SERMON SUR LE MÉLANGE DES BONS ET DES MÉCHANTS EN CE MONDE - Massillon - 17 ème siècle
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SERMON SUR LE MÉLANGE DES BONS ET DES MÉCHANTS EN CE MONDE - Massillon - 17 ème siècle
«Quand nous prions, c`est nous qui parlons a Dieu; mais quand nous lisons la Bible, c`est Dieu qui nous parle.» (Saint-Augustin - 4 ème siècle) - Il faut chercher activement à s`instruire des choses de Dieu; car on ne peut faire de progrès dans son amour qu`en apprenant a Le mieux connaître.
Le Jugement Dernier - peinture médiévale
Pie IX et la révolution (Extrait)
Page 444 – caractère -immoralité et crimes
Et d'abord , personne ne niera qu'il n'y ait, dans le monde ( dans tous les peuples) des hommes bons et des hommes mauvais ; des hommes justes et des hommes injustes des hommes vertueux et des hommes vicieux ; des hommes religieux et des hommes impies ; des hommes d'ordre et des hommes de désordre ; des hommes paisibles et des hommes violents ; des hommes amis du droit et des hommes amis de l'arbitraire ; enfin des hommes qui aiment et respectent les lois , l'autorité et la liberté, et des hommes qui détestent et outragent ces mêmes lois , cette même autorité, cette même liberté. L'oppression et la tyrannie ont leurs amis aussi . Personne ne niera, non plus, que ces deux catégories d'hommes, si différents et si opposés, ne constituent , dans chaque société, deux partis entre lesquels il y a nécessairement lutte, et qui se disputent le pouvoir. Et pourtant, ces hommes ou ces partis différents ont tous la même nature , et tous également peuvent être bons ou mauvais. Pourquoi donc cette énorme différence entre eux ? Parce que les uns ont de bons, et les autres de mauvais principes ; parce qu'il y a , dans le monde, deux écoles , deux forces, deux tendances opposées , les unes bonnes et vraies, et les autres méchantes et fausses. Très- certainement, la société est intéressée au triomphe des bons, et elle doit redouter le triomphe des méchants. Très- certainement aussi il y a des signes caractéristiques et infaillibles du triomphe de l'un ou de l'autre parti. Et à quels signes reconnaît- on la domination des bons dans la société ? A l'ordre et à la confiance. Et à quels signes reconnaît-on la domination , dans la société , des méchants et des pervers ? Au désordre et à la défiance universelle. Or, de que côté , dans l'un ou dans l'autre cas , est la civilisation ? Elle est évidemment du côté de l'ordre et de la confiance, car elle seule donne le premier, et inspire la seconde.
SERMON SUR LE MÉLANGE DES BONS ET DES MÉCHANTS EN CE MONDE (Extraits)
JEAN BAPTISTE MASSILLON (1663 – 1742) - est un homme d'Église français, évêque de Clermont en Auvergne.
Un sermon en France au 17 ème siècle
Seigneur, n'avez - vous pas semé de bonne semence dans votre champ ? d'où vient qu'il s'y trouve de l'ivraie ? » (Matthieu 13,27)
Un des devoirs les plus essentiels et les plus ignorés de la vie chrétienne, c'est l'usage que nous devons faire des vices ou des vertus des hommes au milieu desquels nous sommes obligés de vivre . Aussi la sagesse de Dieu n'a permis le mélange de l'ivraie et du bon grain , des bons et des méchants dans l'Église , que pour ménager aux uns et aux autres des moyens de conversion , ou des occasions de mérite ; et lors que les serviteurs du père de famille, touchés des scandales qui déshonorent son royaume, lui demandent qu'il leur permette d'aller arracher l'ivraie que l'homme ennemi a sursemée dans ce champ divin, il condamne leur zèle , et leur fait entendre que ce mélange, qui paraît si injurieux à sa gloire, a néanmoins ses raisons et ses usages dans l'ordre adorable de sa providence . Cependant ce mélange établi pour corriger le vice et pour purifier et éprouver la vertu , séduit ou décourage celle - ci, et ne fournit que des censures à l'autre : ce mélange si utile à tous, est devenu pernicieux à tous ; et encore aujourd'hui , dit saint Augustin, les justes souffrent avec peine les pécheurs; les pécheurs ne peuvent pas même supporter la présence des justes , et ils sont à charge les uns aux autres.
Il importe donc de développer les raisons éternelles et les utilités de cette conduite de Dieu sur son Église ; et cette matière paraît d'autant plus importante, que tous les autres devoirs de la vie chrétienne semblent s’y rapporter. En effet, le vice et la vertu se trouvant toujours nécessairement mêlés sur la terre , rien n'est plus digne d'être éclairci , que les règles de la foi qui apprennent aux pécheurs, quelle utilité ils doivent retirer de la société des justes avec lesquels ils vivent; et aux justes, celle qui doit leur revenir du commerce des pécheurs, inévitable pour eux sur la terre . Or, pour établir ces vérités sur une doctrine solide , il n'y a qu'à remonter jusqu'au premier dessein de la Providence , et exposer quelles ont pu être les raisons éternelles de sa sagesse , dans le mélange des bons et des méchants sur la terre . En voici deux principales ; et d'elles , nous allons tirer toutes les règles que nous devons prescrire. Les bons , dans les desseins de Dieu, doivent servir , ou au salut , ou à la condamnation des méchants : c'est la première. Les méchants sont soufferts pour l'instruction, ou pour le mérite des justes : c'est la dernière . De l'exposition de ces deux principes , vont naître toutes les grandes vérités que renferme cette matière; et qui règlent, ou la conduite des pécheurs envers les gens de bien , ou les dispositions des gens de bien à l'égard des pécheurs. Implorons, etc. Ave Maria .
PREMIÈRE PARTIE .
Ne semble-t-il pas , mes Frères , qu'il eût été plus glorieux à Jésus-Christ de s'être formé sur la terre une Église uniquement composée d'élus , sans tache dans les moeurs comme dans la foi, et l'image naturelle et anticipée de la Jérusalem céleste , et de cette Église des premiers-nés dont les noms sont écrits dans le ciel ? Un champ arrosé de son sang divin, devrait-il encore produire l'ivraie avec le bon grain ? un bercail dont il est le pasteur, peut-il renfermer des loups confondus avec les brebis ? un corps dont il est le chef, peut - il encore souffrir des membres qui servent à l'ignominie ? et l'Église ne serait- elle pas plus digne de son Époux , si refusant ici-bas aux pécheurs les signes extérieurs de la paix et de l'unité , elle ne reconnaissait pour siens sur la terre , que ceux qui lui appartiendront dans le ciel ? Il est vrai , mes Frères , que les justes en forment ici-bas la partie la plus essentielle et la plus inséparable : c'est eux proprement qui la représentent toute devant Jésus-Christ; c'est eux qui sont le principal lien de son union avec elle ; c'est à eux qu'elle doit le mérite de ses prières , le fruit de ses sacrements , la vertu de sa parole ; c'est pour eux enfin qu'elle subsiste encore ; et toutes choses seraient consommées, si leur nombre était accompli .
Cependant, quoique les pécheurs ne soient que comme les taches de ce corps divin , ils ne lui appartiennent pas moins : l'Église les regarde comme ses enfants; elle les souffre comme ses membres, gâtés à la vérité, mais qui tiennent encore au reste du corps , non- seulement par les symboles extérieurs des sacrements et de l'unité, mais encore par les liens intérieurs de la foi et de la grâce; et qui peuvent même, trouver dans leur société avec les justes, ou mille ressources heureuses de salut , qui leur manqueraient s'ils vivaient séparés d'eux comme des anathèmes, ou un sujet terrible de condamnation, qui justifiera la sévérité des jugements de Dieu à leur égard. Je dis premièrement : mille ressources heureuses de salut , puisqu'ils trouvent dans leur mélange avec les justes, les secours des instructions , des exemples , et des prières; c'est à -dire, les moyens les plus efficaces de leur conversion. Le secours des instructions est la première utilité que les pécheurs retirent de la société des gens de bien ; et ces instructions font d'autant plus d'effet sur les âmes les plus mondaines , que la vérité , l'autorité , la charité, en sont les caractères inséparables. La vérité : les justes ont l'oeil trop simple et les lèvres trop innocentes, pour louer le pécheur dans les désirs de son coeur. Ils ignorent ce langage éternel de feinte , d'adulation , d'intérêt , dont les hommes se servent pour se séduire les uns les autres; ils appellent avec une noble simplicité le bien un bien , et le mal un mal . Ils savent qu'ils ne sont redevables qu'à la vérité ; que le chrétien en est un témoin public ; qu'il serait honteux de sacrifier à de légères complaisances, ou à un vil intérêt , une vérité à laquelle tant de fidèles ont autrefois sacrifié leur propre vie ; qu'ils ont dans le ciel le témoin invisible de leurs pensées ; qu'on peut bien cacher aux hommes les basses dissimulations d'un coeur double , mais qu'on ne peut les cacher au scrutateur des cœurs ; et que la religion toute seule forme des hommes véritables et sincères.
Ainsi ils aiment trop leurs frères pour les tromper; ils sont trop touchés de leurs égarements pour y applaudir ; ils désirent trop vivement leur salut pour devenir par des conseils flatteurs , les complices de leur perte . Ils peuvent bien se taire, car il n'est pas toujours temps de parler; mais ils ne sauraient parler que pour rendre gloire à la vérité ; et le vice ne trouve jamais auprès d'eux , ni ces basses adulations qui l'admirent, ni ces adoucissements artificieux qui le justifient. Vous apprenez de leur bouche, vous surtout que votre rang et votre naissance élève au-dessus des autres hommes, vous apprenez ce que cette foule d'adulateurs qui vous environne , vous laisse ignorer. Eux seuls vous parlent dans la sincérité de Dieu ; parce qu'eux seuls ne cherchent pas à vous plaire , mais à vous gagner à Jésus-Christ. Eux seuls , osent vous contredire , et prendre le parti de la vérité contre vous même; parce qu'eux seuls ne craignent pas de se rendre moins agréables, pourvu qu'ils se rendent plus utiles.
Eux seuls, n'étudient pas vos penchants pour y accommoder lâchement leurs suffrages, mais ils étudient vos devoirs pour y ramener vos penchants; parce qu'eux seuls, aiment plus votre personne , que votre élévation ; et sont plus touchés de votre salut, que de vos bienfaits. Tout le reste des hommes, ou vous séduit , ou se tait, ou vous flatte. Plus même vous êtes élevé, plus vos passions vous sont cachées sous l'artifice des louanges ; moins la vérité vous approche ; plus on se déguise à vos yeux , pour vous déguiser vous-même aux vôtres ; plus vous êtes à plaindre, parce que tout ce qui vous environne, n'est attentif qu'à vous surprendre , qu'à vous inspirer ses passions , ou qu'à s'accommoder aux vôtres : c'est le malheur de la puissance et la triste destinée des grands . L'innocent plaisir de la sincérité , sans lequel il n'est plus rien de doux dans le commerce des hommes, vous est refusé . Vous n'avez plus d'ami, parce qu'il est trop utile de l'être : vous vivez au milieu des hommes que vous ne connaissez pas ; qui mettent tous le masque, en vous approchant, et dont vous ne voyez jamais que l'art et la surface . Les justes seuls se montrent à vous tels qu'ils sont ; et en eux seuls , vous retrouvez la vérité qui vous fuit , et que votre puissance qui vous donne tout, vous ôte elle -même et vous cache.
Voyez comme, tandis que tous les officiers de l'armée d'Holopherne (un général de l`armée du roi de Babylone qui fait des conquêtes territoriales en Israël – Judith 7,1 et suivant – Ancien Testament) lui promettent la conquête de Béthulie, et que tout flatte son orgueil et son ambition, Achior tout seul ose parler sans artifice, prendre les intérêts du Dieu de Juda , et faire souvenir ce chef orgueilleux, que toutes ses forces viendront échouer contre cette ville , comme les flots de la mer contre un grain de sable , si le Seigneur lui-même daigne la garder et la défendre . Aussi un saint roi de Juda comptait autrefois comme un des plus grands avantages de son règne, de voir assis auprès de lui des hommes justes et fidèles. Parmi toutes les faveurs qu'il avait reçues du Dieu de ses pères, ce n'étaient pas ses victoires et ses prospérités dont il était le plus touché . C'était la vertu et la justice des sujets qui présidaient à ses conseils, et qui environnaient son trône : et la piété des Nathan et des Chusaï lui parut une marque plus sensible de la protection du Seigneur sur lui, que la conquête de Jérusalem , et les dépouilles des nations ennemies de sa gloire.
