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La théologie politique chrétienne

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La théologie politique chrétienne Empty La théologie politique chrétienne

Message par MichelT Ven 22 Mar 2013 - 12:23

La théologie politique chrétienne
DENIS SUREAU

Collège des Bernardins

Séminaire de dialogue méditerranéen sur la modernité et le religieux
18 mars 2013

Pour introduire ce sujet, je voudrais vous faire partager deux réflexions :

1./ D'abord, à la base de toute théologie politique se trouve une conviction : à savoir que toute
décision collective – par exemple déclarer la guerre ou lever des impôts -, dépend d'une vision
supérieure de ce qui constitue ce corps politique. Tout choix important qui engage une
communauté est lié aux buts qu'elle poursuit.

Pour les chrétiens, cette vison supérieure, ces buts recherchés par la cité, supposent de disposer
d'abord d'un discours sur Dieu, d'une théologie. Quel Dieu servons-nous ? Quelle est la nature de
l'homme en tant qu'être créé et racheté par Dieu ? Quelle est la finalité de l'aventure humaine ?
Quelle relation imaginer entre l'autorité divine et l'autorité humaine ?
En ce sens, aucune société n'est dépourvue de théologie politique, d'un discours sur les fins
ultimes de l'homme et de la société. Même notre monde occidental séculier repose en quelque sorte
sur une théologie politique, même si c'est une antithéologie politique. Ce qu'on appelle la
modernité est, d'une certaine façon, une théologie politique, même s'il s'agit le plus souvent d'une
théologie politique masquée, déguisée. C'est ce qu'avait affirmé le juriste allemand Carl Schmitt,
dans son fameux petit livre publié en 1922, précisément sous le titre Théologie politique. Ce que
Schmitt voulait montrer, c'est que les concepts de la politique moderne (pensez à Bodin, Hobbes,
Kant, Rousseau…) sont des concepts théologiques sécularisés.1
Sans discuter ici de la justesse de ses analyses, je retiendrais l'idée qu'on n'échappe pas à la
théologie politique.

2./ Ma seconde réflexion préliminaire m'est venue en préparant mon intervention pour ce
séminaire. Il m'arrive fréquemment d'entendre des propos de ce genre :
« L'islam est intrinsèquement totalitaire dans la mesure où il n'a pas appris à séparer la politique et la
religion.
Sa vision de la société orientée tout entière vers le culte de Dieu est incompatible avec la démocratie.
Sa communauté des croyants qui transcende les appartenances nationales est une menace pour les États. »
En entendant ce type de discours, surtout lorsqu'il est tenu par des frères chrétiens, je me sens
assez mal à l'aise. Je n'ai pas la compétence nécessaire pour juger si ces accusations sont reprochées
à juste titre ou non à l'islam. J'ignore si l'islam « mélange » la religion et la politique, comme les
journalistes l'affirment habituellement.
Mais de mon point de vue, qui est celui d'un catholique, je constate qu'il suffit aux adversaires

1 « Tous les concepts prégnants de la théorie moderne de l'État sont des concepts théologiques sécularisés.
Et c'est vrai non seulement de leur développement historique, parce qu'ils ont été transférés de la
théologie à la théorie de l'État - du fait, par exemple, que le Dieu tout-puissant est devenu le législateur
omnipotent -, mais aussi de leur structure systématique, dont la connaissance est nécessaire pour une
analyse sociologique de ces concepts. La situation exceptionnelle a pour la jurisprudence la même
signification que le miracle pour la théologie ». Carl Schmitt, Théologie politique, Gallimard, 1988, p. 46.
de l’Église de remplacer le mot islam par celui de christianisme, pour obtenir une sentence de
condamnation assez comparable.

Que faut-il en penser ?

Dans cet exposé, je m'appliquerai à montrer :

Premièrement qu'une saine théologie politique chrétienne ne saurait séparer la politique et la
religion.


Deuxièmement, que Dieu est le bien commun de la société.

