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Considération sur l`Enfer - St-Robert Bellarmin.

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Considération sur l`Enfer - St-Robert Bellarmin.  Empty Considération sur l`Enfer - St-Robert Bellarmin.

Message par MichelT Jeu 24 Mar 2011 - 21:44

Seconde source des larmes : La considération de l’Enfer. St-Robert Bellarmin - Docteur de l`Église - 16 eme siecle

Après avoir considéré le péché, nous en considérerons la peine, qui est une seconde source de larmes. Il est vrai que la douleur intérieure, causée par la crainte de la peine, est bien moins parfaite que celle que cause l’horreur de l’offense même; mais l’une et l’autre sont très-bonnes, et l’une sert de degré pour monter à l’autre.
Le Sauveur nous le déclare en termes formels, lorsqu’il dit : Ne craignez point ceux qui ôtent la vie du corps, et qui ne peuvent rien faire de plus; mais je vous enseignerai qui vous devez craindre : Craignez celui qui après avoir ôté la vie, peut précipiter dans l’Enfer. Oui, je vous le dis, craignez celui-là. Une autre fois ayant vu quelques saintes femmes qui le suivaient tout éplorées, comme on le menait au Calvaire, pour le crucifier, il leur dit : Filles de Jérusalem, ne me pleurez point, pleurez-vous vous-mêmes, pleurez vos enfans; car dans peu de temps, on dira : Heureuses les femmes stériles, qui n’ont jamais eu d’enfans, et qui n’en ont point allaité : Alors on commencera à dire aux montagnes : Tombez sur nous; et aux collines : Ecrasez-nous; car si on fait cela au bois vert, que fera-t-on au bois sec? Il ne trouvait pas mauvais cette tendre compassion qu’on avait pour lui, il voulait marquer seulement quel est le malheur des mères qui ont des enfans reprouvés, tels qu’étaient la plupart de ceux qui avaient crié : Défaites-nous de cet homme, crucifiez-le, crucifiez-le; que la vengeance de sa mort tombe sur nous et sur nos enfans. Car c’est de ceux-ci qu’il est dit, qu’ils crieront un jour : Montagnes, tombez sur nous; collines, écrasez-nous. Que si l’on traite avec une telle rigueur le Fils de Dieu même, qui est cet arbre toujours vert, toujours chargé de fleurs et de fruits, quelle rigueur exercera-t-on sur des troncs secs, sur des impies et des réprouvés, qui ont perdu tout le suc et tout l’esprit de la charité?

A ces deux passages de l’Ecriture, où la crainte de l’Enfer est louée et commandée par le Sauveur même, joignons-en deux autres de deux savans Pères de l’Eglise, qui nous recommandent à tous cette salutaire crainte. Saint Basile sur le Psaume 33, expliquant ces mots : Je vous apprendrai à craindre le Seigneur; Représentez-vous, dit-il, ce profond abîme, ces ténèbres d’où l’on ne saurait sortir; ce feu sombre qui brûle sans éclairer, ces vers dévorans et pleins de venin, qui ne cessent de ronger la chair sans se rassasier jamais, et qui font toujours des douleurs insupportables, et par-dessus tout cela cette confusion éternelle, qui est le plus cruel de tous les tourmens. Craignez cela, et que l'appréhension que vous en aurez, vous serve de frein pour réprimer vos passions, en arrêter les saillies. C’est là cette crainte que le Prophète promet d’enseigner.
Après saint Basile, entendons parler saint Bernard; voici ce qu’il dit : Que je crains le feu éternel, je tremble quand je me figure les dents du Dragon infernal, le sein de l’abîme, les lions prêts à dévorer leur proie, le ver qui ronge, et le feu qui brûle; la fumée et la vapeur noire qui en sort, le soufre dont il s’entretient, les vents furieux qui servent à l’allumer et à empêcher qu’il ne s’éteigne; enfin les ténèbres effroyables où l’on jette ceux qu’on exclut du Ciel. Qui donnera de l’eau à ma tête? Qui convertira mes yeux en des sources de larmes, afin que pleurant en ce monde, je ne sois pas condamné à pleurer en l'autre?
Ces deux grands Saints, l’un de l’Eglise Grecque, l’autre de l’Eglise Latine, n’étaient ni pécheurs, ni novices dans la spiritualité, pour s’abstenir d’offenser Dieu par le seul motif de la crainte; c’étaient des hommes parfaits, savans, d’une sagesse consommée, qui non contens d’instruire le peuple, formaient des Ecclésiastiques et des Religieux, et les conduisaient dans la voie de la plus sublime perfection; et néanmoins ils ne blâmaient pas la crainte de l’Enfer, ils l’approuvaient au contraire, ils la louaient hautement; ils en étaient pleins eux-mêmes, et tachaient de l’imprimer dans le cœur de tous les Fidèles.