Un homme juste est un présent du ciel; et les grands surtout ne sauraient trop honorer la vertu ; parce que la puissance ne peut leur donner que des sujets, et que la vertu toute seule leur donne des amis fidèles et sincères . Mais non - seulement les justes seuls conservent encore la vérité parmi les hommes, leurs paroles tirent même d'une certaine autorité que la vertu seule donne, un poids et une force qui ne se trouve pas dans les discours des hommes ordinaires. En effet, le pécheur, quelque élevé qu'il soit, perd par ses égarements le droit de reprendre ceux qui s'égarent: ses vices affaiblissent ses instructions; les faiblesses de sa conduite décrient l'utilité de ses conseils, et ses moeurs ne laissent plus de crédit à ses paroles. Mais le juste peut avec confiance, condamner dans les autres ce qu'il a commencé par s'interdire à lui-même : ses instructions ne rougissent pas de sa conduite ; son innocence rend ses censures respectables, et tout ce qu'il dit trouve dans ses moeurs une nouvelle autorité , dont on ne peut se défendre .
Aussi nous donnons, comme sans y penser, aux véritables justes, une espèce d'empire sur nous mêmes . Quelque élevés que nous soyons d'ailleurs, la vertu se forme comme un tribunal à part , auquel nous soumettons avec plaisir notre élévation et notre puissance ; et il semble que les justes, qui jugeront un jour les anges, ont droit d'être dès à présent les juges des hommes. Un Saint Jean - le Baptiste, accompagné de sa seule vertu , devient le censeur d'une cour voluptueuse : et le roi Hérode ne peut s'empêcher de craindre ses censures, et de respecter sa vertu . Un Michée s'oppose seul aux vains projets de deux rois et de deux armées : et tout est ébranlé à la seule voix de l'homme de Dieu . Un prophète inconnu vient de la part de Dieu reprocher au roi d'Israël, assemblé à Béthel avec tout son peuple pour sacrifier à Baal , l'impiété de ses sacrifices : et les mystères profanes sont suspendus. Élie tout seul vient au milieu de Samarie, menacer le roi Achab de la vengeance divine: et le prince tremblant s'humilie, et conjure le prophète d'obtenir sa grâce auprès du Seigneur. Enfin , un Samuel, armé de la seule dignité de son âge et de son ministère, vient reprocher au roi Saül (roi d`Israël vers 950 A.V. J.C.), vainqueur d'Amalec et encore environné de ses troupes victorieuses , son ingratitude et sa désobéissance : et ce prince, si intrépide devant ses ennemis, sent toute sa fierté tomber devant le prophète, et met tout en usage pour l'apaiser.
O sainte autorité de la vertu ! qu'elle porte avec éclat les caractères augustes de sa céleste origine! Il est vrai, mes Frères , qu'à cette autorité inséparable de la vertu , les justes ajoutent les saints artifices et les sages circonspections d'une charité tendre et prudente. Ils ont appris qu'il faut reprendre à temps et à contre - temps, il est vrai ; mais ils savent aussi , que si tout leur est permis, tout n'est pas expédient; que les plaies qui sont dans le coeur demandent de grandes précautions, et qu'il faut lui faire aimer les remèdes, si l'on veut qu'ils soient utiles . Ils savent que la vérité ne doit d'ordinaire ses victoires qu'aux ménagements de la prudence et de la charité qui les lui préparent; qu'il y a un temps de gémir en secret, et un temps de parler ; que la même charité qui hait le péché, tolère le pécheur pour le corriger; et que la vertu n'a d'autorité, qu'autant qu'elle a de discrétion et de prudence. Ainsi la vertu est aimable, lors même qu'elle reprend. Ce n'est pas la connaître, de se la représenter sous l'idée d'un zèle amer et imprudent, qui condamne sans indulgence, et qui corrige sans discernement.
La charité n'est ni téméraire, ni inhumaine ; elle sait choisir ses moments, et ménager ses conseils ; elle sait se rendre utile sans se rendre odieuse ; et quand on aime sincèrement, la douceur et les précautions sont naturelles . Si ces caractères manquent, ce n'est plus la charité qui reprend et qui édifie , c'est l'humeur qui censure et qui scandalise : la charité est douce et prudente, et l'humeur est toujours piquante et téméraire . Nathan ne vient pas reprocher aigrement au roi David le scandale de sa conduite : il s'insinue avant que de reprendre; il fait aimer la vérité avant de la dire; il fait haïr le crime avant de blâmer le coupable ; et par les ménagements innocents d'une parabole ingénieuse, il trouve le secret de corriger le vice sans offenser le pécheur , et de faire prononcer David contre lui-même. Un ami saint et vertueux , et qui joint à la vertu cette douceur tendre et cette discrétion que la charité inspire , ne trouve presque point de cœur, quelque livré qu'il soit aux passions, insensible à ses sages remontrances ; car ce n'est pas ici un anachorète austère, qui par les suites de sa profession , ne pouvant vous tenir que des discours saints, vous trouve moins disposé à l'écouter : c'est un juste de votre état , de votre âge , de votre rang ; le complice peut-être autrefois de vos plaisirs et de vos débauches, qui vous fait sentir le vide des amusements dont il a été lui -même l'adorateur insensé ; qui vous inspire l'horreur d'un monde dont il a été lui-même autrefois follement enchanté ; qui vous exhorte à un genre de vie sage et chrétien , qu'il a lui-même autrefois décrié ; qui vous promet, dans la pratique de la vertu , des douceurs et une paix du cœur, qu'il a lui-même cru autrefois puérile et chimérique.
Tout ce qu'il dit , tire une nouvelle force de cette ressemblance : il vous ébranle ; il vous enlève presque malgré vous à vous-même; et la simplicité de ses discours est mille fois plus puissante pour persuader, que toute l'éloquence des chaires chrétiennes . J'en appelle ici à vous-même: combien de fois, dans le temps que vous suiviez avec plus de fureur les égarements du monde et des passions , un ami chrétien a rappelé l'ivresse de votre cœur aux lumières d'une raison plus tranquille ; vous a fait convenir de l'injustice de vos voies , des amertumes secrètes de votre état , de l'abus du monde et de la vanité de ses espérances ; et a laissé au fond de votre âme un trait de lumière et de vérité, qui depuis ne s'est jamais effacé, et vous a toujours rappelé en secret à la vertu et à l'innocence ? Saint Augustin sentit ses irrésolutions s'affermir dans les entretiens de Saint Ambroise ; Alipe , sa faiblesse se ranimer dans la sainte familiarité d'Augustin . Non, la vérité semble avoir un nouveau droit sur nos coeurs , quand elle est aidée des persuasions douces et sincères d'une tendresse chrétienne . Et ici je ne puis m'empêcher de le dire à vous , mes Frères , que la grâce a retirés des égarements du monde. Souvent, contents, ce semble, d'avoir échappé vous-mêmes au naufrage , vous voyez périr vos frères, sans douleur ; vous auriez honte de leur tendre la main . Vos nouvelles moeurs n'ont pas éloigné de vous les amis que le monde et les plaisirs vous avaient donnés; vous conservez encore avec eux ces liaisons de soins , de tendresse, de confiance, que la piété ne condamne pas , mais qu'elle rend seulement plus sincères et plus chrétiennes .
Cependant vous les laissez perdre sans les avertir : sous prétexte d'éviter l'indiscrétion, et ce zèle importun qui rend la piété odieuse , vous manquez aux règles de la charité et aux devoirs d'une amitié sainte . Il n'est jamais question de salut ( vie éternelle) entre vos amis et vous ; vous affectez même, par une fausse délicatesse , d'éviter ces sortes d'entretiens. Vous souffrez qu'ils vous parlent de leurs plaisirs, de la folie de leurs amusements , et de la vanité de leurs espérances ; et vous vous observez pour ne pas leur parler du bonheur et des avantages d'une vie chrétienne, et des richesses de la miséricorde de Dieu sur les pécheurs qui veulent revenir à lui. Mais qu'est-ce qu'une liaison dont le Seigneur n'est pas le principe, dont la charité n'est pas le noeud, dont le salut n'est pas le fruit ? Déjà c'est une erreur, de croire qu'il n'y ait pas obligation de conscience : l'Évangile vous prescrit d'aller même chercher votre frère, et de lui donner en particulier des avis tendres et charitables ; il vous est ordonné, à vous qui êtes convertis , comme autrefois à Pierre , de rappeler et de soutenir vos frères .
Mais quand la religion ne vous en ferait pas un devoir , pouvez-vous voir des hommes que l'espérance d'une même vocation vous unit, et que les liens de l'amitié doivent vous rendre encore plus chers ; pouvez vous les voir ennemis de Jésus-Christ, esclaves du démon ( des anges déchus) , destinés par le dérèglement de leur vie, à des malheurs éternels, sans oser leur dire quelquefois que vous les plaignez ? sans profiter de quelques-uns de ces moments heureux où ils viennent vous confier leurs chagrins et leurs dégoûts, pour leur apprendre à chercher en Dieu seul une paix que le monde ne peut donner; pour placer à propos une seule parole de salut ; pour leur dire avec ces témoignages touchants de tendresse, dont le coeur a tant de peine à se défendre, ce qu'autrefois St-Augustin , déjà converti, disait à un de ses amis qu'il voulait retirer de l'égarement : Est- ce que nous aurons des destinées si différentes dans l'avenir, tandis que nous n'avons ici - bas qu’un même coeur ? Les nœuds de notre amitié sont donc fragiles et périssables , puisque la charité , qui seule demeure éternellement, n'en est pas le lien commun ? La mort va donc nous séparer à jamais, car c'est dans le Seigneur tout seul que l’union des cœurs peut être immortelle ? Vous n'êtes donc qu'un ami temporel, et une haine éternelle succédera à cette amitié rapide et passagère qui nous unit sur la terre ? Mais que sont les liaisons les plus tendres que la piété n'a pas formées, et peut- on aimer un seul moment ce qu'on ne doit pas aimer toujours ?
Mais ce qui donne , en second lieu , une nouvelle force aux instructions des justes, c'est qu'elles sont soutenues de leurs exemples : second moyen de salut que leur société fournit aux pécheurs. Et certes , mon cher Auditeur, si vous viviez au milieu d'un monde où Dieu ne fût pas connu ; si tous les hommes vous ressemblaient, et que vos yeux ne rencontrassent de toutes parts que des exemples de dissolution : la vertu inconnue ne vous paraîtrait jamais désirable ; le crime serait toujours tranquille, parce que son opposition avec la piété n'en troublerait jamais les fausses douceurs ; vous ne sentiriez jamais s'élever au dedans de vous, ces troubles secrets qui vous reprochent votre propre faiblesse ; et vous croiriez la vie chrétienne impossible, parce que vous la verriez sans exemple. Mais dans quelque situation que la Providence vous ait fait naître, vous trouvez des justes de votre âge et de votre état , qui observent la loi du Seigneur ( les 10 Commandements), et qui marchent devant lui dans la sainteté et dans l'innocence ; leur exemple seul est une voix puissante qui vous parle sans cesse au fond du cœur, et qui vous rappelle malgré vous à la vérité et à la justice . Nous vous annonçons la piété , du haut de ces chaires chrétiennes ; mais leur exemple vous la persuade. Nous vous montrons la voie de loin , mais ils y marchent à vos yeux pour vous frayer le chemin et vous animer à les suivre.
Nous vous prescrivons les règles ; ils vous fournissent le modèle. Aussi combien de fois, mon cher Auditeur, touché des exemples d'un juste de votre rang et de votre état, vous êtes-vous reproché à vous-même les penchants infortunés qui ne vous permettaient pas de lui ressembler ? combien de fois le souvenir de son innocence vous a couvert de confusion , arraché des soupirs à votre faiblesse, et fait balancer quelque temps entre le devoir et la passion ? combien de fois sa présence seule a réveillé en vous des désirs de salut , et vous a fait promettre en secret à vous-même, qu'un jour vous marcheriez sur ses traces ? Non, mes Frères, nous ne voyons point de conversion dans le monde, qui n'ait trouvé sa source et son motif dans les exemples des gens de bien. Je ne parle pas même ici du mérite de leurs oeuvres : l’union de la foi, et la société d'un même esprit, établit entre eux et vous une espèce de commerce saint , qui vous rend propres les fruits immortels de leurs vertus : le trésor qu'ils amassent, la mesure surabondante qu'ils comblent par des violences qui vont au delà de leurs dettes , sont des biens qui vous appartiennent, et que vous pouvez offrir au Seigneur comme vos propres justices. Ce n'est pas que des satisfactions étrangères puissent suffire pour effacer des offenses qui vous sont propres ; il faut que les mêmes membres qui ont servi à l'iniquité, servent à la justice , et que le péché se répare où il a été commis : mais les œuvres des justes offrent sans cesse au Seigneur, ou le prix de votre conversion , ou l'heureux supplément de votre pénitence .
