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LA PASSION DE NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST ET LA COMPASSION DE LA VIERGE MARIE - par Jean Gerson - (1363 – 1429)

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Message par MichelT Jeu 20 Avr 2023 - 17:47

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LA PASSION DE NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST ET LA COMPASSION DE LA VIERGE MARIE

PAR JEAN GERSON – CHANCELLIER DE L`UNIVERSITÉ DE PARIS (1363 – 1429) – Docteur très chrétien et consolateur.

Par Jean Darch - Paris – année 1874

Une méditation du Moyen-Âge (14 eme siècle) de la Passion de Notre Seigneur Jésus-Christ


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Paris au Moyen-Âge

Des fruits de la méditation sérieuse et assidue de la Passion de Jésus-Christ.

Quand j'aurais toutes les lumières et l'éloquence des anges, il me serait impossible de décrire les heureux et nombreux effets que procure la méditation de la croix du Rédempteur. J'aime mieux dire avec le prophète : Gustate et videte - Goûtez et voyez combien le Seigneur est doux  (Psaume 33,9). Expérimentez vous-même les bénéfices salutaires qu'on retire de cet exercice. Mais le bienheureux Gerson a comme résumé ces fruits, lors qu'il a écrit :

« Toutes les fois, mon âme, que tu renouvelles ce mystère et que tu reçois le corps du Seigneur, tu travailles à l'oeuvre de ta rédemption, et tu entres en participation de tous les mérites de Jésus-Christ. (Imit. Christi, lib. Iv, 2).

C'est à-dire que par la méditation fervente de la Passion comme par la communion sainte au corps de Jésus-Christ, on s'applique les mérites et les fruits des souffrances et de la mort du Rédempteur.

LA PASSION DE NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST

PREMIÈRE PARTIE

A Dieu s'en va par mort amère.
Jésus voyant sa douce Mère ;
Nous devons bien en pénitence,
De ce deuil avoir remembrance.
(Le Bienheureux GERSON)

Certes, c'est avec une véritable douleur que nous devons conserver ce souvenir. O doux Jésus ! unique et vrai Sauveur du monde, oui, nous devons nous rappeler qu'après avoir été créés par votre seule volonté, vous nous avez rachetés et sauvés au prix de tant de douleurs, d'angoisses et de souffrances, que nul homme sur la terre n'endura rien de semblable à ce que vous avez souffert pour nous, misérables et pauvres créatures. O âmes dévotes, vous le savez, il n'avait jamais péché, et pourtant dès sa plus tendre enfance il souffrit la pauvreté, la douleur, la faim; il eut froid, il versa des larmes ; il fit en Égypte un pèlerinage pénible, veilla dans la prière et la contemplation; supporta les méchants et fut en butte à des persécutions mortelles. C'est aujourd'hui l'anniversaire de son amère Passion, jour de plaintes et de pleurs qui vit l'achèvement de son œuvre et la consommation de ses douleurs : car il s'en alla vers Dieu son Père, par la voie de la mort amère.

Jésus, voyant sa douce Mère,
Nous devons bien par pénitence
De ce deuil avoir remembrance.

O douce Vierge Marie! j'élève mes yeux vers vous, et je m'efforce de comprendre par la lumière de la vraie Foi et le livre des Évangiles, et par de dévotes suppositions, comme vous le fîtes vous même, quelle fut la douleur de votre cher fils, lorsqu'il retourna vers son Père... Et d'abord, je me le représente le jour où, pour aller à Dieu par une mort amère, il partit de Béthanie où il était logé dans la maison de Lazare, de Marthe et de Marie-Madeleine. Quelle fut votre angoisse en le voyant ainsi partir! ... « Adieu, mon Fils, deviez-vous dire, ô très-douce Mère! Adieu, ma seule joie, ma seule consolation, jamais plus je ne vous reverrai ici. » C'est ainsi que vous parliez, ou bien vous gardiez le silence, ne trouvant de soulagements que dans vos plaintes et vos soupirs, car la douleur vous empêchait de parler. O Mère désolée !je puis religieusement penser que vous embrassiez votre Fils, le plus beau des enfants des hommes, l'Agneau sans tache et sans haine qui s'en allait à la mort, quoiqu'il fût Dieu dans le mystère de la Trinité adorable.

Vous l'embrassiez bien tendrement, vous incliniez sur son épaule et sur sa face sacrée votre visage baigné de larmes, puis vous retrouviez quelque force pour lui dire : « Adieu, mon doux Fils ! Hélas, ô mon cher Fils, adieu ! « O mon Roi et mon Seigneur, toutes choses sont en votre puissance, je suis votre créature désolée, cette servante que vous avez daigné tant aimer, et que vous avez comblée d'honneur par une prédilection de votre grâce, et non en raison de ses mérites. Je vous en supplie, ayez pitié d'une mère! Restez encore et passez cette fête avec nous... ici, à Béthanie, pour échapper à la fureur de vos ennemis qui veulent vous mettre à mort.  Déjà, vous le savez, ils ont voulu vous lapider dans le temple. .. J'ai vu, et vous comprenez avec quelle terreur, les pierres qu'il tenaient pour vous écraser.... Votre divine puissance vous délivra de ce danger. Vous pouvez encore leur échapper a cette heure ... Mais,Seigneur, qu'il soit fait, non pas comme je le désire, mais ainsi que vous le voulez! Que votre volonté et votre bon plaisir s'accomplissent. Adieu! adieu! ce m'est une grande douleur et un grand déchirement de cœur ! Adieu! Jamais il ne me sera possible de vous abandonner.... J'irai partout où vous irez... Je ne vous quitterai dans aucun de vos périls. »

0 fidèles très-dévots! s'il en est parmi vous qui ont des cœurs sensibles et qui savent quel amour unit une mère à son fils, qu'ils tentent de sonder la douleur qu'éprouva Marie quand Jésus s'éloigna de Béthanie pour se rendre à Jérusalem où il devait mourir.  Que devait dire Marie-Madeleine , la bien-aimée de Jésus-Christ, en considérant le tableau animé que formaient le Christ et sa Mère? Que pensait Marthe, son hôtesse, si aimable, si empressée ? Nous devons croire que ce ne fut pas sans beaucoup de pleurs, de regrets, d'adieux répétés à leur hôte Jésus et aux Apôtres qui l'accompagnaient, en proie à une grande tristesse, que Lazare et ses sœurs le laissèrent s'éloigner.

Mais je voudrais connaître alors quelles étaient les pensées du traître Judas, qui déjà avait formé le projet de livrer son Maître, le doux Jésus-Christ, et ce qui se passait dans son cœur? ll ne se repentait donc point en contemplant ces scènes déchirantes ? Son cœur était donc plus dur que le granit et le marbre qu'il ne se fondit point au feu d'un tel amour et d'une telle compassion? O perfide ! ton cœur d'homme était plus cruel que celui d'un lion, car rien ne put l'attendrir !...  

Misérable, pouvais-tu regarder cette sainte assemblée et songer que tu avais médité une trahison si noire, et que tu allais causer un si grand deuil que jamais il n'en exista de semblable?... Osais-tu regarder la douce Notre-Dame qui t'aimait, t'accueillait et te servait si gracieusement? Osais-tu bien lui dire adieu, quand pour toi, elle perdait son Fils, sa vraie joie, sa vie et sa consolation! ... Tu étais le trésorier, le premier entre les Apôtres. Ah ! maudite soit l'avarice qui pénétra tellement dans ton coeur qu'elle t'aveugla au point de te faire commettre, sans terreur, un pareil sacrilège. Jamais on ne put mieux prouver à Satan qu'on lui appartenait. Mais la Mère de Miséricorde ne te tint point le langage outrageant que tu méritais ; elle te dit adieu doucement, comme aux autres, et Madeleine agit de même; du moins il est permis de penser religieusement qu'il en fut ainsi. Elle s'aperçut plus d'une fois que tu avais des relations avec les Juifs ; elle te parlait doucement d'être un médiateur de paix, au lieu de souffler la colère... O Madeleine! Vous avez appris par votre exemple qu'il est facile de tout réparer. Quand vous répandîtes un parfum précieux sur les pieds de Jésus, si vous aviez deviné l'avarice de Judas,vous auriez sacrifié tous vos trésors pour l'empêcher de satisfaire cette passion. Mais il était dans les desseins de Dieu de vous le laisser ignorer; il voulait que le mystère de sa passion s'accomplît.

Or donc, ainsi s'en va par mort amère
Jésus voyant sa douce Mère;
Nous devons bien par pénitence,
De ce deuil avoir remembrance.

Ainsi Jésus partit de Béthanie pour aller à la mort;  il se montrait comme un prince hardi et vaillant qui va se battre contre l'ennemi. Les Apôtres le suivaient tout pensifs, s'entretenant de la malice de leurs ennemis, de la patience et du courage de leur Maître. Judas était au milieu d'eux; pour mieux cacher ses projets de trahison, il parlait plus fort et plus aigrement que ses compagnons de la malice de leurs ennemis, et de l'honneur de son maître. Plus tard, pendant la Cène, il osa bien demander à Jésus-Christ quel était celui qui devait le trahir. Le soir vint ; l'Agneau pascal devait être mangé dans le Cénacle. (souper du Jeudi Saint).

Les Apôtres avaient reconnu ce lieu et préparé le festin d'après le signe que le Seigneur leur avait donné, touchant l'homme qui portait une cruche d'eau. Après le souper, le Sauveur lava les pieds de ses Apôtres , puis il institua l'adorable Sacrement de l'autel (Sainte Eucharistie). Alors, Jésus-Christ annonça, en présence de Judas, que l'heure le sa Passion était venue. Il donna au traître la sainte eucharistie, ainsi qu'aux autres Apôtres, et l'ordonna prêtre, selon la commune opinion des docteurs. Puis il lui dit : « Fais ce que tu dois faire. » Et Judas sortit immédiatement. Alors Jésus prononça un discours devant les onze qui étaient restés, et leur recommanda de s'aimer les uns les autres. Puis il pria pour eux, et, après que les grâces furent dites, ils quittèrent ensemble le Cénacle.

La nuit était profonde, il était dix ou onze heures (le Jeudi Saint au soir). En quittant la maison, et en voyant s'approcher l'heure de sa mort amère, le Sauveur songea à sa douce Mère. On peut penser qu'elle était cette douce Mère, avec les autres saintes femmes, dans la maison de Marie-Madeleine. Elle ne dormait point; l'attente où elle était de l'horrible trépas de son Fils la forçait à veiller et à prier à l'exemple de Jésus.  

De même, nous devons veiller d'esprit et de cœur maintenant que nous entendons parler de cette Passion sainte ! Je laisse tout ce qui fut dit et fait avant la Cène, et je commence l'histoire de la Passion du Sauveur que l’Église nous rappelle aujourd'hui. Elle comprendra le récit qu'en ont fait les quatre Évangélistes. Je m'efforcerai principalement d'émouvoir vos cœurs et de les porter à la dévotion et à la compassion pour les souffrances de Jésus. Je diviserai ce texte en vingt quatre parties, selon le nombre d'heures que renferment le jour et la nuit. Mais avant de commencer, humilions nous devant Dieu, implorons sa grâce, et récitons l'Oraison de la sainte Église :

« Seigneur, regardez votre peuple, pour l'amour duquel Notre-Seigneur Jésus-Christ n'a pas hésité à se livrer entre les mains des pécheurs pour subir le tourment de la Croix.  Faites que nous en parlions et que nous l'écoutions avec fruit ; afin que nos cœurs émus s'inclinent à la pénitence au souvenir de votre mort amère. Amen! »


TEXTE ET EXPOSITION DE LA PASSION

TEXTE PREMIER

TEXTE. - Jésus vint avec ses disciples à une ville située au-delà de Gethsémani. Plus loin que le torrent de Cédron se trouvait un jardin dans lequel il entra avec ses disciples. Judas, qui le trahissait, connaissait le lieu, car le Sauveur y venait souvent. Quand Jésus fut dans le jardin,il dit aux Apôtres : « Asseyez-vous ici et priez. »

Il emmena alors plus loin Pierre et les deux fils de Zébédée, Jacques et Jean, et fut saisi d'une telle angoisse qu'il leur dit : « Mon âme est triste jusqu'à la mort, attendez-moi, priez et veillez. » Il s'éloigna alors de la distance d'un jet de pierre, se mit à genoux et tomba sur sa face, et pria, en disant : « Mon Père, s'il est possible, faites que ce calice s'éloigne de moi; néanmoins que votre volonté soit faite et non pas la mienne. » Et, s'étant levé après son oraison, il vint à ses disciples, et, les ayant trouvés qui dormaient, il leur dit : « Pourquoi dormez-vous ? Est-ce donc que vous ne pouvez veiller une heure avec moi? Veillez et priez,afin que vous n'entriez pas en tentation, car l'esprit est prompt, mais la chair est faible. »

EXPOSITION

Que pouvons-nous dire, ô doux Jésus, ô tendre Père ! que pouvons-nous dire quand nous voyons et entendons que c'est pour nous racheter, nous sauver et nous mériter une joie éternelle que vous acceptez une peine, une tristesse, une angoisse qui vont jusqu'à la mort. Nous savons,Seigneur, que nous avons péché et que nous avons commis le crime ; vous n'en deviez porter aucunement la confusion, et la douleur devait nous être réservée. Oh ! combien ingrate et perverse est la créature humaine, si elle ne tient compte et ne se souvient d'une semblable bonté! Néanmoins, je crains que l'ignorance et l'ingratitude de quelques-uns les portent à dire que Jésus-Christ étant Dieu, il ne pouvait souffrir, et qu'il n'est point utile que nous éprouvions de la compassion pour ses douleurs. C'est une folle pensée !Je conviens bien que la divinité de Jésus-Christ était impassible et immortelle ; mais, en même temps, il était homme, passif, et partant souffrant une douleur d'autant plus grande qu'aucun homme n'eût pu la supporter. Il souffrait par un effet de sa volonté, et non par nécessité, et, pour cet effet, nous sommes obligés à plus d'actions de grâces et de reconnaissance. Nous devons nous humilier pour avoir été cause qu'un Homme-Dieu, d'une telle douceur, d'une telle bonté, d'une telle majesté, ait été pour nous triste jusqu'à la mort, et par un effet de sa volonté !

EXEMPLE. - Le roi, ton maître, apprend que tu es un méchant et un traître, et, Pour te punir de tes crimes, il te condamne à mort et déshérite toute ta race.  Ce roi est si juste que, d'une part,et pour aucune raison, il ne peut laisser ton forfait impuni; mais, en même temps, il est si bon et si miséricordieux, qu'il livre à la douleur et à la mort son propre Fils innocent, qui se charge volontairement de tes fautes, afin de les expier, et qu'il te soit fait miséricorde , paix et justice. Réponds, as-tu le cœur si dur et si pervers que tu n'éprouves aucune pitié de ce Fils innocent qui va se sacrifier pour toi, afin de te délivrer du trépas et de te mériter la gloire éternelle? Tu ne me diras point que tu es assez ingrat pour oublier un fait semblable ? Or, dis-moi, quel fils d'un prince mortel est plus digne et plus noble que ne le fût l'âme de notre doux Sauveur Jésus Christ? Qui pour toi a souffert comme lui? Qui a dit et dira ce que tu entends ici : « Je suis triste jusqu'à la mort !.... »

Peut-être vas-tu me demander ce que peuvent faire à Jésus-Christ ton affliction et ta douleur ? Il n'en éprouvera aucune joie. Réponds-moi en te reportant à l'exemple cité plus haut. Si tu me pouvais en rien alléger les souffrances du Fils du roi qui souffrirait pour ta cause, resterais-tu, néanmoins, sans affliction et sans douleur en te souvenant de ses tortures ? Je ne le crois pas, car on doit éprouver une pitié naturelle pour tout homme innocent que l'on voit en proie à d'horribles tourments. Tu vas m'objecter : « Encore si ce Jésus était mort pour moi, moi seul, mais, non, il est mort pour tout le genre humain, pour les hommes des siècles passés, et pour ceux des siècles à venir. » Chasse, je t'en prie, de ton coeur, cette pensée entachée d'avarice et d'ignorance. Je te prouverai que tu dois plus de reconnaissance au doux Jésus, et de dévotion à sa Passion, parce qu'il est mort pour l'Humanité, que s'il avait souffert seulement pour te racheter. Il t'a sauvé, cela est certain, et sauvé aussi parfaitement que s'il n'eût souffert pour aucune autre créature que pour toi. Puisqu'il a eu tant de bonté pour toi, voudrais-tu qu'aucun autre n'en eût reçu l'effusion, ni ton père, ni ta mère, ni les membres de ta famille ?

Serais-tu assez envieux et assez avare pour le souhaiter ? Tu comprends donc que tu es attaché à Notre-Seigneur par les bienfaits qui te viennent de sa Passion, et
aussi par ceux qu'en retirent tes parents et tes amis, beaucoup plus que si tu avais été seul racheté par le trépas de l'innocent Jésus.

Il résulte de cette considération que les personnes dévotes, et nous tous, en particulier, nous devons garder ce souvenir en esprit de pénitence et de deuil : Si Jésus-Christ se condamne volontairement à la douleur, combien plus devons nous faire pénitence de Carême afin de satisfaire pour nos défauts et d'apaiser sa justice, car jamais Dieu ne souffrira que le mal reste impuni. S'il a bien voulu rejeter tous nos maux et nos péchés sur Jésus-Christ, parce que, selon la parole de l'Apôtre, « il est notre rédempteur et notre justice, » il est naturel que nous nous joignions à lui par la foi et la grâce en accomplissant ses commandements, et que nous fassions notre devoir en suivant son exemple. Ce qui restera , ce que nous ne pouvons payer, il le pèsera, le payera et l'acquittera.

Considérez ensuite, âmes dévotes, qu'au sein de sa douleur et de son angoisse, le doux Jésus fit une dévote oraison. Il est bon et nécessaire de recourir à Dieu, qui
est notre protecteur et notre auxiliaire quand il le juge utile pour nous. « Il demeure avec ceux qui sont dans la tribulation», (dans l`épreuve et la souffrance) s'ils daignent l'appeler, s'ils ne le chassent point par l'impatience et le murmure. Dieu ne veut point que nous priions pour lui enseigner quelque chose, mais simplement parce qu'en l'invoquant de bouche et de cœur, nous travaillons à sa gloire et à notre salut, de même que fait un roi qui veut éprouver dans le combat la bravoure de l'un de ses chevaliers. Je sais que, sans cette prière, on le peut honorer, mais c'est cependant une sorte d'honneur que Dieu nous fait, quand il permet que nous le priions, et que nous lui parlions dans la familiarité de l'oraison. Nous devons comprendre que l'adversité est notre fin et notre perfection, qu'elle soit corporelle ou spirituelle ; mais surtout lorsqu'elle est spirituelle, comme est le souvenir perpétuel de notre misère, de notre sensualité, de notre avarice : alors l'oraison nous est plus indispensable.

Pour faire l'oraison, il est nécessaire de choisir un lieu secret, éloigné s'il se peut du bruit et de la foule. Jésus-Christ pouvait aussi bien faire sa prière avec ses disciples, mais il s'en éloigna pour nous apprendre que nous sommes troublés par la multitude et la compagnie. Bien que, pour faire oraison, chaque personne soit libre de garder le maintien qui lui convient le mieux pour se recueillir et conserver son esprit en toute simplicité et vérité, cependant, il est convenable de suivre la méthode de Jésus Christ, qui nous est ici donnée : Il se mit à genoux et inclina sa face vers la terre en signe de servage et d'humilité. C'est ainsi que l'on agit dans les grandes tribulations, quand on ne sait plus que faire, hors de se remettre entre les mains de Dieu, en confessant sa propre impuissance, sa défaillance et sa misère... | Selon le sens mystique, notre oraison doit être accompagnée des trois disciples: Pierre, Jacques et Jean, qui personnifient trois vertus, savoir : Saint Pierre, une foi fervente ; Jacques, la force contre les tentations ; et Jean, la grâce de Dieu.

