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Un article sur la nature de la ``culture de mort``

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Un article sur la nature de la ``culture de mort`` Empty Un article sur la nature de la ``culture de mort``

Message par MichelT Mar 18 Oct 2011 - 13:07

Face au Mi­no­taure
Dal­ma­cio Negro Pavón
Ar­ticle pu­blié le 10 juil 2011

Il ne sert à rien de dé­non­cer sans cesse la « culture de mort » si l’on ne s’ef­force pas d’en com­prendre le lien in­trin­sèque avec la phi­lo­so­phie qui la sous-​tend et ses consé­quences ins­ti­tu­tion­nelles.

Catho­li­ca – Dans votre livre, vous écri­vez que cer­taines per­sonnes « en ap­pellent in­gé­nu­ment […] à la di­gni­té hu­maine comme si celle-​ci était une va­leur in­dis­cu­table de conte­nu uni­ver­sel ». Pour­quoi « in­gé­nu­ment » ?

Dal­ma­cio Negro – La di­gni­té est un concept so­cial. La di­gni­tas était à Rome une qua­li­té ou un mé­rite re­con­nu à quel­qu’un pour sa conduite, un élé­ment in­dis­pen­sable du cur­susho­no­rum per­met­tant l’accès à une charge pu­blique. Une per­sonne se rend digne ou in­digne par sa conduite, non par le seul fait d’ap­par­te­nir à l’es­pèce hu­maine, ce qui n’est qu’une don­née. On voit très bien ce ca­rac­tère émi­nem­ment so­cial du concept de di­gni­té lors­qu’on tient compte de ce qu’une conduite es­ti­mée digne dans une culture peut être consi­dé­rée in­digne dans une autre. Hume le dit très bien dans son cé­lèbre Dia­logue. Consi­dé­rée en elle-​même, la « di­gni­té hu­maine » est une ex­pres­sion dé­pour­vue de sens. L’hu­ma­ni­té n’est sujet de rien, en dépit du fait que la pen­sée abs­traite parle d’une re­li­gion de l’Hu­ma­ni­té (Comte), de droits hu­mains, etc., et donc aussi de di­gni­té hu­maine. Seuls les pri­mi­tifs, di­sait Hegel, pensent dans l’abs­trait. L’on­to­lo­gi­sa­tion de cette ex­pres­sion a une ex­pli­ca­tion : l’in­hu­ma­ni­té du XXe siècle, qui conti­nue au XXIe sous des formes re­vê­tues d’hu­ma­ni­ta­risme, comme la culture de mort. Quand on en ap­pelle à la di­gni­té hu­maine, on veut faire res­sor­tir, comme le font par exemple les papes, que l’être hu­main est qua­li­ta­ti­ve­ment dis­tinct des autres, ou pour par­ler comme Kant, qu’il est une fin en soi.
L’ex­pres­sion ne peut qu’être mé­ta­pho­rique ou idéo­lo­gique, et je crains fort qu’elle ne se soit ins­tal­lée que dans ce se­cond sens dans le lan­gage. Il est très si­gni­fi­ca­tif qu’elle ait com­men­cé à se dif­fu­ser pour cé­lé­brer la di­gni­té su­pé­rieure de la race aryenne, et pas plus éton­nant que dans le lu­cra­tif fes­ti­val hu­ma­ni­taire que les pro­fes­sion­nels du pou­voir et du pro­grès, et les idéo­logues offrent quo­ti­dien­ne­ment, on parle de la « di­gni­té des ani­maux ».
En tant qu’usage lin­guis­tique, la « di­gni­té hu­maine » re­lève de la crois­sante im­pré­ci­sion des langues eu­ro­péennes, consé­quence des dé­for­ma­tions idéo­lo­giques (les nov­langues à la Or­well ou la po­li­ti­calcor­rect­ness) ; de la crois­sance des in­cer­ti­tudes face à l’ave­nir ; de l’aug­men­ta­tion de la bar­ba­rie (pen­sez à la lé­gis­la­tion per­met­tant l’avor­te­ment, l’eu­tha­na­sie, etc.) culti­vée dès l’école dans le cadre des nou­velles pé­da­go­gies et des pro­grammes d’études obli­ga­toires dé­fi­nis par des po­li­ti­ciens, bu­reau­crates, so­cio­logues, psy­cho­logues, pé­da­gogues ré­tro­pro­gres­sistes, etc. Mais tout cela nous en­traî­ne­rait bien loin.