Troisièmement, que la communauté des croyants qui s'appelle l’Église, doit être distinguée du
pouvoir politique.


Pour chacune de ces 3 parties, je rappellerai les principes de la théologie politique chrétienne,
puis je les confronterai à la situation occidentale actuelle.

- I - Le monde comme une théocratie

J'ai intitulé cette première partie de manière un peu provocatrice : « le monde comme une
théocratie ». Je partirai en quelque sorte de Dieu pour descendre vers l'homme, tandis que je
prendrai le chemin ascendant inverse dans la partie suivante, en allant de l'homme vers Dieu.

Le Seigneur est roi

Dans la Bible, nous pouvons lire au livre des psaumes :
C’est au Seigneur qu’appartient la terre, et tout ce qu’elle contient,
toute la terre et tous ceux qui l’habitent. (Ps 24,1)

Au fondement de toute la pensée chrétienne, et au commencement de l'Histoire sainte, nous
trouvons cette affirmation : Dieu a créé le monde et ne cesse de de le gouverner. Il n'existe aucun
domaine qui lui échappe. Benoît XVI l'a rappelé : « Il n'existe pas un règne des questions terrestres qui
puisse être soustrait au Créateur et à son pouvoir. »

En ce sens, comme le déclare le théologien catholique américain William Cavanaugh dans une
formule forte, « le monde est, à proprement parler, une théocratie, car il est gouverné par Dieu ».3 Et de
rappeler l'épisode du peuple juif demandant un roi par la médiation du prophète Samuel : Donnenous
un roi pour qu'il nous juge. Mais cette requête déplait à Dieu, qui dit à Samuel : Écoute l'appel
du peuple en tout ce qu'il te dira, car ce n'est pas toi qu'ils repoussent : c'est moi qu'ils repoussent, pour que
je ne règne pas sur eux. (1 S 8,6-7)


Pour Israël, c'est le Seigneur qui est roi. Dieu est le roi de toute la terre (Ps 47,8).
Les rois humains ne le sont que secondairement, instrumentalement à titre dérivé et imparfait,
pourrait-on dire, presque comme un pis-aller, et dans la mesure où ils obéissent à l'autorité divine.
Je pourrais encore citer le psaume 117, 9 : Mieux vaut espérer dans le Seigneur qu'espérer dans les
princes. Ou encore : Ne vous fiez pas aux princes, à un fils d'homme impuissant à sauver (Ps 146, 3).


2 Discours à un groupe d'évêques américains, 19 janvier 2010.
3 Migrations du sacré, Éditions de L'Homme Nouveau, 2010, p. 9.

Le Christ-Roi

Ce qui était vrai dans le contexte de l'Ancien Testament n'a pas été aboli par la venue de Jésus
Christ. L'Incarnation, c'est-à-dire le mystère de Dieu le Fils devenant homme, n'a pas remis en
cause cette conception duale mais l'a plutôt renforcée. La nouveauté, c'est que l'ordre de la
Création n'est dorénavant accessible qu'au sein de l'ordre de la Résurrection. La royauté de Dieu a
été confiée au Christ : c'est ce qu'on appelle traditionnellement dans le catholicisme la doctrine du
Christ-Roi.

L'impact de cette affirmation sur les sociétés païennes est bien connu : elle a pulvérisé l'idolâtrie
de l'empereur ou du monarque. Reconnaître la Seigneurie de Dieu par le Christ revient à nier le
caractère divin du pouvoir. D'une certaine manière,le christianisme désacralise et relativise tout
pouvoir politique. C'est au fond le sens de la réplique de Jésus à Pilate : Tu n'aurais aucun pouvoir
sur moi, s'il ne t'avait été donné d'en haut (Jn 19,11).
Le Christ désarme les puissances. On pourrait
encore citer la Vierge Marie dans son Magnificat qui dit que Dieu renverse les puissants de leurs
trônes.