Cela supposé, expliquons en peu de mots ce que c’est que les peines de l’Enfer, et ô combien elles sont horribles. Nous ne dirons rien de douteux et de fondé sur des conjectures, pour jeter de vaines terreurs dans l’esprit du simple peuple. Ce que nous dirons, est tiré de l’Ecriture où l’on remarque huit sortes de tourmens que souffrent les Réprouvés : la privation de la vue de Dieu, qu’on nomme la peine du Dam; les ténèbres éternelles, le feu, le ver intérieur, l’impuissance de changer de situation et de place, la compagnie des Démons, d’où naissent les pleurs, et le grincement de dents, toutes peines qu’on nomme du sens.

La peine du Dam, qui est la première, consiste à être éloigné de sa fin dernière, à ne voir jamais l’essence divine, à demeurer éternellement banni de sa véritable patrie, à ne pouvoir plus prétendre à l’héritage céleste; en un mot à être privé de toutes sortes de biens. Cette seule considération ne suffirait-elle pas pour nous tirer les larmes des yeux, eussions-nous le cœur plus dur que le marbre? Mais en quel endroit de l’Ecriture sommes-nous menacés d’un si grand malheur?
Ecoutez l’Arrêt que le Juge des vivans et des morts prononcera au dernier jour : Il dira aux Réprouvés : Allez, maudits, loin de moi; et aux Elus : Venez, vous qui êtes bénis de mon Père. Ecoutez encore ce qu’il répondit un jour à un homme qui l’interrogeait sur le petit nombre de Prédestinés. Efforcez-vous, lui dit-il, d’entrer par la porte étroite. Car je vous le dis, plusieurs chercheront à y entrer, et ils ne le pourront. Quand le Père de famille sera entré, et qu’il aura fermé la porte, vous vous trouverez dehors, vous commencerez à heurter, en disant : Seigneur, ouvrez-nous; il vous répondra : Je ne sais ni qui vous êtes, ni d’où vous êtes : Allez-vous-en loin de moi, vous tous qui faites des œuvres d’iniquité. Ecoutez aussi ce que le prophète Isaïe dit là-dessus : Ayons de l’indulgence pour l’impie; il n’en deviendra pas meilleur. Dans la terre même des Saints, il a commis de grands crimes; il ne verra point le Seigneur dans sa gloire.

