertu , en disant : (2) Mon précepte, c'est que vous vous aimiez les uns les autres. On connaîtra que vous êtes mes Disciples à la charité que vous aurez les uns pour les autres, et autres avis du même genre que vous pourrez trouver abondamment dans l'Évangile. Troisièmement, considérez encore comment, dans ce discours, il leur recommande d'observer ses préceptes , en disant : (3) Si vous m'aimez, gardez mes commandements. (4) Si vous observez mes préceptes, vous demeurerez dans mon amour ; et autres choses semblables. En quatrième lieu, faites attention qu'en ce discours il les rassure contre les dangers des tribulations dont il leur annonce qu'ils seront bientôt assaillis, en leur disant : (5) Vous serez affligés dans ce monde, mais ayez confiance, j'ai vaincu le monde et encore : (6) Si le monde vous hait , sachez qu'il m'a haï le premier. (7) Le monde sera dans la joie et vous serez dans la tristesse , mais votre tristesse sera changée en joie. Cinquièmement, observez comment, au milieu de ce discours, Notre Seigneur, élevant ses yeux au Ciel , s'adresse à son Père et lui dit : (8) Mon Père, conservez ceux que vous m'avez donnés. Je les ai gardés, tant que j'ai été avec eux ; maintenant je retourne à vous. Père saint , je vous prie pour eux et non pour le monde ; je ne prie pas seulement pour eux, mais pour tous ceux qui doivent croire en moi , par leur ministère. Mon Père, je veux que là où je suis, ceux que vous m'avez donnés y soient avec moi, afin qu'ils contemplent ma gloire ; et autres semblables discours bien capables de leur déchirer le cœur. On a vraiment peine à comprendre comment les Disciples, qui avaient tant d'amour pour leur divin Maître, purent entendre de telles paroles.
(1) Jean., 16. — (2) Jean. , 14. — (3) Jean., 14. — (4) Jean., 13. — (5) Jean., 16. — (6) Jean., 13. — (7) Jean.,
16. — (8) Jean., 17.
En effet, si vous examinez attentivement ce que renferme ce discours , si vous l'approfondissez dans une sérieuse méditation et si vous en savourez en paix toute la douceur, voire cœur sera certainement tout brûlant d'amour en contemplant tant de condescendance, de bonté, de prévoyance , d'indulgence, de charité et toutes les autres merveilles qui se sont passées dans cette soirée. Regardez Jésus pendant ce discours ; remarquez avec quelle force , quelle douceur , quel charme d'expressions il imprime tout ce qu'il dit dans l'âme de ses Disciples et repaît tout à la fois leurs yeux du bonheur de le voir, et leurs oreilles de celui de l'entendre.
Considérez ensuite les Disciples , tristes, la tête baissée ; ils pleurent , poussent de profonds soupirs , sont remplis d'une extrême affliction à laquelle Jésus, la Vérité même, rendait témoignage par ces paroles : (1) Parce que je vous ai dit ces choses , votre cœur est rempli de tristesse. Observez entr'autres saint Jean. Il se presse plus affectueusement contre le cœur de Jésus ; il arrête , sur celui qu'il aime , des regards inquiets et attentifs et recueille toutes ses paroles avec une tendre anxiété.
(1) Jean, 16.
Aussi n'y a-t-il que lui qui les ait écrites et nous les ait fidèlement transmises. Notre Seigneur dit entre autres choses à ses Disciples : (1) Levez-vous, sortons d'ici. Oh ! de quelle frayeur ne furent-ils pas alors remplis ! ils ne savaient ni en quel lieu , ni comment ils devaient se retirer, ils redoutaient extrêmement de se séparer de lui. Jésus continua de leur parler encore pendant qu'ils se rendaient ensemble en un autre lieu où il acheva son discours. Observez maintenant ses Disciples. Les uns le suivent, les autres l'accompagnent, chacun s'efforce de s'approcher de lui autant qu'il le peut ; ils se rassemblent autour de leur Maître comme des poussins autour de la poule. Jésus est pressé tantôt par l'un , tantôt par l'autre, à cause du désir qu'ils ont tous de s'approcher de lui et d'entendre ses paroles ; et Jésus les supporte avec bonté. Enfin tous ces mystères étant accomplis , il alla avec eux , au-delà du torrent de Cédron , dans un jardin, pour y attendre le traître Judas avec ses satellites.
(1) Marc, 14.[/b]
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: MÉDITATIONS SUR LA VIE JESUS-CHRIST TRADUITES DE SAINT BONAVENTURE - 14 eme siecle
CHAPITRE LXXIV
MÉDITATIONS SUR LA PASSION DE NOTRE SEIGNEUR EN GÉNÉRAL.
Nous allons maintenant approfondir la Passion de Notre Seigneur Jésus-Christ. Si l'on veut donc se glorifier dans la Passion et dans la Croix de Notre Seigneur , il faut , par une soigneuse et persévérante méditation , s'appliquer à ce mystère , dont les profondeurs et les circonstances , examinées avec tout le recueillement de l`esprit, sont indubitablement capables de nous renouveler entièrement. En effet, celui qui les examinerait avec une sérieuse attention et du fond du cœur verrait s'opérer dans ses affections des changements inespérés qui produiraient bientôt en lui une plus vive compassion, un plus ardent amour, de plus douces consolations, et par conséquent, une espèce de renouvellement que l'on pourrait regarder comme un présage et un avant-goût de la gloire éternelle.
Pour moi qui ne suis qu'un ignorant et qui ne sais que balbutier sur un pareil sujet , il me semblerait que, pour parvenir à ce renouvellement, il faudrait, détournant ses regards de toutes les choses de la terre et tenant les yeux éclairés du cœur sans cesse ouverts sur ce mystère , appliquer à sa considération toute la pénétration de son esprit et considérer tout ce qui regarde la Croix , la Passion et la mort de Jésus-Christ avec autant d'intérêt , d'attention , d'amour et de persévérance que si nous étions réellement présents à ce spectacle.
Si donc vous avez fait une sérieuse attention à tout ce que nous avons précédemment dit sur la vie de Notre Seigneur, je vous engage à appliquer ici, avec encore plus de soin , tout votre esprit et toutes vos facultés , parce que c'est surtout dans sa Passion qu'éclate cette charité qui devrait entièrement enflammer notre cœur. Je me propose donc de mettre sous vos yeux toutes les circonstances de la Passion, en les modifiant comme je l'ai déjà fait, de manière que vous pourrez les méditer telles que je vais vous les raconter. Car, dans cet opuscule , je ne donnerai pour certain que ce qui est garanti par la sainte Écriture, justifié par le témoignage des saints, ou du moins par des opinions généralement approuvées.