Dans le même sens, beau­coup d’au­teurs ca­tho­liques semblent pen­ser que l’or­ga­ni­sa­tion ac­tuelle des so­cié­tés oc­ci­den­tales consti­tue un ordre fon­da­men­ta­le­ment juste, alors même qu’ils en dé­noncent des « dé­rives » ni­hi­listes. Com­ment in­ter­pré­ter cette ti­mi­di­té cri­tique ?

Sur le plan des croyances, pour beau­coup de gens, le so­cia­lisme a rem­pla­cé de fait le chris­tia­nisme, l’Etat a rem­pla­cé l’Eglise, la lé­gis­la­tion la théo­lo­gie, le mode de pen­sée éta­tique le mode de pen­sée ec­clé­sias­tique, etc. In­cons­ciem­ment dans beau­coup de cas, mais c’est ainsi. On peut dire que l’Eu­rope est au­jourd’hui so­cial-​dé­mo­crate comme elle fut chré­tienne. Ce­pen­dant au­cune so­cié­té, au­cune culture ou ci­vi­li­sa­tion ne sera ja­mais chré­tienne en to­ta­li­té, et il en va de même avec la so­cial-​dé­mo­cra­tie. Et de fait il existe un conflit la­tent entre celle-​ci et le chris­tia­nisme. Ce conflit est ex­pli­cite en Es­pagne, et il y est même tou­jours plus in­tense de­puis que l’Ins­tau­ra­tion de la mo­nar­chie a per­mis au so­cia­lisme de s’af­fir­mer. Dans ce conflit, la­tent ou ex­pli­cite, les plus dé­con­cer­tés sont les chré­tiens, à cause de la confu­sion et de la ti­mi­di­té de l’Ec­cle­sia do­cens – les or­tho­doxes pa­raissent moins at­teints, comme en Rus­sie –, et cela à cause de la crise spi­ri­tuelle du bas cler­gé qui subit l’im­pact du mode de pen­sée idéo­lo­gique. Après tout concile il est ha­bi­tuel que règne une cer­taine confu­sion, mais cette fois la crise a été ag­gra­vée par les in­ter­pré­ta­tions ar­bi­traires consé­cu­tives à Va­ti­can II.
La consé­quence la plus grave est que les ca­tho­liques ont à peu près to­ta­le­ment ou­blié d’être un contre-​monde dans le monde et se sont ha­bi­tués à pen­ser de ma­nière éta­tique. En réa­li­té ce n’est pas nou­veau. Je crois que l’Eglise n’a ja­mais com­plè­te­ment com­pris ce que si­gni­fiait l’Etat. Sans aucun doute, de­puis le XVIe siècle, la pen­sée ec­clé­sias­tique s’est op­po­sée à la « rai­son d’Etat » ; mais bien peu – parmi les­quels la fi­gure la plus no­table semble avoir été le car­di­nal Re­gi­nald Pole, qui ne fut d’ailleurs que tar­di­ve­ment or­don­né prêtre – se ren­dirent compte de ce que si­gni­fiait l’ir­rup­tion de l’Etat. La rai­son en est peut-​être dans le fait que l’Etat s’est construit à l’ori­gine en co­piant l’Eglise, pour ra­pi­de­ment de­ve­nir son alter ego tem­po­rel par­ti­cu­la­riste, en contraste avec l’uni­ver­sa­lisme ec­clé­sias­tique et celui de l’Em­pire mé­dié­val. La ratio sta­tus imite la ratio ec­cle­siae même si la ma­nière de pen­ser ec­clé­sias­tique est sub spe­cie ae­ter­ni­ta­tis, tan­dis que celle de l’Etat est sub spe­cie tem­po­ris. Avec le temps, l’Etat aussi s’est dé­ve­lop­pé, jusqu’à de­ve­nir une com­plexio op­po­si­to­rum comme l’Eglise. L’Etat au­jourd’hui