Ainsi, dans la vision biblique comme dans la vision chrétienne, il n'existe pas un espace dit
politique qui échapperait à l'attention de Dieu, de la Providence ou du gouvernement divin.
Ce trop bref rappel me conduit à confronter cette vision à ce qu'on appeler la modernité
politique.

La modernité comme fragmentation

Comme l'a remarqué le philosophe catholique américain Alasdair MacIntyre, le propre de la
modernité dans laquelle nous baignons est de séparer ce qui était uni. La modernité invente des
domaines d'activité séparés, elle crée des sphères séparées : la religion, la politique, l'économie, le
social, la culture etc. A chacune de ces sphères son compartiment.

Et chaque domaine fait l'objet d'une science sociale particulière, qui affirme sa spécificité et,
partant, son autonomie, très jalouse de son champ d'investigation. Pensez à la science économique
qui refuse d'être le plus souvent ce qu'elle était jadis, à savoir une science morale et politique.
Dans le monde moderne, on oppose de manière dialectique, d'une part une sphère qui serait
religieuse, sacrée, mystique, échappant à la raison, bref d'une réalité en quelque sorte extraterrestre,
à, d'autre part, une sphère purement profane, séculière, politique, rationnelle, et
strictement terrestre.

On a assisté ces derniers siècles à la lente construction d'une muraille, d'un mur infranchissable
entre un domaine de l'activité humaine qualifié de « religieux » d'un autre qualifié de « politique ».
Or ces deux concepts de « religion » et de « politique », tels que nous les utilisons habituellement,
sont des inventions intellectuelles historiquement datées, dont on peut reconstituer la généalogie,
comme l'a fait William Cavanaugh dans son livre Le mythe de la violence religieuse4. Concrètement, la
fabrication de ces concepts s'inscrit dans le projet d'expansion de l'Etat-nation séculier au
détriment de l’Église. La caractéristique essentielle de la modernité vise à cantonner le
christianisme dans un domaine particulier, bien à l'écart, privé voire intime, appelé « religion »,
isolé de cet autre domaine d'activité humaine, essentiellement distinct, appelé « politique », censé
être plus vaste, de l'ordre du public, englobant toutes les autres réalités sociales.
Nous allons voir les autres implications de cette rupture.

4 Cf. notamment William Cavanaugh, Le Mythe de la violence religieuse, Éditions de L'Homme Nouveau,
2009, pour la généalogie du concept moderne de religion.
3
- II Dieu comme bien commun

Dans cette deuxième partie, je voudrais maintenant partir de l'homme pour aller en quelque
sorte vers Dieu.
Dieu comme finalité ultime de l'homme comme de la cité
L'homme a été créé par Dieu et pour Dieu. C'est ce qu'affirme le Principe et Fondement des
Exercices spirituels de saint Ignace de Loyola : « L'homme est créé pour louer, révérer et servir le
Seigneur son Dieu et par là sauver son âme. Et les autres choses sur la face de la terre sont créées pour
l'homme, et pour l'aider dans la poursuite de la fin pour laquelle il est créé. »

L'homme n'a qu'une finalité ultime, qui est sur-naturelle, c'est-à-dire qui dépasse les capacités de
sa seule nature, puisqu'il s'agit de Dieu. L'homme ne poursuit pas deux fins séparées, l'une qui
serait purement naturelle, et l'autre purement surnaturelle. Il n'a qu'une seule fin, et cette fin est
surnaturelle.

Il en va de même pour la cité. Du point de vue de la théologie la plus classique, la cité a pour
finalité le bien commun. Qu'est-ce que le bien commun ? Le bien commun, ce n'est pas l'intérêt
général ou le PIB. Pour un chrétien, la réponse ultime à cette question, le bien commun c'est Dieu.
Dieu est le bien commun de tout l'univers et de toute créature. Tous les êtres sont orientés vers une
seule fin, un seul bien qui est Dieu. Le bien de tous comme celui de chacun, c'est Dieu.
Si nous descendons maintenant au niveau de la communauté politique, comment penser ce
principe de la fin ultime de l'homme ?