Or on a, selon moi , bien raison de dire que la peine de mort infligée à Notre Seigneur sur la Croix et en même temps tous les tourments qui l'ont précédée sont bien propres à exciter en nous les plus vifs sentiments de compassion, d'amertume et de stupeur. Comment, en effet, rester froid et indifférent en pensant que Notre Seigneur, que le Dieu béni au-dessus de toutes choses eut, depuis l'heure de la nuit où on l'arrêta jusqu'à la sixième heure du jour suivant, à souffrir de continuelles attaques, d'excessives douleurs, des opprobres, des outrages et des tourments cruels ? Car on ne lui accorda pas le moindre repos ; et vous allez voir quel combat , quels assauts il eut à soutenir.
Le doux, l'aimable , le tendre Jésus est arrêté, garrotté; on s'élève, on fait entendre des clameurs, des imputations, des blasphèmes contre lui; l'un lui crache au visage , l'autre le maltraite ; un autre lui tend des pièges, un quatrième l'interroge ; quelques-uns subornent de faux témoins contre lui , d'autres rassemblent ses ennemis; celui-ci rend contre lui un faux témoignage , celui-là se fait son accusateur ; on se joue de lui , on couvre ses yeux d'un voile, on meurtrit son beau visage, on le soufflète; un bourreau le conduit à la colonne, un autre le dépouille de ses vêtements ; pendant sa marche , les uns le frappent, d'autres l'outragent ; l'un se saisit insolemment de lui pour le tourmenter, l'autre l'attache à la colonne ; ceux-ci se précipitent sur lui , ceux-là le flagellent; il est revêtu de pourpre par dérision, couronné d'épines ; un soldat met entre ses mains un roseau dont un autre s'empare avec fureur, pour en frapper sa tête couronnée d'épines , un troisième fléchit le genou par moquerie , un quatrième se rit de cette génuflexion; enfin tous les genres d'opprobres lui sont prodigués. Il est conduit et reconduit , méprisé et rejeté ; il va, il vient d'un lieu dans un autre comme un insensé, le plus stupide de tous les hommes , et même comme un voleur et un infâme malfaiteur; il comparaît tantôt devant Anne , tantôt devant Caïphe , tantôt devant Pilate , tantôt devant Hérode , une seconde fois devant Pilate qui le fait aller et revenir alternativement de l'intérieur à l'extérieur de son Palais. Bon Dieu! qu'est-ce que
tout cela !
N'est-ce pas là , ma Fille , à votre avis , un combat très-rude, très-insupportable, incessant et excessif? Mais attendez un peu et je vous montrerai des assauts plus terribles encore ; les Princes des Prêtres , les Pharisiens , les Anciens et une foule innombrable s'acharnent constamment contre lui. Tous n'ont qu'une voix pour demander qu'il soit crucifié. On charge sur ses épaules brisées et déchirées la Croix où l'on doit bientôt l'attacher. Citoyens, étrangers, grands, débauchés, intempérants , tous accourent de toutes parts , non pour compatir, mais pour insulter indignement à ses maux. Nul ne rend hommage à sa personne sacrée , mais tous le souillent , le couvrent brutalement de boue et d'ordures ; et pendant qu'il supporte cette ignominie , il réalise ce texte prophétique : (1) Ceux qui étaient assis à la porte déclamaient contre lui; et les hommes de plaisirs l'insultaient le verre à la main dans des chansons bachiques.
On le pousse , on le tourmente , on le traîne , on précipite sa marche , et, après l'avoir ainsi maltraité, harassé, tout-à-fait accablé et rassasié d'opprobres jusqu'à l'excès, on ne lui laisse aucune paix , aucun repos ; à peine lui permet-on de respirer jusqu'à ce qu'il soit parvenu à la montagne du Calvaire , lieu le plus dégoûtant , le plus infect de tous. Et tout cela se fait avec autant de violence que de fureur. Là se terminent et s'apaisent les violentes attaques dont nous venons de parler ; mais cette paix est plus cruelle que la guerre elle-même. On le crucifie, on l'étend sur un lit de douleur; voilà le repos qu'on lui accorde.
Vous voyez donc quel long et terrible combat Jésus eut à soutenir jusqu'à la sixième heure du jour. (2) Les eaux de la tribulation ont vraiment inondé son âme; (3) une meute nombreuse d'animaux terribles , hardis et cruels l'ont environné de toute part; (4) il a été assiégé par une foule d'hommes pervers dont les mains et les langues , semblables à un glaive à deux tranchants, se sont cruellement tournées contre lui.
(1) Psaume, 68.— (2) Psaume, 68. — (3) Psaume, 21 . — (4) Psaume, 36,
Il semblerait que ce que nous venons de dire pourrait suffire pour méditer sommairement la Passion de Notre Seigneur dans les trois heures qui précèdent Sexte , c'est-à-dire Matines , Prime et Tierce. Mais il ne faut pas nous en tenir là. Les douleurs excessives, les tourments cruels qu'endura Jésus , ne doivent pas être traités si légèrement; ainsi reportez vos regards en arrière, et recueillez-vous profondément; car il reste à vous présenter d'importantes et nombreuses considérations qui ne manqueront pas de vous toucher et de vous édifier, si , selon notre conseil , vous avez soin de vous rendre les circonstances de la Passion aussi présentes que si elles se passaient sous vos yeux. Nous vous les avons fait connaître dans une sorte de généralité; mais examinons-les maintenant l'une après l'autre , car nous ne devons pas nous lasser de penser à tout ce que Notre Seigneur ne s'est pas lassé de souffrir.
MÉDITATIONS SUR LA PASSION DE NOTRE SEIGNEUR EN GÉNÉRAL.
Nous allons maintenant approfondir la Passion de Notre Seigneur Jésus-Christ. Si l'on veut donc se glorifier dans la Passion et dans la Croix de Notre Seigneur , il faut , par une soigneuse et persévérante méditation , s'appliquer à ce mystère , dont les profondeurs et les circonstances , examinées avec tout le recueillement de l`esprit, sont indubitablement capables de nous renouveler entièrement. En effet, celui qui les examinerait avec une sérieuse attention et du fond du cœur verrait s'opérer dans ses affections des changements inespérés qui produiraient bientôt en lui une plus vive compassion, un plus ardent amour, de plus douces consolations, et par conséquent, une espèce de renouvellement que l'on pourrait regarder comme un présage et un avant-goût de la gloire éternelle.
Pour moi qui ne suis qu'un ignorant et qui ne sais que balbutier sur un pareil sujet , il me semblerait que, pour parvenir à ce renouvellement, il faudrait, détournant ses regards de toutes les choses de la terre et tenant les yeux éclairés du cœur sans cesse ouverts sur ce mystère , appliquer à sa considération toute la pénétration de son esprit et considérer tout ce qui regarde la Croix , la Passion et la mort de Jésus-Christ avec autant d'intérêt , d'attention , d'amour et de persévérance que si nous étions réellement présents à ce spectacle.
