Les persécutions de l’Eglise - St-Robert Bellarmin - 16 eme siecle
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Les persécutions de l’Eglise - St-Robert Bellarmin - 16 eme siecle
Quatrième source des larmes : Les persécutions de l’Eglise
L’Eglise, cette vraie Colombe, qui gémit toujours, tandis qu’elle est éloignée de sa patrie, et qu’elle marche par des chemins difficiles pour y arriver, l’Eglise ne sera jamais sans persécutions. Car l’apôtre ne nous trompe point, quand il nous assure que tous ceux qui avec la grâce de Jésus-Christ veulent bien vivre, doivent s’attendre à être persécutés. Or parmi les persécutions qu’elle souffre, il y en a de visibles, et il y en a de cachées. Quand les premières viennent à cesser, les autres commencent; et ce sont celles qu’on a le plus de peine à soutenir. C’est d’elles aussi qu’on peut expliquer avec saint Bernard ces paroles du Roi Ezéchias : Voici qu’au milieu de la paix, mon amertume est extrême. L’Eglise donc ne peut s’exempter de gémir, et le propre de ses vrais enfans est de compatir aux maux de leur mère.
Parcourons, si vous voulez, tous ses âges différens. Le premier qui fut celui de sa naissance, se compte depuis la venue du Sauveur jusqu’à l’empire de Néron. C’est dans ce temps-là qu’elle souffrit une rude persécution de la part des Juifs. Car ces ennemis de la vérité, non-contents d’avoir crucifié leur Messie, lapidèrent saint Etienne, poussèrent Hérode à faire mourir saint Jacques, frère de saint Jean, et à mettre saint Pierre en prison; flagellèrent tous les Apôtres, précipitèrent du haut du Temple saint Jacques le Mineur, firent fouetter saint Paul jusqu’à cinq fois, et essayèrent souvent de le tuer. Saint Luc même écrit qu’ils suscitèrent les Gentils et conspirèrent avec eux contre les nouveaux Fidèles. Mais enfin, par un juste jugement de Dieu, ils furent tous, ou tués, ou dissipés; Jérusalem leur Capitale fut saccagée, et leur Royauté détruite.
Alors l’Eglise fut attaquée par les Idolâtres. Plusieurs empereurs Romains, à commencer par Domitien, lui déclarèrent la guerre, sacrifièrent à leurs faux Dieux une infinité de Chrétiens. Il est vrai que parmi les Païens, son premier persécuteur fut Néron; mais de son temps la persécution des Juifs n’était pas finie, et Jérusalem avec son Temple subsistait encore. Quelque violentes néanmoins que fussent toutes ces tempêtes, elles s’apaisaient de temps en temps, et étaient suivies d’un calme assez doux. Mais saint Cyprien et Eusèbe de Césarée ont remarqué que lorsque du côté des Tyrans on était en paix, il s’élevait une espèce de persécution de la part des vices, qui causaient une telle corruption parmi les Fidèles, que Dieu irrité n’avait point de moyen plus sûr ni plus ordinaire pour les obliger à rentrer dans leur devoir, que de rallumer la haine des Païens contre eux.
Voici ce qu’en dit saint Cyprien : Dieu a voulu que sa famille fût éprouvée; et voyant que par une longue paix, la discipline s’était beaucoup relâchée, il a relevé par une correction salutaire notre foi toute languissante et comme endormie. Mais bien que pour nos péchés nous méritassions un châtiment plus sévère, il a su si bien modérer et adoucir toutes choses, par son infinie Bonté, que le mal qu’on nous a fait n’est pas tant une persécution qu’une simple épreuve. Eusèbe de Césarée parle de la même sorte, et dit qu’avec un grand sentiment de douleur : Nos désordres étaient arrivés à un tel excès, qu’on ne voyait plus parmi nous que lâcheté et que mollesse; que la jalousie régnait partout; qu’on ne faisait que se dire des injures, que se donner des malédictions, que se déchirer les uns les autres; que les prélats même se décriaient mutuellement; que les peuples étaient divisés entre eux, qu’enfin sous un masque de Religion, sous un visage modeste et un extérieur composé, l’on cachait une extrême méchanceté. Dieu cependant qui voyait encore partout un grand nombre de vrais Chrétiens, nous traitait avec assez de douceur, et semblait nous épargner. Mais enfin lorsqu’aveuglés par nos passions, nous ne nous sommes plus mis en peine d’apaiser sa juste colère, il a répandu, selon que parle Jérémie, d’épaisses ténèbres sur la fille de Sion, etc..
La persécution des Païens et des Idolâtres ayant cessé, du moins en partie, il en vint une autre encore plus dangereuse, qui fut celle des Hérétiques. Car quoique dès le commencement on eût semé dans l’Eglise des erreurs, comme de l’ivraie parmi le froment, néanmoins l’opiniâtreté et la fureur des Ariens, qui s’élevèrent du temps du grand Constantin, fut si excessive, qu’à peine pouvons-nous dire qu’avant eux l’Eglise ait eu de ces sortes d’ennemis. Ainsi ce fut proprement sous le règne de ce Prince que les guerres des Païens étant finies, celles des hérétiques commencèrent, et l’on n’en verra la fin qu’à la mort de l’Antéchrist : car cet homme de péché, sera le dernier persécuteur des Fidèles, et comme sa persécution sera la dernière, elle sera aussi la plus cruelle et la plus sanglante.