Certes, dans le raisonnement, on peut d'abord dire - comme le faisait un Grec tel qu' Aristote -
que la fin de la cité est de vivre selon la vertu, c'est-à-dire selon les exigences de sa nature d'être
intelligent et libre. C'est la « vie bonne », au sens le plus fort du terme, c'est-à-dire la vie morale,
pleinement humaine.

C'est une conception noble par rapport aux conceptions utilitaires ou matérialistes. Mais depuis
la Révélation, ce bonheur naturel n'est plus suffisant. En effet, cette vie morale ne prend son sens
que par rapport à la fin ultime de l'homme, qui est de vivre une vie d'amitié avec Dieu, une
participation à la vie divine qui commence dès cette terre et débouchera, après la mort, sur la
vision de Dieu.

Pour le chrétien, cette vie morale, cette vie conforme à la dignité de l'homme, est ordonnée à
Dieu. Le bonheur, c'est de voir Dieu. Et ce qui est vrai pour chaque homme est également vrai pour
la cité.
Cependant le surnaturel, cette amitié avec Dieu, qu'on appelle la grâce, ne supprime pas la
nature, même s'il semble la relativiser. Vous connaissez peut-être la formule classique : la grâce ne
détruit pas la nature mais la parfait. Appliqué à la cité, qu'est-ce que cela implique ?
Cela veut dire qu'il ne faut pas nier l'existence de biens propres de la vie sociale, en premier lieu
la paix qui résulte de l'unité, et puis une prospérité suffisante, une saine économie, et une juste
répartition des biens. Ces biens, ce sont les conditions qui vont permettre aux citoyens de bien agir

Dans son traité sur la Royauté, saint Thomas précise : « puisque l'homme, en vivant selon la vertu, est
ordonné à une fin ultérieure, qui consiste dans la fruition de Dieu, comme nous l'avons déjà dit plus haut,
il faut que la multitude humaine ait la même fin que l’homme pris individuellement. La fin ultime de la
multitude rassemblée en société n'est donc pas de vivre selon la vertu mais, par cette vie vertueuse, de
parvenir à la fruition de Dieu. » (II,3)
et de s'épanouir. Tous ces biens particuliers sont des biens réels, mais des biens radicalement
incomplets, dont la valeur est seulement instrumentale.

Mais – et c'est là qu'il ne faut jamais perdre de vue la grâce -, bien vivre, c'est c'est grandir dans
l'amour de Dieu et du prochain. Dans la morale chrétienne, l'amour, la charité, est qualifié de forme
des vertus. La charité est comme le cocher qui commande aux quatre vertus dites cardinales :
prudence, justice, force, tempérance. Il n'est pas question, au nom d’une sorte de « charité » pure
sans enracinement naturel, de négliger ces qualités humaines.

On notera ici qu'un saint Thomas d'Aquin a rattaché la vertu de religion à la vertu de justice.
Rendre à Dieu ce qui Lui est dû est un devoir qui s'impose à César. Le culte rendu au Créateur
unifie tous les actes humains en les orientant vers une fin ultime.

Il y a ici une grande continuité entre ces deux phares de la pensée chrétienne occidentale que
sont saint Augustin et saint Thomas d'Aquin. Dans La Cité de Dieu, saint Augustin reproche à
l'ordre romain de s'être limité à combattre une certaine violence. L'Empire avait en quelque sorte
une légitimité minimale – après tout n'importe quel ordre, même très imparfait, est préférable, au
chaos. Une certaine paix vaut mieux que l'anarchie pure. Pour saint Augustin comme pour saint
Paul, le pouvoir politique est à la fois un châtiment du péché et une manière d'en limiter les effets.
C'est pourquoi saint Paul comme saint Pierre (et avant eux le prophète Jérémie face à Babylone)
enseignent la soumission aux pouvoirs constitués.