Si donc vous avez fait une sérieuse attention à tout ce que nous avons précédemment dit sur la vie de Notre Seigneur, je vous engage à appliquer ici, avec encore plus de soin , tout votre esprit et toutes vos facultés , parce que c'est surtout dans sa Passion qu'éclate cette charité qui devrait entièrement enflammer notre cœur. Je me propose donc de mettre sous vos yeux toutes les circonstances de la Passion, en les modifiant comme je l'ai déjà fait, de manière que vous pourrez les méditer telles que je vais vous les raconter. Car, dans cet opuscule , je ne donnerai pour certain que ce qui est garanti par la sainte Écriture, justifié par le témoignage des saints, ou du moins par des opinions généralement approuvées.
Or on a, selon moi , bien raison de dire que la peine de mort infligée à Notre Seigneur sur la Croix et en même temps tous les tourments qui l'ont précédée sont bien propres à exciter en nous les plus vifs sentiments de compassion, d'amertume et de stupeur. Comment, en effet, rester froid et indifférent en pensant que Notre Seigneur, que le Dieu béni au-dessus de toutes choses eut, depuis l'heure de la nuit où on l'arrêta jusqu'à la sixième heure du jour suivant, à souffrir de continuelles attaques, d'excessives douleurs, des opprobres, des outrages et des tourments cruels ? Car on ne lui accorda pas le moindre repos ; et vous allez voir quel combat , quels assauts il eut à soutenir.
Le doux, l'aimable , le tendre Jésus est arrêté, garrotté; on s'élève, on fait entendre des clameurs, des imputations, des blasphèmes contre lui; l'un lui crache au visage , l'autre le maltraite ; un autre lui tend des pièges, un quatrième l'interroge ; quelques-uns subornent de faux témoins contre lui , d'autres rassemblent ses ennemis; celui-ci rend contre lui un faux témoignage , celui-là se fait son accusateur ; on se joue de lui , on couvre ses yeux d'un voile, on meurtrit son beau visage, on le soufflète; un bourreau le conduit à la colonne, un autre le dépouille de ses vêtements ; pendant sa marche , les uns le frappent, d'autres l'outragent ; l'un se saisit insolemment de lui pour le tourmenter, l'autre l'attache à la colonne ; ceux-ci se précipitent sur lui , ceux-là le flagellent; il est revêtu de pourpre par dérision, couronné d'épines ; un soldat met entre ses mains un roseau dont un autre s'empare avec fureur, pour en frapper sa tête couronnée d'épines , un troisième fléchit le genou par moquerie , un quatrième se rit de cette génuflexion; enfin tous les genres d'opprobres lui sont prodigués. Il est conduit et reconduit , méprisé et rejeté ; il va, il vient d'un lieu dans un autre comme un insensé, le plus stupide de tous les hommes , et même comme un voleur et un infâme malfaiteur; il comparaît tantôt devant Anne , tantôt devant Caïphe , tantôt devant Pilate , tantôt devant Hérode , une seconde fois devant Pilate qui le fait aller et revenir alternativement de l'intérieur à l'extérieur de son Palais. Bon Dieu! qu'est-ce que
tout cela !
N'est-ce pas là , ma Fille , à votre avis , un combat très-rude, très-insupportable, incessant et excessif? Mais attendez un peu et je vous montrerai des assauts plus terribles encore ; les Princes des Prêtres , les Pharisiens , les Anciens et une foule innombrable s'acharnent constamment contre lui. Tous n'ont qu'une voix pour demander qu'il soit crucifié. On charge sur ses épaules brisées et déchirées la Croix où l'on doit bientôt l'attacher. Citoyens, étrangers, grands, débauchés, intempérants , tous accourent de toutes parts , non pour compatir, mais pour insulter indignement à ses maux. Nul ne rend hommage à sa personne sacrée , mais tous le souillent , le couvrent brutalement de boue et d'ordures ; et pendant qu'il supporte cette ignominie , il réalise ce texte prophétique : (1) Ceux qui étaient assis à la porte déclamaient contre lui; et les hommes de plaisirs l'insultaient le verre à la main dans des chansons bachiques.
On le pousse , on le tourmente , on le traîne , on précipite sa marche , et, après l'avoir ainsi maltraité, harassé, tout-à-fait accablé et rassasié d'opprobres jusqu'à l'excès, on ne lui laisse aucune paix , aucun repos ; à peine lui permet-on de respirer jusqu'à ce qu'il soit parvenu à la montagne du Calvaire , lieu le plus dégoûtant , le plus infect de tous. Et tout cela se fait avec autant de violence que de fureur. Là se terminent et s'apaisent les violentes attaques dont nous venons de parler ; mais cette paix est plus cruelle que la guerre elle-même. On le crucifie, on l'étend sur un lit de douleur; voilà le repos qu'on lui accorde.
Vous voyez donc quel long et terrible combat Jésus eut à soutenir jusqu'à la sixième heure du jour. (2) Les eaux de la tribulation ont vraiment inondé son âme; (3) une meute nombreuse d'animaux terribles , hardis et cruels l'ont environné de toute part; (4) il a été assiégé par une foule d'hommes pervers dont les mains et les langues , semblables à un glaive à deux tranchants, se sont cruellement tournées contre lui.
(1) Psaume, 68.— (2) Psaume, 68. — (3) Psaume, 21 . — (4) Psaume, 36,
Il semblerait que ce que nous venons de dire pourrait suffire pour méditer sommairement la Passion de Notre Seigneur dans les trois heures qui précèdent Sexte , c'est-à-dire Matines , Prime et Tierce. Mais il ne faut pas nous en tenir là. Les douleurs excessives, les tourments cruels qu'endura Jésus , ne doivent pas être traités si légèrement; ainsi reportez vos regards en arrière, et recueillez-vous profondément; car il reste à vous présenter d'importantes et nombreuses considérations qui ne manqueront pas de vous toucher et de vous édifier, si , selon notre conseil , vous avez soin de vous rendre les circonstances de la Passion aussi présentes que si elles se passaient sous vos yeux. Nous vous les avons fait connaître dans une sorte de généralité; mais examinons-les maintenant l'une après l'autre , car nous ne devons pas nous lasser de penser à tout ce que Notre Seigneur ne s'est pas lassé de souffrir.
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: MÉDITATIONS SUR LA VIE JESUS-CHRIST TRADUITES DE SAINT BONAVENTURE - 14 eme siecle
CHAPITRE LXXV.
MÉDITATION SUR LA PASSION DE JÉSUS-CHRIST AVANT MATINES.
Reprenez donc ces méditations depuis le commencement de la Passion , et continuez-les , par ordre , jusqu'à la fin. Il me semble que je dois me borner ici à esquisser légèrement ce sujet; mais, si cela vous convient, vous pourrez vous exercer à le développer selon que Notre Seigneur lui-même vous en fera la grâce. Observez donc chaque chose comme si elle se passait sous vos yeux; et considérez d'abord attentivement Jésus au moment où , sortant de la Cène et ayant terminé son discours , il se rend avec ses Disciples au jardin des Oliviers. Enfin entrez-y en même temps que lui et remarquez avec quelle affection , quelle amitié , quelle , familiarité il adresse la parole à ses Disciples et les invite à prier; voyez comment, après s'être un peu éloigné d'eux à la distance d'un jet de pierre , il s'agenouille et adresse à son Père une humble et respectueuse prière.