Dans toutes nos oraisons, nous devons soumettre notre propre volonté à celle de Dieu, car il sait mieux que nous ce dont nous avons besoin, et d'ailleurs, il est bien raisonnable que sa volonté soit faite, plutôt que la nôtre. Preuve de ceci : Jésus-Christ qui portait la parole comme avocat de l'Humanité, soumettait tout le vouloir de cette humanité à Dieu, comme Vous le voyez par son oraison. Je conviens que celui qui est blessé appelle un médecin ; il priera qu'on lui épargne une opération s'il peut être guéri sans cela, mais il ajoutera cependant : Que la volonté des chirurgiens soit faite, et non pas la mienne; parce qu'ils savent ce qui est convenable à l'état du malade.

La fragilité des gens, soit dans la vie religieuse, soit dans le monde, doit être supportée doucement, plutôt qu'avec âpreté et répugnance. Pour nous servir de règle, nous avons le texte qui parle des disciples endormis, et nous apprend comment Jésus-Christ leur parla avec douceur. Prions donc selon l'esprit du texte, et disons : O Jésus-Christ, vrai Rédempteur de tout le monde, amollissez tellement la dureté de nos cœurs qu'ils puissent être trouvés dignes de compatir vivement à vos tourments, et que nos prières vous étant agréables, elles nous éloignent du sommeil dans le péché mortel; de sorte que, par une perpétuelle pénitence, notre mémoire conserve toujours le souvenir de Vos douleurs.


TEXTE SECOND.

Jésus s'en alla et pria, et l'Ange du ciel lui apparut, le consolant et le soutenant dans ce combat mortel. Jésus pria plus longuement en disant : « Mon Père, si ce calice ne peut s'éloigner sans que je le vide, que votre volonté soit faite. »- Puis des gouttes de sang formées de sa sueur inondèrent la terre. Il se leva, revint de nouveau vers ses disciples et les trouva endormis à cause de leur tristesse, car leurs yeux avaient répandu des pleurs. Il s'éloigna , pria encore, répétant les mêmes paroles, puis il rejoignit ses Apôtres : « Dormez maintenant et reposez vous, leur dit-il, voici l'heure qui est proche où le Fils de l'homme sera livré entre les mains des pécheurs. Levez-vous, allons, car celui qui doit me trahir est près d'ici. »

EXPOSITION.

En vérité, je ne sais ce qu'il adviendra de nous, ce que nous ferons, et ce que nous voudrons quand nous aurons écouté cet Évangile, qui raconte comment l'innocent Jésus, le maître de la mort et de la vie, eu une sueur de sang en voyant que son trépas approchait, tant son humanité en ressentait d'effroi. Ce fut surtout la seconde fois qu'il eut à soutenir ce combat douloureux. Que ferons-nous, pécheurs ? quelle sera notre fin, et que deviendrons-nous?.... Ce grand combat, qui se livra dans l'âme de l'Homme-Dieu, prouva et démontra vivement à son humanité la mort pleine d'angoisse qu'elle devait subir dans un bref délai pour obéir à Dieu ; d'un autre côté l'humanité redoutait cette mort prochaine, sachant à l'avance tout ce qui    devait arriver, elle ne trouvait nulle part des consolations, comme servante et comme sujette ; la raison lui prouvait qu'elle devait obéir.

Jugez combien cette lutte devait être horrible. L'on doit, en outre, penser que quand la raison connut que l'humanité était si obéissante, elle se fondit et se perdit en Dieu, et fut transportée d'une ferveur actuelle si grande et si forte, que tout le sang de l'humanité de Jésus fut ému, et que cette commotion provoqua une sueur de sang. Ce sang coulait, il est vrai, plutôt miraculeusement que par un effet naturel, attendu que c'était véritablement du sang, et coulant en telle abondance. O vrai Père et Sauveur du monde, si le combat de la mort qui s'approchait vous causa une telle angoisse, et vous fit plus longtemps prier, vous qui montiez vers la gloire, quelle étrange chose que, moi, pauvre pécheur, qui ne sais ce que je dois devenir après ma mort, qui ne sais quel chemin je devrai prendre, celui du paradis ou celui de l'enfer ! ... quelle étrange chose, dis-je, que je ne m'effraie et ne tremble pas d'effroi et d'horreur à la pensée de la mort !

Chaque fois que je l'entends nommer ou qu'elle se présente à mon souvenir, Seigneur, la dureté de mon misérable cœur est si grande que je ne veux ni ne puis y songer d'une façon suffisante. Ainsi l'on rit et l'on se réjouit, quoique l'on s'en souvienne, et l'on ne s'en souvient que par hasard. O mon cœur ! comment ne te dissous tu pas au seul nom de la mort? Pourquoi ne t'y prépares-tu point par de longues et dévotes prières, à l'exemple de ton Dieu et de ton Sauveur qui souffre tellement pour toi, qu'il reste plongé dans l'angoisse, et fait pour toi encore une si fervente oraison.

Au moins, si tu n'as aucune compassion d'autrui, prends pitié de toi-même, pleure sur tes fautes, et reconnais que tu n'as qu'un seul refuge, Jésus Christ, qui souffre ainsi pour ton salut. S'il ressent en lui une lutte si douloureuse, songe quelle sera celle que soutiendra ton âme contre ton corps, et ton âme contre tes ennemis qui t'environneront de toutes parts. Le texte sacré dit que Jésus se mit en prière pour la troisième fois. Considérez, âmes dévotes, comment au sein de son angoisse, le doux et bon Jésus va et vient du lieu de son oraison à celui où sont ses Disciples. ll les console avec humanité et douceur, il les fortifie, il a compassion de leur tristesse qui les faisait tomber dans l'accablement du sommeil. Cette faiblesse tenait à la fragilité de la nature.

Elle prouva que nous faisons plus aisément le mal que le bien, et que nous dormons quand nous devrions accomplir de bonnes œuvres ou nous garder du péché. Jésus leur permit de dormir et de se reposer, mais leur repos ne dura pas longtemps. Jésus, le Bon Pasteur, qui veillait, sentait bien que Judas approchait pour le trahir. Alors il leur dit : « Levez vous et partons. » Ce fut certes un pénible trajet!

Dieu s'en va vers la mort amère,
Jésus voyant sa douce Mère,
Nous devons bien en pénitence,
De ce deuil avoir remembrance.

O très-douce Vierge! où étiez-vous alors ? Que faisiez-vous pendant que le traître Judas veillait si diligemment pour trahir votre Fils chéri ? Il ne m'est pas possible de croire que votre amour ne vous tenait point éveillée pour penser à lui, quand la malice faisait veiller Judas pour le perdre. On peut ici religieusement croire que l'Ange vous fortifiait à cette heure, comme il est dit qu'il fortifiait votre fils. Si l'Ange du Ciel était si doux et si miséricordieux qu'il consolait l'humanité du Sauveur, bien que sa divinité eût suffi pour lui apporter une consolation entière, il est bon de croire, ô Marie! que vous qui aviez plus besoin de consolation, vous ne demeuriez pas seule sans être fortifiée par votre bon Ange, qui vous gardait et vous aimait plus que toutes les créatures, attendu que vous viviez avec les Anges dans la familiarité d'un doux commerce, en raison de votre virginité sans tache qui vous liait si étroitement à Dieu. Leur rôle spécial est de consoler les affligés dans leurs tribulations; et l'Évangile raconte comment Jésus-Christ fut consolé au Désert par les Anges, puis servi et honoré par eux. Là encore, Dieu triomphe , mais comme homme, il s'était senti épouvanté !

Grâces donc vous soient rendues, ô saints Anges du Paradis! pour le zèle que vous avez pour nous et pour notre salut. Combien peu nous nous en montrons reconnaissants!... Souvent même en votre présence, nous commettons des fautes honteuses dont nous ne nous rendrions coupables en présence d'aucun homme, et cependant nul ne peut être comparé à ce que vous êtes en dignité et en grandeur. Que notre ingratitude envers vous est grande, que nous devrions nous trouver heureux de vous honorer!

O Jésus, notre dernière espérance et notre unique consolation, faites que, comme vous, nous soyons trouvés dignes d'être secourus et fortifiés par les bons Anges dans toutes nos tribulations et afflictions, et particulièrement dans notre plus extrême nécessité, la mort dont la certitude nous remplit de crainte, afin que par une vraie pénitence, et l'assiduité à l'oraison, nous conservions le souvenir de vos douleurs et de votre sueur de Sang.

TEXTE TROISIÈME.

Jésus parlait encore quand Judas, l'un des douze, arriva, et, avec lui, une troupe de gens armés d'épées et de bâtons, et qui étaient envoyés par les princes des prêtres. Or, Judas leur avait donné le signal. « Celui que je baiserai est celui que vous cherchez , saisissez-vous-en. » Aussitôt , s'approchant de Jésus, il lui dit : « Je te salue, Maître. » Et il le baisa. Et Jésus lui répondit : « Judas, tu trahis le Fils de l'homme par un baiser! Mon ami, qu'es tu venu faire ici ? » Jésus, sachant toutes les choses qui devaient arriver, ajouta :

« Qui cherchez vous ? » « Jésus de Nazareth, » répondirent-ils. Jésus dit : « C'est moi! » A cette parole ils tombèrent à la renverse. Il les interrogea de nouveau: « Qui demandez-vous? » « Jésus de Nazareth! » « Je vous ai dit que je le suis. Si donc vous venez m'arrêter, laissez ceux ci s'en aller..... » Alors, ils s'approchèrent, et, mettant la main sur lui, ils le lièrent.

EXPOSITION.

Par où commencerai-je, et de quoi aurai je plus sujet de m'étonner? Ou de la détestable iniquité de Judas, qui trahit son maître par un baiser, ou de l'inestimable miséricorde de Jésus qui le reçoit avec bonté, l'appelle son ami, ou bien encore de la maudite obstination de ceux qui se saisissent de Jésus, de leur furieuse malice, en continuant leur œuvre de péché, et en ne se convertissant pas après que le Sauveur leur a donné un tel signe de sa puissance, ou enfin de la patience avec laquelle Notre-Seigneur se laissa prendre, maintenir, lier honteusement, et durement traîner, tandis qu'il priait, par cette troupe de vils sicaires. Comme si lui-même eût été sans pouvoir, il leur disait, en parlant de ses disciples : « Laissez ceux-ci s'en aller ! » O vrai Sauveur du monde, Dieu tout puissant ! ne pouviez-vous, d'une autre manière, garder vos disciples de la main des bourreaux? Fallait-il vous abaisser à les prier de les laisser aller? Certes, vous saviez ce que vous pouviez faire. Vous avez agi ainsi pour confondre notre fol orgueil et notre présomption.

Si vous, Maître et Seigneur, vous vous êtes soumis avec une pareille humilité, n'est-ce pas une chose trop déraisonnable que nous, vos serviteurs, nous voulions toujours exercer notre autorité, et tirer une rude et rigoureuse vengeance des injures que nous recevons, sans garder ni compassion, ni pitié? Ce qui est pis encore, nous abusons de cette humilité de Notre-Seigneur, de sa douceur, à l'exemple de Judas, dont les témoignages de miséricorde et d'amitié de Jésus ne purent amollir le cœur et qui continua son entreprise jusqu'à son achèvement complet. Il me semble que, si nous devons reprocher à Judas son crime, nous ne devons pas moins nous reprocher à nous mêmes nos péchés, semblables au sien en une façon ou en une autre. Judas fut beaucoup avare. Combien n'y en a-t-il pas de tels dans le monde? Judas, par avarice, vendit son maître et son Seigneur quant à l'humanité. Par avarice ou par d'autres péchés nous le vendons chacun de nous selon sa divinité, et le trahissons à notre manière.

Judas vendait les biens des pauvres pour donner à sa femme et à ses enfants. Je vous demande si certains ne sont pas aussi pervers et pires même que Judas, qui ne voulut point se convertir aux prédications de Jésus-Christ. En vérité, c'est horrible de songer à l'excès de misère de la créature humaine ! Que les conseils de Dieu sont terribles pour les hommes! Quel incompréhensible abîme ! Nul ne peut convertir celui que le Seigneur tient en mépris pour ses iniquités. Quel est celui d'entre nous qui ne doive redouter une semblable détresse ? Il n'est point de pécheur qui n'ait désservi Jésus. Songez en outre à ce qui se passa dans le cœur de Judas, quand Jésus lui eut démontré qu'il eût mieux valu pour celui qui le trahirait qu'il ne fût jamais venu au monde.

Néanmoins, malgré cette horrible menace, Judas ne recula point. A vrai dire, il vaudrait mieux n'avoir jamais été que d'être damné ou même de commettre sciemment un péché mortel contre Dieu. On nous dit : « Ceci est un péché, » et néanmoins, souvent, malgré l'autorité de Jésus, avec l'exemple de Judas, nous faisons la sourde oreille, et nous ne tenons aucun compte de l'avertissement. Quelqu'un me demandera peut-être ici pourquoi l'on blâme tant Judas de sa trahison, puisque la puissance divine pouvait l'empêcher de la consommer? Le mystère de la Rédemption alors ne se fût point accompli; aussi, Jésus lui-même dit-il : «Ce que tu dois faire, fais-le au plus tôt. »

Dieu, avec son pouvoir, veut garder l'ordre de sa sapience, par laquelle il laisse à chaque individu, une liberté complète de faire en cette vie le bien ou le  mal, de persévérer dans l'injustice, ou de pratiquer la miséricorde, sans faire tort à personne. Pour retirer Judas du péché, ne devait-il pas suffire de ce que Jésus lui disait et faisait alors avec tant de douceur, comme de lui laver les pieds, de cacher si longtemps, sans la révéler, l'infamie de son cœur, de le garder auprès de lui sans dénoncer rigoureusement son crime? Même quand il lui adresse cette parole : « Ce que tu dois faire, fais-le au plus tôt. » nous n'en devons point conclure que Jésus demande à Judas de le trahir. Il lui parle ainsi afin de provoquer un retour au bien dans l'âme du coupable. Ces mots suffisaient au traître pour lui apprendre que Jésus connaissait sa malice, sa méchante entreprise et tout ce qu'il pensait. Mais cette parole mystérieuse restait un secret pour les apôtres, qui crurent que Judas s'éloignait pour aller acheter quel que chose avec l'argent dont il avait la garde, et non point pour aller vendre son maître.

L'action de Judas qui alla immédiatement traiter avec les chefs des juifs démontre le contraire. Peut être se berçait-il dans cette pensée qu'après avoir livré le doux Sauveur à ses ennemis, comme Pierre il pleurerait sa faute et toujours solliciterait un pardon assuré au vrai repentir. Saint-Jean a pu avoir le secret de ces paroles mystérieuses, lorsque, durant la Cène, reposant sur la poitrine du Christ, et lui ayant demandé quel serait le traître qui le devait trahir, il lui fut répondu : « C'est celui auquel je vais présenter un morceau de pain trempé. » Assurément, saint Jean, sur la poitrine de son bon maître, dut goûter les secrets du paradis qui lui furent alors révélés, et ne furent pas manifestés aux autres apôtres et moins encore à Judas, Dieu voulait ainsi accomplir le mystère de la Passion de son fils.

Mais ce n'était pas le dessein de Judas, lorsqu'il cherchait à le livrer entre les mains de ses ennemis. Seulement Dieu a fait tourner en bien le crime de ce traître, comme il le fait toujours. C'est ainsi encore que de la mauvaise volonté des tyrans, il en tire un avantage pour le salut et la gloire des martyrs qui en sont les victimes, quoi qu'il n'oublie jamais de punir les méchants qui les opprimaient. Il sait, par sa sagesse infinie, faire surgir le bien de la perversité des impies, qui persécutent la religion et ceux qui la pratiquent. Prions donc, et disons : Très-doux Jésus, victorieux de vos ennemis, pour nous rendre les heureux captifs de votre divine miséricorde, vous avez volontiers accepté toutes les ignominies que vous firent souffrir ces mêmes ennemis qui vous lièrent comme un malfaiteur après que vous leur eûtes été livré. Pardonnez-nous nos péchés et recevez nous dans votre grâce. Brisez les liens de nos iniquités, de crainte qu'ils ne nous entraînent dans l'amour de ce monde et de là dans l'abîme infernal. Faites que nous méritions cette grâce par le moyen d'une vraie pénitence et par le souvenir continuel de votre ignominieuse captivité.


TEXTE QUATRIÈME.

Ce que voyant ceux qui étaient avec lui, ils lui dirent: « Seigneur frapperons nous du glaive ? » Alors Simon Pierre qui avait une épée la tira, en frappa un serviteur du grand prêtre qui s'appelait Malchus, et lui coupa l'oreille droite. Mais Jésus dit à Pierre : « Ne boirais-je pas le calice que m'a donné mon Père ? Remettez votre épée dans le fourreau. Car tous ceux qui se serviront du glaive périront par le glaive. Pensez-vous que je ne puisse pas prier mon Père, et qu'il ne m'enverrait pas aussitôt plus de douze légions d'anges. Comment donc s'accompliraient les Écritures, qui disent que les choses doivent arriver ainsi ? Laissez-les là. » Et lui ayant touché l'oreille, il le guérit. En ce moment Jésus dit à la foule : «Vous êtes venus ici avec des glaives et des bâtons pour me prendre; j'étais tous les jours assis au milieu de vous, enseignant dans le temple, et vous ne m'avez pas pris. Mais c'est ici l'heure de la puissance des ténèbres. » Alors tous les disciples le laissèrent et s'enfuirent. Les soldats donc saisirent Jésus et le menèrent d'abord chez Anne. Il était le beau-père de Caïphe, qui était pontife cette année là. Ce Caïphe était celui qui avait fait entendre aux Juifs dans leur conseil, qu'il était expédient qu'un homme mourût pour la nation.

EXPOSITION.

O Vierge Marie ! O mère très-digne et très-glorieuse, mais aujourd'hui désolée, où s'en va votre doux fils, lié comme un larron ou un meurtrier? Il s'en va seul! Tout le monde l'abandonne en son affliction. Hélas! que dis-je : il s'en va ! Non, il ne s'en va point seul, à proprement parler; on l'entraîne, on le tire, on le fait trébucher. Il n'est pas seul; une foule d'hommes d'armes, de bourreaux l'environne, animée autant par une perversité intime que poussée par l'injustice de Pilate. Tu crois bien, vile bande de larrons, que ta force seule tient Jésus prisonnier ? Et cependant il n'y a qu'un moment, un seul signe de ses yeux suffisait pour qu'il  t'échappât et te frappât de mort ou entr'ouvrît la terre afin qu'elle te dévorât.

N'a-t il point donné déjà de semblables preuves de sa puissance, quand il échappa aux mains de ceux qui voulaient le lapider. Et pourtant tu te glorifies de ta maudite malice, armée de voleurs et de bourreaux! Maintenant, te dis-tu, Jésus ne nous échappera pas. Et parmi les soldats, les uns le frappaient du pied, les autres du genou; on lui tirait les cheveux, la barbe, en lui disant : « Oh! nous vous tenons, Maître, et pour être délivré, il vous faudra parler avec une grande éloquence. » Allumez les torches, ajoutaient-ils en s'adressant aux porteurs de lanternes, voyez comme il a l'air piteux ! En prononçant ces mots, peut-être la flamme des brandons brûlait-elle la belle et glorieuse face de Jésus, ou le suif ardent des falots dégouttait-il sur ses beaux cheveux !

