Apparition,Révélation Privée,faut il y croire?

Révélations, messages, apparitions :
faut-il y croire?
(P. Alain Bandelier, avec son autorisation)
Peut-on poser cette question et essayer de l'éclairer sans soulever de passions contradictoires
? Sur ce sujet, les prises de position sont vite émotionnelles... Pour les uns, accorder
un crédit quelconque à ces prétendues révélations, c'est trahir la Parole de Dieu, qui est
l'unique Révélation, c'est tomber dans l'idolâtrie, c'est cultiver un goût malsain pour le merveilleux.
Pour les autres, mettre en doute ou simplement mettre à leur place ces phénomènes,
c'est se fermer à la grâce, passer à côté des appels de Dieu, rejeter les signes que l'Esprit
nous donne.
Les positions radicales sont souvent les plus confortables. À la limite, tout rejeter, comme
tout avaler, trahit une paresse intellectuelle. Cela dispense d'un difficile travail de discernement.
Cela flatte l'amour-propre du vieil homme, qui se range avec autosatisfaction du côté
des bien-pensants et des vrais croyants.
Ce n'est pas nouveau
Une rapide enquête montre qu'il y a toujours eu dans l'Église ce phénomène des "révélations
particulières" (1). Vraies ou fausses. Reconnues ou non reconnues. Dès les temps apostoliques,
l'apôtre Paul a des visions et des révélations, et pas seulement sur la route de Damas (2). Mais
Simon éblouit les gens par sa magie et les exorcistes juifs prononcent en vain le nom de Jésus
(3).
Depuis deux millénaires, en Orient comme en Occident, il y a eu des "illuminés". Les uns au
sens péjoratif : ils se prennent pour des lumières ! Les autres au sens mystique : ils reçoivent
une lumière qui s'impose à eux, et ils peuvent avoir mission de la transmettre aux autres, voire
à l'Église entière. C'est bien par révélation que Catherine de Sienne ramène le Pape d'Avignon
à Rome, ou que Marguerite-Marie invite le peuple de Dieu à redécouvrir les profondeurs du
Coeur du Christ. les apparitions de Lourdes ou de Fatima sont historiquement des faits indiscutables
et spirituellement des sources de grâce indéniables.
Aujourd'hui, les phénomènes extraordinaires sont très nombreux (peut-être ne sont-ils pas
plus nombreux, mais seulement plus universellement connus grâce aux moyens de communication).
Statistiquement parlant, on peut penser que dans le lot il y en a probablement des
authentiques, et des inauthentiques. Quels critères peuvent aider à y voir clair?
Quelques critères
Critique historique
On n'est jamais dispensé du bon sens. Devant des faits miraculeux ou mystiques ou charismatiques
(3), il y a d'abord à vérifier la réalité des événements et l'exactitude des témoignages.
À défaut de pouvoir faire une enquête soi-même, on peut s'appuyer sur les conclusions
d'observateurs compétents et dignes de foi. Cela inclut, évidemment, les conclusions de la
commission d'enquête diocésaine quand il y en a une, et celles de l'Évêque du lieu quand il a
pris position.
Critique théologique
Dès qu'il y a communications, messages, exhortations, il faut introduire un critère très
important, qui est celui de l'harmonie de la foi. Pour dire les choses autrement, et avec St
Paul, l'esprit des prophètes est soumis aux prophètes (5).
L'Église est la gardienne fidèle et l'interprète autorisée de ce que l'Évangile nous demande
de croire et de vivre. Si les enseignements ou les comportements de personnes "inspirées"
s'y opposent, c'est mauvais signe.
Critique spirituelle
L'événement ou le message, s'ils viennent de l'Esprit Saint, sont accompagnés d'un climat
spirituel qui est celui des Béatitudes. Il faut fuir si l'on constate un orgueil spirituel, une
insoumission à l'autorité (les vrais spirituels ont toujours obéi, même quand l'obéissance était
douloureuse), un manque de paix dans les voyants ou dans leur entourage etc. Un critère négatif,
fréquent aujourd'hui, y compris chez des visionnaires non catholiques, est une exploitation
de l'angoisse et une annonce de l'imminence de la fin du monde. Lorsque Dieu nous dit que
l'heure est grave, il veut nous réveiller et nous sauver. Il ne veut pas nous avoir par la peur
(6).