Cependant saint Augustin « nie explicitement que Rome ait été juste politiquement ».6 Les
relations entre les hommes sont régies par la vertu de justice qui, comme on sait, consiste à rendre
à chacun ce qui lui est dû. Ce qui est impossible, si l'on ne commence pas donner à Dieu en
sacrifice ce qui lui est dû. L'ordre social juste est fondé sur le vrai culte offert à Dieu. Ce n'est que
lorsque Dieu est aimé la justice peut régner dans la cité.

On peut reformuler cette analyse de saint Augustin sous forme de syllogisme :
• La véritable justice sociale ou politique exige l'adoration du vrai Dieu. Et cette orientation
de la cité vers le vrai Dieu n'est possible que par le Christ, unique médiateur.
• Or Rome ne connaissait pas la vraie religion et faisait donc d'une cité provisoire un absolu
de substitution, avec notamment son culte rendu à l'Empereur. C'est bien ce culte idolâtrique que
refusaient les martyrs, pas l'obéissance au pouvoir.
• Donc Rome ne connaissait pas la justice.

Comment envisager l'application de ce syllogisme à nos sociétés sécularisées ?7

L'oscillation moderne entre relativisme et fondamentalisme

En effet, cette conception est radicalement inconciliable avec le pluralisme libéral. Pour la
modernité libérale, le projet politique ne consiste plus à chercher le but fixé par Dieu aux hommes.
Au contraire, l'individu est appeler à déterminer lui-même ce but, à créer lui-même ses propres

6 John Milbank, « Politique (Théologie) », in Dictionnaire critique de théologie, J.-Y. Lacoste (sous la dir de),
Puf, 2007, p. 1105.

7 Il est intéressant de relever l'argumentation de saint Pie X dans sa condamnation des lois laïcistes de 1905 : « cette thèse
est la négation très claire de l'ordre surnaturel. Elle limite en effet l'action de l’État à la seule poursuite de la prospérité
publique durant cette vie, qui n'est que la raison prochaine des sociétés politiques; et elle ne s’occupe en aucune façon,
comme lui étant étrangère, de leur raison dernière, qui est la béatitude éternelle proposée à l'homme quand cette vie si
courte aura pris fin. Et pourtant l'ordre présent des choses, qui se déroule dans le temps, se trouvant subordonné à la
conquête de ce bien suprême et absolu, non seulement le pouvoir civil ne doit pas faire obstacle à cette conquête, mais il
doit encore nous y aider » (Vehementer nos, 11 février 1906).

valeurs, à poursuivre son seul intérêt.

Cet individualisme radical conduit non seulement à une destruction du bonheur de l'homme
mais aussi à la vitalité de la société. L'harmonie entre la nature et la grâce, entre la cité de Dieu et la
cité de l'homme a été brisée, car les deux ne peuvent se séparer sans se détruire. D'une part la
nature a besoin de la grâce pour être restaurée et sauvée. D'autre part, la grâce se maintient via la
nature.

Comme l'a montré le grand philosophe moraliste Alasdair MacIntyre dans son livre Après la
vertu, la politique est devenue libérale en se désintéressant de l'âme au profit d'intérêts matériels.
Simultanément, la foi chrétienne s'est désintéressée du corps en rejetant la nature (calvinisme,
jansénisme), ce qui a conduit finalement au rejet de la grâce. La conjonction de ces deux
mouvements a enfanté le sécularisme, qui expulse de la cité tant la grâce que la nature, comme
nous le voyons plus clairement dans les débats sociétaux actuels.

Et nous nous retrouvons aujourd'hui avec une dangereuse oscillation entre d'une part la
dictature du relativisme, pour reprendre l'expression chère à Benoît XVI, et d'autre part des
fondamentalismes religieux.

- III L’Église face au pouvoir politique

Nous allons maintenant tenter de comprendre l'approche chrétienne de la relation entre l’Église
et le pouvoir politique.