O sainte Mère! Où est la douce nourriture que vous prépariez à votre Fils béni? Où sont les chastes baisers et les dévots embrassements que vous lui prodiguiez ?. Est ce donc là le glorieux cortège qui l'accompagna le jour de Pâque fleurie (Dimanche des Rameaux)? Il tombe à cette même place, non point malgré lui et par nécessité, mais par sa propre humilité, afin de nous ôter notre présomption, de nous délivrer à jamais des liens du péché, et de la prison de l'esclavage de Satan, et afin que nous fussions plus ardents à l'aimer, nous y trouvant forcés par la reconnaissance. Parlons un peu des bénis Anges,lesquels, dit Jésus Christ, son Père, à sa prière, lui en enverrait plus de douze légions.

Une légion contient plus de six mille soldats. Donc qu'elle est la puissance d'une telle multitude d'Anges? Il faut bien savoir que si la volonté de Jésus et sa sage ordonnance n'eût empêché ces Anges, incontinent, pour l'honneur et la révérence qu'ils lui portaient, ils eussent confondu cette vile compagnie tout d'un coup. Mais ils attendirent paisiblement pour obéir à leur Maître, et parce que, par aventure, il y en avait là qui devaient être Sauvés. C'est ainsi que chaque jour ils attendent notre conversion et notre amendement, nous qui faisons à Dieu de tels outrages, comme aussi à eux tous, car ils sont miséricordieux comme Jésus leur père et le nôtre.

C'est donc pour nous tous que Jésus est ainsi durement et honteusement traîné. De quel deuil ce souvenir doit remplir notre cœur! O Jésus, Sauveur de l'univers, douce et merveilleuse est votre puissance dans tout ce qui nous arrive ! Quelque subtils que soient nos ennemis infernaux, ils ne savent que penser, car il semble que votre toute puissance et votre divinité s'effacent et sont remplacées par une impuissance et une faiblesse absolue. La façon dont on vous a pris et entraîné ne le prouve-t-elle pas? Non, pourtant ; la vertu de votre divinité se montrait dans la guérison de l'oreille coupée, et dans la chute soudaine et foudroyante de ceux qui maintenant vous tiennent captifs, et comme malgré vous. Le trouble inquiet des ennemis de Jésus les portait à lui adresser diverses questions, afin de connaître sa véritable nature, et d'apprendre enfin s'il était Dieu ou homme, car ils ne pouvaient croire qu'il fût Dieu et homme tout ensemble.

Quand Jésus redoutait la mort, qu'il pleurait, gémissait, et qu'ensuite on le traînait ignominieusement, Satan ( un prince des anges déchus) disait : « Non, ce n'est point un Dieu! Jamais un Dieu ne saurait être réduit à un pareil abaissement. » Quand, au contraire, il considère les œuvres merveilleuses et les miracles du Sauveur : « Certes, disait-il, ceci est d'un Dieu et non pas d'un homme. » Mille et mille fois, Satan eut ce doute, et discuta ainsi en lui-même. C'est pour cela qu'il le tenta dans le désert. Il ne demeura convaincu de sa puissance et de sa divinité qu'après sa mort, quand le Christ emmena les pères de l'ancienne loi ( Ancien Testament) des limbes où ils étaient. O toi qui possèdes un cœur facile à émouvoir, pieux et dévot, mets à présent devant les yeux de ta pensée, le divin Sauveur enchaîné pour l'amour de toi.

A son exemple, lie tes membres à son service par les liens de ses commandements, et romps enfin ceux du péché. Entretenons-nous un peu des doux Anges dont, dit Jésus à saint Pierre, son Père pourrait lui envoyer plus de douze légions. Quelle est la puissance d'une pareille multitude !. Quand un ange tua dans une nuit quatre-vingt-dix mille hommes, ( des armées d`Assyrie qui assiégeaient Jérusalem) nous devons croire que si la volonté de Jésus n'eût point empêché de se manifester l'amour que lui porte cette milice céleste, que les Anges auraient dispersé les soldats ; il s'en trouvait qui devaient être sauvés. Ces mêmes Anges attendent chaque jour notre conversion, à nous, pécheurs, qui nous montrons pleins d'irrévérence Pour Dieu et pour eux.

Les Anges sont miséricordieux comme leur Maître! Songez aussi à la douleur que ressentaient les Apôtres. Avant que Jésus répondit aux soldats, saint Pierre, comme plus ardent que ses compagnons, tira son épée et manqua de fendre la tête de Malchus. Il ne lui trancha que l'oreille, et Jésus la guérit. Quelques-uns disent que ce miracle convertit Malchus, et que sa guérison spirituelle suivit sa guérison corporelle. Au surplus, la miséricorde de Notre Seigneur éclate dans la réponse qu'il fit à saint Pierre. L'épée qu'il tira était une de celles dont les Apôtres dirent : « Voici deux épées. » Et Jésus ajouta que c'était assez! Ce qui signifie, selon les docteurs, que la puissance spirituelle était le partage de saint Pierre et de la sainte Église, et que l'épée temporelle qui sert à l'exécution corporelle est aux princes séculiers, et doit être employée pour la justice et non pas pour une volonté particulière et une vengeance personnelle.

Car celui qui en tue un autre par haine périra par le glaive, selon la parole de Notre Seigneur. Mais, hélas! quel triste abandon fut le vôtre, saints disciples de Jésus! Quelle est la langue capable d'expliquer votre douleur, au moment où vous n'osez adresser vos adieux à votre Maître? Je sais que depuis vous réparâtes cette fuite en souffrant le martyre avec constance. Nous pouvons au plus penser que saint Jean l’Évangéliste s'en alla, en quittant Jésus, au lieu où se trouvait alors Notre Dame, la douce Mère au cœur rempli d'angoisses. Quand il eut laissé Jésus au milieu des soldats, Jean alla chercher son manteau, et revint ainsi que nous le raconterons plus tard. Représentez vous pieusement et sans efforts, Jean, le plus jeune des apôtres,  heurtant à la porte de Marie, et se faisant reconnaître.

Quand il fut entré dans la maison, tous ceux qui y étaient demandèrent d'où venait sa tristesse, sa fuite et pourquoi il était sans manteau? Notre-Dame devina tout de suite ce qui venait d'arriver, et put parler ainsi : « Hélas! il est pris, mon doux et bien aimé Fils!. la prophétie est accomplie, le Pasteur est frappé, et les brebis sont dispersées. Jean, où sont les autres?... » Puis, se tournant vers Marie-Madeleine : «Hélas! il est prisonnier, l'aimable et innocent Sauveur, ton doux Maître, ô Marie Madeleine! Il s'en va, c'en est fait, il recevra la mort la plus amère, la plus ignominieuse. S'il n'en est pas ainsi, Jean, que ne parles-tu? Que ne nous éclaires tu?... » - - Pardonnez-moi, ô Sainte Mère de mon Maître! répondit l'Apôtre en poussant de profonds soupirs. L'horreur des faits qui viennent de se passer est telle, la frayeur que j'en ai ressentie est si grande que je puis à peine respirer. Jésus est pris, traîtreusement et cruellement pris; on l’entraîne, on le maltraite, on le frappe. Mais qu'attends-je davantage? Donnez moi vite un manteau?Je retournerai vers lui ! Vous demeurerez ici jusqu'au jour, ô Marie! car la nuit, vous ne sauriez vous aventurer dans la ville avec vos compagnes. » Suppléez au reste, âmes dévotes ! Si vous avez jamais compris ce qu'est l'amour d'une mère pour l'enfant de ses entrailles, songez aux plaintes, aux sanglots, aux clameurs qui furent poussés par Notre-Dame et par les autres Maries qui plus tard assistaient au crucifiement. Qu'il y aurait de paroles à dire pour expliquer tout ceci!

Terminons par cette prière. O Jésus, vrai Pasteur, qui avez le pouvoir d'éloigner de notre cœur tout pervers désir, préservez-nous de tout péché mortel, et unissez-nous entièrement à vous, accordez-nous aussi la bonne patience, l'intègre pénitence, afin que nous ne perdions jamais le souvenir de votre captivité.


TEXTE CINQUIÈME.

Un certain jeune homme le suivait n'ayant sur lui qu'un linceul, et ils le retinrent. Lui, jeta son linceul et prit la fuite; saint Pierre qui le suivait de loin, et l'autre disciple, suivirent Jésus jusqu'à la cour du prince des prêtres. Le disciple connaissait quelqu'un dans cette maison, et il y entra à la suite de Jésus. Pierre resta à la porte, en dehors. L'autre disciple, celui qui était connu de la servante, la pria de laisser entrer Pierre, et quand elle le vit, elle le regarda, et lui dit : « N'êtes-vous pas des disciples de cet homme? » Et Pierre répondit à la femme : « Je ne connais point cet homme! Je ne sais ce que tu veux dire. »Vers minuit, les serviteurs étaient rassemblés près du feu, car il faisait froid, et Pierre était avec eux qui se chauffait et attendait la fin.

EXPOSITION.

La présomption de saint Pierre se trouve ici grandement humiliée. Il était la clé et le fondement de la Sainte Église, l'élu de Dieu. Et lui, qui se croyait si affermi dans la foi et dans l'amour de son Maître, renia Dieu à la voix d'une femme, d'une servante ! Quelle doit être notre faiblesse à nous! O incomparable hauteur des jugements de Dieu, qui ne vous redouterait? O homme, tu es aujourd'hui bon et juste, selon la pensée de tes amis. Tu honores Dieu; pour rien au monde tu ne consentirais à pécher. Ta conscience te répète que tu n'es coupable d'aucun péché mortel. Ceci supposé, garde-toi de te prévaloir follement de ta vertu; demeure en crainte, et conserve une frayeur salutaire. Tu ignores si tu es tel aux yeux de la divine Providence, que tu sembles au regard des hommes. Si ta conscience est pure même, tu ne sais du moins si demain tu ne pécheras pas. Regarde saint Pierre! Qui aurait cru que lui, rempli de tant de confiance et d'amour, fût tombé dans un pareil oubli et une semblable faute? Celui qui aurait vu le larron, lequel n'avait jamais été dans la compagnie de Jésus, et qui était voleur de profession, pourrait comprendre comment il pouvait encore en espérer son salut, et que ce malheureux aurait connu et confessé Jésus-Christ, tandis que maintenant saint Pierre le renia.

Il n'est rien de plus sûr, il n'existe pas de meilleure chose que de demeurer toujours dans une bonne humilité, en attendant l'effusion de la miséricorde de Dieu, sans se glorifier de ses propres mérites et sans juger follement autrui en s'estimant meilleur que lui devant le Seigneur, ou du moins en se regardant comme plus assuré de son salut éternel. Homme, quand tu vois un pécheur, quelque pervers et perdu qu'il te semble, soupire en ton cœur, prends compassion de lui et de toi, et dis à Dieu: «Vous êtes, Seigneur, infiniment riche en miséricordes, vous pouvez en un moment, relever votre pauvre créature de la honte du péché et la faire asseoir sur un trône dans la gloire, comme on le voit par l'exemple du bon larron, et par mille autres. »

Si vous voyez également une femme dévote et religieuse à votre avis et d'après celui du monde, glorifiez Dieu en disant : « Gardez ici, Seigneur, les dons que vous y avez amassés; car, de lui-même, le vaisseau est faible et fragile, ne le laissez pas sans avirons et sans agrès. C'est un - beau navire, mais il vogue sur une mer orageuse, pleine de gouffres, de périls et de tempêtes. C'est pourquoi, Seigneur, si vous ne la maintenez, la barque périra et sera détruite. » Vous devez tenir un pareil langage si vous considérez votre état, soit que vous vous trouviez en état de grâce, soit que vous vous trouviez en état de péché. Cette doctrine est aussi contre ceux qui méprisent les petites choses, et qui après une mûre délibération ayant commencé de bonnes œuvres soit par la profession religieuse, soit par des vœux particuliers qu'ils ont fait, les négligent.

Considérons maintenant quelle douleur eût éprouvée Notre-Dame, si elle avait entendu saint Pierre renier son doux fils; et, en même temps avec quelle compassion et quelle bénignité elle l'eût repris de sa faute, sans le maudire avec une indignation pleine de colère. Voilà la distance qui sépare les justes des hypocrites. Les hypocrites reprennent les fautes des autres avec indignation; les justes le font avec compassion. Autant les justes se montrent à l'extérieur sévères dans leurs appréhensions, autant sont-ils à l'intérieur touché de mansuétude et d'affection pour les coupables? Sans doute saint Jean le premier put entendre saint Pierre renier son bon maître et il dut aussi l'avertir de sa faute pour le rappeler à la pénitence. Ce que semble représenter le texte qui dit que Pierre sortit dehors pour pleurer son péché.

Quant à ce qui est dit de ce jeune homme qui laissa son vêtement et s'enfuit, nous devons en conclure que si la possession des biens de ce monde et de quoi que ce puisse être nous est un empêchement au salut, en ce que nous en sommes retenus comme par autant de lacets, il faut que nous en fassions généreusement le sacrifice, car il vaut mieux les perdre tous et même la vie du corps que de s'exposer à perdre sa pauvre âme pour l'éternité.

Gardons-nous de jamais ressembler à saint Pierre dans cette occasion. Une femme le fit renier son doux Maître ! Cette femme, c'est notre sensualité, qui nous porte souvent à délaisser Jésus, les bonnes œuvres et la parole de Dieu pour de coupables plaisirs. Remarquez que tant que saint Pierre se tint auprès de Jésus il demeura ferme, mais qu'aussitôt qu'il s'éloigna de lui pour se mêler avec des valets, il tomba! C'est que la mauvaise société nous a bientôt séduits, Ne vous étonnez pas que Pierre se chauffât avec ces gens, car son cœur était bien refroidi par la crainte, et la tristesse l'avait plus gelé qu'elle n'avait gelé son corps. C'est pourquoi humilions-nous dans l'oraison et disons : Protégez-nous, Seigneur, contre l'esclavage de nos pervers ennemis, et qu'aucun d'eux ne puisse jamais nous arracher un acte de trahison, soit de fait, soit de parole. Mais plutôt que par esprit de pénitence nous conservions continuellement le souvenir de vos douleurs.


TEXTE SIXIÈME.

Le pontife ayant interrogé Jésus sur ses disciples et sa doctrine, Jésus répondit : « Faites appel au monde, j'ai toujours enseigné au temple et dans la synagogue où tous les Juifs se réunissaient, et je n'ai jamais rien enseigné en secret. Que me demandes-tu ? Interroge ceux qui m'ont entendu, ils savent quelles choses j'ai dites. » Quand Jésus eût parlé ainsi, un des soldats lui donna un soufflet, en lui disant: « Est-ce ainsi que l'on répond au grand-prêtre?» Jésus lui répondit : «Si j'ai mal parlé, rends-en témoignage. Si j'ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu?» Et Anne l'envoya à Caïphe qui était grand-prêtre. Et Simon Pierre était assis près du feu au dehors, et qui se chauffait.

Aussitôt arriva une autre servante qui, l'ayant aperçu, commença à dire à ceux qui l'environnaient: « Celui-ci est aussi avec Jésus le Nazaréen. » Et peu après, ceux-là qui étaient présents, s'approchèrent et dirent à Pierre : « Tu es vraiment l'un de ses disciples ; ton langage le fait assez connaître. » Et il commença à nier, en jurant qu'il ne connaissait pas cet homme. Et durant cet intervalle, comme d'une heure, un des serviteurs du pontife, parent de celui à qui Pierre avait coupé l'oreille, dit : « Vraiment celui-ci était avec eux, car il est galiléen, ne l'ai je point vu avec lui dans le jardin ?» Alors Pierre commença à déclamer et à anathématiser, et à jurer qu'il ne connaissait point cet homme de qui il parlait.

Et tout aussitôt le coq chanta. Et Jésus s'étant retourné il regarda Pierre, et Pierre se souvint alors de la parole que lui avait dite Jésus : Avant que le coq ait chanté tu me renieras trois fois aujourd'hui. Et étant sorti dehors, il pleura amèrement.

EXPOSITION.

Âmes dévotes, vous avez entendu la représentation que Jésus-Christ adressa à Anne, et sa réponse pleine de sagesse. Le Sauveur se regardait comme tellement certain de l'excellence de sa prédication, qu'il en appelait même au témoignage de ses adversaires. Il est vrai qu'il avait prêché et exposé en particulier plusieurs paraboles à ses disciples, mais elles étaient conformes à sa doctrine publique et devaient être publiées et expliquées plus tard. - Caïphe se retourne vers un valet qui frappe Jésus à la joue en lui disant : « Est ce ainsi que tu réponds au grand prêtre ?» Et maintenant, âme dévotes, que doit faire le Créateur et le bienfaiteur du monde? Doit-il souffrir une telle injure sans se venger ? Pourquoi la terre ne s'entr'ouvre-t-elle pas? Pourquoi le feu du Ciel ne tombe-t-il pas pour anéantir ce soldat impie? Homme au cœur impatient et gonflé, qui ne peux souffrir une parole dure sans te sentir soudainement ému, tu rougis, tu menaces ou tu frappes, ou tu jettes et brises ce que tu tiens. Tu te repens de n'avoir pas parlé ou fait davantage, ou tu te glorifies de la vengeance que tu as tirée d'un outrage, comme si tu avais accompli une grande action. Considère ici le Roi des rois. Il reçoit une grossière injure d'un valet, dans un lieu public, sur sa face glorieuse que les Anges contemplent!

A Dieu s'en va par mort amère,
Jésus voyant sa douce Mère,
Nous devons bien en pénitence,
De ce deuil avoir remembrance.

Jésus se contente de donner la raison de ses paroles, et il oppose une sage réponse à cet acte injurieux. Toutefois la parole du Sauveur resta sans effet, car Anne le renvoya lié à Caïphe, comme s'il le trouvait digne de mort. C'est chez Caïphe que j'entends Pierre renier Jésus pour la seconde fois, et plus fortement que la première, par cette raison qu'un péché qui n'est point effacé par la pénitence, contient le germe d'un autre. Quiconque considère comment Pierre renia Jésus Christ, ne doit point maintenant s'arrêter à cette rechute, mais songer à la manière dont l'apôtre se repentit. Il se retira dans une Caverne nommée « Gallicantus, » champ du coq. Car il n'osa plus depuis voir son maître, ni paraître devant lui, ni se réunir aux autres Apôtres. Quand le coq chante, Jésus regarde Pierre ; Pierre sort et pleure amèrement.

Je dis que le coq chante toutes les fois qu'un salutaire conseil ou une bonne prédication nous est adressée. Mais le chant du coq ne suffit point si le regard de Jésus-Christ manque. Ce regard est sa douce inspiration qui pénètre le cœur du pécheur et l'invite à gémir, à pleurer et à se repentir. Ce regard de Jésus-Christ ne suffit pas à l'extérieur s'il ne regarde en même temps le cœur. Ceci apparut en Judas que non-seulement Jésus-Christ regarda, mais baisa en lui rendant le salut. Celui qui est vraiment repentant après ce regard se tient éloigné de toute occasion de péché, et c'est ce que ne font pas ceux qui demeurent toujours dans leurs mauvais propos.

Un grand pécheur public peut être prêcheur de la vérité, mais ce ne peut être qu'après une âpre et publique pénitence, non autrement. Vous voyez saint Pierre qui d'abord pécha, et puis après, prêcha et gouverna la sainte Église. Mais aussi ce fut après une douloureuse pénitence. Et il en est ainsi, ô saint Pierre, glorieux Pasteur de l’Église, Porte-clé du Ciel (clarconnier), il en est ainsi et afin que vous puissiez avoir compassion de vos petits-fils et sujets, Dieu a permis que vous éprouviez vous-même quelle est notre fragilité humaine, inclinée à tant de mauvais péchés. Nous vous supplions et conjurons par cette miséricorde que Dieu vous fit quand il vous daigna regarder et convertir, que vous veuilliez impétrer un tel don et une telle grâce sur nous tous. Et vous, doux Jésus, vrai Sauveur et  Rédempteur de tout le monde, regardez miséricordieusement vos peuples quels que soient leur âge et leur sexe. Regardez-les à présent du même regard que celui pour saint Pierre, et faites qu'ils aient un repentir perpétuel de leurs péchés.