Enfin si le bonheur de voir Dieu est la récompense des âmes pures, suivant ce mot du Sauveur : Heureux ceux qui ont le cœur pur, car ils verront Dieu; sans doute que nul de ceux qui ont l’âme souillée de péchés, ne verra Dieu. Ainsi privés de la vision béatifique, ils ne verront pas non plus la céleste Jérusalem, qui est le séjour des Bienheureux. Car il n’y entrera rien d’impur; et ceux qui commettent des abominations et des fourberies, en seront exclus. Heureux ceux qui lavent leurs robes dans le sang de l’Agneau, afin de pouvoir manger du fruit de vie, et entrer dans la sainte Cité. Que l’on en chasse les empoisonneurs, les impudiques, les meurtriers, les idolâtres, et tous ceux qui font profession de mentir. Plusieurs cependant n’appréhendent guère la peine du Dam, parce qu’attachés aux biens de la terre, ils n’ont point de goût pour les biens du Ciel. Mais ceux qui ont les yeux de l’esprit plus sains et plus éclairés, ou qui ont tant soit peu goûté les choses divines, sont bien persuadés que de toutes les peines de l’Enfer, il n’en est aucune qui l’égale.
Pour s’en convaincre, il ne faut que considérer ce qu’en dit saint Chrysostôme. Voici ses paroles : Celui qui brûle dans l’Enfer, est banni du Royaume des Cieux pour jamais, et cette peine surpasse le tourment du feu. Je sais que beaucoup de gens ne craignent rien tant que le feu; mais moi je soutiens que la perte de ce Royaume est encore quelque chose de plus terrible; et si je ne puis le faire voir clairement, il ne s’en faut pas étonner; car nous ne connaissons pas assez combien le bonheur des Saints est grand, pour pouvoir juger combien est grand le malheur des impies qui en sont privés. Mais nous le saurons certainement, quand nous l’aurons éprouvé. Alors nos yeux s’ouvriront; le bandeau que les méchans ont devant les leurs, sera ôté, et ils verront avec douleur la différence qu’il y a d’un bien souverain et éternel, à des biens légers et périssables, comme sont ceux d’ici-bas.
Voilà les vrais sentimens que nous devons suivre, en attendant que l'expérience apprenne à ceux d’entre nous qui les méprisent, de combien la perte des joies du Ciel est un mal plus grand que toutes les douleurs sensibles. Que si le feu nous en cause une très-cuisante, et qui nous paraît insupportable, jugeons delà quel châtiment c’est que d’être exclu de la béatitude éternelle. Maintenant donc qu’il nous est aisé de prévenir ce malheur, dans ce temps de miséricorde, de réconciliation et de salut, n’épargnons pas les gémissemens et les larmes, de peur qu’un jour étant séparés des Saints, nous ne pleurions et ne gémissions sans nulle espérance de réparer notre perte.
Le second tourment des Damnés, est l’obscurité du lieu, de laquelle il est parlé en divers endroits de l’Evangile, comme lorsque le Sauveur dit que les enfans du Royaume seront jetés dehors dans les ténèbres; et lorsqu’il ordonne qu’on y jette le serviteur inutile. Job nous dépeint l’Enfer comme un lieu plein de misère et d’obscurité, où réside l’ombre de la mort, où tout est dans le désordre, dans la confusion et dans une éternelle horreur. Il ne faut que la raison naturelle pour juger que ce doit être un lieu bien obscur, puisqu’il est situé dans le centre de la terre, et le plus loin qu’il se peut du séjour des Bienheureux, et qu’on le nomme pour cela dans l’Ecriture, l’Enfer le plus bas, le sein de la terre, l’abîme, où la lumière du soleil ni celle de la lune et des étoiles ne peut pénétrer. Ce n’est pas qu’il n’y ait du feu dans cette obscure prison, et un feu réel, comme nous verrons bientôt; mais ce feu brûle les Damnés, et ne les éclaire point, selon la remarque de saint Basile, qu’on a déjà cité là-dessus, ou si, avec une vapeur ensoufrée, il jette quelque lueur sombre, ce n’est que pour augmenter leur peine; c’est afin qu’ils voient leurs enfans, leurs frères, leurs anciens amis, les compagnons de leurs débauches, et les visages affreux des Démons, qui se présentent à eux, malgré qu’ils en aient, et dont ils voudraient pouvoir détourner les yeux.
Les ténèbres de l’Enfer se nomment extérieures, et on les distingue par-là des intérieures, qui sont répandues dans l’âme des enfans du siècle. Car ceux qui aiment le monde, ont maintenant les yeux de l’esprit, aussi-bien que ceux du corps, toujours ouverts pour rechercher ce qu’ils croient pouvoir contribuer à les rendre heureux sur la terre. Voilà pourquoi ils ne trouvent rien de beau, et ils n’aiment rien que ce qui flatte les sens; rien au contraire ne leur déplaît, rien ne leur fait peine que les maux de cette vie, et ils mettent tout en œuvre pour s’en garantir; mais autant ils sont clairvoyans pour les choses extérieures et sensibles, autant sont-ils aveugles pour les intérieures et spirituelles. C’est d’eux que parle l’apôtre, lorsqu’il dit que ce sont des insensés, qui ont le cœur enveloppé de ténèbres; et lorsqu’il excite les Fidèles à ne pas marcher par la même route, à ne pas suivre la même conduite que les Gentils, qui se gouvernant selon leurs fausses lumières, et ayant l’esprit obscurci, s’écartent de la voie de Dieu, à cause de leur ignorance et de l’aveuglement de leur cœur.
Comme donc les réprouvés sont maintenant dans l’obscurité au dedans, et dans la lumière au dehors, ils seront un jour dans l’obscurité au dehors, et dans la lumière au dedans, non pas pour voir Dieu, mais pour connaître leur misère, qu’ils auront jusques alors ignorée, et dont la claire connaissance leur sera un nouveau supplice. Ils verront qu’il n’y aura plus de biens temporels pour eux, et ils auront un regret mortel d’y avoir mis leur béatitude. Ils s’en repentiront, mais trop tard, et pénétrés de douleur, ils se diront à eux-mêmes : Il est donc vrai que nous nous sommes égarés du chemin de la vérité, et que la lumière de la justice ne nous a point éclairés. Ainsi ils auront assez de lumière intérieure pour connaître leurs égaremens; mais les ténèbres extérieures, où ils seront abîmés, les empêcheront de rien voir de ce qui pourrait les consoler, ou adoucir leurs tourmens.