L’Église

Les premiers chrétiens ont choisi le mot d'« Église », en référence à l’ekklesia, l’assemblée de ceux
qui jouissaient de leurs droits de citoyens dans une polis, un État-cité grec. L'adoption de ce mot
n'est évidemment pas innocent : il montre que l’Église ne s'est jamais définie comme une
association privée ou une secte. Cette affirmation a été perçue très vite par l’Empire romain. Pline a
combattu les communautés chrétiennes d’Asie mineure comme autant d’associations politiques
subversives.

En fait, l’Église n'est pas comme la partie d’un tout mais comme un tout - kat holon, catholique,
dont la mission s’étend au monde entier et qui comprend au moins en puissance tous les hommes.
L’Église est l'espace créé par Dieu pour l'accomplissement de toute l'humanité.
L’Église ne défend pas des intérêts particuliers. L’Église est concernée par les intérêts de la cité
entière, et même de toutes les cités, en tant que témoin de Dieu dans l’histoire. Selon la définition
du concile Vatican II, l’Église est le « sacrement, c'est-à-dire à la fois le signe et le moyen de l'union
intime avec Dieu et de l'unité de tout le genre humain » (Lumen gentium, 1). L’Église est signe pour
toutes les nations.

Pour tout fidèle baptisé, l’Église est bien la première communauté d'appartenance, la
communion de communautés qui l'emporte sur toutes les autres. Je suis d'abord chrétien, et
ensuite seulement français. L’Église, par son universalité, transcende toutes les frontières
géographiques, ethniques, sociales ou culturelles.

Au fil des siècles, les modes de relation entre l’Église et le pouvoir ont changé, car ils dépendent
du degré d'évangélisation de la société. Je n'ai pas le temps de revenir ici sur la Chrétienté
médiévale, avec ses ombres et ses lumières, mais je voudrais rapidement dégager quelques
orientations.

Il y a un sens chrétien de la laïcité qui me semble légitime et qui est le suivant : il y a une
distinction entre le métier du gouvernant et celui du pasteur. En ce sens, la théologie politique
chrétienne rejette le dilemme : le sécularisme ou la théocratie.
Il faut préciser que si l’Église est une communion, elle comporte aussi une dimension juridique
en tant que société active dans l'histoire. Mais l’ordre de la grâce n’est pas premièrement un ordre
juridique. La mission propre de l’Église est d'annoncer le Royaume de Dieu. L'Église vise une
transformation de la société dans l’amour de Jésus Christ. Et c'est ainsi qu'elle témoigne de la

Royauté du Christ sur le monde.

Vis-à-vis du pouvoir politique, l’Église doit s’efforcer de le christianiser en l’insérant dans la
civilisation de l’amour. Positivement, c'est tenter de rendre les gouvernants plus chrétiens, et donc
plus humains, leur rappeler leurs devoirs, les appeler à la justice mais aussi à la charité.
Négativement, c'est aussi pour l’Église d'exercer sa fonction prophétique qui peut la conduire à
critiquer tout pouvoir existant. Pensez à par exemple au futur pape François condamnant
fermement la légalisation du « mariage » homosexuel en Argentine.

Une telle vision n’implique aucune union juridique de l'Église et de l'État. La subordination
intrinsèque du monde (pouvoir politique inclus) à la finalité surnaturelle peut être et doit être
simultanément maintenue par la distinction juridique de l'Église et de l'État. L'Église et le pouvoir
politique doivent demeurer deux entités juridiquement distinctes. En effet, les moyens de
coercition que le pouvoir politique utilise pour punir les méchants appartiennent à la cité de ce
monde, qui n'échappe pas à la violence. Et l’Église ne doit jamais employer les méthodes violentes
du pouvoir.