Dernière édition par MichelT le Mer 20 Mar 2024 - 13:13, édité 1 fois

MichelT

Date d'inscription : 06/02/2010

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LA PASSION DE NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST ET LA COMPASSION DE LA VIERGE MARIE - par Jean Gerson - (1363 – 1429) Empty Re: LA PASSION DE NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST ET LA COMPASSION DE LA VIERGE MARIE - par Jean Gerson - (1363 – 1429)

Message par MichelT Jeu 20 Avr 2023 - 17:48

TEXTE SEPTIÈME.

Quand vint le matin, tous les princes des prêtres avec les anciens du peuple se réunirent et tinrent conseil, cherchant de faux témoignages contre Jésus, afin de le livrer à mort ; et ils n'en purent trouver. Plusieurs faux témoins se présentèrent cependant, mais leur déposition fut insuffisante. A la fin, il vint deux faux témoins qui firent cette déposition : « Nous lui avons entendu-dire : Je puis détruire le temple de Dieu et le rebâtir en trois jours. »

Le prêtre de la Loi se leva et interrogea Jésus, en lui demandant · « Ne réponds tu rien à ce qu'ils déposent contre toi? » Et Jésus se taisait ! Le pontife l'ayant interrogé de nouveau lui dit : « Je t'adjure, par le Dieu vivant, que tu nous dises si tu es le Christ, le Fils du Dieu béni. » Jésus lui repartit : « Tu l'as dit ! » Et il dit à tous : «Si je vous dis la vérité, vous ne me croyez point; que si je vous interroge vous ne me répondez pas, ni me laissez point aller. En vérité, je vous le dis, bientôt vous verrez le Fils de l'homme assis à la droite de la vertu de Dieu, qui viendra sur les nuées du ciel. » Alors le prince des prêtres déchira son vêtement, disant : « Il a blasphémé, pourquoi donc chercherions-nous d'autres témoignages. Voici que vous venez d'entendre le blasphème sortir de sa bouche; que vous semble-t-il? » Ils répondirent: « Il mérite la mort. » Aussitôt on lui cracha au visage, et ceux qui le tenaient se moquaient de lui en le frappant. Et, lui ayant bandé les yeux, ils lui donnaient les uns des coups de poing, et les autres des soufflets, en lui disant : « Christ, prophétise nous, qui est celui qui t'a frappé?» Et ils disaient encore beaucoup de choses, en blasphémant contre lui.

EXPOSITION.

Vous souhaitez de bien apprendre, ô âmes dévotes ! où se trouvait la Mère désolée de Jésus-Christ pendant ces scènes d'outrages, et les insultes que l'on prodiguait à son bien-aimé Fils. Quoique je n'aie point de relation certaine de ce qui arriva, je me servirai de conjectures, sans rien affirmer avec présomption, et dans le seul but d'émouvoir vos cœurs par une tendre dévotion. Hélas donc! ou étiez-vous, ô belle Dame et douce Mère, où étiez-vous pendant cette douloureuse matinée?.... N'aviez vous point déjà entendu le grand bruit qui se répandait dans la cité de Jérusalem, à cause de la prise de votre béni Fils ? Nous devons penser que vous connaissiez cette nouvelle, car la capture de Jésus fut d'autant plus vite répandue et divulguée que chacun en parlait, les uns avec compassion, les autres pour apprendre des détails, la plupart pour en faire un sujet de dérision et de moquerie.

Il est pris, disait l'un, il ne vous blâmera plus. Qu'y a-t-il ? demandaient ceux qui ignoraient encore ce qui s'accomplissait. C'est le faux prophète, disait un interlocuteur. C'est Jésus de Nazareth ! ajoutait un voisin, il est vendu et amené par ceux mêmes qui, jadis, l'ont aimé et honoré. C'est ainsi que s'entretient le peuple  quand un homme tombe de la prospérité dans l'infortune, ou subit une condamnation même injustement prononcée. Et ils ajoutaient : Je prévoyais bien tout ceci ; je disais bien que cela finirait mal. Croyez bien que jamais ce prophète ne m'a plu. Il est arrivé où il devait venir. Il me semble que l'on peut supposer que la commotion qui soulevait toute la ville, parvint bientôt à la connaissance de Notre-Dame, soit par une relation de saint Jean, soit par des nouvelles apportées par d'autres personnes qui connaissaient Marie et qui l'aimaient, car il n'était aucune bonne créature, la connaissant, qui ne l'aimât, ne l'estimât, ne l'honorât pour la grande bienveillance qui brillait en elle, pour son maintien rempli de grâce et pour sa douceur. Plusieurs personnes venaient à elle, successivement, par hasard, le dernier répétait ce que le premier avait déjà dit.

Et vous, Mère au cœur dévoré d'angoisses, vous les écoutiez doucement, patiemment, comme il appartenait à une femme aussi élevée que vous en dignité et en Vertu. Nous devons croire que vous consoliez plus spécialement quelques-unes de ces personnes, surtout Marie-Madeleine et les disciples. Nul ne vous fortifiait, et vous commenciez déjà à réconforter les découragés. Pourtant, ne sentiez-vous point intérieurement les griffes acérées de la douleur, qui déchirait votre doux cœur maternel? Vous vous informiez avec empressement de ce qu'on faisait, comment on le faisait. Quand saint Jean vit que Jésus Christ était mené de Anne à Caïphe, vers minuit, et que saint Pierre avait renié son maître trois fois, il retourna dans votre demeure, ô triste Mère ! et vous le gardâtes avec vous dans votre maison, jusqu'à ce que parut la clarté du jour.

Au matin, vous sortîtes accompagnée des saintes femmes, vêtue de deuil; vous allâtes jusqu'à la demeure de Caïphe, dans laquelle était logé et emprisonné votre glorieux Fils. En passant par certaines rues, vous regardâtes venir ceux qui faisaient diligence et donnaient des signes de grande joie. Ils se réjouissaient, de ce qu'ils tenaient sous les verroux et à leur merci votre Fils innocent. On s'apercevait à leur plaisir et à leur maintien qu'ils espéraient le voir condamner et le soumettre à une mort cruelle. Quand ils furent presque tous réunis, ils demandèrent où était le faux prophète Jésus. Caïphe le fit amener, et les bourreaux furent bientôt prêts. Ceux qui l'avaient gardé depuis minuit l'avaient accablé d'injures, de reproches et de vilenies. Et le doux Jésus restait là, seul, sans aide, sans consolation, sans personne qui l'aimât. Il est ici une chose triste et dure que nous devons considérer : le Roi des rois est honteusement emprisonné pour nous délivrer de l'enfer, nous affranchir et nous rendre libres ! D'autres soldats se joignirent aux premiers, et se mirent à crier avec dérision : Jésus ! Maître, debout! Il vous faut venir, le grand-prêtre vous appelle, votre fin approche. On saura maintenant quel est votre royaume.

En l'insultant ainsi, ils le maltraitaient et lui crachaient au visage. On le ramena devant le siège de Caïphe. Alors s'accomplit ce que mentionne le texte de l’Évangile. On cherchait de faux témoins et on n'en trouvait point. Ce n'était point par esprit de justice qu'on les cherchait, mais afin de couvrir la méchanceté et la haine d'un manteau d'hypocrisie. Jésus ne répondit rien aux faussetés accumulées contre lui. Alors Caïphe s'efforça de le prendre par ses propres paroles et l'adjura de répondre au nom de Dieu. Jésus voulut faire honneur à son Père. Il confessa sa puissance et annonça sa dernière venue au jour du jugement, au milieu de sa gloire et de sa puissance.

Caïphe s'écrie : « Il a blasphémé! » Et il ajoute : « Que vous en semble ? » On le condamna comme ayant mérité la mort, puis on le tourna en dérision, et on le couvrit de crachats. Je pense, Vierge et Mère de douleurs, que vous pouviez entendre de loin ce tumulte mêlé au bruit des trompettes. Ce vous était une grande douleur, car jamais vous n'aviez vu un si cruel et si bruyant débat. Livrons-le à la mort! disaient ses ennemis! Gardons-nous, gardons-nous de le laisser vivre ! En parlant de la sorte ils se jouaient de lui comme d'un insensé. O patience inestimable de Dieu! ô incroyable malice de l'espèce humaine! ô Seigneur ! à quel abaissement est descendue votre divine majesté! En quelle obscurité est tombée votre gloire ! Hélas ! dans quel aveuglement, dans quelle ignorance, à quelle iniquité est réduite la nature humaine, quand elle se montre ainsi furieuse contre vous, son Bienfaiteur, son Père, son Maître! contre vous son Dieu et son Souverain Juge! Mais c'est ainsi que la dette d'orgueil d'Adam et d'Ève est acquittée par la souveraine humilité. Et c'est ici qu'éclate le mystère de notre Rédemption !

Hélas! combien souvent notre perverse iniquité nous a fait désobéir à Dieu ! Ce qui certes, n'est point un petit mal, mais une grande faute, considérée surtout par rapport à lui, puisqu'alors nous repoussons la grâce qu'il nous fait, nous vils et indignes, de pouvoir l'aimer, le louer et l'honorer. Il est méprisé par les diverses et abominables immondicités des pécheurs, qui semblent le traiter encore d'insensé lorsqu'ils méprisent sa Loi. Nous devons avoir horreur de telles gens, quand ils agissent ainsi en notre présence, mais aussi les porter au repentir afin qu'ils ne tournent plus notre Dieu en dérision. Ceux-là donc qui agissent ainsi, qui croient pouvoir éviter le jugement de Dieu, en faussant sa loi et les promesses des prophètes, qu'ils sachent qu'ils soufflètent le Christ, lui crachent au visage, et même le crucifient. Pour nous, m'en agissons pas ainsi; mais convertissons nous au Seigneur et prions-le, en disant : Jésus, vrai Dieu dans votre humanité et souverain Juge du monde, pour que nous Soyons délivrés et sauvés dans votre dernier jugement, vous avez voulu être faussement accusé, jugé et condamné. Préservez-nous de tout jugement mauvais et de toute condamnation injuste soit des hommes, soit des ennemis du salut, ou faites que nous méprisions leurs jugements et leurs condamnations plutôt que vous qui les auriez permis; que les acceptant par esprit de pénitence, nous puissions conserver le souvenir de votre douloureuse mort.


TEXTE HUITIÈME.

Ils menèrent Jésus lié au prétoire, c'est à-dire à la cour de Pilate ; et ils n'entrèrent point dans le prétoire afin de ne pas devenir souillés et impurs, et de pouvoir manger la Pâque. Alors Judas qui l'avait trahi, le voyant condamné, fut touché de repentir et reporta les trente deniers aux princes des prêtres et aux anciens du peuple, leur disant: « J'ai péché en vendant le sang innocent. » Et après avoir jeté les trente deniers d'argent dans le temple, il partit et alla se pendre avec un lacet. Mais les princes des prêtres ayant pris l'argent, dirent : « ll n'est pas permis de le mettre dans le trésor, parce que c'est le prix du sang. » Et ayant délibéré là-dessus, ils en achetèrent le champ d'un potier, pour la sépulture des étrangers. C'est pourquoi ce champ est encore appelé Haceldama, c'est-à-dire le champ du sang. Ainsi fut accomplie cette parole du prophète Jérémie (ou plutôt du prophète Zacharie). « Ils ont reçu les trente pièces d'argent qui étaient le prix de celui qui a été mis à prix, et dont ils avaient fait le marché avec les enfants d'Israël. » (Zacharie 11,12)

EXPOSITION.

A Dieu Jésus s'en va! Il est livré à une mort cruelle. ll est suivi et vu de sa douce Mère! Et personne ne devine et ne sent dans son cœur quelle fut alors votre angoisse, ô Mère très-affligée !.. J'arrive à l'histoire de Judas. Judas eut le cœur dur et pervers, comme nous l'avons dit, et bien plus encore. Néanmoins,quand il vit que son bon maître, qui était si doux, s bénin, si humble de cœur, était livré à Pilate; quand il le vit condamné, et qu'il fut aussi témoin, ô tendre Marie ! De votre douleur; quand il se trouva en votre présence, ô Notre-Dame ! qui l'aviez tant aimé, supporté et estimé; quand il revit Jean et Marie-Madeleine, il fut rempli d'un tel deuil, éprouva une honte si désespérée, et se sentit tant d'indignation contre lui-même qu'il se pendit. Il ne se crut pas digne d'être porté par la terre. Il ne pensa point qu'il put jamais obtenir son pardon. Cependant, Judas, tu fis mal de désespérer ainsi de la miséricorde infinie de Dieu et de sa douce Mère. Je ne parle pas de ton fait pour l'approuver, loin de là, mais pour montrer que ton repentir fut tel. Si le regret de ton cœur fut grand quand tu appris que notre bon Maître Jésus était ainsi livré et condamné, combien le cœur de Notre-Dame, ce coeur tendre, triste et amoureux, fut-il rempli d'angoisse, ainsi que les cœurs religieux des disciples et des autres gens dévots. Car il y a plusieurs sortes de pénitence, et Judas se repentit de son péché. Pœnitentia ductus. Il confessa d'abord son péché devenu public. Il rendit ce qu'il avait mal acquis, c'est-à-dire les trente deniers. Mais il fit mal en ce qu'il se pendit et désespéra de la miséricorde de Dieu. Il me semble que son désespoir fut un effet de la mauvaise réponse des Juifs, car ils ne lui répondirent ni ne le reçurent point avec bienveillance, mais lui dirent quand il eut confessé son péché et sa faute: « Que nous importe? Regarde ce que tu as fait, nous n'y sommes pas engagés. » Ceci doit être proposé pour exemple aux confesseurs et aux ministres de l’Église. Ils ne doivent jamais rudoyer par leurs paroles ceux qui se confessent à eux. Au moins qu'ils ne les laissent pas partir sans leur avoir donné quelque courage et quelque espoir. J'en considère d'autres qui, dans leur malice, sont opposés à Judas, car ils pèchent en comptant sur la miséricorde de Dieu, mais c'est sans repentir ni confiance, ni restitution. Aussi ils pèchent toujours plus, de la manière que fit Judas. De sorte, qu'ils s'en iront avec lui s'ils ne s'amendent et ne répriment leur conduite.

En suivant le texte, étudions le fond de la conscience des Juifs. Ils hésitent à entrer dans la cour de Pilate parce qu'il était païen et qu'ils devaient, eux, manger la Pâque. Par ce mot, il ne faut pas entendre l'Agneau de Pâque, que l'on avait mangé la veille, mais bien les pains blancs sans levain qui se mangeaient chaque jour de la Pâque. Telle était la conscience de ceux que, sans scrupule, ils livrèrent à mort un innocent. Beaucoup de gens aujourd'hui agissent encore de la sorte. Ils tuent par distraction ou par le mauvais exemple qu'ils donnent, sans que leur conscience en soit affectée, et s'accuseraient ou confesseraient de choses d'une importance presque nulle . Finissons notre exposition de ce texte en offrant à Jésus-Christ notre oraison : Jésus, notre bon Maître, protégez-nous et préservez-nous toujours de tout désespoir ; daignez encore, chaque fois que  nous pourrions vous offenser par nos paroles ou par nos actions, nous recevoir dans votre grâce par une intègre pénitence, et par la confiance en votre justice, en votre miséricorde et dans le souvenir de votre mort.


TEXTE NEUVIÈME.

Pilate sortit donc, alla vers les Juifs et leur dit : « Quel est le crime dont vous accusez cet homme?» Ils répondirent : « Si ce n'était pas un malfaiteur, nous ne vous l'aurions pas livré entre les mains. Nous l'avons trouvé renversant notre loi et défendant de payer le tribut à César, se disant le Christ, notre Roi. » Pilate dit : « Prenez-le vous-mêmes et jugez-le suivant votre loi. » Les Juifs répondirent : « Il ne nous est pas permis de faire mourir personne. » Pilate donc entra dans le prétoire, interrogea Jésus et lui dit : « Tu es le Roi des Juifs ? » Jésus répondit : « Dis-tu cela de toi-même ou d'autres te l'ont-ils dit de moi? » Pilate dit : « Je ne suis pas juif. Ta nation et tes prêtres t'ont livré à moi; qu'as-tu fait ?» Jésus répondit : « Mon règne n'est pas de ce monde. S'il était de ce monde, mes ministres lutteraient pour que je ne fusse point livré aux Juifs ; mais mon royaume n'est pas ici-bas. » Pilate lui dit : « Tu es donc roi? » «Oui, je le suis, et je suis venu au monde pour rendre témoignage à la Vérité. » Après avoir entendu cela, Pilate alla de nouveau vers les Juifs et leur dit : « Je ne trouve rien contre cet homme. » Et ils s'efforçaient de le charger, disant : « Il soulève le peuple par toute la Judée, depuis la Galilée jusqu'ici. » Pilate, en tendant ces mots, demanda s'il était galiléen, et quand il sut qu'il était directement placé sous la juridiction d'Hérode, il l'envoya à ce prince.

EXPOSITION

Or, Jésus s'en va de chez Pilate vers Hérode, car Pilate, par ce moyen, cherchait à se délivrer des Juifs, et de leur demande de condamnation contre un innocent. Il voyait bien que les trois accusations étaient de nulle valeur, et que les Juifs voulaient être crus sur parole. « Si ce n'était pas un malfaiteur, disaient-ils, nous me te l'eussions point amené. » Le trajet que fit alors Jésus fut très douloureux et très-humiliant, car il le fit pendant le jour et à une époque où la ville de Jérusalem était remplie d'étrangers, à cause de la solennité de la Pâque. Dans cette voie pleine de confusion, vous suivîtes votre Fils, Mère désolée ! non pas de près, car la foule furieuse vous empêchait d'approcher. Hélas! quelle était l'angoisse de votre coeur maternel quand vous voyiez et entendiez traiter Jésus de la sorte. L'un le tirait, l'autre le repoussait, plusieurs le traînaient et lui jetaient de la boue au visage; d'autres le raillaient du haut des fenêtres de leurs maisons.  Ce fut la quatrième fois que Jésus fut ainsi traîné dans Jérusalem. La première fois, on le mena chez Anne; la seconde, chez Caïphe; la troisième, chez Pilate; la quatrième, chez Hérode. Ce texte nous apprend par la réponse même de Notre-Seigneur, que le Christ n'est point venu en ce monde pour régner sur lui, et bien loin de vouloir le dominer temporellement, il s'enfuit quand on le veut faire roi.

Et quelqu'un voulant le prendre pour arbitre entre lui et son frère, il lui répondit : « O homme ! qui m'a établi juge de votre cause.» (Luc 12,14). Je ne nie pas que le Christ ne soit roi et Seigneur de tout le monde, aussi bien au temporel qu'au spirituel, mais je dis qu'il n'est pas venu pour dominer et posséder une juridiction temporelle. Sans doute les Juifs pensaient que leur Messie régnerait temporellement et qu'il serait le plus grand et le plus puissant d'entre eux. Mais comme ils n'entendaient ceci que d'une manière toute charnelle, ils se virent frustrés dans leur attente. Plusieurs des chrétiens qui ne veulent suivre Jésus-Christ et ne le servir qu'en vue des biens de ce monde, et qui ont horreur de sa pauvreté tombent dans la même erreur. Notre Dieu ne voulut prendre notre humanité qu'afin de nous montrer tant par ses actions que par ses discours que notre félicité n'est pas dans ce monde, mais que nous la devons chercher dans un autre monde et dans une autre vie.....