Mais pour ne parler que du XVIIe siècle où nous vivons, avons-nous plus de sujet de nous réjouir de la paix où l’Eglise semble être aujourd’hui, que de gémir des maux qu’elle souffre ? Pour moi, je crois et je soutiens qu’il n’est point de genre de persécution, hors celle de l’Antéchrist, où elle ne soit exposée. Premièrement celle des Juifs dure encore. Car outre que par leurs usures, ils causent un vrai préjudice aux Chrétiens, ils en abusent plusieurs, et sous le nom de Chrétien, dont ils se couvrent, ils leur inspirent en divers endroits la haine de Jésus-Christ. Les Mahométans, aussi-bien que les Idolâtres, continuent aussi à maltraiter les Fidèles, non-seulement en Asie et en Afrique, mais même en Europe. Encore s’ils se contentaient de les dépouiller de leurs biens; mais ils en engagent un assez grand nombre à renoncer au Christianisme pour embrasser la brutale Secte de Mahomet. Joignez à cela les persécutions si souvent renouvelées de nos jours dans le Japon, contre une Eglise, qui, quoique naissante, s’est signalée par la fermeté de sa foi, et par la constance de ses Martyrs.
A l’égard des Hérétiques et des Novateurs, la religion a-t-elle jamais tant souffert qu’elle souffre maintenant; soit par l’effroyable multitude des Sectes, qui se sont élevées contre elle, et qui troublent son repos, soit par le faux zèle des Sectaires, à répandre partout leurs erreurs; soit par les horribles cruautés qu’on exerce sur les Catholiques, et particulièrement sur les Prêtres ? Dans l’Orient, et du côté du Midi les anciennes hérésies de Nestorius et d’Etuichès subsistent encore. Dans l’Occident, et parmi les peuples du Nord, outre celles qu’on a inventées de nouveau, et qui sont sans nombre, on a fait revivre l’Arianisme, et les dogmes d’Ebion et de Cérinthe, qui foudroyés depuis plus de treize cents ans, paraissaient ensevelis dans l’oubli. Ainsi la persécution des Hérétiques de ce temps, surpasse toutes celles des siècles passés. Que doivent donc faire ceux à qui il reste quelque sentiment de Religion et que peuvent-ils faire de mieux que de verser des larmes en abondance ? Qu’y a-t-il de plus déplorable que la perte de tant d’âmes, que l’amour de la nouveauté précipite tous les jours et à toute heure en Enfer ? Peut-on voir sans une extrême douleur le culte de Dieu, ou notablement diminué, ou tout à fait aboli ?
Mais que dirons-nous de la persécution des vices qui naissent de notre penchant naturel au mal ? Celle-ci est intérieure et cachée; car elle nous est suscitée par des ennemis invisibles, qui sont les Démons, dont les traits ardens et envenimés, blessent d’autant plus dangereusement et plus immanquablement, que la plaie est faite avant qu’on ait pu prévoir le coup. Autrefois, comme on l'a déjà remarqué, une persécution succédait à l’autre, et Dieu qui dispose sagement de tout, pour mettre fin à celle des vices, envoyait, ou pour mieux dire, permettait celle des Tyrans. Mais aujourd’hui elles viennent toutes ensembles, sans que pour cela nous sortions de notre assoupissement, ni que nous sentions la main de Dieu, qui s’appesantit sur nous. Croyons-nous que nos vices soient, ou entièrement domptés, ou si affaiblis, qu’ils ne puissent plus nous faire la guerre, et que nous soyons en paix de ce côté là ? Plût à Dieu que cela fût vrai ! Mais je sais qu’en cette partie de l’Europe, que nous habitons, et où l’on ne craint ni les Turcs, ni les Hérétiques, on entend souvent proférer et contre Dieu et contre les Saints des blasphèmes qui feraient horreur aux Mahométans et aux Idolâtres. Et quel péché est-ce que le blasphème ? Il est si grand, que si l’on en croit saint Thomas, il n’y en a point de pareil. Aussi dans l’ancienne Loi, Dieu voulait que quiconque en serait trouvé coupable, fût puni de mort sans rémission.