Il est intéressant de noter que ces critères sont directement applicables dans la conduite
pastorale de nos groupes de prière et de nos assemblées.
Une question de fond
Jusqu'à présent je n'ai pas évoqué la question fondamentale. S'il est vrai que Jésus Christ,
le Verbe, est la plénitude de la grâce et de la vérité (7), la plénitude de la Révélation et du
Don de Dieu, y a-t-il besoin d'ajouter à l'Évangile des révélations, des messages, des apparitions
? L'erreur est précisément de penser que cela ajoute quelque chose. Un éclairage théologique
essentiel a été exprimé au XX° siècle : la dialectique du déjà là et du pas encore. Tout
est donné, mais tout n'est pas reçu. Tout est accompli, et pourtant le jour où Dieu sera tout
en tous n'est pas encore arrivé (8). D'ailleurs nous le savons bien. À quoi servirait l'Église,
pourquoi faudrait-il évangéliser, si tout était " bouclé "?
Paul est bien conscient de compléter ce qui manque à la passion du Christ. alors qu'en vérité
il ne manque rien au Salut du monde - sauf dans l'ordre de la communication du Salut en
faveur de son Corps qui est l'Église (9). On est ici en plein dans le mystère et la mission de
l'Esprit : Il vous conduira vers la vérité tout entière. Est-ce que Jésus n'a pas tout dit, estce
que l'Esprit doit écrire un 5° évangile ? Évidemment non. Mais l'Esprit va prendre de ce
qui est à moi pour vous le transmettre. Par les voies ordinaires du témoignage, de la diaconie
et de la liturgie, et par les voies extraordinaires des signes et des prodiges, des visions et des
révélations, l'Esprit va donner à l'Église de recevoir pour elle-même et de communiquer au
monde l'inépuisable richesse du Christ (10).
C'est pourquoi, à proprement parler, il n'y a pas à croire aux révélations particulières. En
tant qu'événements, elles ne sont pas objet de foi, mais d'enquête : elles sont vraies ou
fausses. En tant que signes de Dieu éventuels, elles ne sont pas non plus objet de foi, mais
appel à la foi. Elles n'invitent pas à se centrer sur elles, mais sur Celui dont elles témoignent.
Ce serait un déséquilibre spirituel que d'en faire un absolu, de nourrir sa vie spirituelle de
révélations particulières, de se faire l'apôtre d'un lieu d'apparitions au lieu de prêcher
l'Apparition par excellence, qui est le Verbe fait chair (11). En revanche, quand tel ou tel signe
est authentique, et que la Providence permet que d'une manière ou d'une autre il nous
atteigne, il serait présomptueux et prétentieux de décréter, comme beaucoup, "je n'ai pas
besoin de cela pour croire ". Pour croire, sans doute. Mais pour mieux croire, sans doute pas.
Ou alors c'est une façon de dire à Dieu que nous savons mieux que lui ce qui est bon pour nous,
et qu'il a bien tort de se déranger.
(1 ) Je n'emploie pas le vocabulaire usuel, qui parle de révélations privées. En effet, elles peuvent
très bien avoir un caractère public par leur déroulement ou par leur portée. En fait cette
qualification vise à les distinguer de la Révélation publique, c'est-à-dire celle que Dieu a adressée
au monde entier, et qu'il a confiée aux prophètes dans les temps anciens, et finalement à
son Fils, selon l'enseignement de la lettre aux Hébreux (1,1).
(2) 2° lettre aux Corinthiens 12, 1.7 ; Actes 16, 6-9 etc.
(3) Actes 8, 11; 19, 13.
(4) Intentionnellement, j'évoque trois formes différentes de grâces extraordinaires. Trop
souvent on les confond. Ce serait un point à développer. Mais les critères de discernement
sont les mêmes.
(5) 1° lettre aux Corinthiens 14, 32.
(6).Jean 16, 33 ; Luc 21, 28.36.
(7) Jean 1, 14.16.
(8) Jean 19, 30 ; l° lettre aux Corinthiens 15, 28
(9) Colossiens 1, 24.
(10) Jean 16, 13-15 ; Ephésiens 3, 8.
(11) 2° lettre à Timothée 1, 10 ; lettre à Tite 2,11-13.
Extrait de
«Pentecôte aujourd’hui»
n°32 juillet 98