Arrêtez-vous ici quelque temps et repassez pieusement dans votre esprit toutes les merveilles du Seigneur votre Dieu. Jésus prie donc. Or on a vu précédemment qu'il avait souvent ainsi prié ; mais jusque-là il avait prié pour nous en qualité de médiateur , et maintenant c'était pour lui-même qu'il priait. Laissez-vous pénétrer tout à la fois de compassion et d'admiration à la vue d'une humilité si profonde. Car, bien qu'il soit Dieu , coéternel et égal en tout à son Père, il semble oublier sa divinité, il prie comme s'il n'était qu'un homme et se tient prosterné devant Dieu comme le ferait le dernier des mortels.
Considérez aussi sa parfaite obéissance. En effet, que demande-t-il? Il supplie son Père d'éloigner de lui l'heure de sa mort, il aimerait à prolonger ses jours, si tel était le bon plaisir de son Père, et ce désir n'est point exaucé, parce qu'il est contraire à une autre volonté qui était en lui. Car, comme je le dirai plus tard, il y avait en Jésus plusieurs volontés. Et ce qui doit exciter de nouveau votre compassion , c'est que son Père veut absolument qu'il meure , c'est qu'il n'a point épargné son propre Fils, son Fils unique; mais qu'il l'a livré, pour nous tous, à une si horrible mort.
(1) Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné pour lui son Fils unique. Jésus obéit et se soumet respectueusement à la volonté de son Père. Voyez , en troisième lieu , combien l'ineffable miséricorde que le Père et le Fils ont eue pour nous est digne de compassion , d'admiration et de vénération.
(1) Jean., 3.
Une telle mort est commandée et soufferte pour nous, par un excès de la Charité du Père et du Fils. Notre Seigneur Jésus-Christ prie donc longtemps en ces termes : (1) « Dieu de clémence, ô mon Père! je vous en conjure, écoutez mon humble prière, ne rejetez pas mes supplications. Daignez m'entendre et m'exaucer, car mes tristes pensées font couler mes larmes; mon esprit est rempli d'inquiétudes, le trouble a pénétré jusqu'au fond de mon cœur. Prêtez donc l'oreille à ma prière et écoutez ma voix suppliante. Il vous a plu, mon Père, de m'envoyer en ce monde pour réparer l'outrage que l'homme a fait à votre divine Majesté , et aussitôt que votre volonté m'a été connue, j'ai dit : Me voici prêt à partir, prêt à faire votre volonté , ainsi qu'il est écrit de moi à la tête du livre. J'ai enseigné aux hommes la vérité et la voix du salut qui conduisent à vous. J'ai aimé , dès les jours de ma jeunesse , la pauvreté et le travail. J'ai fait votre volonté et j'ai obéi à tous vos commandements. Je suis prêt encore à accomplir ce qui me reste à faire. Cependant, mon Père, s'il est possible, éloignez de moi les maux affreux que mes ennemis me préparent. Car voyez, mon Père, combien d'imputations ils élèvent contre moi , de combien d'accusations horribles ils me chargent, pour lesquelles ils ont comploté de m' ôter la vie. (2) Père saint, si j'ai fait ce qu'on m'impute , si mes mains sont souillées par l'iniquité , si j'ai rendu le mal pour le mal, que je tombe sans défense devant mes ennemis; je l'ai mérité. (3) Mais je me suis toujours appliqué à faire ce qui vous est agréable.
(1) Psalm.,54. — (2) Psalm.,7. — (2) Psalm., 108.
Et cependant ils m'ont rendu le mal pour le bien , et la haine pour l'amour; ils ont corrompu l'un de mes Disciples, et l'ont mis à leur tête pour me perdre ; trente deniers , voilà le salaire qu'ils lui ont promis et la valeur à laquelle ils m'ont apprécié. (1) Je vous supplie, ô mon Père, d'éloigner de moi ce calice; néanmoins, si vous en jugez autrement , que votre volonté soit faite et non la mienne. Mais , mon Père , (2) venez à mon aide , hâtez-vous de me secourir. Je le reconnais, ô mon tendre Père, ils ignoraient que j'étais votre Fils ; mais , après avoir vu l'innocence de ma vie et tous les bienfaits que j'ai répandus sur eux, ne devraient-ils pas être moins cruels envers moi? Car vous savez combien de fois je me suis présenté devant vous , pour vous implorer en leur faveur, pour détourner loin d'eux les traits de votre colère. (3) Mais hélas ! ne ma rendent-ils pas le mal pour le bien ? N'ont-ils pas creusé sous mes pas une fosse pour m'y précipiter? Ne préparent-ils pas pour moi le supplice le plus ignominieux? Vous le voyez , Seigneur; ne m'abandonnez pas , ne vous éloignez pas de moi ; car le moment de la tribulation approche et personne ne vient à mon aide. Voici mes persécuteurs, c'est en votre présence qu'ils cherchent à m'ôter la vie ; mon cœur n'attend que des opprobres et des douleurs. »
(1) Matthieu, 20 et 27. — (2) Jérémie, 18. — (3) Psaume., 68.
Après cela , Notre Seigneur Jésus-Christ revient à ses Disciples , les excite et les encourage à prier. Puis il reprend une seconde et une troisième fois son oraison , mais en se mettant à trois places différentes , éloignées l'une de l'autre de la distance que parcourt une pierre , non quand elle est lancée avec toute la force du bras , mais quand elle est jetée sans faire un grand effort ; distance à-peu-près équivalente à celle qui sépare nos deux couvents , ainsi que je le tiens de l'un de nos Frères qui a visité les lieux mêmes où se trouvent encore les restes des Églises qui y furent élevées. Revenant donc , ainsi que je l'ai dit, une seconde et troisième fois à son oraison , Jésus répéta les mêmes paroles auxquelles il ajouta : « (1)Mon Père, s'il faut absolument subir le supplice de la Croix, si vous l'avez ainsi résolu, que votre volonté s'accomplisse. Mais je vous recommande ma tendre Mère et les Disciples que j'ai conservés jusqu'à ce jour. Mon Père , conservez-les désormais. »
Et, pendant ce combat intérieur qui le réduit à l'agonie, pendant qu'il prolonge sa prière, le sang très-sacré de Jésus s'échappe de toutes les parties de son corps comme des gouttes de sueur, et coule jusqu'à terre. Considérez donc Jésus en cet état ; voyez dans quelles mortelles angoisses son âme est plongée. Mais surtout remarquez ici combien, par sa conduite, il condamne notre impatience ordinaire ; car ce ne fut qu'après avoir trois fois prié son Père qu'il en fut écouté. Pendant que Notre Seigneur Jésus-Christ en proie à tant d'anxiétés , adresse pour la troisième fois une humble prière à son Père , voici qu'un Ange du Seigneur, saint Michel , le chef de la milice céleste , se présente à lui et le fortifie en ces termes : « Jésus , mon Dieu , je vous salue. Votre prière et votre sueur de sang ont été offertes par moi à votre Père en présence de toute la Cour céleste , et tous ensemble, prosternés aux pieds de sa divine Majesté, nous l'avons suppliée d'éloigner de vous ce Calice. Votre Père a répondu : «Mon bien-aimé Fils Jésus sait que la rédemption du genre humain, objet de tous nos désirs, ne peut s'opérer efficacement que par l'effusion de son sang; si donc il veut le salut des âmes, il faut qu'il meure pour elles. Que voulez-vous donc faire? »
(1) Jean., 17.