Je n’ignore pas non plus, que les parjures, qui approchent fort du blasphème, sont devenus si communs en certains pays, que plusieurs n’ont point de honte d’assurer, même avec serment et en justice, les plus grandes faussetés. Je frémis, lorsque je pense aux adultères, aux homicides, aux larcins, et à tant d’autres crimes énormes, qui se commettent partout, et qui font voir clairement la vérité de ces paroles du Prophète Osée : La médisance, l’imposture, l’homicide, le larcin, l’adultère se sont répandus, et ont fait une inondation dans le monde; et un sang a été suivi d’un autre sang, c’est-à-dire, un crime a été suivi d’un autre crime. Pour marquer une quantité prodigieuse de toutes sortes de péchés, on en parle comme d’une inondation qui se fait, lorsqu’une rivière extraordinairement enflée par les pluies, se déborde avec impétuosité, et couvre les terres voisines. Ce qu’on ajoute qu’un sang a été suivi d’un autre, en fait voir aussi l’effroyable multitude. Car souvent dans l’Ecriture le mot de sang, signifie péché, et quand on dit qu’un péché en suit un autre, de manière qu’ils se touchent, ainsi que parle le Prophète, on veut dire que ce ne sont pas seulement des gouttes de sang séparées, mais que ce sont comme des ruisseaux qui venant à s’assembler, forment des torrens et des rivières larges et profondes.
Voyons encore à quel excès sont montés le luxe, et la vanité du monde. Ne les voit-on pas croître tous les jours, comme si l’on n’y avait pas renoncé solennellement au Baptême ? On en est venu au point de ne plus donner de bornes à l’avarice, à cette furieuse passion d’amasser du bien, d’augmenter ses revenus, de joindre héritage à héritage, maison à maison, comme s’il n’y avait point de pauvres au monde, à qui l’on pût donner ce qu’on a de superflu. Que les Prélats considèrent avec attention ce que saint Bernard écrit là-dessus à un Archevêque de Sens; que les Ecclésiastiques fassent réflexion sur ce qu’il en dit dans l’explication de ces paroles : Voilà que nous avons tout quitté; que les gens d’Eglise et les gens du monde lisent son Sermon XXXIII sur le Cantique, et ils verront ce qu’on doit penser de nos Chrétiens d’aujourd’hui. Voici seulement quelques paroles de ce Sermon, qui m’on semblé les plus remarquables.
" A la vérité le siècle où nous sommes est exempt de la frayeur de la nuit, et de la flèche qui vole durant le jour, figure du Paganisme et de l’hérésie; mais il est fort infecté d’un autre mal, qui, comme un poison subtil, s’insinue à la faveur des ténèbres. Malheur à cette nation, qui ne se garde pas du levain des Pharisiens, je veux dire, de l’hypocrisie; si toutefois on doit appeler hypocrisie, un vice qui est devenu tellement commun, qu’il ne se peut plus cacher. Il se glisse maintenant une grande corruption dans tous les membres de l’Eglise, et le mal est d’autant plus incurable, qu’il est général, il est d’autant plus dangereux, qu’il est interne et couvert. Car si un ennemi déclaré, si un hérétique s’élevait contre elle, il serait incontinent jeté dehors, et sécherait comme le sarment, quand il est coupé : mais aujourd’hui, qui peut-elle rejeter, et où se cacherait-elle ? Tous sont ses amis et ses ennemis en même temps : ils sont tous ses domestiques, et pas un d’eux ne veut vivre en paix; ils font profession d’être Ministres de Jésus-Christ, et ils servent l’Antéchrist; ils marchent pompeusement enrichis des biens du Seigneur, et ils ne rendent point au Seigneur l’honneur qu’ils lui doivent; ils affectent une propreté et des parures immodestes; ils se font voir en public avec des habits de comédiens, et un équipage superbe; les brides et les selles de leurs chevaux, et jusqu’à leurs épérons, tout est doré; et souvent leurs épérons brillent plus que les Autels; leurs tables sont magnifiques; ce n’est chez-eux que festins, que concerts de luths, de violons et de flûtes. Leurs pressoirs regorgent de vin; et leurs celliers sont si pleins, qu’un seul ne pouvant tout contenir, on en remplit plusieurs autres; ils ont des boites remplies de senteurs, et leur bourse n’est jamais vide. Voilà la vie des Ecclésiastiques de ce temps, Prévôts, Doyens, Archidiacres, Evêques, Archevêques. Ce désordre a été prédit autrefois, et présentement nous voyons la prédication accomplie. Ainsi la paix dont jouit l’Eglise, lui est très-amère. L’amertume qu’elle sentait dans les premiers siècles, à la mort de ses Martyrs, était grande; celle que les guerres des Hérétiques lui ont causée depuis ce temps-là, a été encore plus grande; mais la plus grande de toutes, est celle, dont elle se trouve remplie aujourd’hui, qu’elle voit les mœurs corrompues de ses domestiques et de ses enfans. "
tout ce discours est de saint Bernard; ajoutons-y celui de saint Cyprien, qui expliquant la raison pour laquelle Dieu permet que les siens soient persécutés, parle de la sorte : " Chacun ne pensait qu’à s’enrichir, et oubliant ce que les premiers Chrétiens avaient fait du temps des Apôtres, et ce qu’on devrait toujours faire, on avait une telle envie d’accroître son bien, qu’on ne croyait pas en pouvoir jamais acquérir assez. Il ne paraissait ni foi dans les Ministres de l’Eglise; point de régularité dans les mœurs, point de charité dans les œuvres. Les femmes se mettaient du fard sur le visage, les hommes savaient changer la couleur de leurs cheveux, et ils s’en étaient fait un art; on remarquait dans leurs yeux et dans leurs regards je ne sais quoi de lascif, beaucoup d’artifice dans leurs paroles pour en imposer aux plus simples et pour se tromper les uns les autres : on jurait non-seulement sans nécessité, mais à faux; on méprisait avec un orgueil insupportable les ordres des Supérieurs; on ne craignait point de médire du prochain, et l’on conservait longtemps dans son cœur des haines mortelles. Plusieurs Prélats qui devraient porter le peuple à la piété, et lui en donner l'exemple, négligeaient les choses de Dieu, quittaient leur siège, abandonnaient leur troupeau, et allaient dans des pays éloignés, pour y exercer un commerce sordide et indigne d’eux. On ne se mettait plus en peine de secourir les Fidèles dans leurs plus pressants besoins; on ne pensait qu’à amasser de l’argent, qu’à s’emparer des terres d’autrui, qu’à multiplier son bien par l’usure. Quel châtiment méritons-nous pour tant de péchés si énormes! "
Voilà ce qu’écrit saint Cyprien des désordres de son temps, voilà le tableau qu’il en fait; c’est à nous de voir si en ce temps-ci, l'on n’en commet point de pareils, et qui méritent d’être déplorés autant que ceux-là.