Contemplons maintenant Pilate qui interroge Jésus sur la vérité, mais qui n'en reçoit pas de réponse. Tels sont plusieurs qui veulent acquérir la science ou la dévotion, mais qui ne persévèrent pas. Si peu la trouvent parce qu'ils n'ont pas une persévérance parfaite ! Concevons donc, s'il se peut, la haine que ressentaient des Juifs contre Jésus. Le motif qu'ils font valoir est le tribut des Romains, et ils accusent faussement le Christ d'avancer leur destruction en défendant de payer ce tribut et en prêchant la parfaite liberté, ce qu'ils faisaient pour amener Pilate à le condamner. Ils disent bien qu'il ne leur est pas permis de faire mourir personne, mais ils sauront prendre occasion de la loi qui ordonne de lapider les blasphémateurs pour tuer à coups de pierres le bienheureux Étienne. (le diacre St-Étienne – Actes des Apôtres 7,57) Mais Dieu avait ordonné que Jésus subirait un autre genre de mort, selon les prophéties, savoir la mort de la croix. Prions donc et disons : Jésus-Christ, vrai Roi et vrai Témoin, donnez-nous de connaître la vérité, afin que nous vous suivions par la pénitence, et que vos tourments soient toujours gravés dans notre souvenir.


TEXTE DIXIÈME.

Quand Hérode vit Jésus,il fut très-content, car depuis longtemps il désirait le voir et apprendre maintes choses de lui. Il l'interrogea, mais Jésus ne répondit rien, et les princes des prêtres l'accusaient constamment. Jésus fut méprisé par Hérode,ainsi que par tous les gens de sa cour. Par dérision, il le fit vêtir d'une robe blanche et l'envoya à Pilate. Dès ce jour, Hérode et Pilate furent amis.

EXPOSITION.

Âmes dévotes ! si le voyage de Notre Seigneur fut dur et rempli d'angoisses, quand il se rendit chez Hérode, le retour vers Pilate le fut encore bien davantage, parce que les princes des prêtres avaient moins peur qu'il leur échappât et ne fût absous par Hérode. Ils virent que leurs désirs étaient en grande partie accomplis, car Hérode le tourne en dérision comme ils font eux-mêmes. Ils pensent à l'ardente haine des principaux Juifs, qui vont et viennent sans cesse pour l'accuser et empêcher que Jésus leur échappe. Vraiment, Hérode, tu prophétises ici ! Tu fais bien plus que tu ne penses!

La blanche robe dont tu as revêtu notre Sauveur est le signe et le témoignage de son innocence, et le montre pareil à l'agneau qui n'ouvre pas la bouche pour crier ou répondre. En voyant le doux Jésus ainsi vêtu de blanc, plusieurs le taxaient de folie..... Mais vous, sage et douce Mère, vous étiez juge de sa pureté et de son innocence, et vous étiez cruellement éprouvée. C'est ainsi que vous transformiez en un profond mystère d'honneur, de respect et de dévotion, ce que les mondains tournent en dérision et en moquerie. Je vois aussi que la folle curiosité d'Hérode fut grandement éprouvée et confondue. ll demandait à voir Jésus et à l'entendre, non pour profiter de l'excellence de sa doctrine, mais pour être témoin de quelque preuve merveilleuse de sa puissance et y trouver un sujet d'amusement.

Et Jésus ne lui répondit pas un mot ! ..... Comprenez ceci, ô vous qui avez à enseigner aux autres la bonne doctrine. Voyez combien il en est qui ne veulent pas en profiter, mais qui l'écoutent pour la satisfaction d'entendre quelque chose de nouveau. On ne doit point prêcher ou donner des avis uniquement pour la satisfaction de ceux qui écoutent, car on déplairait à Dieu. Il en est quelques-uns qui vont demander pourquoi Dieu ne fait pas de miracles en ce temps comme au temps des Apôtres. Nous en serions, disent-ils, plus affermis en la foi, nous en serions plus dévots à Dieu. C'est ici une dangereuse tentation et une plainte insensée. Quoique Dieu ne prodigue plus les miracles, nous en avons vu même plusieurs en notre âge. De telles gens ne veulent croire en Dieu sans le témoignage des miracles. Et combien souvent il est arrivé que ceux qui ont vu les miracles les plus évidents sont ceux-là-mêmes qui se sont le plus difficilement convertis.

Les miracles des temps écoulés doivent bien suffire si tu les crois, car il n'est pas de miracle qui puisse ajouter à la croyance que  j'ai en Dieu Tu sais bien qu'il n'en est aucun, pour grand puisses tu le supposer, que la puissance divine ne puisse faire mille fois plus grand encore. Mais regardons ici deux loups qui s'accordent très bien à prendre une brebis. Depuis quelque temps Pilate et Hérode étaient en désaccord, parce Pilate avait fait tuer quelques galiléens, les sujets d'Hérode. Mais à partir de ce jour il se réconcilièrent, ce qui signifie que Jésus était venu pour pacifier les ennemis. Vous voyez à quelle intention Pilate et Hérode s'accordent ensemble. Maintenant de semblables accords ont encore lieu dans le monde. Des grands s'accordent ensemble pour manger et piller les pauvres innocents qui ne peuvent ou ne savent revendiquer leurs droits. Convertissons ce discours en oraison et disons : Très-doux, très-pur et innocent Jésus, beau et blanc dans la tunique de votre innocence, de même que sans tache et sans souillure, veuillez, nous vous en prions, nous regarder et nous purifier par la pénitence, afin qu'après vous, nous puissions souffrir tous les opprobres, et que par notre discrétion dans le silence, nous méritions de conserver perpétuellement la mémoire de votre Passion.


TEXTE ONZIÈME.

Pilate, après avoir convoqué les princes des prêtres, les ministres et le peuple, alla vers eux, au dehors, et leur dit : «Vous m'avez présenté cet homme comme un agitateur du peuple. Voyez, je l'ai interrogé devant vous, et je ne trouve rien en lui des crimes dont vous l'accusez. Hérode ne le trouve pas coupable non plus; car je vous ai renvoyés à lui, et vous voyez qu'on ne l'a pas traité comme un homme digne de mort. Je vais donc le corriger, puis le laisser aller. » Le gouverneur avait coutume de leur délivrer au jour de la fête celui d'entre les prisonniers qu'ils voulaient lui demander. Et il y en avait alors un fameux, nommé Barrabas, qui était un voleur, et qui avait été mis en prison avec d'autres séditieux, parce qu'il avait commis un meurtre dans une sédition. Or, le peuple étant monté à la maison du gouverneur, commença à lui demander ce qu'il avait coutume de leur accorder. Comme donc ils étaient tous assemblés, Pilate leur dit : « Je ne trouve aucun crime dans cet homme. Mais, comme c'est l'usage que je vous délivre un criminel à la fête de Pâques, voulez-vous que je vous délivre le Roi des Juifs? Lequel aimez-vous mieux que je vous délivre de Barrabas ou de Jésus qui est appelé Christ ?»

Il savait bien que c'était par envie que les princes des prêtres le lui avaient mis entre les mains. Lors donc que le gouverneur reprenant la parole leur dit (pour la seconde fois): « Lequel des deux voulez-vous que je vous délivre ?» Tout le peuple se mit à crier : « Faites mourir celui-ci, et nous donnez Barrabas. » Pilate qui voulait dé livrer Jésus, leur parla de nouveau, et leur dit : «Que voulez-vous donc que je fasse du Roi des Juifs, qu'est appelé le Christ?» Ils crièrent encore et dirent : « Crucifiez le, crucifiez-le! » Il leur dit donc pour la troisième fois : « Mais quel mal a-t-il fait ? Je ne trouve rien en lui qui mérite la mort; ainsi je vais le faire châtier, et puis je le renverrai. » Mais ils le pressaient de plus en plus, demandant avec de grands cris qu'il fût crucifié. Et leurs clameurs redoublaient ! - Alors Pilate, pour les apaiser et les contenter, fit battre Jésus de fouet et par flagellation, d'une manière très-ignominieuse et très-horrible. Depuis les pieds jusqu'à la tête, il n'y avait plus rien de sain en lui. Puis après, les officiers menèrent Jésus dans la salle du prétoire, rassemblèrent autour de lui la cohorte entière; et après lui avoir ôté ses habits, ils le couvrirent d'un manteau d'écarlate; puis ayant fait une couronne d'épines entrelacées, ils la lui mirent sur la tête, avec un roseau à la main droite, et fléchissant le genou devant lui, ils se moquaient de lui et le tournaient en dérision.

Et ils commencèrent à le saluer, en venant vers lui et lui disant : « Salut au Roi des Juifs, » et ils lui donnaient des soufflets, lui frappaient la tête avec un roseau, lui crachaient au visage, et se mettant à genoux, ils l'adoraient par moquerie. Pilate, sortant de nouveau, dit aux Juifs : « Voilà que je vous l'amène, afin que vous sachiez que je ne trouve en lui aucun crime. » Jésus sortit donc portant une couronne d'épines et un manteau d'écarlate, et Pilate leur dit : « Voici l'homme! »

Les princes des prêtres et leurs ministres l'ayant vu ainsi couvert de plaies, bien loin d'être touchés de compassion, se mirent à crier: « Crucifiez-le, crucifiez le ! » Pilate leur dit : « Prenez-le vous même, et le crucifiez; car, pour moi, je ne trouve en lui aucun crime. » Les Juifs lui répondirent: « Nous avons une loi, selon laquelle il doit mourir, parce qu'il s'est dit fils de Dieu. » Pilate, ayant entendu ces paroles, craignit encore davantage. Il rentra dans   le palais, et il dit à Jésus : « D'où êtes vous? » Mais Jésus ne lui fit aucune réponse. Pilate lui dit donc: « Vous ne me parlez pas? Ne savez-vous pas que j'ai le pouvoir de vous faire attacher à une croix, et que j'ai le pouvoir de vous délivrer? » Jésus lui répondit : « Vous n'auriez aucun pouvoir sur moi, s'il me vous avait été donné d'en haut; c'est pourquoi celui qui m'a livré à vous est plus coupable que vous. »

Depuis cela, Pilate cherchait un moyen de le délivrer, mais les Juifs criaient : « Si vous délivrez cet homme, vous n'êtes plus l'ami de César, car quiconque se fait passer pour roi, se déclare contre César.»  Pilate donc, ayant entendu ceci, fit conduire Jésus hors du palais, et s'assit dans son tribunal, au lieu appelé en grec Lithostrotos , et en hébreu Gabbata. C'était le jour de la préparation de la Pâque, et il était alors environ la sixième heure du jour, et il dit aux Juifs, pour faire un dernier effort sur leur cœur: « Voici votre roi!» Mais ils se mirent à crier : « Ôtez-le, ôtez-le du monde, crucifiez-le! » Pilate leur dit : « Crucifierai-je votre roi? » Les princes des prêtres répondirent : « Nous n'avons pas d'autre roi que César. » Pilate, voyant qu'il ne gagnait rien, mais que le tumulte devait encore grandir davantage, se fit apporter de l'eau, et se lavant les mains devant tout le peuple, il leur dit : « Je suis innocent du sang de ce juste. Voyez, vous autres ?» Et tout le peuple répondit : « Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants. »

EXPOSITION.

Il y avait dans la foule des Juifs quelques hommes, Nicodème et plusieurs autres que Jésus avait guéris, qui eussent bien souhaité sa délivrance. Mais la plus grande partie de la multitude criait si fort et faisait un tel bruit, que le petit nombre des amis de Jésus ne pouvait se faire entendre. O vrai Sauveur du monde, et particulièrement du peuple juif, il n'est rien de plus inconstant ni de plus changeant que les hommes. Vous le voyez clairement ici! ll y a quelques jours à peine, (l`entrée a Jérusalem - le dimanche des Rameaux) le peuple reconnaît Jésus, roi d’Israël, Fils de David, en disant : «Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur.» Et maintenant il crie bien haut: « Ôtez-le, ôtez-le, crucifiez-le! » Ce nous est ici un exemple d'un grand enseignement.

Nous mettons toute notre application à suivre notre jugement, et pourtant bien fou est celui qui s'y fie. Nous aussi nous faisons semblable chose. Nous laissons Dieu, notre Sauveur, pour nous livrer au larcin et posséder de diverses manières le bien d'autrui, soit par le commerce ou autrement. Faire de telles choses, n'est ce pas retenir Barrabas, l`ange déchu, et laisser son doux Créateur Jésus ?..... Ah ! Créateur du monde, vous êtes celui qui, jadis, par Moïse, délivra les Juifs de la dure captivité de l’Égypte et de la cruelle tyrannie de Pharaon. Et, pour un tel bienfait, on vous rend le mal, puis qu'on vous envoie à une mort amère sous le regard de votre douce Mère qui vous accompagne en pleurs ! Quelques docteurs disent que, quand Jésus fut présenté par Pilate en disant : «Voici l'homme ! » il avait déjà été livré à la flagellation, qu'il avait été battu cruellement, en tant d'endroits, que son sacré corps n'avait plus une place vide ou de plaie qui ne fût en sang, et que sa très-belle face était toute déformée, selon que l'avait prédit Isaïe.

Or, Pilate, pour apaiser la fureur des Juifs, leur présenta Jésus de cette manière, afin que sa vue pût les attendrir. En disant: «Voici l'homme,» c'est comme s'il avait dit : Ayez au moins compassion de cet homme, si ce n'est pas une bête. Voyez l'état dans lequel je l'ai fait mettre pour toucher vos cœurs endurcis..... S'il a manqué à votre égard, m'en est-il pas assez puni?.... Il disait auparavant qu'il était Fils de Dieu, vous voyez bien qu'il semble paraître le contraire. S'il se déclare roi vous devez bien mettre en doute sa royauté, dans un semblable état, comment pourrait-il régner ?.... Il est bien corrigé, vous le voyez!.... Ah ! Pilate, que tu connais mal leurs cœurs durs et obstinés. Tu penses les apaiser, et tu les enflammes de colère et tu les aigris davantage maintenant qu'ils voient déjà le sang de leur ennemi, comme la bête sauvage qui est plus cruelle quand elle aperçoit le sang de sa victime.

Puis donc qu'ils voient déjà ta faiblesse et ton inconstance à garder la justice, que déjà tu as tant trahie, ils présument bien qu'après avoir obtenu peu de toi ils obtiendront davantage. Mais je considère comment ils étaient si aveuglés, quand ils disaient qu'ils n'avaient d'autre roi que César, car ils devaient bien savoir que le temps du Messie était arrivé, puisque la prophétie de Jacob déclarait que de la lignée royale de Juda ne sortirait pas le sceptre royal, ni prince jusqu'à ce que fût venu Celui qui était à venir, qui serait l'expectation et l'attente des nations. Or, laissons un peu cette considération et tournons les yeux vers notre très belle et très-douce Dame Marie. Quelle fut votre douleur, ô Mère bénie de Jésus, quand vous regardâtes en cet état où Pilate le présenta au peuple, votre doux Fils, hélas ! tellement défiguré pour nous, pauvres pécheurs! Que je ne sais si je de vrais parler ou me taire , quand ma grande compassion m'excite à parler. Mais je ne trouve pas d'expressions pour exposer, comme il conviendrait, vos immenses douleurs à la vue d'un Fils qui vous fut toujours si cher, et qui est réduit dans un état si pitoyable !. Que celui, ici, qui a un coeur de mère ou de bon ami, vis-à-vis son Seigneur, un cœur compatissant, pense donc à ce douloureux tourment ? Car la langue me fait défaut pour l'exprimer ou ma plume pour l'écrire. Que ce cœur, sensible en cet en droit, considère, hélas! que c'est tout entier pour nous, pauvres et misérables pécheurs, que notre doux Sauveur, qui est Dieu dans la Trinité, aimé dès l'éternité, a souffert de semblables tourments, qui sont le prix de notre Rédemption.  

Que fais-tu, Pilate ?Tu as commencé à bien instruire la cause de Jésus, tu le trouves innocent et juste, et tu sais, autant qu'Hérode, qu'il n'a point mérité la mort. Néanmoins, je te vois si changeant et si craintif, que tu te contredis toi même. Tu cries que tu restes innocent du sang de Jésus, que tu t'en laves les mains! Cependant tu le livres à la mort, tu l'abandonnes à ces cruels tourments. Le résultat fut qu'on reconduisit Jésus au prétoire, qui était le lieu du jugement, et qu'on lui fit souffrir beaucoup d'opprobres, de mépris et de tourments, comme on le dit au texte douzième des Évangiles. Seigneur Jésus, qui, pour notre amour et le salut des pécheurs, avez été si cruellement battu de fouets, couronné d'épines et méprisé avec tant d'indignité, accordez-nous, par les mérites de votre Passion, une véritable contrition de nos fautes et un entier rétablissement dans votre sainte grâce, afin que la reconnaissance et l'amour que nous vous devons gravent à jamais, dans notre esprit et dans notre cœur, les souvenirs de vos douloureux tourments !


TEXTE DOUZIÈME.

Enfin, Pilate voulant contenter le peuple, ordonna que ce qu'ils demandaient fût exécuté. Ainsi il leur fit donner celui qui avait été mis en prison pour crime de sédition et de meurtre, selon qu'ils l'avaient désiré. Et ayant déjà fait fouetter Jésus, il le leur mit entre les mains, et l'abandonna à leur volonté, pour être crucifié. Après donc qu'ils se furent joués de lui, ils lui ôtèrent le manteau d'écarlate, et lui ayant remis ses habits, ils l'emmenèrent pour le crucifier, portant lui-même sa croix.

EXPOSITION.

Ici Jésus s'en va à une mort amère sous les yeux de sa douce Mère? Par ce que, dit le texte, Jésus fut livré aux Juifs brisé de coups, nous devons comprendre que cette flagellation fut faite par ordre de Pilate. On pourrait croire qu'elle fût publique afin de la rendre plus honteuse. Puis, Notre-Seigneur fut revêtu de ses propres vêtements qui se collèrent au sang chaud. On ne tarda pas à les lui ôter de nouveau. Hélas! Ne devait-il pas suffire à la justice des Romains que Jésus supportât une fois en pareilles souffrances ? Cela ne satisfit point les Juifs, parce que, par hasard, la croix ne se trouva point prête. Le plus beau des enfants des hommes reçoit une âpre et douloureuse flagellation de ces hommes cruels et Sanguinaires.