Notre Seigneur répondit à l'Ange : «Je veux avant tout le salut des hommes, et j'aime mieux mourir , en sauvant leurs âmes créées par mon Père à son image, que de vivre sans opérer leur rédemption. Ainsi, que la volonté de mon Père s'accomplisse. » L'Ange répondit : « Montrez-donc de la fermeté et faites preuve d'intrépidité, car les actions sublimes conviennent aux âmes élevées , et les grands cœurs savent supporter les grandes afflictions. La peine expiatrice du péché sera courte et passagère, elle sera suivie d'une gloire éternelle. Votre Père a dit qu'il serait toujours avec vous, qu'il conserverait votre Mère et vos Disciples , et qu'il vous les rendrait après les avoir préservés de tout péril. » L'humble Jésus reçut, avec autant de respect que d'humilité , ces paroles encourageantes, quoiqu'elles lui fussent adressées par l'une de ses créatures, n'oubliant pas qu'en descendant dans cette vallée de misères et de ténèbres , il s'était abaissé un peu au-dessous des Anges. Ainsi , c'est parce qu'il était homme qu'il ressentit la tristesse, qu'il salua l'Ange, qu'il fut fortifié par ses paroles et qu'il le pria de le recommander à son Père et à la Cour céleste.
Il quitte donc une troisième fois la prière , encore trempé de la sueur de sang qu'il vient de répandre. Imaginez que vous le voyez s'essuyant le visage, ou peut-être même le lavant dans les eaux du torrent; observez respectueusement toute son affliction et soyez-en profondément touchée, car c'est l'excès de sa douleur qui l'a mis dans un état si déplorable.
On peut remarquer qu'il y eut alors en Jésus-Christ quatre volontés distinctes , savoir : la volonté charnelle qui refusait entièrement de souffrir; la volonté sensuelle qui murmurait et s'alarmait ; la volonté raisonnable qui se soumettait et consentait ; car il est dit dans Isaïe : (1) Il a été offert en sacrifice, parce qu'il l'a voulu ; enfin , il y eut aussi la volonté divine qui dictait la sentence et en exigeait impérieusement l'exécution. Or, comme Jésus était véritablement homme, il se trouvait, en cette qualité, réduit à la plus fâcheuse extrémité. Compatissez donc à ses maux du fond du cœur; considérez et observez attentivement toutes les actions et tous les sentiments de votre Seigneur et de votre Dieu.
(1) Isaie, 83.
Or, il va trouver ses Disciples et leur dit : Dormez maintenant et livrez-vous au repos. Là dessus ils s'assoupirent quelques instants. Mais le bon pasteur veille à la garde de son petit troupeau. Oh ! il est bien vrai qu'il les a aimés d'un amour immense ! qu'il les a aimés jusqu'à la fin, puisqu'au milieu de sa douloureuse agonie, il prend encore soin de leur repos ! Jésus voyait de loin ses ennemis s'avancer avec des armes et des flambeaux ; mais ce ne fut que lorsqu'ils étaient tout-à-fait proche de ses Disciples qu'il les réveilla en leur disant : (1) C'est assez, levez-vous ; celui qui doit me trahir n 'est pas loin d'ici.
(1) Matthieu, 20.
Il parlait encore lorsque l'infâme Judas qui l'avait si indignement vendu, se présente et lui donne un baiser. On assure que Notre Seigneur avait coutume de se laisser embrasser par ses Disciples, lorsqu'ils revenaient près de lui après s'en être éloignés; et voilà pourquoi ce traître, revenu près de son Maître, lui donna un baiser qui le livrait à ses ennemis en le leur signalant , et qui , étant donné avant l'arrivée de ceux-ci, semblait dire à Jésus : Je ne fais point partie de cette troupe armée, mais , suivant l'usage, en revenant près de vous, je vous embrasse et vous dis : Maître , je vous salue.
Observez donc bien ce qui se passe ici; fixez vos regards sur Notre Seigneur et voyez avec quelle patience et quelle bonté il reçoit les embrassements et le baiser du perfide et malheureux Apôtre auquel il venait de laver les pieds et de donner une si excellente nourriture ; voyez avec quelle patience il se laisse prendre, lier, frapper et brutalement conduire comme un malfaiteur et un homme tout-à-fait impuissant à se défendre ; voyez enfin quelle compassion il montre pour ses Disciples qui fuient et s'égarent loin de lui. Vous pouvez aussi remarquer l'extrême douleur de ceux-ci qui ne pouvant retenir leurs larmes et leurs soupirs, se retiraient comme des orphelins et des hommes frappés de terreur ; remarquez encore que leur douleur s'accroît à chaque instant lorsqu'ils voient ces misérables traiter si indignement et traîner comme une victime leur divin Maître qui, semblable à un doux agneau, les suit sans aucune résistance.
Considérez avec quelle inquiète précipitation Jésus est conduit par ces scélérats du torrent de Cédron à Jérusalem ; il a les mains liées derrière le dos, il est sans tunique, ses vêtements sont en désordre, sa tête est découverte, et, quoiqu'excédé de fatigues, on le contraint violemment d'accélérer sa marche. On le fait comparaître devant Anne et Caïphe, Princes des Prêtres, et devant les autres Sénateurs assemblés. Ils tressaillent de joie comme le lion qui a saisi sa proie; ils l'interrogent, produisent contre lui de faux témoins et le condamnent; quelques-uns couvrent de crachats sa face très-sacrée, mettent sur ses yeux un bandeau , le frappent à coups de poing et le soufflètent en disant : Prophétise-nous qui est celui qui t'a frappé? On lui prodigue les outrages et sa patience est inaltérable. Contemplez Jésus dans chacune de ces circonstances et laissez- vous toucher de compassion.