Cependant le monde , toujours ingénieux à s'ôter à lui-même les ressources de salut que la bonté de Dieu lui ménage, ne semble attentif qu'à obscurcir l'éclat , ou diminuer le mérite des oeuvres des gens de bien : il attaque la sainteté des motifs, quand les dehors sont à couvert de la malignité de ses censures . Les courtisans du roi Sédécias accusaient les larmes et les tristes prédictions du prophète Jérémie , sur la ruine prochaine de Jérusalem , d'un secret désir de plaire au roi de Babylone , qui assiégeait cette ville infortunée . Il semble, ô mon Dieu ! que vous ne soyez pas assez aimable pour être servi dans la seule vue de vous-même ; et que vos promesses toutes seules ne soient pas capables de dédommager vos serviteurs des peines qu'ils endurent : il faut que le monde cherche toujours dans les plus saintes démarches de leur piété , d'autres desseins que celui de vous honorer, et un autre intérêt que celui de vous plaire . Mais que faites vous, mes Frères , en diminuant par des soupçons téméraires, le mérite des œuvres des justes ? vous diminuez les ressources heureuses de votre salut ; vous vous ôtez à vous-mêmes les motifs les plus consolants de votre espérance : ce sont vos propres vertus que vous déshonorez, et vos censures insensées retombent sur vous -mêmes.
Enfin les justes servent encore à votre salut par leurs gémissements et par leurs prières ; et c'est dans ce dernier avantage, que vous allez connaître combien la vertu est respectable dans ceux qui la pratiquent. « La prière continuelle du juste , dit un apôtre , est d'un grand poids auprès du Seigneur ? » (Épître de Saint-Jacques 5,16) . Oui , mes Frères , si Dieu jette encore des regards de miséricorde sur la terre , s'il répand encore ses faveurs sur les empires et sur les royaumes, ce sont les prières et les gémissements secrets des gens de bien , qui nous les attirent. Ce sont ceux qui composent cette partie pure de l'Église , qui n'a point d'autre voix pour demander, que celle du Christ , dont les clameurs ont toujours accès auprès du Père . C'est là cette colombe qui gémit sans cesse, et qui ne gémit jamais en vain; c'est par eux , que toutes les grâces se répandent dans l'Église ; c'est à eux , que les siècles doivent les princes religieux ; les pasteurs fidèles; la paix des Églises ; les victoires de la foi; ces hommes célèbres par leurs lumières, que Dieu suscite dans les besoins de son Église, pour s'opposer aux entreprises de l'erreur, au relâchement des moeurs, aux affaiblissements de la discipline. Que dirai je encore ? C'est à eux , que le monde doit les ressources inespérées dans les calamités publiques, la tranquillité des peuples, le bonheur des siècles : tout vient de là , car tout se ſait pour les élus . Nous en faisons honneur, nous, qui ne jugeons que par les sens, à la sagesse des souverains , à la puissance ou à l'habileté de ceux qui gouvernent. Mais si nous voyions les événements dans leurs causes , nous les trouverions dans les gémissements secrets des gens de bien ; dans les prières quelquefois d'une âme simple et obscure, qui cachée aux yeux des hommes, décide bien plus auprès de Dieu des événements publics, que les Césars et leurs ministres , qui paraissent à la tête des affaires , et qui semblent tenir entre leurs mains la destinée des peuples et des empires .
Comparez, disait autrefois Tertullien (160-220 Ap J.C. - Carthage – Afrique du Nord) aux païens , les malheurs passés de l'empire à la tranquillité dont il jouit aujourd'hui: d'où vient ce changement ? n'est -ce pas depuis que Dieu a donné des chrétiens au monde ? C'est depuis que l'Évangile a montré à la terre des hommes justes, qui offrent au Seigneur des prières ferventes pour les princes et pour les rois : que les Césars sont plus heureux, l'empire plus florissant, les peuples plus tranquilles. C'est nous seuls, qui levant des mains pures au ciel , le fléchissons par nos clameurs ; et cependant, lorsque nous en avons obtenu des grâces pour la terre. Quel don , mes Frères, la miséricorde de Dieu fait à la terre, lorsqu'elle s'y forme un élu ! Quel trésor pour un peuple , pour un empire, pour le monde entier ! quelle ressource pour les hommes, d'avoir encore au milieu d'eux des serviteurs de Jésus- Christ! Vous regardez quelquefois, mes Frères , la vertu comme une faiblesse ; et la piété des justes ne trouve souvent auprès de vous que des dérisions et des censures. Mais quand les gens de bien ne seraient pas si utiles à la terre ; quand ce ne serait pas eux qui maintiennent encore parmi nous, les restes de la sûreté publique , la bonne foi dans le commerce, le secret dans les conseils , la fidélité dans les affaires, la religion dans les promesses, l'intégrité dans les soins publics , l'amour des peuples dans l'autorité : qu'y a -t -il de plus grand et de plus respectable dans le monde, que la vertu ? Mais elle est rare , dites-vous . Je le veux, et c'est en cela même, qu'elle est plus digne de vos hommages. Mais enfin , laissons là les discours puérils du libertinage; il est encore sur la terre des âmes pures et fidèles . Vous en connaissez dans votre rang et dans votre état , auxquelles vous ne pouvez refuser le titre respectable de la vertu : or, c'est par là en dernier lieu , que les bons servent à la condamnation des méchants . Ils ôtent à l'iniquité toutes ses excuses ; car, que pourrez vous répondre devant le tribunal de Jésus- Christ, que leur exemple, ou n'affaiblisse, ou ne confonde ? Direz vous que vous n'avez fait que suivre des usages établis , et qu'il eût fallu se retirer dans les déserts pour s'en dispenser? mais les justes qui sont parmi vous , s'y conforment-ils ? Vous excuserez - vous sur les suites inséparables d'une naissance illustre ? vous en connaissez, qui avec un nom encore plus distingué que le vôtre , en sanctifient l'éclat , et trouvent le secret de le faire servir au salut .
Quoi ? la vivacité de l'âge ? la délicatesse du sexe ? on vous en montre tous les jours, qui dans une jeunesse florissante , et avec tous les talents propres au monde, regardent tous ces vains avantages comme de la boue, et n'ont de pensée que pour le ciel . Quoi ? la dissipation des emplois ? vous en voyez chargés des mêmes soins que vous , et qui cependant font du salut la principale affaire. Votre goût pour le plaisir ? l'amour du plaisir est le premier penchant de tous les hommes ; et il est des justes en qui il est encore plus violent , et qui sont nés avec des dispositions moins favorables à la vertu que vous . Vos afflictions ? il y a des gens de bien malheureux. Votre prospérité ? il s'en trouve qui se sanctifient dans l'abondance. Votre santé ? on vous en montrera , qui dans un corps infirme, portent une âme remplie d'une force divine. Tournez-vous de tous les côtés : autant de justes , autant de témoins qui déposent contre vous .
Placez - vous en telle situation qu'il vous plaira , encore aujourd'hui les femmes mondaines ont des Esthers pour modèles (Livre d`Esther -Ancien Testament); les filles chrétiennes , des Rebeccas (Genèse 24,1); les hommes de guerre , des Josués (Livre de Josué – Ancien Testament); les courtisans, des Néhémias; ceux qui sont assis sur le trône, des Josias et des Davids (Livre de Samuel -Livres des Rois – Ancien Testament); les affligés, des Jobs (Livre de Job – Ancien Testament); les infirmes, des Timothées; ceux qui sentent l'aiguillon de la chair, des Pauls. Chaque situation a ses saints ; chaque âge a ses exemples; chaque état fournit ses modèles . C'est ainsi , ô mon Dieu ! que s'accomplissent sur les hommes vos desseins de justice et de miséricorde ; et que, si vous vous servez des justes, pour corriger ou pour confondre les pécheurs, vous vous servez aussi des pécheurs pour affermir la foi, ou pour éprouver la vertu des justes.
DEUXIÈME PARTIE .
Le corps des justes , dit saint Augustin, répandu par tout le monde, trouve son accroissement et son utilité dans les chutes et dans les erreurs mêmes de ceux qui s'égarent; et les Livres saints ne semblent attribuer au Seigneur tous les maux et tous les désordres de la cité, que parce que sa providence les permet pour les faire servir au salut de ceux qui lui appartiennent. Car remarquez, je vous prie , mes Frères , que la négligence, le dégoût, l'oubli des grâces , sont les écueils les plus ordinaires de la vertu des justes; et que le mélange des méchants sert en premier lieu à leur instruction , en les préservant de ces écueils , et leur fournissant des leçons continuelles de vigilance , de fidélité et de reconnaissance. De vigilance. En effet, les commencements de la conversion et de la piété des justes , sont toujours timides et défiants . Le coeur, instruit alors par le souvenir encore tout nouveau de ses chutes passées , veille sur sa propre faiblesse ; frémit à la seule présence des objets qui lui en retracent les funestes images : tout l'alarme , tout l'avertit , tout le rappelle à lui-même; à peine à demi essuyé du naufrage, il ne marche sur les eaux qu'en tremblant comme Pierre, et le moindre mouvement lui montre le sein de l'abîme prêt à l'engloutir . Mais ces pieuses frayeurs , si nécessaires à la vertu , ne se calment que trop dans la suite . A mesure que le souvenir de nos chutes s'éloigne, le sentiment de notre fragilité s'affaiblit : les jours déjà passés dans la piété , semblent nous répondre de ceux qui suivent; les frayeurs cessent; les précautions se négligent; et , comme le roi Ézéchias, depuis qu'on a triomphé de Sennacherib (un général assyrien qui voulait conquérir la ville de Jérusalem), et délivré Jérusalem des ennemis qui avaient juré sa perte , on en introduit d'autres dans la cité sainte , et on ne craint plus même d'exposer avec complaisance à leurs yeux, des trésors qui ne sont en sûreté, que lorsqu'ils sont inconnus. Or, contre un affaiblissement si dangereux, rien n'est plus utile aux justes , que le mélange des méchants . Ils lisent sans cesse dans les chutes de leurs frères, les raisons de leur vigilance .
Troisième manière dont le mélange des méchants contribue à l'instruction des justes . Il connaît même des pécheurs qui gémissent sous le poids de leurs chaînes, qui désirent leur délivrance , qui flottent toute leur vie entre les désirs de la vertu et la tyrannie des passions. Mais le fruit de sa reconnaissance est un fonds de douceur, de tolérance, de charité , pour ses frères qui s'égarent . Car souvent les gens de bien n'ont pour les pécheurs qu'un cil de mépris et de dureté : loin d'être touchés de leur malheur, et de demander à Dieu qu'il les convertisse, ils font souvent consister toute leur vertu , ou à les fuir , comme des objets contagieux; ou à les plaindre, comme si leur malheur était sans ressource ; ou à les censurer , comme si la charité toujours inexorable envers le vice , n'était jamais indulgente pour le pécheur. Mais qui êtes - vous, pour prescrire ainsi des bornes à la miséricorde divine, et désespérer du salut de votre frère ? Si la grâce a pu triompher de toute la corruption de votre coeur, il n'est plus rien que vous ne deviez attendre d'elle pour les autres : le prodige de votre conversion doit vous préparer à voir sans surprise les changements les moins attendus. Que savez - vous , si ceux qui vous paraissent aujourd'hui les ennemis de la vertu ; qui s'opposent au zèle et aux bonnes intentions des gens de bien ; qui font de leur autorité un asile aux désordres publics , ne seront pas un jour à la tête de toutes les oeuvres saintes , les protecteurs de la piété , les ressources de la miséricorde, les appuis du zèle et de la vérité ? Qui se serait jamais défié que Manassės (roi de Juda – vers l`an 650 Av J.C.), qui avait introduit l'abomination dans le lieu saint (une idole païenne dans le temple de Jérusalem), et effacé jusqu'aux traces du culte du Seigneur dans Jérusalem , dût devenir un jour le restaurateur du temple et des sacrifices , et le protecteur du ministère des enfants d’Aaron ?
Je vais plus loin : que savez-vous si ce pécheur que vous regardez avec tant d'horreur, ne sera pas appelé ; et si vous ne serez pas rejeté ? On n'eût pas cru , sans doute, que la pécheresse de la cité (St-Marie-Madeleine) dût devenir une sainte pénitente de Jésus-Christ ; et que Judas, qui était son disciple, dût mourir traître et désespéré. Le Seigneur ne tient-il pas entre ses mains les cœurs de tous les hommes ? Adorez ses conseils éternels sur leurs destinées; et respectez toujours dans les pécheurs, ou les droits que la grâce se réserve sur leur volonté pour les sanctifier , ou l'usage qu'elle en peut faire, non - seulement pour l'instruction , mais encore pour l'épreuve et pour le mérite des justes . En effet premièrement , quand les pécheurs ne feraient que donner un nouveau prix à la fidélité du juste par la séduction de leurs exemples, ce serait toujours une gloire immortelle pour la vertu , de pouvoir y résister .