Cette chair innocente,tendre, nette, belle comme la fleur de toute chair et de toute la nature humaine, est froissée et couverte de plaies. Jésus fut navré dans tout son corps. Depuis la plante des pieds jusqu'au sommet de la tête, pas une place ne demeura intacte. Tout dans son corps virginal était rougi par le sang qui coulait de toutes parts; car les bourreaux ajoutaient plaies sur plaies, meurtrissures sur meurtrissures, sang sur sang. Ce fut l'accomplissement de ce que la prophétie avait dit de lui : « Latin - Non est species ei, neque decor.» «Il n'y avait en lui ni forme ni beauté. Nous le vîmes, mais il était sans charmes, sans regard, et son visage paraissait tout meurtri. A cause de cela nous le prîmes pour un malheureux châtié par la main de Dieu! » (Isaïe 53,2) -  Jésus, Fils de Dieu, mon Sauveur, quel crime avais-tu commis pour mériter cette confusion et cette douleur? Certes, aucun! Et moi, qui suis un homme pécheur, je causais ta souffrance et ton humiliation! J'ai mangé la grappe amère et aigre, tes dents en ont été agacées. Tu payes ce que tu n'avais ni fait ni commis. Les soldats de Pilate firent à Notre Seigneur beaucoup d'insultes et de violences, à l'instigation des chefs des Juifs. Nous citerons les plus cruelles :

La première, ils le découvrirent, et le montrèrent nu devant le peuple. Les personnes honnêtes savent ce que cette honte fait souffrir. La seconde, les vêtements qui adhéraient à sa chair toute couverte de plaies et qui s'y trouvaient fortement collés, à cause du sang chaud qu'on ne laissait pas refroidir, lui furent arrachés avec beaucoup de cruauté, et tirés avec une telle violence, que l'on doit penser qu'une grande partie de la peau du Sauveur fut arrachée en même temps. De nouveau le jeune corps de Notre Sauveur apparut déchiré, saignant. La troisième : il faisait un grand froid ! La preuve se tire de ce que saint Pierre se chauffait. La quatrième : Jésus fut couvert de pourpre, étoffe qui attire plus fortement que le drap. Ce qu'ils firent pour le tourner en dérision, parce qu'il s'était dit roi, et que la pourpre est le vêtement des rois. La cinquième : afin qu'il ne restât pas dans toute la sacrée personne de notre divin Sauveur, une partie qui n'eût sa plaie, les soldats lui tressèrent une couronne d'épines, et, dit saint Bernard, l'enfoncèrent à grands coups sur sa tête, de sorte que les épines lui perçaient le front, et le sang ruisselait abondamment. Jésus voulut souffrir ce tourment si douloureux pour expier toutes nos pensées orgueilleuses et mondaines, toutes nos affections terrestres, qui le faisaient plus souffrir dans son âme que les pointes acérées des épines ne tourmentaient son précieux corps. La sixième : ils lui mirent un roseau dans la main droite, il lui lièrent cette main avec la gauche, au moyen d'une grosse corde. Le roseau creux à l'intérieur, désigne la puissance de ce monde qui est bien vaine et bien fragile. La septième : par dérision et par raillerie, ils se mirent à genoux devant lui.  La huitième insulte fut de le saluer comme un roi et de le mépriser de la manière la plus indigne. La neuvième, vile, détestable, fut de cracher sur la glorieuse face du doux Jésus. Ainsi font ceux qui blasphèment, ou qui profèrent de grossiers jurements contre Dieu, la sainte Vierge Marie, ou le Saints! -- La dixième, ils le frappèrent rudement sur la tête avec un roseau et y faisaient entrer plus profondément les épines de sa couronne. Pour la onzième, quand il fut de nouveau dépouillé, sa honte se trouva renouvelée, et son angoisse redoubla à cause du sang et des lambeaux de chair qui adhéraient à la pourpre.

En mémoire de ces tourments, dépouillons-nous de nos vices, et revêtons-nous des vertus de notre Sauveur. Sachons bien que tout ce qui paraît grand et brillant dans le monde n'est que comme un vêtement qui couvre bien des illusions ; et que plus les grandeurs y jettent d'éclat et de magnificence , plus la déception les suit de près. En outre, les péchés de ceux qui sont le plus élevés en dignité, ou dont la vocation est plus sublime, sont à proportion aussi plus grands. La douzième insulte qu'ils infligèrent au Sauveur fut quand ils le menèrent pour le crucifier et qu'ils lui firent porter l'instrument de son supplice, comme il sera expliqué plus loin. Nous, âmes dévotes, acceptons maintenant la croix de Jésus sur nos épaules par la sainte dévotion. Sortons hors de la cité du monde par l'élévation de l'âme que procure la contemplation; pensons que nous n'avons point ici de demeure. C'est pour nous attirer à cette bienheureuse demeure du paradis, que Jésus alla à Dieu par une mort amère, étant suivi de sa très-douce Mère. Faisons en sorte par une vraie pénitence de conserver le souvenir de ses tourments. O Jésus, notre vrai Roi, qui êtes une couronne de gloire et d'honneur dans l'éternité, donnez-nous un cœur sincère et magnanime, afin que, méprisant toutes les pompes et les vanités du siècle, notre pénitence se voie couronnée, et que le souvenir de votre mort nous fasse à la fin obtenir cette couronne de gloire dans le royaume céleste. Ainsi soit-il.

Une preuve des plus fortes de la piété des vrais chrétiens au moyen âge, est dans leur assiduité à écouter la parole de Dieu, surtout dans l'exposition simple, claire et nette du mystère de la passion de Notre-Seigneur. Des témoignages authentiques affirment, et ce long sermon ou commentaire de Gerson vient à l'appui, que l'exposition du texte de cette Passion du Sauveur durait , pour l'ordinaire, une journée, et quelquefois même deux journées entières. Après cela les spectateurs, ou auditeurs, sanglotant et se frappant la poitrine, couraient assiéger les tribunaux de la Pénitence. Hélas! de nos jours, la tiédeur des chrétiens est telle, qu'à grand peine peuvent-ils se résoudre à consacrer quelques instants, le jour du Vendredi-Saint, pour considérer et pleurer les tourments du Fils de Dieu, mort pour nous sur le gibet de la Croix !

MichelT

Date d'inscription : 06/02/2010

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LA PASSION DE NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST ET LA COMPASSION DE LA VIERGE MARIE - par Jean Gerson - (1363 – 1429) Empty Re: LA PASSION DE NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST ET LA COMPASSION DE LA VIERGE MARIE - par Jean Gerson - (1363 – 1429)

Message par MichelT Jeu 20 Avr 2023 - 17:48

DEUXIÈME PARTIE PRÊCHÉE EN FORME DE CONFÉRENCE

Nous commençons où nous nous étions arrêtés ce matin, au moment où Jésus son Fils sort de la maison de Pilate, pliant sous le poids d'une lourde croix, tout couvert de sang, entouré par d`hommes barbares qui redoublent plus que jamais leurs railleries et leurs outrages, parceque, à cette heure, la sentence de mort est prononcée. L'un des soldats disait à l'autre : « Allez, allez ! avancez-vous ! » L'autre, frappant des pieds, du poing et du bâton, disait au doux Jésus : « Passe, passe devant ! » Celui-ci le tirait en avant par les cordes qui l'attachaient et le faisait ainsi marcher sur sa robe et presque tomber à terre. .... Et vous, ô Marie, ni vous, ni Jean, ni les saintes femmes qui vous accompagnaient, vous ne pouviez approcher de Jésus et traverser la foule qui l'environnait de toutes parts. Prions donc et disons : Seigneur Jésus, qui vous êtes volontiers chargé de la croix et l'avez portée avec tant de fatigue pour mon amour, entre deux larrons, jusqu'au Calvaire, accordez moi de porter courageusement à votre suite, et par amour pour vous, la croix qu'il vous plaira de me charger, afin que souffrant avec vous et protégé par votre douce et sainte mère Marie en ce monde, je puisse, par le continuel souvenir de votre Passion, arriver au salut éternel.


TEXTE TREIZIÈME.

Le texte dit ensuite : « Jésus s'en alla portant sa croix et, en allant, les soldats trouvèrent un homme à qui ils firent porter la croix avec Jésus. La foule du peuple le suivait, et les femmes pleuraient ; le Sauveur se tourna vers elles et dit : « Filles de Jérusalem, ne pleurez point sur moi, mais sur vous et sur vos enfants,car il viendra des jours où l'on dira : Bienheureuses les entrailles qui n'ont point engendré et les mamelles qui n'ont pas allaité ! Alors ils commenceront à dire aux montagnes : Tombez sur nous !  Et aux rochers :  Écrasez-nous !  Car si l'on traite ainsi le bois vert, que fera-t-on du bois mort ? »

Quelle épouvantable sentence, quel horrible tonnerre résonne ici à nos oreilles ! Si nous ne tremblons et ne frémissons, c'est que nous sommes plus endurcis que le marbre. C'en est fait, nous sommes perdus ! Ouvrons les oreilles de notre cœur, et comprenons que si l'innocent Jésus endure une telle souffrance et une pareille angoisse pour satisfaire à la justice de son Père, que devons-nous attendre, nous, misérables pécheurs, et que fera la justice de Dieu pour nous punir de nos péchés? Si cette justice n'épargne pas le Fils de Dieu, que fera-t-elle aux pervers, fils de l'ennemi de Jésus !

Si la douleur causée par les tourments de l'enfer n'était horrible et épouvantable, pourquoi la justice céleste infligerait elle une telle peine à Jésus afin de nous en délivrer nous-mêmes? Hélas ! hélas ! et plus de mille fois hélas ! pleurons sur nous..... Hélas ! pour la pénitence amère qu'il nous faut souffrir si nous ne nous convertissons et ne nous amendons, soit en ce monde, soit en purgatoire, ou en enfer, si nous nous obstinons davantage dans notre péché.

Il faut donc faire pénitence ici ou ailleurs ; et mieux vaut la faire fructueusement ici , pendant le règne d'une justice clémente, que là où elle sera dure , et dans un temps où il serait impossible d'en être délivré, Mais une question se présente ici, et elle pourrait en troubler quelques-uns. ll semble que notre Sauveur défende de pleurer sur lui, et cependant depuis le commencement de ce sermon, nous vous exhortons à pleurer sur lui, et à conserver présent le souvenir de sa Passion. Ceci semble se contredire, mais ce n'en est point une pour qui embrasse bien et approfondit ce mystère. Il est certain que le Fils de Dieu prit  une chair humaine, non pas pour lui, mais afin de nous racheter, de payer notre dette et de satisfaire à la justice divine.  Donc, tout ce qu'il souffre est pour nous, pour nos défauts. Il n'est rien de lui sur quoi l'on doive pleurer. Toute la cause de cette douleur retombe sur nous !.... Il ne subit la souffrance que pour nous, et nous sommes d'autant plus ingrats de perdre la mémoire de ses souffrances.....

D'autre part, quand nous nous occupons du salut d'une âme pour laquelle il a répandu à flots son précieux sang, tant il la réputait chère et de grand prix, combien ne devons-nous pas bénir la miséricorde de Dieu ! Elle s'est montrée telle, elle a été si incomparable envers nous, qu'il a livré son propre Fils à tous les opprobres, à toutes les souffrances, pour satisfaire aux peines éternelles que nous avions méritées, et pour nous rendre nos droits à la gloire. Et nous n'usons pas de cette miséricorde, nous en abusons, comme si elle était de nulle valeur? Nous ne voulons pas unir nos cœurs à la Passion de Jésus, avec bonne foi et grand amour, afin d'en faire notre rançon et le prix sans lequel toutes nos peines ne seront d'aucun mérite, et sans lequel encore nos bonnes actions seraient insuffisantes pour acquitter notre dette. On ne peut donner aux fidèles un meilleur conseil que celui de présenter à Dieu la douce Passion de Jésus comme un payement de notre rançon, et l'on fait cette offrande en gardant de cette même Passion un dévot souvenir, en détestant des péchés qui ont rendu une telle expiation nécessaire, et en remerciant Dieu de cette miséricorde incomparable qui l'a porté à livrer son Fils à la mort, pour nous , ses serviteurs indignes...

En considérant la Passion de Jésus, nous découvrons encore sept vérités. La première est que le péché est haïssable, qu'il déplaît à Dieu et à la Souveraine Justice, puisque Jésus souffre pour le détruire. La seconde est que le péché est très horrible, autrement Jésus n'aurait jamais enduré de tels tourments pour nous en délivrer. La troisième est que le royaume du Paradis est grand et estimable; autrement Dieu n'eût pas exigé qu'on l'eût acheté, acquis et payé par cette rançon. La quatrième est que l'obéissance est louable ; Notre-Seigneur le prouve en se montrant obéissant à son Père jusqu'à la mort de la Croix. La cinquième est que l'honneur et la félicité de ce monde sont à fuir, car ils sont incertains et changeants; sans cela, notre Sauveur Jésus n'eût pas méprisé et refusé tout ce que le monde tient en estime, et regarde comme une source de félicité. La sixième est que nous avons des âmes immortelles pour recevoir dans l'autre monde une récompense qui ne se paye point en celui-ci. Dieu ne serait pas juste s'il ne rémunérait pas ses serviteurs, et cela ne peut être. La septième est que, grande est la patience du Seigneur et celle des saints Anges envers les hommes et les créatures humaines ; autrement ceux qui persécutaient et injuriaient le Roi des rois, ceux qui répandaient son sang innocent, ne fussent pas demeurés un seul moment sur terre et eussent été immédiatement Confondus. Toutes ces choses seront notre condamnation si nous n'y songeons, afin de prendre garde et de remplir nos de voirs envers Dieu comme envers le prochain.

J'en viens à considérer Simon, qui n'était point Juif, et qui portait la croix de Notre-Seigneur.  Reportons-nous à l'heure où les Juifs s'aperçurent que Jésus faiblissait, et qu'il ne marchait point assez vite, en raison de la grandeur de la Croix. Ils s'arrêtaient un peu, regardant autour d'eux et se demandant : « Qui portera cette croix?» Ils virent ce Simon de Cyrène ( ville de Libye) qui venait de la ville et passait son chemin, et qui était étranger, et ils le contraignirent à porter cette croix. Ce fut une bienheureuse rencontre , et qui renferme un grand mystère, à savoir que ses parents se convertirent à notre sainte foi et loi, et qu'ils portèrent la Croix à la suite de Jésus. Quelques-uns pensent que cette récompense fut donnée à Simon, parce que  ses deux filles étaient disciples de Notre Seigneur. Si Notre-Dame ne s'offrit pas pour soulever ce fardeau, ne pensait-elle point ainsi : « Donnez-la moi, je la porterai volontiers. » Et vous, Marie-Madeleine, ne dites-vous point, avec la grande confiance de l'amour, que vous porteriez bien cette Croix, comme plus tard, le jour de la Résurrection, quand il vous semblait en Jésus voir un jardinier : « Si tu l'as ôté, dis-le moi, et je l'emporterai! » Votre grande tendresse vous faisait parler ainsi et présumer plus que vous n'eussiez pu faire. Il y avait beaucoup de gens qui, inspirés par Satan, se moquaient des saintes femmes et de leurs pleurs. Néanmoins, nous ne pouvons croire que leur perverse cruauté se montrât si rebelle, qu'elle ne s'amollît à votre égard, ô très douce et belle Dame ! En voyant votre démarche modeste, votre visage éploré, si doux et si triste, à vous qui n'aviez jamais fait de mal à personne, ni causé un seul déplaisir, nous pouvons croire que plusieurs pensaient, en vous regardant : C'est une bien grande angoisse pour cette Mère que l'on mène ainsi son bon Fils à la mort ! On eût bien pu le délivrer, ne fût-ce que pour l'amour d'elle.,. Durant le moment d'arrêt pendant le quel on se demanda qui porterait la Croix, peut-être les saintes femmes purent-elles s'approcher plus près de Jésus. Alors le Sauveur tournant vers elles son visage défiguré, leur dit les paroles du Texte que Vous avez entendues, et regarda sa Mère bien-aimée. Elle le regarda aussi, et de cet échange de regards jaillit une source de pitié, qui,dans cette douleur immense, leur brisa le cœur à tous deux., Or faisons ici notre oraison :

Seigneur, donnez-nous de pleurer tellement sur nous et sur nos enfants, en portant la Croix de pénitence à votre exemple, que nous puissions échapper à l'horrible damnation qui sera contre ceux qui auront été comme un bois sec sans faire de fruit de pénitence, et sans avoir de votre mort une suffisante remembrance.


TEXTE QUATORZIÈME.

Deux larrons (voleurs) étaient menés avec Jésus pour être crucifiés. Après qu'ils furent arrivés au lieu nommé Golgotha, c'est-à dire Mont-du-Calvaire, ils lui donnèrent à boire du vinaigre et de la myrrhe, mêlés avec du fiel. Après en avoir goûté, il n'en voulut pas boire, et Jésus disait : « Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font ! »

EXPOSITION.

Notre souverain Maître commence à prêcher et à enseigner de fait, et à formuler du haut de la chaire de la Croix, la plus haute perfection qu'il résume en sept paroles. Jésus commence à prouver par des faits ce qu'autrefois il avait dit : « Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur. » Oui, cela est vrai, Seigneur, vous êtes semblable au doux agneau qui, selon la prophétie d'Isaïe, est mené à l'immolation et à la mort sans avoir ouvert la bouche. Quelle plus grande bonté que celle de prier pour vos ennemis à l'heure où ceux-ci vous mettent à mort le plus cruellement et le plus honteusement qu'ils peuvent faire. « Père, dites vous, pardonnez-leur,car ils ne savent ce qu'ils font ! »

Comment, Seigneur, ils vous mènent avec des larrons au Calvaire où les malfaiteurs sont punis, où se trouvent les têtes et les ossements des morts. Ils vous donnent à boire un vin mêlé de fiel, pour vous faire souffrir dans votre goût. Ils vous enlèvent vos vêtements et vous laissent nu pour la troisième fois devant la multitude. Puis ils vous saisissent, vous couchent rudement, vous étendent sur la croix, vous y clouent. Ils percent l'une de vos mains, et la fixent à l'instrument de supplice; vos nerfs se crispent sous la douleur. Puis ils tirent et tendent fortement l'autre main en y enfonçant un gros clou de fer. Ils attachent aussi vos pieds à la Croix par un clou pareil. On les tira si rudement et avec une telle force, que votre précieux corps fut tendu comme une peau de corroyeur.

Toutes les jointures de vos membres furent brisées, et l'on pouvait les compter, selon les paroles du roi David. Et, malgré ces injures mortelles, et d'autres plus nombreuses que la langue ne saurait les redire, ni l'esprit les concevoir, vous les mettez toutes en oubli... Vous pensez du bien de vos bourreaux, et vous dites : « Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font ! » Que dire ici, non de l'humaine, mais de l'inhumaine impatience des hommes qui ne veulent rien pardonner, qui poursuivent et persécutent sans relâche ceux qui n'agissent pas selon leur bon plaisir, Notre doux et débonnaire Maître Jésus est maintenant suspendu à cette Croix élevée. Le poids de son précieux corps retombe sur ses pieds ! ... Ses mains sont fortement tirées, ses bras presque rompus, et sa tête ne saurait où se reposer ni Comment se retourner ! ..

Oh ! quels gémissements poussait la triste et affligée Marie , ainsi que les nombreux amis qui étaient avec elle, quand ils voyaient ainsi rompre, tirer, percer et clouer les tendres membres du doux Jésus..... - O abîme de pitié ! O embrasement de charité, ô merveilleuse abondance de la compassion divine pour nous! O inestimable amour et adorable dilection ! Vous avez tout prodigué pour nous, ô Jésus !.... O âme rachetée par le sang de ton Sauveur, regarde avec les yeux de la pensée et avec une tendre pitié ce corps tendre, ce corps innocent, ce corps pur et net ! Vois comme il est étendu et navré, comme il est percé, déchiré, attaché à la croix..... Regarde s'il est aucune douleur semblable à celle-ci. Ayons compassion de Celui qui souffre pour nous. Pleurons et gémissons avec une vraie charité. Disons avec une véritable affection : «Flecte ramos, arbor alta.» Arbre élevé, abaisse et fais un peu fléchir tes branches ; amollis-toi, diminue un peu ta rigueur, relâche les membres végétaux que tu tiens de la nature, afin que les membres du souverain Roi, qui est suspendu à ton sommet, ne soient pas si rudement tendus..... Le Sauveur était tellement crucifié que l'on pouvait compter toutes les jointures de son corps; il était pressé de telle sorte de tous côtés qu'il ne pouvait se mouvoir et n'avait pas où reposer sa divine tête, si douloureuse, dès qu'elle ne pendait pas sur sa poitrine ; il était incliné vers la terre, les mains clouées; ses pieds supportaient tout le poids de son corps. Certes, il souffre une douleur intolérable, plus grande qu'on ne saurait l'exprimer.