Dans cette conception chrétienne, l'autorité politique doit garantir l'exercice de la justice, assurer
la paix intérieure et extérieure, protéger la liberté de l’Église dans son oeuvre d'évangélisation. Le
modèle chrétien de l’État est celui de l’État humble, pour reprendre l'expression du théologien
anglican Oliver O'Donovan. L’État humble sait rester à sa place.
Cette approche exclut autant l’absorption de l'Église par le monde et le pouvoir ;
J'ajouterais un point qui n'a pas été suffisamment développé dans le contexte de la Chrétienté
d'hier : c'est que cette conception ne justifie ni l'intolérance ni la négation de la liberté religieuse. Il
y a un droit de ne pas être empêché par le pouvoir d'agir en matière religieuse, dans de justes
limites, afin de pouvoir librement s'ouvrir à Dieu et à un ordre transcendant. C'est une liberté pour.

Au sein de la Chrétienté médiévale, la différence entre le pouvoir temporel, le pouvoir des princes, et
l’autorité spirituelle, l'autorité de l’Église, était une différence non d’espace mais de temps. Est
« temporel » ce qui concerne le temps présent, ce qui est temporaire, provisoire, dans l’attente de la
Parousie, de la seconde venue du Christ. Est « spirituel » ce qui concerne l’éternel. Le rôle spécifique des
princes était d’assurer un certain ordre au sein même du peuple de Dieu. Le roi est lui-même membre de
l’Église. Un historien anglais, John Neville Figgis, a dit que « le prince est le ministre de l'intérieur de
l'Eglise. » L’onction royale montrait que même cette responsabilité s’inscrivait à l’intérieur et non à
l’extérieur de l’Église. Mais cela ne veut pas dire pour autant qu'il n'y avait pas une distinction des
fonctions au sein de la Chrétienté. Le métier du roi n'est pas celui du prêtre. Le pouvoir du prince, le
regnum, n'est pas identique au pouvoir du prêtre, le sacerdotium. Pour comprendre l’articulation entre
les fonctions respectives du prince et de l’évêque, les théologiens du moyen âge se référaient aux deux
natures (humaine et divine) du Christ, sans mélange ni séparation.

L'alternative

Le pouvoir politique après Jésus Christ est ainsi placé face à une alternative :
Soit accepter publiquement la Seigneurie de Dieu qui s'exprime dans le Corps du Christ qu'est
l’Église.

Soit s'autoglorifier comme créateur, provident et sauveur, s'affirmer comme référence suprême,
s'autosacraliser selon ses propres critères. Et de fait c'est ce qui est arrivé lorsqu'à partir de la fin du
moyen âge que le temporel est devenu progressivement comme un espace « naturel », « séculier »,
affirmant toujours davantage son autonomie radicale.

Ce processus a connu deux grands moments :

1) Première période, celle de l'absolutisme.

Comme l'a montré William Cavanaugh, c’est entre 1450 et 1650 qu’apparaît l’État au sens
moderne, et il se bâtit contre l’Église. L’Église a été progressivement marginalisée, en charge de la
« religion » (concept qui prend alors un sens tout nouveau). A l’État le pouvoir sur les corps, à
l’Église le soin des âmes.

Ce processus a non seulement affaibli l’Église, mais il privé le pouvoir en le privant de son
soubassement spirituel, et sa tentative de se doter d'un sacré de substitution s'avère en dernière
instance destructrice pour ses propres fondements.

2) Deuxième période, celle du triomphe du sécularisme.

La laïcité comprise comme sécularisme est une manière d’instituer la société à partir du principe
d’autonomie, comme l’a expliqué le sociologue Marcel Gauchet : l’association politique résulte de la
libre volonté des hommes qui choisissent leurs règles, à différence de l’hétéronomie, quand les
règles fondatrices viennent d’ailleurs – de la sphère sacrée, de Dieu.
La laïcité est bien, selon un collectif d’auteurs laïcistes, « le refus de fonder l’espace public sur des
vérités révélées » (La Croix, 18/9/2003).