Enfin les principaux Sénateurs sortirent pour le mettre dans un cachot souterrain qui subsiste encore , ou dont on peut du moins retrouver quelques vestiges; ils l'attachèrent à une colonne de pierre brisée en partie dans la suite, mais qui pourtant se distingue encore, comme je l'ai appris de l'un de nos frères, témoin oculaire. Cependant , pour plus de sûreté , ils le confièrent à la garde de quelques satellites qui, pendant tout le reste de la nuit, le tourmentèrent en l'abreuvant de dérisions et d'outrages. Considérez donc avec quelle audace ces misérables l'insultent en lui disant : « Tu te croyais donc meilleur et plus sage que nos Princes! Quelle était ta folie ? Tu ne devais pas parler contre eux ; comment as-tu osé le faire ? Mais maintenant ta sagesse éclate à tous les yeux, puisque te voilà logé où il convient d'être à les pareils, et que tu ne peux échapper à la mort que tu mérites indubitablement.»
Et c'est ainsi que, pendant toute la nuit, il fut en butte aux paroles et aux actions outrageantes que tantôt l'un , tantôt l'autre crut pouvoir se permettre contre lui. Or, concevez-vous tout ce qu'ont pu dire et faire ces misérables. Sans égards et sans respect , ils l'accablent des plus vils outrages. Maintenant tournez vos regards sur Notre Seigneur qui, les yeux baissés , toujours modeste et patient , souffre tout en silence comme s'il eût été surpris dans quelque faute , et ne lui refusez pas une vive compassion. O Seigneur ! en quelles mains êtes-vous tombé ? Que votre patience est grande! C'est vraiment là l'heure des ténèbres.
Ce fut ainsi que, jusqu'au matin, Jésus demeura debout et garrotté à cette colonne. Mais pendant ce temps, saint Jean va chez Madeleine trouver Marie et ses compagnes qui s'y étaient réunies pour faire la Pâque, et il leur raconte tout ce qui était arrivé à Jésus et à ses Disciples. D'inexprimables gémissements , des lamentations , des clameurs se font entendre alors de toutes parts. Considérez ces saintes femmes , ayez-en compassion , car c'est leur amour pour Jésus qui les plonge dans une si grande affliction et leur cause une si vive douleur ; elles comprennent maintenant et sont convaincues que leur Maître chéri ne peut échapper à la mort.
Enfin , Marie s' écartant un peu, recourut à la prière, et dit : « Mon adorable Père , mon tendre Père , Père des miséricordes , je vous recommande mon Fils bien-aimé. Ne soyez pas impitoyable pour lui, puisque vous répandez sur tous les effets de votre bonté :«Père éternel, mon Fils Jésus n'a fait aucun mal. Faut-il qu'il périsse? Père juste , si vous voulez la Rédemption de tous les hommes, je vous prie de l'opérer par un autre moyen, car tout vous est possible. Père saint , je vous en conjure , ne livrez pas , s'il vous plaît , mon Fils à la mort , délivrez-le des mains des pécheurs et rendez-le à ma tendresse. Par obéissance et par respect pour vous , il n'oppose aucune résistance à ses ennemis , et s'abandonne à eux, comme un homme faible et impuissant. Daignez donc, Seigneur, venir à son secours. »
Ce fut ainsi , ou à-peu-près en ces termes , que, dans la profonde douleur de son âme , Marie adressait à Dieu des prières accompagnées des plus ardents désirs et des plus vives instances. En la voyant si affligée , ne lui refusez pas votre compassion.
MÉDITATION SUR LA PASSION DE JÉSUS-CHRIST AVANT MATINES.
Reprenez donc ces méditations depuis le commencement de la Passion , et continuez-les , par ordre , jusqu'à la fin. Il me semble que je dois me borner ici à esquisser légèrement ce sujet; mais, si cela vous convient, vous pourrez vous exercer à le développer selon que Notre Seigneur lui-même vous en fera la grâce. Observez donc chaque chose comme si elle se passait sous vos yeux; et considérez d'abord attentivement Jésus au moment où , sortant de la Cène et ayant terminé son discours , il se rend avec ses Disciples au jardin des Oliviers. Enfin entrez-y en même temps que lui et remarquez avec quelle affection , quelle amitié , quelle , familiarité il adresse la parole à ses Disciples et les invite à prier; voyez comment, après s'être un peu éloigné d'eux à la distance d'un jet de pierre , il s'agenouille et adresse à son Père une humble et respectueuse prière.
Arrêtez-vous ici quelque temps et repassez pieusement dans votre esprit toutes les merveilles du Seigneur votre Dieu. Jésus prie donc. Or on a vu précédemment qu'il avait souvent ainsi prié ; mais jusque-là il avait prié pour nous en qualité de médiateur , et maintenant c'était pour lui-même qu'il priait. Laissez-vous pénétrer tout à la fois de compassion et d'admiration à la vue d'une humilité si profonde. Car, bien qu'il soit Dieu , coéternel et égal en tout à son Père, il semble oublier sa divinité, il prie comme s'il n'était qu'un homme et se tient prosterné devant Dieu comme le ferait le dernier des mortels.
Considérez aussi sa parfaite obéissance. En effet, que demande-t-il? Il supplie son Père d'éloigner de lui l'heure de sa mort, il aimerait à prolonger ses jours, si tel était le bon plaisir de son Père, et ce désir n'est point exaucé, parce qu'il est contraire à une autre volonté qui était en lui. Car, comme je le dirai plus tard, il y avait en Jésus plusieurs volontés. Et ce qui doit exciter de nouveau votre compassion , c'est que son Père veut absolument qu'il meure , c'est qu'il n'a point épargné son propre Fils, son Fils unique; mais qu'il l'a livré, pour nous tous, à une si horrible mort.
(1) Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné pour lui son Fils unique. Jésus obéit et se soumet respectueusement à la volonté de son Père. Voyez , en troisième lieu , combien l'ineffable miséricorde que le Père et le Fils ont eue pour nous est digne de compassion , d'admiration et de vénération.
(1) Jean., 3.
Une telle mort est commandée et soufferte pour nous, par un excès de la Charité du Père et du Fils. Notre Seigneur Jésus-Christ prie donc longtemps en ces termes : (1) « Dieu de clémence, ô mon Père! je vous en conjure, écoutez mon humble prière, ne rejetez pas mes supplications. Daignez m'entendre et m'exaucer, car mes tristes pensées font couler mes larmes; mon esprit est rempli d'inquiétudes, le trouble a pénétré jusqu'au fond de mon cœur. Prêtez donc l'oreille à ma prière et écoutez ma voix suppliante. Il vous a plu, mon Père, de m'envoyer en ce monde pour réparer l'outrage que l'homme a fait à votre divine Majesté , et aussitôt que votre volonté m'a été connue, j'ai dit : Me voici prêt à partir, prêt à faire votre volonté , ainsi qu'il est écrit de moi à la tête du livre. J'ai enseigné aux hommes la vérité et la voix du salut qui conduisent à vous. J'ai aimé , dès les jours de ma jeunesse , la pauvreté et le travail. J'ai fait votre volonté et j'ai obéi à tous vos commandements. Je suis prêt encore à accomplir ce qui me reste à faire. Cependant, mon Père, s'il est possible, éloignez de moi les maux affreux que mes ennemis me préparent. Car voyez, mon Père, combien d'imputations ils élèvent contre moi , de combien d'accusations horribles ils me chargent, pour lesquelles ils ont comploté de m' ôter la vie. (2) Père saint, si j'ai fait ce qu'on m'impute , si mes mains sont souillées par l'iniquité , si j'ai rendu le mal pour le mal, que je tombe sans défense devant mes ennemis; je l'ai mérité. (3) Mais je me suis toujours appliqué à faire ce qui vous est agréable.