Songeons que si les siècles passés ont eu des Cypriens et des Bernards, pour apprendre aux peuples par l’exemple de leur sainteté à vivre chrétiennement, et si ceux qui n’ont pas voulu les imiter sont inexcusables, on peut dire que ce dernier siècle, quelque corrompu qu’il soit, n’a pas manqué de grands hommes, dont la sainte vie peut servir à tous d’un parfait modèle des plus héroïques vertus. Pour nous autres Ecclésiastiques, nous n’avons qu’à jeter les yeux sur saint Charles Borromée, cette grande lumière du monde, qui étant, non sous le boisseau, mais sur le chandelier, a éclairé toute la maison de Dieu. on pourra juger de son mérite par l’extrême différence qu’on voit entre lui et ceux dont saint Cyprien et saint Bernard condamnent avec raison les déréglemens.
Ceux-ci négligeaient le ministère de la prédication, si propre aux Évêques; et lui ne cessa de prêcher qu’en cessant de vivre : ils abandonnaient leur troupeau, pour aller faire un honteux trafic dans des Provinces éloignées; et lui ne quitta jamais le sien, hors que ce fut pour le bien du troupeau même, et dans la seule nécessité. Ils laissaient des pauvres sans secours; et lui vendait tout, pour avoir de quoi subvenir à leurs besoins : ils exerçaient hautement l’usure, au grand scandale du peuple; et lui ne connaissait point d’autre usure que celle qui se pratique innocemment et saintement avec Dieu, suivant ce que dit le Sage : Celui qui donne l’aumône au pauvre, prête au Seigneur à usure. Ils n’étaient nullement touchés de ne voir ni piété dans les Prêtres, ni foi sincère dans les Ministères de l’Eglise, et lui travaillait jour et nuit à réformer le Clergé, à rétablir dans son Diocèse la discipline ecclésiastique; et c’est pour cela qu’il a fait tant de Statuts, et d’Ordonnances si sages qui serviront de règles à toute la postérité. Ils marchaient d’une manière pompeuse et pleine de faste, parés des biens du Seigneur, quoiqu’ils se missent peu en peine de ce qui regarde le service du Seigneur; et lui, hors les marques de sa dignité, paraissait vêtu pauvrement, toujours occupé des choses de Dieu, prêchant et catéchisant en toute occasion, et passant souvent la nuit en prière. Ils aimaient le luxe dans leur table, et buvaient dans des vases de grand prix; et lui aimait la frugalité, n’usant que de viandes très-communes, et ne se servant jamais de vaisselle d’or ni d’argent. Ils étaient toujours dans les festins, et y commettaient de grand excès; et lui jeûnait fort souvent, et pour l’ordinaire au pain et à l’eau. Ils joignaient à la bonne chère les concerts de luths, de flûtes, et de violons; et lui ne pouvait souffrir à table d’autre divertissement que celui qu’on peut tirer de la lecture des saints Livres. Ils avaient du vin en abondance dans leurs pressoirs, leurs celliers regorgeaient de biens; ils avaient des boites pleines de poudres de senteurs, et leur bourse toujours bien remplie d’argent, et lui préférant à tous les trésors du monde la pauvreté de Jésus-Christ, de riche qu’il était, s’était fait pauvre, et non content d’employer tout son patrimoine en œuvres de charité, il quitta volontairement plusieurs bénéfices considérables qu’il possédait, exemple rare, et comme inouï jusqu’alors. Ô véritable disciple, ô parfait imitateur de Jésus-Christ ! Ô que nous serions heureux, si nous imitions celui dont nous admirons et nous louions la sainteté. Mais que nous sommes à plaindre de ce qu’ayant devant les yeux un si grand exemple des plus excellentes vertus, nous ne voyons pas dans ce miroir nos défauts, et nous ne travaillons pas à les corriger!