On comprendra aisément cette vérité, si l’on considère ce que Tobie, quand il eut perdu la vue, répondit à l’Ange qui le saluait par ces paroles : Réjouissez-vous toujours. – Hé, quelle joie puis-je avoir, moi qui suis dans les ténèbres, et qui ne puis voir la lumière du ciel? Si ce saint homme, très-soumis d’ailleurs à la volonté divine, ne croyait pas qu’un aveugle comme lui pût se réjouir en ce monde, que sera-ce de ces malheureux, qui durant toute l’éternité demeureront ensevelis dans les ténèbres de l’abîme ? Ils attendront la lumière, et jamais ils ne la verront, et l'aurore ne se lèvera point pour eux. Quand quelqu’un de nous étant seul la nuit, se sent pressé d’un mal violent, qui lui ôte le sommeil, avec quelle inquiétude compte-t-il toutes les heures, et avec quelle impatience attend-il que le jour vienne pour soulager sa douleur ? Que feront donc les Damnés ? Et pourront-ils ne pas tomber dans la tristesse et dans l’ennui, eux qui savent certainement que leurs ténèbres dureront toujours, que leurs peines ne finiront point, et que jamais il n’y aura de consolation pour eux?
Mais que dirons-nous du tourment du feu, qui est le troisième tourment de l’Enfer ? Qu’il y ait du feu dans l’Enfer, et un feu qui brûle ceux qui y sont, c’est une vérité si constante dans l’Evangile, qu’on n’en peut raisonnablement douter. Saint Jean-Baptiste, parlant du Sauveur, disait aux Juifs : Il a le van entre les mains, il nettoiera son aire, et amassera son blé dans le grenier; mais la paille, il la brûlera dans un feu qui ne peut s’éteindre. Tout arbre qui ne porte pas de bon fruit, sera coupé et jeté au feu. Le Sauveur lui-même s’en explique clairement : nous ramassons ici ce qu’il en dit en plusieurs endroits. Voici ses propres paroles : Les méchans séparés des Justes, seront jetés dans la fournaise ardente. Allez, maudits, au feu éternel, qui a été préparé pour le Démon et pour ses Anges. Il vous est plus avantageux de n’avoir qu’un pied, et d’arriver à la vie éternelle, que d’en avoir deux, et d’être jeté dans le feu, qui ne peut s’éteindre. Si quelqu’un ne demeure pas en moi, on le jettera dehors; comme le sarment, il deviendra sec, et on le ramassera, puis on le jettera au feu, et il brûlera. L’Evangéliste saint Jean parle le même langage que son maître : Celui, dit-il, dont le nom ne se trouva pas écrit au Livre de vie, fut jeté dans l’étang de feu. Pour ce qui est des gens lâches, des incrédules, des scélérats, des meurtriers, des impudiques, des empoisonneurs, des idolâtres, et de tous les fourbes, leur partage sera l’étang de feu et de soufre, où ils trouveront la seconde mort.
Il est donc certain que les méchans seront tourmentés par le feu. Et qu’on n’aille pas se le figurer comme un feu purement spirituel, allumé pour les Démons, et qui n’ait que le nom de feu. Car saint Grégoire dit expressément que c’est un feu matériel, qui ne brûle pas seulement les corps, mais les esprits mêmes; et sa doctrine est reçue communément dans l’Ecole. Quant à la manière dont il brûle les esprits, c’est parmi les Théologiens un grand sujet de dispute. Saint Augustin décide en trois mots toute la question, quand il dit que cela se fait d’une façon merveilleuse, mais réelle et véritable. On peut faire la même réponse à ceux qui demandent quelle est la matière de ce feu, qui ne s’éteint point, et comment il se peut faire que les corps des Réprouvés brûlent toujours sans se consumer. C’est un mystère que nous ne comprenons pas; mais si la chose est admirable, elle n’en est pas moins vraie. L’Eglise le croit, et sa croyance est fondée sur ce que celui qui opère cette merveille est tout-puissant, et que celui qui nous la propose comme véritable, ne se peut tromper, étant la Sagesse même, et la première Vérité.
Mais laissons cela à part, et contentons-nous de bien méditer ce qu’il nous importe le plus de savoir, quel tourment c’est à un corps humain, plus délicat et plus sensible que tout autre, d’être plongé dans un étang de feu et de soufre, sans jamais mourir. Le tourment est grand, et n’a point de fin; mais n’est-il pas juste qu’où le péché ne cesse point, la peine dure toujours ? Les tyrans ont inventé bien des sortes de supplices; le plus douloureux de tous est sans contredit celui du feu. Une seule chose en peut diminuer la rigueur, c’est que s'il est le plus violent, il est aussi le plus court, et qu’on n’y peut résister longtemps. Qui ne plaindra donc le malheur de ceux qui sont condamnés à un feu qui les tourmente cruellement, et qui jamais ne cessera de les tourmenter ? Ô ! si l’on pensait à cela, et que l’on en fût bien persuadé, qui est-ce qui se sentant la conscience chargée d’un péché mortel, pourrait s’empêcher de gémir et de fondre en larmes ? Plût à Dieu que chaque pécheur crût que c’est à lui en particulier que le Saint-Esprit adresse ces paroles d’un de ses Prophètes : Qui de vous pourra supporter l’ardeur d’un feu dévorant ? Qui de vous pourra subsister dans les flammes éternelles ? Comme s’il disait : Gardez-vous bien de vous charger d’un fardeau que vous ne sauriez porter. Essayez si vous aurez assez de force et de constance pour soutenir l’ardeur excessive de ces flammes épouvantables : mettez la main dans le feu, et voyez comment vous pourrez demeurer éternellement abîmé avec les Démons dans l’étang de feu et de soufre. Pour vous préserver d’un si grand mal, travaillez à réprimer vos passions; ne vous laissez échapper aucune parole indiscrète, ou qui blesse la charité, abstenez-vous de toute mauvaise action; et si votre conscience vous reproche quelque péché de quelque nature qu’il soit, tâchez au plus tôt de l’effacer par vos larmes, de vous en purger par la Confession, de l’expiez par le jeûne, par la prière et par l’aumône. C’est là le moyen de vous sauver du feu éternel.