n’est plus un alter ego, il est un rival li­bé­ré de ses pré­sup­po­sés spi­ri­tuels, comme l’a vu Böckenförde, an­xieux de pos­sé­der la summa po­tes­tas sur les corps et les âmes : l’Etat to­ta­li­taire. En somme, avec le temps, le mi­mé­tisme s’est in­ver­sé. Si au­pa­ra­vant l’Etat imi­tait l’Eglise, à cause de l’in­fluence pro­tes­tante – cujus regio ejus re­li­gio, à chaque peuple la re­li­gion de son prince –, l’Eglise a com­men­cé peu à peu à imi­ter l’Etat.
Grâce à la pa­pau­té, l’Eglise ca­tho­lique s’est main­te­nue re­la­ti­ve­ment en marge, mal­gré « l’al­liance du Trône et de l’Autel » (le Trône en pre­mier…). Dans la pé­riode ré­cente, après la mort de Pie XII, qui avait les idées claires, l’Eglise a fait nau­frage di­sait Pierre Chau­nu, et le mi­mé­tisme s’est accru. En se don­nant pour vain­cue, par un excès de pru­dence voire par cha­ri­té, la pa­pau­té a sous­crit à la théo­rie de la conver­gence entre le so­cia­lisme so­vié­tique et le « ca­pi­ta­lisme », ce qui équi­va­lait à pré­dire que la so­cial-​dé­mo­cra­tie s’im­po­se­rait uni­ver­sel­le­ment, car elle s’avé­rait pré­fé­rable au so­cia­lisme mar­xiste-​lé­ni­niste, et en réa­li­té s’ac­cor­dait très bien avec le grand ca­pi­ta­lisme. Ce qui est lo­gique, vu que la so­cial-​dé­mo­cra­tie est « la re­li­gion du ca­pi­ta­lisme » dont par­lait Wal­ter Ben­ja­min dans les an­nées vingt, comme l’a ré­cem­ment rap­pe­lé le théo­lo­gien Tho­mas Rus­ter. Il n’y a pas lieu de s’éton­ner qu’en so­cial-​dé­mo­cra­tie « l’ar­gent ren­ferme toutes les in­fluences », pour dé­crire la si­tua­tion spi­ri­tuelle d’une for­mule de Hegel.
Lorsque Jean-​Paul II a mis fin à l’Ost­po­li­tik et com­men­cé à cor­ri­ger les in­ter­pré­ta­tions fausses de Va­ti­can II, le mal était fait. Une bonne par­tie du cler­gé res­tait fas­ci­née par la sé­cu­la­ri­sa­tion, pro­blème in­terne à la théo­lo­gie pro­tes­tante (ou peut-​être même à la seule théo­lo­gie lu­thé­rienne), dont l’idée s’était ré­pan­due qu’il s’agis­sait du des­tin du chris­tia­nisme. [...]

A pro­pos de l'au­teur Dal­ma­cio Negro Pavón
Membre de la Real Aca­de­mia de Cien­cias Mo­rales y Políticas (Ma­drid). Tra­duc­teur de Peirce en es­pa­gnol (Lec­ciones sobre el prag­ma­tis­mo). Pro­fes­seur (« ca­te­drático ») d’His­toire des Idées et des Formes Po­li­tiques (Uni­ver­si­dad Com­plu­tense de Ma­drid, et Uni­ver­si­dad San-​Pa­blo CEU, Ma­drid). Au­teur de nom­breux ou­vrages, parmi les­quels Li­be­ra­lis­mo y so­cia­lis­mo: la en­cru­ci­ja­da in­te­lec­tual de Stuart Mill (1976), Comte: po­si­ti­vis­mo y re­vo­lu­ción (1985), Go­bier­no y Es­ta­do (2002), Lo que Eu­ro­pa debe al cris­tia­nis­mo (2006), Sobre el Es­ta­do en España (2007).

source: Catholica [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]

MichelT

Date d'inscription : 06/02/2010

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