L’Eglise, cette vraie Colombe, qui gémit toujours, tandis qu’elle est éloignée de sa patrie, et qu’elle marche par des chemins difficiles pour y arriver, l’Eglise ne sera jamais sans persécutions. Car l’apôtre ne nous trompe point, quand il nous assure que tous ceux qui avec la grâce de Jésus-Christ veulent bien vivre, doivent s’attendre à être persécutés. Or parmi les persécutions qu’elle souffre, il y en a de visibles, et il y en a de cachées. Quand les premières viennent à cesser, les autres commencent; et ce sont celles qu’on a le plus de peine à soutenir. C’est d’elles aussi qu’on peut expliquer avec saint Bernard ces paroles du Roi Ezéchias : Voici qu’au milieu de la paix, mon amertume est extrême. L’Eglise donc ne peut s’exempter de gémir, et le propre de ses vrais enfans est de compatir aux maux de leur mère.
Parcourons, si vous voulez, tous ses âges différens. Le premier qui fut celui de sa naissance, se compte depuis la venue du Sauveur jusqu’à l’empire de Néron. C’est dans ce temps-là qu’elle souffrit une rude persécution de la part des Juifs. Car ces ennemis de la vérité, non-contents d’avoir crucifié leur Messie, lapidèrent saint Etienne, poussèrent Hérode à faire mourir saint Jacques, frère de saint Jean, et à mettre saint Pierre en prison; flagellèrent tous les Apôtres, précipitèrent du haut du Temple saint Jacques le Mineur, firent fouetter saint Paul jusqu’à cinq fois, et essayèrent souvent de le tuer. Saint Luc même écrit qu’ils suscitèrent les Gentils et conspirèrent avec eux contre les nouveaux Fidèles. Mais enfin, par un juste jugement de Dieu, ils furent tous, ou tués, ou dissipés; Jérusalem leur Capitale fut saccagée, et leur Royauté détruite.
Alors l’Eglise fut attaquée par les Idolâtres. Plusieurs empereurs Romains, à commencer par Domitien, lui déclarèrent la guerre, sacrifièrent à leurs faux Dieux une infinité de Chrétiens. Il est vrai que parmi les Païens, son premier persécuteur fut Néron; mais de son temps la persécution des Juifs n’était pas finie, et Jérusalem avec son Temple subsistait encore. Quelque violentes néanmoins que fussent toutes ces tempêtes, elles s’apaisaient de temps en temps, et étaient suivies d’un calme assez doux. Mais saint Cyprien et Eusèbe de Césarée ont remarqué que lorsque du côté des Tyrans on était en paix, il s’élevait une espèce de persécution de la part des vices, qui causaient une telle corruption parmi les Fidèles, que Dieu irrité n’avait point de moyen plus sûr ni plus ordinaire pour les obliger à rentrer dans leur devoir, que de rallumer la haine des Païens contre eux.
Voici ce qu’en dit saint Cyprien : Dieu a voulu que sa famille fût éprouvée; et voyant que par une longue paix, la discipline s’était beaucoup relâchée, il a relevé par une correction salutaire notre foi toute languissante et comme endormie. Mais bien que pour nos péchés nous méritassions un châtiment plus sévère, il a su si bien modérer et adoucir toutes choses, par son infinie Bonté, que le mal qu’on nous a fait n’est pas tant une persécution qu’une simple épreuve. Eusèbe de Césarée parle de la même sorte, et dit qu’avec un grand sentiment de douleur : Nos désordres étaient arrivés à un tel excès, qu’on ne voyait plus parmi nous que lâcheté et que mollesse; que la jalousie régnait partout; qu’on ne faisait que se dire des injures, que se donner des malédictions, que se déchirer les uns les autres; que les prélats même se décriaient mutuellement; que les peuples étaient divisés entre eux, qu’enfin sous un masque de Religion, sous un visage modeste et un extérieur composé, l’on cachait une extrême méchanceté. Dieu cependant qui voyait encore partout un grand nombre de vrais Chrétiens, nous traitait avec assez de douceur, et semblait nous épargner. Mais enfin lorsqu’aveuglés par nos passions, nous ne nous sommes plus mis en peine d’apaiser sa juste colère, il a répandu, selon que parle Jérémie, d’épaisses ténèbres sur la fille de Sion, etc..
La persécution des Païens et des Idolâtres ayant cessé, du moins en partie, il en vint une autre encore plus dangereuse, qui fut celle des Hérétiques. Car quoique dès le commencement on eût semé dans l’Eglise des erreurs, comme de l’ivraie parmi le froment, néanmoins l’opiniâtreté et la fureur des Ariens, qui s’élevèrent du temps du grand Constantin, fut si excessive, qu’à peine pouvons-nous dire qu’avant eux l’Eglise ait eu de ces sortes d’ennemis. Ainsi ce fut proprement sous le règne de ce Prince que les guerres des Païens étant finies, celles des hérétiques commencèrent, et l’on n’en verra la fin qu’à la mort de l’Antéchrist : car cet homme de péché, sera le dernier persécuteur des Fidèles, et comme sa persécution sera la dernière, elle sera aussi la plus cruelle et la plus sanglante.