(1) Psalm.,54. — (2) Psalm.,7. — (2) Psalm., 108.
Et cependant ils m'ont rendu le mal pour le bien , et la haine pour l'amour; ils ont corrompu l'un de mes Disciples, et l'ont mis à leur tête pour me perdre ; trente deniers , voilà le salaire qu'ils lui ont promis et la valeur à laquelle ils m'ont apprécié. (1) Je vous supplie, ô mon Père, d'éloigner de moi ce calice; néanmoins, si vous en jugez autrement , que votre volonté soit faite et non la mienne. Mais , mon Père , (2) venez à mon aide , hâtez-vous de me secourir. Je le reconnais, ô mon tendre Père, ils ignoraient que j'étais votre Fils ; mais , après avoir vu l'innocence de ma vie et tous les bienfaits que j'ai répandus sur eux, ne devraient-ils pas être moins cruels envers moi? Car vous savez combien de fois je me suis présenté devant vous , pour vous implorer en leur faveur, pour détourner loin d'eux les traits de votre colère. (3) Mais hélas ! ne ma rendent-ils pas le mal pour le bien ? N'ont-ils pas creusé sous mes pas une fosse pour m'y précipiter? Ne préparent-ils pas pour moi le supplice le plus ignominieux? Vous le voyez , Seigneur; ne m'abandonnez pas , ne vous éloignez pas de moi ; car le moment de la tribulation approche et personne ne vient à mon aide. Voici mes persécuteurs, c'est en votre présence qu'ils cherchent à m'ôter la vie ; mon cœur n'attend que des opprobres et des douleurs. »
(1) Matthieu, 20 et 27. — (2) Jérémie, 18. — (3) Psaume., 68.
Après cela , Notre Seigneur Jésus-Christ revient à ses Disciples , les excite et les encourage à prier. Puis il reprend une seconde et une troisième fois son oraison , mais en se mettant à trois places différentes , éloignées l'une de l'autre de la distance que parcourt une pierre , non quand elle est lancée avec toute la force du bras , mais quand elle est jetée sans faire un grand effort ; distance à-peu-près équivalente à celle qui sépare nos deux couvents , ainsi que je le tiens de l'un de nos Frères qui a visité les lieux mêmes où se trouvent encore les restes des Églises qui y furent élevées. Revenant donc , ainsi que je l'ai dit, une seconde et troisième fois à son oraison , Jésus répéta les mêmes paroles auxquelles il ajouta : « (1)Mon Père, s'il faut absolument subir le supplice de la Croix, si vous l'avez ainsi résolu, que votre volonté s'accomplisse. Mais je vous recommande ma tendre Mère et les Disciples que j'ai conservés jusqu'à ce jour. Mon Père , conservez-les désormais. »
Et, pendant ce combat intérieur qui le réduit à l'agonie, pendant qu'il prolonge sa prière, le sang très-sacré de Jésus s'échappe de toutes les parties de son corps comme des gouttes de sueur, et coule jusqu'à terre. Considérez donc Jésus en cet état ; voyez dans quelles mortelles angoisses son âme est plongée. Mais surtout remarquez ici combien, par sa conduite, il condamne notre impatience ordinaire ; car ce ne fut qu'après avoir trois fois prié son Père qu'il en fut écouté. Pendant que Notre Seigneur Jésus-Christ en proie à tant d'anxiétés , adresse pour la troisième fois une humble prière à son Père , voici qu'un Ange du Seigneur, saint Michel , le chef de la milice céleste , se présente à lui et le fortifie en ces termes : « Jésus , mon Dieu , je vous salue. Votre prière et votre sueur de sang ont été offertes par moi à votre Père en présence de toute la Cour céleste , et tous ensemble, prosternés aux pieds de sa divine Majesté, nous l'avons suppliée d'éloigner de vous ce Calice. Votre Père a répondu : «Mon bien-aimé Fils Jésus sait que la rédemption du genre humain, objet de tous nos désirs, ne peut s'opérer efficacement que par l'effusion de son sang; si donc il veut le salut des âmes, il faut qu'il meure pour elles. Que voulez-vous donc faire? »
(1) Jean., 17.
Notre Seigneur répondit à l'Ange : «Je veux avant tout le salut des hommes, et j'aime mieux mourir , en sauvant leurs âmes créées par mon Père à son image, que de vivre sans opérer leur rédemption. Ainsi, que la volonté de mon Père s'accomplisse. » L'Ange répondit : « Montrez-donc de la fermeté et faites preuve d'intrépidité, car les actions sublimes conviennent aux âmes élevées , et les grands cœurs savent supporter les grandes afflictions. La peine expiatrice du péché sera courte et passagère, elle sera suivie d'une gloire éternelle. Votre Père a dit qu'il serait toujours avec vous, qu'il conserverait votre Mère et vos Disciples , et qu'il vous les rendrait après les avoir préservés de tout péril. » L'humble Jésus reçut, avec autant de respect que d'humilité , ces paroles encourageantes, quoiqu'elles lui fussent adressées par l'une de ses créatures, n'oubliant pas qu'en descendant dans cette vallée de misères et de ténèbres , il s'était abaissé un peu au-dessous des Anges. Ainsi , c'est parce qu'il était homme qu'il ressentit la tristesse, qu'il salua l'Ange, qu'il fut fortifié par ses paroles et qu'il le pria de le recommander à son Père et à la Cour céleste.
Il quitte donc une troisième fois la prière , encore trempé de la sueur de sang qu'il vient de répandre. Imaginez que vous le voyez s'essuyant le visage, ou peut-être même le lavant dans les eaux du torrent; observez respectueusement toute son affliction et soyez-en profondément touchée, car c'est l'excès de sa douleur qui l'a mis dans un état si déplorable.
On peut remarquer qu'il y eut alors en Jésus-Christ quatre volontés distinctes , savoir : la volonté charnelle qui refusait entièrement de souffrir; la volonté sensuelle qui murmurait et s'alarmait ; la volonté raisonnable qui se soumettait et consentait ; car il est dit dans Isaïe : (1) Il a été offert en sacrifice, parce qu'il l'a voulu ; enfin , il y eut aussi la volonté divine qui dictait la sentence et en exigeait impérieusement l'exécution. Or, comme Jésus était véritablement homme, il se trouvait, en cette qualité, réduit à la plus fâcheuse extrémité. Compatissez donc à ses maux du fond du cœur; considérez et observez attentivement toutes les actions et tous les sentiments de votre Seigneur et de votre Dieu.