Car, outre qu'on a besoin de force pour se défendre des exemples qu'on a sans cesse devant les yeux, lors surtout qu'ils favorisent les inclinations corrompues de la nature ; ce sont des exemples que l'amitié , le sang , l'intérêt, la complaisance , le respect , rendent encore plus puissants , et plus propres à séduire le juste . Ce sont ses maîtres , ses amis , ses proches , ses protecteurs, dont il a à se défendre : il faut qu'il puisse les aimer, les respecter, les cultiver, leur plaire , et qu'il ait le courage de ne pas les imiter : il faut que leurs volontés soient pour lui des lois , et que leurs actions ne soient pas des modèles . Enfin des exemples autorisés par la multitude : ce sont les moeurs communes , qu'il faut éviter ; les usages établis , qu'il ne faut pas suivre . Il faut avoir la force d'être singulier; et de soutenir avec dignité , le ridicule que le monde attache à la singularité. Il faut oser condamner tout seul par sa conduite , ce qu'il y a de plus autorisé parmi les hommes ; passer pour un esprit faible et frappé, et ne compter pour rien leurs jugements comme leurs exemples . C'est ici que la fidélité du juste honore la grandeur du maître qu'il sert, et qu'il devient au milieu du monde un spectacle digne des anges et de Dieu même.
Mais non - seulement les exemples des pécheurs donnent un nouveau prix à la fidélité du juste , leur malignité ménage encore à sa vertu mille épreuves glorieuses. Car , mes Frères , si la vertu n'était contredite , opprimée, persécutée , les justes pourraient avoir le mérite de l'innocence, mais ils n'auraient pas celui de la fidélité. Si leur piété ne trouvait ici--bas que des applaudissements et des hommages, la voie serait trop agréable pour être sûre . Si tout applaudissait à la vertu , la vertu se détruirait bientôt elle-même : ce calme dangereux l'endormirait; ces faveurs humaines l'amolliraient; ces suffrages publics , ou en corrompraient le principe , ou deviendraient bientôt le dédommagement secret de ses peines . Son règne n'est pas de ce monde : les contradictions la soutiennent; les tempêtes l'affermissent ; les persécutions l'éprouvent ; les tribulations la purifient. Or, voilà l'utilité , dit saint Augustin , que la sagesse de Dieu sait tirer de la malice des pécheurs. Il les souffre, que dis -je ? il les favorise même à un point, que ses serviteurs sont quelquefois scandalisés avec le Prophète de la prospérité des impies. Aussi la puissance, l'empire, l'autorité, semblent être presque toujours ici- bas leur partage ; il semble qu'une main invisible ne les élève, ne les protège, ne les fait croître , qu'afin qu'ils deviennent plus propres à accomplir les desseins éternels de la Providence sur les justes . Ce sont des instruments de justice destinés à exercer leur foi : inutiles à eux -mêmes, ils servent du moins par les ménagements adorables de celui qui sait tirer le bien du mal , au salut de leurs frères.
C'est ainsi que tous, et les impies mêmes, coopèrent au bien des élus. En les opprimant, ils font éclater leur patience ; en les chargeant de dérisions et d'opprobres , ils ménagent de nouveaux triomphes à leur charité; en les traitant de séducteurs et d'hypocrites , ils épargnent à leur piété la tentation des applaudissements et des louanges; en les dépouillant de leurs biens, ils purifient leur détachement; en suscitant des obstacles et des contradictions à leur vertu , ils couronnent leur persévérance ; et la fureur des tyrans a fait autrefois plus de saints , que le zèle même des apôtres . Et c'est ici, mes Frères, vous qui servez le Seigneur, et qui marchez dans la voie de ses commandements , c'est ici où vous ne faites pas toujours usage de votre foi. Vous voudriez que la piété fût toujours protégée; favorisée ; préférée même ici-bas, dans la distribution des grâces et des honneurs, au vice . Vous ne regardez pas assez les pécheurs qui méprisent ou qui oppriment la vertu , vous ne les regardez pas assez , dans la main de Dieu , et dans l'ordre de sa providence. Vous souhaiteriez que l'orgueil des impies fût humilié , et que le Seigneur soufflât sur ce colosse de grandeur et de puissance qui les élève, et dont ils se servent pour affliger les siens . Vous voyez avec douleur les premières places occupées souvent, par les protecteurs du vice et les contempteurs de la vertu . Vous désireriez , ce semble, que la piété reçût ici-bas sa récompense ; et qu'au lieu des croix et des tribulations qui doivent être son partage, elle jouit des honneurs, de la puissance , des distinctions, qui ne lui ont pas été promises sur la terre .
Mais vous n'apercevez pas que vos désirs injustes, ôtent à la sagesse de Dieu le principal moyen de salut qu'elle a préparé dans tous les siècles à ses serviteurs ; et que pour ménager un vain triomphe à la vertu , vous lui ôtez l'occasion et le mérite de ses véritables victoires. En effet, outre que la malice des pécheurs éprouve et purifie la foi des justes , leurs scandales et leurs dérèglements les affligent, et arrachent à leur piété des gémissements de zèle et de compassion , qui leur font un nouveau mérite devant le Seigneur : dernier avantage que le mélange des méchants ménage aux gens de bien . Témoins de la corruption générale et de ce déluge de crimes dont le monde semble être inondé, ils sèchent de douleur comme le Prophète ; ils se sentent déchirés par les plus vives impressions de l'Esprit de Dieu, comme Paul à la vue des désordres et des impiétés d'Athènes : « Tandis que Paul les attendaient a Athènes, son esprit s`échauffait en lui au spectacle de cette ville remplies d`idoles.» (Actes des Apôtres 17,16); ils veulent se laisser mourir de tristesse comme Élie au pied de la montagne, spectateur des prévarications d'Israël ; ils demandent, comme le prophète Jérémie, une fontaine de larmes , pour pleurer sur les excès et sur les iniquités de leur peuple ; ils souhaitent , comme Moïse , d'être effacés du livre des vivants , pour n'être plus témoins de l'incrédulité de leurs frères ; ils désirent , comme Daniel , la fin de la captivité , la délivrance du peuple de Dieu, l’avènement du règne éternel.
Voilà le fruit qui revient à la piété des justes, des dérèglements et des scandales dont ils sont témoins. Et certes , mes Frères, quand on a de la foi, et qu'on est touché de la gloire du Dieu qu'on sert et qu'on aime , peut-on voir ce qui se passe dans le monde, d'un oeil sec , tranquille, indifférent ? Les maximes de Jésus-Christ anéanties , ses mystères déshonorés, ses serviteurs méprisés , ses promesses oubliées ; la terreur même de ses menaces affaiblie par les blasphèmes de l'incrédulité ; les haines éternelles ; les vengeances; les infidélités dans le mariage , devenues le sujet , non pas de l'horreur, mais de la risée publique, et des chansons satiriques et profanes ; les vices autorisés ; les théâtres (films- vidéos - pornographie) impurs devenus les plaisirs publics des chrétiens; et l'art d’inspirer les passions les plus honteuses, classé parmi les arts qui sont utiles aux peuples, glorieux aux royaumes, et qui font dresser des statues à leurs inventeurs. Eh ! vous vous persuadez quelquefois, vous, mes Frères, qui vivez dans la piété , en ménageant encore le monde; que le commerce du monde et de ses plaisirs , pourvu qu'on s'en tienne à certaines bornes, n'est pas interdit à la vertu ; et que les gens de bien doivent plus se distinguer des mondains par les dispositions du coeur, que par les mœurs extérieures et la fuite trop rigoureuse de leurs assemblées et de leurs plaisirs.
Mais si les intérêts de Jésus-Christ vous touchent, pouvez- vous être capable de quelque joie au milieu du monde? Eh ! qu'y verrez - vous qui ne doive vous percer le cœur de la plus vive douleur ? Pourrez-vous sourire à une impiété; ouvrir les oreilles aux médisances les plus atroces ; applaudir au langage profane des passions; louer les projets frivoles et insensés de la vanité ; devenir l'approbateur des préjugés et des usages ? Pourrez-vous voir crucifier sous vos yeux le Seigneur Jésus , et prendre part à la joie de ses ennemis, si vous n'en prenez point à leur crime ? Pourrez-vous enfin voir les amateurs du monde courir en dansant comme des insensés , un bandeau sur les yeux, au précipice; et vous faire d'un spectacle si affligeant, un objet capable d'amuser votre loisir , ou d'égayer vos ennuis ? Je dis bien plus , pourrez -vous y retenir vos larmes ? Quelle contrainte ! quelle situation pénible que le commerce des mondains, pour une âme qui aime son Dieu , lors même que l'ordre et le devoir l’y engagent! Vous cherchez le monde pour vous délasser ? mais vous devriez l'éviter pour vous épargner les moments les plus amers d'une sainte tristesse .
C'est au sortir du monde que vous devriez avoir besoin de délassement; que votre esprit fatigué de tant d'images affligeantes, devrait aller se consoler aux pieds de Jésus-Christ. Ah ! si vous pouvez , je ne dis pas trouver encore quelque plaisir au milieu du monde , mais le voir encore , sans douleur, sans gémir en secret sur les jugements de colère que Dieu y exerce sur les hommes : peut-être ne haïssez - vous pas des abus qui vous laissent si tranquille , peut -être portez- vous encore dans le cœur les mêmes passions, qui , dans les autres , n'ont rien qui vous alarme ! « Passez au milieu de Jérusalem , disait autrefois le Seigneur à l'ange exterminateur; marquez sur le front, et épargnez les hommes qui gémissent et qui sont affligés des iniquités qui se commettent au milieu d'elle » (Ézéchiel 9,4 – Ancien Testament) ; c'est le caractère le plus essentiel des justes ; c'est la marque décisive à laquelle on les reconnaît .
Tout le reste des habitants de Jérusalem est livré à la fureur du glaive et de la vengeance céleste : ce petit nombre tout seul de justes qui gémissent, est épargné et marqué du sceau de salut. Le Seigneur ne reconnaît pour siens que ces âmes touchées du zèle de sa gloire, qui répandent sans cesse devant lui l'amertume de leur cœur sur les iniquités de son peuple, et qui lui disent tous les jours avec un prophète : « Regardez Seigneur, du haut de la demeure de votre gloire, et voyez » « Où est votre zèle ? où est la force de votre bras ? ou du moins, que sont devenues les entrailles de vos miséricordes anciennes sur votre peuple » ? « Car malgré nos iniquités, vous êtes encore notre Père ; et Abraham , dont nous faisons gloire d'être les enfants , et tous les saints protecteurs de cet empire , en qui nous pourrions mettre notre confiance, semblent nous avoir abandonnés , si vous ne jetez sur nous quelque regard propice » « Pourquoi , Seigneur, avez- vous souffert que nous nous égarassions de vos voies saintes » ?« Pourquoi avez-vous laissé endurcir notre cœur, afin que nous ne vous craignissions plus » ? « Ah ! revenez enfin à nous , Seigneur, à cause des serviteurs que vous vous réservez encore parmi les tribus de votre héritage : si nos infidélités allument dans vos mains la foudre prête à nous frapper encore , que la foi et la piété de tant d'âmes saintes que vous voyez encore au milieu de nous , vous désarment » (Isaïe 63,15 – 16- 17 -19 – Ancien Testament)
Oui, Seigneur, toute la gloire de Juda est éteinte : ce royaume autrefois si illustre par la foi de nos pères, par la piété de ses souverains, par le sang de tant de martyrs, et par la sainteté et la science de vos ministres, imite toutes les moeurs des nations corrompues et perverses : l'incrédulité s'y élève insensiblement sur les débris de votre culte . Nous aurions encore besoin que votre miséricorde nous suscitât de ces hommes apostoliques , qui les premiers vinrent annoncer la foi à nos ancêtres encore assis dans les ténèbres de la mort et de l'idolâtrie ; et nous sommes presque redevenus tels que nous étions avant que vous fussiez notre Seigneur, et que votre saint nom fût invoqué parmi nous.
Tels sont les gémissements de la foi, et l'usage que les gens de bien doivent faire du mélange des méchants avec lesquels ils vivent . Et pour vous, mes Frères, qui êtes encore l’ivraie de ce champ divin , regardez les justes qui sont parmi vous , comme les plus heureuses ressources de votre salut : respectez- les , si vous ne pouvez pas les imiter encore : liez-vous avec eux , si vous ne pouvez encore les suivre : désirez de leur ressembler, si vous ne pouvez encore obtenir de votre faiblesse que des désirs : favorisez leurs oeuvres saintes , si vous ne pouvez encore rien entreprendre pour vous-même : et par votre respect pour la vertu , tâchez d'en mériter le don précieux, de celui auprès de qui nul sentiment de foi et de piété ne demeure sans récompense. Ainsi soit-il .