Mais pour ne parler que du XVIIe siècle où nous vivons, avons-nous plus de sujet de nous réjouir de la paix où l’Eglise semble être aujourd’hui, que de gémir des maux qu’elle souffre ? Pour moi, je crois et je soutiens qu’il n’est point de genre de persécution, hors celle de l’Antéchrist, où elle ne soit exposée. Premièrement celle des Juifs dure encore. Car outre que par leurs usures, ils causent un vrai préjudice aux Chrétiens, ils en abusent plusieurs, et sous le nom de Chrétien, dont ils se couvrent, ils leur inspirent en divers endroits la haine de Jésus-Christ. Les Mahométans, aussi-bien que les Idolâtres, continuent aussi à maltraiter les Fidèles, non-seulement en Asie et en Afrique, mais même en Europe. Encore s’ils se contentaient de les dépouiller de leurs biens; mais ils en engagent un assez grand nombre à renoncer au Christianisme pour embrasser la brutale Secte de Mahomet. Joignez à cela les persécutions si souvent renouvelées de nos jours dans le Japon, contre une Eglise, qui, quoique naissante, s’est signalée par la fermeté de sa foi, et par la constance de ses Martyrs.
A l’égard des Hérétiques et des Novateurs, la religion a-t-elle jamais tant souffert qu’elle souffre maintenant; soit par l’effroyable multitude des Sectes, qui se sont élevées contre elle, et qui troublent son repos, soit par le faux zèle des Sectaires, à répandre partout leurs erreurs; soit par les horribles cruautés qu’on exerce sur les Catholiques, et particulièrement sur les Prêtres ? Dans l’Orient, et du côté du Midi les anciennes hérésies de Nestorius et d’Etuichès subsistent encore. Dans l’Occident, et parmi les peuples du Nord, outre celles qu’on a inventées de nouveau, et qui sont sans nombre, on a fait revivre l’Arianisme, et les dogmes d’Ebion et de Cérinthe, qui foudroyés depuis plus de treize cents ans, paraissaient ensevelis dans l’oubli. Ainsi la persécution des Hérétiques de ce temps, surpasse toutes celles des siècles passés. Que doivent donc faire ceux à qui il reste quelque sentiment de Religion et que peuvent-ils faire de mieux que de verser des larmes en abondance ? Qu’y a-t-il de plus déplorable que la perte de tant d’âmes, que l’amour de la nouveauté précipite tous les jours et à toute heure en Enfer ? Peut-on voir sans une extrême douleur le culte de Dieu, ou notablement diminué, ou tout à fait aboli ?
Mais que dirons-nous de la persécution des vices qui naissent de notre penchant naturel au mal ? Celle-ci est intérieure et cachée; car elle nous est suscitée par des ennemis invisibles, qui sont les Démons, dont les traits ardens et envenimés, blessent d’autant plus dangereusement et plus immanquablement, que la plaie est faite avant qu’on ait pu prévoir le coup. Autrefois, comme on l'a déjà remarqué, une persécution succédait à l’autre, et Dieu qui dispose sagement de tout, pour mettre fin à celle des vices, envoyait, ou pour mieux dire, permettait celle des Tyrans. Mais aujourd’hui elles viennent toutes ensembles, sans que pour cela nous sortions de notre assoupissement, ni que nous sentions la main de Dieu, qui s’appesantit sur nous. Croyons-nous que nos vices soient, ou entièrement domptés, ou si affaiblis, qu’ils ne puissent plus nous faire la guerre, et que nous soyons en paix de ce côté là ? Plût à Dieu que cela fût vrai ! Mais je sais qu’en cette partie de l’Europe, que nous habitons, et où l’on ne craint ni les Turcs, ni les Hérétiques, on entend souvent proférer et contre Dieu et contre les Saints des blasphèmes qui feraient horreur aux Mahométans et aux Idolâtres. Et quel péché est-ce que le blasphème ? Il est si grand, que si l’on en croit saint Thomas, il n’y en a point de pareil. Aussi dans l’ancienne Loi, Dieu voulait que quiconque en serait trouvé coupable, fût puni de mort sans rémission.