(1) Isaie, 83.
Or, il va trouver ses Disciples et leur dit : Dormez maintenant et livrez-vous au repos. Là dessus ils s'assoupirent quelques instants. Mais le bon pasteur veille à la garde de son petit troupeau. Oh ! il est bien vrai qu'il les a aimés d'un amour immense ! qu'il les a aimés jusqu'à la fin, puisqu'au milieu de sa douloureuse agonie, il prend encore soin de leur repos ! Jésus voyait de loin ses ennemis s'avancer avec des armes et des flambeaux ; mais ce ne fut que lorsqu'ils étaient tout-à-fait proche de ses Disciples qu'il les réveilla en leur disant : (1) C'est assez, levez-vous ; celui qui doit me trahir n 'est pas loin d'ici.
(1) Matthieu, 20.
Il parlait encore lorsque l'infâme Judas qui l'avait si indignement vendu, se présente et lui donne un baiser. On assure que Notre Seigneur avait coutume de se laisser embrasser par ses Disciples, lorsqu'ils revenaient près de lui après s'en être éloignés; et voilà pourquoi ce traître, revenu près de son Maître, lui donna un baiser qui le livrait à ses ennemis en le leur signalant , et qui , étant donné avant l'arrivée de ceux-ci, semblait dire à Jésus : Je ne fais point partie de cette troupe armée, mais , suivant l'usage, en revenant près de vous, je vous embrasse et vous dis : Maître , je vous salue.
Observez donc bien ce qui se passe ici; fixez vos regards sur Notre Seigneur et voyez avec quelle patience et quelle bonté il reçoit les embrassements et le baiser du perfide et malheureux Apôtre auquel il venait de laver les pieds et de donner une si excellente nourriture ; voyez avec quelle patience il se laisse prendre, lier, frapper et brutalement conduire comme un malfaiteur et un homme tout-à-fait impuissant à se défendre ; voyez enfin quelle compassion il montre pour ses Disciples qui fuient et s'égarent loin de lui. Vous pouvez aussi remarquer l'extrême douleur de ceux-ci qui ne pouvant retenir leurs larmes et leurs soupirs, se retiraient comme des orphelins et des hommes frappés de terreur ; remarquez encore que leur douleur s'accroît à chaque instant lorsqu'ils voient ces misérables traiter si indignement et traîner comme une victime leur divin Maître qui, semblable à un doux agneau, les suit sans aucune résistance.
Considérez avec quelle inquiète précipitation Jésus est conduit par ces scélérats du torrent de Cédron à Jérusalem ; il a les mains liées derrière le dos, il est sans tunique, ses vêtements sont en désordre, sa tête est découverte, et, quoiqu'excédé de fatigues, on le contraint violemment d'accélérer sa marche. On le fait comparaître devant Anne et Caïphe, Princes des Prêtres, et devant les autres Sénateurs assemblés. Ils tressaillent de joie comme le lion qui a saisi sa proie; ils l'interrogent, produisent contre lui de faux témoins et le condamnent; quelques-uns couvrent de crachats sa face très-sacrée, mettent sur ses yeux un bandeau , le frappent à coups de poing et le soufflètent en disant : Prophétise-nous qui est celui qui t'a frappé? On lui prodigue les outrages et sa patience est inaltérable. Contemplez Jésus dans chacune de ces circonstances et laissez- vous toucher de compassion.
Enfin les principaux Sénateurs sortirent pour le mettre dans un cachot souterrain qui subsiste encore , ou dont on peut du moins retrouver quelques vestiges; ils l'attachèrent à une colonne de pierre brisée en partie dans la suite, mais qui pourtant se distingue encore, comme je l'ai appris de l'un de nos frères, témoin oculaire. Cependant , pour plus de sûreté , ils le confièrent à la garde de quelques satellites qui, pendant tout le reste de la nuit, le tourmentèrent en l'abreuvant de dérisions et d'outrages. Considérez donc avec quelle audace ces misérables l'insultent en lui disant : « Tu te croyais donc meilleur et plus sage que nos Princes! Quelle était ta folie ? Tu ne devais pas parler contre eux ; comment as-tu osé le faire ? Mais maintenant ta sagesse éclate à tous les yeux, puisque te voilà logé où il convient d'être à les pareils, et que tu ne peux échapper à la mort que tu mérites indubitablement.»
Et c'est ainsi que, pendant toute la nuit, il fut en butte aux paroles et aux actions outrageantes que tantôt l'un , tantôt l'autre crut pouvoir se permettre contre lui. Or, concevez-vous tout ce qu'ont pu dire et faire ces misérables. Sans égards et sans respect , ils l'accablent des plus vils outrages. Maintenant tournez vos regards sur Notre Seigneur qui, les yeux baissés , toujours modeste et patient , souffre tout en silence comme s'il eût été surpris dans quelque faute , et ne lui refusez pas une vive compassion. O Seigneur ! en quelles mains êtes-vous tombé ? Que votre patience est grande! C'est vraiment là l'heure des ténèbres.
Ce fut ainsi que, jusqu'au matin, Jésus demeura debout et garrotté à cette colonne. Mais pendant ce temps, saint Jean va chez Madeleine trouver Marie et ses compagnes qui s'y étaient réunies pour faire la Pâque, et il leur raconte tout ce qui était arrivé à Jésus et à ses Disciples. D'inexprimables gémissements , des lamentations , des clameurs se font entendre alors de toutes parts. Considérez ces saintes femmes , ayez-en compassion , car c'est leur amour pour Jésus qui les plonge dans une si grande affliction et leur cause une si vive douleur ; elles comprennent maintenant et sont convaincues que leur Maître chéri ne peut échapper à la mort.
Enfin , Marie s' écartant un peu, recourut à la prière, et dit : « Mon adorable Père , mon tendre Père , Père des miséricordes , je vous recommande mon Fils bien-aimé. Ne soyez pas impitoyable pour lui, puisque vous répandez sur tous les effets de votre bonté :«Père éternel, mon Fils Jésus n'a fait aucun mal. Faut-il qu'il périsse? Père juste , si vous voulez la Rédemption de tous les hommes, je vous prie de l'opérer par un autre moyen, car tout vous est possible. Père saint , je vous en conjure , ne livrez pas , s'il vous plaît , mon Fils à la mort , délivrez-le des mains des pécheurs et rendez-le à ma tendresse. Par obéissance et par respect pour vous , il n'oppose aucune résistance à ses ennemis , et s'abandonne à eux, comme un homme faible et impuissant. Daignez donc, Seigneur, venir à son secours. »
Ce fut ainsi , ou à-peu-près en ces termes , que, dans la profonde douleur de son âme , Marie adressait à Dieu des prières accompagnées des plus ardents désirs et des plus vives instances. En la voyant si affligée , ne lui refusez pas votre compassion.
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
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