Le Jugement Dernier - peinture médiévale
Pie IX et la révolution (Extrait)
Page 444 – caractère -immoralité et crimes
Et d'abord , personne ne niera qu'il n'y ait, dans le monde ( dans tous les peuples) des hommes bons et des hommes mauvais ; des hommes justes et des hommes injustes des hommes vertueux et des hommes vicieux ; des hommes religieux et des hommes impies ; des hommes d'ordre et des hommes de désordre ; des hommes paisibles et des hommes violents ; des hommes amis du droit et des hommes amis de l'arbitraire ; enfin des hommes qui aiment et respectent les lois , l'autorité et la liberté, et des hommes qui détestent et outragent ces mêmes lois , cette même autorité, cette même liberté. L'oppression et la tyrannie ont leurs amis aussi . Personne ne niera, non plus, que ces deux catégories d'hommes, si différents et si opposés, ne constituent , dans chaque société, deux partis entre lesquels il y a nécessairement lutte, et qui se disputent le pouvoir. Et pourtant, ces hommes ou ces partis différents ont tous la même nature , et tous également peuvent être bons ou mauvais. Pourquoi donc cette énorme différence entre eux ? Parce que les uns ont de bons, et les autres de mauvais principes ; parce qu'il y a , dans le monde, deux écoles , deux forces, deux tendances opposées , les unes bonnes et vraies, et les autres méchantes et fausses. Très- certainement, la société est intéressée au triomphe des bons, et elle doit redouter le triomphe des méchants. Très- certainement aussi il y a des signes caractéristiques et infaillibles du triomphe de l'un ou de l'autre parti. Et à quels signes reconnaît- on la domination des bons dans la société ? A l'ordre et à la confiance. Et à quels signes reconnaît-on la domination , dans la société , des méchants et des pervers ? Au désordre et à la défiance universelle. Or, de que côté , dans l'un ou dans l'autre cas , est la civilisation ? Elle est évidemment du côté de l'ordre et de la confiance, car elle seule donne le premier, et inspire la seconde.
SERMON SUR LE MÉLANGE DES BONS ET DES MÉCHANTS EN CE MONDE (Extraits)
JEAN BAPTISTE MASSILLON (1663 – 1742) - est un homme d'Église français, évêque de Clermont en Auvergne.
Un sermon en France au 17 ème siècle
Seigneur, n'avez - vous pas semé de bonne semence dans votre champ ? d'où vient qu'il s'y trouve de l'ivraie ? » (Matthieu 13,27)
Un des devoirs les plus essentiels et les plus ignorés de la vie chrétienne, c'est l'usage que nous devons faire des vices ou des vertus des hommes au milieu desquels nous sommes obligés de vivre . Aussi la sagesse de Dieu n'a permis le mélange de l'ivraie et du bon grain , des bons et des méchants dans l'Église , que pour ménager aux uns et aux autres des moyens de conversion , ou des occasions de mérite ; et lors que les serviteurs du père de famille, touchés des scandales qui déshonorent son royaume, lui demandent qu'il leur permette d'aller arracher l'ivraie que l'homme ennemi a sursemée dans ce champ divin, il condamne leur zèle , et leur fait entendre que ce mélange, qui paraît si injurieux à sa gloire, a néanmoins ses raisons et ses usages dans l'ordre adorable de sa providence . Cependant ce mélange établi pour corriger le vice et pour purifier et éprouver la vertu , séduit ou décourage celle - ci, et ne fournit que des censures à l'autre : ce mélange si utile à tous, est devenu pernicieux à tous ; et encore aujourd'hui , dit saint Augustin, les justes souffrent avec peine les pécheurs; les pécheurs ne peuvent pas même supporter la présence des justes , et ils sont à charge les uns aux autres.
Il importe donc de développer les raisons éternelles et les utilités de cette conduite de Dieu sur son Église ; et cette matière paraît d'autant plus importante, que tous les autres devoirs de la vie chrétienne semblent s’y rapporter. En effet, le vice et la vertu se trouvant toujours nécessairement mêlés sur la terre , rien n'est plus digne d'être éclairci , que les règles de la foi qui apprennent aux pécheurs, quelle utilité ils doivent retirer de la société des justes avec lesquels ils vivent; et aux justes, celle qui doit leur revenir du commerce des pécheurs, inévitable pour eux sur la terre . Or, pour établir ces vérités sur une doctrine solide , il n'y a qu'à remonter jusqu'au premier dessein de la Providence , et exposer quelles ont pu être les raisons éternelles de sa sagesse , dans le mélange des bons et des méchants sur la terre . En voici deux principales ; et d'elles , nous allons tirer toutes les règles que nous devons prescrire. Les bons , dans les desseins de Dieu, doivent servir , ou au salut , ou à la condamnation des méchants : c'est la première. Les méchants sont soufferts pour l'instruction, ou pour le mérite des justes : c'est la dernière . De l'exposition de ces deux principes , vont naître toutes les grandes vérités que renferme cette matière; et qui règlent, ou la conduite des pécheurs envers les gens de bien , ou les dispositions des gens de bien à l'égard des pécheurs. Implorons, etc. Ave Maria .
PREMIÈRE PARTIE .
Ne semble-t-il pas , mes Frères , qu'il eût été plus glorieux à Jésus-Christ de s'être formé sur la terre une Église uniquement composée d'élus , sans tache dans les moeurs comme dans la foi, et l'image naturelle et anticipée de la Jérusalem céleste , et de cette Église des premiers-nés dont les noms sont écrits dans le ciel ? Un champ arrosé de son sang divin, devrait-il encore produire l'ivraie avec le bon grain ? un bercail dont il est le pasteur, peut-il renfermer des loups confondus avec les brebis ? un corps dont il est le chef, peut - il encore souffrir des membres qui servent à l'ignominie ? et l'Église ne serait- elle pas plus digne de son Époux , si refusant ici-bas aux pécheurs les signes extérieurs de la paix et de l'unité , elle ne reconnaissait pour siens sur la terre , que ceux qui lui appartiendront dans le ciel ? Il est vrai , mes Frères , que les justes en forment ici-bas la partie la plus essentielle et la plus inséparable : c'est eux proprement qui la représentent toute devant Jésus-Christ; c'est eux qui sont le principal lien de son union avec elle ; c'est à eux qu'elle doit le mérite de ses prières , le fruit de ses sacrements , la vertu de sa parole ; c'est pour eux enfin qu'elle subsiste encore ; et toutes choses seraient consommées, si leur nombre était accompli .
Cependant, quoique les pécheurs ne soient que comme les taches de ce corps divin , ils ne lui appartiennent pas moins : l'Église les regarde comme ses enfants; elle les souffre comme ses membres, gâtés à la vérité, mais qui tiennent encore au reste du corps , non- seulement par les symboles extérieurs des sacrements et de l'unité, mais encore par les liens intérieurs de la foi et de la grâce; et qui peuvent même, trouver dans leur société avec les justes, ou mille ressources heureuses de salut , qui leur manqueraient s'ils vivaient séparés d'eux comme des anathèmes, ou un sujet terrible de condamnation, qui justifiera la sévérité des jugements de Dieu à leur égard. Je dis premièrement : mille ressources heureuses de salut , puisqu'ils trouvent dans leur mélange avec les justes, les secours des instructions , des exemples , et des prières; c'est à -dire, les moyens les plus efficaces de leur conversion. Le secours des instructions est la première utilité que les pécheurs retirent de la société des gens de bien ; et ces instructions font d'autant plus d'effet sur les âmes les plus mondaines , que la vérité , l'autorité , la charité, en sont les caractères inséparables. La vérité : les justes ont l'oeil trop simple et les lèvres trop innocentes, pour louer le pécheur dans les désirs de son coeur. Ils ignorent ce langage éternel de feinte , d'adulation , d'intérêt , dont les hommes se servent pour se séduire les uns les autres; ils appellent avec une noble simplicité le bien un bien , et le mal un mal . Ils savent qu'ils ne sont redevables qu'à la vérité ; que le chrétien en est un témoin public ; qu'il serait honteux de sacrifier à de légères complaisances, ou à un vil intérêt , une vérité à laquelle tant de fidèles ont autrefois sacrifié leur propre vie ; qu'ils ont dans le ciel le témoin invisible de leurs pensées ; qu'on peut bien cacher aux hommes les basses dissimulations d'un coeur double , mais qu'on ne peut les cacher au scrutateur des cœurs ; et que la religion toute seule forme des hommes véritables et sincères.
Ainsi ils aiment trop leurs frères pour les tromper; ils sont trop touchés de leurs égarements pour y applaudir ; ils désirent trop vivement leur salut pour devenir par des conseils flatteurs , les complices de leur perte . Ils peuvent bien se taire, car il n'est pas toujours temps de parler; mais ils ne sauraient parler que pour rendre gloire à la vérité ; et le vice ne trouve jamais auprès d'eux , ni ces basses adulations qui l'admirent, ni ces adoucissements artificieux qui le justifient. Vous apprenez de leur bouche, vous surtout que votre rang et votre naissance élève au-dessus des autres hommes, vous apprenez ce que cette foule d'adulateurs qui vous environne , vous laisse ignorer. Eux seuls vous parlent dans la sincérité de Dieu ; parce qu'eux seuls ne cherchent pas à vous plaire , mais à vous gagner à Jésus-Christ. Eux seuls , osent vous contredire , et prendre le parti de la vérité contre vous même; parce qu'eux seuls ne craignent pas de se rendre moins agréables, pourvu qu'ils se rendent plus utiles.
Eux seuls, n'étudient pas vos penchants pour y accommoder lâchement leurs suffrages, mais ils étudient vos devoirs pour y ramener vos penchants; parce qu'eux seuls, aiment plus votre personne , que votre élévation ; et sont plus touchés de votre salut, que de vos bienfaits. Tout le reste des hommes, ou vous séduit , ou se tait, ou vous flatte. Plus même vous êtes élevé, plus vos passions vous sont cachées sous l'artifice des louanges ; moins la vérité vous approche ; plus on se déguise à vos yeux , pour vous déguiser vous-même aux vôtres ; plus vous êtes à plaindre, parce que tout ce qui vous environne, n'est attentif qu'à vous surprendre , qu'à vous inspirer ses passions , ou qu'à s'accommoder aux vôtres : c'est le malheur de la puissance et la triste destinée des grands . L'innocent plaisir de la sincérité , sans lequel il n'est plus rien de doux dans le commerce des hommes, vous est refusé . Vous n'avez plus d'ami, parce qu'il est trop utile de l'être : vous vivez au milieu des hommes que vous ne connaissez pas ; qui mettent tous le masque, en vous approchant, et dont vous ne voyez jamais que l'art et la surface . Les justes seuls se montrent à vous tels qu'ils sont ; et en eux seuls , vous retrouvez la vérité qui vous fuit , et que votre puissance qui vous donne tout, vous ôte elle -même et vous cache.
Voyez comme, tandis que tous les officiers de l'armée d'Holopherne (un général de l`armée du roi de Babylone qui fait des conquêtes territoriales en Israël – Judith 7,1 et suivant – Ancien Testament) lui promettent la conquête de Béthulie, et que tout flatte son orgueil et son ambition, Achior tout seul ose parler sans artifice, prendre les intérêts du Dieu de Juda , et faire souvenir ce chef orgueilleux, que toutes ses forces viendront échouer contre cette ville , comme les flots de la mer contre un grain de sable , si le Seigneur lui-même daigne la garder et la défendre . Aussi un saint roi de Juda comptait autrefois comme un des plus grands avantages de son règne, de voir assis auprès de lui des hommes justes et fidèles. Parmi toutes les faveurs qu'il avait reçues du Dieu de ses pères, ce n'étaient pas ses victoires et ses prospérités dont il était le plus touché . C'était la vertu et la justice des sujets qui présidaient à ses conseils, et qui environnaient son trône : et la piété des Nathan et des Chusaï lui parut une marque plus sensible de la protection du Seigneur sur lui, que la conquête de Jérusalem , et les dépouilles des nations ennemies de sa gloire.