Le quatrième tourment des Damnés, est le ver qui déchire sans cesse le cœur, et dont il est fait mention dans Isaïe et dans saint Marc. Le ver des pécheurs ne mourra point, dit Isaïe, et leur feu ne s’éteindra point. Le Fils de Dieu, dans saint Marc, répète jusqu’à trois fois en un seul Chapitre ces mêmes paroles. Saint Basile, sur le Psaume 33, semble vouloir dire que c’est un ver matériel et plein de venin, qui ronge toujours la chair, sans pouvoir se rassasier, et qui cause par sa morsure d’horribles douleurs. Mais saint Augustin croit avec plus de raison, que le feu qui ne s’éteint point, est pour l’esprit. C’est aussi l’opinion commune des Théologiens. Ce ver immortel et insatiable, n’est donc autre chose que le souvenir du péché, et la syndérèse, qui comme un ver toujours affamé, pique incessamment le cœur du pécheur, en lui reprochant l’étrange folie qu’il a faite de renoncer à son salut, et de s’engager volontairement dans la damnation, pour jouir d’un plaisir également court et honteux.

On peut en ce monde ou adoucir ou suspendre les fâcheux remords d’une mauvaise conscience, soit en reposant durant la nuit, soit en lisant, ou en travaillant durant le jour, ou en cent autres manières; mais dans l’Enfer, où il n’y a ni sommeil, ni lecture, ni occupation qui puisse distraire ou divertir, on est jour et nuit rongé de ce ver qui déchire les entrailles des impies, sans leur donner un seul moment de repos. Ainsi transportés de rage contre eux-mêmes, ils gémissent et se lamentent sans cesse, en s’écriant tout en pleurs; Ô temps heureux, ô favorables momens, que nous avons laissé s’écouler, et que nous ne retrouverons jamais ! Ô aveugles et insensés que nous étions ! qui nous avait fasciné les yeux, qui nous avait troublé la raison, pour nous ôter la pensée des maux dont on nous menaçait alors, et que nous souffrons maintenant ? Nous ne manquions pas de Prédicateurs, on ne cessait de nous avertir tantôt en public, tantôt en particulier, du danger où nous étions. De quoi nous profitent aujourd'hui les biens que le monde nous offrait, et qui ne pouvaient servir qu’à irriter contre nous le Dieu des vengeances ? Quand il nous aurait donné des Royaumes, avec toutes les richesses et tous les plaisirs imaginables, quand il aurait pu nous en assurer la jouissance durant plusieurs siècles, tout cela eût-il mérité qu’on l’achetât au prix d’une éternité de tourmens ? Mais il s’en faut bien qu’il nous promit des couronnes, et toutes sortes de délices pour beaucoup d’années : tout ce qu’il nous faisait espérer, n’était que quelque douceur passagère, mêlée d’amertume. Qui donc a pu nous ensorceler jusques à ce point, que malgré tant de sages remontrances, tant de charitables reproches, nous n’avons jamais songé tout de bon à nous préserver des maux à venir ? Voilà ce que disent et ce que diront éternellement ces malheureux, dont le ver ne mourra point, et le feu ne s’éteindra point.