Néanmoins, il n'oublie point les leçons qu'il doit donner au monde. Il enseigne bien de fait par sa bonté.Sa douceur ne peut être vaincue par des tourments, quelque ignominieux qu'ils soient. Et c'est pour cela qu'il dit : « Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font. » N'est-ce point une pitié et une miséricorde inestimable de sa part? Certes, oui. Aussi Notre-Dame est-elle justement et de droit appelée Mère de pitié, parce qu'elle est Mère de Celui qui est toute pitié et miséricorde. Si donc nous avons confiance que ni l'un ni l'autre ne nous repoussera pas, allons au Fils par sa Mère, et disons lui : « Nous vous prions humblement, quand vous fites votre prière si pleine de douceur pour ceux-là même qui vous persécutaient, et que vous dîtes : Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font, qu'il vous plaise nous tenir quittes de tout péché. »

Ce mot de Jésus condamne notre colère, l'un des sept péchés capitaux, de même que les paroles que Jésus prononça ensuite seront opposées aux six autres ; de la douceur contre la colère ; de la libéralité contre l'avarice ; de la chasteté contre la luxure ; de la pitié contre l'envie; de la volonté contre la gourmandise; de la sobriété contre la paresse ; de l'humilité contre l'orgueil. Supplions donc Notre-Seigneur qu'il lui plaise dès à présent prier pour nous, Dieu, son Père, selon la parole qu'il a dite sur la croix : « Père, pardonnez-leur..... » Mais cette excuse que le doux Jésus fait ici, ne comprend pas plusieurs cas où nous offensons sciemment Dieu, desquels nous avons une entière connaissance, ce qui fait que souvent nous sommes pires que ceux qui crucifièrent Notre-Seigneur ; car ils ne  croyaient pas, sans en douter, que Jésus fût véritablement Dieu, comme nous en sommes et en devons être persuadés. Quoique pourtant, si nous voulons de bon cœur retourner à sa douce miséricorde, il est tout disposé à dire à notre faveur :

« Père, pardonnez-leur..... » Prions donc et disons : Seigneur Jésus, qui avez prié avec une ineffable bonté pour les bourreaux qui vous crucifiaient; daignez prier aussi pour nous, pauvres pécheurs, et nous accorder, avec le pardon de nos fautes, un souvenir continuel de vos tourments.


TEXTE QUINZIÈME.

Après qu'ils eurent crucifié Jésus, ils prirent ses vêtements et en firent quatre parts qu'ils distribuèrent à chacun des soldats. La robe de dessous était sans couture ; ils dirent donc : « Ne la partageons point, mais tirons-la au sort pour savoir qui l'aura. » Pilate avait écrit l'inscription de la croix, et on la plaça au dessus de la tête de Jésus : « Celui-ci est Jésus de Nazareth, roi des Juifs. » Les prêtres des Juifs disaient à Pilate : « Veuillez me pas écrire roi des Juifs, mais qu'il a dit : Je suis le roi des Juifs. » Pilate répondit : « Ce qui est écrit est écrit. » Donc ils le crucifièrent, et avec lui deux larrons, l'un à sa droite, l'autre à sa gauche. Les passants le blasphémaient en remuant la tête, et lui disant : « Toi qui détruis le temple de Dieu et qui le rebâtis en trois jours, que ne te sauves-tu toi même? Si tu es le Fils de Dieu descend de la croix. » Cependant le peuple se tenait là et le regardait, et les sénateurs aussi bien que le peuple. Et les princes des prêtres, avec les docteurs de la loi, se moquaient de lui entre eux, disant : « Il a sauvé les autres, et il ne saurait se sauver lui-même. S'il est le roi d’Israël qu'il descende présentement de la croix et nous croirons en lui. Qu'il se sauve lui même, s'il est le Christ, l'élu de Dieu; qu'il descende maintenant de la croix, afin que nous voyions et que nous croyions. Il met sa confiance en Dieu ; si donc Dieu l'aime, qu'il le délivre maintenant, puisqu'il a dit : Je suis le Fils de Dieu. » Les soldats mêmes lui insultaient, s'approchant de lui, et lui présentaient du vinaigre, en lui disant : « Si tu es le Roi des Juifs sauve-toi toi-même. » Et l'un des larrons, qui était crucifié, le blasphémait en disant : « Si tu es le Christ sauve-toi toi-même, et nous avec toi. » Mais l'autre, le reprenant, lui disait : « Tu ne crains donc pas Dieu, toi qui te trouves condamné au même supplice ? Pour nous, c'est avec justice que nous souffrons la peine due à nos crimes, mais lui quel mal a-t-il fait ?»

Puis il dit à Jésus : « Seigneur, ayez pitié de moi et souvenez-vous de moi quand vous serez dans votre royaume, » Et Jésus lui répondit : « Je te dis, en vérité, qu'aujourd'hui tu seras avec moi dans le Paradis. »

EXPOSlTION.

Vous avez entendu cette seconde parole, remplie d'une libéralité infinie, qui condamne notre avarice. Elle donne grande confiance aux pauvres pécheurs. En quelque état que soit leur âme, ils peuvent attendre le pardon, s'ils se repentent du fond du cœur. Mais d'où vient, ô bienheureux larron, que tu reconnais le Sauveur dans celui qui subit la même condamnation que toi ?

Néanmoins tu confesses sa divinité et tu crois à son règne. D'où te vient cette sagesse de reprendre raisonnablement ton compagnon, en disant que vous subissez une juste condamnation? Cette doctrine doit être la nôtre, car il en est de nous comme de toi. Nous avons mérité une condamnation éternelle, et nous ne devons ni nous juger ni nous railler les uns des autres, car nous ne savons ce qui peut advenir de nous. Qui eût pensé à l'avance que Pierre aurait renié son maître, que le larron l'eût confessé sur la croix, et qu'il serait plutôt en paradis que la Vierge Marie? Rien ne vaut mieux que de se tourner vers le doux Jésus en toute humilité dans l'oraison, afin qu'il ait pitié de mous, et nous dise: «Tu seras avec moi dans le paradis. » Quelques-uns pensent que les deux larrons s'appelaient l'un Dymas et l'autre Gestas. Et Jésus fut crucifié au milieu d'eux. » Et ainsi fut accomplie la prophétie qu'Isaïe avait faite de Jésus : « Il a été mis au rang des scélérats ! »

Et ainsi sera tenue la forme du jugement quand les élus seront à la droite et les damnés à la gauche. Mais Jésus sera alors d'autant plus puissant qu'il paraît maintenant plus faible. C'est là la prophétie de contradiction dont a parlé le vieillard saint Siméon. On fait à Jésus tout le contraire de ce qu'il devait attendre. Exceptons Pilate, qui lui écrivit comme il convenait son titre. « Celui-ci est Jésus de Nazareth, Roi des Juifs,» et c'est comme le signe de triomphe et l'étendard de Jésus-Christ; c'est comme sa devise pour chaque chrétien qui le dit ou porte sur soi avec une simple confiance. Il est très-puissant contre l'ennemi, selon ce qui fut révélé à plusieurs et qu'il est croyable. Je dis de même de la prophétie du roi David, qui a parlé en plusieurs de ses Psaumes des vêtements de Jésus-Christ qui seraient donnés et jetés au vent. De ceci je n'en dirai pas davantage, car ce serait trop long pour le plan que je me suis tracé. Notre Seigneur avait aussi le pouvoir de descendre de la croix. Les Juifs, par moquerie, voulaient qu'il descendît maintenant, lui promettant qu'ils croiraient en lui. Mais, dans la bouche de plusieurs, c'était un mensonge, car, après qu'il fût , ressuscité, ils n'en voulurent rien croire. Cette croix du Sauveur désigne la pénitence par les œuvres de nos mains et l'affection avec laquelle nos pieds, par une bonne obéissance envers Dieu, courent dans la voie de ses commandements. Rappelons-nous avec quel soin quelques-uns ont fait une si rigoureuse pénitence pour les fautes d'autrui, comme l'a fait le Christ en soutenant le supplice de la croix pour nous et non pour lui même.

Il est une pénitence fructueuse et salutaire tant pour celui qui la fait que pour les autres pour lesquels il l'a faite, celle-là se fait spontanément; mais il en est une autre qui est forcée et par suite sans fruits de salut : l'une est la croix du bon larron, et l'autre est la croix du mauvais. O belle et douce Dame, étiez-vous là présente avec saint Jean l’Évangéliste et les autres femmes dévotes, vous qui aviez une douleur incomparable, quand vous le vîtes sur cette croix ! Jusqu'à ce moment, les Évangélistes n'ont rien dit de Notre-Dame. Ils ne nous apprennent point où elle était ni ce qu'elle faisait. Qu'est-ce que cela signifie? Est-il à croire qu'elle a délaissé son doux fils dans sa plus grande adversité, tandis qu'auparavant elle lui tint si fidèle compagnie, tant dans la prospérité que dans le malheur. Elle l'a nourri de son propre lait pendant son enfance. Après l'avertissement de l'Ange, elle le porta en Égypte, prenant une bien longue route pour échapper à la persécution d'Hérode. Là, elle vint avec son fils comme une pauvre voyageuse étrangère, travaillant de ses mains, subsistant avec son salaire et celui de saint Joseph, qui était charpentier. Jésus fut ensuite ramené par elle à Nazareth. Chaque fête elle le conduisait à Jérusalem, et c'est ainsi qu'elle le perdit pendant trois jours, à l'âge de douze ans. Mais alors la recherche diligente que fit Notre-Dame prouve bien qu'elle ne pouvait vivre sans Jésus. Je rappelle ces choses pour prouver que la Vierge Marie n'a point abandonné son Fils dans l'angoisse, pendant que les autres femmes qui aimaient Jésus bien moins qu'elle, le suivaient en pleurant sa Passion.

Je vous le demande donc,  saints écrivains de la vie de Jésus, bienheureux Évangélistes, pourquoi n'avez vous rien écrit sur notre souveraine Maîtresse? Où était-elle? en compagnie de qui se trouvait-elle quand elle n'eut plus son Fils?... Saint Jean satisfait à cette question, lui qui était présent à tout, et qui vit tout ce qui se passa, lui qui dit dans son Évangile, qu'il l'avait dans sa demeure. Croyez, très-dévots, que la glorieuse Vierge Marie, le béni saint Jean et les autres femmes dévotes, affectées des douleurs de Jésus crucifié, se tenaient auprès de sa croix, tandis qu'il agonisait soumis à la divine volonté, jusqu'à ce qu'il eût accompli toutes choses.

Tournons-nous donc vers Dieu par la prière, et disons : Dieu tout-puissant, Roi victorieux, ôtez de nous le vêtement de toute volonté propre, afin que nous fassions une bonne pénitence, et que nous y demeurions constamment.  Dites vraiment à chacun de nous à l'heure de la mort: « Aujourd'hui, tu seras avec moi en paradis !» Faites encore que jusqu'à notre dernier soupir, notre âme vous confesse et vous loue, et que par esprit de pénitence comme par amour et reconnaissance,elle conserve le souvenir de votre mort amère.


TEXTE SEIZIÈME.

Auprès de la Croix se tenaient la Mère de Jésus, Marie de Cléophas, sœur de sa Mère, et Marie Madeleine. Nous vous remercions, ô digne secrétaire de Dieu, vrai béni saint Jean, pour les nouvelles que vous nous avez dites de Notre-Dame. Vous nous donnez assez à entendre qu'auparavant elle avait tout vu, et qu'elle avait pu être témoin de ce qui s'était passé. Notez ceci, ô très dévots, et admirez la constance de la bienheureuse Mère qui ne se lasse point de suivre tout le jour son divin Fils dans les douleurs et les tourments, avec un grand empressement, et sans craindre la confusion qui en résultait. Toute la nuit qui précéda la mort de son Fils, elle ne dormit pas, car le jour précédent , elle était accourue à pied de Béthanie à Jérusalem. Elle avait jeûné ce jour-là jusqu'à midi; après cela elle ne fit plus que gémir et pleurer, parce que son cœur avait été blessé par la douleur, et que le glaive de l'ignominie et de l'amère Passion de son bien-aimé Fils l'avait transpercé : Pourtant elle demeure toujours ferme. Les peintures qui la représentent autre ment ne sont pas dans la vérité. Écoutez ce que dit l’Évangéliste : « Elle se tenait devant la Croix,» et non au côté, afin devoir mieux la face de son Fils et la manière dont on l'avait crucifié.

Comment pouvait-elle se tenir ainsi debout? qui la soutenait? qui la fortifiait ? Toute autre femme serait morte par l'effet d'une semblable douleur; mais elle conserve la fermeté, la vertu, la vigueur et la vie.Tout cela se faisait par l'excellence de sa vertu, qui la soutenait dans la partie souveraine de son âme. De son esprit, ses vertus se répandaient dans tout son être , descendaient dans son corps et fortifiaient ses membres, comme On a pu voir plus tard des effets semblables chez les martyrs qui, tous, souffraient d'être pris et tués.

Il est donc certain que Notre-Dame ne montra ni dans sa contenance, ni dans ses paroles, rien de contraire à sa dignité et à sa bonté. Certes, elle ressentait de la douleur, plus que de la douleur, et en même temps elle soupirait profondément. Son beau et agréable visage était décoloré, sa voix brisée, ses yeux troublés par les larmes ! Et pourtant on voyait toujours une lueur divine qui, venant de son âme, se montrait et resplendissait au-dehors. Notre-Dame pouvait parler ainsi : Quels sont donc vos jugements, ô unique Créateur de l'univers ! Que vos opérations sont incompréhensibles ! elles le sont plus encore ici que partout ailleurs ! Voir celui qui est innocent pendu au gibet de la croix! Celui qui est pur selon l'humanité, qui dans l'éternité est Dieu ! le voir sur un infâme instrument de supplice, attaché cruellement par trois clous, placé honteusement entre deux larrons ! le voir insulter , l'entendre railler de toutes parts, comme s'il était un homme méchant que l'on condamnât, non-seulement pour ses actes, mais encore pour ce qui a été fait et pensé par les autres. Hélas! mon doux Fils, qu'avez-vous fait pour que je vous voie réduit à une confusion telle ?

Qui vous a contraint à prendre une chair mortelle en moi, votre pauvre servante, si vous deviez plus tard subir une mort si terrible ?qui vous y obligeait ? Hélas ! mon Fils! cette mère affligée qui vous a nourri si tendrement, si soigneusement, ne l'a-t-elle fait que pour vous voir subir une cruelle et horrible condamnation, dans la fleur de votre jeunesse, à l'âge de l'homme parfait ? Au temps où vous nous exhortiez à toutes les vertus, quand vous confondiez les vices, alors je désirais vous avoir comme ma félicité, ma joie, ma consolation. Dans la vieillesse qui s'approche, qui me fortifiera, quel sera mon aide, qui me gardera?

O hommes pleins d'ingratitude ! est-ce donc là le prix, est-ce là la reconnaissance que vous rendez à mon Fils, pour tous les biens qu'il vous a faits, en guérissant vos malades, en enseignant une doctrine parfaite ? Vous lui rendez le mal pour le bien. Dimanche passé (Dimanche des Rameaux), vous l'avez rémunéré de ses bienfaits; vous l'avez fait trop tôt, puisque vous changez vos louanges en une telle ingratitude.

Hélas ! maintenant il subit une mort cruelle sous les yeux de sa Mère désolée. Oh! que nous devrions bien par pénitence, de ce deuil avoir remembrance. Que nous devons bien faire pénitence en mémoire d'un tel deuil. C'est un spectacle trop dur et trop navrant pour une Mère, que de voir son Fils dans un pareil état. Hélas! Seigneur, ouvrez votre bouche miséricordieuse , tournez vos yeux vers cette Mère désolée, adressez-lui quelques mots de consolation efficace! Ne vous en retournez pas vers votre Père sans lui parler, sans lui laisser un soutien. Ce soutien, qu'elle n'osait demander, le Seigneur le lui accorda, comme le dit saint Jean dans le texte suivant. Prions donc et disons : Seigneur Jésus, qui vous êtes associé Marie, votre Mère, dans le supplice de la croix, afin de la rendre la digne coopératrice de notre rédemption; accordez nous que par un continuel souvenir de ses immenses douleurs, nous méritions de participer plus abondamment aux fruits de votre Passion et à la gloire de votre résurrection.


TEXTE DIX-SEPTIÈME.

Jésus ayant donc vu sa Mère, et près d'elle le disciple qu'il aimait, dit à sa Mère : « Femme, voilà votre Fils. » Puis il dit au disciple : « Voici votre Mère. » Et, dès cette heure-là, le disciple la prit chez lui.

EXPOSITION.

Qui pourra contenir ses larmes? Qui pourra empêcher son cœur de soupirer, son visage de pâlir en entendant Jésus. Et cependant c'est sa vraie Mère. Elle l'a soigneusement nourri, doucement allaité. Jamais elle ne lui refusa aucun service. Quand il prêchait, elle le suivait pour l'entendre. Elle l'accompagne au Calvaire, contemple ses opprobres, regarde ses plaies, admire sa patience ! Et Jésus me l'appelle que « Femme » pour que sa douleur ne s'accroisse pas ! Ne fait-il pas bien de s'abstenir d'une douce et tendre parole qui apitoierait le cœur de sa Mère? S'il lui avait annoncé qu'il l'allait quitter, ces paroles auraient serré l'âme de Marie d'une douleur plus poignante ; cette Mère serait morte de douleur et de compassion. Il faut que la nourrice se sépare de son nourrisson, la Mère de son Fils unique, la servante de son Seigneur.

En un jour, elle reste sans père et sans enfant. Les clous déchirent sa pensée. La lance pénètre dans son âme. Les piqûres d'épines navrent son cœur. Rien ne l'atteint plus douloureusement que l'échange qui lui laisse Jean à la place de son Fils. Quel martyr a souffert une semblable douleur ? Jamais il n'y eut une telle Mère, jamais il n'y eut un tel Fils ! Jamais il n'exista un si grand amour, une dilection si absolue entre une Mère et un Fils ! Jamais on ne vit trépas si indigne, infligé d'une façon si injuste et si douloureuse  O âme dévote, lève les yeux, considère avec un soin attentif le doux Jésus suspendu à la croix. La Mère et le disciple assistent à son trépas. Que verras-tu, sinon une tendresse et une charité souveraines, tant à leur égard qu'envers toi même? C'est pour toi, mon âme, que Jésus souffre ainsi sur l'instrument de supplice. En tous tes périls, dans toutes tes tribulations, tes misères, tes nécessités, tes adversités, tes angoisses, accours ici, comme à un refuge certain, comme à une sauvegarde. Jette-toi entre Jésus, Marie et saint Jean.

Remets-toi en leurs mains, crois-moi, et tu me périras point. Si tu agis ainsi, on ne te refusera pas, on ne te repoussera pas. As-tu péché par les pieds, la main, la bouche, le nez ou par toute autre partie de ton corps? Jésus souffre de toutes parts pour effacer tes péchés. Il étend les bras pour te recevoir, t'embrasser. Ses plaies ouvertes te montrent quel amour est au dedans de son coeur. Et si tu n'oses aller à lui pour lui adresser directement ta demande, Jean et la Vierge Marie sont là, prêts à te présenter, à appuyer ta requête et à obtenir ce que tu souhaiteras saintement. Si le monde te trompe, si la chair t'aiguillonne, si l'ennemi te menace, accours ici avec une foi sincère, appuie-toi sur cette croix, et en la tenant tu n'auras plus de doute. Mais, diras-tu, je n'ai aucun mérite qui me donne le droit de recourir à Jésus Cela est ainsi, je te le concède. Néanmoins, suis mon conseil, fais tes propres mérites des mérites de Jésus et de sa Passion. Suis l'exemple de saint Bernard, et alors tu seras riche et tu arriveras à posséder ces inappréciables trésors en te joignant au Sauveur sur la croix, dans des sentiments de foi, d'espérance, d'amour; en y mettant tout ton espoir et toute ta charité. Et ne viens pas dire que tes iniquités sont trop grandes, qu'elles sont abominables, horribles et détestables ; c'est là pour toi un motif de plus de t'approcher de lui, de te présenter devant lui. Sois donc empressé à recourir à sa croix, car là où a abondé le péché surabonde la grâce. Ton affaire est de te purifier, n'est ce pas? Il est la fontaine. Cherches-tu ton pardon? Il est le dispensateur des miséricordes. Soumets-toi à lui, dis à la bienheureuse Vierge, qui est ta souveraine, qu'elle te soulève jusqu'à lui, selon les soins qu'elle apporte à ta perfection. Si tu agis de la sorte, elle te rendra ferme dans la justice jusqu'à l'heure de la mort, et te soustraira aux châtiments que tu aurais pu mériter, comme aussi elle diminuera tes griefs contre Dieu, « car la miséricorde l'emporte sur la justice (Jacob, 11, 13), » et la gloire dans l'autre vie sera plus sublime que la justice qu'on aura eue en ce monde. Avec une grande confiance, recours vite à cette croix, où saint Jean est notre médiateur et intercesseur, de même que l'est la bienheureuse Vierge auprès de son Fils, et que le Fils l'est auprès de Dieu. Là gît toute la charité et la miséricorde ainsi que toute la piété. Si Jésus prie pour ses persécuteurs, comment nous mépriserait-il, si nous le prions et le supplions, nous, ses humbles serviteurs.