Cette laïcité a bien pour but d'organiser la société comme si Dieu n'existait pas.
En 2003, Jacques Chirac a affirmé la primauté de la République comme instance de référence
ultime : « Il n’y a pas en France de règles supérieures aux lois de la République. C’est ainsi. On ne peut pas
accepter, par exemple, que l’affirmation d’appartenances ethniques ou religieuses soit érigée en acte
politique. » (3 juillet 2003) Quelques années plus tôt, il avait déclaré : « Non à une loi morale qui
primerait la loi civile » (Le Journal du Dimanche, 2 avril 1995).

Nous sommes aux antipodes que la conception chrétienne de loi qui enseigne qu'une loi civile
qui ne serait pas conforme à la loi divine ne serait pas une véritable loi, une loi qui contredirait la
loi de Dieu ne mériterait ni respect ni obéissance. Le temps me manque pour développer ce point,
mais il peut être assez facilement déduit de ce que j'ai tenté d'expliquer.

Conclusion

Une bonne part du regain d'intérêt actuel pour une théologie du politique tient à la
confrontation des sociétés occidentales à la progression de l'islam (ne serait-ce que par
l'immigration) et plus encore d'un islamisme qui s'attaque au sécularisme et rend nécessaire une
réflexion à nouveaux frais sur la laïcité.

Face à ce que certains Occidentaux perçoivent comme une grave menace, quelle vision de l'ordre
politique et social proposer ? Le sécularisme dispose-t-il des ressources adaptées à sa survie ?
Je ne le crois pas, et le désarroi de ses promoteurs face à des questions telles que le port du voile
islamique l'a prouvé.

Au contraire, je suis persuadé que les croyants peuvent développer entre eux un dialogue plus
fécond qu'avec les tenants du sécularisme.

C'est pourquoi je suis convaincu que des échanges tels que ceux que nous avons aujourd'hui
peuvent contribuer à favoriser une meilleure compréhension mutuelle même si, bien sûr, ces
échanges ne peuvent par eux-mêmes de supprimer nos différences.

MichelT

Date d'inscription : 06/02/2010

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La théologie politique chrétienne Empty Re: La théologie politique chrétienne

Message par jaimedieu Ven 22 Mar 2013 - 16:43

"1./ D'abord, à la base de toute théologie politique se trouve une conviction : à savoir que toute
décision collective – par exemple déclarer la guerre ou lever des impôts -, dépend d'une vision
supérieure de ce qui constitue ce corps politique. Tout choix important qui engage une
communauté est lié aux buts qu'elle poursuit."

La théologie politique est selon moi, impraticable dans la société post-industrielle. Le concept de laïcité s'est imposé à partir de la Révolution Française et s'est renforcé à l'arrivé de la Révolution Industrielle. Durant des siècles, la mouvance des sociétés a été très lente, faute de connaissances scientifiques, de moyens technologiques et d'accès à l'éducation générale. La Révolution Industrielle a finalisé l'éclatement des classes sociales, transformant les sociétés occidentales en stratifications. Nous sommes passé d'une époque où lorsque le père était cordonnier, le fils reprenait le métier du père, à celle où n'importe qui peut accéder à n'importe quel poste de haute fonction. Cette "sécularisation du travail" s'inscrit dans le courant de la laïcisation à outrance, si chère aux Francs-Maçons. Nous sommes à une époque où aucun des modèles sociaux connus peuvent nous servir de référence contrairement à ce qu'il en était de par le passé.
Le chrétien d'aujourd'hui fait face à des défis et à des difficultés qui, selon moi, n'iront qu'en croissant. La sécularisation du travail, suscitant le désir de sécularisation de toutes les composantes des structures sociales, qu'oblige une société de plus en plus "diluée" par l'augmentation de l'afflux immigrants, sous couvert d'un besoin de main-d'oeuvre, ne peux qu'imposer une structure sociale dirigée vers l'athéisme forcé.
jaimedieu
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