La cinquième peine des méchans est une fâcheuse captivité dans une prison, où ils sont liés si étroitement, qu’ils ne sauraient se remuer. Le Sauveur en parle au sujet de cet homme, qui était entré étourdiment dans la salle du festin, sans avoir pris sa robe de noces. Le Roi, en colère, commanda sur l’heure qu’on le chassât, et que pieds et poings liés, on le jetât dans un horrible cachot. L’Apôtre saint Jude en parle aussi dans son Epître. Dieu, dit-il, en attentant qu’il juge les Anges déchus par leur faute du glorieux état où il les avait créés, les tient enchaînés pour jamais dans une obscure prison. Ces liens et ces fers que les Damnés auront aux pieds et aux mains, marquent qu’ils seront éternellement dans la même situation, sans jamais pouvoir se remuer en aucune sorte. Encore si on leur donnait quelque moment pour prendre un peu de repos, cette terrible contrainte leur deviendrait supportable; mais comme le ver qui les pique ne les quitte point, et que le feu qui les brûle ne leur donne point de relâche, ce leur est une peine étrange que de ne pouvoir se tourner ni changer de place. Qu’y a-t-il de plus fâcheux à un malade, quoique mollement couché, que d’être contraint de demeurer immobile dans le fort d’une fièvre ardente ?

Ce fut sans doute un cruel supplice, que celui qu’on fit souffrir au glorieux martyr Marc d’Aréthuise, lorsqu’après l’avoir lié très étroitement, et lui avoir frotté tout le corps de miel, on l’exposa nu aux aiguillons des moucherons et des guêpes, dont il ne pouvait se défaire, ni en s’enfuyant, ni en les chassant. Saint Grégoire de Nazianze rapporte ceci pour montrer jusqu’où peut aller la malice et la fureur du Démon contre les Martyrs; mais ce généreux Confesseur de Jésus-Christ avait de quoi se consoler sur le peu de temps que devait durer son Martyre, et sur la durée infinie du bonheur qui l’attendait dans le Ciel. Peut-être avait-il alors dans l’esprit cette sentence de l’apôtre : Les souffrances de cette vie, quoique courtes et légères, nous acquièrent là-haut une gloire immense et d’une éternelle durée. Au contraire, ces misérables, qui en punition de leur désobéissance et de leur libertinage brûlent dans l’Enfer, sont liés par les pieds et par les mains, et exposés en cet état aux vers qui les rongent et aux flammes qui les dévorent, sans qu’ils puissent ni se défendre des vers, ni s’échapper des flammes, ni espérer aucune sorte de soulagement, et; moins encore aucune sorte de plaisir dans tous les siècles des siècles.