Un homme juste est un présent du ciel; et les grands surtout ne sauraient trop honorer la vertu ; parce que la puissance ne peut leur donner que des sujets, et que la vertu toute seule leur donne des amis fidèles et sincères . Mais non - seulement les justes seuls conservent encore la vérité parmi les hommes, leurs paroles tirent même d'une certaine autorité que la vertu seule donne, un poids et une force qui ne se trouve pas dans les discours des hommes ordinaires. En effet, le pécheur, quelque élevé qu'il soit, perd par ses égarements le droit de reprendre ceux qui s'égarent: ses vices affaiblissent ses instructions; les faiblesses de sa conduite décrient l'utilité de ses conseils, et ses moeurs ne laissent plus de crédit à ses paroles. Mais le juste peut avec confiance, condamner dans les autres ce qu'il a commencé par s'interdire à lui-même : ses instructions ne rougissent pas de sa conduite ; son innocence rend ses censures respectables, et tout ce qu'il dit trouve dans ses moeurs une nouvelle autorité , dont on ne peut se défendre .
Aussi nous donnons, comme sans y penser, aux véritables justes, une espèce d'empire sur nous mêmes . Quelque élevés que nous soyons d'ailleurs, la vertu se forme comme un tribunal à part , auquel nous soumettons avec plaisir notre élévation et notre puissance ; et il semble que les justes, qui jugeront un jour les anges, ont droit d'être dès à présent les juges des hommes. Un Saint Jean - le Baptiste, accompagné de sa seule vertu , devient le censeur d'une cour voluptueuse : et le roi Hérode ne peut s'empêcher de craindre ses censures, et de respecter sa vertu . Un Michée s'oppose seul aux vains projets de deux rois et de deux armées : et tout est ébranlé à la seule voix de l'homme de Dieu . Un prophète inconnu vient de la part de Dieu reprocher au roi d'Israël, assemblé à Béthel avec tout son peuple pour sacrifier à Baal , l'impiété de ses sacrifices : et les mystères profanes sont suspendus. Élie tout seul vient au milieu de Samarie, menacer le roi Achab de la vengeance divine: et le prince tremblant s'humilie, et conjure le prophète d'obtenir sa grâce auprès du Seigneur. Enfin , un Samuel, armé de la seule dignité de son âge et de son ministère, vient reprocher au roi Saül (roi d`Israël vers 950 A.V. J.C.), vainqueur d'Amalec et encore environné de ses troupes victorieuses , son ingratitude et sa désobéissance : et ce prince, si intrépide devant ses ennemis, sent toute sa fierté tomber devant le prophète, et met tout en usage pour l'apaiser.
O sainte autorité de la vertu ! qu'elle porte avec éclat les caractères augustes de sa céleste origine! Il est vrai, mes Frères , qu'à cette autorité inséparable de la vertu , les justes ajoutent les saints artifices et les sages circonspections d'une charité tendre et prudente. Ils ont appris qu'il faut reprendre à temps et à contre - temps, il est vrai ; mais ils savent aussi , que si tout leur est permis, tout n'est pas expédient; que les plaies qui sont dans le coeur demandent de grandes précautions, et qu'il faut lui faire aimer les remèdes, si l'on veut qu'ils soient utiles . Ils savent que la vérité ne doit d'ordinaire ses victoires qu'aux ménagements de la prudence et de la charité qui les lui préparent; qu'il y a un temps de gémir en secret, et un temps de parler ; que la même charité qui hait le péché, tolère le pécheur pour le corriger; et que la vertu n'a d'autorité, qu'autant qu'elle a de discrétion et de prudence. Ainsi la vertu est aimable, lors même qu'elle reprend. Ce n'est pas la connaître, de se la représenter sous l'idée d'un zèle amer et imprudent, qui condamne sans indulgence, et qui corrige sans discernement.
La charité n'est ni téméraire, ni inhumaine ; elle sait choisir ses moments, et ménager ses conseils ; elle sait se rendre utile sans se rendre odieuse ; et quand on aime sincèrement, la douceur et les précautions sont naturelles . Si ces caractères manquent, ce n'est plus la charité qui reprend et qui édifie , c'est l'humeur qui censure et qui scandalise : la charité est douce et prudente, et l'humeur est toujours piquante et téméraire . Nathan ne vient pas reprocher aigrement au roi David le scandale de sa conduite : il s'insinue avant que de reprendre; il fait aimer la vérité avant de la dire; il fait haïr le crime avant de blâmer le coupable ; et par les ménagements innocents d'une parabole ingénieuse, il trouve le secret de corriger le vice sans offenser le pécheur , et de faire prononcer David contre lui-même. Un ami saint et vertueux , et qui joint à la vertu cette douceur tendre et cette discrétion que la charité inspire , ne trouve presque point de cœur, quelque livré qu'il soit aux passions, insensible à ses sages remontrances ; car ce n'est pas ici un anachorète austère, qui par les suites de sa profession , ne pouvant vous tenir que des discours saints, vous trouve moins disposé à l'écouter : c'est un juste de votre état , de votre âge , de votre rang ; le complice peut-être autrefois de vos plaisirs et de vos débauches, qui vous fait sentir le vide des amusements dont il a été lui -même l'adorateur insensé ; qui vous inspire l'horreur d'un monde dont il a été lui-même autrefois follement enchanté ; qui vous exhorte à un genre de vie sage et chrétien , qu'il a lui-même autrefois décrié ; qui vous promet, dans la pratique de la vertu , des douceurs et une paix du cœur, qu'il a lui-même cru autrefois puérile et chimérique.
Tout ce qu'il dit , tire une nouvelle force de cette ressemblance : il vous ébranle ; il vous enlève presque malgré vous à vous-même; et la simplicité de ses discours est mille fois plus puissante pour persuader, que toute l'éloquence des chaires chrétiennes . J'en appelle ici à vous-même: combien de fois, dans le temps que vous suiviez avec plus de fureur les égarements du monde et des passions , un ami chrétien a rappelé l'ivresse de votre cœur aux lumières d'une raison plus tranquille ; vous a fait convenir de l'injustice de vos voies , des amertumes secrètes de votre état , de l'abus du monde et de la vanité de ses espérances ; et a laissé au fond de votre âme un trait de lumière et de vérité, qui depuis ne s'est jamais effacé, et vous a toujours rappelé en secret à la vertu et à l'innocence ? Saint Augustin sentit ses irrésolutions s'affermir dans les entretiens de Saint Ambroise ; Alipe , sa faiblesse se ranimer dans la sainte familiarité d'Augustin . Non, la vérité semble avoir un nouveau droit sur nos coeurs , quand elle est aidée des persuasions douces et sincères d'une tendresse chrétienne . Et ici je ne puis m'empêcher de le dire à vous , mes Frères , que la grâce a retirés des égarements du monde. Souvent, contents, ce semble, d'avoir échappé vous-mêmes au naufrage , vous voyez périr vos frères, sans douleur ; vous auriez honte de leur tendre la main . Vos nouvelles moeurs n'ont pas éloigné de vous les amis que le monde et les plaisirs vous avaient donnés; vous conservez encore avec eux ces liaisons de soins , de tendresse, de confiance, que la piété ne condamne pas , mais qu'elle rend seulement plus sincères et plus chrétiennes .
Cependant vous les laissez perdre sans les avertir : sous prétexte d'éviter l'indiscrétion, et ce zèle importun qui rend la piété odieuse , vous manquez aux règles de la charité et aux devoirs d'une amitié sainte . Il n'est jamais question de salut ( vie éternelle) entre vos amis et vous ; vous affectez même, par une fausse délicatesse , d'éviter ces sortes d'entretiens. Vous souffrez qu'ils vous parlent de leurs plaisirs, de la folie de leurs amusements , et de la vanité de leurs espérances ; et vous vous observez pour ne pas leur parler du bonheur et des avantages d'une vie chrétienne, et des richesses de la miséricorde de Dieu sur les pécheurs qui veulent revenir à lui. Mais qu'est-ce qu'une liaison dont le Seigneur n'est pas le principe, dont la charité n'est pas le noeud, dont le salut n'est pas le fruit ? Déjà c'est une erreur, de croire qu'il n'y ait pas obligation de conscience : l'Évangile vous prescrit d'aller même chercher votre frère, et de lui donner en particulier des avis tendres et charitables ; il vous est ordonné, à vous qui êtes convertis , comme autrefois à Pierre , de rappeler et de soutenir vos frères .
Mais quand la religion ne vous en ferait pas un devoir , pouvez-vous voir des hommes que l'espérance d'une même vocation vous unit, et que les liens de l'amitié doivent vous rendre encore plus chers ; pouvez vous les voir ennemis de Jésus-Christ, esclaves du démon ( des anges déchus) , destinés par le dérèglement de leur vie, à des malheurs éternels, sans oser leur dire quelquefois que vous les plaignez ? sans profiter de quelques-uns de ces moments heureux où ils viennent vous confier leurs chagrins et leurs dégoûts, pour leur apprendre à chercher en Dieu seul une paix que le monde ne peut donner; pour placer à propos une seule parole de salut ; pour leur dire avec ces témoignages touchants de tendresse, dont le coeur a tant de peine à se défendre, ce qu'autrefois St-Augustin , déjà converti, disait à un de ses amis qu'il voulait retirer de l'égarement : Est- ce que nous aurons des destinées si différentes dans l'avenir, tandis que nous n'avons ici - bas qu’un même coeur ? Les nœuds de notre amitié sont donc fragiles et périssables , puisque la charité , qui seule demeure éternellement, n'en est pas le lien commun ? La mort va donc nous séparer à jamais, car c'est dans le Seigneur tout seul que l’union des cœurs peut être immortelle ? Vous n'êtes donc qu'un ami temporel, et une haine éternelle succédera à cette amitié rapide et passagère qui nous unit sur la terre ? Mais que sont les liaisons les plus tendres que la piété n'a pas formées, et peut- on aimer un seul moment ce qu'on ne doit pas aimer toujours ?
Mais ce qui donne , en second lieu , une nouvelle force aux instructions des justes, c'est qu'elles sont soutenues de leurs exemples : second moyen de salut que leur société fournit aux pécheurs. Et certes , mon cher Auditeur, si vous viviez au milieu d'un monde où Dieu ne fût pas connu ; si tous les hommes vous ressemblaient, et que vos yeux ne rencontrassent de toutes parts que des exemples de dissolution : la vertu inconnue ne vous paraîtrait jamais désirable ; le crime serait toujours tranquille, parce que son opposition avec la piété n'en troublerait jamais les fausses douceurs ; vous ne sentiriez jamais s'élever au dedans de vous, ces troubles secrets qui vous reprochent votre propre faiblesse ; et vous croiriez la vie chrétienne impossible, parce que vous la verriez sans exemple. Mais dans quelque situation que la Providence vous ait fait naître, vous trouvez des justes de votre âge et de votre état , qui observent la loi du Seigneur ( les 10 Commandements), et qui marchent devant lui dans la sainteté et dans l'innocence ; leur exemple seul est une voix puissante qui vous parle sans cesse au fond du cœur, et qui vous rappelle malgré vous à la vérité et à la justice . Nous vous annonçons la piété , du haut de ces chaires chrétiennes ; mais leur exemple vous la persuade. Nous vous montrons la voie de loin , mais ils y marchent à vos yeux pour vous frayer le chemin et vous animer à les suivre.
Nous vous prescrivons les règles ; ils vous fournissent le modèle. Aussi combien de fois, mon cher Auditeur, touché des exemples d'un juste de votre rang et de votre état, vous êtes-vous reproché à vous-même les penchants infortunés qui ne vous permettaient pas de lui ressembler ? combien de fois le souvenir de son innocence vous a couvert de confusion , arraché des soupirs à votre faiblesse, et fait balancer quelque temps entre le devoir et la passion ? combien de fois sa présence seule a réveillé en vous des désirs de salut , et vous a fait promettre en secret à vous-même, qu'un jour vous marcheriez sur ses traces ? Non, mes Frères, nous ne voyons point de conversion dans le monde, qui n'ait trouvé sa source et son motif dans les exemples des gens de bien. Je ne parle pas même ici du mérite de leurs oeuvres : l’union de la foi, et la société d'un même esprit, établit entre eux et vous une espèce de commerce saint , qui vous rend propres les fruits immortels de leurs vertus : le trésor qu'ils amassent, la mesure surabondante qu'ils comblent par des violences qui vont au delà de leurs dettes , sont des biens qui vous appartiennent, et que vous pouvez offrir au Seigneur comme vos propres justices. Ce n'est pas que des satisfactions étrangères puissent suffire pour effacer des offenses qui vous sont propres ; il faut que les mêmes membres qui ont servi à l'iniquité, servent à la justice , et que le péché se répare où il a été commis : mais les œuvres des justes offrent sans cesse au Seigneur, ou le prix de votre conversion , ou l'heureux supplément de votre pénitence .