Je n’ignore pas non plus, que les parjures, qui approchent fort du blasphème, sont devenus si communs en certains pays, que plusieurs n’ont point de honte d’assurer, même avec serment et en justice, les plus grandes faussetés. Je frémis, lorsque je pense aux adultères, aux homicides, aux larcins, et à tant d’autres crimes énormes, qui se commettent partout, et qui font voir clairement la vérité de ces paroles du Prophète Osée : La médisance, l’imposture, l’homicide, le larcin, l’adultère se sont répandus, et ont fait une inondation dans le monde; et un sang a été suivi d’un autre sang, c’est-à-dire, un crime a été suivi d’un autre crime. Pour marquer une quantité prodigieuse de toutes sortes de péchés, on en parle comme d’une inondation qui se fait, lorsqu’une rivière extraordinairement enflée par les pluies, se déborde avec impétuosité, et couvre les terres voisines. Ce qu’on ajoute qu’un sang a été suivi d’un autre, en fait voir aussi l’effroyable multitude. Car souvent dans l’Ecriture le mot de sang, signifie péché, et quand on dit qu’un péché en suit un autre, de manière qu’ils se touchent, ainsi que parle le Prophète, on veut dire que ce ne sont pas seulement des gouttes de sang séparées, mais que ce sont comme des ruisseaux qui venant à s’assembler, forment des torrens et des rivières larges et profondes.
Voyons encore à quel excès sont montés le luxe, et la vanité du monde. Ne les voit-on pas croître tous les jours, comme si l’on n’y avait pas renoncé solennellement au Baptême ? On en est venu au point de ne plus donner de bornes à l’avarice, à cette furieuse passion d’amasser du bien, d’augmenter ses revenus, de joindre héritage à héritage, maison à maison, comme s’il n’y avait point de pauvres au monde, à qui l’on pût donner ce qu’on a de superflu. Que les Prélats considèrent avec attention ce que saint Bernard écrit là-dessus à un Archevêque de Sens; que les Ecclésiastiques fassent réflexion sur ce qu’il en dit dans l’explication de ces paroles : Voilà que nous avons tout quitté; que les gens d’Eglise et les gens du monde lisent son Sermon XXXIII sur le Cantique, et ils verront ce qu’on doit penser de nos Chrétiens d’aujourd’hui. Voici seulement quelques paroles de ce Sermon, qui m’on semblé les plus remarquables.
" A la vérité le siècle où nous sommes est exempt de la frayeur de la nuit, et de la flèche qui vole durant le jour, figure du Paganisme et de l’hérésie; mais il est fort infecté d’un autre mal, qui, comme un poison subtil, s’insinue à la faveur des ténèbres. Malheur à cette nation, qui ne se garde pas du levain des Pharisiens, je veux dire, de l’hypocrisie; si toutefois on doit appeler hypocrisie, un vice qui est devenu tellement commun, qu’il ne se peut plus cacher. Il se glisse maintenant une grande corruption dans tous les membres de l’Eglise, et le mal est d’autant plus incurable, qu’il est général, il est d’autant plus dangereux, qu’il est interne et couvert. Car si un ennemi déclaré, si un hérétique s’élevait contre elle, il serait incontinent jeté dehors, et sécherait comme le sarment, quand il est coupé : mais aujourd’hui, qui peut-elle rejeter, et où se cacherait-elle ? Tous sont ses amis et ses ennemis en même temps : ils sont tous ses domestiques, et pas un d’eux ne veut vivre en paix; ils font profession d’être Ministres de Jésus-Christ, et ils servent l’Antéchrist; ils marchent pompeusement enrichis des biens du Seigneur, et ils ne rendent point au Seigneur l’honneur qu’ils lui doivent; ils affectent une propreté et des parures immodestes; ils se font voir en public avec des habits de comédiens, et un équipage superbe; les brides et les selles de leurs chevaux, et jusqu’à leurs épérons, tout est doré; et souvent leurs épérons brillent plus que les Autels; leurs tables sont magnifiques; ce n’est chez-eux que festins, que concerts de luths, de violons et de flûtes. Leurs pressoirs regorgent de vin; et leurs celliers sont si pleins, qu’un seul ne pouvant tout contenir, on en remplit plusieurs autres; ils ont des boites remplies de senteurs, et leur bourse n’est jamais vide. Voilà la vie des Ecclésiastiques de ce temps, Prévôts, Doyens, Archidiacres, Evêques, Archevêques. Ce désordre a été prédit autrefois, et présentement nous voyons la prédication accomplie. Ainsi la paix dont jouit l’Eglise, lui est très-amère. L’amertume qu’elle sentait dans les premiers siècles, à la mort de ses Martyrs, était grande; celle que les guerres des Hérétiques lui ont causée depuis ce temps-là, a été encore plus grande; mais la plus grande de toutes, est celle, dont elle se trouve remplie aujourd’hui, qu’elle voit les mœurs corrompues de ses domestiques et de ses enfans. "
tout ce discours est de saint Bernard; ajoutons-y celui de saint Cyprien, qui expliquant la raison pour laquelle Dieu permet que les siens soient persécutés, parle de la sorte : " Chacun ne pensait qu’à s’enrichir, et oubliant ce que les premiers Chrétiens avaient fait du temps des Apôtres, et ce qu’on devrait toujours faire, on avait une telle envie d’accroître son bien, qu’on ne croyait pas en pouvoir jamais acquérir assez. Il ne paraissait ni foi dans les Ministres de l’Eglise; point de régularité dans les mœurs, point de charité dans les œuvres. Les femmes se mettaient du fard sur le visage, les hommes savaient changer la couleur de leurs cheveux, et ils s’en étaient fait un art; on remarquait dans leurs yeux et dans leurs regards je ne sais quoi de lascif, beaucoup d’artifice dans leurs paroles pour en imposer aux plus simples et pour se tromper les uns les autres : on jurait non-seulement sans nécessité, mais à faux; on méprisait avec un orgueil insupportable les ordres des Supérieurs; on ne craignait point de médire du prochain, et l’on conservait longtemps dans son cœur des haines mortelles. Plusieurs Prélats qui devraient porter le peuple à la piété, et lui en donner l'exemple, négligeaient les choses de Dieu, quittaient leur siège, abandonnaient leur troupeau, et allaient dans des pays éloignés, pour y exercer un commerce sordide et indigne d’eux. On ne se mettait plus en peine de secourir les Fidèles dans leurs plus pressants besoins; on ne pensait qu’à amasser de l’argent, qu’à s’emparer des terres d’autrui, qu’à multiplier son bien par l’usure. Quel châtiment méritons-nous pour tant de péchés si énormes! "
Voilà ce qu’écrit saint Cyprien des désordres de son temps, voilà le tableau qu’il en fait; c’est à nous de voir si en ce temps-ci, l'on n’en commet point de pareils, et qui méritent d’être déplorés autant que ceux-là.