Le sixième tourmen des Damnés, est la compagnie des Démons, suivant ce terrible Arrêt que le Fils de Dieu portera contre eux : Allez loin de moi, maudits, allez au feu éternel, qui a été allumé pour le Démon et pour ses Anges. Saint Jean dans l’Apocalypse, dit que le Démon qui séduisait les nations, fut jeté dans l’étang de feu et de soufre avec la Bête, et le faux Prophète, et que tous ceux de qui le nom ne se trouva pas écrit dans le Livre de vie, y furent aussi jetés. Saint Basile, saint Augustin, saint Bernard, et les autres Pères confirment la même chose. Que chacun donc considère combien il est dur de n’avoir jamais d’autre compagnie que celle de ces cruels ennemis du genre humain, qui sont comparés dans l’Ecriture à des Lions, à des Dragons, à des Aspics, à des Basilics. Ce n’est pas la moindre partie du bonheur des Saints, que la joie qu’ils ont de pouvoir vivre éternellement avec une multitude innombrable d’Anges, dont ils sont tendrement aimés, et qui excellent en sagesse, en charité, en douceur, et en toutes sortes de perfections. Ce n’est pas non plus la moindre partie du malheur des Réprouvés, que d’être contraints d’habiter toujours avec ces Esprits immondes, dont le nombre est infini, la haine implacable, et l'aspect affreux. Il ne faut donc pas s’étonner qu’au milieu de tant d’ennemis et de bourreaux, ils versent des torrens de pleurs, et grincent les dents de rage et de désespoir.

Ce sont là les deux dernières peines qu’ils souffrent, et que marque le Sauveur en plusieurs endroits, comme lorsqu’après avoir dit que les enfans du Royaume seront jetés dans les ténèbres, il ajoute que c’est là qu’on pleurera, et qu’on grincera les dents; et lorsqu’il adresse aux impies ces épouvantables paroles : Allez-vous-en loin de moi, vous tous qui faites des œuvres d’iniquité; allez où l’on pleure, et où l’on grince les dents. Il répète encore ailleurs la même chose, parce qu’il nous importe extrêmement d’avoir cette vérité bien imprimée dans le cœur. Les pleurs et le grincement de dents nous font connaître la grandeur des autres peines des Damnés. Les pleurs montrent l’excès de la douleur, et le grincement de dents marque un dépit qui va jusques à la rage et à la fureur. L’un et l’autre viennent de l’image triste et toujours présente du bonheur qu’ils ont perdu, du feu qui les brûle, du ver qui les ronge, des ténèbres noires et affreuses qui les environnent, et de la vue continuelle des monstres de l’abîme. Ainsi tous ceux qui non pas voulu pleurer leurs péchés en cette vie durant quelque peu de temps, les pleureront malgré eux en l’autre, mais sans fruit, durant des millions de siècles; et parce que sur le point de commettre le péché, ils n’ont pas frémi d’horreur, ils frémiront à jamais de dépit et de colère contre eux-mêmes, sans pouvoir se soulager au milieu de leurs tourmens. L’apôtre leur disait bien que c’est quelque chose de terrible que de tomber entre les mains du Dieu vivant; mais c’étaient des sourds qui se bouchaient les oreilles, de peur d’entendre sa voix.
Toutes ces choses ont été écrites pour nous, qui sommes encore entre deux chemins, et dans une entière liberté de nous détourner de celui qui mène à la perdition. Car pour ceux qui sont arrivés au terme, ils n’ont plus de salut à espérer, quand ils répandraient autant de larmes, qu’il y a d’eau dans la mer.
Pleurez donc, ô Âme chrétienne, pleurez, tandis que vos pleurs peuvent servir à l’expiation de vos offenses. Ne différez pas plus longtemps, parce que le temps passe vite. Songez combien de pécheurs, que la mort surprend tous les jours, sont étonnés de se voir en un moment précipités dans l’Enfer, où ils ne tomberaient pas, s’ils avaient tâché de prévenir par la pénitence un malheur, qui leur fera éternellement verser des larmes et grincer les dents.


MichelT

Date d'inscription : 06/02/2010

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