Prions donc et disons : Conservez-nous, Seigneur, dans votre bonne garde et dans la garde de votre Mère, et dans celle de votre singulier ami saint Jean et de vos saints bénis, afin qu'en tout temps nous soyons auprès de votre croix, par une foi ferme, par une bonne espérance et un amoureux souvenir de votre bénie Passion.


TEXTE DIX-HUITIÈME.

Dès la sixième heure, les ténèbres couvrirent toute la terre, jusqu'à la neuvième. Jésus appela avec un grand cri: Héli ! Héli! lamma sabacthani, ce qui signifie : « Mon Dieu! mon Dieu, pourquoi m'avez vous délaissé et abandonné! »

EXPOSITION.

Quelle triste plainte contenue dans ce peu de mots ! l'humanité parle ici pour elle et en son nom; dénuée de tout, elle ne trouve de consolation nulle part. Si la raison se plaint à Dieu en disant : Hélas! Seigneur, je ne puise aucun secours dans les vertus qui sont dans mon esprit. Toutes refusent de me consoler. Nulle ne me communique ni force, ni constance, ni claire vision de Dieu ! Ni son amour, ni sa lumière me réjouissent mon esprit ! Je suis délaissée de tout et en tout ! Je suis écrasée, abîmée, sous le poids d'un douloureux tourment. Pensez-ici dévotement, ô peuple chrétien! et vous trouverez que l'humanité " de votre Sauveur pourrait à présent prononcer cette parole du prophète : « O vous tous qui passez sur le chemin, entendez et regardez s'il est une douleur semblable à la mienne. » -  On lui inflige les tourments les plus cruels que l'on puisse inventer. Et comme cette humanité est plus délicate, plus parfaite, plus impressionnable, elle ressent d'autant plus vivement la souffrance. Aucun cœur ne peut concevoir les douleurs de Jésus.

Prions donc, et disons : Dieu de toute consolation, ne permettez pas que nous succombions dans la désolation, mais plutôt que désormais dans nos adversités, nos tribulations et nécessités, vous soyez notre refuge, que votre grâce céleste nous aide, afin que nous demeurions toujours dans la voie de la pénitence et dans le souvenir de votre mort.


TEXTE DIX-NEUVIÈME.

Quelques-uns de ceux qui étaient présents l'ayant entendu crier de la sorte, disaient: « Il appelle Elie. » Après cela Jésus sachant que toutes choses étaient accomplies, ajouta : « J'ai soif. »

EXPOSITION.

Chrétiens très dévots, cette cinquième parole condamne votre gourmandise. Jésus savait bien qu'il n'aurait à boire qu'un vin amer après un si long jeûne et avoir été attaché à la croix. Il y avait déjà près de quatre heures qu'il s'y trouvait suspendu; sa poitrine le brûlait au-dedans. Comme en union avec cette souffrance de son Fils, nul doute que Marie se trouvait également à jeun. Jésus, notre Sauveur, pour montrer que sa douleur était vraie et naturelle, voulut l'éprouver par les sens, ses opprobres et sa soif ardente, afin que cette parole du prophète s'accomplît : « Ils m'ont donné du fiel pour nourriture et du vin aigre pour breuvage.» (Psaume 68). Par là, il voulait encore nous enseigner la sobriété, et que le péché commis par la douceur de goût d'une pomme serait pardonné et remis par le goût amer du vinaigre, ainsi que va le déclarer le texte.

Jésus, qui avez soif de notre salut, accordez-nous d'éprouver toujours une semblable soif pour nous-mêmes et dans nous-mêmes, afin que désormais nous fassions pénitence dans les jeûnes et une exacte sobriété, comme aussi dans le souvenir de votre mort amère.


TEXTE VINGTIÈME.

Il y avait là un vase plein de vinaigre, aussitôt l'un d'eux courut en emplir une éponge, et, l'ayant mise au bout d'un roseau, il lui présenta à boire, disant : « Laissez, voyons si Elie le viendra tirer de la Croix. » Les autres disaient de même. Jésus ayant goûté le vinaigre, dit : «Tout est consommé. »

EXPOSITION.

Une grande leçon de persévérance nous est donnée par cette sixième parole. Elle condamne notre inconstance, à nous qui ne menons rien jusqu'à une complète perfection, Cette parole put sembler bien dure à la douce Vierge, à cause de la mort prochaine de son Fils dont elle va se trouver séparée. D'un autre côté, Marie pourra tirer une sorte de consolation de la peine avec laquelle il se séparait de son humanité. - Accordez-nous, Seigneur, de persévérer dans le bien jusqu'à la fin, et d'accomplir une véritable pénitence par le souvenir constant de votre mort.


TEXTE VINGT-UNIÈME.

Jésus, jetant de nouveau un grand cri, dit : «Mon Père, je remets mon esprit entre vos mains.» Et, en prononçant ces mots,il baissa la tête et expira.

EXPOSITION.

Jésus s'en va vers son Père par une mort affreuse et sous les yeux de sa Mère désolée. Quelle ardeur ne devons nous pas mettre à faire pénitence pour de semblables douleurs, quand nous les repassons dans notre souvenir. Le cri de Jésus fut jeté comme une grande clameur avec beaucoup de larmes et de prières, qui furent exaucées en faveur de la souveraineté divine de Jésus comme Chef de l’Église. Cette forte et haute voix qui fait trembler et ébranle les cieux et la terre, et tout le monde, cette puissante et pénétrante voix va jusque dans les prisons de l'enfer. O mort très-douloureuse, de laquelle portent le deuil toutes les créatures ! O mort précieuse qui donna le coup de la mort à nos vices. Puissante mort qui mord dans les deux parties de l'enfer : aux limbes et dans le Purgatoire; tu donnes une gloire parfaite aux justes qui sont dans les limbes. A ceux du Purgatoire, tu fais une entière rémission par le joyeux avènement de la sainte âme de Jésus Christ ; ou, au moins, tu la fais grande et fructueuse, en délivrant les uns de toutes leurs dettes, et en allégeant les peines des autres qui y demeurent. Te voilà bien confondu, malheureux ennemi, vieux serpent Léviathan (l`Ange déchu); tu voulais mordre la précieuse âme de Jésus-Christ par la morsure de la mort, et la maison de la divinité qu'elle habitait a déjoué tes malices et a délivré la proie que tu comptais retenir toujours.

Seigneur Jésus, faites qu'après avoir continuellement médité votre Passion douloureuse et votre mort angoisseuse, et marché à votre suite jusqu'au Calvaire, par la voie amère de la pénitence, il nous soit donné de rendre en paix, et dans votre doux amour, notre esprit entre vos bénies mains.


TEXTE VINGT-DEUXIÈME.

Alors le voile du temple fut divisé en deux parties de haut en bas, la terre trembla, les rochers se fendirent, et les tombeaux s'ouvrirent. Et plusieurs des corps saints, qui avaient été ensevelis, se levèrent et sortirent de leurs monuments après sa résurrection, et vinrent dans la sainte cité où ils apparurent à plusieurs.

EXPOSITION.

Votre dureté et inhumanité à l'égard de votre Sauveur mort sur la croix prend sa source dans votre cœur même. ll est malheureux que vous n'éprouviez pas spirituellement ce qui s'opère dans la nature visiblement. Déchirez donc ce voile qui est devant vos yeux, qui couvre cette profonde ignorance qui vous séduit et vous empêche de contempler le Christ sur la croix. Revêtez-vous du Saint des Saints, de Dieu même, le priant d'illuminer votre face par la vraie foi. D'autre part, craignez la vengeance divine, vous qui êtes comme une terre maudite, afin que par cette crainte et cette commotion de votre cœur, vous soyez guérie, selon une parole prophétique. - Imitez la nature et brisez la pierre de votre cœur par le marteau d'une vraie contrition. Ensuite ouvrez le sépulcre de votre immonde conscience par la confession, pour en faire sortir la pourriture qui y était entrée avec le péché mortel, et qui en avait fait comme un sépulcre, afin que votre âme ressuscite à la vie de la grâce, et que, par la vertu de cette mort douloureuse de Jésus-Christ , elle aille dans la sainte cité, la Jérusalem céleste, qui est en haut, dans le Paradis. N'avons-nous pas la vérité des Écritures qui nous assure que ceux qui étaient morts et qui ressuscitèrent avec Jésus montèrent avec lui au Ciel.

Prions donc et disons : Déchirez, Seigneur, le voile qui couvre notre ignorance, et brisez la dureté de notre cœur, puis pénétrez-le de compassion pour vous; ouvrez notre conscience à une fructueuse confession, et ressuscitez notre esprit par la pénitence, par le souvenir continuel de vos douleurs et de Votre mort amère.


TEXTE VINGT-TROISIÈME.

Le centurion qui était là présent vis-à vis de lui, ayant vu ce qui était arrivé, et que Jésus était mort en jetant un grand cri, glorifia Dieu, en disant : « Certainement cet homme était juste. Il était vraiment Fils de Dieu.» Et ceux qui étaient avec lui, pour garder Jésus, ayant vu le tremblement de terre, et tout ce qui se passait, furent saisis d'une extrême crainte, et dirent : « Cet homme était vraiment le Fils de Dieu. » Et tout le peuple qui assistait à ce spectacle, considérant toutes ces choses, s'en retournait en se frappant la poitrine. Tous ceux qui étaient de la connaissance de Jésus, et les femmes qui l'avaient suivi de Galilée étaient là aussi, et regardaient de loin ce qui se passait. Entre ces femmes était Marie Madeleine, Marie, mère de Jacques-le-Mineur et de Joseph, et Salomé, qui le suivaient lorsqu'il était en Galilée, et qui l'assistaient de leur bien ; il y en avait encore beaucoup d'autres qui étaient venues de Jérusalem

EXPOSITION.

Et maintenant la prière de notre Sauveur produit des fruits salutaires. Vous voyez comme tout aussitôt plusieurs de ses ennemis reviennent au repentir. Ce fut là un miracle signalé entre les autres, que le centurion (c'est-à-dire qui avait cent soldats sous ses ordres), crut et confessa que Jésus-Christ est le Juste et le Fils de Dieu. ll avait considéré que contre le cours ordinaire de la nature, le soleil était ténébreux et la lune était pleine. Saint Denis de France, qui alors se trouvait en Égypte, disait que le Dieu de la nature souffrait, ou que la machine du monde allait se détruire. Le centurion avait en outre considéré que Jésus avait rendu l'esprit spontanément, en criant d'une voix forte. Ce qui désignait que s'il quittait la vie, c'était parce qu'il le voulait bien. Il avait vu la terre trembler, les pierres se fendre, et plusieurs autres merveilles de ce genre. Et il dut raisonner ainsi: Cet homme s'est dit le Fils de Dieu, et aujourd'hui il a promis le paradis à un voleur. S'il l'avait dit faussement, tout le monde le regarderait comme un superbe; mais il a montré à tous sa patience, son humilité, ne recherchant ni la gloire ni les honneurs. S'il avait désiré la gloire et la célébrité, en se faisant passer pour Fils de Dieu, ne pouvait-il le faire d'une manière plus ostensible au lieu de vouloir être suspendu à la croix, car je ne sache que personne encore jusqu'alors fût jamais parvenu à la gloire et à l'honneur par l'ignominie du crucifiement.

Prions donc et disons : Jésus, que nous confessons être le vrai Fils de Dieu, accordez-nous d'avoir le cœur tellement brisé par la douleur de nos fautes, qu'au moyen d'une sincère pénitence nous soyons trouvés sans tache à l'heure de la mort.


TEXTE VINGT-QUATRIÈME.

Parce que c'était la veille du Sabbat, afin que les corps ne demeurassent point à la croix le jour du Sabbat, qui est un jour très-solennel, les Juifs prièrent Pilate de leur faire rompre les jambes (pour avancer leur mort) et de les faire enlever. Il mit donc des soldats qui brisèrent les cuisses de ceux qui étaient crucifiés avec Jésus. Quand ils vinrent à Jésus, et qu'ils virent qu'il était déjà mort,ils ne lui rompirent point les jambes; mais l'un d'eux lui ouvrit le côté avec une lance, et aussitôt il en sortit du sang et de l'eau. Celui qui l'a vu en rend témoignage, et son témoignage est véritable. Et il sait qu'il dit Vrai, afin que vous le croyez aussi. Car ces choses ont été faites, afin que cette parole de l’Écriture fit accomplie : « Vous ne briserez aucun de ses os. » L'Écriture dit encore ailleurs : « lls verront celui qu'ils ont percé.»

EXPOSITION.

Cette persécution contre votre doux Fils est vraiment trop cruelle, ô Mère des douleurs ! Cette persécution contre le Fils de Dieu est très-cruelle ; mais la volonté divine le voulut ainsi, afin de montrer clairement qu'il est le véritable Agneau de Dieu, figuré par l'agneau Pascal, de qui il a été dit : « Vous ne briserez aucun de ses os.» Il est évident, d'après cet argument, qu'il est lui-même le vrai Prophète et l'objet de cette prophétie qu'il a inspirée autrefois à son prophète, ainsi que l'ont reconnu tous les interprètes sacrés. Ces signes réunis en lui ne pouvaient se rencontrer dans aucun de ceux qui l'avaient précédé. Il en fut ainsi, afin que les chefs des Juifs pussent se convaincre que Celui qu'ils avaient fait mourir est le vrai Fils de Dieu, et que lorsque les Apôtres le leur ferait connaître, ils ne dussent qu'à eux-mêmes l'aveuglement de leur esprit , l'endurcissement de leur cœur, et leur réprobation. Ainsi Dieu voulut montrer la folie des païens et des hérétiques, qui oseraient nier que Jésus fût vraiment mort, et qu'il ne pouvait se ressusciter lui-même. Dieu avait prévu la malice des chefs des Juifs, qui firent garder son tombeau par des leurs et voulurent corrompre ces gardes en leur persuadant de dire au peuple que les disciples de Jésus étaient venus , et qu'ils avaient enlevé son corps, tandis qu'ils étaient endormis.

Quel témoignage, ô Dieu, que celui de  témoins qui assurent qu'une chose s'est faite, tandis qu'ils dormaient ! Mais si Jésus n'était pas ressuscité véritablement, ni ses disciples, ni un grand nombre d'autres, qui après se convertirent en ce temps, et qui virent ces choses, n'eussent pas persévéré dans leur foi, ni enduré de mort si cruelle pour la confirmer. - Vous voyez bien que si Jésus n'avait pas été véritablement mort, il n'eût point pu vivre après avoir eu le cœur percé d'une lance. C'est pourquoi Saint Jean dit que l'eau, le sang et l'esprit rendent témoignage de Jésus-Christ (Jean,5.7). L'eau fut l'image du Sacrement de baptême ; le sang signifiait le Sacrement de l'autel. Et saint Augustin dit que le bon larron fut baptisé par cette eau dont quelques gouttes jaillirent sur lui.

Accordez-nous, Seigneur, d'être vraiment purgés et purifiés de toutes nos iniquités par la pénitence qui est un second Baptême, et par la vertu de votre précieux sang, dans le Sacrement de l'autel, qui est pour nous le mémorial perpétuel de votre mort.


TEXTE VINGT-CINQUIÈME.

Quand le soir fut venu, un homme riche et noble de la ville d'Arimathie, nommé Joseph, vint demander à Pilate le corps de Jésus. Joseph était en secret disciple de Jésus : il le cachait par crainte des Juifs, mais il n'avait point consenti à leur dessein ni à ce qu'ils avaient fait. ll était du nombre de ceux qui attendaient le royaume de Dieu. Celui-ci vint donc hardiment trouver Pilate et lui demanda - le corps de Jésus. Pilate s'étonnant qu'il fût mort sitôt, et qui connaissait le solliciteur, lui fit remettre le corps de Jésus. Nicodème était venu avec Joseph la nuit même. Ils apportaient une mixture de myrrhe et d'aloès, du poids d'environ cent livres. Ils prirent donc le corps de Jésus, et l'enveloppèrent dans un linceul, selon la coutume des Juifs, quand ils ensevelissaient. A l'endroit où l'on avait crucifié Jésus se trouvait un jardin, et dans ce jardin un sépulcre neuf qui n'avait jamais servi à personne. Marie-Madeleine et les autres Maries se trouvaient debout près de ce tombeau. Elles y entrèrent, virent de quelle manière l'on y déposait Jésus, puis elles s'en retournèrent, afin de préparer les épices et les huiles pour oindre le corps de Jésus.... Mais, durant le jour du Sabbat, elles demeurèrent en repos selon l'ordre de la Loi.

EXPOSITION.

A cette heure (environ celle des basses complies), se fit le dernier adieu de Marie à Jésus, et s'accomplit le retour à Jérusalem. Depuis le moment, ô Mère désolée, où vous regardâtes détaché de la croix le précieux corps de votre Fils, et où il vous fut possible de le recevoir dans vos bras, il est bien à supposer que vous le baisâtes avec une pieuse tendresse. Hélas! ce n'étaient point là les baisers que vous aviez coutume de lui donner. Ceux-ci étaient mêlés de larmes...votre visage était couvert du sang qui coulait de la face et des plaies de Jésus..

L'office de l'ensevelissement s'accomplit. Nous en devons tirer cette leçon, qu'il nous faut aussi ensevelir dans nos cœurs, le corps sacré de Jésus par la pénitence, le conserver dans un pieux souvenir, l'envelopper dans les blancs linceuls de la chasteté et de la pureté. Nicodème et Joseph s'éloignèrent, mais Marie, saint Jean et les autres saintes femmes demeurèrent plus longtemps. Néanmoins la nuit qui tombait les obligea à s'éloigner.  Regardez, je vous prie, ô très-dévots, regardez, ouvrez les yeux de votre pensée, et suivez avec une sainte compassion le retour de Notre-Dame à Jérusalem, quand elle quitta le Calvaire, accompagnée de Jean et des autres Maries.

Maintenant que nous voilà à la fin de cette exposition, prions ainsi. Jésus, vrai Sauveur de tout le monde, accordez-nous par la vertu de votre Passion, que nous puissions souffrir avec vous, et qu'attachés à la croix par la pénitence, nous y attachions aussi par la mortification notre sensualité et tous nos vices pervers ; de sorte que notre esprit mérite de s'élever vers vous par la contemplation, et que notre conversation soit dans les cieux. Que comme votre saint corps fut déposé en paix et avec un plein repos dans le sépulcre, à la fin de votre vie, nos vices et nos passions soient ensevelis aussi sous le voile de l'immortalité, et nos imperfections couvertes par l'abondance de la grâce. De sorte que notre résurrection soit parfaite par la gloire qui éclatera en nous, comme nous osons l'espérer par les mérites de votre douloureuse Passion et de votre glorieuse résurrection. Ainsi soit-il.

MichelT

Date d'inscription : 06/02/2010

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LA PASSION DE NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST ET LA COMPASSION DE LA VIERGE MARIE - par Jean Gerson - (1363 – 1429) Empty Re: LA PASSION DE NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST ET LA COMPASSION DE LA VIERGE MARIE - par Jean Gerson - (1363 – 1429)

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