Songeons que si les siècles passés ont eu des Cypriens et des Bernards, pour apprendre aux peuples par l’exemple de leur sainteté à vivre chrétiennement, et si ceux qui n’ont pas voulu les imiter sont inexcusables, on peut dire que ce dernier siècle, quelque corrompu qu’il soit, n’a pas manqué de grands hommes, dont la sainte vie peut servir à tous d’un parfait modèle des plus héroïques vertus. Pour nous autres Ecclésiastiques, nous n’avons qu’à jeter les yeux sur saint Charles Borromée, cette grande lumière du monde, qui étant, non sous le boisseau, mais sur le chandelier, a éclairé toute la maison de Dieu. on pourra juger de son mérite par l’extrême différence qu’on voit entre lui et ceux dont saint Cyprien et saint Bernard condamnent avec raison les déréglemens.
Ceux-ci négligeaient le ministère de la prédication, si propre aux Évêques; et lui ne cessa de prêcher qu’en cessant de vivre : ils abandonnaient leur troupeau, pour aller faire un honteux trafic dans des Provinces éloignées; et lui ne quitta jamais le sien, hors que ce fut pour le bien du troupeau même, et dans la seule nécessité. Ils laissaient des pauvres sans secours; et lui vendait tout, pour avoir de quoi subvenir à leurs besoins : ils exerçaient hautement l’usure, au grand scandale du peuple; et lui ne connaissait point d’autre usure que celle qui se pratique innocemment et saintement avec Dieu, suivant ce que dit le Sage : Celui qui donne l’aumône au pauvre, prête au Seigneur à usure. Ils n’étaient nullement touchés de ne voir ni piété dans les Prêtres, ni foi sincère dans les Ministères de l’Eglise, et lui travaillait jour et nuit à réformer le Clergé, à rétablir dans son Diocèse la discipline ecclésiastique; et c’est pour cela qu’il a fait tant de Statuts, et d’Ordonnances si sages qui serviront de règles à toute la postérité. Ils marchaient d’une manière pompeuse et pleine de faste, parés des biens du Seigneur, quoiqu’ils se missent peu en peine de ce qui regarde le service du Seigneur; et lui, hors les marques de sa dignité, paraissait vêtu pauvrement, toujours occupé des choses de Dieu, prêchant et catéchisant en toute occasion, et passant souvent la nuit en prière. Ils aimaient le luxe dans leur table, et buvaient dans des vases de grand prix; et lui aimait la frugalité, n’usant que de viandes très-communes, et ne se servant jamais de vaisselle d’or ni d’argent. Ils étaient toujours dans les festins, et y commettaient de grand excès; et lui jeûnait fort souvent, et pour l’ordinaire au pain et à l’eau. Ils joignaient à la bonne chère les concerts de luths, de flûtes, et de violons; et lui ne pouvait souffrir à table d’autre divertissement que celui qu’on peut tirer de la lecture des saints Livres. Ils avaient du vin en abondance dans leurs pressoirs, leurs celliers regorgeaient de biens; ils avaient des boites pleines de poudres de senteurs, et leur bourse toujours bien remplie d’argent, et lui préférant à tous les trésors du monde la pauvreté de Jésus-Christ, de riche qu’il était, s’était fait pauvre, et non content d’employer tout son patrimoine en œuvres de charité, il quitta volontairement plusieurs bénéfices considérables qu’il possédait, exemple rare, et comme inouï jusqu’alors. Ô véritable disciple, ô parfait imitateur de Jésus-Christ ! Ô que nous serions heureux, si nous imitions celui dont nous admirons et nous louions la sainteté. Mais que nous sommes à plaindre de ce qu’ayant devant les yeux un si grand exemple des plus excellentes vertus, nous ne voyons pas dans ce miroir nos défauts, et nous ne travaillons pas à les corriger!
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
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