Cependant le monde , toujours ingénieux à s'ôter à lui-même les ressources de salut que la bonté de Dieu lui ménage, ne semble attentif qu'à obscurcir l'éclat , ou diminuer le mérite des oeuvres des gens de bien : il attaque la sainteté des motifs, quand les dehors sont à couvert de la malignité de ses censures . Les courtisans du roi Sédécias accusaient les larmes et les tristes prédictions du prophète Jérémie , sur la ruine prochaine de Jérusalem , d'un secret désir de plaire au roi de Babylone , qui assiégeait cette ville infortunée . Il semble, ô mon Dieu ! que vous ne soyez pas assez aimable pour être servi dans la seule vue de vous-même ; et que vos promesses toutes seules ne soient pas capables de dédommager vos serviteurs des peines qu'ils endurent : il faut que le monde cherche toujours dans les plus saintes démarches de leur piété , d'autres desseins que celui de vous honorer, et un autre intérêt que celui de vous plaire . Mais que faites vous, mes Frères , en diminuant par des soupçons téméraires, le mérite des œuvres des justes ? vous diminuez les ressources heureuses de votre salut ; vous vous ôtez à vous-mêmes les motifs les plus consolants de votre espérance : ce sont vos propres vertus que vous déshonorez, et vos censures insensées retombent sur vous -mêmes.
Enfin les justes servent encore à votre salut par leurs gémissements et par leurs prières ; et c'est dans ce dernier avantage, que vous allez connaître combien la vertu est respectable dans ceux qui la pratiquent. « La prière continuelle du juste , dit un apôtre , est d'un grand poids auprès du Seigneur ? » (Épître de Saint-Jacques 5,16) . Oui , mes Frères , si Dieu jette encore des regards de miséricorde sur la terre , s'il répand encore ses faveurs sur les empires et sur les royaumes, ce sont les prières et les gémissements secrets des gens de bien , qui nous les attirent. Ce sont ceux qui composent cette partie pure de l'Église , qui n'a point d'autre voix pour demander, que celle du Christ , dont les clameurs ont toujours accès auprès du Père . C'est là cette colombe qui gémit sans cesse, et qui ne gémit jamais en vain; c'est par eux , que toutes les grâces se répandent dans l'Église ; c'est à eux , que les siècles doivent les princes religieux ; les pasteurs fidèles; la paix des Églises ; les victoires de la foi; ces hommes célèbres par leurs lumières, que Dieu suscite dans les besoins de son Église, pour s'opposer aux entreprises de l'erreur, au relâchement des moeurs, aux affaiblissements de la discipline. Que dirai je encore ? C'est à eux , que le monde doit les ressources inespérées dans les calamités publiques, la tranquillité des peuples, le bonheur des siècles : tout vient de là , car tout se ſait pour les élus . Nous en faisons honneur, nous, qui ne jugeons que par les sens, à la sagesse des souverains , à la puissance ou à l'habileté de ceux qui gouvernent. Mais si nous voyions les événements dans leurs causes , nous les trouverions dans les gémissements secrets des gens de bien ; dans les prières quelquefois d'une âme simple et obscure, qui cachée aux yeux des hommes, décide bien plus auprès de Dieu des événements publics, que les Césars et leurs ministres , qui paraissent à la tête des affaires , et qui semblent tenir entre leurs mains la destinée des peuples et des empires .
Comparez, disait autrefois Tertullien (160-220 Ap J.C. - Carthage – Afrique du Nord) aux païens , les malheurs passés de l'empire à la tranquillité dont il jouit aujourd'hui: d'où vient ce changement ? n'est -ce pas depuis que Dieu a donné des chrétiens au monde ? C'est depuis que l'Évangile a montré à la terre des hommes justes, qui offrent au Seigneur des prières ferventes pour les princes et pour les rois : que les Césars sont plus heureux, l'empire plus florissant, les peuples plus tranquilles. C'est nous seuls, qui levant des mains pures au ciel , le fléchissons par nos clameurs ; et cependant, lorsque nous en avons obtenu des grâces pour la terre. Quel don , mes Frères, la miséricorde de Dieu fait à la terre, lorsqu'elle s'y forme un élu ! Quel trésor pour un peuple , pour un empire, pour le monde entier ! quelle ressource pour les hommes, d'avoir encore au milieu d'eux des serviteurs de Jésus- Christ! Vous regardez quelquefois, mes Frères , la vertu comme une faiblesse ; et la piété des justes ne trouve souvent auprès de vous que des dérisions et des censures. Mais quand les gens de bien ne seraient pas si utiles à la terre ; quand ce ne serait pas eux qui maintiennent encore parmi nous, les restes de la sûreté publique , la bonne foi dans le commerce, le secret dans les conseils , la fidélité dans les affaires, la religion dans les promesses, l'intégrité dans les soins publics , l'amour des peuples dans l'autorité : qu'y a -t -il de plus grand et de plus respectable dans le monde, que la vertu ? Mais elle est rare , dites-vous . Je le veux, et c'est en cela même, qu'elle est plus digne de vos hommages. Mais enfin , laissons là les discours puérils du libertinage; il est encore sur la terre des âmes pures et fidèles . Vous en connaissez dans votre rang et dans votre état , auxquelles vous ne pouvez refuser le titre respectable de la vertu : or, c'est par là en dernier lieu , que les bons servent à la condamnation des méchants . Ils ôtent à l'iniquité toutes ses excuses ; car, que pourrez vous répondre devant le tribunal de Jésus- Christ, que leur exemple, ou n'affaiblisse, ou ne confonde ? Direz vous que vous n'avez fait que suivre des usages établis , et qu'il eût fallu se retirer dans les déserts pour s'en dispenser? mais les justes qui sont parmi vous , s'y conforment-ils ? Vous excuserez - vous sur les suites inséparables d'une naissance illustre ? vous en connaissez, qui avec un nom encore plus distingué que le vôtre , en sanctifient l'éclat , et trouvent le secret de le faire servir au salut .
Quoi ? la vivacité de l'âge ? la délicatesse du sexe ? on vous en montre tous les jours, qui dans une jeunesse florissante , et avec tous les talents propres au monde, regardent tous ces vains avantages comme de la boue, et n'ont de pensée que pour le ciel . Quoi ? la dissipation des emplois ? vous en voyez chargés des mêmes soins que vous , et qui cependant font du salut la principale affaire. Votre goût pour le plaisir ? l'amour du plaisir est le premier penchant de tous les hommes ; et il est des justes en qui il est encore plus violent , et qui sont nés avec des dispositions moins favorables à la vertu que vous . Vos afflictions ? il y a des gens de bien malheureux. Votre prospérité ? il s'en trouve qui se sanctifient dans l'abondance. Votre santé ? on vous en montrera , qui dans un corps infirme, portent une âme remplie d'une force divine. Tournez-vous de tous les côtés : autant de justes , autant de témoins qui déposent contre vous .
Placez - vous en telle situation qu'il vous plaira , encore aujourd'hui les femmes mondaines ont des Esthers pour modèles (Livre d`Esther -Ancien Testament); les filles chrétiennes , des Rebeccas (Genèse 24,1); les hommes de guerre , des Josués (Livre de Josué – Ancien Testament); les courtisans, des Néhémias; ceux qui sont assis sur le trône, des Josias et des Davids (Livre de Samuel -Livres des Rois – Ancien Testament); les affligés, des Jobs (Livre de Job – Ancien Testament); les infirmes, des Timothées; ceux qui sentent l'aiguillon de la chair, des Pauls. Chaque situation a ses saints ; chaque âge a ses exemples; chaque état fournit ses modèles . C'est ainsi , ô mon Dieu ! que s'accomplissent sur les hommes vos desseins de justice et de miséricorde ; et que, si vous vous servez des justes, pour corriger ou pour confondre les pécheurs, vous vous servez aussi des pécheurs pour affermir la foi, ou pour éprouver la vertu des justes.
DEUXIÈME PARTIE .
Le corps des justes , dit saint Augustin, répandu par tout le monde, trouve son accroissement et son utilité dans les chutes et dans les erreurs mêmes de ceux qui s'égarent; et les Livres saints ne semblent attribuer au Seigneur tous les maux et tous les désordres de la cité, que parce que sa providence les permet pour les faire servir au salut de ceux qui lui appartiennent. Car remarquez, je vous prie , mes Frères , que la négligence, le dégoût, l'oubli des grâces , sont les écueils les plus ordinaires de la vertu des justes; et que le mélange des méchants sert en premier lieu à leur instruction , en les préservant de ces écueils , et leur fournissant des leçons continuelles de vigilance , de fidélité et de reconnaissance. De vigilance. En effet, les commencements de la conversion et de la piété des justes , sont toujours timides et défiants . Le coeur, instruit alors par le souvenir encore tout nouveau de ses chutes passées , veille sur sa propre faiblesse ; frémit à la seule présence des objets qui lui en retracent les funestes images : tout l'alarme , tout l'avertit , tout le rappelle à lui-même; à peine à demi essuyé du naufrage, il ne marche sur les eaux qu'en tremblant comme Pierre, et le moindre mouvement lui montre le sein de l'abîme prêt à l'engloutir . Mais ces pieuses frayeurs , si nécessaires à la vertu , ne se calment que trop dans la suite . A mesure que le souvenir de nos chutes s'éloigne, le sentiment de notre fragilité s'affaiblit : les jours déjà passés dans la piété , semblent nous répondre de ceux qui suivent; les frayeurs cessent; les précautions se négligent; et , comme le roi Ézéchias, depuis qu'on a triomphé de Sennacherib (un général assyrien qui voulait conquérir la ville de Jérusalem), et délivré Jérusalem des ennemis qui avaient juré sa perte , on en introduit d'autres dans la cité sainte , et on ne craint plus même d'exposer avec complaisance à leurs yeux, des trésors qui ne sont en sûreté, que lorsqu'ils sont inconnus. Or, contre un affaiblissement si dangereux, rien n'est plus utile aux justes , que le mélange des méchants . Ils lisent sans cesse dans les chutes de leurs frères, les raisons de leur vigilance .
Troisième manière dont le mélange des méchants contribue à l'instruction des justes . Il connaît même des pécheurs qui gémissent sous le poids de leurs chaînes, qui désirent leur délivrance , qui flottent toute leur vie entre les désirs de la vertu et la tyrannie des passions. Mais le fruit de sa reconnaissance est un fonds de douceur, de tolérance, de charité , pour ses frères qui s'égarent . Car souvent les gens de bien n'ont pour les pécheurs qu'un cil de mépris et de dureté : loin d'être touchés de leur malheur, et de demander à Dieu qu'il les convertisse, ils font souvent consister toute leur vertu , ou à les fuir , comme des objets contagieux; ou à les plaindre, comme si leur malheur était sans ressource ; ou à les censurer , comme si la charité toujours inexorable envers le vice , n'était jamais indulgente pour le pécheur. Mais qui êtes - vous, pour prescrire ainsi des bornes à la miséricorde divine, et désespérer du salut de votre frère ? Si la grâce a pu triompher de toute la corruption de votre coeur, il n'est plus rien que vous ne deviez attendre d'elle pour les autres : le prodige de votre conversion doit vous préparer à voir sans surprise les changements les moins attendus. Que savez - vous , si ceux qui vous paraissent aujourd'hui les ennemis de la vertu ; qui s'opposent au zèle et aux bonnes intentions des gens de bien ; qui font de leur autorité un asile aux désordres publics , ne seront pas un jour à la tête de toutes les oeuvres saintes , les protecteurs de la piété , les ressources de la miséricorde, les appuis du zèle et de la vérité ? Qui se serait jamais défié que Manassės (roi de Juda – vers l`an 650 Av J.C.), qui avait introduit l'abomination dans le lieu saint (une idole païenne dans le temple de Jérusalem), et effacé jusqu'aux traces du culte du Seigneur dans Jérusalem , dût devenir un jour le restaurateur du temple et des sacrifices , et le protecteur du ministère des enfants d’Aaron ?
Je vais plus loin : que savez-vous si ce pécheur que vous regardez avec tant d'horreur, ne sera pas appelé ; et si vous ne serez pas rejeté ? On n'eût pas cru , sans doute, que la pécheresse de la cité (St-Marie-Madeleine) dût devenir une sainte pénitente de Jésus-Christ ; et que Judas, qui était son disciple, dût mourir traître et désespéré. Le Seigneur ne tient-il pas entre ses mains les cœurs de tous les hommes ? Adorez ses conseils éternels sur leurs destinées; et respectez toujours dans les pécheurs, ou les droits que la grâce se réserve sur leur volonté pour les sanctifier , ou l'usage qu'elle en peut faire, non - seulement pour l'instruction , mais encore pour l'épreuve et pour le mérite des justes . En effet premièrement , quand les pécheurs ne feraient que donner un nouveau prix à la fidélité du juste par la séduction de leurs exemples, ce serait toujours une gloire immortelle pour la vertu , de pouvoir y résister .
Car, outre qu'on a besoin de force pour se défendre des exemples qu'on a sans cesse devant les yeux, lors surtout qu'ils favorisent les inclinations corrompues de la nature ; ce sont des exemples que l'amitié , le sang , l'intérêt, la complaisance , le respect , rendent encore plus puissants , et plus propres à séduire le juste . Ce sont ses maîtres , ses amis , ses proches , ses protecteurs, dont il a à se défendre : il faut qu'il puisse les aimer, les respecter, les cultiver, leur plaire , et qu'il ait le courage de ne pas les imiter : il faut que leurs volontés soient pour lui des lois , et que leurs actions ne soient pas des modèles . Enfin des exemples autorisés par la multitude : ce sont les moeurs communes , qu'il faut éviter ; les usages établis , qu'il ne faut pas suivre . Il faut avoir la force d'être singulier; et de soutenir avec dignité , le ridicule que le monde attache à la singularité. Il faut oser condamner tout seul par sa conduite , ce qu'il y a de plus autorisé parmi les hommes ; passer pour un esprit faible et frappé, et ne compter pour rien leurs jugements comme leurs exemples . C'est ici que la fidélité du juste honore la grandeur du maître qu'il sert, et qu'il devient au milieu du monde un spectacle digne des anges et de Dieu même.
Mais non - seulement les exemples des pécheurs donnent un nouveau prix à la fidélité du juste , leur malignité ménage encore à sa vertu mille épreuves glorieuses. Car , mes Frères , si la vertu n'était contredite , opprimée, persécutée , les justes pourraient avoir le mérite de l'innocence, mais ils n'auraient pas celui de la fidélité. Si leur piété ne trouvait ici--bas que des applaudissements et des hommages, la voie serait trop agréable pour être sûre . Si tout applaudissait à la vertu , la vertu se détruirait bientôt elle-même : ce calme dangereux l'endormirait; ces faveurs humaines l'amolliraient; ces suffrages publics , ou en corrompraient le principe , ou deviendraient bientôt le dédommagement secret de ses peines . Son règne n'est pas de ce monde : les contradictions la soutiennent; les tempêtes l'affermissent ; les persécutions l'éprouvent ; les tribulations la purifient. Or, voilà l'utilité , dit saint Augustin , que la sagesse de Dieu sait tirer de la malice des pécheurs. Il les souffre, que dis -je ? il les favorise même à un point, que ses serviteurs sont quelquefois scandalisés avec le Prophète de la prospérité des impies. Aussi la puissance, l'empire, l'autorité, semblent être presque toujours ici- bas leur partage ; il semble qu'une main invisible ne les élève, ne les protège, ne les fait croître , qu'afin qu'ils deviennent plus propres à accomplir les desseins éternels de la Providence sur les justes . Ce sont des instruments de justice destinés à exercer leur foi : inutiles à eux -mêmes, ils servent du moins par les ménagements adorables de celui qui sait tirer le bien du mal , au salut de leurs frères.
C'est ainsi que tous, et les impies mêmes, coopèrent au bien des élus. En les opprimant, ils font éclater leur patience ; en les chargeant de dérisions et d'opprobres , ils ménagent de nouveaux triomphes à leur charité; en les traitant de séducteurs et d'hypocrites , ils épargnent à leur piété la tentation des applaudissements et des louanges; en les dépouillant de leurs biens, ils purifient leur détachement; en suscitant des obstacles et des contradictions à leur vertu , ils couronnent leur persévérance ; et la fureur des tyrans a fait autrefois plus de saints , que le zèle même des apôtres . Et c'est ici, mes Frères, vous qui servez le Seigneur, et qui marchez dans la voie de ses commandements , c'est ici où vous ne faites pas toujours usage de votre foi. Vous voudriez que la piété fût toujours protégée; favorisée ; préférée même ici-bas, dans la distribution des grâces et des honneurs, au vice . Vous ne regardez pas assez les pécheurs qui méprisent ou qui oppriment la vertu , vous ne les regardez pas assez , dans la main de Dieu , et dans l'ordre de sa providence. Vous souhaiteriez que l'orgueil des impies fût humilié , et que le Seigneur soufflât sur ce colosse de grandeur et de puissance qui les élève, et dont ils se servent pour affliger les siens . Vous voyez avec douleur les premières places occupées souvent, par les protecteurs du vice et les contempteurs de la vertu . Vous désireriez , ce semble, que la piété reçût ici-bas sa récompense ; et qu'au lieu des croix et des tribulations qui doivent être son partage, elle jouit des honneurs, de la puissance , des distinctions, qui ne lui ont pas été promises sur la terre .
Mais vous n'apercevez pas que vos désirs injustes, ôtent à la sagesse de Dieu le principal moyen de salut qu'elle a préparé dans tous les siècles à ses serviteurs ; et que pour ménager un vain triomphe à la vertu , vous lui ôtez l'occasion et le mérite de ses véritables victoires. En effet, outre que la malice des pécheurs éprouve et purifie la foi des justes , leurs scandales et leurs dérèglements les affligent, et arrachent à leur piété des gémissements de zèle et de compassion , qui leur font un nouveau mérite devant le Seigneur : dernier avantage que le mélange des méchants ménage aux gens de bien . Témoins de la corruption générale et de ce déluge de crimes dont le monde semble être inondé, ils sèchent de douleur comme le Prophète ; ils se sentent déchirés par les plus vives impressions de l'Esprit de Dieu, comme Paul à la vue des désordres et des impiétés d'Athènes : « Tandis que Paul les attendaient a Athènes, son esprit s`échauffait en lui au spectacle de cette ville remplies d`idoles.» (Actes des Apôtres 17,16); ils veulent se laisser mourir de tristesse comme Élie au pied de la montagne, spectateur des prévarications d'Israël ; ils demandent, comme le prophète Jérémie, une fontaine de larmes , pour pleurer sur les excès et sur les iniquités de leur peuple ; ils souhaitent , comme Moïse , d'être effacés du livre des vivants , pour n'être plus témoins de l'incrédulité de leurs frères ; ils désirent , comme Daniel , la fin de la captivité , la délivrance du peuple de Dieu, l’avènement du règne éternel.
Voilà le fruit qui revient à la piété des justes, des dérèglements et des scandales dont ils sont témoins. Et certes , mes Frères, quand on a de la foi, et qu'on est touché de la gloire du Dieu qu'on sert et qu'on aime , peut-on voir ce qui se passe dans le monde, d'un oeil sec , tranquille, indifférent ? Les maximes de Jésus-Christ anéanties , ses mystères déshonorés, ses serviteurs méprisés , ses promesses oubliées ; la terreur même de ses menaces affaiblie par les blasphèmes de l'incrédulité ; les haines éternelles ; les vengeances; les infidélités dans le mariage , devenues le sujet , non pas de l'horreur, mais de la risée publique, et des chansons satiriques et profanes ; les vices autorisés ; les théâtres (films- vidéos - pornographie) impurs devenus les plaisirs publics des chrétiens; et l'art d’inspirer les passions les plus honteuses, classé parmi les arts qui sont utiles aux peuples, glorieux aux royaumes, et qui font dresser des statues à leurs inventeurs. Eh ! vous vous persuadez quelquefois, vous, mes Frères, qui vivez dans la piété , en ménageant encore le monde; que le commerce du monde et de ses plaisirs , pourvu qu'on s'en tienne à certaines bornes, n'est pas interdit à la vertu ; et que les gens de bien doivent plus se distinguer des mondains par les dispositions du coeur, que par les mœurs extérieures et la fuite trop rigoureuse de leurs assemblées et de leurs plaisirs.
Mais si les intérêts de Jésus-Christ vous touchent, pouvez- vous être capable de quelque joie au milieu du monde? Eh ! qu'y verrez - vous qui ne doive vous percer le cœur de la plus vive douleur ? Pourrez-vous sourire à une impiété; ouvrir les oreilles aux médisances les plus atroces ; applaudir au langage profane des passions; louer les projets frivoles et insensés de la vanité ; devenir l'approbateur des préjugés et des usages ? Pourrez-vous voir crucifier sous vos yeux le Seigneur Jésus , et prendre part à la joie de ses ennemis, si vous n'en prenez point à leur crime ? Pourrez-vous enfin voir les amateurs du monde courir en dansant comme des insensés , un bandeau sur les yeux, au précipice; et vous faire d'un spectacle si affligeant, un objet capable d'amuser votre loisir , ou d'égayer vos ennuis ? Je dis bien plus , pourrez -vous y retenir vos larmes ? Quelle contrainte ! quelle situation pénible que le commerce des mondains, pour une âme qui aime son Dieu , lors même que l'ordre et le devoir l’y engagent! Vous cherchez le monde pour vous délasser ? mais vous devriez l'éviter pour vous épargner les moments les plus amers d'une sainte tristesse .
C'est au sortir du monde que vous devriez avoir besoin de délassement; que votre esprit fatigué de tant d'images affligeantes, devrait aller se consoler aux pieds de Jésus-Christ. Ah ! si vous pouvez , je ne dis pas trouver encore quelque plaisir au milieu du monde , mais le voir encore , sans douleur, sans gémir en secret sur les jugements de colère que Dieu y exerce sur les hommes : peut-être ne haïssez - vous pas des abus qui vous laissent si tranquille , peut -être portez- vous encore dans le cœur les mêmes passions, qui , dans les autres , n'ont rien qui vous alarme ! « Passez au milieu de Jérusalem , disait autrefois le Seigneur à l'ange exterminateur; marquez sur le front, et épargnez les hommes qui gémissent et qui sont affligés des iniquités qui se commettent au milieu d'elle » (Ézéchiel 9,4 – Ancien Testament) ; c'est le caractère le plus essentiel des justes ; c'est la marque décisive à laquelle on les reconnaît .
Tout le reste des habitants de Jérusalem est livré à la fureur du glaive et de la vengeance céleste : ce petit nombre tout seul de justes qui gémissent, est épargné et marqué du sceau de salut. Le Seigneur ne reconnaît pour siens que ces âmes touchées du zèle de sa gloire, qui répandent sans cesse devant lui l'amertume de leur cœur sur les iniquités de son peuple, et qui lui disent tous les jours avec un prophète : « Regardez Seigneur, du haut de la demeure de votre gloire, et voyez » « Où est votre zèle ? où est la force de votre bras ? ou du moins, que sont devenues les entrailles de vos miséricordes anciennes sur votre peuple » ? « Car malgré nos iniquités, vous êtes encore notre Père ; et Abraham , dont nous faisons gloire d'être les enfants , et tous les saints protecteurs de cet empire , en qui nous pourrions mettre notre confiance, semblent nous avoir abandonnés , si vous ne jetez sur nous quelque regard propice » « Pourquoi , Seigneur, avez- vous souffert que nous nous égarassions de vos voies saintes » ?« Pourquoi avez-vous laissé endurcir notre cœur, afin que nous ne vous craignissions plus » ? « Ah ! revenez enfin à nous , Seigneur, à cause des serviteurs que vous vous réservez encore parmi les tribus de votre héritage : si nos infidélités allument dans vos mains la foudre prête à nous frapper encore , que la foi et la piété de tant d'âmes saintes que vous voyez encore au milieu de nous , vous désarment » (Isaïe 63,15 – 16- 17 -19 – Ancien Testament)
Oui, Seigneur, toute la gloire de Juda est éteinte : ce royaume autrefois si illustre par la foi de nos pères, par la piété de ses souverains, par le sang de tant de martyrs, et par la sainteté et la science de vos ministres, imite toutes les moeurs des nations corrompues et perverses : l'incrédulité s'y élève insensiblement sur les débris de votre culte . Nous aurions encore besoin que votre miséricorde nous suscitât de ces hommes apostoliques , qui les premiers vinrent annoncer la foi à nos ancêtres encore assis dans les ténèbres de la mort et de l'idolâtrie ; et nous sommes presque redevenus tels que nous étions avant que vous fussiez notre Seigneur, et que votre saint nom fût invoqué parmi nous.
Tels sont les gémissements de la foi, et l'usage que les gens de bien doivent faire du mélange des méchants avec lesquels ils vivent . Et pour vous, mes Frères, qui êtes encore l’ivraie de ce champ divin , regardez les justes qui sont parmi vous , comme les plus heureuses ressources de votre salut : respectez- les , si vous ne pouvez pas les imiter encore : liez-vous avec eux , si vous ne pouvez encore les suivre : désirez de leur ressembler, si vous ne pouvez encore obtenir de votre faiblesse que des désirs : favorisez leurs oeuvres saintes , si vous ne pouvez encore rien entreprendre pour vous-même : et par votre respect pour la vertu , tâchez d'en mériter le don précieux, de celui auprès de qui nul sentiment de foi et de piété ne demeure sans récompense. Ainsi soit-il .
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
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